Massart Victoria - L Entrepreneur Au Coeur de La Notion d Entrepreneuriat - Memoire

March 25, 2018 | Author: Kushinada | Category: Entrepreneurship, Business, Competence (Human Resources), Innovation, Risk


Comments



Description

Sommaire Remerciements ........................................................................................................................... 1 Cadre introductif ........................................................................................................................ 2 CHAPITRE 1- POSITIONNEMENTS THEORIQUES ET CONTEXTUELS................. 6 I) L’entrepreneur : éléments de définition et présentation des courants de recherches ... 6 A- Vers une tentative de définition de l’entrepreneur ......................................................... 7 1) Le champ de l’entrepreneuriat ............................................................................................... 7 a) Un phénomène économique et social b) Un objet de recherche : le rôle structurant de trois courants de pensée c) Un domaine d’enseignement 2) Une notion présente depuis des siècles ................................................................................ 10 3) La pensée économique comme base historique ................................................................... 11 a) Le risque du non probabilisable pour R. Cantillon b) Un coordinateur selon J-B. Baptiste Say c) Des fonctions économiques selon J. Schumpeter B- Entre être et agir, deux façons d’approcher l’entrepreneur ........................................ 14 1) L’approche par les traits dite « déterministe » : qui est l’entrepreneur ?............................. 14 a) Les caractéristiques majeures de l’approche b) Les écoles de pensée déterministe 2) Des limites à l’analyse « déterministe » .............................................................................. 18 a) Des profils disparates et pluriels de personnalité b) Une approche à usage essentiel de sensibilisation 3) L’approche par les faits dite « comportementale » : que fait l’entrepreneur ? .................... 20 a) L’accent mis sur « l’agir » b) Les écoles de pensée dite comportementale II) Les situations et potentialités entrepreneuriales............................................................ 23 A- Les situations entrepreneuriales ..................................................................................... 23 1) Les différents aspects d’une démarche entrepreneuriale ..................................................... 23 2) La création ex nihilo ............................................................................................................ 24 a) La forme la plus pure de l’entrepreneuriat b) La progression des créations ex nihilo en France c) Les raisons de nous intéresser à la création d’entreprise B- Les potentialités entrepreneuriales pouvant intervenir dans l’acte d’entreprendre . 27 1) Les facteurs intervenant dans le désir et la crédibilité de l’acte........................................... 28 a) La sphère familiale et religieuse comme lieux de fécondation de l’entrepreneur b) L’enseignement et la formation, une influence reconnue c) L’entreprise et le territoire, des pôles d’attraction entrepreneuriale 2) Les facteurs ayant une influence sur la faisabilité et le déclenchement de l’acte................ 32 a) L’expérience professionnelle acquise b) Les ressources économiques et le réseau relationnel 3) Les facteurs pouvant aider au déclenchement de l’acte....................................................... 33 a) Les facteurs « pusches » et « pull » selon le professeur Shapero b) Les ressources psychologiques III) La notion de compétences............................................................................................... 35 A- Une notion récente pour un engouement massif contextualisé .................................... 35 1) Une problématique ancienne mais théorisée tardivement.................................................... 35 a) L’origine de la définition b) Une problématique pourtant ancienne c) Vers un retour en force de la notion de compétences 2) Une notion devenue incontournable malgré son imprécision.............................................. 36 a) La compétence, une notion devenue à la mode b) Une notion large et imprécise B- Une tentative de définition de la notion de compétences .............................................. 39 1) Des caractéristiques qui aident à délimiter le champ de la compétence .............................. 39 a) L’exercice performant de savoirs pratiques b) Un processus évolutif et collectif c) Un processus multidimensionnel 2) Des cadres de référence pour clarifier la notion .................................................................. 41 a) Un savoir mobiliser pour G. Le Boterf b) Des répertoires de comportements individuels selon C. Lévy Leboyer c) Une intelligence collective et une attitude sociale pour P. Zarifian 3) La catégorisation des compétences et les points de vigilance dans la pratique ................... 44 a) Des savoirs ou les connaissances de base ou complémentaires b) Des savoir-faire ou des habilités techniques c) Des savoir être ou des compétences cognitives et relationnelles CHAPITRE 2- La démarche méthodologique..................................................................... 48 I) Le cadre de la recherche .................................................................................................... 48 A- La pertinence de la problématique posée....................................................................... 48 1) La formulation de la question de départ .............................................................................. 48 a) La clarté de la question de départ b) Les qualités de faisabilité et de pertinence de la question de départ 2) L’explicitation de la problématique ..................................................................................... 50 a) A l’instar du contexte actuel b) A l’instar des positionnements théoriques B- L’élaboration du modèle d’analyse ................................................................................ 53 1) La construction d’hypothèses............................................................................................... 53 a) La décomposition de la question de départ b) L’élaboration des hypothèses 2) L’objectif du travail de terrain ............................................................................................. 54 a) La mise à l’épreuve des hypothèses b) Panorama des principales méthodes de recueils des informations II) La spécificité de la démarche mise en oeuvre................................................................. 57 A- Les objectifs de la démarche entreprise .......................................................................... 57 1) Une inscription dans le cadre du bilan personnel et professionnel ...................................... 58 2) Dans un contexte d'instabilité et de crise de l'empoi............................................................ 58 3) Qui exige de l'individu de devenir « entrepreneur de soi ».................................................. 59 B- L’organisation de la démarche mise en oeuvre .............................................................. 60 1) La méthode choisie pour le recueil d'informations .............................................................. 60 a) Le recueil de données empiriques b) La mise en œuvre d’échanges interactifs 2) Le choix et la constitution de l'échantillon .......................................................................... 61 a) La notion de représentativité b) Le phénomène entrepreneurial décrit par la création d’entreprise ex nihilo c) Les caractéristiques du terrain d’enquête 3) La méthode de prospection et la prise de contact ................................................................ 63 4) Des aides à la dynamique et à l'analyse de l'entretien.......................................................... 63 a) Le guide d’entretien comme fil conducteur b) La formulation des questions posées c) Le contexte des entretiens mis en oeuvre d) La retranscription des entretiens CHAPITRE 3- L’analyse des contenus suite au recueil d’informations........................... 67 I) A propos de l’entrepreneur ............................................................................................... 68 A- Les paramètres sociologiques.......................................................................................... 68 1) Les données concernant le sexe et l’âge de la population d’enquête................................... 68 a) Une représentation sexuée équilibrée b) Des tranches d’âge différentes 2) La situation familiale des personnes interrogées ................................................................. 69 a) L’inventaire des situations personnelles des créateurs b) La conciliation entre vie professionnelle et vie familiale 3) L’entrepreneur, fruit de son milieu ? ................................................................................... 71 a) La culture entrepreneuriale b) Le « capital-relations » formel et informel B- Le niveau d’études et le parcours professionnel............................................................ 76 1) Le niveau d’études ............................................................................................................... 76 a) Aperçu du niveau d’études b) Les propos tenus par les entrepreneurs 2) Le parcours professionnel jusqu’à la création ..................................................................... 77 a) Des parcours professionnels hors du champ d’ativité de l’entreprise créée b) Des parcours professionnels sensiblement proches du champ d’activité de l’entreprise créée c) Des parcours professionnels proches du champ d’activité de l’entreprise créée 3) Le « capital-expérience professionnelle » et l’acte d’entreprendre ..................................... 80 a) Les verbatim des locuteurs b) L’analyse des propos tenus II) L’acte d’entreprendre ..................................................................................................... 83 A- Les motivations à passer à l’acte d’entreprendre ......................................................... 83 1) Des mobiles personnels et variés ......................................................................................... 83 a. La recherche d’autonomie et de liberté b. La force du désir c. La détection d’un besoin non exploité ou d’une opportunité d’affaire 2) Une logique de réinsertion professionnelle.......................................................................... 86 a. Suite à des expériences décevantes en entreprise b. La création de son emploi par défaut B- Le risque, l’incertitude et la gestion des difficultés ...................................................... 88 1) La notion de risque et d’incertitude ..................................................................................... 89 a. Des risques souvent financiers non mesurés dans leur totalité b. La notion d’incertitude : des temps doutes et de remises en question 2) La gestion des difficultés relevées dans les propos de nos locuteurs................................... 92 a. Les types de problèmes relevés dans les premiers instants de vie de l’entreprise créée b. Les difficultés relevées lors du développement de l’activité c. Peut-on parler de don ou de charisme chez l’entrepreneur ? III) Les qualités et compétences entrepreneuriales : un triptyque en émergence............ 97 A- Des savoirs pluridisciplinaires imparfaits ..................................................................... 98 1) L’inventaire des savoirs ....................................................................................................... 98 2) Les verbatim utilisés ............................................................................................................ 99 B- Des savoir-faire ................................................................................................................ 99 1) L’inventaire des savoir-faire ................................................................................................ 99 2) Les verbatim relevés .......................................................................................................... 100 C- Des savoir être ................................................................................................................ 102 1) L’inventaire des savoir être................................................................................................ 102 2) Les verbatim des locuteurs................................................................................................. 103 Conclusion et perspectives ..................................................................................................... 105 Glossaire des sigles et des abréviations.................................................................................. 110 Bibliographie .......................................................................................................................... 111 Annexes ................................................................................................................ Voir volume II Remerciements Mes remerciements s’adressent aux nombreuses personnes qui m’ont apporté aide et soutien tout au long de l’élaboration de cette contribution. Je remercie tout particulièrement : Francis Danvers, mon directeur de mémoire, dont les conseils ont été plus qu’utiles ; Isabelle Danjou et Marie-Christine Lenoir, pour avoir accepté de faire partie des membres du jury de soutenance ; • Stéphane Caplier, pour m’avoir écoutée, guidée dans l’avancement de mes réflexions et permis d’accéder aux sources de documentations chez Créativallée ; • • Marie-Annick Hennebutte, pour les conseils et les contacts transmis ; Les treize entrepreneurs qui ont accepté d’être interviewés dans le cadre de cette étude et sans lesquels je n’aurai pu élaborer ce travail de recherche ; • Isabelle, Laetitia, Camille et Jean-Pierre pour leurs yeux impitoyablement vigilants durant les temps de relecture ; • Isabelle, Laetitia, Caroline, Camille, Kathy, Jean-Pierre et mon entourage proche, pour leurs encouragements tout au long de l’année, leur patience et leur aide ; • Les étudiant(e)s de la promotion 2004-2005 du Master 2 CDVA pour l’intérêt porté au travail de chacun d’entre nous et à leur soutien. • • L’Université n’entend ni approuver ni désapprouver les opinions émises dans ce document qui doivent être considérées comme propres à leur auteur. 1 Cadre introductif Par suite de l’accélération des innovations technologiques et de la mondialisation de l’économie et du travail, le changement est devenu une constante de la vie économique. Les restructurations ne concernent plus seulement les industries traditionnelles ; elles s’étendent à tous les secteurs, même ceux qui se développent rapidement. Par conséquent, pour les salariés, la vie professionnelle se fera plus complexe au fur et à mesure que les schémas de travail deviendront de plus en plus nombreux et moins réguliers. Ils devront parvenir à un certain nombre de transitions1, telles que la transition entre école et travail, entre les emplois, entre travail et formation, etc. On ne parle plus, en terme d’emploi, de « carrière linéaire et continue jusqu’à la retraite » mais de « discontinuité des carrières professionnelles »2. De plus, avec la réforme du système de retraite lié au phénomène du papy boom3 et l’augmentation de la population active4, il nous faudra donc travailler plus longtemps. Face à ces turbulences économiques et sociales, la création et la reprise d’entreprises apparaissent comme une cause d’intérêt général. L’entrepreneur, parce qu’il « crée de la richesse, des emplois […], est un véritable cadeau que la société doit s’empresser de reconnaître, de valoriser et de citer en exemple »5. Pour faciliter la création d’entreprise et développer l’innovation, le Gouvernement a présenté deux mesures principales depuis 2002 : la loi pour l’initiative économique6 et le plan d’innovation7. Dans la région Nord-Pas-deCalais, les chambres de commerce ont d’ailleurs été retenues pour participer à la phase pilote du projet "Entreprendre en France" découlant de la volonté de l'Etat de simplifier les formalités à la création d'entreprise, et de développer les réseaux d'aides aux créateurs ou repreneurs. 1 On peut définir la transition comme « n’importe quel événement ou absence d’événement qui amène des changements dans nos relations, nos comportements, nos croyances et nos rôles de vie » (M. Gingras et M. Sylvain, 1998 : 339). 2 X. Gaullier (1988) - La deuxième carrière - Ages, emplois, retraites, Paris, Seuil, 408 pages. 3 En 2020, 40 % de la population aura plus de 50 ans (INSEE Conjoncture (2005) - Informations rapides n° 117. 4 La population active comprend les personnes qui déclarent exercer une profession (salariée ou non) même à temps partiel ; aider un membre de la famille dans son travail (même sans rémunération) ; être apprenti, stagiaire rémunéré... ; être militaire du contingent (tant que cette situation existait) ; être chômeur à la recherche d'un emploi (INSEE conjoncture, 2005). 5 P.A. Fortin : 2002 : 45. 6 Plus connue sous le nom de "loi Dutreil", la loi pour l'initiative économique du 1er août 2003 comprend une série de mesures destinées à rendre la création d'entreprise mois coûteuse, plus rapide et plus simple, et à faciliter la transmission des entreprises. 7 « Les premiers encouragements fiscaux à la création d'entreprise datent de la loi de finances pour 1978. C'est l'époque où le Premier ministre R. Barre encourageait les chômeurs à créer leur propre emploi. L'accent a ensuite été mis sur les possibilités de coopération entre les entreprises et le monde de la Recherche grâce à la loi sur l'innovation du 12 juillet 1999 » (F. Danvers, 2004 : 3). « La politique en faveur de l'innovation a pour fil directeur de créer un environnement favorable à la confiance et à l'initiative des entrepreneurs, donc à l'investissement, à la croissance de long terme et à l'emploi » (Consultation nationale, Décembre 2002 - Politique en faveur de l'innovation). 2 Compte tenu de l’allongement de la vie active, des incertitudes liées aux carrières, de l’investissement de la région Nord-Pas-de-Calais, des établissements d’enseignement supérieur de la région8 dans la sensibilisation à la création d’entreprise, et de mon projet professionnel futur, nous avons souhaité mener notre travail sur le concept de l’entrepreneuriat9 et plus particulièrement de son acteur principal : l’entrepreneur, car « la création d’entreprise est d’abord l’affaire d’un individu ou d’un petit groupe »10. Est entrepreneur celui ou celle qui « manifeste son esprit d’entreprise en impulsant et en conduisant des projets de création ou de développement d’entreprise »11 ; celui « qui juge quand et comment l’idée peut aboutir à une création d’entreprise réussie, celui qui sait transformer les évènements en opportunité »12. Nous considérons, dans notre étude, que tout créateur d’entreprises est entrepreneur mais en considérant qu’à terme, il peut en perdre la caractéristique si il ne se remet pas en cause. En matière d’entrepreneuriat, les trois principaux blocages soulevés par P. A. Fortin13 sont les suivants : le manque de compétence, de soutien et de financement14. Le manque de compétence constitue, selon l’auteur, le principal frein à l’entrepreneuriat. Il ne s’agit pas uniquement du savoir dans le sens de la connaissance, mais également du savoir-faire, du savoir être et, comme le souligne le professeur Y. Gasse15, du savoir vivre. La compétence semble donc être essentielle à la réussite d’un entrepreneur. Parce qu’il existe une grande diversité de profils chez les entrepreneurs, il semble difficile de construire un dispositif qui Suite à un appel à proposition lancé par le ministère de la recherche, le Pôle universitaire européen de Lille s’est vu confier par l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur de la région, l’élaboration d’un nouveau projet : la création d’une maison de l’entrepreneuriat. Il s'agit de mutualiser les ressources et les idées afin de développer la culture entrepreneuriale chez les diplômés de l’enseignement supérieur avec, comme publics prioritaires, les doctorants, les étudiants des Ecoles et les inscrits dans les masters. Le Pôle Universitaire Européen Lille Nord-Pas de Calais, qui est le porteur de ce projet fédératif régional, vient d’être classé au premier rang par la commission compétente du ministère délégué à la recherche, chargée d’examiner l’ensemble des dossiers déposés au niveau national. Comme le souligne A. Fayolle dans un article consacré aux déterminants de l'acte entrepreneurial chez les étudiants et les jeunes diplômés de l'enseignement supérieur français (2002), le phénomène de création d’entreprise chez ce public reste encore marginal malgré le nouvel élan entrepreneurial qui semble agiter le système éducatif français. Il évoque que, malgré des niveaux d’intention élevés, l’intention entrepreneuriale semble beaucoup plus élevée aux Etats-Unis qu’en France. Il parait donc essentiel de renforcer la promotion et la sensibilisation à l’entrepreneuriat, en prenant en considération les variables sociales, contextuelles et psychologiques qui, au regard de différentes études réalisées, semblent prédire les comportements entrepreneuriaux des étudiants et jeunes diplômés de l’enseignement supérieur. 9 « Nouveau concept pédagogique, qui n'est ni une discipline, ni une matière, mais une attitude consistant à promouvoir sous différentes formes, notamment dans l'enseignement, la démarche de création d'entreprise », F. Danvers, (en cours de réalisation) - Anthropologie de l'orientation, version n°3, remaniée et augmentée. 10 E. M. Hernandez (2001) L'entrepreneuriat - approche théorique, l'Harmattan, 270 pages. 11 I. Danjou, 2004 : 17. 12 M. De Montmollin, 1984 cité par Bernaud et Lemoine, 2002 : 35. 13 Détenteur d’un doctorat en marketing et management de l’université Laval, P.A. Fortin est un pilier de l’entrepreneurship au Québec. Il a été tour à tour entrepreneur, professeur, fonctionnaire, consultant et auteur. 14 2002 : 87. P. A. Fortin dans son ouvrage expose l’examen de la culture entrepreneuriale comme moyen de guérir la pauvreté dans le monde. Au Canada, il fait des propositions d’un modèle de décision et d’intervention des acteurs clés dans le développement de la culture entrepreneuriale, à adapter selon la région et le pays. 15 Y. Gasse, cité dans le rapport du CESR (2000 : 3), est professeur titulaire d’entrepreneuriat à la Faculté des sciences de l’administration de l’Université Laval au Québec et directeur du centre d’entrepreneuriat et de PME. Ses champs de recherche se situent surtout dans les domaines des caractéristiques et prédispositions des entrepreneurs, de la gestion stratégique des PME, ainsi que les nouvelles technologies dans les petites firmes. 8 3 permettrait de révéler à quiconque qu’il possède, ou non, les compétences requises pour réussir son projet de création d’entreprise. Toutefois, le test I.C.E. (Inventaires des Caractéristiques Entrepreneuriales), développé par le professeur Y. Gasse pour la Fondation de l'entrepreneurship, est l'outil de base dont se sert le centre d'entrepreneurship de l'université de Montréal pour évaluer les caractéristiques entrepreneuriales de ses membres. Il n'indique pas les probabilités de réussite d’une entreprise mais permet de comparer certaines caractéristiques d’un individu à celles des entrepreneurs à succès. Le but de la présente contribution n’est pas de dresser un profil de l’entrepreneur idéal qui préciserait toutes les combinaisons de caractéristiques et de compétences requises (et qui correspondrait à un « mouton à cinq pattes ») ; mais de dresser un inventaire des qualités, compétences et conditions qui, selon les entrepreneurs, semblent nécessaires pour aboutir à une création d’entreprise réussie. En effet, qui est le plus à même de nous en informer si ce n'est les entrepreneurs eux-mêmes ? Propre aux sciences de l’éducation, notre travail de recherche se veut pluridisciplinaire. Ainsi, certaines incursions dans des champs conceptuels, tels que la sociologie, la psychologie, l’économie, la philosophie, l’anthropologie, nous permettent d’enrichir notre approche de l’entrepreneuriat. Présenter un état des lieux des principaux positionnements théoriques et contextuels des auteurs ayant décrit les concepts liés à l’entrepreneuriat, à l’entrepreneur et à la notion de compétences fera l’objet de notre premier chapitre. Compte tenu des considérables études et de la complexité des modèles qui sont proposés pour caractériser le champ de l’entrepreneuriat, nous avons souhaité restituer une représentation suffisamment pertinente de la réalité. Nous estimons que la connaissance des comportements entrepreneuriaux dépend, en effet, du travail de terrain. C’est la raison pour laquelle nos travaux se basent sur une approche qualitative, par le biais d’entretiens, cherchant à repérer les profils et spécificités des personnes interrogées et à recueillir des informations relatives aux qualités et compétences qu’elles mettent en œuvre. Par conséquent, nous traiterons, dans un second chapitre, de la méthodologie retenue dans le cadre de notre étude. L’analyse faisant suite au traitement des informations recueillies, présentée en troisième et dernier chapitre, pourrait être une aide au projet professionnel d’un individu, porteur ou non de projet de création d’entreprise ; comme le mentionne C. Lemoine « plus que jamais, la connaissance de ses compétences apparaît comme un enjeu pour se diriger sur le marché du 4 travail ou orienter une évolution de carrière »16. Notre travail pourrait également permettre, lors de recherches d’informations, ou durant des phases de sensibilisation17 à la création d’entreprise, de prendre conscience qu’il est possible de créer son entreprise en fonction de ses propres qualités et compétences. L’étude pourrait également aider à démystifier l’image de l’entrepreneur, très forte dans notre région18 et qui fait l’objet de représentations diverses, notamment chez les étudiants19. De plus, on ne peut avoir envie de devenir entrepreneur si l’on n’a pas soi-même une image positive et pertinente de lui20. 16 17 2002 : 28. Les objectifs de l’éducation et la formation en France dans le domaine de l’entrepreneuriat concernent la sensibilisation des étudiants en vue de les aider à voir, dans la création d’entreprise, une option de carrière possible et de développer en eux des attitudes plus favorables visà-vis des situations entrepreneuriales. Lancée en 2000, l’association Créativallée est une association à but non lucratif qui œuvre en direction des jeunes du Pas de Calais afin de les sensibiliser et de leur donner l’envie d’entreprendre. On estime à plus de 3000 le nombre de structures oeuvrant dans l’accueil et l’accompagnement du créateur d’entreprise. Une liste non exhaustive des organismes spécialisés est jointe en annexe 5. Selon X. Couplet, économiste, les sociétés juives, confucianistes et protestantes semblent plus aptes que les autres à générer les facteurs nécessaires au développement. Viennent ensuite les pays catholiques et orthodoxes dont le niveau de développement demeure très moyen (Le Monde du 12 avril 2005). C’est aussi une raison pour laquelle l’action de sensibilisation à la création d’entreprise doit être un axe majeur à développer dans notre pays. 18 Cf. le sondage Créativallée « L’envie d’entreprendre en Nord-Pas de Calais », 2004, sur www.creativallee.com 19 En référence aux résultats de l’étude sur « l’esprit d’entreprendre et les étudiants » présentée lors de la 5ème journée franco québécoise le 25 mai 2005 à l’IAE de Valenciennes. Par exemple, 4.2 % des étudiants québécois interviewés pensent que l’argent est la seule chose dont un entrepreneur a besoin contre 10.9 % des étudiants français ; 9.2 % des québécois estiment qu’un entrepreneur est un homme d’action pour qui le savoir passe au second plan contre 18.1 % des français. 20 M. Reynaud, délégué de Créativallée, intervention lors des journées OPPE (2004 : 10). 5 CHAPITRE 1- POSITIONNEMENTS THEORIQUES ET CONTEXTUELS Force est de constater que le champ littéraire spécialisé sur la création d’entreprise, le processus entrepreneurial et l’acte d’entreprendre est riche et vaste. Une partie de la littérature recensée semble destinée à trouver une application directe pour les projets de création d’entreprise21 ou lors de la phase de ses premiers développements22. L’autre partie a une vocation plus académique basée sur des concepts et modèles liés à l’entrepreneuriat. Conscients que l’entrepreneur a une importance capitale dans la réussite de son entreprise, il nous a semblé intéressant de dresser, dans la première partie de ce chapitre, un état de la recherche relative à l’étude de ce personnage clé. Nous préciserons, dans un second point, les différentes situations et potentialités23 entrepreneuriales issues de nos lectures, centrées sur la création d’entreprise qui nous intéresse particulièrement dans cette étude. Enfin, nous aborderons le sujet de la compétence dans un but de clarification et de délimitation de la notion. I. L’entrepreneur : éléments de définition et présentation des courants de recherche Ce chapitre vise donc à dresser un état de la recherche relative à l’étude de l’entrepreneur. Pour ce faire, après une synthèse des dimensions liées au champ de l’entrepreneuriat et des étapes principales qui ont jalonné l’élaboration de la définition son acteur, nous décrirons les deux courants actuels de l’étude de l’entrepreneuriat en vue de dégager les éléments clés et les controverses que suscite cette notion. En effet, il existe deux façons d’approcher l’entrepreneur. La première est de se demander : qui est l’entrepreneur ? Elle a beaucoup déçu et aujourd’hui, les chercheurs se demandent plutôt : que fait l’entrepreneur ? Cette seconde approche est qualifiée de « behavorial approach ». Elle définit une fonction entrepreneuriale et considère comme un entrepreneur toute personne qui la remplit. En décrivant ce que fait l’entrepreneur, on peut identifier tel ou tel individu comme entrepreneur. Comment passer de l’idée à l’acte d’entreprendre par exemple. Comment développer son activité par exemple. 23 Par potentialités, on peut lister les ressources de tous ordres que possède en puissance un pays, un groupe humain, un individu. Certaines des caractéristiques favorables au développement de comportements entrepreneuriaux peuvent être rattachées à la notion de potentialités. F. Danvers dans son ouvrage 700 mots-clefs pour l’éducation définit cette notion « pour caractériser ce qui chez l’individu existe « en puissance » ou pour désigner des capacités individuelles d’actions ou de production éventuellement non employées. Le plus souvent synonyme de possibilités ». 22 21 6 Bien qu’il soit passé dans le vocabulaire de tous les jours dans le monde anglo-saxon et que son équivalent francophone soit un thème d’actualité pour de nombreux acteurs, le concept d’entrepreneuriat, et par conséquent son personnage principal l’entrepreneur, semble difficilement trouver une définition qui puisse faire l’unanimité. Il est en effet admis que l’entrepreneuriat est un concept difficile à définir car les entrepreneurs et les activités entrepreneuriales ne sont pas aisées à identifier et à étudier tant le phénomène est compliqué, équivoque et vague24. A. Vers une tentative de définition de l’entrepreneur Avant de présenter les différentes conceptions théoriques de l’entrepreneur, il nous semble important de situer au préalable le champ de l’entrepreneuriat et son évolution dans le temps. F. Danvers25 définit l’entrepreneuriat comme un « nouveau concept pédagogique, qui n'est ni une discipline, ni une matière, mais une attitude consistant à promouvoir sous différentes formes, notamment dans l'enseignement, la démarche de création d'entreprise »26. 1) Le champ de l’entrepreneuriat En référence aux travaux d’A. Fayolle, il est possible d’identifier au moins trois dimensions génériques27 liés au champ de l’entrepreneuriat : un phénomène économique et social, un objet de recherche et enfin un domaine d’enseignement. a) Un phénomène économique et social Pour ce qui est de la dimension économique et sociale, l’entrepreneur a un rôle particulier et indispensable dans l’évolution du système économique libéral. Cette idée reprise par A. Fayolle a été mentionnée par O. Gélinier28 qui souligne que « […] Les statistiques de croissance économique, d’échanges internationaux, de brevets, licences et innovation pour les trente dernières années établissement solidement ce point : il en coûte cher de se passer d’entrepreneurs ». Les apports à l’économie et à la société concernent la création d’entreprise, 24 25 T. Volery et I. Servais, 2000. Professeur de psychologie de l'éducation , membre de l'Equipe d'Accueil PROFEOR, Directeur du SUAIO de Lille III, chargé de mission Université-Entreprises, Directeur du Master "Conseil en développement des compétences et en valorisation des acquis", (UFR des sciences de l'éducation). 