« Sexualité et politique en francophonie : état des lieux et perspectives de recherche »David Paternotte et Bruno Perreau Politique et Sociétés, vol. 31, n° 2, 2012, p. 3-30. Pour citer ce document, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/1014349ar DOI: 10.7202/1014349ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit :
[email protected] Document téléchargé le 22 septembre 2014 12:45 Sexualité et politique en francophonie : état des lieux et perspectives de recherche David Paternotte Fonds de recherche scientifique (FRS-FNRS), Université libre de Bruxelles
[email protected] Bruno Perreau Massachusetts Institute of Technology
[email protected] Affirmer que la sexualité est une question politique semble, au premier abord, relever de l’évidence : non seulement il existe des politiques publiques dont le principal objet est la sexualité (contraception, prostitution, prévention des maladies sexuellement transmissibles, éducation sexuelle, etc.), mais de nombreux mouvements sociaux se sont également constitués autour de ces enjeux (prévention du harcèlement et des violences domestiques, luttes pour la liberté sexuelle et contre les discriminations liées à l’orientation sexuelle, mobilisations pour le droit à l’avortement, etc.). Ces thèmes ont pourtant été assez peu analysés par la science politique, en particulier dans l’espace francophone. Cet évitement doit être pensé dans le contexte de l’institutionnalisation de la science politique : discipline encore jeune, la science politique a dû consolider sa légitimité face à d’autres disciplines plus anciennes. Se constituer autour de thèmes stigmatisés socialement, tel celui de la sexualité, risquait donc, par homologie, de la disqualifier et, partant, pouvait menacer son propre développement. Ce phénomène est particulièrement marqué en France où la science politique a d’abord analysé le pouvoir d’État avant d’étendre progressivement son périmètre. Par ailleurs, interroger la dimension politique de la sexualité, c’était s’exposer au déplacement des frontières public/privé, autour desquelles la . Voir, sur le cas français, Favre, ; et, sur le cas belge, Perrin et Jacquemain, . Politique et Sociétés, vol. 31, no 2, 2012, p. 3-30 Pol et Soc 31.2.cor 3.indd 3 13-01-22 11:33 AM En France. ont revendiqué une morale publique qui transfigure la séduction à l’œuvre dans les rapports privés. Pol et Soc 31. . a ainsi été nationalisée (Scott. de montée de l’extrême droite et de polémique autour du port du foulard à l’école. partant. mais ces réflexions ne . cette opposition privé/public a pris la forme d’une idéologie universaliste dont les répercussions ont atteint l’ensemble de l’espace francophone. ). ) et.. et plus radicalement encore. bisexuelles et transsexuelles (LGBT).2. Plusieurs travaux. cette séparation privé/public a été décrite comme une « exception française ». La sexualité. Borrillo et Colas. Toutefois. Il ne s’agit ici ni de plaider pour la reconnaissance d’un sous-champ. mais plutôt l’imaginaire même de ce transfert. Ce travail invite à la déconstruction des représentations organicistes et libidinales de la citoyenneté : les communautés humaines ne constituent pas un simple agrégat des désirs individuels d’appartenance. ) et a également servi à justifier la frontière privé/ public dans la pensée des Lumières (Pateman. Dans un contexte de célébration du bicentenaire de la révolution française. Comme le rappelle Mark Blasius à propos des questions lesbiennes. des méthodes et des concepts de la science politique contemporaine. ). gaies. ni de chercher « la normalisation » de la sexualité en science politique.cor 3. mais bel et bien de s’ouvrir à la possibilité d’une réflexion sur les processus de « disciplinarisation ». . de déconstruire les analogies corporelles qui autorisent la croyance en l’existence d’un corps social (Mathieu. ). À l’inverse des directrices du numéro de la Revue française de science politique consacré au « Genre entre policy et politics » qui plaidaient pour une « normalisation » du genre en science politique. . dans une optique libérale. tels que Les mots des femmes de Mona Ozouf. penser la sexualité implique d’interroger l’histoire de la production des catégories sexuelles et des modes de nomination de soi (Lamoureux.indd 4 13-01-22 11:33 AM . ). c’est-à-dire son inscription « dans le mainstream de la science politique » (Boussaguet et Jacquot. à l’instar du genre. Soutenir que la sexualité est une question politique requiert donc d’engager une réflexion épistémologique profonde sur la formation des objets. l’attention qu’ont portée les études LGBT/queer aux « politiques de la sexualité » a démontré en quoi les relations sexuelles constituent une dimension à travers laquelle opèrent les relations de pouvoir – le pouvoir étant l’objet de la science politique. Non seulement la dimension politique de la sexualité est au cœur des réflexions sur la vie de la cité depuis l’Antiquité (Collin et al. c’est-à-dire hors d’atteinte pour l’action de l’État.4 David Paternotte et Bruno Perreau science politique avait progressivement construit son imaginaire. la sexualité a été le plus souvent conçue dans les limites de la « vie privée ». mais il serait trompeur de croire que la sexualité présente un intérêt pour le politiste simplement parce qu’il s’agirait d’une question d’actualité susceptible de constituer une nouvelle strate d’interprétation du politique. Le desserrement du stigmate associé à la sexualité a bien sûr concouru au développement des recherches sur cette question depuis une quinzaine d’années. ( : ) Enfin. Il s’agit de la critique centrale qu’adressait Michel Foucault ( : et suiv. En atteste la difficulté de longue date à penser les « affaires de mœurs » autrement qu’à travers le registre de l’irruption du privé dans le domaine public ou à partir de la morale ou de l’éthique (Le Moigne.). le plus souvent. . Par la régulation de la sexualité. ce n’est donc pas parce que la sexualité est une . Nous montrons que si la dimension politique de la sexualité n’est pas une question nouvelle. La sexualité reste. : et suiv. Cette promesse suppose de ne pas confondre la visibilité de la sexualité et sa politisation. Si l’étude de la sexualité invite à questionner l’intersectionnalité. Foucault parlait même de « réalité de transaction » ( : ). elle est aussi un langage (Fassin. au