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1Rapport technique : 2010/01/S.JOUF L’expression de la préférence pour la consistance est-elle une norme de jugement comparable à l’expression de l’internalité ? Benoît Testé 1 , Stéphane Jouffre 2 et Alain Somat 1 1 Université de Haute Bretagne Rennes 2, LAUREPS - CRPCC EA 1285 2 Centre de Recherches sur la Cognition et l’Appretissage – CeRCA, CNRS UMR 6234, Poitiers, France A paraître : Testé, B., Jouffre, S., & Somat, A.. L’expression de la préférence pour la consistance est-elle une norme de jugement comparable à l’expression de l’internalité ? L’Année Psychologique. Adresse pour correspondance : Stéphane Jouffre, Université de Poitiers –CNRS Centre de Recherches sur la Cognition et l’Apprentissage (CeRCA) – CNRS UMR 6234 MSHS - Bâtiment A5 - 5 rue Théodore Lefebvre - 86000 Poitiers, France E-mail : [email protected] Tel : 33 (0)5.49.45.48.89 ou 46.10 Fax : 33 (0)5.49.45.46.16 MOTS CLES/KEY-WORDS : Préférence pour la consistance, Internalité, Jugement social, Utilité sociale, Désirabilité sociale/ Preference for consistency, Internality, Social judgment, Social utility, Social desirability. RESUME L’objectif de la présente recherche était de clarifier l’impact de la préférence pour la consistance sur le jugement social. Deux études ont été réalisées (N = 71 et N = 73) dans lesquelles les sujets devaient évaluer un candidat dans un contexte de recrutement. Dans les deux études, était examiné l’effet sur les jugements du degré de préférence pour la consistance (fort versus faible) et du degré d’internalité (fort versus faible) du candidat. Conformément aux travaux sur la norme d’internalité (Dubois, 2003), les résultats des deux études ont indiqué un effet positif de l’internalité sur les jugements. Les résultats n’ont pas révélé un effet comparable de la préférence pour la consistance. La principale influence de cette dernière a été de moduler l’effet de l’internalité. Les résultats sont discutés au regard de l’hypothèse d’une norme sociale de consistance. ABSTRACT The aim of the present research was to clarify the impact of the expression of the Preference for Consistency (PFC) on social judgment. Two studies were conducted (N = 71 and N = 73) in which the participants evaluated an applicant in a recruitment context. In the two studies, were examined the effect of the degree of PFC (high vs. low) and the effect of the degree of internality (high vs. low) of the applicant on the judgments. Consistent with the past researches on the norm of internality (Dubois, 2003), results showed a positive effect of the applicant’s internality on the judgments. Results didn’t reveal an identical effect of the applicant’s PFC. The main effect of the applicant’s PFC was to moderate the effect of internality. The discussion focuses on the implications of the results for the hypothesis of a norm of consistency. L’influence des déterminants normatifs sur les comportements sociaux n’est aujourd’hui plus à démontrer. Nombreux sont les auteurs qui ont proposé l’existence de normes de comportement, telles les normes d’équité (Nishikawa & Hirata, 1978), de réciprocité (Cialdini, 1990) ou d’altruisme (Berkowitz, 1972). Par ailleurs, les croyances, attitudes ou opinions des individus peuvent aussi faire l’objet de normes sociales. Les travaux sur ces normes, dites normes de jugement (Dubois, 1994), ont notamment porté sur la valorisation sociale des explications internes (Beauvois & Dubois, 1988), des croyances individualistes (Dubois & Beauvois, 2005) et de la préférence pour la consistance (Channouf & Mangard, 1997). Si de nombreuses recherches démontrent l’existence d’une valorisation sociale des explications internes (Dubois, 2003), tel n’est pas le cas pour la préférence pour la consistance. Les résultats relativement incohérents existant dans la littérature conduisent encore à s’interroger sur la normativité de cette préférence. L’objectif de cet article est d’apporter une clarification quant au statut de cette variable. Deux études ont été menées afin de mieux cerner les effets différenciés de la préférence pour la consistance et de l’internalité, et leurs effets conjoints, sur le jugement social. L’APPROCHE SOCIOCOGNITIVE DES NORMES SOCIALES Les chercheurs s’inscrivant dans l’approche sociocognitive des normes sociales se sont particulièrement intéressés aux normes de jugement (Dubois, 2003). Pour Dubois (1994), ce type de normes est défini par quatre caractéristiques : 1) elles concernent un collectif, 2) elles sont apprises socialement, 3) elles impliquent une attribution de valeur aux événements normatifs, 4) elles renvoient à une utilité sociale et non à une valeur de vérité. La méthode de recherche développée dans ce courant repose sur l’utilisation de trois paradigmes expérimentaux (pour une revue, voir Gilibert & Cambon, 2003). Le paradigme d’autoprésentation consiste à demander aux sujets de répondre à un questionnaire (e.g. d’internalité) de sorte à donner la meilleure versus la plus mauvaise image d’eux-mêmes à un évaluateur institutionnel identifié dans la consigne (e.g. enseignant, supérieur hiérarchique, recruteur). Dans le paradigme d’identification, les sujets doivent répondre à un questionnaire comme le ferait, selon eux, un autre individu (fictif) dont les 3 caractéristiques sont manipulées (e.g. un bon versus un mauvais élève, une cible endogroupe versus une cible exogroupe). Le troisième paradigme, dit paradigme des juges, consiste à placer les sujets en position d’évaluateur. Ceux-ci doivent alors porter un jugement sur un ou plusieurs individus (fictifs) dont les réponses (à un questionnaire ou lors d’un entretien) sont manipulées. NORMES SOCIALES ET ATTRIBUTION DE VALEUR SOCIALE Le point commun de ces trois paradigmes est qu’ils reposent sur une attribution de valeur à différentes cibles : soi dans le paradigme d’autoprésentation, autrui dans les paradigmes d’identification et des juges. Deux types de valeur peuvent être impliqués dans ces paradigmes (Beauvois, 1995 ; Dubois, 2005). Un premier type de valeur concerne la désirabilité sociale. Celle-ci « traduit la connaissance que l’on a des affects que peut susciter une personne ou des satisfactions que peut apporter cette personne aux principales motivations d’autrui » (Dubois, 2005, p. 46). Elle correspond à une évaluation affective en termes d’attirance versus répulsion du sujet par rapport à une personne et se trouve plus caractéristique des rapports interpersonnels. Le second type de valeur renvoie à l’utilité sociale. Celle-ci « traduit la connaissance que l’on a des chances de réussite ou d’échec d’une personne dans la vie sociale en fonction des exigences du fonctionnement social dans lequel elle se trouve » (Dubois, 2005, p.47). Elle reflète une évaluation plus fonctionnelle, « quasi-économique », des personnes et s’avère plus caractéristique des rapports institutionnels. Cette distinction s’actualise dans le vocabulaire personnologique (Beauvois, 1984). Les travaux (Dubois & Beauvois, 2001, 2005 ; Le Barbenchon, Cambon & Lavigne, 2005) ont ainsi permis d’isoler certains traits relevant de la désirabilité sociale ("ouvert", "sympathique", "attachant" versus "prétentieux", "hypocrite", "agaçant") et d’autres relevant de l’utilité sociale ("dynamique", "ambitieux", "intelligent" versus "timide", "étourdi", "naïf"). Cette distinction est heuristique pour répartir d’un côté des normes pertinentes dans le cadre des rapports interpersonnels et de l’autre des normes pertinentes dans le cadre des rapports institutionnels. Dans le premier cas, les individus se portant vers les contenus normatifs sont évalués favorablement parce qu’ils satisfont les principales attentes d’autrui ; dans le second cas, parce que ces contenus leur confèrent une valeur dans le fonctionnement social (Dubois & Beauvois, 2005). Une telle conception n’exclut pas l’idée que les gens peuvent en venir à estimer désirable ce qui est utile et peut être même à trouver utile ce qu’ils estiment désirable (Dubois, 2003). Autrement dit, certains contenus normatifs peuvent être à la fois désirables et utiles ou seulement l’un ou l’autre. Les processus d’attribution de valeur aux contenus normatifs ont particulièrement été étudiés dans le domaine des explications causales internes versus externes (Dubois, 1987, 1994). INTERNALITE ET VALEUR SOCIALE Définie par Beauvois et Dubois (1988), la norme d’internalité renvoie à la valorisation sociale des explications des comportements et des renforcements accentuant le poids causal de l’acteur (les explications internes). Son statut normatif est étayé par plusieurs recherches concernant son acquisition, son influence sur les choix explicatifs dans diverses situations et son impact sur le jugement social. Ainsi, les explications causales internes (traits, efforts) sont privilégiées dans la recherche d’approbation sociale par les adultes (voir Gilibert & Cambon, 2003) comme par les enfants (voir Dubois, Loose, Matteuci & Selleri, 2003 ; Pansu, 2006). Cette stratégie est payante puisque les individus privilégiant les explications causales internes sont mieux évalués par des agents institutionnels (enseignants, recruteurs, managers, assistantes sociales), et par des étudiants ayant à occuper ce rôle, que les individus privilégiant les explications causales externes (pour une revue, voir Pansu, Bressoux & Louche, 2003). Ces effets s’expriment davantage dans le lexique spécifique aux rapports institutionnels qu’aux rapports interpersonnels. Ainsi, les sujets choisissent d’autant plus d’explications causales internes lorsque la consigne leur demande de se présenter comme un individu “efficace”, trait davantage associé au registre utilitaire, plutôt que “sympathique”, traits davantage associé au registre désirable (Gilibert, 2004). Concernant le paradigme des juges, des résultats concordants ont permis d’observer qu’un jugement d’efficacité professionnelle conduisait les sujets à privilégier les cibles internes plutôt qu’externes (Moliner, 2000). En revanche, lors d'un jugement de sympathie, ce dernier auteur observe que les sujets privilégiaient les cibles complaisantes (explications internes des succès d'autrui et explications externes des échecs d'autrui). De plus, plusieurs études ont mis en évidence que le niveau d’internalité d’une cible influence positivement l’attribution de traits relatifs à l’utilité sociale (Beauvois, 2003 ; Dubois, 2005 ; Dubois & Beauvois, 2005). Ainsi, les cibles connues pour avoir exprimé prioritairement des explications internes se voient attribuer davantage de traits utiles que les cibles connues pour avoir exprimé prioritairement des explications externes. Un tel écart n’est pas observé pour les traits renvoyant à la désirabilité. Les cibles privilégiant les explications internes se voient aussi davantage attribuer les traits utiles que les trais désirables. Tous les résultats vont donc dans le sens, postulé théoriquement, d’un ancrage de la norme d’internalité dans l’utilité sociale (Dubois & Beauvois, 2005). Si tous les auteurs s’accordent sur la normativité du recours aux explications internes pour expliquer ce que l’on fait ou ce qui nous arrive, il n’est pas de même en ce qui concerne la préférence pour la consistance plus souvent considérée comme un besoin ou une motivation que comme l’expression de l’adhésion à une norme sociale. PREFERENCE POUR LA CONSISTANCE ET VALEUR SOCIALE La préférence pour la consistance (entre les attitudes, entre les comportements, ou entre les attitudes et les comportements individuels) a surtout été étudiée dans la littérature psychosociale comme renvoyant à une motivation ou à un besoin intra-individuel (cf. Abelson, Aronson, McGuire, Newcomb, Rosenberg & Tannenbaum, 1968 ; Cialdini, Trost & Newsom, 1995). Plus rares sont les auteurs qui ont envisagé un rôle du contexte sociétal dans l’expression de ce besoin (e.g. Channouf & Mangard, 1997 ; Miller, Hesli & Reisinger, 1995; Petrova, Cialdini & Sills, 2007 ; Sénémeaud & Somat, 2008). Certains auteurs ont postulé que l’expression de la préférence pour la consistance pourrait avoir un caractère normatif et être valorisée dans les sociétés occidentales (e.g. Allen, 1968 ; Baumeister, 1982 ; Billig, 1982). Cialdini (1990) fait, ainsi, un lien entre la force de la motivation pour la consistance et le fait qu’elle est « valorisée dans notre civilisation » (p. 72). Adoptant le cadre théorique de l’approche sociocognitive, Channouf et Mangard (1997) ont émis l’hypothèse que la préférence pour la consistance constituerait « une utilité sociale et permettrait la réalisation d’actes sociaux » (p. 39). Les individus consistants s’avérant plus stables et plus prévisibles dans leurs conduites, ils s’avéreraient plus utiles dans les organisations. Les recherches n’étayent pas de manière entièrement cohérente l’hypothèse d’une telle norme ancrée dans l’utilité sociale. Les travaux ayant reposé sur le paradigme d’auto-présentation confirment que l’expression de la préférence pour la consistance sur des questionnaires inspirés de celui de Cialdini et al. (1995) est bien affectée par la recherche d’approbation sociale. Channouf et Mangard (1997, exp. 1) observent ainsi que des étudiants expriment davantage de préférence pour la consistance lorsqu’ils ont pour consigne de répondre afin de donner la meilleure image d’eux- mêmes sur un questionnaire plutôt que la plus mauvaise image d’eux-mêmes. Jouffre, Py et Somat (2001) ont répliqué ce résultat avec une population d’élèves scolarisés dans des classes de 6 ème , 5 ème et 4 ème . Certaines recherches indiquent également que les individus exprimant une forte préférence pour la consistance seraient l’objet de meilleures évaluations que les individus exprimant une faible préférence pour la consistance.. Deux recherches, menées par Louche, Pansu et Papet (2001) et Louche, Hugues et Sarrade (2001), montrent, en effet, que des managers, devant juger la recrutabilité et la réussite professionnelle future d’un candidat (Louche, Pansu & Papet, 2001, exp. 1), et des enseignants universitaires, devant pronostiquer la réussite académique d’un étudiant (Louche, Hugues & Sarrade, 2001, exp. 1), évaluent plus favorablement les cibles affichant une forte (plutôt qu’une faible) préférence pour la consistance. Ces résultats