26 F. Danvers, (en cours de réalisation) - Anthropologie de l'orientation, version n°3, remaniée et augmentée. 27 A. Fayolle, 2004 : 67. 28 Nouvelle direction de l’entreprise personnaliste et compétitive, Hommes et Techniques (1979), cité par A. Fayolle, 2004 : 67. 7 la création d’emplois, l’innovation, le développement de l’esprit d’entreprendre dans les entreprises et les organisations et l’accompagnement de changements structurels. b) Un objet de recherche : le rôle structurant de trois courants de pensée En tant qu’objet spécifique de recherche, A. Fayolle souligne l’existence de trois courants de pensée qui selon lui jouent actuellement un rôle structurant. Il s’agit de ceux traitant de l’émergence organisationnelle, de l’identification et l’exploitation des opportunités et enfin de la dialogique individu et création de valeur. • L’émergence d’une nouvelle organisation, un critère primordial Le premier courant de pensée, initié par W. B. Gartner, défend l’idée que l’entrepreneuriat est la création d’une nouvelle organisation. Ce courant rassemble notamment des chercheurs français comme H. Bouchikhi, E. M. Hernandez et T. Verstraete. Pour ce dernier (1999), l’entrepreneuriat est vu comme un système complexe et un type spécifique d’organisation qui est impulsé par un entrepreneur. Cet entrepreneur agit pour tenter de concrétiser, au sein de la structure, la vision qu’il se fait de cette organisation. Il est donc indispensable pour lui d’étudier les activités permettant à un individu de créer une nouvelle entité. Selon le mode d’exploitation retenu, le processus sera entrepreneurial ou non. • L’identification d’opportunités comme point de départ du processus entrepreneurial La seconde conception est basée sur la notion d’opportunité entrepreneuriale, portant essentiellement sur l’émergence d’une nouvelle activité économique qui n’est pas forcément liée à l’émergence d’une nouvelle organisation. Dans ce courant de pensée, l’identification d’opportunités est le point de départ du processus entrepreneurial29. A. Fayolle comme d’autres chercheurs pensent au contraire que l’opportunité entrepreneuriale se construit au cours du processus de création de l’activité. 29 A. Fayolle définit le processus entrepreneurial comme « un système dynamique qui évolue dans le temps et qui est soumis à des échanges avec son environnement, lesquels échanges ont une influence sur son évolution. […]. Il tient au cheminement d’un individu qui, à un moment de son existence, s’interroge sur l’acte d’entreprendre, le prépare et s’apprête à donner une orientation entrepreneuriale à sa vie professionnelle », 2003 : 14. 8 • L’individu, une condition nécessaire pour la création de valeur La troisième école, à laquelle appartient notamment C. Bruyat, souligne que l’individu est une condition nécessaire pour la création de valeur, qu’il en détermine les modalités de production et l’ampleur. Il est l’acteur principal et l’entreprise en est le support. Pour lui, une situation entrepreneuriale peut être appréciée selon deux axes : le degré de changement impliquant un niveau de risque dans l’accès à la fonction entrepreneuriale d’une part ; et l’intensité de la création de valeur à travers le potentiel contenu dans un projet ou une innovation portée par ou un plusieurs individus, d’autre part30. Le couple individu/objet est essentiel dans ses recherches. c) Un domaine d’enseignement Comme le mentionne C. Léger-Jarniou31 dans sa contribution portant sur la promotion de l’esprit d’entreprendre (2001), la première question qui se pose est de savoir si l’entrepreneuriat peut s’enseigner. Selon l’auteure, ces questions renvoient à celles qui séparent l’inné de l’acquis. Elle conclue que la juste réalité doit se situer entre ces deux extrêmes. Un peu d’inné ne nuit pas mais l’acquisition de connaissances n’est par ailleurs jamais superflue. Un rapport présenté, en juin 2005, par le ministère de l’Education nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, portant sur Les aides à la création d’entreprise innovantes à partir de la recherche publique : bilan des dispositifs et analyse des entreprises concernées, souligne que, fin 2004, l’OPPE32 recensait 176 actions de sensibilisation et de formations à l’entrepreneuriat menées au sein de 102 établissements, sous des formes diverses et variées selon les objectifs recherchés, les compétences et les moyens disponibles. A ce sujet, A. Fayolle semble convaincu que les méthodes classiques d’enseignement ne sont pas adaptées et qu’il faille davantage privilégier le développement de compétences et de savoirfaire portant sur des situations et des comportements spécifiques intégrés dans un processus soumis à l’influence des facteurs contextuels et temporels. F. Grignon33 souligne quant à lui qu’il serait nécessaire de systématiser des contacts réguliers avec la vie active, ce dès le primaire ou le secondaire, afin de développer l’esprit d’initiative et sortir de l’esprit d’assistanat et la recherche d’un « statut » qui incite trop souvent à intégrer A. Fayolle, 2003 : 19. Maître de conférence habilitée en sciences de gestion. 32 Observatoire des Pratiques Pédagogiques en Entrepreneuriat. 33 F. Grignon, 1998 : 20. 31 30 9 le secteur public ou les grandes entreprises privées. Pour lui, la culture d’entreprise doit faire partie intégrante de notre culture générale. Le concept d’entrepreneuriat semble donc intéresser de nombreux acteurs et faire l’objet d’un vaste domaine d’étude. Depuis son origine, on a cherché à définir l’entrepreneur de façon souvent disparate à tel point qu’il n’existe toujours pas d’accord précis sur ce que serait réellement la définition de l’entrepreneur. Comme le mentionne A. Fayolle en faisant référence aux propos de M. Marchesnay, « la notion d’entrepreneur est l’une des plus controversées et des plus chargées de sens [..] »34. 2) Une notion présente depuis des siècles En France, durant le Moyen Âge35, le mot « entrepreneur » est déjà usité et définit simplement une personne qui assume une tâche. Puis, il désigne un personne hardie, peu honnête, prompte à prendre des risques financiers, car l’enrichissement par la réussite commerciale était l’unique moyen laissé à ceux qui ne se soumettent pas à l’ordre du clergé et de la noblesse (les marginaux en l’occurrence) de se faire une place dans une société très hiérarchisée et rigide. Au XVIème et XVIIème siècle, l’entrepreneur, personnage très actif, est celui qui entreprend quelque chose en se livrant à la spéculation, ce qui en fait un individu peu recommandable. En 1723, le dictionnaire universel du commerce publié à Paris définit l’action d’entreprendre comme « se charger de la réussite d’une affaire, d’un négoce, d’une manufacture, d’un bâtiment »36. En 1755, dans leur encyclopédie, D’Alembert et Diderot évoquent simplement l’entrepreneur comme « celui qui se charge d’un ouvrage »37. De même, dans le dictionnaire de la langue française que E. Littré a publié en 1889, la définition de l’entrepreneur est floue : « celui qui entreprend quelque chose ». On peut noter que le concept d’entrepreneur fait toujours référence à l’acte d’entreprendre. L’analyse de l’évolution de la perception de l’entrepreneuriat dans la pensée économique nous aide à cerner au mieux cet élément essentiel. A cet effet, trois économistes ont 34 35 1995 :153. Le Moyen Âge est la période de l'Histoire située entre l'Antiquité et la Renaissance. Traditionnellement, on fait commencer le Moyen Âge en 476 (date de la déposition du dernier empereur romain d'Occident par un chef barbare) et il s'achève en 1492 (date de la découverte du continent américain par Christophe Colomb et de la fin de la Reconquista en Espagne). 36 S. Boutillier, 1999 : 18. 37 A. Fayolle, 2003 : 13. 10 considérablement influencé leur époque et la vision que l’on peut avoir de l’entrepreneur : R. Cantillon, J. B. Say et J. Schumpeter. 3) La pensée économique comme base historique a) Le risque du non probabilisable pour R. Cantillon D’origine irlandaise, R. Cantillon38 est le premier à définir, en 1755, l’entrepreneur et à intégrer les difficultés liées à l’imprévisible et l’incertain que rencontre cet individu. La définition qu’il propose est en quelque sorte le reflet de la réalité économique précapitaliste39. Pour lui, l’entrepreneur n’exerce pas ses talents dans un secteur économique spécifique, tel l’industrie, le commerce ou l’agriculture. Il représente celui qui assume le risque de l’incertain peut importe le secteur. Il s’engage de façon ferme vis-à-vis d’un tiers en faisant l’acquisition des moyens nécessaires à un prix certain sans garantie de ce qu’il peut attendre. En effet, il envisage de revendre ces moyens, tels que des biens ou des services, mais à un prix incertain. A ce titre, le fermier, le marchand, l’artisan, quelque soit l’activité, entrent dans la catégorie des entrepreneurs. Savoir prévoir les risques et affronter l’incertain sont des aspects entrepreneuriaux à retenir de son analyse. b) Un coordinateur selon J-B. Say J. B. Say40, en 1803, définit l’entrepreneur comme celui qui réunit et combine des moyens de production. Il le présente comme un coordinateur : « l’entrepreneur met à profit les facultés les plus élevées et les plus humbles de l’humanité. Il reçoit les directions du savant et les transmet à l’ouvrier »41. Pour cet auteur, l’entrepreneur est un personnage central, qui peut être un chef d’entreprise, propriétaire ou non, et plus largement un responsable d’une ou plusieurs organisations. L’entrepreneur est celui qui entreprend de créer pour son compte, à son profit et à ses risques un produit quelconque. Il a un rôle charnière entre les sciences et techniques et doit savoir, prévoir, organiser, commander, coordonner et contrôler42. Pour 38 39 40 Banquier dit-on avisé et grand voyageur. Antérieur à l’époque capitaliste. J.B. Say est né en 1767 à Lyon, d'une famille de protestants. Il est l’un des maîtres de la doctrine libre-échangiste. Auteur du premier traité d'économie politique, il est considéré comme un vulgarisateur d'Adam Smith, dont il clarifie, précise et corrige les théories. Son apport personnel peut se résumer en trois points : le principe selon lequel la valeur n'est pas le travail mais l'« utilité » ; la « loi des débouchés » ; le rôle fondamental de l'entrepreneur. Son influence a été considérable durant la seconde partie du XIXème siècle. 41 S. Boutillier, 1999 : 26. 42 T. Verstraete, 1999, 83. 11 gérer au quotidien son entreprise, l’entrepreneur combine les « services productifs naturels », tels le travail et le capital, et doit connaître l’état du marché. Il a la « tête habituée au calcul » pour être en mesure de « comparer les frais de production avec la valeur que le produit aura lorsqu’il sera mis en vente »43. Pour surmonter l’obstacle de la mévente, il ne peut s’en remettre à la routine. Il doit sans cesse innover et donc avoir « le talent d’imaginer tout à la fois les meilleures spéculations et les meilleurs moyens de les réaliser »44. Pour ce faire, J. B. Say souligne que la fortune n’est pas nécessaire, que le recours au crédit peut être une solution. L’ensemble de ces qualités appliquées à des fonctions particulières rend possible, pour Say, l’appellation du métier d’entrepreneur, uniquement envisageable dans une société capitaliste. Posséder des talents managériaux et savoir faire face aux risques liés à la combinaison de facteurs de productions sont les principales caractéristiques à retenir de la théorie de J. B. Say, davantage axée vers « l’industriel » plutôt que le « comportemental ». c) Des fonctions économiques selon J. Schumpeter J. Schumpeter45 perçoit clairement les mécanismes de concurrence et d’accumulation qui sous tendent la dynamique de la société capitaliste et il tentera, dans un premier temps, de les intégrer dans un cadre conceptuel libéral. Ceci explique l’entrée en scène de l’entrepreneur. D’une manière générale, l’entrepreneur Schumpétérien idéal, comme celui de J. B. Say, est un entrepreneur héroïque. Pour J. Schumpeter, l’entrepreneur est celui qui introduit et conduit l’innovation tout en prenant des risques. L’innovation ou l’utilisation de nouvelles combinaisons de moyens de production peut revêtir différents aspects. Il peut s’agir de la fabrication d’un bien nouveau, d’une nouvelle méthode de production, de la conquête d’un nouveau débouché, de l’introduction d’une nouvelle matière première ou de produit semi œuvrés, de la réalisation d’une nouvelle organisation de la production46. Il accorde donc une grande place à l’innovation, au sens large du terme, essence même du développement économique. Tiré de J.B. Say (1841) - Traité d’économie politique, Paris, 969 pages, Boutillier et Uzunidis (1999) - La légende de l'entrepreneur : le capital social ou comment vient l'esprit d’entreprise. 44 S. Boutillier, 1999 : 27. 45 J. Schumpeter, né en 1883 à Triesch en Moravie, est un des derniers économistes à maîtriser le champ entier d’une discipline dont le domaine est aujourd’hui partagé entre plusieurs spécialistes. En 1909 il est titulaire d’une chaire à l’université de Czernowitz, puis de Graz (1911). En 1912, il publie son premier ouvrage, la Théorie de l’évolution économique. Après la guerre, il est tenté par la vie politique et pendant un an, il est ministre des finances d’un gouvernement socialiste. En 1932, il accepte la chaire de l’université d’Havard où il restera jusqu'à sa mort (1950). Ses principales oeuvres sont Capitalisme, socialisme et démocratie (1942) et l’Histoire de l’analyse économique (ouvrage posthume). 46 E. M. Hernandez, 1999 : 17. 43 12 Pour lui, contrairement à J. B. Say pour qui l’entrepreneur peut être à la fois savant et ouvrier, l’entrepreneur peut ne pas avoir d’emblée de « relations durables avec une exploitation industrielle »47 car il doit sans cesse exécuter de nouvelles combinaisons et donc ne pas demeurer dans une routine organisationnelle au sein d’une société. L’entrepreneur n’est donc ni une profession, ni un état durable. La notion de changement et d’innovation évoquée par Joseph Schumpeter fait que l’on se situe davantage dans une dynamique économique basée non seulement sur le risque mais aussi sur la capacité à aller à l’encontre du statu quo économique, en mettant l’accent sur le leadership48. L’approche proposée par J. Schumpeter, en 1935, identifie quatre types historiques d’entrepreneurs49 souvent déterminés par des fonctions économiques qu’ils mettent en œuvre et les positions sociales dans lesquelles ils se évoluent. On retrouve le fabriquant commerçant qui, le plus souvent, répond à un projet capitaliste, dont les fonctions sont multiples et à la transmission, qui se fait de façon héréditaire. Le capitaine d’industrie qui agit, soit par influence personnelle, soit dans le but d’acquérir la propriété ou le contrôle de la majorité des actions. Le directeur salarié dont le comportement est loin d’être capitaliste et qui peut ne pas pleinement s’intéresser aux résultats de l’entreprise. Et enfin, le fondateur qui très rapidement s’implique fortement au début de la vie de l’entreprise pour ensuite, une fois l’affaire lancée, se retirer rapidement. On note par conséquent que, contrairement à J. B. Say, le comportement de l’entrepreneur ne pose pas en motivation principale la recherche du profit. La joie de gagner et de créer l’emporte sur la recherche du gain. Cela nous donne quelques indications sur les compétences et qualités de l’entrepreneur décrites par J. Schumpeter. Dans un esprit de synthèse, nous pouvons, si l’on s’en tient aux caractéristiques relevées par ces trois auteurs, considérer que l’entrepreneur est celui qui sait mobiliser des ressources financières dans un contexte d’incertitudes et de risques, en coordonnant les moyens nécessaires pour en tirer du profit et en mettant en action un procédé innovant, marquant une rupture dans le statu quo économique classique. Dans les lectures plus contemporaines, nous retrouvons toujours les trois axes évoqués par ces économistes tels que la prise de risques, la coordination et l’organisation débouchant sur la vente d’un bien et l’esprit d’innovation, portés par l’entrepreneur. Toutefois, les évolutions qu’a connues le concept d’entrepreneuriat au cours des quinze dernières années amènent à affiner nos perceptions. En effet, « le terme 47 48 S. Boutillier, 1999 : 30. Mot anglais (1878) : commandement, hégémonie. 49 A. Fayolle, 2004 : 62. 13 est utilisé depuis plus de deux siècles, mais nous continuons à le faire évoluer, à le réinterpréter, à réviser sa définition50 ». B. Entre être et agir, deux façons d’approcher l’entrepreneur Les recherches actuelles évoluent dans deux directions pour caractériser l’entrepreneur. Certaines recherches, dites « déterministes », se centrent sur les traits de l’entrepreneur ; tandis que d’autres, dites « comportementales » analysent plutôt le processus entrepreneurial en tant que résultat de son action. Pour nous permettre de distinguer ces deux approches, nous en établirons une présentation en prenant soin de mentionner les limites qui peuvent aller notamment à l’encontre de l’approche cherchant à construire une typologie unique de personnalités entrepreneuriales. 1) L’approche par l’entrepreneur ? les traits dite « déterministe » : qui est Qualifiée par les chercheurs américains de « trait approach », elle a longtemps dominé le champ de l’entrepreneuriat à la recherche du profil type de l’entrepreneur et surtout de l’entrepreneur qui réussit. Cette approche considère l’entrepreneur comme l’unité d’analyse afin d’en établir un profil type répondant à des caractéristiques51 personnelles spécifiques identifiées à partir de ses motivations, caractéristiques psychologiques et sociodémographiques, traits de personnalité, habiletés, réseaux, etc. Sans pouvoir être exhaustif, nous retiendrons l’explication proposée par E. M. Hernandez52 pour qui l’approche déterministe peut se résumer en évoquant trois caractéristiques principales. a) Les caractéristiques majeures de l’approche • Le besoin d’accomplissement De toutes les caractéristiques personnelles associées à l’entrepreneur, le besoin d’accomplissement est la plus ancienne et connue. Les travaux de D. McClelland, comme le E. M. Hernandez, 1999 : 46. Certaines des caractéristiques favorables au développement de comportements entrepreneuriaux peuvent être rattachées à la notion de potentialités. F. Danvers dans son ouvrage 700 mots-clefs pour l’éducation définit cette notion « pour caractériser ce qui chez l’individu existe « en puissance » ou pour désigner des capacités individuelles d’actions ou de production éventuellement non employées. Le plus souvent synonyme de possibilités ». 52 1999 : 32. 51 50 14 souligne E. M. Hernandez, ont largement contribué, dès 1961, à sa mise en exergue. En effet, les entrepreneurs se caractérisent par un besoin élevé d’accomplissement. Ils ont la volonté de se réaliser et de réaliser leurs ambitions. Ce besoin, au vu des enquêtes empiriques qui ont été menées, peut se voir associé à une volonté de créer quelque chose de nouveau ou d’appliquer des connaissances acquises antérieurement, tendant vers la recherche d’une satisfaction au travail. Mais compte tenu des controverses que cette notion a engendrées, ce besoin ne peut pas servir de repère unique pour identifier les personnalités entrepreneuriales. En effet, on s’est rendu compte que « des personnes, autres que les créateurs, pouvaient également posséder ce besoin à un niveau important »53. • L’internalité du lieu de contrôle Il s’agit de détecter la perception qu’a ou non un individu de pouvoir contrôler ce qui lui arrive. E. M. Hernandez mentionne deux types de lieu de contrôle possibles : on parlera de contrôle interne si l’individu a le sentiment, que, par son comportement, il peut influencer ce qui lui arrive ; et de lieu de contrôle externe dans le cas inverse. Les études ont montré que l’incitation à l’action est davantage affirmée lorsque les créateurs répondent à une internalité du lieu de contrôle. Ce sentiment de contrôle peut aider à saisir des opportunités pour risquer une décision. B. Aumont et P. M. Mesnier ajoutent d’ailleurs à ce sujet que « l’art de saisir des opportunités sans complète connaissance de cause ne relève pas du hasard. Celui qui en fait usage dans son domaine de compétences est imprégné d’expérience et de savoir-faire : il perçoit globalement des données, des signaux, des interrelations qui complètent ce que les programmations rationnelles, appuyées sur l’information, sont incapables de lui fournir »54. Comme pour la notion précédente, il est impossible d’énoncer ce type de perception de façon discriminante dans l’identification du créateur (un manager par exemple peut y répondre). • Le risque et l’incertitude Les notions de prise de risque55 et d’incertitude semblent faire l’unanimité lorsqu’on évoque le concept de l’entrepreneur. I. Danjou évoque d’ailleurs une double incertitude présente chez 53 54 E. M. Hernandez, 1999 : 32. B. Aumont , P.M. Mesnier, 1992 : 82. 55 Exposition à un danger. 15 les entrepreneurs, « celle qui découle du caractère imprévisible des réactions du contexte interne et externe de l’entreprise et celle qui provient du degré de capacité des porteurs de projet à percevoir, anticiper ces réactions et à composer habilement avec elle56 ». Elle ajoute que le projet, par essence, comporte des risques et que, comme on ne peut parler d’entrepreneur sans projet, l’acceptation d’une part de risque est inhérente au métier d’entrepreneur. « Toute démarche entrepreneuriale est un espace de risque57 ». On peut évoquer le risque d’ordre financier (prendre le risque de s’endetter en cas d’échec), professionnel (il est question d’incertitude lorsqu’on quitte une situation salariée pour créer son entreprise), familial (le créateur doit pouvoir se consacrer pleinement à son activité, notamment durant les premières années, accepter des réductions dans le temps de présence familial, souvent dans les sources de revenus, ce qui n’est pas sans conséquence éventuelle sur la vie de couple) et enfin, d’ordre psychique (l’engagement personnel du créateur dans son entreprise peut entraîner des modifications psychiques selon s’il réussit ou échoue). Cette notion d’exposition à un danger est également inscrite dans la définition de l’entrepreneur nous fournit The Task Force On Entrepreneurship Education58: « An entrepreneur is an individual who undertakes self-directed initiatives and assumes personal risks in creating and operating a profit-oriented business59 ». Cette définition met en avant, comme l’ont fait R. Cantillon et J. B. Say, la notion de prise de risques à titre personnel dans un but de profit. Toutefois, l’entrepreneur doit être capable, non pas d’oser prendre des risques, comme l’indique R. Cantillon, mais de les mesurer ; et par conséquent avoir une propension à la prise de risques modérés, ce qui signifie que toute prise de risque n’est donc pas bonne à prendre. Là encore, on ne peut focaliser sur la notion de prise de risque pour permettre l’identification des potentialités des personnalités entrepreneuriales. b) Les écoles de pensée déterministe L’étude sur « l’esprit d’entreprendre »60 basée sur les travaux de J. B. Cunningham et J. Lischeron (1991) présente les six écoles principales de pensée en entrepreneuriat, dont deux qui répondent à une approche déterministe. 56 57 58 I. Danjou, 2004 : 58. I. Danjou, 2004 : 59. Au Département d’éducation américain (U.S. Department of Education). 59 D. Ross (1993 : 57) en référence à Moesser (1983). 60 Conduite par le MEDEF Rhône-Alpes, l’académie de Lyon et de Grenoble. 16 • Un 6ème sens pour l’école des « grands hommes » Pour l’école des « grands hommes » basée sur la « grande personnalité », les entrepreneurs sont des êtres exceptionnels, intuitifs, à l’instinct inné, qui sont aussi de grands leaders et ont besoin des qualités de leadership pour réussir. L’entrepreneur a une capacité instinctive, un sixième sens, des traits de caractère et une intuition innés. Sans cette intuition, ces individus ressembleraient au commun des mortels. On retiendra que l’entrepreneur, pour cette école de pensée et selon A. Fayolle61, est né avec un « sixième sens, une capacité intuitive à entreprendre et à réaliser des actions spectaculaires ». De plus, il est utile de mentionner que les années 80 ont crée des mythes sur l’entrepreneur. Il n’est pas rare d’entendre que l’entrepreneur est un surhomme et on le décrit parfois par des pratiques d’actes métaphoriques de maîtrise de la peur de se « lancer ». Nous verrons, lors du travail d’enquête sur le terrain, si cet aspect relève plutôt d’une pensée magique ou si réellement, tout porte à croire qu’il faille un certain charisme pour entreprendre. • Des traits et un passé psychologique pour l’école des caractéristiques psychologiques Cette école met l’accent sur les facteurs personnels et les valeurs uniques des entrepreneurs, tels le besoin d’accomplissement, la propension au risque relevés par E. M. Hernandez. A. Fayolle résume cette école de pensée en indiquant que l’entrepreneur a des caractéristiques psychologiques uniques (valeurs, attitudes, besoins) qui le guident dans le processus entrepreneurial. Toujours dans le domaine de la psychologie, l’approche faite par M. Barry62 semble surprenante. En plus d’attributs relatifs au désir d’autonomie, de réalisation individuelle et de statut, l’entrepreneur aurait eu une enfance peu heureuse, des difficultés dans l’adolescence, du mal à s’établir dans une carrière et à adapter ses buts à ceux d’une organisation, l’amenant par conséquent, à créer sa structure. Il serait souvent issu d’une famille où le chef a lui aussi créé son propre emploi, anxieux même face au succès qu’il pressent souvent comme un préalable de l’échec. Enfin, il aurait tendance à agir par impulsion, aurait des relations plutôt autocratiques avec ses collaborateurs et un fort besoin d’accomplissement. Parmi les caractéristiques évoquées et outre les facteurs tels le désir d’accomplissement, de pouvoir et d’indépendance, T. Verstraete ajoute l’imagination, la confiance en soi, 61 62 Cité dans l’étude définissant les valeurs et aptitudes qui caractérisent l’esprit d’entreprendre, L. Cachot., I. Servais., G. Copin (2002). Citée par T. Verstraete, 1999. 17 l’enthousiasme, la ténacité, le goût par la direction et la résolution de problèmes […] »63. Il souligne toutefois qu’il convient d’être conscient de la singularité de chaque cas. Il est important de considérer les limites exposées à l’encontre de cette approche. 2) Des limites à l’analyse « déterministe » a) Des profils disparates et pluriels de personnalité De telles approches cherchant à établir les profils de personnalité sont de plus en plus critiquées. En effet, malgré de nombreuses recherches empiriques, il semble difficile et mal avenu de chercher à dresser une typologie unique des personnalités de l’entrepreneur qui distinguerait clairement celles d’entrepreneurs des non-entrepreneurs. Ce positionnement est adopté par E. M. Hernandez64 qui estime que « toutes les recherches visant à identifier un critère discriminant entre créateur et non créateur, entre ceux qui réussissent et ceux qui échouent […] ont été vaines et à ce jour, aucun chercheur n’a encore trouvé le critère discriminant idéal ». En se référant aux propos d’I. Bull et G. E. Willard relevés dans un article intitulé « Towards a theory of entrepreneuship65 », il conclue qu’« apparemment, il n’y a pas d’entrepreneur typique ». Pour W. B. Gartner, un cumul des traits de personnalités identifiés chez les auteurs amène à définir un profil si pluriel qu’il est digne de représenter le genre humain dans son ensemble. Il propose d’ailleurs un modèle dont le grand nombre de variables fait ressortir l’extrême dimensionnalité du phénomène entrepreneurial (individuelle, environnementale et processuelle), ce qui démontre bien la grande difficulté que présente l’étude de l’entrepreneuriat. Comme le mentionne D. Ross66, les chercheurs, insatisfaits d’une telle nomenclature disparate ont cherché à identifier les types d’entrepreneurs : entrepreneur innovateur, administrateur, artisan, opportuniste, interne, indépendant, réel, quasientrepreneur, artisan inventeur, promoteur, gérant général etc. Cette auteure fait référence au chercheur Scanlan (1980) qui a observé que l’entrepreneur artisan avait un profil artistique et que l’entrepreneur opportuniste avait un profil entrepreneur artiste et instigateur. La plupart des études sur la personnalité professionnelle de la personne, dessinées par ses préférences, habiletés et intérêts professionnels, se basent sur la typologie de J. Holland. 63 64 1999 : 80. 1999 : 34. 65 Mot anglais pour désigner l’entrepreneuriat. 66 1993 : 55. 18 Ce dernier a identifié six types de personnalités vocationnelles : le type artistique qui aimé créer, refaire le monde à sa manière et qui est souvent décrit comme étant compliqué, indépendant, original, idéaliste, intuitif et peu pratique ; le conventionnel pour qui l’important est de soutenir l’organisation, souvent présenté comme étant inhibé, persistant, conformiste, maître de lui-même (calme), peu imaginatif, consciencieux, méthodique, discipliné, pratique, conservateur, obéissant et soigné ; le réaliste qui aime manipuler des appareils, qui est à l’affût de toute technologie pour transformer la matière et décrit comme étant asocial, matérialiste, persistant, franc, pratique, honnête, modeste, réservé, humble, naturel et stable ; l’entreprenant qui veut persuader, convaincre les autres et diriger, souvent décrit comme étant doué pour le leadership, aventureux, énergique, sociable, ambitieux, impulsif, sûr de lui, aimant la vie, optimiste, un peu tapageur, autoritaire et populaire ; l’investigateur pour qui apprendre, découvrir et chercher est la raison d’être et dont les qualités s’orientent souvent vers l’analyse, l’indépendance, la modestie, la circonspection, l’intellect, la précision, la critique, l’introversion, la rationalité, la curiosité, la méthode et la réserve ; enfin, le social qui veut toujours directement aider les gens, les informer ou leur enseigner et qui est souvent décrit comme étant bienveillant, délicat, responsable, convaincant, généreux, serviable, compréhensif, idéaliste, sociable, coopératif, perspicace et sympathique. Dans son modèle hexagonal portant sur les intérêts professionnels, J. Holland définit le type d'un individu à partir de son score le plus élevé à l'une des six échelles du Vocational Preference Inventory (VPI ou Inventaire vocationnel de préférence) ou d'une autre épreuve construite à partir de la théorie. Comme le mentionne D. R. Simard, « à ces six types de personnalité correspondent six visions différentes du monde du travail, six représentations de la tâche à accomplir, de travail à faire »67. Il est toutefois important de préciser que la description de chaque type de personnalité vocationnelle se rapporte surtout à des extrêmes et 67 En référence à l’ouvrage de D. R. Simard Travail et personnalité, article de D. Montigny publié dans la revue Contact, Université de Laval, automne 1996. D. R. Simard est depuis 1978 professeur-chercheur au département d’orientation et d’évaluation de la Faculté des sciences de l’éducation et a publié des ouvrages marquants dans le domaine : Etapes de vie au travail (1984) précisant les étapes dans la trajectoire suivie par tout adulte au travail ; Carrières et classes sociales (1990) montrant comment, selon leur appartenance sociale, les gens vivent ces étapes ; Transitions professionnelles : choix et stratégies (1993), proposant des moyens concrets afin de mieux réussir les étapes et les transitions au travail, etc. 19 qu’il est rare qu’une personne corresponde à un type pur et rencontre toutes les caractéristiques mentionnées dans le modèle de J. Holland. b) Une approche à usage essentiel de sensibilisation Nous pouvons dire que l’approche par les traits correspond à une approche descriptive qui peut permettre, par la définition d’attributs, d’identifier l’entrepreneur ou tout au moins ses prédispositions à la création d’entreprise. Comme le mentionne T. Verstraete dans son ouvrage (1999), on peut considérer que l’approche par les traits peut permettre de sensibiliser les futurs créateurs potentiels à identifier leurs forces et faiblesses. Pour compléter notre analyse, il reste à décrire l’approche par les faits. Cette approche place l’entrepreneur comme un véritable acteur et se doit d’être complémentaire à l’approche par les traits. En effet, la recherche du profil type par les traits semble trop restrictive compte tenu de la « réalité polymorphe et protéiforme, complexe et pluridimensionnelle, unitaire et perçue très différemment de l’entreprise » 68, et donc de l’entrepreneur. Comme le souligne W. B. Gartner en 1989, la recherche sur l’entrepreneur devrait se focaliser sur ce qu’il fait et non sur ce qu’il est69. 