point que leur légitimité soit parfois attachée à la préservation revendiquée de ce qui les en sépare » ( : ). ). a . de genre. Pol et Soc 31.2. en outre. sans pour autant que la croyance en son extériorité au champ politique ne soit réellement entamée. La sexualité n’est en effet pas seulement un objet de parole . Ce numéro s’efforce au contraire de proposer une analyse critique des mécanismes à travers lesquels sexualité et politique se coproduisent dans des espaces de savoir/pouvoir à la fois multiples. les plus étrangers à ses règles et à ses enjeux. de génération ou d’âge qui se trouvent énoncées. Nous souscrivons ainsi à la définition de Jacques Lagroye : la politisation est la conversion de « toutes sortes de pratiques en activités politiques » et ses effets « sur les acteurs et les activités apparemment les plus éloignés du jeu politique. le sens pratique qui accompagne toute forme de subjectivation. domaine dont le politique peut éventuellement se saisir (Lebaron et Weber. décrite comme relevant du domaine de l’intime.indd 5 13-01-22 11:33 AM . Dans leur introduction à Politics of Sexuality. du haut des savoirs universitaires. ce sont les catégories de sexe. des décennies de travail conceptuel dans les espaces militants. mais aussi.cor 3. La promesse des mouvements féministes selon laquelle « le personnel est politique » reste donc toujours à inventer. Tamagne. et plus largement. la sexualité a pu être envisagée comme une ressource pour faire de la politique autrement : il en va ainsi de la liste homosexuelle présentée par Patrick Cardon aux élections municipales d’Aix-en-Provence en ou des candidatures de Guy Hocquenghem et de Jean Le Bitoux aux élections législatives de à Paris. comme infra-politique. Terrell Carver et Véronique Mottier rappellent que cet enchâssement est plus ou moins dense selon la place symbolique accordée à l’État ( : -). Prétendre à l’innovation reviendrait à balayer du revers de la main. ces expériences furent isolées et la sexualité reste considérée. les formes prises par la politisation de la sexualité aujourd’hui (au sens de sa mise en politique) s’avèrent tout à fait singulières : on constate en effet une expansion des mobilisations sociales pour inscrire la sexualité à l’agenda politique. de classe. Parfois. ).Sexualité et politique en francophonie 5 se sont. Toutefois. . ). entremêlés et mobiles. Jaunait et Matonti. pour l’essentiel.) au discours de « libération sexuelle » promu par Wilhelm Reich et Herbert Marcuse. Hocquenghem. de race. jamais limitées au monde académique (d’Eaubonne. . en revanche. . de représentations. .2. quelles sont les principales orientations de recherche sur la sexualité et comment cellesci s’inscrivent-elles dans l’émergence de nouveaux réseaux de recherche sur le plan international ? . au cours de l’action publique. mais bien parce qu’elle constitue un « site » de production catégorielle (Varikas. contrat d’union civile. Analyser la politisation de la sexualité.). une confrontation entre l’expérience sensible et l’institution (Laplanche. c’est-à-dire penser à partir des positions minoritaires (Dorlin. Pour ce faire. l’étude de la sexualité pose le problème de l’objectivation. : ). Celle-ci ne consiste pas en un relativisme phénoménologique mais. en une forme d’« objectivité forte » (Harding. éducation sexuelle. cette introduction soulève trois types de questions : comment les recherches sur la sexualité ont-elles été articulées à la mise en politique des questions de sexe et à l’émergence des études de genre ? Quels décalages épistémologiques existe-t-il entre la science politique et d’autres disciplines des sciences humaines et sociales. d’objets et d’affects. mais aussi au sein de la science politique francophone ? Enfin. elle admet également un principe d’étrangeté. S’il est possible de parler de « rapport sexuel ». au contraire. c’est en partie parce que la sexualité est un rapport de sens. de normes.indd 6 13-01-22 11:33 AM . subjectivement perçus comme « sexuels » ou objectivés comme tels par diverses institutions (mariage.cor 3. aujourd’hui en science politique. se placer au croisement d’autres catégories déjà constituées. etc. de corps. : -). Dès lors. Jaunait et Chauvin. De nombreuses chercheuses féministes ont ouvert la voie en critiquant les métaphores androcentriques à l’œuvre dans toutes les disciplines scientifiques et proposé une théorie du point de vue.). : et suiv. : ) : non seulement l’émergence des connaissances scientifiques doit-elle être appréhendée dans un faisceau de relations de pouvoir. c’est donc toujours penser politiquement les recherches sur la sexualité. d’identités. La sexualité combine un ensemble d’actes.6 David Paternotte et Bruno Perreau catégorie prédéfinie qui viendrait. C’est le rapport entre ces deux registres qu’interrogent les contributions de ce numéro. C’est la raison pour laquelle nous n’entendons pas limiter la notion de sexualité à un ensemble de pratiques érotiques dont la sélection serait largement arbitraire. Dorlin. . Pour une analyse critique de l’intersectionnalité : Lépinard. mais la capacité d’agir (agency) des objets scientifiques eux-mêmes doit être sans cesse considérée (Haraway. Pol et Soc 31. La théorie du point de vue ne promeut pas seulement la réflexivité (à la suite de l’approche socio-historique du politique). . centres de santé. ). ).. L’histoire du mouvement transsexuel et transgenre. Les mouvements féministes ont également contribué à l’émergence d’autres luttes. Pol et Soc 31. Il en va ainsi de la question de la prostitution : Lilian Mathieu () a montré qu’en la participation des mouvements féministes (y compris abolitionnistes) à l’occupation de l’église Saint-Nizier à Lyon par des femmes prostituées a fait défaut au mouvement des prostituées contre la Loi sur le racolage passif en . le partage de certains répertoires d’action collective entre mouvements féministes et LGBT a été au cœur des mobilisations sociales en matière de sexualité depuis quarante ans. Un des exemples les plus emblématiques est la naissance du Front homosexuel d’action révolutionnaire en . Au-delà même de la circulation des militants. Dès les années . La sexualité.Sexualité et politique en francophonie 7 1. ainsi que sur l’inscription de la .indd 7 13-01-22 11:33 AM . Chauvin. qui a tenté de se frayer un chemin entre mouvements des femmes