s’avèrent compatibles avec l’hypothèse d’une norme de préférence pour la consistance. Toutefois, d’autres recherches ont amené des résultats qui ne concordent pas avec cette hypothèse. Jouffre et Milland (2000) n’ont ainsi relevé aucun effet de la préférence pour la consistance sur le jugement d’étudiants qui avaient à choisir un collègue en vue d’un travail universitaire. Dans une recherche plus ancienne, Shaw et Skolnick (1973) avaient observé un effet du degré de préférence pour la consistance sur l’évaluation de l’attractivité de personnages fictifs. Toutefois, leurs résultats allaient davantage dans le sens d’une dévalorisation de l’inconsistance que d’une valorisation de la consistance. Ainsi, les auteurs concluaient : « alors que les sujets ne montrent pas en soi une préférence distincte pour la consistance, ils affichent une antipathie marquée pour l’inconsistance » (Shaw & Skolnick, 1973, p. 278). Cette apparente contradiction entre les résultats pourrait s’expliquer par la variabilité des 5 jugements employés. En effet, dans certaines recherches le jugement est plus proche du pôle de la désirabilité que de l’utilité alors que dans d’autres l’inverse est observé. Actuellement, les recherches ne permettent pas de statuer sur l’ancrage de l’évaluation de la préférence pour la consistance dans la désirabilité sociale ou dans l’utilité sociale. La seule recherche dans laquelle a été effectuée une mesure directe de l’utilité sociale et de la désirabilité sociale de la préférence pour la consistance a été réalisée par Beauvois (2003). Les résultats de cette recherche n’indiquent aucun effet de la préférence pour la consistance sur l’attribution des traits relatifs à l’utilité sociale. Par ailleurs, ils indiquent que l’expression d’une faible préférence pour la consistance s’avère plus désirable que l’expression d’une forte préférence pour la consistance. Ces résultats peuvent apparaître surprenants au regard de ceux trouvés par Channouf et Mangard (1997, exp. 2). En effet, dans l’une de leurs recherches, ces auteurs avaient observé qu’une cible exhibant une forte préférence pour la consistance était mieux évaluée sur quatre traits de personnalité, dont trois au moins (« bien », « appréciable », « sympathique ») peuvent être rapportés au registre de la désirabilité sociale (si on se réfère à la liste publiée par Dubois & Beauvois, 2001). On le voit, les travaux mis en oeuvre dans le cadre de l’approche sociocognitive pour tester l’hypothèse d’une norme de consistance ancrée dans l’utilité sociale débouchent sur des résultats assez peu cohérents. Il semble donc qu’une clarification s’avère nécessaire avant de pouvoir statuer sur le caractère normatif ou non de cette orientation et sur le type de valeur qui lui est associé. C’est dans cet objectif que la présente recherche a été conduite. PREFERENCE POUR LA CONSISTANCE, INTERNALITE ET VALEUR SOCIALE De cette recension des études sur les liens entre internalité, préférence pour la consistance et valeur sociale, il ressort deux constats principaux. Un premier constat est que les résultats observés dans le cadre du paradigme des juges sont tout à fait cohérents lorsqu’il s’agit de la norme d’internalité. En effet, l’expression de l’internalité apparaît être un prédicteur fiable des pronostics de réussite scolaire, professionnelle ou sociale ainsi que des attributions de traits relatifs à l’utilité sociale, alors que concernant la désirabilité sociale, peu, voire pas, d’effet de l’internalité n’est relevé (Dubois, 2005 ; Dubois & Beauvois, 2005). Un second constat est qu’une telle cohérence n’est pas observée concernant la préférence pour la consistance. D’une part, l’impact de la préférence pour la consistance sur le jugement social n’apparaît pas de manière systématique. Présent dans certaines études (Louche, Pansu & Papet, 2001, exp.1), il est absent dans d’autres (Jouffre & Milland, 2000). Contrairement à l’effet de l’internalité (Dubois & Le Poultier, 1991 ; Pansu, 1997), il n’est pas établi que l’effet de la préférence pour la consistance se maintient en présence d’autres informations pertinentes pour le jugement. D’autre part, aucun résultat ne montre un effet de la préférence pour la consistance sur l’attribution de traits relatifs à l’utilité sociale (Beauvois, 2003). Ces éléments ne peuvent qu’interroger le statut réellement normatif de la préférence pour la consistance. Certains travaux suggèrent que l’effet de la préférence pour la consistance pourrait surtout être indirect. Dans une de leurs études, Louche, Pansu et Papet (2001, exp. 2) ont manipulé simultanément la préférence pour la consistance et l’internalité d’une cible, évaluée sur ses chances de réussite professionnelle. Les auteurs observaient une modulation de l’effet de la norme d’internalité par le degré de préférence pour la consistance de la cible. L’effet de l’internalité apparaissait plus fort quand les cibles affichaient une préférence élevée (plutôt que faible) pour la consistance. Tout se passait donc comme si l’information sur la préférence pour la consistance venait donner du sens aux autres informations fournies aux sujets, validant ou invalidant plus ou moins l’intérêt de leur prise en compte dans le jugement. Ces résultats peuvent être rapprochés de ceux obtenus par Louche, Hugues et Sarrade (2001, exp. 2). Ces auteurs se sont intéressés à la valorisation de la préférence pour la consistance dans le contexte scolaire en fonction des résultats (moyens versus bons) d’un élève fictif à propos duquel des enseignants devaient formuler un pronostic de réussite scolaire. Les résultats de l’étude n’ont pas fait apparaître d’effet principal du niveau de préférence pour la consistance mais une interaction des deux variables (en plus d’un effet principal du niveau scolaire). Ainsi, les enseignants ne tenaient compte du niveau scolaire de l’élève-cible que dans le cas où ce dernier affichait une forte préférence pour la consistance. Dans le cas contraire, le niveau scolaire n’affectait pas le jugement. L’information sur la préférence pour la consistance venait donc moduler l’effet de l’information sur le niveau scolaire, probablement en venant valider ou invalider l’utilité de cette information pour la formulation du jugement. Ainsi, un bon élève, mais inconsistant, n’apparaissait pas mieux évalué qu’un élève aux résultats moyens, qu’il soit consistant ou inconsistant. Ces résultats amènent à envisager une hypothèse alternative quant au mode d’intervention de la préférence pour la consistance dans les processus de jugement. Cette hypothèse stipule que la préférence pour la consistance affichée par une cible aurait d’abord un effet en tant que variable modulatrice, son intervention étant avant tout indirecte. Autrement dit, tout en ayant un effet spécifique relativement faible sur les jugements relevant de l’utilité sociale, la préférence pour la consistance donnerait sens à d’autres informations présentes ou inférées à propos de la cible. OBJECTIF DE LA RECHERCHE Cette recherche avait pour objectif de clarifier le rôle de la préférence pour la consistance dans les processus de jugement. Deux études ont été engagées