3) L’approche par les faits dite « comportementale » : que fait l’entrepreneur ? a) L’accent mis sur « l’agir » L’approche « comportementale » qualifiée de « behavorial approach » par W. B. Gartner en 1988 envisage l’entrepreneur comme un élément déterminant du processus complexe de la création d’entreprise. L’entrepreneur est vu comme le centre d’un ensemble d’activités impliquées dans la création d’une organisation. Il est considéré comme un individu possédant un jeu de qualités, mettant à profit celui-ci pour la tâche et sa fonction dans un processus entrepreneurial. L’accent est donc mis sur l’agir, c'est-à-dire ce que l’entrepreneur fait, comment il se comporte parce qu’il joue un rôle important et prépondérant dans le démarrage de l’activité. 68 69 J.G. Mérigot, Encyclopédie Vuibert du management cité par E. M. Hernandez, 1999 : 46. Dans son article « Entrepreneurship theory and practice: who is entrepreneur? is the wrong question ». 20 b) Les écoles de pensée dite comportementale Trois des six écoles présentées par B. J. Cuningham et J. Lischeron en 1991 abordent l’optique selon laquelle l’entrepreneuriat est plus qu’un ensemble de traits individuels, dépassant l’approche dite déterministe décrite plus haut. • L’école classique : une réelle créativité et une capacité d’innovation Elle présente l’entrepreneur comme quelqu’un qui innove, un créatif. De ce fait, l’entrepreneur génère des opportunités grâce aux fruits de ses recherches. Cette école note aussi que la créativité est souvent associée à des comportements anti-sociaux et que le créateur, motivé par des besoins très personnels, ne semble pas s’intéresser aux réactions des autres. C’est un individualiste qui agit au nom de mobiles personnels70, qui fait preuve de détermination, d’une image très positive de lui-même, d’une grande confiance dans ses actions et qui définit ses projets et ses perspectives en fonction de lui-même. Nous notons que la notion d’innovation est souvent indissociable de l’entrepreneuriat. T. Volery l’évoque dans la définition qu’il donne de l’entrepreneuriat « comme un processus, mis en œuvre par une ou plusieurs personnes, d’identification et de transformation d’opportunités en un nouveau produit ou service, de manière indépendante ou dans le cadre d’une entreprise existante »71. L’auteur précise que l’innovation peut provenir du produit (un nouveau produit peut présenter des caractéristiques ou une performance offrant au consommateur des services nouveaux, ou améliorés, répondant mieux à ses besoins), du procédé (un nouvel équipement, une matière différente), d’un choix organisationnel (cela suppose un travail en équipe et une implication importante des employés) ; ou encore d’un moyen de distribution (une entreprise peut avoir ses propres vendeurs et confier sa distribution à des sous-traitants). A. Fayolle résume cette école par : « la caractéristique essentielle du comportement entrepreneurial est l’innovation. Les entrepreneurs doivent donc témoigner d’une réelle créativité et d’une capacité à innover ». 70 71 Schumpeter 1934, McClelland 1961, Meyer, Walker et Litwin, 1961, Brockaus 1980, Ronen, 1983. 2002 : 77. 21 • L’école du management : un sens de l’organisation et du management Les entrepreneurs sont vus comme des organisateurs de processus de création, de richesses économiques. Ce sont des personnes qui organisent, gèrent et assument les risques. L’entrepreneur démontre une grande capacité d’analyse des informations complexes et incertaines. Pour J-M. Toulouse72, « l’entrepreneur peut se caractériser par l’adhésion à des valeurs plus individuelles que collectives, un risque recherché ou accepté assez fort et un intérêt pour le développement beaucoup plus que pour le fonctionnement »73. Pour le professeur Y. Gasse, l’entrepreneur est « celui qui fait que les choses arrivent […], celui qui mobilise les ressources humaines et matérielles, les rassemble, les organise en vue de la réalisation d’un objectif, d’une vision […] »74. Il définit ainsi l’entrepreneuriat comme une appropriation et une gestion des ressources humaines et matérielles, dans le but de créer, développer et d’implanter des solutions permettant de répondre aux besoins des individus. Nous sommes proche de la conception décrite précédemment par J-B. Say qui considère l’entrepreneur comme une pièce maîtresse de l’échange économique. Pour A. Fayolle, l’école du management aurait comme axe principal la vision des entrepreneurs comme « des organisateurs de processus de création de richesses économiques. Ils poursuivent des opportunités et s’efforcent de les concrétiser en utilisant des techniques appropriées de gestion et de management ». • L’école du leadership : une synergie collective nécessaire Elle repose sur l’hypothèse que l’entrepreneur a besoin de l’aide de ses collaborateurs pour réussir son entreprise. Cette vision de la situation envisage plutôt le rôle de motivation que doit exercer le créateur afin de s’assurer cette collaboration. Dans certains cas, l’entrepreneur apparaît comme un individu peu ordinaire, doté de caractéristiques psychologiques spécifiques, voire de capacité intuitive à entreprendre. Dans d’autres, il apparaît comme un manager capable d’innover, d’organiser et d’agir, ou comme Directeur de l’Ecole des Hautes Etudes Commerciales à Montréal, Canada. (1984) E. M. Hernandez, 1999 : 47. 74 Y. Gasse, cité dans le rapport du CESR (2000 : 3), est professeur titulaire d’entrepreneuriat à la Faculté des sciences de l’administration de l’Université Laval au Québec et directeur du centre d’entrepreneuriat et de PME. Ses champs de recherche se situent surtout dans les domaines des caractéristiques et prédispositions des entrepreneurs, de la gestion stratégique des PME, ainsi que les nouvelles technologies dans les petites firmes. 73 72 22 un détecteurs d’opportunités, capable d’évoluer dans des situations et contextes variés. Il ne semble donc pas y avoir de profil type de l’entrepreneur, mais plutôt une adaptation de l’individu à un rôle, une fonction, un contexte, activée au sein d’un véritable processus qu’il construit de manière organisée. Nous aborderons dans ce qui suit les différentes situations et potentialités entrepreneuriales en précisant notamment les raisons pour lesquelles notre recherche s’est centrée sur la création d’entreprise. II. Les situations et les potentialités entrepreneuriales A. Les situations entrepreneuriales Pour présenter les situations entrepreneuriales, nous nous baserons sur les propos de E. M. Hernandez qui décrit les divers aspects que peut prendre la démarche entrepreneuriale au sens large du terme75. 1) Les différents aspects d’une démarche entrepreneuriale Une démarche peut être considérée comme étant entrepreneuriale dans différentes situations. On peut mentionner la PMIsation juridique qui correspond au transfert d’une activité préexistant dans l’entreprise à une structure juridique indépendante. La création d’une filiale par un entrepreneur qui veut développer ou élargir ses activités en création pour se faire un cadre nouveau correspond également à une démarche entrepreneuriale. Le franchisé qui crée une nouvelle activité commerciale, industrielle ou de service en suivant un modèle mis au point par un franchiseur et avec son appui est un autre exemple. L’essaimage76 qui consiste à aider un salarié à se lancer dans une activité indépendante correspond également à une démarche de type entrepreneurial. Au démarrage, « l’essaimé » travaille souvent en sous-traitance pour son ancien employeur 75 76 1999 : PP 19-21. Pour H. Daval, l’essaimage est une pratique qui se manifeste lorsqu’un employé entreprend de créer ou de reprendre sa propre structure, indépendante de la première, en bénéficiant, de la part de l’entreprise qu’il quitte, de diverses formes d’appui et d’accompagnement afin de limiter le risque d’échec (P. A. Fortin, 2002, PP.179-180). L’essaimage permet aux grands groupes d’ajuster leurs effectifs et de développer des projets ou activités : externalisation d’une activité, valorisation de technologies, de brevets, de marques inexploitées par l’entreprise. Cette pratique existe déjà chez des grands groupes comme Air France, Aventis, Schneider Electric mais qu’entend développer le gouvernement. 23 (« l’essaimeur ») puis, petit à petit, diversifie sa clientèle et conquiert son indépendance véritable. On peut également mentionner l’acquisition ou la reprise d’une entreprise préexistante, saine ou en difficulté, par un acheteur détenteur de capitaux. Enfin, la création ex nihilo, qui, en reproduisant, imitant ou innovant, représente la forme la plus pure de l’entrepreneuriat. Toutes ces situations sont très différentes les unes des autres, même si des invariants apparaissent tels que l’incertitude, le risque, le changement, la création de valeur, la dialogique homme et projet… Elles peuvent être la résultante de choix librement consentis, être liées au hasard ou encore à la nécessité, lors de transitions résultant de ruptures professionnelles ou personnel par exemple. 2) La création ex nihilo a) La forme la plus pure de l’entrepreneuriat La création nouvelle ou ex nihilo résulte de la création, par un individu, seul ou avec quelques associés, d’une entreprise indépendante jusqu’alors inexistante et autonome juridiquement, ne reposant donc sur aucune structure préexistante. Pour une majorité d’auteurs, seul ce type de création où rien ne préexiste mérite le nom d’entrepreneuriat. « Le summum de la démarche est la création ex nihilo d’une entreprise innovante, et certains puristes s’inscrivant dans la lignée de Schumpeter considèrent que seul ce créateur mérite le nom d’entrepreneur »77. Pour I. Danjou, un créateur d’entreprise peut très bien, au-delà de la phase pionnière de son projet de croissance, perdre sa dimension d’entrepreneur. b) La progression des créations ex nihilo en France Actuellement, les français semblent avoir retrouvé le goût d’entreprendre. L’INSEE montre (dans l'ensemble des secteurs de l'économie) que les créations d'entreprises ex nihilo ont fortement progressé en 2003 (+12 %)78. Il ne s'était jamais créé autant d'entreprises depuis 1993. En 2004, la progression du nombre de création d'entreprise semble se confirmer. Ainsi, 77 78 E. M. Hernandez, 1999 : 21. http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/IP944.pdf. 24 environ 230 000 nouvelles affaires devraient voir le jour cette année, contre 200 000 l'an dernier. Selon les dernières données publiées par l’INSEE en septembre 2004, les créations « pures » ont d'ores et déjà progressé de 13,4 % au cours des trois derniers mois. Mais le phénomène de recrudescence de l'entrepreneuriat en France doit désormais se concrétiser par la pérennité des entreprises créées et leur développement. Les études sur la création d'entreprise ont déjà démontré que traditionnellement dans l'hexagone sur la totalité des créations, seule une entreprise sur deux parvient à passer le cap des cinq ans d'existence. Le taux d'échec des nouvelles entreprises est de 18 %, le taux d'abandon de 15 %. Les entreprises de technologies innovantes ont un taux de survie supérieure à la moyenne de vingt points, en particulier si elles ont bénéficié d'un accompagnement adéquat79. c) Les raisons de nous intéresser à la création d’entreprise Sans pouvoir être exhaustif, une des raisons de nous intéresser à la création d’entreprise relève de son impact économique et social. Une autre porte sur l’évolution culturelle actuelle qui pousse les individus à entreprendre et à considérer le créateur d’entreprise comme le « héros des temps modernes »80. Enfin il faut avoir conscience de la nécessaire place accordée à la notion d’innovation dans nos sociétés post industrielles, qui peut s’effectuer par le biais de la création d’entreprise. • Un impact économique et social évident Au travers des différentes lectures, nous constatons que l’entrepreneuriat est un concept prisé. Cet intérêt a pour origine le dynamisme perçu des entreprises notamment en terme d’emplois crées. Inutile de préciser que la création d’entreprise et d’activités nouvelles est unanimement perçue comme « étant des phénomènes vitaux pour notre société post-industrielle, par leur contribution à la régénération et au développement de notre économie »81. En effet, « la création d’entreprise et d’activités nouvelles est l’un des principaux vecteurs de création d’emplois »82. 79 80 Informations tirées de la lettre de l’innovation, ANVAR, numéro 33. B. Aumont, P. M. Mesnier, 1992 : 58. 81 A. Fayolle, 1999 : 4. 82 F. Grignon, 1998 : 20. 25 • Une évolution culturelle : vers l’ère de la responsabilisation de soi L’évolution culturelle pousse les individus à entreprendre83. La fin du salariat et le développement de formes nouvelles de travail comme la pluriactivité ou l’activité indépendante incitent de plus en plus les individus à être plus autonomes et responsables, « employeurs d’eux-mêmes »84. Pour A. Ehrenberg (1991), le nouvel individu aujourd’hui valorisé est « souple, mobile, autonome, indépendant, trouve par lui-même ses repères dans l’existence et se réalise par son action personnelle »85. On encourage et valorise les nouveaux entrepreneurs : les grandes écoles commerciales ont construit des dispositifs comme les « juniors entreprises » « où les élèves les plus avancés peuvent « se faire les dents » sur des projets en grandeur réelle »86 ; les médias rendent compte d’une fascination pour la création d’entreprise et pour les entrepreneurs décrits comme de véritables héros populaires. Nous serions entrés dans l’âge de « l’individu quelconque » où n’importe qui doit produire sa propre vie dans son action personnelle, sans pouvoir se reposer sur des institutions qui agissent à sa place et parlent en son nom. La création d'entreprise est un vecteur puissant de réinsertion et le contexte économique incite bon nombre de demandeurs d’emplois à tenter l’aventure de l’entreprise. A ce sujet, Le Monde Initiatives du mois de novembre 2004 précise que les chômeurs créateurs d’entreprise représentent quelques 40 % du total des créateurs. Une enquête IFOP87 citée dans Les Echos du 8 juillet 2004 indique également que l’envie de se mettre à son compte est plus forte chez les chômeurs : 25 % déclarent avoir un projet précis pour créer leur propre activité contre 12, 5% du total des français et il semble que la démarche ne soit pas un choix forcément contraint par la situation économique. Une étude publiée en juillet 2004 par l'APCE et l'ANPE indique que 59 % des chômeurs créateurs avaient déjà un projet d'entreprise avant de perdre leur emploi88. En langage clair, on rentre dans l’ère de la responsabilisation de soi, de son avenir et de son succès. 83 Cette soudaine promotion de l’action d’entreprendre comme valeur et principe d’action […] fait de la réussite entrepreneuriale, à l’instar du sport aventure, un véritable système de normes qui s’adresse à tous, quelle que soit la place de chacun dans la hiérarchie sociale » (Alain Erenberg, 1991 cité par Aumont, Mesnier, 1992 : 28). 84 « Self employed », A. Gorz cité par M. Madoui, 2004 : 93. 85 B. Aumont, P. M. Mesnier, 1992 : 264. 86 Aumont, Mesnier, 1992 : 57. 87 Institut français d'opinion publique. 88 http://www.pme.gouv.fr/actualites/secret/commu/2004/c07072004_2.htm. 26 • La place de l’innovation dans un contexte accru de concurrence L’innovation, dans le contexte accru de concurrence que l’on connaît dans notre pays, et devenue indispensable si l’on souhaite maintenir un bon niveau de réactivité et demeurer compétitif à long terme. N. Alter définit l’innovation comme « l’ensemble des activités consistant à transformer une idée en objet commercialisable […]. L’innovation correspond à un phénomène économique à propos duquel on agit nécessairement en partie à l’aveuglette […] ». « L’acteur définit son action en fonction des opportunités qu’il perçoit, comme on peut faire un pari lorsqu’on ne dispose pourtant pas de la totalité des informations nécessaires ». Le créateur doit donc être capable d’agir en milieu fortement incertain par des « coups d’œil », de l’intuition, la capacité à transgresser les règles établies et, par conséquent, à être non prévisible89. Cette action ne peut s’appuyer sur des savoirs parfaitement opératoires ; l’individu utilise alors des connaissances générales ou des savoir-faire tirés des expériences antérieures. Pour P. Drucker (1985), l’innovation est l’aspect essentiel de la fonction entrepreneuriale. Pour lui, seule mérite l’appellation d’entrepreneur celui qui bouleverse et désorganise, celui qui, pour reprendre une formule schumpétérienne, opère une « destruction créatrice »90. Destruction créatrice car l'innovation a en fait un caractère ambivalent : elle crée les occasions d'investissements rentables mais elle précipite l'économie dans une crise d'adaptation aux effets destructeurs.91 Pour permettre la mise en œuvre d’une démarche entrepreneuriale de type création d’entreprise, certains facteurs semblent jouer un rôle non négligeable. Nous verrons dans ce qui suit, les différents facteurs qui influent sur l’acte d’entreprendre et la décision d’innover. B. Les potentialités entrepreneuriales pouvant intervenir dans l’acte d’entreprendre Pour P. A. Fortin, le potentiel entrepreneurial existe dans les pays ou les régions en quantité suffisante pour créer les entreprises et les emplois qui leur sont nécessaires. Pour certains N. Alter, 1996, PP. 14, 61-80. E. M. Hernandez, 1999 : 19. 91 En effet l'innovation perturbe les équilibres routiniers, en rendant obsolètes les moyens, les méthodes de production, les produits et les qualifications antérieures. Elle force les entreprises et les travailleurs routiniers à se reconvertir ou à disparaître, en ce sens elle déstabilise l'économie. Mais simultanément, elle provoque un boom de l'investissement, à l'origine de l'expansion qui se diffuse à partir des nouvelles branches motrices, dont le surcroît d'activité compense la baisse observée dans les branches anciennes de l'économie. 90 89 27 chercheurs, il semble que certains entrepreneurs sommeillent dans nos sociétés du fait que la désirabilité et la faisabilité de l’acte entrepreneurial n’aient pas été suffisamment établies et diffusées. Par conséquent, il semble intéressant de nous interroger sur les potentialités qui peuvent jouer un rôle dans le passage à l’acte d’entreprendre. Ce travail de recensement effectué au travers des lectures présente un double intérêt puisqu’il complète et affine le travail de définition de l’entrepreneur et rend possible l’identification de variables qui pourront être validées ou non durant notre recherche empirique. 1) Les facteurs intervenant dans le désir et la crédibilité de l’acte Les milieux connus et fréquentés par les individus peuvent avoir un rôle sur leur capacité à entreprendre par leur diffusion d’une culture entrepreneuriale. Nous évoquerons dans les paragraphes suivants les environnements liés à la sphère familiale et religieuse, éducative, professionnelle et sociétale. a) La sphère familiale et religieuse comme lieux de fécondation de l’entrepreneur • L’influence de la famille dans le désir et la faisabilité de l’acte Elle est certaine, ne serait-ce que dans la relation autonome à un objet ou à un projet. Aussi, les exemples, modèles ou messages en provenance de ce milieu auront, comme le souligne P. A. Fortin, « un effet déterminant sur l’avenir des jeunes »92. Il évoque d’ailleurs à ce sujet l’importance du rôle des médias et de l’école pour assurer le développement de l’entrepreneurship « en aide aux familles ». Un point à relever également est que la reproduction sociale semble bien fonctionner dans le domaine de la création d’entreprise, ce qui montre que la famille exerce un pouvoir déterminant. Les parents, à l’évidence jouent un rôle de modèle, ou de contre modèle. La crédibilité de l’acte d’entreprendre, mentionnée par le professeur Shapero, est le fait que le créateur potentiel doit être capable de s’imaginer lui-même faisant démarrer et dirigeant une entreprise. On peut aisément intégrer que l’individu issu de familles où un parent était, ou est 92 P. A. Fortin, 2002 : 61. 28 entrepreneur, puisse avoir une vision valorisée de l’entreprendre et donc une capacité accrue à favoriser son acte. • L’apparition d’une mentalité économique dans certaines croyances religieuses L’étude menée par X. Couplet et D. Heuchenne présentée dans leur ouvrage Religions et développement (1998), au travers d’un historique des différentes religions présentes dans le monde confirme que le développement n’est dynamique que dans les aires religieuses où des facteurs positifs agissant directement ou indirectement sur l’économie sont prioritaires (ex. le système économique, le climat, la structure familiale etc.). La corrélation entre religions et développements est, au travers de leurs analyses, démontée et démontrée, allant dans le sens de certains auteurs comme M. Weber, le Thank Hhoi mais s’opposant à des auteurs tels que G. Sorman, P. Bairoch qui estiment la religion comme étant un facteur quasi, voire totalement absent du développement. Le développement pour ces deux auteurs ne réside pas dans le terme croissance mais dans la dimension liée au bien-être de la population93. Plus précisément, « le développement ne peut se contenter d’offrir davantage de biens physiques, il doit aussi offrir un milieu culturel, une satisfaction intellectuelle, spirituelle afin de combler l’homme dans toutes ses aspirations ».94 Même si certaines incohérences existent95, elles ne remettent pas en question la cohérence générale de la relation entre développement et religion au sein d’entités relativement homogènes. En matière d’entrepreneuriat, le lien est donc possible. Il est en effet intéressant de mentionner que certaines croyances religieuses déterminent l’apparition d’une mentalité économique. M. Weber dans son ouvrage L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme met en avant la religion protestante pour évoquer la culture entrepreneuriale. Les pays les plus dynamiques sont ceux qui sont majoritairement confucianistes ou protestants ; viennent ensuite les pays catholiques et orthodoxes, puis finalement les pays musulmans, bouddhistes, hindouistes et animistes. N. Alter (1996) évoque d’ailleurs que, à l’opposé des catholiques, les calvinistes protestants et les puritanistes rejoignent la pensée capitaliste. C’est la définition suivante qu’ils ont retenue dans leur étude : le développement correspond à « sa capacité (du vivant) à multiplier les façons d’entrer en contact avec son environnement » (définition tirée de P. Vendryes, 1981). 94 X. Couplet et D. Heuchenne, 1998 : 12. 95 L’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes, le Koweït, la Libye et Oman sont cinq pays musulmans à faible population mais dont le Produit National Brut (PNB) par habitant moyen se rapproche de celui d’Israël. Par rapport aux autres musulmans sans ressources, ces 5 pays n’ont pas été pris en compte pour établir la moyenne des PNB par habitant des pays musulmans. 93 29 Egalement, un tour d’horizon de plus de vingt pays démocratiques a été rendu grâce à la recherche Global Entrepreneurship Monitor. Nous pouvons y lire, pour certaines sociétés comme les Etats-Unis, que la culture entrepreneuriale est incrustée dans les mœurs depuis tant de générations qu’il serait difficile de décrire le changement culturel qui a été nécessaire pour développer l’entrepreneuriat. Pour d’autres, la transition est récente ou en cours. Par contre, l’Inde, par exemple, avec ses croyances religieuses s’oppose au processus entrepreneurial. b) L’enseignement et la formation, une influence reconnue Tout comme la famille, l’enseignement et la formation jouent un rôle non négligeable pouvant susciter des vocations et sensibiliser un large public à l’entrepreneuriat. A cet effet, en 1985, dans un contexte de crise politique, sociale et économique, le nouveau ministre de l’Education nationale, J-P. Chevènement, avait trouvé dans le slogan « Apprendre pour entreprendre » le moyen de réconcilier l’école et l’entreprise, en remédiant à l’échec de l’articulation formation/production au nom de l’efficacité »96. Pour P. A. Fortin, la formation constitue la clé de voûte de la société entrepreneuriale. Il considère qu’une formation doit favoriser non plus l’employabilité mais « l’entrepreneuriabilité »97. Il souligne également qu’une étude de cas a démontré que les jeunes ayant été sensibilisés à l’entrepreneurship en bas âge sont davantage attirés par une carrière en entrepreneurship et sont moins susceptibles de quitter leur région98. Pour cet auteur, les compétences requises pour un entrepreneur peuvent faire l’objet d’un apprentissage. Il s’agira de l’acquisition de connaissances en affaires, de la compréhension d’un profil d’une entreprise, de l’analyse de la croissance, du sens de l’éthique, de la capacité à voir et à saisir les occasions d’affaires etc. Dans un cas, la formation révèle des qualités statiques inhérentes à la personnalité de l’individu ; dans l’autre, elle permet de travailler un potentiel dynamique, qualités qui évoluent dans le temps et avec l’expérience de l’individu. Pour B. Dubois, directrice de la maison de l’entrepreneuriat de Lille, « l’entrepreneuriat doit être une matière comme une autre à intégrer le plus tôt possible dans l’enseignement »99. 96 97 F. Danvers, 2004 : 4. P. A. Fortin, 2002 : 53. 98 Il fait référence à une étude de cas menée par G. Reeves en 1999 au Québec sur le développement de l’entrepreneurship chez les jeunes. 99 Extrait des propos tenus par B. Dubois lors de la 5ème journée franco québécoise le 25 mai 2005 à l’IAE de Valenciennes. 30 c) L’entreprise et entrepreneuriale le territoire, des pôles d’attraction • L’esprit d’entreprise Même si l’école représente l’endroit idéal pour former et préparer le nouvel entrepreneur, l’entreprise, selon la place qu’elle donne à l’esprit d’entreprise100, peut jouer un rôle important dans la définition de vocations entrepreneuriales et la création de nouvelles entreprises, grâce notamment à l’essaimage101. On peut évoquer la logique de l’opportunité entrepreneuriale qui fait que, dans un environnement donné, l’individu identifie une opportunité d’affaires qui l’amène à se poser la question de la création d’une entreprise pour l’exploiter et la valoriser, soit dans une logique individuelle ou collective. On parle également actuellement d’intrapreneuriat102 pour évoquer une manière d’être de l’entreprise qui confère aux individus l’autonomie nécessaire pour prendre des risques mesurés mais réels. Cette dynamique, souvent mise en place dans les grands groupes, constitue un levier important pour développer les compétences entrepreneuriales de toute l’entreprise. • Le rôle du territoire Selon L. Stace, « la culture détermine de façon significative l’habileté d’une nation à prospérer parce qu’elle module la pensée des individus au sujet des risques, des récompenses et des opportunités »103. A une échelle moindre, le territoire dans lequel l’entrepreneur passe sa vie personnelle et ou professionnelle joue également un rôle non négligeable. Un territoire peut en effet constituer un pole d’attraction entrepreneuriale, comme par exemple, la ville de Grenoble. En France, pour faciliter la création d’entreprise et développer l’innovation, le Gouvernement a d’ailleurs présenté deux mesures principales depuis 2002 : la loi pour l’initiative économique104 et le plan d’innovation105. L’esprit d’entreprise correspond, pour Catherine Léger-Jarniou, à un ensemble d’attitudes générales positives vis-à-vis de la notion d’entreprise et celle de l’entrepreneur100. 101 Rappel : pour H. Daval, l’essaimage est une pratique qui se manifeste lorsqu’un employé entreprend de créer ou de reprendre sa propre structure, indépendante de la première, en bénéficiant, de la part de l’entreprise qu’il quitte, de diverses formes d’appui et d’accompagnement afin de limiter le risque d’échec (P. A. Fortin, 2002, PP.179-180). L’essaimage permet aux grands groupes d’ajuster leurs effectifs et de développer des projets ou activités : externalisation d’une activité, valorisation de technologies, de brevets, de marques inexploitées par l’entreprise. Cette pratique existe déjà chez des grands groupes comme Air France, Aventis, Schneider Electric mais qu’entend développer le gouvernement. 102 Pour en savoir plus : Institut de l’entreprise - la dynamique entrepreneuriale dans les grands groupes, nov. 2004, 45 pages. 103 P. A. Fortin, 2002 : 81. 104 Plus connue sous le nom de "loi Dutreil", la loi pour l'initiative économique du 1er août 2003 comprend une série de mesures destinées à rendre la création d'entreprise mois coûteuse, plus rapide et plus simple, et à faciliter la transmission des entreprises. 100 31 Avec la loi pour l’initiative économique mise en place en août 2003, un train de mesures a vu le jour pour favoriser la création d’entreprise : enregistrement en ligne des sociétés, abolition du capital minimum, durée des démarches administratives ramenée de 49 à 8 jours etc. La politique en faveur de l'innovation a pour fil directeur de créer un environnement favorable à la confiance et à l'initiative des entrepreneurs, donc à l'investissement, à la croissance de long terme et à l'emploi. On le lit souvent, la création d’entreprise se porte plutôt bien en France sur le plan des statistiques. Depuis le début de l’année 2005, le nombre d’entreprises créées a progressé de 18 %106. 2) Les facteurs ayant une influence sur la faisabilité et le déclenchement de l’acte a) L’expérience professionnelle acquise Elle est à prendre en considération dans l’opportunité à entreprendre. La connaissance précise d’une gamme de produits, de technologies utilisées, des marchés, un savoir faire particulier… constituent des acquis et des atouts qui s’avèrent utiles lors de la création d’une entreprise dont l’activité est proche ou semblable de l’activité précédemment menée. Quoi qu’il en soit, ne serait ce que par la connaissance de la vie en entreprise, des relations entre acteurs, de la notion de qualité de services, l’expérience professionnelle semble compter. b) Les ressources économiques et le réseau relationnel Les ressources informatiques, humaines, cognitives, technologiques, financières et matérielles sont des facteurs économiques sans lesquelles rien n’est possible ni faisable. Les ressources relationnelles (les réseaux personnels et professionnels) constituent des éléments facilitateurs et des catalyseurs qui permettent de gagner du temps, de l’efficacité face à la complexité des situations et la multiplication des démarches et procédures, d’accéder à l’information pertinente… 105 « Les premiers encouragements fiscaux à la création d'entreprise datent de la loi de finances pour 1978. C'est l'époque où le Premier ministre R. Barre encourageait les chômeurs à créer leur propre emploi. L'accent a ensuite été mis sur les possibilités de coopération entre les entreprises et le monde de la Recherche grâce à la loi sur l'innovation du 12 juillet 1999 » (F. Danvers, 2004 : 3). « La politique en faveur de l'innovation a pour fil directeur de créer un environnement favorable à la confiance et à l'initiative des entrepreneurs, donc à l'investissement, à la croissance de long terme et à l'emploi » (Consultation nationale, Décembre 2002 - Politique en faveur de l'innovation). 106 Le journal du management du 15 septembre 2004- La création d’entreprise au beau fixe. Pour information, 224.000 entreprises ont été créées en 2004, 500.000 seront bientôt à transmettre, (Le Monde du 12 mai 2005). 