et mouvements gais et lesbiens.cor 3. C’est à l’aune de ces tensions que de nouvelles enquêtes sur la prostitution ont été initiées : elles mettent l’accent sur la diversité des pratiques prostitutionnelles. à la suite de l’action menée par le Mouvement de libération des femmes contre l’émission de radio de Ménie Grégoire consacrée à l’homosexualité (Sibalis. lutte contre les violences domestiques. Prearo. témoigne d’une trajectoire similaire (Motmans. par exemple. la concurrence entre organisations humanitaires et services de l’aide sociale ainsi que l’émergence d’un clivage théorique au sein des mouvements féministes matérialistes (centrés sur la domination et les violences) et libertaires (centrés sur la contractualisation). . ). Voir. ). partage des tâches domestiques. Les tensions militantes ont été productives en ce qu’elles ont concouru à la problématisation de la sexualité et au développement de recherches sur cette question. Cette différence s’explique à la fois par la transformation des espaces prostitutionnels au cours des années et . Cela ne signifie pas pour autant que les référentiels de ces mouvements aient toujours été communs : chaque mouvement est le produit d’un ensemble d’opportunités et se sédimente autour d’objectifs propres (Fillieule et Duyvendak. contradictoires (Tahon.). ) et. le travail conjoint d’Act Up Paris. . combat qui avait émergé dès le début du XXe siècle. divorce par consentement mutuel. entre sexe et genre ? Du débat public… L’émergence du thème de la sexualité dans le débat public est contemporaine de la mise en politique des questions de sexe.) ont été articulées au combat pour la libre disposition de son corps (contraception libre et gratuite. etc. ). les revendications féministes en faveur de l’égalité (suppression de la tutelle paternelle. etc. ). égalité salariale. droit à l’avortement.2. féminines et masculines (Handman et Mossuz-Lavau. du Mouvement français pour le planning familial et de Sida info service (Act Up Paris et al. parfois. mais aussi d’une moindre influence du familialisme sur les politiques de la citoyenneté. ont pu être battus en brèche par des arguments plus naturalistes (Agacinski. Enfin. ). ) au contexte de politisation de la question de la pédophilie après l’affaire Dutroux et le scandale d’Outreaux (Rihoux et Walgrave. La situation s’est parfois révélée plus facile ailleurs. comme le montre le cas français. à propos des « tournantes » (Clair. . d’autres problèmes publics ont émergé de façon plus soudaine : il en va ainsi de l’épidémie du sida (Fillieule. De la même façon. Tant au Québec (Charbonneau. ). non seulement en raison d’un légicentrisme moins prononcé.. Lépinard. Ces arguments ont alors renforcé la sacralisation de la différence des sexes (Bereni et Lépinard. largement relayés par les médias. ). Dans un contexte de mondialisation des identités sexuelles et de prise en charge des questions liées au sida par des institutions internationales. Bourcier. recherches qui ont permis d’invalider les clichés. Roca i Escoda. ). a encouragé de nouvelles recherches sur les représentations de la sexualité (Ogien. . ) ont également œuvré en faveur du référentiel de l’égalité des droits. . ces arguments qui. ). au nom de l’histoire de la discrimination des femmes. une approche plus pragmatique a été développée.8 David Paternotte et Bruno Perreau prostitution dans un continuum d’échanges économico-sexuels (Benquet et Trachman. .cor 3. La revendication de la parité. il semble également difficile de ne pas associer le renouveau des recherches critiques sur la sexualité des jeunes (Blanchard et al. appelaient à des mécanismes juridiques correctifs (Gaspard et al. Au-delà des luttes et des controverses politiques. ). ). ). ) qu’en Belgique (Herbrand. à paraître).2. la lutte contre l’épidémie a aussi contribué à la naissance de mobilisations homosexuelles sur le continent africain (Broqua dans ce numéro).indd 8 13-01-22 11:33 AM . Toutefois. l’agenda européen en faveur du gender mainstreaming et les revendications en faveur des droits sexuels issues des conférences onusiennes sur les droits des femmes (Swiebel. marquée par une forme pastorale de gouvernance (Perreau. très présents dans les sphères médiatiques et politiques. la division des mouvements féministes après la création de « Ni putes ni soumises » a ouvert la voie à des recherches sur la sexualité des jeunes en banlieue. Un phénomène analogue s’est produit sur la question de la pornographie : l’émergence de discours féministes propornographie. Pol et Soc 31. Preciado. ) et ont fait obstacle à une plus grande égalité des droits en matière de filiation. La rapide mobilisation des associations a eu pour conséquence d’inscrire la lutte contre les discriminations et la question de l’égalité des couples à l’agenda politique dans de nombreux pays occidentaux (Buton. .. a). Boussaguet. « Genre » devient alors un synonyme de « femme » (Carver. Deschamps. et Gaissad. Toutefois. se situe dans un modèle épistémologique unissant explicitement genre et sexualité. ni rendre compte des nombreuses formes de hiérarchisation basées sur la sexualité. en outre. Par ailleurs. Sexualité & Sociétés. ). loin de penser les conditions sociales de production des catégories de sexe. De ce point de vue. Ce dynamisme se reflète dans la production récente des différentes revues sur le genre. Cette tradition a été poursuivie notamment par de Busscher.indd 9 13-01-22 11:33 AM . Mendès-Leite et Proth. ne retiennent que des définitions essentialisées (voir la critique de Carver et Mottier. CLIO.cor 3. Il faut donc aussi comprendre les études LGBT et les études queer comme un geste critique adressé à certains usages du genre. : ]) mais.Sexualité et politique en francophonie 9 … aux recherches sur la sexualité et les identités sexuelles Si la politisation des questions de sexe a directement participé au développement de recherches sur la sexualité. la principale revue francophone sur les questions de sexualité. . les études sur la sexualité ne peuvent être limitées aux travaux sur le genre (Mossuz-Lavau. . . Pol et Soc 31. elles proposent un retour plus critique sur les pratiques sexuelles elles-mêmes : leur objet n’est pas alors de les inventorier (Spira et Bajos. . ). renouant ainsi avec le fil d’une sociologie plus compréhensive qu’avait développée Michael Pollak durant