afin de mettre à l’épreuve les hypothèses alternatives évoquées précédemment concernant l’intervention de cette variable (modèle de valorisation versus modèle de modulation), en utilisant les connaissances acquises sur la valorisation de l’internalité (Dubois & Beauvois, 2005). Dans les deux études, étaient manipulés les degrés de préférence pour la consistance et d’internalité d’une cible. Ces études impliquaient une situation dans laquelle un jugement de recrutabilité et une description psychologique d’un candidat-cible étaient demandés aux sujets. Les sujets disposaient pour cela d’une offre d’emploi et du CV du candidat auquel étaient ajoutées ses soi-disant réponses à un « test de compétence sociale ». Ce dernier permettait de manipuler le degré de préférence pour la consistance et/ou d’internalité du candidat. La manipulation de l’internalité affichée par la cible avait dans notre recherche un statut quasi-méthodologique. Il s’agissait, en effet, avant tout par ce moyen de faire varier de manière contrôlée l’utilité sociale du candidat. Dans la première étude, les effets différenciés de l’internalité et de la préférence pour la consistance des cibles étaient examinés. Les sujets prenaient connaissance soit du degré d’internalité, soit du degré de préférence pour la consistance des candidats. Dans la seconde étude, qui était basée sur le même matériel, les sujets prenaient connaissance simultanément du degré d’internalité et du degré de préférence pour la consistance des candidats. Les hypothèses testées portaient sur la hiérarchisation des quatre candidats dans les deux études. La première hypothèse était que la préférence pour la consistance se voit associée à une valeur positive en terme d’utilité sociale, comme supposé par Channouf et Mangard (1997) et suggéré par certains travaux (e.g. Louche, Pansu & Papet, 2001). Cette hypothèse supposait que la préférence pour la consistance a des effets comparables à ceux de l’internalité sur les jugements sociaux. Toujours en lien avec les jugements relevant de l’utilité sociale, la seconde hypothèse était que l’information sur la préférence pour la consistance vient d’abord valider ou invalider l’intérêt de la prise en compte d’autres informations porteuses de valeur dans le cadre du jugement. Cette hypothèse implique donc que la préférence pour la consistance produit peu d’effet spécifique en soi mais qu’elle vient en revanche moduler (accentuer ou diminuer) les effets de l’internalité sur le jugement. Concernant les jugements relevant de la désirabilité sociale, l’incohérence des résultats observés (voir Channouf & Mangard, 1997 et Beauvois, 2003) ne permet pas de formuler d’hypothèse directionnelle quant à l’effet de la préférence pour la consistance. Nous formulons donc uniquement l’hypothèse selon laquelle la préférence pour la consistance devrait affecter les jugements de désirabilité sociale. Pour ce qui est de l’effet de l’internalité du candidat, la littérature conduit à penser qu’elle n’aurait pas d’effet spécifique sur la désirabilité sociale (Beauvois, 2003 ; Dubois, 2005 ; Dubois & Beauvois, 2005). Des analyses par contraste ont été effectuées afin de mettre à l’épreuve ces hypothèses. Celles-ci ont l’intérêt de permettre de tester des hypothèses spécifiques portant sur la hiérarchisation de plus de deux moyennes, comme c’est le cas ici (Abelson & Prentice, 1997 ; Rosnow, Rosenthal, & Rubin, 2000). Pour chacune des hypothèses, un contraste d’intérêt correspondant à l’hypothèse testée a été créé ainsi que deux contrastes orthogonaux testant la variance résiduelle (Judd & Mc Clelland, 1989 ; Rosnow et al., 2000 ; Wendorf, 2004). La validation d’une hypothèse implique 7 que, en régressant le jugement sur ces trois contrastes, le contraste d’intérêt soit significatif (condition 1) et que la somme des F des deux contrastes de variance résiduelle ne le soit pas (condition 2, cf. Brauer & McClelland, 2005) 1 . ETUDE 1 : EFFETS DISTINCTS DE L’INTERNALITE ET DE PREFERENCE POUR LA CONSISTANCE SUR LE RECRUTEMENT ET L’EVALUATION PERSONNOLOGIQUE La première étude examinait les effets spécifiques de l’internalité et de la préférence pour la consistance sur le jugement social. Dans cette étude, des étudiants devaient prendre connaissance d’un dossier présentant un candidat, connu par son CV et ses réponses à quelques items d’un questionnaire d’internalité ou d’un questionnaire de préférence pour la consistance. Ils avaient à évaluer la probabilité du candidat d’être recruté au poste pour lequel il postulait, puis à caractériser ce candidat à l’aide de traits de personnalité socialement utiles et socialement désirables. Deux hypothèses étaient testées. Premièrement, si la préférence pour la consistance affecte le jugement social de la même façon que l’internalité, le candidat interne et le candidat consistant devraient être mieux jugés que le candidat externe et le candidat inconsistant (hypothèse 1a). Deuxièmement, si la préférence pour la consistance du candidat joue essentiellement un rôle de modulation dans le jugement social, le candidat interne devrait être mieux jugé que les candidats consistant et inconsistant (qui ne devraient pas se différencier) le candidat externe devant pour sa part être le moins bien jugé (hypothèse 1b). Concernant l’attribution des traits socialement désirables, il était uniquement attendu un effet de la préférence pour la consistance du candidat (hypothèse 2). METHODE SUJETS Soixante et onze étudiants (60 filles, 8 garçons, 3 non réponses) inscrits en première année de psychologie ou d’Administration Economique et Sociale (AES) ont pris part à l’étude. DEROULEMENT Lors d’un cours magistral, les étudiants se voyaient proposer de participer à une recherche. Il leur était demandé de prendre connaissance d’un dossier présenté par un candidat en réponse à une offre d’emploi puis d’émettre un jugement à l’égard de celui-ci. La consigne écrite, présentée sur le premier feuillet constituant le dossier, était la suivante : « Vous allez trouver ci-après une offre d'emploi ainsi que le dossier d'une personne s’étant présentée pour le poste à pourvoir. Le dossier est constitué d’une part, par son CV, et d’autre part, par une sélection représentative des réponses que cette personne a données à un test de compétences sociales (test de Thapenis, 1995). Les réponses choisies correspondent à l’adhésion que cette personne a exprimée envers différentes propositions figurant dans ce test. Nous vous demandons de lire attentivement l’offre d'emploi puis le dossier de cette personne. Vous devrez ensuite indiquer la manière dont vous percevez cette personne à travers différents jugements. Prenez les questions une par une, dans l’ordre, sans revenir en arrière. Nous vous remercions de votre participation ». La passation, anonyme, durait environ 20 minutes. MATERIEL Le matériel tenait en un dossier constitué d’une offre d’emploi, du curriculum vitæ d’un candidat, et de ses réponses à diverses questions. L’annonce concernait le recrutement à un poste de directeur de marketing dans un groupe de cosmétique. Le CV présentait un candidat ayant les compétences pour postuler à ce poste. Les