32 L’entrepreneur doit donc savoir faire appel aux réseaux ou, le cas échéant, être capable d’identifier les ressources vitales et à les acquérir à un moindre coût. 3) Les facteurs pouvant aider au déclenchement de l’acte a) Les facteurs « pusches » et « pull » selon le professeur Shapero Pour le professeur Shapero, dont le modèle d’entrepreneuriat demeure le plus connu à ce jour, un certain nombre de facteurs contextuels peut agir en provoquant des ruptures psychologiques et ou matérielles qui vont contribuer à précipiter la décision d’entreprendre. Il s’agit de caractéristiques qualifiées de « pusches » (négatives) ou de « pulls » (positives). En ce qui concerne les situations « pusches », il peut s’agir de déplacements au sens physique du terme. A ce sujet, on a pu constater une « plus grande propension à la création dans certains catégories de populations réfugiées, déplacées, comme les « pieds noirs » en France »107. Dans son étude relative aux entrepreneurs issus de l’immigration maghrébine, M. Madoui évoque que l’existence d’une discrimination stigmatisante peut être vécue comme un stimulus poussant à entreprendre, « pour montrer de quoi je suis capable en matière de réussite sociale »108. Il peut également s’agir de situations liées à l’emploi, suite à un licenciement, par impossibilité de trouver un emploi, une insatisfaction dans le travail ; ou encore de discontinuités diverses comme un revers familial, la fin d’études, du service militaire, voire une libération de prison, etc. J-C. Ducatte évoque dans son ouvrage Après la crise : les nouveaux modes d’organisation de travail que face à des institutions dont ils se sentent fortement dépendants mais dans lesquels ils ne peuvent plus projeter leur image, fragilisés par l’instabilité des emplois, déçus par un modèle d’emploi en perte de cohérence, les individus reconstituent leur intégration sociale sur des bases nouvelles. Il ajoute que l’on peut observer (outre le repli sur soi, la solidarité, l’engagement dans des modèles nouveaux tels l’écologie ou la consommation de produits allégés) la recherche d’autonomie, fut-elle à haut risque, comme dans la création d’entreprise ou l’accès au statut de travailleur indépendant. A ce sujet, il estime que la création découle plus de la très grande difficulté d’accès à un emploi salarié que d’un choix réellement volontaire, surtout chez les cadres de plus de 40 ans qui ne trouvent plus la possibilité de valoriser leurs compétences et expériences dans le cadre d’un statut de salarié. 107 108 E. M. Hernandez, 1999 : 36. Propos tirés des entretiens que M. Madoui a mis en œuvre dans le cadre de son étude, 2004 : 93. 33 Quand les caractéristiques sont jugées comme « pulls », elles peuvent naître d’une découverte d’un nouveau produit, d’une opportunité de rencontre avec un futur client potentiel ou associé, d’un accès à des sources de financement inopinées etc. Ces situations sont plus rares que les précédentes109. On comprend alors qu’un évènement important dans la vie d’un entrepreneur potentiel peut donc déclencher l’action à entreprendre. b) Les ressources psychologiques Comme le mentionne I. Danjou, « on ne peut pas parler d’entrepreneur en faisant l’impasse sur les forces profondes qui l’animent »110. Les motivations, les caractéristiques individuelles et les qualités qui sont liées à la personnalité de l’individu jouent un rôle non négligeable. Les motivations peuvent être de l’ordre de la recherche de succès personnel, social comme financier ou de la notoriété que la création permet d’acquérir111. Pour le professeur Shapero, il peut s’agir d’un besoin d’indépendance (ou de liberté), du désir d’être son propre patron et la recherche de l’autonomie. On peut citer également le besoin d’accomplissement et de changement. Quant aux qualités et caractéristiques individuelles, nous retenons la confiance en soi, la débrouillardise, la capacité à prendre des risques, la créativité, l’adaptabilité, la facilité à s’entendre avec les autres, à déployer son énergie, à croire au contrôle de sa destinée, une évidente capacité à travailler etc. Cet état de la recherche montre combien l’entrepreneur est la résultante d’une combinaison de caractéristiques, parfois innées ou acquises. Une personne pourrait posséder un potentiel entrepreneurial mais non la capacité à créer une entreprise. Les interventions éducatives doivent d’ailleurs pouvoir s’inscrire dans un objectif d’actualisation d’un potentiel entrepreneurial en capacités entrepreneuriales112. Au fil de nos lectures, nous sommes en mesure de mieux appréhender ce personnage clé qu’est l’entrepreneur. C’est au travers des apports issus de la littérature traitant de la notion de compétences113, objet de notre dernière partie de chapitre, que nous poursuivrons notre réflexion. 109 « Dans 65 % des cas, l’unique ou première influence sur le créateur d’entreprise était négative. Nous avons entendu ces remarques un grand nombre de fois : « J’ai été licencié, on m’a dit que j’allais être transféré […] et je ne voulais pas y aller […], « mon patron a vendu la société… », E. M. Hernandez, 1999 : 37. 110 I. Danjou, 2004 : 267. 111 A. Fayolle, 2003 : 61. 112 D. Ross (1993) : 65. 113 La définition de la compétence ne semble pas faire l’unanimité Nous préférons alors évoquer la « notion » de compétences plutôt que le « concept ». 34 III. La notion de compétences On a pu lire précédemment que les compétences requises pour un entrepreneur peuvent faire l’objet d’un apprentissage. Cette partie nous permettra de mieux comprendre cette notion qu’est la compétence, récente dans l’histoire des ressources humaines malgré une problématisation ancienne mais toujours imprécise à l’heure actuelle. Nous verrons que la compétence n’a fait irruption dans le champ de la Gestion des Ressources Humaines que tardivement, parce que confrontée à des profondes transformations dans l’organisation du travail. Malgré une utilisation massive du terme, il semble toutefois que la définition de la compétence ne soit pas si évidente. A. Une notion récente pour un engouement massif contextualisé 1) Une problématique ancienne mais théorisée tardivement a) L’origine de la définition La notion de la compétence semble relativement récente dans l’historique de la Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences (GPEC). Dans leur dictionnaire de psychologie, R. Doron et F. Parot114 relèvent que cette notion n’était pas intégrée dans le lexique de la psychologie scientifique avant que N. Chomsky115 ne l’évoque, en 1971, pour désigner ce qui, chez l’individu, « s’actualise par la performance dans une situation donnée ». Pour lui, il s’agit de la « capacité d’une personne à comprendre et générer un nombre infini de phrases de sa langue à partir de structures syntaxiques précédemment apprises »116. Ainsi, ce n’est que lorsqu’un individu dispose d’une connaissance de la grammaire que l’on peut se préoccuper de savoir comment les locuteurs l’utilisent dans des situations concrètes, ce qui constitue la performance. A la fin des années 80, ce même concept ne figurait ni dans les ouvrages de bases de la Gestion des Ressources Humaines, ni dans l’encyclopédie de gestion. 1991, cité par J.L. Bernaud et C. Lemoine, 2002. N. Chomsky, en tant que linguiste, a été amené à différencier la performance de la compétence. Pour lui, il ne peut pas y avoir d'opposition entre les deux : la performance est le reflet de la compétence, toute compétence ne peut s'exprimer qu'à travers une ou plusieurs performances. 116 P. Gilbert et R. Thionville, 1990 : 37. 115 114 35 b) Une problématique pourtant ancienne La problématique liée à la compétence n’est pourtant pas nouvelle ; elle était déjà présente à l’ère artisanale. Plus tard, avec le développement des sociétés industrielles et du taylorisme qui a réduit le travail à quelques taches élémentaires d’une part ; et la mise en place de systèmes bureaucratiques qui ont bâti des organisations dont l’efficacité repose plus sur la procédure que sur le talent des individus d’autre part, la notion de compétences s’est trouvée quelque peu affaiblie. c) Vers un retour en force de la notion de compétences Sous l’effet de la nouvelle donne économique actuelle caractérisée, entre autres, par de rapides mutations économiques, par une crise structurelle du modèle taylorien et fordien, la globalisation des marchés, les impératifs de qualité, réactivité, créativité, souplesse et professionnalisme sont désormais, et plus que jamais, à l’ordre du jour. Il ne s’agit plus, comme durant la période des trente glorieuses, d’agencer des postes au regard des objectifs et d’une stabilité dans l’organisation du travail ; mais de mobiliser des compétences permettant de répondre à une demande dans un contexte de plus en plus abstrait (on parle de travail immatériel), flexible, évolutif et imprévisible. Ces transformations profondes expliquent le retour en force des préoccupations portant sur la compétence bien que sa définition demeure imprécise. 2) Une notion devenue incontournable malgré son imprécision a) La compétence, une notion devenue « à la mode » Dans le langage courant, une personne compétente dans un domaine signifie qu’elle le maîtrise ; elle possède par conséquent à la fois les connaissances et les savoir-faire pour être efficace. Le nouveau Larousse encyclopédique définit la compétence (du latin competentia, juste rapport) comme étant l’aptitude d’une autorité à effectuer certains actes, d’une juridiction à connaître d’une affaire à la juger, et comme la capacité reconnue en telle ou telle matière qui donne le droit d’en juger. Etre compétent (du latin competens, participe présent du verbe competere, convenir à), se dit d’une autorité qui a l’aptitude à effectuer certains actes, 36 qui a la compétence voulue pour connaître d’une affaire, se dit de quelqu’un qui a des connaissances approfondies dans une matière, qui connaît bien son travail. Depuis quelques années, ce terme est devenu incontournable dans le champ de la Gestion des Ressources Humaines. Les managers évoquent la notion d’adaptation à un environnement et de conduite du changement. Les acteurs scientifiques, tels que les psychologues, sociologues et ergonomes analysent les situations et contextes de travail en se référant au concept de compétences. Les cabinets de consultants et organismes de formations abondent de prestations visant à développer les compétences des individus. Le gouvernement tout comme le MEDEF117 utilisent également cette notion, que ce soit dans les textes législatifs ou lors de manifestations événementielles. Pour ne citer qu’un exemple, l’accord national interprofessionnel (ANI) du 20 septembre 2003 sur la formation tout au long de la vie mentionne la notion de « développement des compétences des salariés » par la formation professionnelle. La notion de compétences instrumente également de nombreux dispositifs de gestion des ressources humaines : recrutement, formation, évaluation, rémunération, parcours professionnel. Des dispositifs tels que les bilans de compétences réglementés en juillet 1991 et la validation des acquis de l’expérience (VAE), légiférés en janvier 2002 attestent de l’importance croissante accordée à cette notion. Notons toutefois, comme le mentionne G. Le Boterf118, qu’il existe une réelle difficulté à définir la compétence, difficulté qui semble croître au fur et à mesure que le besoin d’utiliser ce concept augmente. Malgré les contours flous et imprécis de la notion, nous tenterons toutefois d’extraire, parmi les différentes approches présentées dans la littérature, les définitions qui semblent, dans le cadre de notre étude, être les plus appropriées. b) Une notion large et imprécise La définition de la compétence ne fait pas l’unanimité. En effet, la littérature riche et abondante dans ce domaine démontre l’aspect polysémique de ce terme, « un gyroconcept »119. 117 118 Mouvement des entreprises de France. De la compétence, essai sur un attracteur étrange, 1994. 119 D. Pemartin, 1999. 37 Pour D. Pemartin, la définition de compétence doit pouvoir s’adapter à l’usage que l’on souhaite en faire. Dans le langage courant, il existe de multiples définitions en fonction des représentations des gens qui l’utilisent ou la définissent. Dans le langage savant, le terme récent de la compétence en sciences sociales est venu se greffer à d’autres concepts proches déjà utilisés dans d’autres disciplines. On évoque davantage le concept de capacité ou d’aptitude120 en psychologie comme en sciences de l’éducation et de qualification121 en sociologie. Aussi, le terme de potentiel humain représente une notion plus large recouvrant non seulement les compétences acquises mais également les talents non explorés, les aspirations et les besoins spécifiques. Si l’on s’en tient à la définition proposée par D. MacCarthy citée par P. Gilbert et R. Thionville122, le potentiel humain peut se découper en trois composantes : le pouvoir (capacités physiques et aptitudes), le savoir (ensemble des acquis scolaires et expérientiels) et le vouloir (la personnalité et la motivation). Comme être compétent signifie, d’un point de vue étymologique, « ce qui va avec, ce qui s’adapte à »123, nous pouvons penser que la notion de compétences permet de définir ce qui est attendu des acteurs en situation de travail, et ce dans un contexte changeant. La notion de compétences ne semble pas pouvoir être précise si l’on considère le changement comme étant quasi perpétuel, notamment dans nos sociétés post industrielles. Une autre manière de cerner le concept, compte tenu des différentes lectures menées, est de définir la compétence par ce qu’elle n’est pas. On peut ainsi souligner que la compétence n’est ni un diplôme, ni une qualification, ni un ensemble de tâches, ni la somme de savoirfaire, ni des connaissances techniques. Mais une telle approche semble trop floue et ne nous permet pas de caractériser précisément la compétence. 120 Aujourd’hui, les notions de « capacité » et d’ « aptitude » sont synonymes dans le langage courant. F. Danvers se réfère à la définition de l’aptitude proposée par S. Michel et M. Ledru (1991) comme étant « la faculté évoquant une disposition naturelle, comme l’ensemble des qualités physiques ou intellectuelles attachées aux individus, utilisées ou non, connues ou non ». Il fait également référence à H. Hannoun (1996) qui y voit « la potentialité durable et générale à réaliser une classe d’activités s’exprimant chacune sous la forme d’une compétence », F. Danvers, (en cours de réalisation) - Anthropologie de l'orientation, version n°3, remaniée et augmentée. 121 En France, l'extériorité de la formation par rapport au monde du travail participe de tensions et de contradictions dans les modalités de reconnaissance des qualifications (E. Verdier, 1997). La définition de la qualification, objet d'analyse de la sociologie du travail et de l'éducation, pose problème, s'agit-il de la qualification du poste ou de la personne ? On peut en première approche, circonscrire le domaine de la manière suivante : la qualification établit l'équivalence entre une formation et/ou une expérience professionnelle, un ensemble de tâches et un niveau scolaire. Le niveau de classification atteste le niveau de qualification, comme le résume A. Lyon-Caen : "La qualification c'est la classification". Les grilles de qualifications sont solidaires du système de rémunérations. F. Danvers, (en cours de réalisation) Anthropologie de l'orientation, version n°3, remaniée et augmentée. 122 1990 : 40. 123 G. Le Boterf, 1994 : 30. 38 B. Une tentative de définition de la notion de compétences Bien que la notion de compétence fasse l’objet d’une littérature actuelle très abondante que nous n’avons pas cherché à résumer (puisque certaines contributions s’y réfèrent explicitement), nous tenterons toutefois de présenter en premier lieu les caractéristiques qui peuvent lui être attribuées ainsi que les cadres de référence majeurs actuels. Enfin, nous aborderons également la question de leur catégorisation et les limites et points de vigilance qu’il convient de prendre en considération. 1) Des caractéristiques qui aide à délimiter le champ de la compétence Au travers des lectures spécialisées dans ce champ d’étude, il est possible de relever plusieurs caractéristiques de la notion de compétences qui en font un usage différencié en fonction des cas et contextes et qui sont utiles de mentionner. a) L’exercice performant de savoirs pratiques Dès son plus jeune âge, l’enfant renforce ses capacités développées dans son apprentissage de la vie quotidienne, qui, confrontées aux réalités nouvelles, poursuivent leur développement. C’est ce processus évolutif qui construit la compétence. « La combinaison progressive de la connaissance et de l’expérience développe un type de savoir grâce auquel nous agissons sur le contexte, ayant appris à tenir compte de son empreinte pour exercer notre vouloir »124. Il s’agit d’un savoir pratique actualisé par la compétence déployée face à un problème à résoudre. Etre compétent consiste donc à « produire une performance voulue compte tenu du contexte »125, à mettre en œuvre efficacement les réponses appropriées dans la réalisation d’un projet donné. Nous ne pouvons donc pas dire que la compétence correspond à un savoir dont elle use pour résoudre un problème posé, mais qu’elle est l’exercice performant d’un savoir pratique, qui une fois validé dans un contexte précis peut devenir une expertise. Par exemple, un entrepreneur est compétent lorsqu’il parvient à conclure des contrats, à faire prospérer son entreprise, au-delà de la bonne connaissance qu’il a des règles de vente et malgré l’imprévisibilité des comportements du marché soumis à de constantes fluctuations. 124 125 M.F Reinbold., J.M Breillot, 1993 : 35. M.F Reinbold., J.M. Breillot, 1993 : 15. 39 G. Le Boterf évoque dans la définition qu’il donne à la compétence la notion de « savoir transférer ». Il rappelle que la compétence est un savoir agir responsable et validé, c’est à dire un savoir mobiliser, savoir intégrer et savoir transférer des ressources (connaissances et capacités) dans un contexte professionnel126. Il existe donc des savoirs mais pour évoquer la compétence, encore faut-il être en mesure de transférer ces savoirs aux situations affrontées pour réussir l’action entreprise. On évoque alors la question de la transférabilité des compétences, c'est-à-dire qu’elles doivent pouvoir être à nouveau mobilisées et mises en œuvre dans un autre emploi, d’autres situations de travail. En évoquant les savoirs, il est utile de préciser que le lien entre savoirs et compétences existe au niveau de leur transfert et non de leur complexité. La notion de qualification tend au registre de « l’avoir » (un diplôme, un savoir) tandis que la notion de compétences, qui a pris « les devants », renvoie au registre de « l’être » (c'est-à-dire à des caractéristiques basées davantage sur l’individu en tant que tel). Un entrepreneur peut ainsi être compétent sans pour autant détenir un bagage élevé de qualification127 et, porteurs d’une même qualification, des individus seront plus compétents que d’autres. Nous serons en mesure de valider si la notion de qualification est présente dans les parcours des créateurs que nous avons interrogés128. b) Un processus évolutif et collectif Un processus a besoin de temps pour naître, grandir et se déployer. C’est la raison pour laquelle on évoque la question du développement des compétences. A travers les entretiens menés auprès des créateurs, nous serons en mesure de connaître quel type d’expérience ils ont pu mener, au préalable, en vue d’acquérir et de développer leurs compétences. La compétence fait appel à des dimensions de l’individu, telles que les aptitudes, des connaissances et des habiletés. Mais comme le souligne G. Le Boterf (2000), la compétence collective est une résultante qui émerge à partir de la coopération et de la synergie existant entre les compétences individuelles. « En devenant compétent, nous exprimons la solidarité qui nous lie à notre environnement »129. Cette alchimie personnelle ne peut donc s’expliquer totalement sans faire référence au collectif. Comme l’indique F. Danvers, en référence à 126 127 1994 : 33. Tout comme la compétence, la qualification fait l’objet de moult approches, amenant parfois à une confusion dans les deux termes. La qualification est « un jugement reconnaissant à une personne de sa capacité à exercer valablement telle compétence […] une hypothèse, un présupposé de compétence, une anticipation sur l’efficacité des personnes » (Reinbold et Breillot, 1993 : 28). Cependant pour Le Boterf, la qualification est « constituée d’un potentiel de connaissances, de capacités et de compétences, permettant de comprendre et de maîtriser une situation professionnelle spécifique, de la restituer dans son environnement […] ; transférable à d’autres situations de travail au sein de la même entreprise ou dans des entreprises différentes ». 128 Selon l’enquête intitulée « profil du créateur 2002 », parmi les créateurs, 33 % ont obtenu un diplôme supérieur au baccalauréat, 16 % des créateurs n’ont en revanche aucun diplôme (source INSEE). 129 M. F. Reinbold, J. M. Breillot, 1993 : 17. 40 J. Beillerot (1991), « il y a des compétences collectives, au sens où aucun n'aurait pu détenir, ni inventer ou construire seul. Ainsi, on ne peut apprendre à négocier qu'à plusieurs, et une négociation réussit ou échoue pour tous ».130 Dans le cadre des entretiens auprès de créateurs d’entreprises, nous verrons dans quelle mesure cette affirmation peut ou non faire sens, à savoir si ces créateurs ont appris des autres et continuent leurs apprentissages dans l’exercice quotidien de leur activité. c) Un processus multidimensionnel On peut dire que la capacité représente l’étendue des aptitudes et des connaissances d’un individu, c'est-à-dire ce qu’il peut en puissance en raison de l’étendue de son savoir et de ses dispositions131. La notion de compétences s’en distingue donc puisqu’elle correspond à ce que la personne peut en acte, en raison de son adaptation à un contexte donné. Pour l’entrepreneur, compte tenu du contexte sans cesse mouvant dans lequel il évolue, il est important d’intégrer tout un panel de compétences pour faire face aux aléas, pour produire de la qualité, pour coordonner des ressources, quelles soient techniques, humaines et structurelles. Quand on évoque la compétence, celle-ci fait appel à plusieurs dimensions : savoirs théoriques, savoir-faire pratiques, savoir être, capacités, volonté et motivation. On peut alors parler d’un processus multidimensionnel. Cet inventaire de caractéristiques amène quelques précisions sur les contours de la compétence. L’objet n’est pas de multiplier les regards portés sur cette notion ; mais il n’est pas inintéressant, pour contribuer à clarifier davantage la notion, de présenter quelques définitions qui, au cours de nos lectures, ont retenu notre attention. 2) Des cadres de référence pour clarifier la notion Nous retiendrons, parmi la littérature abondante, trois définitions qui contribuent à clarifier la notion de compétences. 130 131 F. Danvers, (en cours de réalisation) - Anthropologie de l'orientation, version n°3, remaniée et augmentée. M. F. Reinbold, J. M. Breillot, 1993 : 27. 41 a) Un savoir mobiliser pour G. Le Boterf La notion de compétences est souvent utilisée « comme étant la somme des savoirs, savoirfaire et savoir être » mais, comme le mentionne G. Le Boterf132, la réalité des compétences apparaît plus complexe. Dans son ouvrage133, il insiste sur le caractère opératoire de la compétence. La compétence ne se réduit ni à un savoir ni à un savoir-faire. Elle n’est pas assimilable à un acquis de formation. Pour qu’il y ait compétence, c'est-à-dire qu’une personne sache agir avec pertinence en étant capable de réaliser un ensemble d’activités dans un contexte particulier, il faut qu’il y ait mise en jeu d’un répertoire de ressources de l’ordre du « savoir mobiliser ». Ces ressources relèvent d’un double équipement que la personne utilise et combine en fonction d’une situation donnée. Les ressources incorporées (connaissances, savoir-faire, aptitudes, expériences...) correspondent aux connaissances théoriques d'un certain nombre de concepts, d'ingénierie, de processus qu’un individu va mobiliser et combiner avec des connaissances sur son environnement de travail (ex : les concepts de communication de l’entrepreneur doivent prendre en compte la stratégie locale définie). Il utilisera également des savoir-faire opérationnels pour être capable de définir son plan d’action (ex : l’entrepreneur doit être capable de rédiger des propositions commerciales). Il mobilisera également des savoir-faire relationnels (ex. l’entrepreneur doit pouvoir s’adapter à la diversité de sa clientèle pour pouvoir dialoguer avec eux). Les ressources d'environnement (réseaux relationnels, documentations, outils de travail…) sont externes à la personne car situées dans son environnement. La capacité à créer des compétences dépendra de son environnement et de sa capacité à utiliser et à accéder à des banques de données, des réseaux de ressources, etc. Le schéma134 démontre bien que plusieurs ressources peuvent être au service d’une même compétence et que la compétence résulte d’une combinaison pertinente de plusieurs ressources telle une construction. Il y a donc plusieurs combinaisons possibles et plus d’une manière d'être compétent. 132 133 G. Le Boterf, 1998 : 34. G. Le Boterf , 1994 : PP. 16-18. 134 Cf. en annexe n°1. 42 b) Des répertoires de comportements individuels selon C. Lévy Leboyer Pour C. Lévy Leboyer135, les compétences sont le résultat d’expériences maîtrisées grâce aux aptitudes et aux traits de personnalité qui permettent d’en tirer parti. Selon lui, les compétences sont des répertoires de comportements que certaines personnes maîtrisent mieux que d’autres ce qui les rend efficaces dans une situation donnée. Ces répertoires sont « observables dans la réalité quotidienne du travail […] et représentent un trait d’union entre les caractéristiques individuelles et les qualités requises pour mener à bien des missions professionnelles précises ». Dans notre domaine d’étude, cette définition pointe l’importance des caractéristiques individuelles et leur implication dans une situation professionnelle. Dans le cadre de notre étude, nous conviendrons de caractériser la compétence comme un ensemble de pratiques maîtrisées, de conduites professionnelles et de connaissances, que des personnes ont acquises par la formation et par l’expérience. c) Une intelligence collective et une attitude sociale pour P. Zarifian L’approche cognitive de P. Zarifian met en avant que la compétence est, non seulement la capacité de résoudre des problèmes d’une situation donnée mais également une intelligence collective comme individuelle qui rend possible la compréhension de situations et la mise en œuvre d’actions en réponse aux situations à prendre en charge. Il utilise l’expression « assumer une responsabilité »136 pour signifier aller jusqu’au bout de sa prise d’initiative, assumer la plénitude de son action face aux autres (prendre conscience de son destinataire, le client ou l’usager) mais aussi face à soi-même. Si l’on se centre sur la situation, la compétence se produit grâce aux interactions avec d’autres acteurs qui conditionnent et concourent à la réussite des initiatives. A ce sujet, il propose un modèle organisationnel dont la principale caractéristique est de mettre en avant la relation de l’homme et des hommes au travail, créateurs de valeur et d’innovation. Il met notamment en évidence la notion de savoir vivre comme composante de la compétence, ce qui signifie la prise en compte d’un rôle, d’une conduite sociale, d’un comportement vis-à-vis de l’entreprise. Nous constatons donc que certains auteurs concentrent davantage leur analyse sur l’individu, tandis que d’autres prennent en considération la valeur ajoutée liée à la notion du collectif. 135 136 C. Levy-Leboyer 1996 : 42. P. Zarifian, 2001 : 77. 43 3) La catégorisation des compétences et les points de vigilance dans la pratique L’approche la plus répandue pour lister des compétences requises, pour l’exercice d’un emploi137 à tenir (par exemple) consiste à caractériser cet emploi par un ensemble de savoirs, savoir-faire et savoir être et à l’intégrer dans un document qui représente une liste de « compétences susceptibles d’être appréhendées en situation de travail »138, communément appelé un « référentiel de compétences ». Il existe d’ailleurs de multiples façons d’établir un tel outil. Compte tenu de l’hétérogénéité des situations professionnelles auxquelles sont confrontés les entrepreneurs tout au long de leur processus de création et de développement d’entreprise, nous ne pouvons prétendre à construire ce type d’outil dont la logique représente plus une réponse simple et efficace quand l’emploi est simple et stabilisé (plutôt que lorsque l’emploi est plus complexe ou variable). De plus, dans notre cas, nous évoquons davantage un métier qu’un emploi (A. Fayolle a d’ailleurs choisi de nommer un de ses ouvrages de la sorte Le métier de créateur d'entreprise, 2003). Pour nous aider dans le travail d’identification des compétences qui émaneront des propos de nos locuteurs, nous présenterons dans ce qui suit ce qui caractérise le triptyque classique : savoirs, savoir-faire et savoir être. a) Des savoirs ou les connaissances de base ou complémentaires C’est ici l’occasion de rappeler l’étymologie du mot « savoir » : le verbe latin sapere a d’abord le sens de « avoir du goût, de la saveur », avant de s’orienter sur la signification plus intellectuelle de « comprendre »139. Les savoirs sont issus de la formation initiale et professionnelle ou acquis dans l’exercice du travail. Ils comprennent les connaissances théoriques, techniques et professionnelles. Ces connaissances ne sont pas toujours faciles à identifier. Certaines sont isolées des diplômes qui induisent des pré requis tels que les disciplines (droit, informatique etc.). Pour B. Aumion et P.M. Mesnier140, la théorie se présente, pour les entrepreneurs, sous deux courants : le sens de la distance que l’on prend par rapport à la pratique quotidienne pour la Il est pertinent d’étudier l’emploi car il recouvre bien la réalité de la configuration actuelle du travail, où de plus en plus, l’organisation du travail se fait par petites équipes autonomes et responsables et où de nouvelles activités apparaissent, qui sont plus faciles à appréhender à travers la notion d’emploi -on parlera d’emploi de secrétaire-. 138 D. Weiss, 1999. 139 B. Aumont , P.M. Mesnier, 1992 : 260. 140 Auteurs de L’acte d’apprendre, PP. 124-126. 137 44 « contempler » et y réfléchir ; et le sens de ces corps de connaissances auxquels on se réfère pour analyser et comprendre cette pratique (par exemple, les connaissances en économie). Ils ajoutent que la plupart des entrepreneurs font appel à des savoirs procéduraux qui les conduisent à des démarches théoriques, à des constructions de modèles rationnels, à des savoirs théoriques étudiés antérieurement ou appris dans l’exercice du métier parce qu’ils sont nécessaires à la poursuite de l’action. Plus loin, les auteurs soulignent que les apprentissages des entrepreneurs sur le terrain couvrent toute la hiérarchie des savoirs qui s’articulent entre eux dans l’action et dans la recherche, sans ordre de prééminence, ce qui semble aller à l’encontre des affirmations les plus admises qui voient une différence de nature entre savoir-faire et savoir. b) Des savoir-faire ou des habilités techniques Les savoir-faire, notion importée des modèles anglo-saxons « skills », sont observables à l’occasion de l’exercice du travail en référence à des actions fondées sur l’expérience professionnelle. En effet, on peut dire qu’il s’agit de la maîtrise de pratiques de différentes natures permettant de résoudre avec efficacité les problèmes plus ou moins complexes d’une situation de travail. La question posée est de savoir ce que la personne est capable de faire. Il se peut qu’elle ait à gérer le temps d’une réunion, par exemple. B. Aumion et P.M. Mesnier soulignent qu’il est difficile de discerner où finissent les savoirs pratiques et où commencent les savoir-faire qui s’y déploient. Chercheurs et entrepreneurs sont tous deux étudiés dans leur ouvrage L’acte d’apprendre. Il s’agit, pour ces auteurs, de trouver des points de rencontre entre le processus de recherche et l’entreprendre. Pour eux, les savoirs pratiques sont nécessaires à la mise en œuvre de l’action et à son efficacité. Ils se construisent dans l’action elle-même. Ceux des chercheurs sont de l’ordre de la manipulation, ceux des entrepreneurs de l’ordre de la gestion quotidienne141. Les savoir-faire s’acquièrent autant dans l’action que dans les études et c’est la raison pour laquelle l’entrepreneur, tout comme le chercheur, insistent sur les écarts constatés entre les connaissances générales acquises dans le système éducatif et les savoir-faire opérationnels nécessaires dans leur métier respectif. 141 B. Aumont , P.M. Mesnier, 1992 : 124. 