les années (Pollak. mais d’analyser chaque pratique comme l’émergence d’une culture sexuelle donnée. . La sexualité constitue en effet l’un des axes de recherche les plus dynamiques des études de genre. a) et le concept de genre ne peut. De la même manière. ) et dissimule tant les cultures minoritaires que les solidarités féministes. Gayle Rubin ( : ) soulignait les limites d’une vision « qui traite la sexualité comme un produit dérivé du genre ». Non seulement revendiquent-elles de militer pour une transformation des normes (à l’instar des études féministes durant les années [voir Eribon. Nouvelles questions féministes. rendre compte du caractère multiple des expressions et des subcultures sexuelles. Genre. . à lui seul. . dans le contexte des sex wars étasuniennes. . la diffusion de la problématique de genre peut également comporter un certain effacement de la question de la sexualité : la notion de « genre » connaît des usages conservateurs qui. . la reconnaissance croissante des études de genre a également eu un fort impact sur ce développement. l’histoire culturelle des sexualités reste très insuffisamment étudiée dans l’espace francophone (Eribon. qui intègrent de plus en plus d’articles sur les questions sexuelles et y consacrent même fréquemment des numéros thématiques (par exemple. Bajos et Bozon. Dès . ). ).2. ils ne sont pas la même chose et ils constituent le fondement de deux aires différentes d’interaction sociale ». affirmant que « bien que le sexe et le genre soient reliés. . certaines disciplines comme la sociologie ont longtemps inscrit les questions sexuelles dans d’autres sous-champs. Tamagne. . tels que celui de la Pol et Soc 31. identité. Cet intérêt ne s’est pas démenti dans l’espace francophone (Bazin et al. s’est montrée la plus attentive à l’étude de la sexualité (notamment. Gubin et Jacques. Bard et Taraud. de conforter l’idée d’une normalité sexuelle occidentale. nous souhaitons souligner le retard pris par la science politique par rapport à des disciplines voisines. ). Philippe Ariès et Jean-Louis Flandrin). Dupont et de Smaele. Sans constituer le cœur de leurs travaux. Certaines. 2.indd 10 13-01-22 11:33 AM . dont l’anthropologie. .2. C’est par exemple le cas de l’histoire. en font désormais une dimension essentielle de leurs analyses. objets de recherche (Chaperon. notamment l’histoire. Rebreyend. cet intérêt pour la sexualité des « sociétés exotiques » n’était pas dénué de stéréotypes et d’un désir. .. pour lesquelles la sexualité ne constituait pas initialement une préoccupation de recherche. Murat. Enfin. Lévi-Strauss).cor 3. il a aussi contribué à dénaturaliser la sexualité et à l’appréhender dans sa diversité. dès sa création. à paraître).10 David Paternotte et Bruno Perreau Tamagne. Enfin. au moins implicite. Revenin . Alain Corbin. ont longtemps jeté un regard « en diagonale » sur les questions sexuelles. Berliner et Herbrand. ) et c’est souvent aux États-Unis qu’il est possible de trouver les ressources nécessaires à l’analyse de la production conjointe du politique et de la sexualité (par exemple Chauncey. Mead. Certaines disciplines. les pratiques sexuelles elles-mêmes ont très vite été un objet d’étude à part entière. . Meyerovitz. ). En témoignent notamment les travaux de Maurice Godelier et de Françoise Héritier. Malinowski. plusieurs auteurs emblématiques ont intégré l’étude des comportements sexuels à leurs fresques historiques : Jean Delumeau. . Georges Duby. b. Coulmont. Toutefois. Paul Veyne. Si l’étude de la parenté n’y est pas pour rien. . ont été fondées à partir de l’étude de la sexualité. Décalages épistémologiques Au sein des sciences humaines et sociales Dans cette section. . des disciplines comme la sociologie ont d’abord subsumé l’étude de la sexualité sous d’autres thèmes de recherche (déviance.) avant de lui accorder une place propre. D’autres. Zialo et Bastin. Ces auteurs ont ouvert la voie à de nouvelles générations de chercheurs pour lesquels la sexualité constitue un des principaux. famille. Bien sûr. Chaperon et Taraud. etc. . Jean Stengers. si ce n’est le principal. . exclusion. L’anthropologie est sans nul doute la discipline qui. . . Ce fut particulièrement le cas des historiens qui se sont intéressés à la vie quotidienne (comme Arlette Farge. etc. Actes de la recherche en sciences sociales (. institutions internationales. la récente Chaire de recherche sur l’homophobie décernée à la sociologue Line Chamberland (Université du Québec à Montréal) est soutenue par le gouvernement québécois dans la mesure où elle s’inscrit dans le cadre du Plan d’action gouvernemental de lutte contre l’homophobie. En France. on peut s’interroger sur l’avenir de ces recherches. Un grand nombre de numéros thématiques de revue ont traité du sujet.indd 11 13-01-22 11:33 AM . Giami). Au Québec. En Belgique francophone. quand l’intérêt social et politique sera retombé et que ces « problèmes sociaux » seront considérés comme résolus. Tant l’Association française de sociologie que l’Association internationale des sociologues de langue française disposent d’un groupe de recherche sur ces questions. est aussi l’organe responsable du suivi et de l’amélioration des politiques en matière de VIH/ sida (Dewaele et al. Elias ou Goffman. ). Si l’essor des travaux sur la sexualité est incontestable dans certaines disciplines des sciences humaines et sociales. Gagnon. à la légitimité souvent circonstancielle.cor 3. Dans les trois cas ci-dessus. notamment sur les questions de couple et de parentalité (par exemple Fassin. Sociétés contemporaines (). tout particulièrement sous l’égide de l’Agence nationale de recherche sur le sida (ANRS) et de l’association Sidaction. Dès lors. qui poursuit le travail fondateur de François Delor. Plummer. de nombreux sociologues se sont impliqués dans les débats politiques et sociaux. à l’image des travaux fondateurs de Simmel. voire de précarité (exigences de recherches appliquées. ). Enfin. ils les ont aussi maintenus dans une certaine forme de dépendance. au point de constituer aujourd’hui un champ à part entière. la sexualité a encore été renforcée comme critère incontournable de l’analyse des rapports de domination.Sexualité et politique en francophonie 11 déviance ou de la famille. L’interactionnisme a ainsi joué un rôle essentiel pour de nombreux sociologues de la sexualité (McIntosh.2. l’Observatoire du sida et des sexualités des Facultés universitaires SaintLouis. de nombreuses thèses et recherches récentes ont été réalisées dans le cadre de la prévention du sida. les préoccupations scientifiques ne constituent donc qu’une partie – parfois mineure – des motivations des bailleurs de fonds. Pol et Soc 31.. calendriers relativement courts. agences de développement. Avec l’émergence de la sociologie de la reproduction sociale (Bourdieu. fondations et organisations non gouvernementales (ONG) étrangères dans le Sud – dans la commande et l’orientation de la recherche. etc. Si les financements institutionnels ont permis de soutenir de nombreux travaux. Passeron) d’une part et de la structuration d’autre part (Giddens). par exemple : Sociétés (). ). éloignement des financements réguliers de la recherche.). Sociologie et Sociétés (). il importe cependant de rappeler le rôle central des pouvoirs publics – État et régions en Europe et au Québec. ) à la demande de Pierre Muller. Toutefois. ) et « en Europe » (Risse. parce que des cours similaires sont institutionnalisés de longue date aux États-Unis. à « L’identité sexuelle en questions ». citons « Politique et diversité sexuelle » de Manon Tremblay à l’Université d’Ottawa . celle des gender studies. au Pol et Soc 31. tout particulièrement en Afrique noire (Epprecht et Gueboguo.12 David Paternotte et Bruno Perreau Au sein de l’espace francophone Ce bref aperçu du développement des études sur la sexualité met en relief le retard certain de la science politique francophone. force est de constater la permanence d’affinités culturelles et de traditions académiques vernaculaires : non seulement la langue contribuet-elle à la sédimentation de communautés épistémiques. Eboko et al. en Suisse et au Québec et des travaux sur la sexualité sont en train d’émerger dans d’autres parties du monde. Plus récemment.indd 12 13-01-22 11:33 AM . la composition des deux volumes témoigne d’un grand éclectisme disciplinaire et il s’agit d’une revue à dominante historique. c’est le philosophe Didier Eribon qui intervint sur les questions gaies et la sociologue Michèle Ferrand qui traita des « lois du sexe ». également à Sciences Po. de surcroît. De la même façon. mais.. ). encore très peu de cours spécifiquement dédiés à la sexualité sont dispensés dans les cursus de science politique des universités francophones.cor 3. une revue québécoise. Parmi quelques exceptions. La francophonie n’est pas en effet un monolithe (Mendès-Leite et de Busscher. . « Penser depuis les marges II : introduction aux Gay & Lesbian Studies » de Lorena Parini à l’Université de Genève . ) et. b). la production anglophone. lorsque Janine Mossuz-Lavau co-organisa un colloque sur le thème genre et politique (Bard et al. « Homosexualité et politique » enseigné par Françoise Gaspard et Bruno Perreau de à à Sciences Po (Paris) .2. a contribué à légitimer ces enseignements. Awondo. mais aussi parce que la traduction récente d’auteurs clés a fait écho aux centres d’intérêt des étudiants eux-mêmes. ainsi que le cours qu’Emmanuelle Huisman-Perrin consacre. et malgré quelques évolutions récentes. Si celle-ci reste dominée par la France. Si la mondialisation de la recherche est indéniable. . des débats distincts ont pu avoir lieu en Belgique. ) ainsi que des queer studies (Perreau. En . le Bulletin d’histoire politique. Dans chacun de ces cas. des gay and lesbian studies (Perreau.. Cette plus ou moins grande ouverture à la production anglophone soulève la question des décalages épistémologiques au sein même de la science politique francophone. ). Nous nous permettons donc ici de traiter ensemble de travaux francophones dont la diversité est bien réelle. alors secrétaire de l’Association française de science politique. dans une moindre mesure. tendent à être distribuées dans des espaces à dimension plus restreinte. a consacré deux numéros thématiques à « Homosexualité et politique au Canada et au Québec » (Chamberland. les rétributions de la recherche. à la fois matérielles et symboliques. bien souvent. Pol et Soc 31. Gunther Scott ou Michael Sibalis . la politique européenne et les relations internationales. ). dès lors qu’elles nous ont semblé décisives pour le développement des recherches sur la sexualité en science politique. Andra Maihofer . s’inscrivent en science politique. Trois principaux axes de recherche Le premier s’alimente tout autant à la théorie qu’à la sociologie politique. Miriam Smith . . et. Joz Motmans et Petra Meier. pour la Suisse. Judith Surkis. aux stratégies et modes d’accès à la citoyenneté . nous avons également inclus d’autres types de contributions. pour la Belgique. aux entraves à la liberté sexuelle (Borrillo et Lochak. Les orientations actuelles de la recherche La production scientifique francophone consacrée aux rapports entre sexualité et politique s’articule aujourd’hui autour de trois axes principaux : citoyenneté. ont également enrichi les travaux sur les rapports entre sexualité et politique en francophonie. Les recherches sur la sexualité constituent de ce point de vue un exemple particulièrement intéressant de communauté de recherche construite sur la base d’une langue et de références disciplinaires propres. l’émergence de réseaux internationaux laisse entrevoir de nouvelles perspectives de recherche dans l’espace francophone lui-même. . il convient de citer.cor 3. Enfin. . Corriveau et Daoust. Nathalie Gerodetti. ). Jan Willem Duyvendak. Carolyn Dean. Brigitte Studer. Julian Jackson. très disciplinaires. Il a conduit à explorer les droits dont certaines personnes sont privées pour des raisons liées à la sexualité tout en révélant les biais des théories de la citoyenneté. Fassin. un certain nombre de chercheurs qui ont toujours travaillé hors de l’espace francophone et.2. aux rapports entre sexualité et démocratie (Daoust. Bureau. Denis Provencher. 