questions, décrites comme représentatives des réponses du candidat à un test de compétences sociales (fictif), étaient au nombre de 1 Nous utilisons dans cet article la méthode préconisée par Brauer et McClelland (2005) concernant le calcul du F associé aux contrastes testant la variance résiduelle. Cette méthode s’avère nettement plus conservatrice que celle proposée par Abelson et Prentice (1997). Selon Brauer et McClelland (2005, p. 289), la « force » de ce test de la variance résiduelle est « qu’il est le test le plus conservateur que l’on puisse imaginer : si le résultat de ce test n’est pas significatif, on peut être certain qu’il n’y a aucun « autre » contraste orthogonal – aussi optimal qu’il soit – qui peut être significatif ». Cette garantie n’existe pas avec la méthode de calcul proposée par Abelson et Prentice (1997). quatre et impliquaient soit quatre items relatifs à l’internalité pour la moitié des sujets, soit quatre items relatifs à la préférence pour la consistance pour l’autre moitié des sujets. Les items relatifs à l’internalité étaient adaptés du questionnaire d’internalité pour adultes de Dubois et Tarquinio (1997) rapportés au monde professionnel. Ces quatre items, impliquant le sujet comme acteur de l’événement, étaient structurés par les dimensions « type d’événements » et « valence de l’événement ». Ainsi, étaient présentés un comportement positif, un comportement négatif, un renforcement positif et un renforcement négatif. Contrairement à la présentation relativement classique qui consiste, dans les questionnaires d’internalité, à opposer, en réponse à un événement, une explication interne à une explication externe (voir Jouffre, 2003), les items étaient orientés, dans cette recherche, soit vers l’internalité soit vers l’externalité, le candidat ayant donné son degré d’accord avec les items sur une échelle en neuf points (de 1 « pas du tout d’accord » à 9 « tout à fait d’accord »). Dans le cas de la présentation d’un candidat interne, les quatre items étaient orientés vers l’internalité et dans le cas de la présentation d’un candidat externe, ils étaient orientés vers l’externalité (deux items avec un degré d’accord de 7 et deux items avec un degré d’accord de 8). Par exemple, l’item "selon vous, si vous rapportez du travail à la maison, c’est parce que vous êtes quelqu’un de consciencieux" est un comportement positif expliqué de façon interne, l’item "selon vous, si vous rapportez du travail à la maison, c’est parce qu’on ne vous laisse jamais d’autre choix" est le même comportement positif mais expliqué de façon externe. Les quatre items relatifs à la préférence pour la consistance étaient adaptés du questionnaire de Channouf et Mangard (1997). Ils étaient structurés par les dimensions « acteur de l’événement » et « type de relation impliquée ». Ainsi, ces items impliquaient une relation entre deux comportements rapportés à soi, une relation entre deux comportements rapportés à autrui, une relation entre deux attitudes rapportées à soi et une relation entre deux attitudes rapportées à autrui. Ces quatre items ont été formulés de façon à traduire soit de la consistance soit de l’inconsistance selon le type de candidat présenté (deux items avec un degré d’accord de 7 et deux items avec un degré d’accord de 8 sur une échelle en neuf points de 1 « pas du tout d’accord » à 9 « tout à fait d’accord »). Par exemple, l’item "généralement, faire des choses contradictoires me pose problème" traduit de la consistance entre deux comportements rapportés à soi, l’item "généralement, faire des choses contradictoires ne me pose pas de problème" traduisant de l’inconsistance entre deux comportements rapportés à soi. MESURES Deux types de jugement étaient demandés aux sujets. Dans un premier temps, les sujets avaient à évaluer la probabilité qu’avait le candidat d’être recruté. La question était formulée de la façon suivante : « Pour l’emploi auquel elle postule, quelle est selon vous la probabilité qu’a cette personne d’être recrutée (de 0 à 100%) ? ». Dans un second temps, les sujets devaient évaluer dans quelle mesure douze traits pouvaient s’appliquer au candidat. Il leur était demandé : « Indiquez dans quelle mesure (en pourcentage) les adjectifs suivants peuvent s’appliquer à cette personne ». Ces douze traits, puisés dans le travail de Gallay (1994), renvoyaient pour moitié à l’utilité sociale (actif, ambitieux, autoritaire, dynamique, intelligent, travailleur), pour moitié à la désirabilité sociale (agréable, attachant, honnête, ouvert, sincère, sympathique). Deux ordres de présentation des douze traits ont été considérés : un ordre alphabétique croissant versus décroissant. Deux indices ont été construits dont l’un renvoyait au pourcentage moyen d’attribution des traits socialement utiles ( = 0.81 ; r inter-item = 0.43, N = 69, p < .001) et l’autre au pourcentage moyen d’attribution des traits socialement désirables ( = 0.82 ; r inter-item = 0.45, N = 69, p < .001). RESULTATS 2 Le jugement de recrutabilité et l’attribution des traits socialement utiles ont été régressés sur le contraste d’intérêt et les deux contrastes de variance résiduelle, et ce pour les deux hypothèses alternatives émises. En rapport avec l’hypothèse 1a, le contraste d’intérêt impliquait que le candidat interne (codé 1) et le candidat consistant (codé 1), pour lesquels le jugement ne devrait pas différer, soient mieux jugés que le candidat externe (codé -1) et le candidat 2 La filière d’étude des sujets n’entrant dans aucun effet significatif dans cette étude (Fs < 1), elle n’a pas été prise en considération dans les analyses. 9 inconsistant (codé -1), pour lesquels le jugement ne devrait pas différer. Deux contrastes orthogonaux (1 -1 0 0 ; 0 0 1 - 1) testant la variance résiduelle ont été utilisés. En rapport avec l’hypothèse 1b, le contraste d’intérêt impliquait que le candidat interne (codé 1) soit mieux jugé que les candidats consistant (codé 0) et inconsistant (codé 0), le candidat externe (codé -1) étant le moins bien jugé. Deux contrastes orthogonaux (0 1 -1 0 ; 1 -1 -1 1) testant la variance résiduelle ont été utilisés. Les analyses indiquent que l’hypothèse 1b est validée pour le jugement de recrutabilité mais pas pour l’attribution des traits socialement utiles, alors que l’hypothèse 1a ne l’est pour aucune des deux mesures. Les moyennes sont reportées dans le tableau 1. Concernant l’hypothèse 1a, le contraste d’intérêt est significatif pour le jugement de recrutabilité (B = 7.77, F(1, 62) = 12.67, p < .001) et pour l’attribution des traits socialement utiles (B = 3.85, F(1, 62) = 7.24, p < .009). Toutefois, la somme des F des deux contrastes de variance résiduelle l’est aussi (Recrutabilité : F(1, 62) = 7.17, p < .01 ; Traits utiles : F(1, 62) = 4.46, p < .04). Concernant l’hypothèse 1b, le contraste d’intérêt est significatif pour le jugement de recrutabilité (B = 13.37, F(1, 62) = 18.75, p < .001), alors que la somme des F des deux contrastes de variance résiduelle ne l’est pas (F(1, 62) < 1, ns). Le contraste d’intérêt est également significatif concernant l’attribution de traits socialement utiles (B = 5.34, F(1, 62) = 