45 c) Des savoir être ou des compétences cognitives et relationnelles Les savoir être correspondent à la dynamique comportementale nécessaire pour remplir la fonction. Il peut s’agir de comportements relationnels et cognitifs, d’aptitudes physiques etc. Pour prendre un exemple, on parlera de savoir faire preuve d’écoute, avoir de l’assurance. Il est important de mentionner que certains savoir être peuvent s’acquérir et se développer avec le temps : l’entrepreneur peut, par exemple, être amené, au fil des actions et des trajectoires, à prendre goût et assurance avec le temps. La question posée est de savoir de quelles qualités doit-on faire preuve en prenant soin de respecter certaines limites pour ne pas entrer dans une subjectivité trop délicate. En effet, des conceptions « larges » de la notion de compétences comme celle de N. Sparrow142 qui comprend un « ensemble de connaissances, de savoir-faire, de valeurs et d’attitudes, des traits (physiques et de personnalités), des motivations, d’image de soi, d’acceptation des rôles sociaux […] » ; comme certaines définitions inscrites dans la littérature spécialisée propre à la psychologie du travail qui mettent en exergue des traits de personnalité et aptitudes, doivent être examinées avec attention et précaution. Il est important de savoir si les caractéristiques individuelles mises en œuvre par un individu sont évolutives, éducables ou non et d’en spécifier les limites pour éviter toute intrusion dans la sphère privée. Dans notre champ d’étude, il est certain qu’une liste trop étoffée de qualités personnelles pourrait non seulement manquer de pertinence, mais également effrayer tout créateur potentiel. Ce chapitre, dont l’approche se veut théorique et conceptuelle, nous éclaire sur les caractéristiques liées à l’acte d’entreprendre, au personnage qu’est l’entrepreneur et sur la notion de compétences. En matière de compétence, face à un modèle d’emploi à vie que nous avons connu et qui aujourd’hui s’essouffle, il nous faut plus que jamais passer « d’une attitude de demandeur d’emploi à une attitude d’offreur de services, d’apporteur de compétences, de contributeur créatif dans l’exercice de son emploi et même créateur de son propre emploi »143 et à être « entrepreneur de notre propre vie »144. Pour ce faire, nous pensons, tout comme T. Verstraete (1999) que la réduction de l’incertitude par la communication de repères et de modèles accessibles pourrait inciter à la création 142 143 1997, cité par J.L. Bernaud et C. Lemoine, 2002 : 34. P. A. Fortin, 2002 : 56. 144 En référence à A. Erenberg. 46 d’entreprise. C’est dans cette optique que nous envisageons d’orienter notre étude dont le contenu pourrait permettre à un individu, porteur ou non de projet d’entreprise, de porter un regard sur les qualités, les compétences et les conditions qui semblent nécessaires pour aboutir à une création d’entreprise réussie. D’autant plus que, comme l’a souligné, P. A. Fortin, les compétences nécessaires pour un entrepreneur peuvent faire l’objet d’un apprentissage, « qu’il s’agisse de l’acquisition de connaissances en affaires, de la compréhension du profil d’une entreprise, de l’analyse de sa croissance, du sens de l’éthique de la capacité à voir et à saisir les occasions d’affaires »145, etc. Toutefois, il est important de mentionner que toute auto évaluation ne pourra s’effectuer que sur la base de capacités, c'està-dire de promesses de compétences et non de compétences car la compétence ne réside pas dans les ressources mais dans leur mobilisation dans le cadre d’une mise en situation, d’expérience et de validation dans le temps. Tout travail de recherche doit intégrer une question permettant une approche empirique, une méthode de collecte de données fiable, un échantillonnage ciblé, une analyse et enfin une interprétation des résultats obtenus. Nous présenterons, par conséquent, dans les chapitres qui suivent, la démarche méthodologique et l’analyse des résultats recueillis suite aux entretiens mise en œuvre. 145 2002 : 54. 47 CHAPITRE 2 - LA DEMARCHE METHODOLOGIQUE Exposer le cadre de notre étude fondée sur une problématique et un modèle d’analyse rendant possible une méthodologie spécifique fera l’objet de ce second chapitre. Le troisième chapitre présentera, quant à lui, une interprétation des résultats obtenus suite à l’analyse des recueils menés auprès des entrepreneurs interrogés. I. Le cadre de la recherche Nous verrons dans cette partie relative au cadre de la recherche comment notre problématique, basée notamment sur des constats théoriques et contextuels, rend possible l’élaboration d’un modèle d’analyse visant à mettre à l’épreuve les hypothèses retenues sur le terrain d’enquête choisi. A. La pertinence de la problématique posée Une recherche est par définition quelque chose qui se cherche. Elle est un « cheminement vers une meilleure connaissance et doit être acceptée comme tel, avec tout ce que cela implique d’hésitations, d’évènements et d’incertitudes »146. Le choix du thème d'enquête, épreuve difficile et délicate, est un moment déterminant qui va conditionner tout le travail ultérieur. Il est des sujets plus pertinents que d’autres ; et il y a donc tout intérêt à bien réfléchir au thème de départ. Le sujet idéal est clair et motivant ; le chercheur sait où il va et a l’intuition qu’il peut y avoir matière à découverte. Toutefois, la liberté de choisir peut également être source de blocage. Dès lors, l’étudiant doit s’obliger à choisir rapidement, et ce n’est pas toujours évident, un premier fil conducteur de sorte que son travail puisse débuter sans retard et se structurer avec cohérence. Reste à savoir comment doit se présenter ce fil conducteur et à quels critères il doit pouvoir répondre afin de remplir au mieux la fonction attendue de lui. 1) La formulation de la question de départ Le travail consiste tout d’abord à énoncer son projet sous la forme d’une question de départ par laquelle l’étudiant tente d’exprimer le plus exactement possible ce qu’il cherche à savoir, 146 R. Quivy et L. Van Campenhoudt, 1988 : 21. 48 à élucider, à mieux comprendre. Une bonne question de départ doit pouvoir être traitée, ce qui signifie qu’il est possible d’y apporter des éléments de réponse147. a) La clarté de la question de départ Les qualités de clarté concernent essentiellement la précision et la concision de la formulation de la question de départ. Cette dernière ne doit pas être vague de sorte à éviter toute confusion. Il est souvent indispensable de définir clairement ses termes de sorte d’y voir une limpidité, de savoir dans quelle direction les recherches vont s’orienter. La question doit pouvoir être formulée de façon univoque et concise afin qu’elle puisse être comprise sans difficulté et aider son auteur à percevoir clairement l’objectif qu’il poursuit. Comme le précisent R. Quivy et L. Van Campenhoudt (1988), le choix du sujet n’est pas lié au hasard ou à la seule inspiration personnelle du chercheur. Mon sujet de mémoire est en effet orienté puisqu’il fait partie des problématiques actuelles, avec ses difficultés contextuelles, ses débats, ses sensibilités, ses courants de pensées qui évoluent et également des ambitions plus personnelles. En effet, j’ai choisi de travailler sur l’entrepreneuriat et plus particulièrement, compte tenu de mes perspectives professionnelles futures et de l’enjeu que ce domaine représente dans notre société en panne d’emplois, de traiter de son acteur principal qu’est l’entrepreneur. Il a ainsi été nécessaire de recueillir, dans les ouvrages spécialisés, les données théoriques et contextuelles liées à ce champ d’étude. Le fait de chercher a été pour moi l’occasion de trouver ; mais également de mieux me trouver et me connaître… Mais avant d’entamer ce travail de recherche d’informations, il a fallu s’interroger sur les critères de faisabilité et de pertinence dont relève la question de départ. b) Les qualités de faisabilité et de pertinence de la question de départ Les qualités de faisabilité portent essentiellement, comme le soulignent R. Quivy et L. Van Campenhoudt, sur le caractère réaliste ou non du travail que la question de départ laisse entrevoir. Il est donc nécessaire de s’interroger sur les connaissances et de s’assurer que les ressources en temps, argent et moyens logistiques permettront d’apporter des éléments de réponse valables. En terme de recherches et d’études, le thème de l’entrepreneuriat a fait couler beaucoup d’encre et les principaux ouvrages sont disponibles dans les bibliothèques 147 R. Quivy et L. Van Campenhoudt, 1988. 49 universitaires et les écoles de commerce. En ce qui concerne les compétences, elles doivent servir de pont entre les emplois et les hommes car elles représentent des capacités d’action. Par conséquent et pour gagner en pertinence, les compétences doivent pouvoir être recensées collectivement. C’est la raison pour laquelle il nous faut interroger un certain nombre d’entrepreneurs et il faut dire que notre région en compte un nombre important. Fort de ce positionnement régional et du réseau social qui m’entoure, il m’a semblé envisageable de consulter des entrepreneurs issus de la création d’entreprise, à différents moments du cycle de vie de leur entreprise, permettant ainsi une meilleure représentativité. En ce qui concerne les qualités de pertinence, une question de départ doit analyser le réel et non le juger. Tout question moralisatrice liée à un système de valeurs ou trop philosophique est à bannir. L’examen d’une question de départ doit inclure une réflexion sur les motivations et sur les intentions de l’auteur, même si elles ne peuvent être détectées dans la formulation de sa question. La question doit demeure ouverte et formulée par une vraie question, ce qui signifie que différentes réponses doivent pouvoir être envisagées a priori et qu’il n’y a pas de certitude d’une réponse toute faite. Un point important que soulignent R. Quivy et L. Van Campenhoudt est que la question de départ doit se baser sur ce qui existe ou a existé, et non sur des projections futures dans une intention compréhensive ou explicative. Dans le cas de notre étude, la question de départ peut se traduire sous la formulation suivante : comment faire pour réussir une création d’entreprise ? J’ai donc souhaité réfléchir sur ce thème pour mieux cerner les clés de réussite et appréhender le métier de créateur d’entreprise, tant prôné par les structures publiques et les médias et paradoxalement « mystifié » par la population de notre région frileuse de passer à l’acte148, ce, afin de favoriser un développement individuel par le développement de compétences entrepreneuriales. 2) L’explicitation de la problématique « La problématique est l’approche ou la perspective théorique que l’on décide d’adopter pour traiter le problème posé par la question de départ »149. Le plus souvent, il s’agira d’inscrire son projet dans un cadre théorique préétabli dans lequel s’inscrit la démarche personnelle de l’étudiant. Cf. le sondage Créativallée « L’esprit d’entreprendre dans la région Nord-Pas de Calais », novembre 2004, sur www.creativallee.com, étude réalisée par Market Audit. 149 R. Quivy et L. Van Campenhoudt, 1988 : 83. 148 50 Nous allons dans ce qui suit exposer le contexte et les approches théoriques qui ont permis de construire la problématique de notre étude. a) A l’instar du contexte actuel Comme nous l’avons mentionné en introduction, on ne parle plus, en terme d’emploi, de « carrière linéaire et continue jusque la retraite » mais de « discontinuité des carrières professionnelles » ; et compte tenu de la réforme du système de retraite, il nous faudra travailler plus longtemps. Devant ces turbulences économiques et sociales que nous connaissons, la création et la reprise d’entreprise apparaissent donc comme une cause d’intérêt général. Face à l’allongement de la vie active, aux incertitudes liées aux carrières, à l’investissement de la région Nord-Pas-de-Calais, des établissements d’enseignement supérieur de la région dans la sensibilisation à la création d’entreprise et à l’intérêt personnel porté au sujet, nous avons donc souhaité mener notre travail sur le thème de l’entrepreneuriat et plus particulièrement de son acteur principal : l’entrepreneur. De plus, l’entrepreneuriat apporte des bénéfices aux individus qui peuvent trouver, dans des situations entrepreneuriales, des sources de satisfaction d’accomplissement personnel et des opportunités de développement de carrière. Cependant, il nous faut être vigilant quant à la promotion de l’entrepreneuriat : les médias commencent à pointer du doigt les statistiques traitant de l’augmentation des défaillances d’entreprises150. Comme « l’existence d’une idée est primordiale et se situe en amont de tout processus d’accompagnement à la création »151, l’université, qui a un rôle à jouer dans l’accompagnement entrepreneurial, doit notamment intervenir en amont des dispositifs d’accompagnement existants152. Elle peut, en effet, aider les individus à construire leur réflexion, à s’orienter, à faire germer leurs projets et les préciser par la mise en place de formations. b) A l’instar des positionnements théoriques Comme tout universitaire qui se respecte, un travail de recueil d’informations a été mené au travers de différentes lectures traitant de l’objet de la recherche et du terrain à découvrir. Ces 150 151 Cf. l’article de M. Visot dans La Tribune du 17/06/2005, de A. Eveno dans Le F igaro Economie du 11/07/2005. Les rencontres de l’agence (1999) : 2. 152 De nombreuses structures d’accompagnement et de conseils à la création existent dans le Nord-Pas de Calais : Graines d’Affaires, les Boutiques Espace…(voir annexe 5). 51 lectures permettent de connaître l’état actuel de la question abordée. En effet, aucun sujet n’est radicalement neuf, et un chercheur ne peut prétendre pouvoir se passer du capital du savoir accumulé153. Ce travail de lecture légitimera la compétence de l’étudiant aux yeux de ses interlocuteurs qui posera les bonnes questions et évitera les idées préconçues. Il faut donc lire pour ne pas « découvrir la lune », pour connaître « l’état de la question », pour éviter de reproduire des erreurs ou des préjugés déjà détruits de longue date154. Par ailleurs, acquérir une connaissance préalable permet de s’imprégner, de se familiariser avec l’objet, avec les lieux, avec les hommes et d’aborder le terrain plus en confiance. La littérature, riche dans le domaine montre combien il est difficile de caractériser un profil de l’entrepreneur tant sa dimension est large et variée et ô combien la variété des fonctions qu’il exerce peut faire peur. L’entrepreneuriat semble en effet constituer un phénomène complexe et l’acte d’entreprendre d’être le fait de femmes et d’hommes aux cultures, motivations, projets très différents. Pour mieux comprendre l’entrepreneur, certains proposent, comme nous l’avons présenté dans la première partie, une approche par les traits, d’autres par les faits et l’on comprend fort bien ce que W. B. Gartner évoquait en 1985 : « la création de nouvelles entreprises est un phénomène complexe, les entrepreneurs et leurs firmes sont très différents, les actions qu’ils mettent en œuvre ou non et les environnements dans lesquels ils évoluent et auxquels ils réagissent sont également divers et tous ces éléments forment des combinaisons complexes et uniques pour la création de chaque nouvelle entreprise155 ». Le chapitre consacré à la compétence nous éclaire sur ce qui caractérise cette notion et sur les capacités que les individus doivent pouvoir mettre en œuvre. Dans leur ouvrage intitulé « L’acte d’apprendre », B. Aumont et de P. M. Mesnier soulignent que plusieurs entrepreneurs interrogés, dans le cadre de leur étude portant sur les points de rencontre entre l’entrepreneur et le chercheur dans leur processus d’entreprendre et de rechercher, semblent « faire preuve d’une surestimation de leurs capacités, dans une sorte de sentiment de toute puissance, comme si rien ne pouvait les arrêter dans le mouvement d’autosatisfaction lié à ce sentiment d’indépendance conquise de haute lutte »156. Ces positionnements théoriques et contextuels ont permis de fournir des éclairages à notre compréhension de l’acte d’entreprendre et d’orienter notre problématique. Nous nous interrogeons, en effet, sur la faisabilité de dresser un inventaire des compétences, des qualités 153 154 155 J-C. Kaufmann, 1996 : 36 S. Beaud, F. Weber, 1998 : 61 E. M. Hernandez, 1999 : 47. 156 B. Aumont , P.M. Mesnier, 1992 : 64. 52 ainsi que des conditions qui, exploitées et développées dans un environnement favorable, pourraient contribuer à la création et la réussite d’entreprises. La problématique une fois explicitée rend ainsi possible l’élaboration du modèle d’analyse et la définition des hypothèses qui seront soumises à l’épreuve des faits. B. L’élaboration du modèle d’analyse Nous avons donc débuté le travail en posant une question de départ plus ou moins élaborée. Après voir mené un travail exploratoire consistant notamment en un état de la recherche théorique sur la notion de l’entrepreneur, de compétence, et la réalisation de quelques entretiens informels, la problématique a ainsi pu émerger. La construction du modèle d’analyse correspond à un retour vers le concret et à la multiplication de questions et de pistes sortant alors de la phase de généralisation. Il s’agit donc de déployer des questions compte tenu de ce que l’on connaît déjà sur le sujet et de la problématique définie. Cela comprend notamment l’écriture des hypothèses pour ensuite mettre à l’épreuve celles-ci sur le terrain d’enquête retenu. 1) La construction d’hypothèses Le travail à mettre en œuvre consiste à décomposer la question de départ en éléments de plus en plus précis et concrets. a) La décomposition de la question de départ L’idée sous-jacente de cet exercice est que la question de départ ne peut se traduire immédiatement en une enquête car les questions posées dans les termes généraux et théoriques ne peuvent pas être posées en l’état aux enquêtés. Il y a donc un travail de décomposition à faire pour aller du cadrage théorique conceptuel aux questions concrètes que l’on va poser aux personnes intéressées, que ce soit sous forme de questionnaires ou d’entretiens. Le champ étudié couvre des thématiques riches prenant en considération des éléments tels que l’analyse du parcours professionnel et personnel de l’entrepreneur, sa vision de l’échec, de la réussite, l’influence de son entourage, les qualités qu’il détient, les compétences qu’il met en œuvre etc. Le travail à effectuer sur l’élaboration des hypothèses permettra d’y voir plus clair et d’envisager la mise à l’épreuve sur le terrain. 53 b) L’élaboration des hypothèses Une hypothèse peut être conçue comme une réponse provisoire à une question que l’on se pose relative à une question de départ, et qui va être validée ou invalidée, confirmée ou infirmée par le travail de terrain. R. Quivy et L. Van Campenhoudt définissent l’hypothèse comme « une proposition qui anticipe une relation entre deux termes qui, selon les cas, peuvent être des concepts ou des phénomènes. Une hypothèse est donc une proposition provisoire, une présomption qui demande à être vérifiée »157. Les hypothèses auxquelles nous tenterons de répondre par le biais de notre recherche empirique auprès d’entrepreneurs sont les suivantes. - Pour mieux comprendre, se sensibiliser à l’entrepreneuriat et sortir des discours théoriques qui peuvent parfois faire peur, il est possible de traduire les qualités et compétences mises en œuvre dans le processus de création et de développement d’entreprise sous le triptyque savoirs, savoir-faire et savoir être. - L’expérience professionnelle et, par conséquent l’acquisition de savoir-faire peuvent, sous certaines conditions, ne pas jouer un rôle primordial dans l’opportunité d’entreprendre (ressources relationnelles, savoirs etc.). - Au gré de nos lectures, il semble qu’il faille un certain charisme, un don, un 6ème sens pour entreprendre. Que nous dirons les entrepreneurs interrogés à ces sujets ? 2) L’objectif du travail de terrain La mise à l’épreuve de ces hypothèses sera l’objectif du travail de terrain qui peut être mené selon différentes formes. a) La mise à l’épreuve des hypothèses En sciences sociales, nous ne pouvons pas apporter de preuves à proprement parler parce que nous ne sommes jamais dans un dispositif d’expérimentation qui permettrait d’écrire que, toutes choses égales par ailleurs, les choses se produisent de telle ou telle manière. Nous parlerons plutôt de confirmation ou d’infirmation des hypothèses, de validation ou 157 R. Quivy et L. Van Campenhoudt, 1988 : 129. 54 d’invalidation, c'est-à-dire qu’à l’issue du travail sur le terrain, nous n’aurons toujours que des hypothèses. Ainsi, nous ne pouvons jamais tout à fait prouver qu’une hypothèse est vraie ; en revanche, nous pouvons montrer qu’elle est fausse. Il découle de ceci qu’une hypothèse n’a de validité scientifique que si elle est falsifiable, c'est-à-dire que si on peut montrer qu’elle est fausse. Mais pour pouvoir répondre à cette mise à l’épreuve des hypothèses, quelles méthodes de recueils d’information peut-on choisir ? b) Panorama des informations principales méthodes de recueils des Plusieurs méthodes visant à recueillir les informations existent et doivent être retenues en fonction des objectifs de l’étude entreprise, des caractéristiques du champ d’analyse. • L’enquête par questionnaire Elle consiste à « poser à un ensemble de répondant, le plus souvent représentatif d’une population, une série de questions relatives à leur situation sociale, professionnelle ou familiale, à leurs opinions, à leur attitude à l’égard d’options ou d’enjeux humains et sociaux, à leurs attentes, à leur niveau de connaissance ou de conscience d’un évènement ou d’un problème, ou encore sur tout autre point qui intéresse les chercheurs ».158 Parce qu’elle fait généralement appel à un grand nombre de personnes interrogées et d’un traitement quantitatif des informations une fois les questionnaires retournés, cette méthode appelle à formaliser une série de réponses à la plupart des questions de sorte que les répondants puissent choisir leurs réponses parmi celles qui leurs sont proposées. Cette méthode convient particulièrement lorsqu’il s’agit d’améliorer la connaissance d’une population spécifique, d’analyser un phénomène social que l’on pense pouvoir mieux cerner à partir d’informations portant sur les individus de la population concernée, ou d’une manière générale, quand il est nécessaire d’interroger un grand nombre de personnes où se pose un problème de représentativité. 158 R. Quivy et L. Van Campenhoudt, 1988 : 181. 55 • L’entretien « Sous leurs différentes formes, les méthodes d’entretien se distinguent par la mise en œuvre des processus fondamentaux de communication et d’interaction humaine. Correctement mis en valeur, ces processus permettent au chercheur de retirer de ces entretiens des informations et des éléments de réflexion très riches et nuancés »159. L’enquête par entretien est une « technique qui s’impose lorsque l’on veut aborder certaines questions et une démarche qui soumet le questionnement à la rencontre au lieu de le fixer d’avance »160. Un véritable échange est alors possible, au cours duquel l’interlocuteur exprime ses perceptions d’un évènement ou d’une situation, ses interprétations ou ses expériences, tandis que par des questions ouvertes et ses réactions, le chercheur facilite l’expression, évite qu’elle s’éloigne des objectifs recherchés permettant à la personne de s’exprimer avec un maximum d’authenticité et de profondeur. C’est le contenu de l’entretien qui fera l’objet d’une analyse de contenu systématique, destinée à tester les hypothèses de travail émises au préalable. Cette méthode convient particulièrement lorsqu’il s’agit d’analyser le sens que des acteurs donnent à leurs pratiques et aux évènements auxquels ils sont confrontés, d’analyser un problème particulier ou encore de mieux comprendre un processus d’action, d’expériences ou d’événements du passé, ce qui est le cas de notre étude. Cependant, loin d'être des illustrations d'une technique apprise en cours, les entretiens sont des moments sociaux parfois extraordinaires161 . En effet, l’enquête consiste à établir un autre type de relation et à sortir des canaux conventionnels d’information pour saisir la réalité d’une situation plus intime, ce qui influe sur l’objet de recherche. Ainsi, il est possible de rendre, en mettant en relation plusieurs témoignages basés sur une expérience vécue similaire, une représentation sociologique de la situation étudiée. • L’observation directe Il s’agit d’une méthode basée sur l’observation visuelle qui permet d’identifier les comportements au moment où ils se produisent. Cette technique ne fait appel à aucun document ni témoignage. Ces observations portent sur les comportements des acteurs en tant que manifestations de relations sociales et de fondements culturels et idéologiques. Une grille 159 160 R. Quivy et L. Van Campenhoudt, 1988 : 187. A. Blanchet et A. Gotman, 1992 : 20. 161 S. Beaud, F. Weber, 1998 : 228. 56 d’observation constituée à partir des hypothèses formulées permet de structurer l’acte d’observer. Cette méthode convient particulièrement lorsqu’il s’agit d’analyser le non verbal, de mettre en exergue des conduites instituées, des codes comportementaux, des modes de vie, des traits culturels etc. Elle convient également à l’étude des évènements tels qu’ils se produisent et peuvent compléter d’autres méthodes d’analyse des processus d’action et de transformation sociale. Après avoir présenté les fondements de notre cadre de recherche, nous allons, dans la partie qui suit, exposer la méthodologie retenue dans le cadre de notre étude. II. La spécificité de la démarche mise en oeuvre Dans cette partie, nous traiterons de la démarche qui a été mise en œuvre dans le cadre de notre étude, mettant en exergue les objectifs attendus et la démarche retenue pour y parvenir. Avant tout, il nous faut en déterminer les objectifs attendus. A. Les objectifs de la démarche entreprise Nombreux sont ceux et celles qui ont déjà songé à la possibilité de commercialiser une idée qu’ils affectionnent particulièrement. Le commencement du cycle de vie dans le projet162 de création d’entreprise est habituellement appelé « pré-démarrage ». Cette phase consiste à rêver, puis à envisager un projet de manière plus ou moins sérieuse, avant d’en arriver à décider de se lancer et d’explorer de manière plus déterminée les ressources, les possibilités et les besoins. Afin de formuler une vision plus orientée, les créateurs se lancent souvent dans l’élaboration d’un plan d’affaires dit « business plan » sans avoir au préalable pris le temps de se poser les questions essentielles qui permettent d’appréhender leur niveau de motivations et de qualités individuelles et des compétences requises. Ces interrogations sont importantes car la réussite d’une entreprise ne dépend pas uniquement de sa faisabilité économique, commerciale et juridique, mais également d’éléments plus individuels et personnels. 162 Le projet (du latin pro-jicere littéralement jeter en avant) est l’image que nous sommes capables de former d’une situation, d’un état que l’on pense pouvoir atteindre. En précisant un quelque peu, un projet est la représentation mentale exprimée et consciente d’une situation globale future, globale parce que complexe, que nous pourrons, si nous en décidons et si nous en avons la ferme volonté, matérialiser, inscrire dans le monde réel et dans le temps (P. Goguelin, 1992 : 17). 57 1) Une inscription dans le cadre du bilan personnel et professionnel La mise en œuvre d’un bilan personnel et professionnel est une « étape importante dans le processus de création ou de reprise d’une entreprise »163. Cela consiste à faire le point sur ses talents ou qualités (son savoir-faire mais également savoir être) ; à identifier ses motivations ; à déterminer ses besoins dans chaque domaine de vie (familial, couple, social, personnel et professionnel), dans le respect de ses valeurs ; à prendre conscience de ses contraintes personnelles ; et à vérifier que tous ces éléments sont compatibles avec son projet d'entreprise. Le bilan « représente une démarche […] d’identification des potentialités personnelles et professionnelles susceptibles d’être investies dans l’élaboration et la réalisation de projet d’insertion sociale et professionnelle »164. A la fin de cette étape, le futur entrepreneur connaît son potentiel, ses atouts et faiblesses, les menaces et opportunités, ses besoins et motivations profondes. Notre volonté s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre du bilan et ce, dans un contexte actuel qui oblige l’individu à des efforts continuels de redéfinition de son projet en vue d’en dégager des orientations nouvelles telles la création de sa propre structure. 2) Dans un contexte d’instabilité et de crise de l’emploi A partir de l’après-guerre et jusque dans les années 1990, les filières d’évolution étaient bien identifiées, renvoyant à des trajectoires, des parcours types sur lesquels chacun pouvait se positionner. La désinstitutionalisation du cycle de vie fait que toute représentation continue et prévisible est devenue impossible. En effet, on échappe désormais aux étapes de cycles de vie traditionnels : formation, travail et retraite. L’instabilité actuelle oblige donc le sujet à des efforts continuels de redéfinition de ses engagements. Il s’agit de réaménager, de réorganiser les rapports entre ses lieux d’existence et ses groupes d’appartenance mais aussi, de considérer l’ensemble de son parcours personnel afin d’en dégager des orientations nouvelles. L’extrême rapidité des changements auxquels nous sommes confrontés et les fortes turbulences dont ils s’accompagnent requièrent de chacun des capacités d’adaptation toujours plus importantes : « ce qui est devenu caractéristique de nos modes de vie actuels, c’est la perte d’automaticité et d’uniformité des étapes de notre vie adulte ; ces étapes sont dorénavant jalonnées de choix, de perspectives sans cesse à redéfinir, d’accidents à conjurer ou à 163 164 Lettre quotidienne de l'APCE (l'Agence Pour la Création d'Entreprises) n° 64, 1er avril 2005. J. Aubret, F. Aubret, C. Damiani , 1990 : 13. 58 assumer », écrit J-P. Boutinet165. Aussi, est-ce par la « redéfinition de ses projets, par des tentatives renouvelées de se projeter dans un futur plus ou moins opaque que le sujet tente d’échapper à l’incertitude anxiogène de son devenir »166. 3) Qui exige de l’individu de devenir « entrepreneur de soi » « Un projet personnel dépend avant tout de soi, c’est une démarche individuelle »167. « Pour réussir, il faut d’abord se connaître. C’est la meilleure arme dont un créateur puisse disposer pour surmonter les obstacles qu’il va rencontrer et pour surmonter les obstacles qu’il va rencontrer et pour choisir les créneaux qui lui permettront de satisfaire au mieux ses aspirations tout en tirant le maximum d’atouts. Quant à sa faiblesse, les connaître, c’est déjà réduire de 50 % [...] »168. En matière d’orientation, cette situation est particulièrement difficile puisqu’une partie de l’élaboration de projets repose sur la recherche d’information sur l’environnement socioprofessionnel. C’est à cela que nous tentons de répondre en menant notre travail puisqu’il s’agit, non seulement, de valoriser l’entrepreneuriat mais également de rendre visible, à partir des réalités du métier d’entrepreneur tel qu’il est exercé, dans des situations professionnelles très différenciées et des cadres d’exercice hétérogènes, les qualités et compétences nécessaires requises pour créer et développer une entreprise afin d’envisager des dynamiques de définition de projet professionnel nouveau pour des individus en quête de nouveaux horizons professionnels et de nouvelles responsabilités. Notre contribution pourra être une aide à la décision utile pour tout individu porteur ou non de projet. Il permettra de mettre l’accent sur les différentes caractéristiques à combiner par l’individu, et d’envisager les moyens à mettre en place pour développer ou recourir à certaines compétences manquantes, le cas échéant. Par exemple, si un individu porteur de projet est un bon technicien, ayant très peu d’expérience en matière de vente, il devra prévoir, dès le démarrage, les moyens à mettre en place pour recourir à des commerciaux, envisager un partenariat ou suivre un stage dans le domaine de la vente, en alternance avec une formation théorique. 165 166 167 1990 : 54. B. Broye, 1998 : 91. F. Kerlan (2004), introduction de la partie 3. 168 R. Papin., 1993 : 7. 