3. Corriveau. les partis politiques.Sexualité et politique en francophonie 13 Maghreb (Zaganiaris. d’une manière ou d’une autre. et simultanément. Camille Robcis. pour le Québec.indd 13 13-01-22 11:33 AM . politiques publiques et action collective. dans d’autres langues. Par ailleurs. . Toutefois. étant donné la porosité des frontières disciplinaires en sciences humaines et sociales. ). Il faut enfin noter un taux d’émigration relativement important chez les politistes qui s’intéressent aux sexualités. Ces travaux se sont plus particulièrement intéressés au rôle de l’État dans la régulation et l’organisation de la sexualité (Delessert. mais aussi. Parmi ceux-ci. Michael Bosia. ). Nous avons choisi de nous concentrer sur les travaux qui. Enda McCaffrey. s’avérant souvent peu compatibles avec des parcours de recherche plus vagabonds. Elle se caractérise aussi par le petit nombre de travaux sur des sujets tels que le vote. sur le déplacement de ces frontières disciplinaires et linguistiques par l’établissement de réseaux transversaux. aux logiques de recrutement dans l’espace francophone. pour la France. en particulier. Dodier. et al. ). qu’il s’agisse des diverses formes de reconnaissance légale du couple (Descoutures.indd 14 13-01-22 11:33 AM . Martens. comme la bioéthique et la procréation médicalement assistée (Memmi. ). . ) et aux dynamiques de mondialisation des droits. de l’encadrement de la parentalité (Herbrand. les recherches sur la sexualité rejoignent les recherches sur le genre. que ce soit à travers l’action des institutions internationales (Marques-Pereira et Raes. Engeli. surtout médicales. celle du « gouvernement des corps » (Fassin et Memmi. De ce point de vue. ). . Schultheis. . . politique et social de l’orientation sexuelle. .. de la question des tortures et des humiliations sexuelles lors de conflits internationaux et. et les différents régimes de savoir/pouvoir à l’œuvre dans la lutte contre l’épidémie (Favre. . . Lenoir. Lascoumes. Perreau. des sociologues et des juristes ont plus particulièrement analysé le traitement juridique. Enfin. Paternotte. plus largement.cor 3. Moroni. Cattacin et Lucas. . . Gautier et Heinen. des politistes. . qui se sont développés à partir des années . Jenson et Sineau. . . . b .2. Suivant la chronologie des politiques publiques elles-mêmes. Robcis. Si de nombreux travaux ont indiqué combien la famille constitue un champ central de l’action étatique (Commaille. . de l’adoption (Herbrand. Roca i Escoda. . des conditions implicites d’accès à la citoyenneté (Butler. ) et la reconnaissance de droits sexuels (Fassin. Pol et Soc 31. . . . ) ou dans le cadre des problématiques d’asile et de migration (Falquet. . Paternotte. Lascoumes. Les travaux sur le VIH/sida et les politiques de santé. Le deuxième axe porte sur l’analyse des politiques publiques. ). ). Mehl. Un certain nombre de travaux ont également étudié l’impact de l’imaginaire républicain – principalement dans le cas français – sur les trajectoires militantes (Duyvendak. Il convient également de noter l’importance des débats sur l’imaginaire sexuel des nations en dehors du cadre de la science politique : il s’agit. à paraître). ). . Ces réflexions s’inscrivent dans une problématisation plus large. a) ou. Puar. . Cattacin et al. au nom d’une « vérité » des origines. Cantelli. participent à sa régulation. par les représentations des catégories sexuelles qu’elles véhiculent. Eboko. mais aussi entrepreneuriales. . ..14 David Paternotte et Bruno Perreau (Chambon. se sont instituées en garantes de l’ordre social – ordre qu’elles contribuent par ailleurs à produire (Borrillo et al. . Commaille et Martin.. . ont également beaucoup analysé les rapports entre l’État et d’autres formes d’autorités. ). . à la fois les politiques de la sexualité et les politiques qui. Marques-Pereira. certaines recherches ont mis en question les formes d’expertise académique qui. . Les politiques de lutte contre le sida ont également soulevé la question de la protection de la vie familiale. ). . plus généralement. les premiers thèmes analysés ont été l’avortement et la contraception (MossuzLavau. . De nouvelles questions sont désormais soulevées. ). ). Steffen. ). ). . que ce soit les mouvements de « libération homosexuelle » (Sibalis. . ). dans le prolongement des travaux féministes de Nicole-Claude Matthieu. Chartrain. Broqua. . . Fillieule et Broqua. ) et les mobilisations de prostituées (Mathieu. Eboko et al. Le troisième axe de recherche concerne les mobilisations liées aux questions sexuelles. à la croisée entre droit et science politique. Chetaille. Pavard. ). Carstocea. Parmi ceux-ci. . de la montée des revendications abolitionnistes. . . Falquet. ). Pinell et al. Broqua et Filleule. . l’encadrement de la prostitution a également constitué un thème central à partir duquel les rapports entre sexualité et politique ont été interrogés (Handman et MossuzLavau. cette littérature s’intéresse souvent aux liens entre mouvements sociaux et subcultures (Duyvendak. . Un plus grand nombre de chercheurs se sont penchés sur les mobilisations homosexuelles. Face à l’ampleur d’un travail empirique souvent difficile à mener. ). Pol et Soc 31. Maugère. ) ainsi qu’aux interactions entre prostitués et agents de l’État (Mathieu a . D’autres recherches. Picq. Colette Guillaumin ou Paula Tabet. les violences sexuelles subies par les femmes et les dispositifs de lutte contre ces violences ont été analysés ensemble (Chetcuti et Jaspard. . queer (Smith. rares sont ceux qui se penchent principalement ou exclusivement sur des enjeux sexuels. plus largement. ces publications traitent plutôt d’un moment ou d’un enjeu. Mathieu.Sexualité et politique en francophonie 15 Dans le contexte de la Loi sur la sécurité intérieure en France et. ). la mouvance camp (Le Talec. Paternotte. . Dans ce cadre. Toutefois. ). étudient les politiques de lutte contre les violences et injures homophobes et. Elle est cependant éparse et peu de travaux couvrent l’ensemble de l’histoire d’un mouvement dans un pays donné (Martel. on note un grand nombre de publications sur les mouvements de lutte contre le sida. Certains travaux se sont intéressés à la mise en œuvre des politiques locales en matière de prostitution (Darley. ). . ). les discriminations liées à la sexualité (Borrillo. Mainsant. À nouveau.cor 3. . ). d’abord en Occident (Barbot. ) ou les mobilisations relatives à l’homoconjugalité (Borrillo et Lascoumes. . En écho au rôle central joué par la sexualité en tant que marqueur identitaire. Enfin.indd 15 13-01-22 11:33 AM . ces travaux ont d’abord porté sur les mobilisations en faveur des droits des femmes (Mottier. . Demczuk et Remiggi. .2. Prearo. ). . . ) ainsi que quelques travaux sur les mouvements de planning familial (Bard et Mossuz-Lavau. Higgins. .. puis en Afrique (Gueboguo. b . Prearo. plus largement. il faut citer des publications relatives aux luttes pour l’avortement et la contraception (Engeli. ). . Delessert et Voegtli. ) ou à l’homoparentalité (Roca i Escoda. . ).16 David Paternotte et Bruno Perreau Les silences de la recherche Si les travaux sur les rapports entre sexualité et politique se sont développés en francophonie. tandis qu’une récente étude sur le comportement électoral des gais et des lesbiennes a été récemment publiée par le Centre de recherches politiques de Sciences Po – CEVIPOF (Kraus. ) et insistent notamment sur la représentation des minorités sexuelles par le scrutin proportionnel (Rosenblum. Un bref regard sur les États-Unis permet de saisir l’ampleur du retard de la science politique francophone. il est possible de citer l’influence du type d’élection (Segura. a montré que l’auto-identification conduit à déformer l’échantillon en termes de sexe. ) ou l’impact des thèmes de campagnes électorales sur la cohérence du vote des lesbiennes et des gais. ). Sur le fond. de religion. ) en ne se basant que sur le critère de l’auto-identification (lui-même largement biaisé par le mode d’enquête utilisé : un questionnaire auto-administré en ligne). . Parmi les nombreux axes de recherche outre-Atlantique. l’hypothèse du « vote homosexuel » se désagrège. Toutefois. une étude sur le « vote homosexuel » était publiée durant une campagne présidentielle. ). sur la fonction tribunitienne du référendum en matière de sexualité (Bowler et Donovan. Ces travaux soulignent également qu’aucun comportement politique ne peut être dégagé sans une analyse locale des modes de subjectivation et de leur possibilité d’expression dans un système politique donné (Benstock. Haider-Markel et Meier. Hertzog () dans son étude du vote homosexuel. parmi de rares travaux. Pol et Soc 31. C’est par exemple le cas de la vie et des partis politiques. ).cor 3.indd 16 13-01-22 11:33 AM . ). Mark Hertzog ( : -) démontre ainsi que si la distance idéologique n’est pas importante entre les partis politiques et les débats peu clivés. ) et sur la réaction des électeurs aux questions d’orientation sexuelle au niveau des États fédérés (Lax et Philipps. Smith et Haider-Markel. cette dernière s’avère surtout utile en ce qu’elle illustre la transformation de la mise en politique de la sexualité : pour la première fois. un aperçu de l’engagement des différentes familles politiques françaises sur les questions sexuelles (Mossuz-Lavau. The Lavender Vote. ) et un portrait de figures politiques homosexuelles et de leur parcours médiatique (Le Talec. . . à propos desquels il est possible de citer. plusieurs questions échappent à cette dynamique alors qu’elles sont traitées dans d’autres traditions académiques. Enfin. cette étude fait fi des différentes modalités sociales d’identification à la catégorie « homosexuelle » (Eribon. le coming out (révélation publique de son homosexualité) en politique fait depuis longtemps l’objet d’analyses sérieuses tant du côté des interactions militantes que de l’opinion des électeurs (notamment Golebiowska et Thomsen. de lieu de vie.2. Philippe Adam () a aussi proposé une analyse de l’impact des mobilisations homosexuelles contre le sida sur les débats électoraux. le European Consortium for Political Research a organisé dès une joint session sur le thème de l’avortement (Lovenduski et Outshoorn. Ceux-ci sont moins l’œuvre de chercheurs anglo-saxons que d’une communauté transnationale de recherche qui travaille en anglais. Depuis plusieurs années. le Standing Committee on Gender and Politics Pol et Soc 31. comme en témoignent tant la Revue canadienne de science politique que la présidence récente de Miriam Smith. L’American Political Science Association dispose depuis d’un caucus gai. les associations anglophones de science politique accordent une réelle visibilité aux travaux sur la sexualité.indd 17 13-01-22 11:33 AM .. la revue issue de la Women and Politics Research Section de l’APSA. . à paraître) ou sur l’émergence de normes internationales en matière de politiques homosexuelles (Kollman.Sexualité et politique en francophonie 17 De nombreux travaux anglophones ont également souligné l’importance des phénomènes transnationaux et multi-niveaux pour comprendre la politique domestique (Kollman et Waites. ). y était d’ailleurs très largement consacrée (Wilson. à paraître). à paraître). ). ) ou judiciaire (Van der Vleuten et de Waele. ) et des communications sur des questions sexuelles ont été régulièrement présentées au cours des diverses rencontres de l’association. Politics & Gender. En Europe. L’Association canadienne de science politique leur accorde aussi une place importante. en Grande-Bretagne. ). organisée à l’Université de Manchester en février . Depuis . ). connue pour ses travaux sur le militantisme et les politiques publiques homosexuelles au Canada et aux États-Unis. Enfin. Terrell Carver et Véronique Mottier ont organisé la première joint session faisant l’inventaire des recherches sur les politiques sexuelles (Carver et Mottier. En . sur les mécanismes de diffusion des revendications (Friedman. En outre. lesbien. Meier et Paternotte.2. Holzhacker. Ayoub. bisexuel et transsexuel qui rassemble plus de chercheurs et contribue à rendre cette question visible au sein de la discipline. Weyembergh et Carstocea.cor 3. . ) des institutions européennes. Outre l’étude des mouvements transnationaux (Tremblay et al. ce regard a conduit depuis peu à un bourgeonnement de travaux sur les questions sexuelles en matière de politique européenne et en relations internationales. le groupe Women & Politics de la Political Studies Association organise tous les deux ans une conférence sur le thème « genre et politique ». publie régulièrement des articles sur des questions sexuelles. Ces différents travaux ont par exemple insisté sur l’impact de la machinerie politico-administrative (Beger. que ce soit par le biais de l’organisation de colloques ou l’existence de groupes de travail ad hoc. les questions sexuelles y ont acquis une forte visibilité : la conférence « Shifting Agendas ». sur le rôle de différents réseaux transnationaux (Paternotte et Kollman. Le développement de réseaux de recherche Depuis le milieu des années . . . qui s’est tenu à Grenoble. au niveau mondial.18 David Paternotte et Bruno Perreau organise tous