7.08, p < .01), mais la somme des F des deux contrastes de variance résiduelle l’est aussi (F(1, 62) = 4.60, p < .04). Concernant l’attribution des traits socialement désirables, une ANOVA 2 (dimensions : consistance versus internalité) x 2 (degré d’adhésion du candidat : faible versus forte) a été conduite. Les moyennes sont reportées dans le tableau 1. Seul l’effet du degré d’adhésion du candidat aux dimensions est significatif (F(1, 65) = 4.10, p < .05) : les candidats faiblement en accord avec l’une ou l’autre des deux dimensions se voient davantage attribuer les traits désirables que les candidats fortement en accord avec elles. L’analyse des effets simples indique que les réponses des candidats affectent significativement la désirabilité uniquement lorsqu’elle concerne la préférence pour la consistance (F(1, 65) = 4.45, p < .04 ; effet simple de l’internalité, F(1, 65) < 1). Si le candidat inconsistant se voit davantage attribuer les traits désirables que le candidat consistant, les candidats interne et externe se voient attribuer les traits désirables dans une même mesure. Tableau 1. Pourcentage moyen de recrutabilité et d’attribution des traits socialement utiles et socialement désirables aux candidats en fonction de leur internalité et de leur consistance. Interne Externe Consistant Inconsistant Jugement de recrutabilité 79.13 52.88 70.88 66.56 Attribution des traits socialement utiles 71.86 61.18 74.11 69.38 Attribution des traits socialement désirables 49.41 53.10 44.40 55.05 DISCUSSION Les résultats observés n’apparaissent pas compatibles avec le modèle supposant que la préférence pour la consistance s’avère valorisée comme l’internalité. La hiérarchie des moyennes observée sur le jugement de recrutabilité indique, en effet, que le candidat interne est jugé plus recrutable que le candidat consistant, qui ne diffère pas du candidat inconsistant, le candidat externe étant jugé le moins recrutable. Ces résultats ne soutiennent pas l’assertion de Channouf et Mangard (1997) faisant de la préférence pour la consistance une tendance socialement valorisée. Par ailleurs, les données remettent en cause l’idée que la préférence pour la consistance renverrait à une caractéristique socialement désirable. Nos résultats confirment ceux de Beauvois (2003) : le candidat inconsistant a été jugé plus désirable que le candidat consistant. Les candidats internes et externes ne se différencient pas et occupent une position médiane. Cette première étude a apporté des éléments intéressants quant au faible impact direct de la préférence pour la consistance sur les jugements relatifs à l’utilité sociale dans le cadre d’un jugement complexe nécessitant d’intégrer diverses informations. Toutefois, cette étude ne suffit pas en elle-même à trancher entre les deux modèles théoriques envisagés d’intervention de la préférence pour la consistance dans les jugements (modèle de valorisation versus modèle de modulation). Afin de comparer les prédictions issues des deux modèles, il convient aussi de faire varier conjointement les deux variables étudiées séparément dans la première étude. Dans la seconde étude, la pertinence des deux modèles a donc été comparée en croisant le degré de préférence pour la consistance et d’internalité affiché par le candidat. ETUDE 2 : EFFETS CONJOINTS DE L’INTERNALITE ET DE LA PREFERENCE POUR LA CONSISTANCE SUR LE RECRUTEMENT ET L’EVALUATION PERSONNOLOGIQUE La seconde étude examinait les effets conjoints de l’internalité et de la préférence pour la consistance sur les jugements. Le matériel et les mesures étaient identiques à l’étude précédente. Deux hypothèses étaient mises à l’épreuve. La première supposait l’existence d’une valorisation spécifique de la préférence pour la consistance. Cette hypothèse implique que l’internalité et la préférence pour la consistance produisent un effet additif sur les jugements. Ainsi, le candidat interne consistant devrait être mieux jugé que le candidat externe consistant et interne inconsistant, le candidat externe inconsistant devant être le moins bien jugé (hypothèse 1a). La seconde hypothèse correspondait à l’idée que la préférence pour la consistance joue essentiellement un rôle modulateur de l’effet de l’internalité. Ainsi, le candidat interne consistant devrait être mieux jugé que le candidat externe inconsistant et le candidat interne inconsistant, le candidat externe consistant devant être le moins bien jugé (hypothèse 1b). Concernant le jugement de désirabilité sociale, sur la base des résultats observés dans l’étude 1, il était attendu que le candidat interne inconsistant et le candidat externe inconsistant se voient davantage attribuer les traits socialement désirables que le candidat interne consistant et le candidat externe consistant (hypothèse 2). METHODE SUJETS Soixante-treize étudiants (62 filles, 9 garçons, 2 non réponses) inscrits en première année de psychologie ou d’Administration Economique et Sociale (AES) ont pris part à l’étude. DEROULEMENT Lors d’un cours magistral, les étudiants se voyaient proposer de participer à une recherche. La tâche qui leur incombait était de prendre connaissance d’un dossier présenté par un candidat en réponse à une offre d’emploi afin d’émettre un jugement à son égard. La consigne écrite, présentée sur le premier feuillet constituant le dossier, était identique à celle présentée dans l’étude 1. La passation était anonyme et durait environ 20 minutes. MATERIEL Le matériel consistait en un dossier constitué d’une offre d’emploi, du curriculum vitæ d’un candidat et de ses réponses à diverses questions. L’annonce et le CV étaient les mêmes que ceux utilisés dans l’étude 1. Les questions, décrites comme représentatives des réponses du candidat à un test de compétences sociales, étaient au nombre de huit et impliquaient quatre items relatifs à l’internalité et quatre items relatifs à la préférence pour la consistance (identiques à ceux utilisés dans l’étude 1). Les items relatifs à l’internalité et à la préférence pour la consistance étaient mélangés les uns aux autres. Deux ordres ont été considérés : l’un étant l’inverse de l’autre. Quatre profils de candidat ont, ainsi, été constitués : un candidat interne consistant, un candidat interne non consistant, un candidat externe consistant et un candidat externe non consistant. 