59 B. L’organisation de la démarche mise en œuvre 1) La méthode choisie pour le recueil d’informations a) Le recueil de données empiriques Nos travaux se fondent en effet sur le recueil de données empiriques. L’objectif du recueil d’informations auprès des personnes concernées est de faire exprimer la vision qu’ils ont d’eux-mêmes en tant qu’entrepreneur, notamment en terme de qualités et de compétences. Contrairement à la technique du questionnaire, ce type d’entretien se caractérise par un contact direct entre le chercheur et ses interlocuteurs et par une faible directivité de sa part. Il porte plus ou moins directement sur le thème imposé par le chercheur et non sur ce dont son interlocuteur désire parler. Enfin, son objectif est lié à ceux de la recherche et non au développement personnel de la personne interviewée. C'est pourquoi on parlera plutôt d'entretien semi directif ou semi structuré. b) La mise en œuvre d’échanges interactifs Afin d’être en mesure de recueillir un maximum d’informations ciblées et de mettre en œuvre des échanges interactifs, les entretiens ont été menés sous la forme individuelle et semi directive. Si l'entretien est d'abord une méthode de recueil des informations, au sens le plus riche, il reste que l'esprit théorique du chercheur doit rester continuellement en éveil de sorte que ses propres interventions amènent des éléments d'analyse aussi féconds que possible169. C'est pourquoi, l'activité d’écoute du chercheur est cruciale. L'écoute n’est pas assimilable à un acte d’enregistrement de données. Au contraire, elle est productrice de significations : elle met en œuvre des opérations de sélection, d’inférence, de comparaison par rapport aux objectifs de l’entretien. Elle est donc une activité de diagnostic. C’est elle qui remet en jeu tout le processus d’objectivation et de construction de l’objet amorcé pendant la préparation de l’enquête et qui se poursuit, ici dans la phase de réalisation. La clé de la méthodologie de l'entretien repose ainsi sur la technique d'écoute, sa préparation et son explicitation après coup170. De plus, mon expérience menée sur le lieu de stage m’a permis d’acquérir la connaissance théorique et pratique élémentaire des processus de communication et d’interaction 169 170 R. Quivy, L. Van Campenhoudt,1995 : 194. A. Blanchet et A. Gotman, 1992 : 78. 60 individuelle. Lors des entretiens semi directifs auprès de titulaires d’emplois variés, je me suis rapidement aperçue que le fait de faire confiance, d’expliciter clairement la demande et les objectifs de l’entretien, d’être à l’écoute sans juger garantissaient des entretiens de qualité171. 2) Le choix et la constitution de l’échantillon a) La notion de représentativité Dans l'enquête par entretien, on construit le plus souvent un échantillon diversifié qui repose sur la sélection de composantes caractéristiques de la population172. Il convient toutefois de préciser que le terme d'échantillon est mal adapté dans une optique qualitative car il porte en lui-même l'idée de la représentativité et de la stabilité. A la notion globale de représentativité, ne faut-il pas substituer une notion plus large qui est l’adéquation de l’échantillon aux buts poursuivis173 ? b) Le phénomène entrepreneurial d’entreprise ex nihilo décrit par la création Les entités créées par le phénomène entrepreneurial sont d’une grande diversité ; mais indéniablement, et notamment dans le contexte actuel, c’est la création d’entreprise qui attire le plus l’attention car « la création d’entreprise constitue sans doute l’archétype de l’acte entrepreneurial. Il nous a donc semblé intéressant, comme le mentionne T. Verstraete174, d’étudier un phénomène large comme l’entrepreneuriat le ciblant dans un cadre donné : la création d’entreprise. Plus précisément, c’est la création ex nihilo menée par un individu ayant conduit à la création effective et le développement de son entreprise qui guide notre recherche. Dans notre cadre d’étude, cela a consisté à déterminer quels acteurs pourraient produire des réponses aux questions que l'on se pose. Et, qui est le plus à même de nous informer sur l’entrepreneuriat si ce n'est les entrepreneurs eux-mêmes ? 171 Dont la mission a consisté, entre autre, au travers d’entretiens descriptifs d’emplois, à construire des référentiels de compétences pour tout le personnel de la Caisse Régionale d’Assurance Maladie travaillant dans les établissements pour personnes âgées. 172 A. Blanchet et A. Gotman, 1992 : 54 173 R. Ghiglione et B. Matalon, 1985 : 53. 174 1999 : 30. 61 c) Les caractéristiques du terrain d’enquête L’entrepreneur demeure l’élément clé de l’acte entrepreneurial. Il peut être une institution ; P. A. Fortin évoque alors la notion d’entrepreneur corporatif. Il peut également s’agir d’une personne ou d’un groupe de personnes, on parlera alors d’entrepreneur personnel. C’est l’entrepreneur dans son agir qui nous intéresse et notamment celui qui se situe dans une logique entrepreneuriale175. Nous avons donc choisi d’interviewer des personnes âgées de 25 à 59 ans ayant créé leur entreprise. La cible était volontairement orientée vers des dirigeants de petites et moyennes entreprises compte tenu de mon projet professionnel futur et de la dynamique qu’elles mettent en oeuvre176. En ce qui concerne la représentation homme/femme, cinq femmes créatrices ont été interrogées sur un total de treize personnes rencontrées177. Nous avons volontairement écarté les personnes ayant créé de grandes entreprises compte tenu du peu de disponibilité qu’ils auraient pu nous accorder et de la complexité de leur processus entrepreneurial ; d’autant plus que cette étude était limitée dans le temps. Dans une enquête réalisée en France par l’APCE178, sont identifiées quatre catégories de nouveaux entrepreneurs : les initiés (25 %) qui assurent la relève de l’entreprise familiale ; les débutants (6 %) qui représentent des jeunes qui démarrent une entreprise ; les matures (41 %) qui sont des personnes de 40 à 50 ans, faisant un nouveau choix professionnel en milieu de carrière ; et les rebelles (28 %) qui sont des personnes de 50 à 60 ans, en rupture professionnelle, qui créent leur propre emploi pour sortir de leur transition. Notre étude cible davantage les trois derniers groupes puisque s’intéressant aux processus de créations pures d’entreprises. Nous tenterons de rendre compte d’une diversité de situations, domaines d’activité, rapports aux savoirs et aux compétences offrant des différences qui seront explorées le plus possible. La difficulté d’approche des entrepreneurs a rendu difficile la réalisation de l’enquête. C’est pourquoi la méthode de prospection et la prise de contact sont particulièrement importantes. Le créateur du type entrepreneurial « formule un projet, construit autour d’une adéquation marché et fabrication d’un produit ou réalisation d’une prestation et mise en place des moyens adéquats, dans une logique de développement concrétisée par une structure (l’entreprise) dont les outils vont s’accroître et se concrétiser dans le développement du chiffre d’affaires ». « Le créateur de type insertion sociale poursuit d’autres objectifs. « Le développement d’une structure, l’intégration de celle-ci dans la vie économique, ne sont pas le mobile de ses efforts », Y. Giry, (2000) - Créateurs d’entreprises, nouvelles entreprises, Agence Régionale de Développement, pp 2-3. 176 Selon les experts de l’OCDE, « la PME est à l’origine de 24 fois plus d’innovations par dollar investi que la grande entreprise ». Le développement de petites entreprises n’est donc pas un recul sur le plan de l’innovation. Ce n’est pas un recul non plus sur ce qui touche l’utilisation des ressources humaines d’un pays ou l’occupation de son territoire. De plus, dans nos sociétés, les PME jouent un rôle qui va bien au-delà de l’économie. Comme le souligne Pierre-André Julien, les PME ont favorisé la croissance de la classe moyenne dans la plupart des pays et ont permis la mise en place de la démocratie dans les pays en développement, P. A. Fortin, 2002, PP : 24-25. 177 On observe que les femmes représentent 30 % parmi les créateurs d’entreprises, INSEE, 2004. 178 Agence Pour la Création d’Entreprises citée par P. A. Fortin, 2002 : 35. 175 62 3) La méthode de prospection et la prise de contact C’est lors de contacts téléphoniques obtenus grâce au réseau relationnel qui m’entoure179 que j’ai pu, après maintes relances, présenter « en direct » mon projet d’étude aux interlocuteurs pour obtenir leur accord dans un premier temps et pour m'assurer de leur collaboration dans un second temps. Une attention particulière a été portée à la prise de contact et à la présentation de l'enquête. En effet, lors de ces conversations téléphoniques, je me suis efforcée dans des délais relativement brefs, de me présenter, de décrire ma motivation, de commenter les objectifs mais aussi les formes et durées d'investigation retenus dans le cadre de ma recherche universitaire, de façon à ce que mes interlocuteurs soient rapidement et clairement éclairés sur les attentes et les contours de l’interview qui leur était proposée. A. Blanchet et A. Gotman soulignent, en effet, que le chercheur est souvent amené à répondre à des questions portant implicitement sur la raison et les objectifs de la recherche entreprise180. Ce type d’interrogation a, en ce qui me concerne, plutôt été posé lors des propos introductifs en entretien. Un des points que j’ai souligné avant la prise de rendez-vous et la clôture de la conversation téléphonique a été l’aspect neutre, collectif et confidentiel du travail mis en œuvre. Par ailleurs, la participation de chaque personne consistait entre autre à répondre individuellement et oralement à des questions portant sur leur(s) parcours professionnel(s), leur(s) expérience(s), leur vision du créateur. Pour m’aider, j’ai élaboré un guide d'entretien qui m’a servi de point de repère et ai enregistré les entretiens (joints en annexe n° 3 et 4). 4) Des aides à la dynamique et à l’analyse de l’entretien a) Le guide d’entretien comme fil conducteur J’ai donc préparé une série de questions guides relativement ouvertes à propos desquelles il était impératif que je reçoive une information de la part de l'interviewé. Ce guide avait outre pour fonction de saisir l'intérêt du répondant potentiel mais également de déclencher une dynamique de conversation plus riche que la simple réponse aux questions tout en restant dans le champ d’étude. Enfin, il permettait de comparer les résultats orientés sous un type de 179 Des créateurs de mon quartier (Lille Moulins), des créateurs identifiés lors d’échanges avec des personnes de mon entourage proche (personnel, professionnel), lors de ma formation en Master 2 CDVA… 180 1992 : 75. 63 questionnements similaire. Un autre objectif, que je n’avais pas défini au préalable, a été de recadrer certains propos qui pourraient partir à la « dérive » compte tenu de l’enthousiasme et la passion portés par les entrepreneurs, en majorité contents, voire flattés de parler d’eux et de leurs expériences. Cependant, je n’ai pas forcément posé toutes les questions dans l'ordre établi et sous la formulation prévue. Autant que possible, j’ai laissé l'interviewé s’exprimer afin que celui-ci puisse parler ouvertement avec ses mots propres et dans l'ordre qui lui convenait. Je me suis efforcée de recentrer l'entretien sur les objectifs chaque fois qu'il s'en écartait et au moment le plus approprié, toujours de manière naturelle. En effet, « conduire l’entretien, c’est aussi par moments infléchir son premier développement, lui donner une direction plus ajustée à la ligne de recherche, quitte à interrompre, en y mettant les formes, l’interlocuteur lorsque les propos paraissent être du « bavardage » »181. La durée des entretiens a d’ailleurs, dans certains cas, été supérieure à la durée initialement prévue d’une heure trente. De plus, deux entretiens se sont déroulés avec des personnes qui ont connu un échec moins de 18 mois après leur création d’entreprise. Il nous a semblé pertinent d’étudier ces situations afin d’envisager d’identifier les qualités, compétences ou autres facteurs qui ont pu être manquants pour pérenniser leur entreprise créée. b) La formulation des questions posées Les questions de départ avaient comme objectif de dresser le profil de l’interviewé : son âge, sa situation familiale, la date de création de son entreprise, son activité principale, le nombre de collaborateurs ainsi que le statut de la société. Une fois ces questions posées, j’ai interrogé l’entrepreneur sur son parcours de formation et ses expériences professionnelles. Ces questions permettent d’identifier le type de trajectoires de chaque interviewé. J’ai ensuite cherché à connaître ce qui avait motivé l’interviewé à passer à l’acte d’entreprendre en formulant la question comme suit : « en quelques mots, pouvez-vous m’indiquer ce qui a motivé à créer votre entreprise ». Cette question vise à connaître si l’acte d’entreprendre avait été provoqué par défi, par opportunité d’affaire, par un apport financier etc. J’ai ensuite interrogé chaque interviewé sur la manière dont il avait mis en œuvre son projet de création afin de connaître les éventuelles structures et dispositifs qui leur avaient apporté un accompagnement spécifique. Les questions suivantes portaient davantage sur les qualités, 181 S. Beaud, F. Weber, 1998 : 220. 64 compétences, atouts qui, pour les interviewés, semblent primordiales pour créer et pérenniser leur structure. Notre objectif a donc été de faire parler les experts de l’entreprendre afin qu’ils puissent évoquer les qualités et compétences déployées dans leur processus de création et de développement d’entreprise. Plus précisément, notre approche dans l’identification de ces qualités et compétences a consisté à induire les informations à partir de données recueillies auprès des acteurs concernés. Nous avons supposé que les entrepreneurs sont en relation directe avec des formes très diversifiés de savoir et de savoir-faire, capables de nous fournir des éclairages importants à notre compréhension de l’acte d’entreprendre. Une question cherchait également à savoir si l’interviewé avait, dans son entourage proche, des exemples d’entrepreneurs puisque nous avons pu lire, au travers de nos lectures, qu’un individu ayant « grandi » dans un environnement entrepreneurial avait plus de probabilités de devenir, à son tour, entrepreneur. Aussi, nous avons spécifié deux de nos questions à travers la notion de charisme et la position des femmes créatrices (« selon vous, en tant que femme, pensez-vous qu’il soit plus difficile d’accéder au statut de créateur ? »). Enfin, et pour clôturer les échanges, nous avons interpellé l’interviewé sur une question simple et ouverte : « Et si c’était à refaire ? ». D’une manière générale, les récits d’expérience sont riches et permettent un apport d’information intéressante. Au vu de l’ampleur des propos tenus, l’enregistrement des entretiens a d’ailleurs été une condition indispensable. c) Le contexte des entretiens mis en oeuvre Bénéficiant de l’accord préalable des personnes, chaque entretien a été enregistré sur magnétophone. Les entretiens se sont déroulés, en majorité, dans un environnement calme, généralement dans le bureau de la personne interrogée ou dans une salle de réunion. Consciente que la réussite de l'entretien dépende en partie du contexte, j’ai toutefois été amenée, dans un tiers des cas environ, à devoir interrompre l’enregistrement des interviews, notamment en cas d’appel téléphonique, d’interruption de la part d’une secrétaire, du personnel de chantier etc. La plupart des personnes interviewées ne semblaient pas en être déconcentrées et poursuivaient leurs propos après une question que je leur posais en rapport avec les propos tenus précédemment. 65 d) La retranscription des entretiens Une fois l'enregistrement de l'entretien effectué, il a fallu procéder à la retranscription. La retranscription est un art difficile car il est important, pour garantir l’authenticité des propos tenus, de reprendre de façon exacte les dires du locuteur tout en s’écartant de la retranscription fidèle ou « brute » qui deviendrait vite insupportable pour le lecteur ; d’autant plus que les personnes interrogées étaient toutes plutôt bavardes, apparemment ravies d’avoir à parler d’eux et de leur « bébé » qu’est leur entreprise. Aussi, avec la volonté de retrouver le climat, l'atmosphère, la proximité du ton oral, nous n’avons procédé qu’à quelques réajustements : corrections grammaticales, suppression de certaines répétitions, insertion de […] correspondant à une rupture de construction dans le discours oral, caractérisant du hors sujet, du bavardage jugé éloigné du sujet ou des propos confidentiels. Les hésitations, plus ou moins longues dans le temps, ont été marquées par des points de suspension. Les retranscriptions figurent en annexe n° 4. Le choix des méthodes de recueil de données influence les résultats du travail. Les méthodes de recueil et d’analyse des données sont le plus souvent complémentaires et doivent être choisies ensemble en fonction des objectifs que l’on se donne. Si les enquêtes par questionnaires s’accompagnent de méthodes d’analyse quantitative, les méthodes d’entretien appellent habituellement des méthodes d’analyse de contenu qui sont souvent qualitatives. Il nous faut alors mener un travail de recomposition une fois les questions posées pour remonter des réponses obtenues à la validation des hypothèses car le terrain ne livre pas de réponse immédiate aux questions que l’on se pose. Ce travail fait l’objet du prochain et dernier chapitre consacré à l’analyse des entretiens. 66 CHAPITRE 3 L’ANALYSE DES CONTENUS SUITE AU RECUEIL D’INFORMATIONS Parce que l’entrepreneur se situe au cœur de la dynamique du processus entrepreneurial, nous pouvons penser qu’il a une influence sur la destinée de son entreprise et qu’il en initie la trajectoire. Il nous semble donc important de présenter, dans notre travail exploratoire, une synthèse des portraits des entrepreneurs interrogés qui fera l’objet de la première partie de ce chapitre. Il s’agit, dans un premier temps, de dresser un portrait essentiellement basé sur des paramètres sociologiques des personnes interrogées tels leur âge, sexe, situation familiale ainsi que ceux liés à l’interaction avec leur environnement proche. Nous aborderons, dans un second temps, des caractéristiques davantage liées aux trajectoires des personnes comme leur parcours de formation et passé professionnel. Cette analyse nous permettra de valider ou non une de nos hypothèses à savoir si, sous certaines conditions, le « capital-expérience professionnelle » peut ne pas jouer un rôle primordial dans l’opportunité d’entreprendre. La seconde partie est essentiellement centrée sur l’acte d’entreprendre, en mettant notamment en exergue les évènements et les raisons qui ont amené l’individu à passer l’acte d’entreprendre, avec les risques que cela engendre. A travers l’analyse des propos tenus et en portant notamment un regard attentif à la sémantique utilisée, nous étudierons l’hypothèse d’un « capital-charisme » chez l’entrepreneur. La troisième partie porte sur l’identification des qualités et compétences mobilisées en vue de concrétiser et de pérenniser l’initiative des acteurs interrogées. Nous nous efforcerons, bien que les entrepreneurs fassent souvent référence à des traits de caractère, de dresser un triptyque basé sur les savoirs, savoir-faire et savoir être. Ce « capital-qualités-compétences » fait autant référence à l’approche par les faits que celle par les traits. Parce que la mobilisation des compétences est une combinatoire ; il n’y a donc aucune hiérarchie dans le classement des compétences proposé. 67 I. A propos de l’entrepreneur A. Les paramètres sociologiques 1) Les données concernant le sexe et l’âge de la population d’enquête a) Une représentation sexuée équilibrée Treize personnes au total ont fait l’objet d’une interview dans le cadre de l’étude182. Nous avons souhaité, pour garantir un certain équilibre dans la représentativité de notre échantillon, interroger un certain nombre de femmes et d’hommes. Par conséquent, huit hommes et cinq femmes ont répondu favorablement à notre enquête. Concernant les femmes, une question spécifique a été posée afin de savoir si le fait d’être une femme peut poser des difficultés lors de la création d’entreprise. Une seule femme a estimé avoir eu des difficultés compte tenu de son âge (30 ans) et de son sexe, notamment dans les négociations auprès des banques ou des administrations. Mais toutes y voient plutôt certains atouts, notamment dans le relationnel ou dans l’obtention d’aides à la création. Nous avons entendu une femme dire183 : « C’est dans un premier temps une difficulté qui peut se révéler être un atout quelquefois au niveau commercial ». Une autre affirme que « Déjà, en tant que femme, on a des aides […], des prêts à zéro pourcent » et « aucun frein et même bien au contraire, la majorité des rendez-vous, ce sont des hommes, on les impressionne, une femme qui veut créer ». Une autre mentionne que « Pas du tout, ça c’est dans la tête ». b) Des tranches d’âges différentes (tableaux 1/1 bis) Parmi notre échantillon, un homme est âgé de 25 ans. Trois hommes et trois femmes ont entre 26 et 35 ans, ce qui représente la tranche d’âge moyenne la plus élevée en matière de création d’entreprise. En effet, une enquête souligne que 20 % des créateurs ont moins de 30 ans, 37 % ont de 30 à 39 ans, 27 % sont âgés de 40 à 49 ans et 16 % ont plus de 50 ans184. Dans notre Notons que, à ce jour, onze sur les treize personnes interrogées poursuivent leur activité ; tandis que deux d’entre elles ont échoué moins de 18 mois après la création de leur entreprise. Ces deux personnes se sont exprimées dans le cadre de la recherche car nous avons jugé intéressant d’analyser leurs parcours et expériences et de les questionner sur les compétences qui ont pu être manquantes dans la mise en œuvre de leur projet et l’exercice de leur activité. 183 En dehors des conventions admises, nous avons choisi de mettre en italique les propos tenus par les locuteurs interrogés. 184 Source INSEE, Sine 2002. 182 68 étude, deux femmes sont âgées de 36 à 45 ans et quatre hommes ont plus de 45 ans, le plus âgé ayant 59 ans. L’âge ne semble pas être un frein à la création d’entreprise bien qu’une des femmes interviewées ait mentionné avoir eu des difficultés à être prise au sérieux dans certaines institutions, tant par rapport à son âge qu’à son sexe : « Et puis il y a le manque de prise au sérieux du fait de mon sexe et de mon âge (30 ans). Dans l’administration, que ce soit au niveau bancaire, les structures administratives […] ». P.A. Fortin fait référence à une enquête réalisée en France par l’APCE qui a identifié quatre catégories de nouveaux entrepreneurs : les initiés (25 %) qui assurent la relève de l’entreprise familiale, les débutants (6 %) qui représentent des jeunes qui démarrent une entreprise, les matures (41 %) qui sont des personnes de 40 à 50 ans, faisant un nouveau choix professionnel en milieu de carrière, les rebelles (28 %) qui sont des personnes de 50 à 60 ans, en rupture professionnelle, qui créent leur propre emploi pour sortir de leur transition185. Le tableau 1 Bis nous montre la proportion de ces catégories au regard de la population interrogée dans le cadre de notre étude. 2) La situation familiale des personnes interrogées a) L’inventaire (tableau 2) des situations personnelles des créateurs Quant aux situations familiales des créateurs, deux hommes sont célibataires sans enfant. Une femme est célibataire avec un enfant. Quatre personnes vivent en couple sans enfant, dont trois femmes. Six personnes vivent en couple avec enfants, dont une femme créatrice. Nous allons dès à présent aborder la position du créateur vis-à-vis de sa position familiale. b) La conciliation entre vie professionnelle et vie familiale La conciliation entre vie professionnelle et vie familiale186 semble possible pour les entrepreneurs interrogés. En effet, il ne semble pas y avoir de difficultés majeures pour les 185 186 2002 : 35. « La Commission européenne a fait de la conciliation entre vie professionnelle et familiale un axe majeur de sa politique de l’emploi. L’Europe a affiché l’objectif stratégique d’un taux d’emploi de 60 % pour les femmes en âge de travailler pour l’ensemble des Etats membres de l’Union », F. Danvers, (en cours de réalisation) - Anthropologie de l'orientation, version n°3, remaniée et augmentée. 69 créateurs qui ont entrepris tout en étant parent, à condition de mettre en place une certaine organisation et d’avoir un entourage proche aidant : « C’est faisable mais c’est une question d’organisation ». « Seule, réellement seule, ça n’aurait pas été possible ». Toutefois, on peut comprendre, dans certains propos, qu’il est parfois difficile de ne pas être suffisamment disponible pour ses enfants. Face à cela, une personne semble se justifier. « Ça fait partie d’inculquer ça à ses enfants, qu’on n’a rien sans rien » ; tandis que d’autres culpabilisent et tentent de réparer leurs erreurs et de ne plus les commettre à nouveau : « Je n’ai pas passé de temps avec mes enfants. Je fais des efforts, je pars maintenant avec eux en vacances, avec les grands, mais ce qui a été raté au départ est raté […]. Alors que maintenant, évidemment je suis beaucoup plus vieux, j’ai un petit garçon de quatre ans et mon seul objectif c’est de le voir grandir, de passer du temps avec lui, c’est complètement différent, je regrette ». D’autres parviennent à trouver un peu de disponibilité : « C’est clair qu’à la période de création, il y a eu deux mois où je n’étais pas disponible maintenant j’essaye d’aménager mon temps pour pouvoir profiter de ma femme et de ma fille ». Un des entrepreneurs a, quant à lui, choisi de travailler avec ses enfants en combinant certaines compétences : « Je voulais travailler avec mes enfants. […] Surtout pour être avec mes gosses » ; d’autres évoquent l’éventualité de la reprise : « J’aurais bien aimé que mes enfants reprennent mon entreprise mais je ne sais pas encore ». Un sentiment de regret, voire de culpabilité, semble toutefois présent chez une des créatrices et en l’occurrence mère, qui a échoué dans son projet de création. Elle mentionne que le fait d’avoir été seule avec sa fille n’était pas évident et regrette d’avoir quitté un emploi stable et sécurisant : « A quarante ans j’avais envie de faire quelque chose, maintenant, je regrette. […] J’avais quand même une sécurité. […] Ma fille, n’est pas stable non plus ». Bien évidemment, pour les personnes qui ont créé et qui n’ont pas d’enfant, l’investissement dans le projet et le développement de l’entreprise est total : « Par rapport à la vie de famille, n’ayant pas d’enfant, je peux consacrer deux fois trente cinq heures au développement de l’activité, ça ne pose problème à personne, mon conjoint étant lui-même chef d’entreprise ». 70 3) L’entrepreneur, fruit de son milieu ? a) La culture entrepreneuriale « Un entrepreneur n’est pas le fruit d’une génération spontanée et il ne pousse pas dans le désert non plus »187. Voilà pourquoi nous devons parler de culture entrepreneuriale et du réseau social qui entourent l’entrepreneur. La culture entrepreneuriale fait souvent référence à des attitudes et des valeurs comme l’autonomie, la responsabilité, la créativité et la solidarité ; à des connaissances appropriés pour relever correctement les défis comme entrepreneur ou employé ; à des compétences de savoir-faire, de savoir être et de savoir agir appropriés à des situations de vie »188. Nous l’avons abordé dans notre première partie consacrée aux positionnements théoriques, les environnements spécifiques où une personne peut être interpellée en matière d’entrepreneuriat sont au nombre de quatre : la famille (et la religion), l’école, l’entreprise et le territoire. Lors des entretiens, nous avons en effet cherché à savoir si l’entourage proche du créateur se compose plutôt d’entrepreneurs ou plutôt de population salariée. Les résultats semblent indiquer que l’influence de la famille a pu avoir, de façon consciente ou pas, un effet déterminant sur le choix professionnel des créateurs interrogés : « J’ai baigné là-dedans on va dire » ou « C’est une culture qu’on nous inculque mais ça dépend de la personnalité et de la vision de la vie », a-t-on pu relever lors d’entretiens. Une seule personne parmi les personnes interrogées affirme ne pas avoir eu de parents, ni de proches entrepreneurs. Quant aux personnes qui ont répondu par l’affirmative, nous avons pu entendre : « J’ai un frère qui est indépendant. Mes parents étaient aussi indépendants. […] Je crois que ça doit jouer un tant soit peu » ; « Et puis mon père est indépendant, ma mère est indépendante, même si elle est salariée. Ça joue peut-être » ; « Mon père était artisan commerçant, je n’ai pas eu de fonctionnaires autour de moi. C’est vrai que j’ai grandi dans ce milieu plus entreprenant ». Une personne mentionne, sans même lui poser la question, que « son parcours était un peu dessiné car issu de famille de commerçants » et qu’il avait dans l’objectif de se mettre à son compte un jour ou l’autre. Un autre déclare, après avoir vu ses parents et son entourage créer leur structure, être plus vigilant, notamment au regard de la vie de famille : « En connaissant les défauts et ce qu’on a vécu, il faut faire la part des choses ». Selon lui, ce n’est pas l’exemple, notamment de son père qui lui a donné l’envie d’entreprendre. Une autre personne affirme que son père a crée 187 188 P.A Fortin, 2002 : 27. P.A Fortin, 2002 : 27. 71 son entreprise mais que, dans son cas, « C’est l’âge qui fait ça ». Enfin, un des entrepreneurs souligne que son père était entrepreneur et qu’il tire son chapeau « au salarié qui passe le cap » car selon lui, l’environnement n’y sera pas favorable. On comprend alors que la famille joue un rôle important dans la diffusion de modèles ou de messages favorisant l’entrepreneuriat. b) Le « capital-relations » formel et informel Pour se lancer, croître et se développer, « l’entrepreneur a besoin d’un environnement favorable »189. Nous aborderons dans un premier temps, l’appui d’un réseau affectif, souvent exprimé dans les propos tenus par les personnes interrogées ; dans un second temps, l’existence d’un réseau de compétences auquel l’entrepreneur fait appel, que ce soit, lors des phases de pré-démarrage, de démarrage ou de développement d’activité ; enfin, comme le nomme P.A. Fortin, nous ferons mention du réseau de performance, tels les clubs d’entrepreneurs, auxquels les personnes interviewées ont fait référence. • Le réseau affectif Pour P.A. Fortin, c’est le réseau le plus important pour un entrepreneur qui débute. « S’il ne trouve pas suffisamment de soutien et d’encouragement auprès de ses proches, le nouvel entrepreneur aura du mal à faire le saut et surtout, à surmonter les nombreux obstacles rencontrés lors du démarrage d’une nouvelle entreprise »190. On le note en effet dans les propos tenus : « Je savais que j’avais la personne pour m’épauler en cas de difficultés et c’est peut-être lui qui m’a motivé aussi à le faire » ; « C’est important d’être bien accompagné, même si la personne n’y connaît pas grand-chose, il faut quelqu’un qui vous dise « allez, tu continues et tu ne te décourages pas et on y va… » ; « C’est important dans la vie du créateur (l’épouse) car si vous avez une bonne femme qui dit à son mari de rentrer tôt sans arrêt, c’est nul, le gars ne peut rien faire ». Mais le soutien et l’encouragement ne suffisent pas, les personnes interrogées ont évoqué le besoin d’aide dans l’organisation de la vie quotidienne, mais également dans la capacité à fournir des conseils professionnels. Une mère souligne que « J’ai de l’aide d’autres membres de ma famille pour s’occuper de mon enfant, un soutien pour m’organiser… ». D’autres ont bénéficié de services gratuits tels la création d’un site Internet, des tracs publicitaires, des 189 190 P.A Fortin, 2002 : 62. P.A Fortin, 2002 : 62. 72 conseils en comptabilité : « En comptabilité, je me sens soutenu de ce côté-là, j’ai eu la chance que ce soit un ami, sinon ça fait des frais supplémentaires » ; « J’ai un ami, heureusement, qui nous a fait 13 000 tracts, gratuits ». L’aide de la famille peut également être porteuse d’affaires : « Parce que la famille est connue dans le coin, on a su mettre notre réseau à profit, mais même comme ça, c’était difficile » ou « Didier (un ami et associé) m’a trouvé deux ou trois belles affaires comme EDF et comme le Conseil Général, qui ont été mon fonds de commerce dans un premier temps ». Enfin, le réseau affectif représente également les personnes avec lesquelles l’entrepreneur peut s’associer, on le lit par exemple dans les propos tenus : « J’ai des associés, par affection et je n’ai pas envie de travailler tout seul » ; « A la base, les amis sont là pour vous dire ce qui va ou ce qui ne va pas et puis il y a une confiance aussi, forcément, que je n’aurais certainement pas eu avec quelqu’un que je ne connaissais pas (il s’agit d’une personne qui s’est associée avec deux de ses amis) ». • Le réseau de compétences Il comprend entre autres les comptables, les conseillers juridiques et fiscaux, les consultants spécialisés, des conseillers comme la Chambre du Commerce et d’Industrie (CCI), les associations d’accompagnement à la création d’entreprise etc. En France, on estime à plus de trois mille le nombre de structures oeuvrant dans l’accueil et l’accompagnement du créateur d’entreprise191 . Cependant, les statistiques montrent que seuls 20 % des créateurs y ont recours. Et pourtant, « créateur et accompagnateur forment un couple essentiel » car on le sait, l’accompagnement du porteur de projet favorise les conditions de succès d‘une création d’entreprise192. On a répertorié plusieurs milliers d’ides existantes à la création. Il existe d’ailleurs des dispositifs mis en place à l’initiative de l’Etat en direction de publics spécifiques, comme les femmes, les seniors, les personnes en difficulté ; mais également des dispositifs proposés par les régions, les départements et autres collectivités territoriales193. Ce que nous retenons de l’analyse des propos tenus par nos locuteurs quant au réseau de compétences est qu’il « faut faire attention de bien choisir les personnes avec lesquelles on choisit de travailler ou de s’entourer » et qu’il y a « des gens qui sont incontournables, comme un comptable, un banquier, un partenaire… ». 