les deux ans la European Gender and Politics Conference.2. Pol et Soc 31. Queer.. Du côté francophone. l’International Studies Association comprend un caucus LGBTQA (Lesbian. ). à la frontière entre policies et politics ». dont la moitié des travaux. Sexuality. Olivier Fillieule. ) dans le numéro de la Revue française de science politique consacré au « Genre. institutionnalisation. traitaient de questions sexuelles (Engeli et al.cor 3. les associations francophones de science politique et leurs différents groupes de travail se révèlent de plus en plus accueillants relativement aux travaux sur la sexualité. Dès la première édition. les associations française et suisse de science politique ont organisé un colloque commun sur les politiques du genre. ). questions sexuelles. Les textes réunis dans le présent numéro thématique en sont le résultat. cette conférence a inclus une section sur la sexualité et la prochaine édition. Enfin. En . ) sur le consentement sexuel.. Lorena Parini sont également intervenus comme discutants. ). s’est tenu le premier atelier conjoint des groupes « genre et politique » des associations francophones de science politique : cet atelier a conduit à la publication d’un ouvrage où figure un texte sur la sexualité (Tremblay et al. Janine Mossuz-Lavau. ainsi que la parution récente du numéro de Raisons politiques (Jaunait et Matonti. Engeli. Gay. qui se déroulera à Barcelone en mars . Lors du congrès francophone de science politique qui s’est déroulé à Lausanne en . Questioning and Allies) et le Council for European Studies s’est récemment doté d’un réseau de recherche sur le genre et la sexualité (Engeli et Paternotte. Un an plus tard. le congrès de l’Association française de science politique consacrera deux sections thématiques (sur ) aux questions sexuelles : « Affaires sexuelles. Enfin. and Politics ». Gay. des évolutions se font également sentir : en attestent la publication de deux articles sur des problématiques sexuelles (Boussaguet. David Paternotte et Bruno Perreau ont dirigé une section thématique intitulée « Science politique et sexualité en francophonie : un état des lieux » à l’occasion du troisième congrès francophone de science politique. . comprend une nouvelle section intitulée « LGBTQI (Lesbian. regroupés sous le vocable de « politiques de la vie privée ». Transgendered. sexualités » (dirigée par Sandrine Lévêque et Frédérique Matonti) et « Des mouvements en changement : autonomisation. Bisexual. S’il n’existe aucun groupe de travail spécifique sur la sexualité (faute de masse critique). Cathy Herbrand. . Bisexual. Manon Tremblay. Gwenaëlle Mainsant. Ont participé à ces journées : Mathilde Darley. professionnalisation et ONGisation des associations LGBT » (dirigée par David Paternotte et Massimo Prearo). Transgender. and Intersex) Rights.indd 18 13-01-22 11:33 AM . 2. Cette analyse lui permet d’ouvrir une réflexion sur les rapports entre État. Elle souligne l’existence de trois logiques concurrentes dans le raisonnement des juges : un langage d’ordre biologique. nation et empire. en France et en Espagne. le principe d’égalité. À partir de l’exemple de la revendication du droit au mariage pour les couples de même sexe en Belgique. les auteures montrent que les controverses antérieures ont contribué à limiter le champ des possibles lorsque s’est posée la question du couple homosexuel. leurs discours procèdent d’une vision de l’agenda militant dans lequel le droit joue un rôle de matrice.Sexualité et politique en francophonie 19 Les contributions Véronique Mottier propose un regard historique sur les politiques eugéniques mises en place en Suisse et dans le reste de l’Europe entre et . et. À partir d’une analyse en termes de path dependence. Pour terminer. des justifications fondées sur le rôle des parents et le bien-être de l’enfant. en avançant le concept de juridification. que si les militants gais et lesbiens de ces pays n’ont pas eu recours à des stratégies judiciaires. tout en analysant l’impact qu’ont les représentations véhiculées par les médias internationaux ainsi que les catégories de l’action publique en matière de lutte contre l’épidémie de sida sur les identités et les pratiques homosexuelles en Afrique de l’Ouest. Son analyse pense la fluidité du rapport aux espaces communautaires. Audrey L’Espérance étudie l’action des tribunaux dans l’établissement de la filiation au Canada. Il insiste sur la nécessité de décentrer le regard occidental pour pouvoir saisir ces phénomènes. race. À partir de l’étude de décisions relatives à des « projets parentaux collaboratifs ». Il montre que ce phénomène s’inscrit dans des transformations plus vastes du militantisme gai et lesbien. elle soutient que les tribunaux de première instance sont devenus les principaux architectes des liens de filiation de ce nouveau type de famille.cor 3. Isabelle Engeli et Marta Roca i Escoda s’intéressent à l’articulation entre la reconnaissance juridique des unions de même sexe en Suisse et les débats antérieurs sur la révision du droit du mariage et la famille d’une part et la procréation médicalement assistée d’autre part. Christophe Broqua étudie l’émergence de mobilisations homosexuelles à Bamako. David Paternotte analyse le rôle joué par le droit en amont du processus de revendication.indd 19 13-01-22 11:33 AM . Son travail interroge le rôle de l’État dans l’encadrement de la sexualité et de la reproduction et sa coexistence avec d’autres acteurs politiques et sociaux. l’hybridité culturelle et la relation tactique aux institutions et nuance ainsi la thèse de la mondialisation des identités. Il souligne ainsi. Pol et Soc 31. enfin. Marlène et Mathieu Trachman. New York. Benstock. Janine. CLIO. Reclaiming the Gay and Lesbian Past. no . « Anthropologie des sexualités ». . Laure et Éléonore Lépinard. Manchester University Press. Actes de la recherche en sciences sociales. « ‘Les femmes ne sont pas une catégorie. Agacinski. Bajos. Nathalie et Michel Bozon. Histoire. . . Sociétés contemporaines. L’évolution des expériences homosexuelles et ses conséquences politiques ». revues. Sebillotte Cuchet. de). Benquet. Christine et Christelle Taraud (sous la dir. .cor 3. Presses universitaires de Rennes. Actes des Journées de réflexions des novembre et er décembre . . « Homophobies ». Bazin. 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