11 MESURES Les mesures étaient les mêmes que dans l’étude 1. La fiabilité des mesures d’utilité sociale ( = 0.84 ; r inter-item = 0.48, N = 73, p < .001) et de désirabilité sociale ( = 0.80 ; r inter-item = 0.43, N = 73, p < .001) s’est à nouveau avérée satisfaisante. RESULTATS 3 Le jugement de recrutabilité et l’attribution des traits socialement utiles ont été régressés sur les mêmes contrastes d’intérêt et deux contrastes testant la variance résiduelle. En rapport avec l’hypothèse 1a, le contraste d’intérêt impliquait que le candidat interne consistant (codé 1), soit mieux jugé que le candidat externe consistant (codé 0) et le candidat interne inconsistant (codé 0), pour lesquels le jugement ne devrait pas différer, le candidat externe inconsistant devant être le moins bien jugé (codé -1). Deux contrastes orthogonaux (-1 1 1 -1 ; 0 1 -1 0) testant la variance résiduelle ont été utilisés. En rapport avec l’hypothèse 1b, le contraste d’intérêt impliquait que le candidat interne consistant (codé 1) soit mieux jugé que les candidats interne inconsistant (codé 0) et externe inconsistant (codé 0), le candidat externe consistant (codé -1) étant le moins bien jugé. Deux contrastes orthogonaux (-1 1 1 -1 ; 0 1 -1 0) testant la variance résiduelle ont été utilisés. Les analyses indiquent que l’hypothèse 1b est validée, alors que l’hypothèse 1a ne l’est pas. Les moyennes sont reportées dans le tableau 2. Concernant l’hypothèse 1a, le contraste d’intérêt relatif au jugement de recrutement est non significatif (B = 5.72, F(1, 69) = 2.72, ns), ainsi que la somme des F des deux contrastes de variance résiduelle (F(1, 69) = 2.75, ns). Le contraste d’intérêt s’avère significatif concernant l’attribution des traits socialement utiles (B = 5.41, F(1, 69) = 4.62, p < .04), mais la somme des F des deux contrastes de variance résiduelle l’est aussi (F(1, 69) = 7.23, p < .009). Concernant l’hypothèse 1b, le contraste d’intérêt est significatif pour le jugement de recrutement (B = 7.70, F(1, 69) = 5.06, p < .03) et l’attribution des traits socialement utiles (B = 8.44, F(1, 69) = 11.49, p < .002), alors que la somme des F des deux contrastes testant la variance résiduelle ne l’est pas (recrutabilité : F(1, 69) < 1, ns ; traits utiles : F(1, 69) < 1, ns). L’hypothèse 2 afférente à l’attribution des traits socialement désirables n’est pas validée (voir tableau 2 pour les moyennes). En effet, le contraste d’intérêt selon lequel le candidat interne inconsistant (codé 1) et le candidat externe inconsistant (codé 1) se verraient davantage attribuer les traits désirables que le candidat interne consistant (codé -1) et le candidat externe consistant (codé -1) est non significatif (B = -0.27, F(1, 69) < 1, ns), tout comme la somme des F des deux contrastes orthogonaux (1 -1 0 0 ; 0 0 1 -1) testant la variance résiduelle (F(1, 69) = 1.26, ns). Tableau 2. Pourcentage moyen de recrutabilité et d’attribution des traits socialement utiles et socialement désirables aux candidats en fonction de leur internalité et de leur consistance. Interne Consistant Interne Inconsistant Externe Consistant Externe Inconsistant Jugement de recrutabilité 64.72 53.61 49.32 53.29 Attribution des traits socialement utiles 70.34 62.00 53.46 59.53 Attribution des traits socialement désirables 51.47 48.62 49.49 51.25 3 La filière d’étude des sujets n’entrant dans aucun effet significatif dans cette étude (Fs < 1,40), elle n’a pas été prise en considération dans les analyses. DISCUSSION Les résultats observés ne sont compatibles qu’avec le modèle de modulation de l’effet de l’internalité par la préférence pour la consistance. En revanche, ils ne le sont pas avec le modèle de valorisation supposant que la préférence pour la consistance est l’objet d’une valorisation spécifique, au même titre que l’internalité. Tout se passe donc comme si la préférence pour la consistance versus l’inconsistance venait donner ou enlever du crédit à l’information relative à l’internalité. Cette configuration traduit une intervention de la préférence pour la consistance, non pas directe, mais en association avec d’autres informations plus prégnantes dans la situation de jugement, comme le type d’explications causales mobilisées par le candidat. Ces résultats confirment le poids de l’internalité dans les évaluations institutionnelles (Dubois & Beauvois, 2005) et donnent à penser que la préférence pour la consistance lorsqu’elle est associée à des explications causales internes ou externes intervient surtout dans la fiabilité attribuée à ces dernières. DISCUSSION GENERALE Prenant pour base l’approche sociocognitive des normes sociales (Dubois, 2003), cette recherche avait pour but de mieux comprendre les effets de la préférence pour la consistance sur le jugement social. Si les nombreux résultats relatifs à l’internalité attestent de sa valorisation sociale tant dans une perspective d’autoprésentation que dans une perspective de jugement social (Dubois, 2003), les effets de la préférence pour la consistance sur les jugements ne sont pas univoques. Deux hypothèses étaient mises à l’épreuve dans la présente recherche. Selon une première hypothèse, issue des formulations de Channouf et Mangard (1997), l’expression de la préférence pour la consistance ferait l’objet d’une valorisation spécifique de même nature que la valorisation de l’internalité (modèle de la valorisation en termes d’utilité sociale). Cette hypothèse, soutenue par quelques travaux (e.g. Louche, Pansu & Papet, 2001), était remise en cause par d’autres (e.g. Beauvois, 2003). La seconde hypothèse examinée concernait le rôle modulateur de la préférence pour la consistance, cette dernière venant uniquement moduler l’impact d’autres informations sur le jugement (modèle de modulation). Seule l’hypothèse correspondant au modèle de modulation se voit validée par les données. Inversement, l’hypothèse de valorisation manque de support dans les deux études effectuées. La première étude mettait spécifiquement à l’épreuve le modèle de valorisation. Les résultats de cette étude indiquent que lorsque la préférence pour la consistance est la seule information psychologique disponible, les candidats consistant et inconsistant ne se voient pas différenciés en terme de recrutabilité, à la différence des candidats interne et externe. Ainsi, dans un contexte de jugement où les sujets peuvent fonder leur évaluation sur d’autres informations pertinentes, liées à la mise à disposition du CV du candidat, ils ne tiennent pas compte du degré de préférence pour la consistance. Ces résultats diffèrent de ceux de Louche, Pansu et Papet (2001, exp. 1) qui mettaient en évidence un effet direct de la préférence pour la consistance. Ils rejoignent, en revanche, ceux de Louche, Hugues et Sarrade (2001, exp. 2) qui révélaient uniquement un effet de modulation. Une différence notable entre ces deux études est que dans l’étude de Louche, Pansu et Papet (2001), les sujets ne disposaient que des informations relatives à la préférence pour la consistance de la cible, ce qui n’était pas le cas dans l’étude de Louche, Hugues et Sarrade (2001). Ces résultats suggèrent que la préférence pour la consistance n’interviendrait essentiellement qu’en l’absence d’autres informations disponibles. Il est possible, dans ce cas, que ce soit moins la préférence pour la consistance en tant que telle qui explique les jugements que les inférences faites par les sujets sur d’autres caractéristiques des cibles évaluées. Si la préférence pour la consistance n’apporte aucune valeur supplémentaire à la cible du jugement dans notre étude, l’internalité, elle, entre, comme dans de nombreuses autres études (Pansu, 2006 ; Pansu et al., 2003), dans la construction du jugement sur la valeur sociale. La seconde étude visait à comparer directement la valeur prédictive des modèles de valorisation et de modulation. Les résultats sont sans équivoque et confirment ce que l’on pouvait supposer dès la première étude. Associée à l’expression d’explication causale la consistance vient moduler le jugement que les sujets portent sur la valeur du candidat. Le pattern observé témoigne que l’internalité affecte de façon spécifique le jugement sur la valeur du candidat, alors que la préférence pour la consistance n’intervient dans le jugement qu’en association avec l’internalité. 