191 192 Une liste non exhaustive des organismes spécialisés en jointe en annexe 5. Propos tenus par R. Dutreil : Pour une création d’entreprise accompagnée, Entreprises formation, N° 137 Mai-Juin 2003. 193 Pour une création d’entreprise accompagnée, Entreprises formation, N° 137 Mai-Juin 2003. 73 Concernant les organismes d’aide à la création, une préconisation à retenir des propos tenus est qu’il serait judicieux d’avoir un coordinateur qui prenne en charge le dossier et qui soit capable d’orienter les personnes aux endroits adéquats, de mettre en place une mise en réseau afin de limiter la « paperasserie » répétitive et de bien rappeler que les formations à la création permettent d’appréhender de façon basique un champ très large et varié. Lors des entretiens, quatre personnes non bénéficiaires d’accompagnement à la création estiment que cela ne sert à rien ou, que, par expérience, certains organismes freinent les projets de création. L’un évoque à ce sujet que « La Chambre de Commerce, vous ne les voyez jamais. Ils font des prévisionnels. Vous prévoyez quoi, vous ne savez pas si vous allez avoir un seul client… ». Concernant les six personnes bénéficiaires d’accompagnement, trois ne semblent pas avoir été complètement satisfaites. On peut ainsi lire : « J’ai eu de très bons conseils au niveau finalisation de statuts et équilibrage de prévisionnel. Mais le prévisionnel, on l’arrange comme on veut. Pour moi ce n’était pas tellement indispensable, ce n’était pas vraiment utile ». Deux personnes soulignent l’absence de suivi initialement proposé ou le non respect des engagements : « Il était question d’un suivi par la suite, mais là on n’a jamais vu personne. C’est bien dommage d’ailleurs. Les jeunes sociétés auraient pour un grand nombre d’entre elles, besoin d’une sorte de tuteur pour les aiguiller la première année » ou « J’ai rempli un dossier (ADIE), environ quatre-vingt feuillets, qui m’a pris beaucoup de temps, le dossier a été accepté. […] On m’a fait des promesses, beaucoup de démarches et rien en définitive ». Ces personnes remettent donc en cause la qualité du service rendu et la motivation à créer. Parmi les témoignages, on a en effet pu entendre : « Et il (la personne de la Chambre des Métiers) nous a dit « Vous ne vous en faites pas, je m’occupe de tout, ça va aller. Il nous a dit d’aller voir des banques qu’il connaissait et d’aller dans les milieux associatifs pour chercher une bourse, on s’est fait gentiment remercier, soit disant que le projet n’était pas viable » ou « J’ai pris contact mais on m’a dit que j’allais me planter. Pendant une demi-heure, je n’ai eu que des critiques ». « Quand je leur ai apporté le résultat du liquidateur (judiciaire, il s’agit d’un échec suite à une création), le mec a commencé à dire : « Oh, mon dieu, je vous ai mal conseillé. On aurait dû anticiper le problème »». Quant aux formations à la création proposées, soit les personnes n’y ont vu aucune utilité voire une perte de temps, soit elles sont parvenues à développer des connaissances de bases utiles dans leur projet. Ainsi, deux personnes sur trois ont semblé peu satisfaites mais les avis divergent : « C’est complexe, trop théorique et on finit par décrocher. J’ai perdu mon temps » ; « C’est trop basique. Ce n’est pas en passant trois mois là-bas qu’on peut ouvrir 74 une entreprise ». Par contre, l’une estime « Ces quelques formations à la Chambre de Commerce m’ont fait comprendre certaines choses » et qu’il valait mieux ne pas trop rentrer dans les détails car sinon, elle aurait été beaucoup plus frileuse à créer. Le réseau d’aide et d’accompagnement s’avère cependant utile, notamment lors de la phase de démarrage, lorsque des aides concrètes comme l’aide comptable (chèques conseil destinés au comptable) sont fournies. Deux personnes en ont d’ailleurs fait référence. D’autres ont bénéficié d’un accompagnement mais provenant de l’entourage personnel du créateur : « J’ai été accompagnée par un membre de ma famille qui avait été lui-même créateur d’entreprise. J’ai été aidée aussi par son comptable qui m’a aidé, aiguillé », ou de conseils : « Les patrons de mon amie nous donnent beaucoup d’informations », en ajoutant que « Dès que tu connais quelqu’un, il faut lui demander en évitant la Chambre du Commerce (rires) », voire de facilités en termes bancaires notamment : « J’ai eu aussi la chance d’avoir créé avec mon ami qui avait une société […] donc je suis allée chez son comptable, chez son banquier » ou « La banque de mes parents a cherché à me joindre. C’était un avantage que j’ai eu, il faut le reconnaître ». Le réseau de compétences auquel fait appel l’entrepreneur peut également être un expert technique, un financeur, un « bon » commercial… On a pu entendre : « Je n’aurai pas pu lancer mon affaire sans l’aspect technique. […] J’ai donc comme actionnaire un spécialiste dans les bureaux d’études de cuisine et je me suis aussi entouré d’un spécialiste en bureaux d’études électricité » ; « Moi, je le dis profondément, je ne sais rien faire, mais il y a plein de gens qui savent faire (avec lesquels la personne collabore) ; « Il va falloir que je développe la compétence commerciale, de me faire connaître… ou alors m’entourer de personnes compétentes ». • Le réseau de performance Il s’agit d’un réseau de structures, qui, selon P.A. Fortin, « doivent cohabiter et se compléter tout au long de la vie d’un entrepreneur ». Une personne a souvent fait mention de son intégration dans des réseaux de dirigeants ou politiques : « Ce qui m’a aidé, ce sont les associations dont je fais partie. Je ne connaissais personne à Lille, j’ai connu des clients comme ça et après, c’est coup de bol, tu appelles et hop, ils ont un projet et on se rencontre ou : « Ma femme est élue, j’ai attrapé de nouvelles relations mais c’est très très difficile… ». 75 B. Le niveau d’études et le parcours professionnel 1) Le niveau d’études (tableau 3) a) Aperçu du niveau d’études Près de 60 % des créateurs d’entreprises ont un diplôme inférieur ou égal au BAC194. Parmi les treize personnes interrogées, trois hommes ont un niveau inférieur ou égal au brevet des collèges et quatre personnes ont un diplôme équivalent à un BEP ou un CAP dont deux femmes. Deux hommes ont le niveau BAC dont un provenant d’une filière professionnelle. Un homme est diplôme d’un DUT195, une femme d’un Master. Deux femmes interrogées ont suivi une formation en école spécialisée (école de stylisme et de modélisme, école de décoration intérieure). Au total, six personnes interrogées ont un niveau supérieur au BAC et l’on note que les femmes créatrices sont plus diplômées que les hommes. La majorité des entrepreneurs interrogés sont donc assez peu diplômés. b) Les propos tenus par les entrepreneurs Ils en font d’ailleurs référence dans leur propos de façon souvent ironique et péjorative mais l’on peut toutefois relever, dans certains cas, que certains frustrations demeurent encore ancrées dans leur mémoire : Pour « chercher un boulot, j’étais un peu complexé, on me disait que j’étais « un bon à rien » » ou bien « finalement je me dis que je ne suis pas si con que ça malgré que je n’avais peut-être pas les capacités intellectuelles à l’école ». En évoquant leur parcours de formation, un de nos locuteurs mentionne qu’il s’agit d’un parcours « de combattant, de guerrier, à l’arrache » et poursuit en mentionnant qu’il a quitté l’école en quatrième sans aucune spécialisation. Un autre prétend avoir été « un glandeur » jusqu’à la mort de son père. Un prétend que son parcours « n’est pas terrible », il ajoute d’ailleurs que, une fois placé en pension en Belgique, « j’ai dit que je ne ferai plus jamais rien à l’école, et je n’ai plus rien fait, terminé. […] J’étais un gros fainéant ». Une femme créatrice souligne qu’elle a « toujours galéré », elle ajoute que « chaque année, on me faisait passer en classe supérieure en me disant que je redoublerai l’année suivante ». On note cependant que dès que des enjeux étaient présents tels l’obtention du BAC, les résultats 194 195 De C. Graby, Figaro Entreprises du 27/06/2005. Diplôme Universitaire Technologique. 76 étaient au rendez-vous : « toute l’année, j’avais 8 ou 9 et le BAC, je l’ai eu d’un coup à plus de dix ! ». Concernant les personnes diplômées, le parcours de formation est rendu plus explicite. « J’ai un BAC littéraire, j’ai fait un DEUG de droit et une école, c’était en droit immobilier » ; une autre évoque qu’elle a « démarré par un diplôme de conseillère en économie sociale et familiale » 3 ans après l’obtention d’un BAC B. Cette même personne, dont le parcours a été construit au fur et à mesure des expériences professionnelles, l’envie de valider l’expérience professionnelle par un diplôme est abordée : « Il fallait au moins que cette expérience me serve et que je la valide par un diplôme ». En mentionnant son parcours quelque peu atypique, de par ses reprises d’études et son vécu des apprentissages expérientiels, elle ajoute que « le fait de repartir en formation me permet soit de valider ce que j’ai appris sur le terrain ou le théoriser, le confirmer par de nouveaux outils ou par l’amélioration d’outils existants». 2) Le parcours professionnel jusqu’à la création d’entreprise Une question portait sur le parcours professionnel entrepris avant le projet de création d’entreprise. Une seule personne n’a pas eu ou prou d’expérience professionnelle avant de « se lancer » notamment dans la création d’un magasin de haute couture : « J’ai travaillé un petit peu pour des créateurs, six mois, je me suis installé ». Sur les douze personnes au total, certaines évoquent des parcours variés plus ou moins précaires, d’autres des parcours davantage stabilisés en entreprises. Les expériences professionnelles vécues semblent, pour la plupart des personnes interrogées, assez peu en rapport avec leur champ d’intervention actuel. a) Des parcours professionnels hors du champ d’activité de l’entreprise créée Cinq personnes interrogées ont eu un parcours professionnel hors du champ d’activité de leur entreprise. L’une, suite à un CAP en esthétique a crée un institut de beauté et, par manque de maturité et d’investissement personnel essentiellement, a dû le céder pour ensuite travailler pendant sept ans dans les assurances en tant que secrétaire avant de créer un bar restauration. Un autre a connu une variété d’emplois souvent précaires avant de se lancer dans un commerce de 77 lingerie, « c’est varié, très varié » mentionne t’il. « Ça va de la manutention à l’alimentaire, en passant par les bureaux. […] J’ai travaillé pendant dix ans, en CDD, en intérim ». Une autre a travaillé comme secrétaire pendant vingt-trois ans dans un grand groupe et avait toujours eu envie de travailler dans l’esthétique. « A quarante ans, j’avais envie de faire quelque chose. […] J’ai donc quitté mon emploi et j’ai fait et obtenu mon CAP (d’esthéticienne) en un an » et s’est lancée dans la création d’un institut de beauté. Une a été embauchée chez Carrefour à la suite de ses études avant de créer dans le domaine de l’événementiel. « Je m’occupais de la communication et décoration » […] « Et puis, au bout de onze ans, je rentrais d’Asie, on m’avait promis le Japon, que je n’ai pas eu, je suis remontée sur Paris, je m’ennuyais, bref, ça n’allait plus ». Avant la création d’une entreprise spécialisée en graphisme et en communication, une des personnes interviewées a été surveillante dans un collège pendant ses études. Son mari, avec lequel elle a crée a, quant à lui eu des expériences professionnelles mais éloignées du champ de la communication : « Après un BTS, il a connu la galère de la recherche d’emploi avant de travailler dans plusieurs sociétés et de ne pas y trouver son compte ». b) Des parcours professionnels sensiblement proches du champ d’activité de l’entreprise créée Les personnes dont l’activité est sensiblement proche du champ d’intervention de l’entreprise qu’elles dirigent sont au nombre de deux. En effet, une personne, qui a commencé à travailler dès l’âge de seize ans, évoque un parcours varié : « j’étais vendeur non sédentaire, je travaillais sur les marchés. […] Je suis reparti travailler dans l’entreprise familiale. […] Ensuite, j’ai fait les saisons dans le sud en tant que barman. […] Je me suis installé à mon compte sur les marchés, je vendais des bijoux l’été, du textile l’hiver. […] Après des petits boulots en Belgique, […] étanchéité, climatisation, électricité, placage, peinture, plomberie, agencement de cuisines […]. Après j’ai travaillé avec mon père et puis j’ai travaillé au cuba bar et j’ai ouvert mon bar ». Une autre a été responsable commercial pendant cinq années et avait expérimenté, lors de jobs d’étudiant, l’activité en bars et restaurants avant de créer son bar, et plus tard, son restaurant. 78 c) Des parcours professionnels proches du champ d’activité de l’entreprise créée Les personnes dont les parcours professionnels se rapprochent le plus de leur activité d’entreprise sont au nombre de cinq. L’un a exercé le métier de restaurateur pendant dix-sept ans, et, suite à un divorce difficile, est devenu commercial dans le domaine du matériel de cuisine pour collectivités avant de créer un « bureau d’étude spécialisé dans l’aménagement, la conception et la mise en conformité des cuisines collectives et privées ». Un autre a commencé à travailler dès l’âge de seize ans et a fait « plein de trucs… Le hasard ». Il ajoute « J’ai fait des chantiers. […] Des trucs qui ne m’intéressaient pas, à seize ans, on ne sait pas bien. Ensuite je suis reparti, par accident, dans un hypermarché (pendant un an et demi) […] je suis monté en grade. […] Et après, après plusieurs péripéties qui n’ont pas d’importance, je me suis retrouvé chez Catbury France, je suis resté deux ans et demi. Et puis je devais, en toute objectivité et simplicité, passer chef et ça ne m’intéressait pas. […] Pourtant on avait un bon salaire, une voiture, des frais, des réunions à l’étranger, mais pas beaucoup d’autonomie ». Ce dernier s’est lancé dans la distribution de produits après avoir développé des compétences commerciales axées sur la vente. Un autre, après avoir repris le magasin de vente en électroménager de son père est devenu grossiste et a « fait un réseau ». Après la fermeture involontaire du magasin, il a fallu rechercher un emploi : « J’ai touché à l’immobilier. […] J’allais toujours chez un notaire qui m’a proposé de rentrer dans son étude pour m’occuper du service immobilier. […] « Je suis resté trois ans et je suis ensuite rentré chez un promoteur pendant trois ans ». J’ai appris tout le côté juridique de base chez le notaire et ensuite le montage de dossiers de promotion chez le promoteur et je me suis installé après » en tant que promoteur immobilier. Une quatrième personne, après également avoir repris et revendu avec son frère l’entreprise de ses parents spécialisée dans le terrassement s’est lancée dans d’autres métiers : « Je faisais des routes, j’achetais des raboteuses. […] Après on a fait du fraisage routier. […] Je vends c’est comme ça qu’on s’enrichit. […] Et puis on s’est retrouvé sans rien donc on a créé deux boîtes ». Ces deux sociétés sont spécialisées dans la location et la construction de matériel pour bâtiments et travaux publics et dans la location de matériel sanitaire. Une autre a exercé un premier emploi de conseillère en économie sociale et familiale en CDD de huit mois forte intéressante « J’ai eu une activité très intéressante et tout de suite autonome » pour ensuite occuper un poste de chargé emploi formation en CDD de remplacement pour congé maternité. 79 Après une interruption d’un an en formation en alternance, cette personne a obtenu un CDI puis, compte tenu de l’incertitude liée au financement de son poste, a décidé de créer un organisme de formation. 3) Le « capital-expérience professionnelle » et l’acte d’entreprendre Nous avons constaté que la plupart des personnes interrogées ont eu une activité professionnelle avant de lancer leur projet de création d’entreprise, qu’elle soit proche ou éloignée du secteur d’activité de l’entreprise nouvelle créée. Une seule n’avait pas ou prou d’expérience professionnelle avant de démarrer son activité. Afin de valider ou non l’hypothèse selon laquelle l’expérience peut ne être primordiale dans l’opportunité d’entreprendre, nous verrons dans un premier temps les propos tenus par les locuteurs avant d’en tirer quelques conclusions. a) Les verbatim des locuteurs On a pu entendre chez ceux pour lesquels l’expérience compte : « Pour moi, l’expérience est primordiale, ça doit passer par une entreprise, une expérience existante. […] Je mets l’expérience à 70 %, les 30 % c’est l’approche commerciale ». « Tous les boulots m’ont donné de la pratique ». « C’est de par l’expérience peut-être parce que, il y a vingt ans, je n’aurais pas réagi comme ça ». « Pour moi, la vraie création que j’ai fait c’est en 1985, j’ai été clerc de notaire pendant trois ans, chez un promoteur ensuite pour trois années, ça (ces expériences) m’a permis de m’installer à mon compte. ». L’une évoque que : « C’est surtout l’envie et l’expérience sinon, ça ne marche pas ». « Il faut avoir travaillé avant pour se confronter au monde du travail, à la réalité du monde de la création. Parce que c’est énorme entre la théorie et la pratique […]. Je pense qu’il vaut mieux voir ce qui se passe en tant que salarié avant, et de pouvoir après se positionner, avant de savoir si c’est vraiment ce que je veux […]. Le fait d’avoir vécu, ça aide (rires), c’est clair, d’avoir eu des expériences positives et négatives avant, on apprend […]». Un autre évoque l’atout de l’expérience professionnelle, qui peut ne pas être primordial si des apports financiers conséquents sont en jeu : « Si j’avais dû créer ce que j’ai créé sans avoir les compétences au niveau du carnet d’adresses et du fichier fournisseurs, ça aurait été extrêmement difficile sauf si j’avais beaucoup d’apports ». 80 D’autres évoquent, malgré l’existence de parcours professionnels, leur manque de connaissances en gestion de l’entreprise et affirment : « J’avoue que j’ai commencé à travailler, à créer cette entreprise, zéro client, aucune notion de la gestion de l’entreprise, […] je ne connaissais rien. Ces quelques formations à la Chambre de Commerce m’ont fait comprendre certaines choses ». « Ça vient tout seul, moi, je n’ai pas fait de stage de rien (en création d’entreprise). En fonction de sa propre personnalité, ça dépend mais déjà si on est adapté à ce qu’on veut faire, c’est une bonne partie de gagnée ». Pour ceux dont l’expérience était minime ou complètement hors champ de l’activité nouvelle, les propos tenus étaient les suivants : « On est vite confronté à utiliser plein de compétences, mais comme rien n’est acquis, c’est difficile parfois. […] Mais si on est passionné, on développe grâce à sa passion toutes les qualités requises à la gestion de sa boîte ». « Si on n’a pas d’expérience professionnelle, au début ce n’est pas trop grave. Si on a le coté technique ». b) L’analyse des propos tenus Douze entrepreneurs sur treize ont eu des expériences professionnelles avant de décider de se lancer dans la création d’entreprise. Ces douze personnes ont tous mis en avant l’expérience professionnelle acquise avant leur projet de création d’entreprise, quelle soit hors ou dans le champ d’activité de la nouvelle entreprise créée. Elles se sont lancées avec un parcours professionnel souvent riche, souvent sans connaissance sur la création d’entreprise ni sur le statut d’entrepreneur, mais avec une forte envie de se lancer. L’expérience professionnelle semble donc compter pour plusieurs raisons : pour savoir si on est bien fait pour être indépendant et sortir du circuit salarié ; pour mieux se connaître, faire le point sur ses forces et faiblesses ; pour démarrer avec un carnet d’adresses existant ; pour mieux connaître l’environnement local ; pour développer son sens du relationnel ; pour choisir le métier adapté ; pour transposer ses compétences dans un autre environnement. 81 Sans expérience professionnelle, la création et la réussite de l’entreprise semble possible si : Le créateur détient un savoir-faire technique développé et s’entoure des compétences manquantes ; Le créateur apporte des fonds financiers importants. On note par ailleurs dans les propos que le créateur, malgré les expériences professionnelles acquises, ne cesse d’apprendre : « J’apprends tous les jours, surtout que c’est un nouveau métier, je me suis lancée dans ce métier là alors que je ne le maîtrisais pas du tout […] On se rend compte qu’on a fait des erreurs et on rectifie » ou « Et puis, on apprend sur le tas ». « L’atout commercial est là, parce que ce soit commerçant et commercial, il y a la même fibre mais il y a un savoir à apprendre. J’ai appris sur le tas ». Concernant les deux personnes qui ont échoué, l’une détenait une expérience de 23 années au sein d’un grand groupe en tant que secrétaire sans rapport aucun avec l’activité de commerce dans laquelle elle s’est lancée (cabinet d’esthétique) ; l’autre a eu des emplois variés et souvent précaires mais plus en rapport avec son activité créée (bar). Pour l’une, la difficulté a été d’être ferme, de négocier, d’avoir le sens du « business » ; pour l’autre, il s’est principalement agi d’un problème lié à l’environnement local (travaux dans la ville rendant le passage difficile). En conclusion, quel que soit le niveau d’études, l’âge, le sexe, l’activité exercée, il semble que le « capital-expérience professionnelle » compte, ne serait-ce pour construire un carnet d’adresses, pour se faire connaître dans un domaine ou un environnement territorial ou même pour mieux se connaître soi-même. Il est toutefois possible de créer sans expérience professionnelle sous réserve que le créateur ait des fonds importants (qui lui permettent de démarrer en douceur), qu’il soit entouré d’associés expérimentés et/ou qu’il détienne luimême un savoir-faire précis acquis lors de formations. Par contre, nous avions émis l’hypothèse que l’entrepreneur poursuivait leur apprentissage et apprenait des autres. On a pu en effet constater, dans les propos tenus, que les créateurs apprennent dans l’exercice quotidien de leur activité mais aucun ne nous a explicitement mentionné avoir appris des autres, si ce n’est que lors des activités professionnelles précédentes. 82 II. L’acte d’entreprendre G. Mandel196 nous éclaire sur l’étymologie du mot « acte », ce qui est « à venir devant » du latin ad-venturus, ce qui ouvre sur l’inconnu, sur l’imprévisible. Pour lui, la représentation de la dimension de l’acte se produit lorsqu’on construit un projet, programme une réalisation et prend la décision de commencer. Puis, « essayant de maintenir le cap du projet d’action, on rencontre l’acte et son risque »197. On décide alors d’une action et c’est l’acte auquel on a affaire. Nous présenterons dans cette partie les raisons majeures qui ont poussé les individus à « se lancer » dans l’acte. Le fait d’entreprendre est souvent présenté comme une réponse à un ou plusieurs besoins nécessaires à l’évolution du projet personnel et personnel des individus. Toutefois, l’acte d’entreprendre, comme nous l’avons mentionné dans les apports théoriques, comporte toujours un risque dont le niveau peut être plus ou moins élevé. G. Mandel évoque à ce sujet que « la grande leçon de l’acte est sans doute que pour le pire ou le meilleur, rien n’est écrit à l’avance qui concerne l’avenir »198. Nous verrons par conséquent, quelle semble être la perception du risque et de l’incertitude chez les entrepreneurs interviewés. A travers les propos tenus et notamment par le biais d’une analyse de la sémantique utilisée, nous tenterons de tirer des conclusions sur l’éventuelle détention d’un « capital-charisme » chez l’entrepreneur. A. Les motivations à passer à l’acte d’entreprendre 1) Des mobiles personnels variés a) La recherche d’autonomie et de liberté Les verbatim relevés lors des entretiens quant au besoin de liberté, d’indépendance et d’autonomie sont nombreux. Dans les propos tenus, on a pu relever : « J’avais envie de créer pour être indépendant », « J’avais besoin d’indépendance, je ne supportais plus la structure dans laquelle j’étais. ». 196 G. Mandel est psychanalyste et sociologue, il est le fondateur en France de la socio psychanalyse. En référence à l’ouvrage intitulé L’acte est une aventure dont l’objet est de retrouver les causes de la disparition du concept d’acte au détriment du concept d’action (au point que les deux termes sont devenus amalgamés, interchangeables mais toujours dans le sens de l’action) et aussi de départager ce qui est propre à l’action de ce qui appartient à l’acte (1998, 570 pages). 197 1998 : 49. 198 1998 : 17. 83 « En plus, de personnalité, je suis quelqu’un d’indépendant, d’autonome ». « C’est une question d’autonomie, d’indépendance ». « Le seul qui me commande en fin de compte, c’est l’expert comptable ». « Au début c’est le salaire qui m’a intéressé mais ce n’est plus ça, c’est aussi la liberté de faire ce que je veux, de monter un dossier, de me bagarrer, c’est plus intéressant ». Une des femmes interrogées, après avoir effectué un bilan de compétences, s’est vue confirmer son nouveau choix professionnel : « De là est ressorti en gros que j’avais besoin d’indépendance, que je ne supportais plus la structure dans laquelle j’étais ». Et pourtant, lorsque l’entreprise est créée, les entrepreneurs ne sont pas complètement libres. Ils dépendent de leurs clients, ils sont étroitement suivis par les banquiers et comptables et également amenés à exercer des activités par obligation (une personne évoque la notion d’ « engrenages ») : « parce que ça fait partie, au niveau où j’en suis arrivée, des outils de gestion d’entreprise et je suis obligée de le faire ». On a pu entendre un entrepreneur évoquer que, créer représente « une grande liberté. En même temps, ce n’est pas une liberté car on est constamment pris. Ce n’est pas tout beau, tout rose ». En fait, le besoin de liberté s’attache plus au fait que l’entrepreneur peut changer, à son échelle, les évènements et le cours des choses et qu’il demeure son propre patron, malgré les contraintes qu’il rencontre dans l’exercice de son métier au quotidien. « La première chose c’était de travailler pour moi, une volonté d’autonomie et de pouvoir choisir les directions de politiques d’entreprises, de ne pas dépendre de quelqu’un ». « La grosse différence c’est que je sais pourquoi je me lève le matin ». b) La force du désir • En réponse à un choix de vie ou à une passion Certaines personnes évoquent un besoin, un désir, un projet de vie. « C’est un moyen d’avancer dans la vie, de capitaliser quelque chose, c’est comme ça que je le vois ». Une autre a souhaité entreprendre après un constat négatif de sa vie personnelle : « Moi, je me suis dit que si la vie personnelle n’a pas été forcément terrible, je voulais changer la profession ». On peut également noter une projection dans l’avenir, notamment pour assurer celui de leurs enfants : « Et j’ai envie d’en profiter après. Et ne serait-ce que par rapport à mon enfant, lui assurer un avenir ». L’envie peut avoir mûri dans le temps : « J’avais envie de le faire. Ça faisait longtemps ». « Le concept d’avoir plusieurs plats de pays différents, ça fait une dizaine 84 d’années que je l’ai dans la tête ». Le projet répond souvent à une passion : « J’ai eu envie de créer parce que je suis passionné ». « J’aime bien entreprendre ». « Je dirige tout, j’adore, c’est ma passion, j’ai une pêche d’enfer ». L’acte d’entreprendre répond aussi, notamment pour une des femmes interrogées, à un équilibre de vie : « Je pense que je n’ai jamais été aussi épanouie et enfin je trouve un équilibre entre ma vie personnelle et ma vie professionnelle ». On peut noter que le choix d’entreprendre ne s’effectue que rarement par intérêt financier. On a souvent entendu des propos tels que : « J’ai arrêté un travail pour créer quelque chose, c’était un besoin personnel mais pas un besoin financier ». « On répond aux attentes, jamais je ne pense tout de suite à l’argent, mais à faire au mieux, qu’elle soit ravie, tout simplement (la cliente) ». « Je ne suis pas obsédé par l’argent, j’en parle beaucoup mais j’en ai rien à secouer ». • Un nouveau cap à l’âge de la maturité L’âge et la maturité sont des critères qui apparaissent dans les propos tenus, et surtout chez les femmes interrogées. Une personne explique avoir tenté une création plus jeune : « Plus jeune, je l’ai fait […] pour faire plaisir, pour répondre à un besoin d’un parent, mais ça ne suffit pas du tout, parce qu’il faut une certaine maturité et une envie de se consacrer à quelque chose ». L’une évoque pour décrire ce qui l’a motivée à créer : « Un petit apport financier que j’ai reçu qui m’a permis de pouvoir mettre en forme un projet et surtout l’envie, à trente ans, de me remettre en question. […] L’âge, enfin je ne sais pas, moi en ce qui me concerne, c’était il y a deux ans, pas avant ». Une autre : « Je travaillais comme secrétaire depuis vingt-trois ans, j’ai toujours eu envie de faire de l’esthétique. A quarante ans, j’avais envie de faire quelque chose » ou une troisième « Je me suis dit : allez, j’ai trente ans (et célibataire), je n’ai rien à perdre ». Une affirme que « C’est une maîtrise de son poste, une remise en question suite au passage de la trentaine pour une femme, une sœur qui a un enfant, un frère qui se marie et peut-être un mal être par rapport à tout ça » qui l’a motivé à entreprendre. On note ainsi chez les femmes un désir, à partir de la trentaine, à s’épanouir professionnellement. Chez les hommes, la référence au statut de célibataire, plutôt qu’à l’âge, est mis en avant dans les motivations qui ont poussé à la création d’entreprise : « Le choix était aussi déterminé dans le sens où j’étais tout seul et je n’avais pas d’enfant ». « Célibataire donc le moment était bon. Je n’engageais que moi sur ça, c’était le moment de le faire, je me suis lancé ». 85 c) La détection d’un besoin non exploité ou d’une opportunité d’affaire L’acte d’entreprendre est également provoqué par la détection d’un besoin encore non exploité : « Par expérience, je me suis aperçu que beaucoup de bureaux d’études soi disant spécialisés en cuisine ne l’étaient pas. […]. Dans la région Nord-Pas de Calais on est très peu spécialisé dans les bureaux d’études cuisine, on doit être cinq ou six » ; « Moi j’ai repris un lieu avec un potentiel qui ne demandait qu’à être exploité ». « Parce que je savais que ça marcherait, on est les seuls dans la ville ». « Comme c’est un marché extrêmement intéressant et vierge, je m’y suis intéressé par hasard. […] Soit ça a déjà été essayé et ça n’a pas marché, ou alors c’est exploitable mais personne n’a déjà essayé ». On retrouve ici la référence à la notion d’innovation, de créativité, décrite dans notre partie consacrée aux apports théoriques. Les voyages peuvent permettre d’identifier des besoins non exploités : « Le concept d’avoir plusieurs plats de pays différents, ça fait une dizaine d’années que je l’ai dans la tête, que j’ai vu dans d’autres pays, ça commence à se développer dans des villes, sur Paris, à Bruxelles ». La création d’entreprise peut avoir été également provoquée par une identification d’une affaire ou la concrétisation d’une commande : « J’ai ouvert la société parce j’avais la possibilité d’avoir un gros contrat pour commencer […] sinon je n’aurai pas ouvert la société si rapidement ». « Entre temps, j’ai rencontré un producteur de spectacles à qui j’achetais tous mes spectacles pour les animations en magasin. […] On pouvait s’associer et créer une SARL ensemble. […] Avec l’appui de ce pote, je me suis dit pourquoi pas ». Ou tout simplement, l’envie et l’intuition : « J’ai vu une pub et j’en ai acheté vingt et un, j’ai trouvé ça bien ». 