13 Tout se passe comme si les sujets accordaient plus ou moins de signification, ou de pertinence, à l’information psychologique relative à l’internalité du candidat suivant son degré de préférence pour la consistance. Lorsque le candidat exprime une faible préférence pour la consistance, son degré d’internalité semble traité comme une production circonstancielle, non diagnostique de sa capacité à satisfaire les exigences du fonctionnement social. La comparaison des résultats des deux études suggère que, dans l’étude 1, les sujets présupposent les candidats interne et externe comme des individus « consistants ». En effet, c’est seulement quand les sujets sont explicitement informés de la faible préférence pour la consistance des candidats (étude 2) que l’effet de l’internalité disparaît. Relevons néanmoins que les résultats de cette recherche ont été obtenus auprès d’une population d’étudiants et demanderaient à être répliqués auprès de recruteurs (Desrumaux-Zagrodnicki & Rainis, 2000). Un autre point examiné dans notre recherche concernait la désirabilité sociale associée à l’expression de la préférence pour la consistance. Nous avions mentionné l’existence de résultats contradictoires dans la littérature. Or, cette recherche montre que si la préférence pour la consistance est la seule information psychologique disponible (étude 1), elle est associée à une plus faible désirabilité sociale que la préférence pour l’inconsistance. Ce résultat va dans le même sens que celui observé par Beauvois (2003). Dans l’étude 2, lorsqu’elle est associée à l’information relative à l’internalité, cette différence sur le jugement de désirabilité sociale disparaît. Au final, nos résultats suggèrent que la préférence pour la consistance aurait, comme l’internalité (Dubois, 2005 ; Dubois & Beauvois, 2005), un effet marginal sur les jugements de désirabilité sociale. En tout état de cause, les résultats de la présente recherche invitent à s’interroger sur le caractère normatif de la préférence pour la consistance. Ces résultats apportent également des éléments de réflexions sur les conditions d’expression de la normativité des explications internes. On sait, en effet, que cette normativité s’exprime davantage dans les situations formelles d’évaluation, concernant les événements positifs, concernant les renforcements plutôt que les comportements, les jugements relatifs à l’utilité sociale plutôt qu’à la désirabilité sociale, les contextes libéraux plutôt qu’autoritaires (Beauvois, 1976 ; Dubois, 1994, 2003 ; Dubois & Le Poultier, 1991 ; Testé, 2009). Les résultats de cette recherche fournissent une condition supplémentaire à l’expression de la normativité de l’internalité : l’absence d’expression d’une faible préférence pour la consistance. Plusieurs pistes mériteraient d’être explorées dans de futures recherches afin d’affiner l’étude du statut de la préférence pour la consistance dans les processus de jugement. Une première piste concerne l’exploration de la valeur attribuée à l’expression de la préférence pour la consistance en fonction des événements sur lesquels elle porte. Il serait, notamment, pertinent d’examiner séparément le versant attitudinel de cette préférence, impliquant des relations entre deux attitudes, et le versant comportemental, impliquant des relations entre deux comportements. De fait, comme ont pu le souligner Jouffre et al. (2001), les attitudes dépendent des systèmes de valeurs des individus (Lavine, Thomsen & Gonzales, 1997) et ont une fonction dans le contrôle et la coordination des interactions sociales (Lalljee, Brown & Ginsburg, 1984). Aussi, le versant attitudinel de la consistance serait davantage susceptible de trouver sa place dans des jugements sur l’utilité sociale des personnes. En revanche, la consistance comportementale participant à la régulation de certaines interactions quotidiennes (comme la réciprocité, Cialdini, 1990) aurait moins d’impact sur ce type de jugement. Il serait donc opportun de distinguer ces deux versants dans de futures études. Une seconde piste en vue de recherches futures consiste à reconsidérer la notion de « norme de consistance », à la lumière de l’opérationnalisation qui en a été faîte à la suite de la recherche princeps de Channouf et Mangard (1997). L’examen de la littérature montre, en effet, l’existence d’un décalage entre la théorisation de la normativité de la consistance, qui porte sur sa manifestation concrète dans les interactions sociales (Cialdini, 1990 ; Channouf & Mangard, 1997), et son opérationnalisation dans les travaux qui repose sur l’utilisation du questionnaire de préférence pour la consistance de Cialdini et al. (1995). En effet, ce qui est mesuré avec ce questionnaire n’est pas la propension différenciée des gens à se montrer effectivement plus ou moins cohérent mais leur attitude envers la consistance. D’une certaine manière, la notion de « norme de consistance » apparaît donc relativement impropre pour caractériser les études réalisées, celles-ci mettant davantage à l’épreuve l’hypothèse d’une norme attitudinelle de préférence pour la consistance (Sénémeaud & Testé, 2007). Si l’on suit ce raisonnement, il faut convenir que les travaux réalisés jusqu’à présent ne permettent pas de statuer clairement sur l’existence ou non d’une norme de consistance dans les sociétés occidentales, comme cela a été supposé par certains auteurs. Tout au plus, remettent-ils en cause l’idée d’une norme générale de préférence pour la consistance présentant des caractéristiques semblables à la norme d’internalité, par exemple. La distinction que nous avons opérée entre deux façons d’appréhender la consistance, comme caractéristique observable ou comme objet d’attitude, devrait permettre de nouvelles recherches, mieux fondées théoriquement et empiriquement. Pour finir, soulignons quelques enseignements pratiques à tirer de cette recherche qui devraient être pris en considération dans la mise en place de formations aux Techniques de Recherche d’Emploi, comme l’ont envisagé certains auteurs (Pansu et al. 2003 ; Pansu, Pavin, Serlin, Aldrovandi & Gilibert, 1998 ; Pansu, Py & Somat, 2003). A une formation dont le projet est de rendre les chercheurs d’emploi clairvoyants de la norme d’internalité (Py & Somat, 1991), il conviendra à l’avenir de faire des propositions de formation pour insister sur l’importance d’exhiber une préférence pour la consistance 4 . Ainsi, un chercheur d’emploi capable de se montrer interne et consistant apparaîtrait socialement utile tout en ne pâtissant pas, sur le versant socialement désirable, de l’effet négatif de la consistance. En revanche, fournir des indices laissant entendre une faible préférence pour la consistance viendrait annihiler l’effet bénéfique du fait d’exhiber de l’internalité. 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