2) Une logique de réinsertion professionnelle L’acte d’entreprendre ne peut être isolé du contexte dans lequel il survient ou par rapport auquel il se situe. Nous verrons que certains facteurs contextuels, qui peuvent provoquer des ruptures psychologiques et/ou matérielles, peuvent agir. Ces facteurs peuvent en effet contribuer à précipiter la décision d’entreprendre. C’est ce que le professeur Shapero évoque en introduisant le concept de déplacement, et notamment des facteurs « pulls » et « pusches », que nous avons évoqué dans la partie théorique de cette contribution. 86 a) Suite à des expériences décevantes en entreprise Certaines personnes interrogées évoquent ne plus vouloir faire partie du monde salarié dans lequel elles ont pu connaître des souffrances ou des déceptions : « Je ne suis pas du tout d’accord avec le fonctionnement en entreprises et je me suis pris des murs ». « Et puis, au bout de onze ans, je rentrais d’Asie, on m’avait promis le Japon, que je n’ai pas eu. […] Je n’étais d’accord sur rien, je n’étais plus positive, il valait mieux que je m’en aille ». « J’ai fait un très très bon travail et on m’a dit qu’il fallait que j’attende un peu, qu’un poste allait se libérer… ». « Après un BTS, il (mon mari) a connu la galère de la recherche d’emploi avant de travailler dans plusieurs sociétés et de ne pas y trouver son compte ». D’autres se sentaient à l’étroit dans le cadre structurel et organisationnel que leur proposent les entreprises et ont eu envie de mieux valoriser un potentiel qui était jusqu’alors sousexploité. « Je suis remontée sur Paris, je m’ennuyais, bref, ça n’allait plus ». « On devait faire des rapports tous les jours. J’ai toujours été un bon vendeur mais avec beaucoup d’autonomie ». « Moi j’aime bien créer des trucs et les vendre, dans un grand groupe, ce n’est pas évident parce qu’on est contrôlé ». « Je n’aurais pas su faire ce que tout le monde fait, je n’aime pas ». « Je m’ennuie quand c’est du répétitif ». D’autres évoquent le besoin de ne pas s’ennuyer au travail : « Parfois je me dis que j’aurais peut-être dû chercher un bon boulot, à trente-cinq heures mais j’aurais peur de m’ennuyer en fait ». b) La création de son emploi par défaut Les difficultés d’insertion et les ruptures dans les parcours professionnels peuvent être des facteurs qui poussent à entreprendre. • Les difficultés d’insertion Ces difficultés ont été mises en exergue autant par des personnes qui avaient une expérience professionnelle : « Quand je suis allé faire des essais d’encadrement, je n’étais pas très…, c’était des HEC199, je n’avais pas le profil des autres cadres. Même si j’avais de l’expérience [… ]». 199 Haute Ecole de Commerce 87 Le manque de diplôme rendant difficile l’insertion professionnelle s’est traduit par l’élaboration d’un projet de création : « A vingt-quatre ans, il fallait bien que je fasse quelque chose, comme je n’avais pas de diplôme ». Même diplômée, l’insertion professionnelle est difficile. Une jeune femme évoque : « Je suis arrivée sur le marché du travail lorsqu’il y en avait pas ou peu. Alors plutôt que de galérer, nous avions des envies de création ». • Les ruptures dans les parcours professionnels Un de nos locuteurs, dont le parcours a été varié sans exercer un réel métier, souligne que : « Suite à mon licenciement, je n’ai pas voulu rester à ne rien faire. […] Directement, je me suis lancé-là dedans après mon licenciement en juillet ». Chez les « seniors », la difficulté d’insertion est également mise en évidence : « J’ai du quitter mon emploi pour des raisons économiques. […] A cinquante neuf ans, je pouvais très bien rester au chômage et attendre l’âge de la retraite […] La seconde possibilité était de retrouver quelque chose d’équivalent, vu mon âge, ce n’était pas évident. Restait aussi la possibilité à laquelle j’avais toujours pensé, c’est faire du conseil en tant que consultant dans le domaine où je pratiquais assez bien ». Une autre personne évoque, après deux contrats en CDD et un contrat en CDI rompu par une décision de redressement judiciaire, avoir créer sa structure, non pas par envie mais parce que c’était l’occasion « de poursuivre mon activité professionnelle de cette manière là ». B. Le risque, l’incertitude et la gestion des difficultés En nous basant sur les propos tenus par nos locuteurs, nous présenterons, dans ce qui suit, la notion de risque et d’incertitude ainsi que la gestion des difficultés par l’entrepreneur dans l’exercice quotidien de son action de création et de développement d’entreprise. A propos du risque, rappelons les propos tenus par le joueur d’échecs X. Tartacouer, « celui qui prend des risques peut perdre, celui qui n’en prend pas perd toujours »200. 1) La notion de risque et d’incertitude 200 G. Mandel - L’acte est une aventure, 1998 : 25. 88 a) Des risques souvent financiers non mesurés dans leur totalité • Des risques financiers Tous les entrepreneurs ont évoqué la question du risque, toujours sous l’angle financier, à créer son entreprise. En effet, dans les propos tenus, on a pu entendre : « Il faut savoir que si on monte une entreprise, on peut tout perdre, tout perdre ». « Et puis, si tout se passe bien, c’est gagner plus, mais le risque c’est aussi de gagner moins ». « On sait pertinemment que même si ça fonctionne, ça peut tomber du jour au lendemain […] C’est une perpétuelle remise en cause ». « Moi, je trouve ça génial, il faut prendre les risques, en plus, dans la vente de services, il n’y a pas beaucoup d’investissement ». « Le risque, il est financier en fait par rapport aux engagements que je peux prendre, si je fais un crédit, un prêt ». Les aides proposées aux demandeurs d’emplois peuvent être un facteur qui aide à limiter le risque à entreprendre : « On s’est aperçu que, en bureau d’étude, il y avait pour ainsi dire pas d’investissement, c’est de la prestation intellectuelle. […] Je voulais bien prendre un risque mais je voulais aussi protéger le futur, c'est-à-dire que je ne voulais pas perdre mes allocations chômage uniquement parce que j’essayais de monter ma boîte ». « Ce qui m’a décidé de faire ma société, c’est que à partir du moment où vous êtes au chômage, vous touchez des indemnités chômage, […] c’est très encourageant car ça permet de faire face aux frais fixes de la vie de tous les jours et donc de pouvoir essayer de démarrer une affaire […] ». Outre les allocations chômage pour les demandeurs d’emplois, le partenaire de vie est également pris en référence, notamment pour compenser l’absence de salaires les premières années : « J’ai mon amie qui bosse à côté, elle a gardé son travail, sinon ce n’est pas possible, nous ça fait six mois et on peut rien sortir. […] C’est comme ça, pendant un an, tu n’as rien ». Ce partenaire de vie a un rôle important à jouer dans l’acceptation du risque que l’autre va prendre : « Il faut aussi que sa femme accepte, il peut se ramasser, il faut accepter l’échec ». L’âge est également pris en référence dans la capacité à prendre des risques : « J’ai jugé plus intelligent de me mettre en danger à trente ans plutôt qu’à cinquante ans » ou à les « gérer » : « Ce qui m’intéresse, à mon âge, c’est de ne pas me planter […], à un certain moment on crée quelque chose, on a envie de pérenniser ». 89 • Des risques pas toujours mesurés dans leur intégralité Tous les entrepreneurs sont conscients du risque mais estiment qu’il n’est pas toujours judicieux de les mesurer au maximum, sous peine d’interrompre l’initiative : « Je me suis mise en danger mais volontairement. Il y a une prise de risque à créer une entreprise, mais il vaut mieux ne pas mesurer les risques dans la totalité car sinon on ne fait rien ». « Mais on a foncé dans le tas, on verra bien, c’est ce qu’on s’est dit, si on se pose trop de questions, ça bloque. Il faut foncer ». « Il faut être conscient du risque et le prendre en compte mais pas trop non plus, sinon on fait rien ». « Donc coup de balai. Très inconscient mon coup de balai ». Un autre, autodidacte, fait le parallèle entre l’esprit d’entreprendre chez les personnes diplômés des non diplômés : « C’est la grande différence, nous, les non diplômés foncent et les diplômés réfléchissent trop ». Certains évoquent ne pas avoir penser aux risques existants : « Je ne me suis pas posée la question, il était hors de question que je me la pose ». Par contre, cette personne affirme tout de même avoir des garanties bancaires un peu partout, ce qui, nécessairement réduit la prise de risque. Une autre affirme que : « Je n’avais aucune idée de ce que j’étais. [...] Pas du tout conscient de ce que c’était. C’était irréfléchi, Et puis, on ose plus facilement quand on n’est pas conscient, non ? ». D’autres estiment que le risque pousse à entreprendre : « Il faut un minimum de risque, sinon tu ne fais jamais rien ». On retiendra également que le risque doit être mesuré : « C’est sûr qu’il vaut mieux limiter les dégâts mais par rapport à l’activité, il n’y en a pas trop, ils sont gérés et mesurés ». « Le risque, il est constamment présent dans la création d’une société car il faut en prendre pour avancer, mais il faut également le limiter pour assurer sa viabilité ». « Nous, notre façon de voir les choses, c’est d’avoir le minimum de risques possibles, même si ça ne marche pas, c’est de revendre l’affaire au minimum au prix que ça a coûté à l’achat ». Et le risque mesuré peut être exprimé sous la forme d’un certain déni : « On n’a pas peur, c’est un projet à deux millions de francs, si on perd, on perd ces deux cent plaques, c’est un choix » ou s’exprimer dans un contexte de développement d’entreprise : « Je le suis beaucoup plus (dans le doute) maintenant en voulant développer mon activité, donc, j’ai beaucoup plus de doutes, choses que je n’avais pas avant. Maintenant, je pèse plus le risque ». 90 b) La notion d’incertitude : des temps de doutes et de remises en question L’incertitude pèse sur tous les entrepreneurs interrogés. Ils évoquent de façon fréquente le contexte économique, l’environnement local, la baisse du pouvoir d’achat, la force des concurrents, comme facteurs remettant sans cesse en question la viabilité de leur entreprise. On retiendra particulièrement : « On n’est jamais à l’abri ». « Maintenant, il y a toute la conjoncture actuelle qui fait que ça baisse plus ou moins mais dans ce type d’activité, on sait pertinemment que ça peut très bien marcher et du jour au lendemain baisser ». Au bout de cinq années, rien n’est encore gagné et nous sommes passés par des moments bien difficiles ». « On se demande toujours si on sera là dans un an alors si effectivement on n’existait plus dans un an, je serai la première à être écœurée ». « Nous avons failli tout abandonner mais nous sommes toujours là et cette année a été très bonne ». « Avec le contexte économique, ce n’est pas facile ». Cette incertitude amène les entrepreneurs à sans cesse se remettre en question et à s’adapter : « Je suis prête à faire machine arrière ». « Si il faut changer d’orientation, sans remettre tout en question, mais si il faut changer un petit temps de direction pour revenir mieux sur l’axe qui était fixé ». « C’est une perpétuelle remise en cause. […] C’est trouver quelque chose pour ne pas que les gens se lassent ». « Si tu ne remets pas en cause, c’est fini ». « Et c’est ce qui fait qu’on se remet en question tous les jours, on n’a pas le droit de baisser l’échine ». « Aussi, il faut passer à autre chose quand ça ne marche pas ». « Parce qu’il y en a eu évidemment, des déceptions aussi […]. Nous sommes vite passés à autre chose et souvent on essaye de comprendre ce qui peut faire qu’un client qu’on croyait avoir choisit une autre structure […] On se remet en question […], bref on cherche ». « C’est bien de travailler avec les magasins, où les gens passent ; on doit être créatif, on doit s’adapter ». L’adaptation permanente apparaît donc indispensable, vitale. Comme le mentionne P. Drucker : « faute de développer une nouvelle « activité » et une « gestion » adéquate, la nouvelle entreprise est condamnée d’avance, aussi excellente que soit son projet d’entrepreneur, quels que soient les fonds dont elle ait pu disposer, la qualité de sa production ou même l’importance de la demande pour ses produits »201. 201 1985 : 245. 91 2) La gestion des difficultés relevées dans les propos de nos locuteurs En analysant les entretiens effectués, on peut distinguer plusieurs types de difficultés auxquelles le créateur d’entreprise doit faire face, au cours du processus de création comme lors du développement de la structure créée. Nous tenterons d’identifier, dans les propos tenus, l’existence d’un certain charisme, un don chez les entrepreneurs interviewés, objet d’une de nos hypothèses. a) Les types de problèmes relevés lors des premiers instants de vie de l’entreprise créée Pour ce qui est des premiers instants de la vie de l’entreprise créée, il est clair que l’un des principaux défis qui se présentent au créateur est de savoir jongler avec des registres spécifiques à la création. Le parcours semble éprouvant notamment quand il s’agit d’une tout première expérience de création, tant physiquement que financièrement. Pour ceux qui n’en sont pas à leur première création, il semble que les démarches aient été moins fastidieuses. « Ils nous racontent des conneries, créer une boîte, ça a toujours été d’une simplicité déconcertante ». Cela s’explique par le fait qu’ils connaissent les étapes dans le processus de création, qu’ils ont déjà leur réseau de professionnels (comptables, banquiers etc.) et les fonds financiers nécessaires. • Les démarches auprès des organismes spécialisés Lors des entretiens, certaines personnes nous ont fait part des difficultés rencontrées tout au long de leur processus de création et notamment dans la capacité des organismes spécialisés à répondre à leurs attentes : « Les organismes se renvoient la balle et ça peut durer des mois et des mois et après il faut contacter un avocat pour se dépatouiller ». La notion de temps est souvent pris en référence, les démarches semblent longues, répétitives, chaotiques : « D’ailleurs, il vaut mieux ne pas travailler quand on veut créer, sinon tu n’as pas le temps ». « C’est simple, je suis retournée cinq fois à la Chambre de Commerce parce que j’avais mal rempli la feuille jaune de création. Et à chaque fois, elle m’a rembarrée, elle me disait qu’il manquait tel papier, tel autre ». « On vous met des bâtons dans les roues, que ce soient les fournisseurs, les banquiers, la mairie, la Chambre du Commerce. Moi, c’est l’exemple que j’ai eu, quand je suis allé à la Chambre du Commerce, on m’a dit que ça servait à rien d’ouvrir un commerce à Valenciennes, les banquiers ne voulaient pas me prêter 92 de l’argent, les fournisseurs sont super frileux. La réalité c’est ça, il y a un discours à la télé qui dit qu’il faut créer, entreprendre etc. mais quand on va dans les administrations, c’est tout le contraire ». « Et puis les banques, toutes très frileuses vis à vis des jeunes qui se lancent, c’est vraiment honteux de voir comment les organismes bancaires peuvent bloquer les ambitions des jeunes sociétés. Par contre dès qu’un peu d’argent reste sur les comptes là ils vous font les yeux doux, c’est n’importe quoi ». « Huit banques sur huit ont refusé de suivre, une a expliqué pourquoi « c’est un euro pour un euro en jeune créateur. Donc pour dix mille euros, on peut emprunter vingt mille euros maximum ». • Les difficultés budgétaires Malgré les avantages qu’offrent le dispositif ACCRE202 pour les demandeurs d’emplois ou des aides à la création diverses, la mention de la difficulté financière est également fréquente : « Ils donnent une liste des comptables agrées, mais il faut sortir trois mille euros par an donc ce n’est pas possible, on ne sait pas ce qu’on va faire la première année ». « Je n’ai pas pu prendre un comptable, je n’avais pas les moyens ». De plus, tous sont unanimes quant à la non limitation du capital social : « La SARL à un euro, vous pouvez toujours la faire mais vous n’êtes pas crédible, vous n’aurez jamais de prêts, jamais rien, avec les fournisseurs » et aux charges imputées au créateur d’entreprise : « Car il y a beaucoup de choses qui découragent en France à monter une société, notamment les charges à supporter, pour une petite, une moyenne entreprise, qui sont énormes ». • Une solitude souvent mise en avant La thématique de la solitude revient souvent dans les propos tenus, même pour ceux qui ont bénéficié d’accompagnement à la création : « On doit quand même faire tout tout seule, pour les locaux, on n’a pas d’adresses, ou des mises en relation avec des gens qui veulent céder ». La solitude à titre personnel est également évoquée : « On néglige tout, les amis, la famille, on travaille le samedi ». « On est complètement seul ». • Les difficultés commerciales liées au démarrage d’activité Des difficultés pèsent notamment suite à des consultations et propositions commerciales émises dont les décisions ne semblent pas toujours transparentes et justes : « J’ai répondu à l’appel d’offres et j’ai été écarté, apparemment sans raison ». « Je trouve qu’il y a une 202 Aide aux demandeurs d'emploi créateurs ou repreneurs d’entreprise, voir glossaire des sigles. 93 discrimination vis-à-vis des jeunes sociétés. » « Alors on nous pousse, on demande de créer des sociétés, des emplois, mais une fois, on vous dit que vous n’avez pas trois années d’expérience au moins, donc, on vous écarte, systématiquement, que vous soyez compétent ou pas. ». « Aussi, les collectivités locales, la région et le conseil général ne donnent pas le bon exemple. Ils mettent tellement de barrières dans leurs appels à candidature qu’ils ne donnent pas la chance aux petites entreprises qui démarrent, elles ne peuvent pas répondre ». Aussi, la période de début de prospection semble difficile : « J’ai créé et a commencé la galère. Zéro client, quatre cent appels par jour etc. ». « Sinon, ce qui a été dur au début, c’est le manque de clientèle, les gens qui n’ont pas confiance en toi car ils ne te connaissent pas et que tu es une jeune entreprise ». Aussi, deux des entrepreneurs interrogés nous ont alerté sur le fait que les promesses de clientèles ne sont pas à prendre en compte : « Et puis tout ce qui est aide, c’est comme quand des gens vous disent qu’ils vous feront travailler, ne comptez pas dessus ». b) Les difficultés relevées lors du développement de l’activité Le développement d’une structure implique certaines compétences managériales que tous n’ont pas : « Créer c’est bien, après il faut développer, c’est ce qui me manque, c’est pour cela que je revends sinon on est dépassé ». « Mais en terme d’objectifs de travail, la motivation, l’entrain et l’élan, ce n’est pas du tout la même chose, il va falloir que j’apprenne à gérer ça ». La difficulté à recruter, tant dans l’acte que les formalités administratives est également évoquée : « Si c’était plus simple, on aurait moins de freins à l’embauche de gens » ou « Alors là, notre poste où l’on est très très mauvais c’est le recrutement. Par rapport à d’autres entrepreneurs du coin, nous ne savons pas recruter ».La difficulté de l’inconnu est également mentionnée : « C’est vrai que quelque fois, j’ai du mal à aller de l’avant, je ne veux pas trop marcher sur des œufs et je ne vais pas là où je ne connais pas. Aller vers des projets nouveaux, un peu à l’aventure, ça, je suis encore un peu réticente ». Les démarches budgétaires semblent lourdes : « On est empoisonné par les chiffres mais ce n’est pas vraiment vers cela que je me suis orientée quoi, mais bon, c’est un passage obligé pour continuer […] ». Pour les deux personnes qui ont échoué, la difficulté a était également de prendre la décision au bon moment : « C’est prendre la décision au bon moment. […] Mais c’est toujours difficile quand tu crées quelque chose de te dire que tu vas fermer, difficile de dire que tu t’es cassé la 94 figure même si ce n’est pas forcément toujours de ta faute ». « Avant un an, il vaut mieux arrêter, il m’a dit car sinon ce serait une catastrophe avec toutes les charges ». c) Peut-on parler de don ou de charisme chez l’entrepreneur ? Dans une tentative de synthèse de la présentation que font Julien et Marchesnay203 de l’entrepreneur, A. Fayolle indique que : « l’entrepreneur, c’est celui qui sait imaginer du nouveau, qui a une grande confiance en soi, qui est enthousiaste et tenace, qui aime à résoudre les problèmes, qui aime diriger, qui combat la routine et refuse les contraintes. C’est celui qui crée une information intéressante ou non, d’un point de vue économique ou qui anticipe cette information avant d’autres et différemment des autres. C’est celui qui réunit et sait coordonner les ressources économiques pour donner à l’information qu’il détient sa traduction pratique et efficace sur un marché […] ». L’entrepreneur apparaît alors comme une personne motivée, enthousiaste, et on l’a entendu, capable de s’adapter constamment. Si l’on se réfère à l’une de nos hypothèses qui met en avant la notion de charisme, elle est loin d’avoir fait l’objet d’une acceptation unanime lors des entretiens menés auprès des treize créateurs d’entreprise. Pour clarifier cette notion, F. Danvers propose, dans son ouvrage en cours de réalisation Anthropologie de l'orientation, version n°3, remaniée et augmentée, la définition suivante : du grec charisma « grâce », « bienfait », « don » […], le don est une disposition innée qui permet à celui ou celle qui l'a de réussir avec succès (« être doué pour »). Il peut s'agir soit de pouvoirs extraordinaires, par exemple le don de guérir ou, en histoire religieuse et en théologie, le don des langues ou les dons du Saint-esprit, soit de talents et de dispositions que l'on considère comme naturels (don pour les sciences, les langues, les arts)204. Plus loin, F. Danvers ajoute que les visions des grands mystiques sont considérées comme des charismes. On évoquera le charisme d’un homme politique. Dans les propos tenus par nos locuteurs, la référence à la notion de charisme a toujours été mise en relation avec le sens du relationnel : « Le relationnel, pour moi c’est une forme de charisme » « Il y a une façon d’être, de parler, le produit est important mais le relationnel est très important ». « Si la personne n’a pas un minimum de relationnel, on va vers les ennuis ». « Tout le monde n’a pas la fibre commerciale. Il n’y a personne pour te l’apprendre, tu peux t’aider à la développer mais à mon avis, tu l’as ou tu ne l’as pas ». L’entrepreneur apparaît 203 204 1988, la petite entreprise, cité par A. Fayolle, 2003 : 15. Repris de M. Fournier, 1999. 95 davantage comme une personne capable de coordonner des ressources ; la référence au chef d’orchestre est d’ailleurs faite à deux reprises : « Ma femme est pianiste, moi je suis chef d’orchestre, je connais la compétence de chacun, je peux dire à l’un de faire ça, à l’autre de faire ça et centraliser etc. ». « Mais pour cela, il faut un chef d’orchestre ». Par conséquent, nous pouvons admettre que la notion de charisme semble trop forte ; on pourrait en effet parler plutôt de « posture ». De plus, on constate que les entrepreneurs sont humbles et sous estiment parfois leurs capacités, contrairement à ce que nous avions lu précédemment. « Personnellement, j’ai l’impression de ne pas savoir faire grand-chose ». « Je ne suis pas un superman (sourire), il y a des jours où on n’est pas en forme, je ne suis pas assez intéressant, percutant ». « Mais je peux dire qu’aujourd’hui, je continue à me former, d’autant plus que j’ai une salariée et que j’y connais rien à rien ». « Il ne faut jamais se décourager, et toujours profil bas ». « Je ne pensais jamais faire ça, je pensais que j’allais avoir une vie de con et finalement ce n’est pas une vie si con que ça ». La référence aux erreurs commises démontre bien que l’on s’adresse à des êtres humains, apparemment non dotés de pouvoirs ou de dons exceptionnels : « On fait des erreurs commerciales, mais c’est comme ça qu’on apprend, le mieux », « On avance aussi avec les erreurs », « Il faut passer à autre chose quand ça ne marche pas : y a-t-il eu un problème de tarif, de compétence, d’incompréhension, bref on cherche ». « Ici (en France), l’échec est pas accepté et la réussite non plus. Mais c’est bien aussi, tu apprends. Sinon tu ne fais rien […] Et même si ce sont à cause d’éléments extérieurs, tu penses toujours que ça vient de toi. Mais c’est en étant comme ça que ça permet d’avancer ». « On se rend compte qu’on a fait des erreurs et on rectifie ». « C’est en faisant des erreurs qu’on apprend, aussi ». « Et des erreurs, on en fait, c’est sûr. Mais ce n’est pas grave, c’est comme ça. On avance aussi avec les erreurs ». Egalement, l’investissement temps est considérable : « Et il ne faut pas oublier que les heures de travail ne sont pas comptées ». En effet, tous ont fait mention de la charge importante de travail que la création et le développement d’une entreprise requièrent205. La notion de charisme n’a donc pas clairement été exprimée par nos locuteurs. Ils travaillent beaucoup, ont certes, un bon sens du relationnel et, comme tout à chacun, apprennent des On a donc pu entendre : « Au niveau personnel, avec mon ami qui a le même rythme que moi, on finissait à pas d’heures, tous les matins lever à six heures et retour à neuf heures ». « Par rapport à la vie de famille, n’ayant pas d’enfant effectivement, je peux consacrer deux fois trente-cinq heures au développement de l’activité, ça ne pose problème à personne, mon conjoint étant lui-même chef d’entreprise ». « Moi je ne compte pas mes heures, je rentre parfois tard mais j’aime ça. » « Faire beaucoup d’heures, de ne pas avoir beaucoup dormi ». « Ce sont d’énormes sacrifices, on n’a plus le temps d’avoir de vie privée ». « Il ne faut pas compter ses heures, même fatiguée, il faut y aller ». « Un jeune créateur, comme moi, c’est des quatre-vingt heures semaines environ, ma copine aussi. Ça fait cent soixante heures, un mois sur une semaine ! ». 205 96 erreurs commises. Nous sommes toutefois conscients que le mode d’interrogation qui a prévalu pouvait difficilement faire exprimer une telle notion, qui nécessiterait un travail plus approfondi de la notion elle-même. Une des qualités qui est par contre nécessaire pour qu’un entrepreneur parvienne à ses fins est de garder un optimisme constant, ce qui fait leurs forces : « Je suis d’un naturel optimiste. A la limite je n’y pense même pas, je me dis qu’aujourd’hui c’est comme ça, j’ai des objectifs à trois mois, six mois, il n’y a pas de raisons que ça ne marche pas ». En effet, malgré la solitude et les difficultés qu’ils peuvent connaître, on entend dire : « Je n’y pense pas, à me planter, pas le moindre soupçon ». « C’est hyper génial. Ce n’est pas de l’optimisme de forcené de ma part mais il y a tellement de choses à faire, il y a un message à faire passer aux gens ». « Il faut continuer, il y a toujours cette peur, cette crainte, mais c’est impensable que ça ne marche pas, je ne l’imagine pas ». « Je connais ma capacité à rebondir, on verra bien ». Et également, une part de magie, de chance : « Ensuite, je ne sais pas, l’avenir me le dira ». La notion d’échec a également été mentionnée lors des entretiens : « Il faut accepter la prise de risques. Et si ça ne marche pas, accepter aussi que ce soit en raison d’autres facteurs que l’investissement qu’on a pu y mettre quelqu’un soit à titre personnel ». « J’en apprends tous les jours. A chaque fois que je me casse la figure, j’en prends bonne note ». III. Les qualités et compétences entrepreneuriales : un triptyque en émergence L’évocation des compétences à créer une entreprise, à manager un projet, une équipe, une société fait davantage référence à la capacité à orchestrer plutôt qu’à de savoirs, savoir-faire et savoir être précis. Et l’on se rend compte dans les propos tenus par nos locuteurs qu’il est toujours possible de se référer à un spécialiste quand un problème est posé (droit du travail, comptabilité etc.). De plus, les créateurs sont, dans la majorité, assez modestes au regard des qualités et compétences qu’il possèdent. En effet, je me suis vite aperçue que parler de son métier est mieux vécu que parler de ses compétences. Cela a donc rendu difficile la détection des compétences nécessaires que nous tenterons toutefois d’identifier sous le triptyque classique : savoirs, savoir-faire et savoir être en prenant soin, pour que le lecteur puisse mieux comprendre ce dont il s’agit, d’illustrer par des verbatim tirés des propos des personnes interrogées. 97 A. Des savoirs pluridisciplinaires imparfaits La création et le développement d’une entreprise semblent être davantage liés à la maîtrise du processus de mise en œuvre des outils fonctionnels (comptabilité, gestion, marketing…) qu’à leurs connaissances approfondies. 1) L’inventaire des savoirs Communication Connaître les outils de communication Connaître les techniques de présentation de dossier Connaître et aller dans les différentes associations, clubs Avoir de la culture générale pour favoriser les échanges Informatique Connaître les outils informatiques (Word, Internet, tableur Excel) S’intéresser aux nouvelles technologies (paiements sécurisés sur Internet, site Internet etc.) • • • • • Organisation et administration Connaître les méthodes de classement, de rangement de dossiers Produits Connaître parfaitement les produits et prestations proposées Comptabilité et Gestion Avoir des connaissances en calcul Avoir des connaissances en comptabilité Juridique Connaître et comprendre les différents statuts de l’entreprise Connaître les techniques de recherche immobilières (bail, location, recherche de locaux…) Connaître la législation de l’entrepreneur et les droits à la création d’entreprise (formation à la CCI) A défaut, s’entourer d’un juriste ou expert comptable compétent Recherche et Développement Connaître ses concurrents et les tarifs proposés • • - 98 2) Les verbatim utilisés « On essaye de dynamiser le lieu, on a beaucoup communiqué, on a créé des cartes de visites, on a créé un site Internet ». « Avoir un bon dossier, bien travaillé, la présentation c’est capital ». « C’est vrai que j’ai fait partie de beaucoup de choses, du CJD206, les femmes chefs d’entreprise…». « Il faut être très au courant de tout car en déjeuner d’affaires avec des hommes, ça va parler d’économie, de politique ». « Il ne faut pas avoir peur de la paperasse ». « Forcément, si on a un minimum d’ordre de gestion de dossiers, le comptable peut faire le travail ». « La force, c’est que nous connaissons tout le matériel ». « C’est facile, c’est de l’achat et de la vente avec marges, pour la TVA, c’est le comptable ». « Il faut juste savoir compter en fait, c’est de la logique pure ». « A mon avis, quand on veut et créer sa société, il faut essayer de minimiser les charges au maximum pour pouvoir semer avant de récolter ». « J’ai toujours été intéressé par la comptabilité. Ca m’a toujours passionné, fiscalité, juridique, je me documentais ». « Soit on est très bon comptable, soit on prend un comptable ou un expert comptable qui coûte très cher dès le départ ». « Pour les statuts, il faut bien connaître les risques de chaque statut, faut se renseigner, acheter un bouquin, le code du travail, comme à l’école ». « Personne ne le propose (prêt entrepreneur), c’est pour ça qu’il faut bien connaître la loi ». B. Des savoir-faire 1) L’inventaire des savoir-faire Nous n’avons pas listé les savoir-faire spécifiques liés à l’activité de l’entreprise, qu’ils soient techniques ou autres. En effet, il aurait fallu observer et lister toutes les activités du quotidien, ce qui n’était pas l’objet de notre étude. Seules les savoir-faire génériques sont listés. Communication Savoir élaborer des propositions adaptées aux besoins des clients potentiels Savoir présenter et vendre sa société Savoir prospecter ou s’entourer de personnes compétentes Savoir contacter des fournisseurs, des clients • 206 Centre des jeunes dirigeants. 99 • • • • • • - Savoir s’adapter à son interlocuteur, savoir écouter Savoir négocier et vendre un projet Savoir faire des mailings, des actions de promotion Informatique Savoir utiliser Internet pour rechercher les informations nécessaires et pertinentes Savoir utiliser les messageries email Savoir utiliser les outils bureautiques (Word, Excel) Organisation et administration Savoir renseigner des documents administratifs Savoir organiser son travail Savoir gérer « la paperasse » Produits Savoir gérer un stock de produits Ressources humaines Savoir s’associer avec les bonnes personnes Savoir manager, encadrer, coordonner Savoir recruter Savoir former, savoir expliquer avec pédagogie, savoir accompagner sur le terrain Savoir déléguer Comptabilité et Gestion Savoir élaborer un prévisionnel Juridique Savoir élaborer les statuts n’est pas indispensable (il est possible de consulter un conseiller) Recherche et Développement Savoir chercher les affaires et les opportunités Savoir endosser des responsabilités Savoir adapter son offre en fonction du marché et des besoins 2) Les verbatim relevés • - « En fait, je passe beaucoup de temps à consulter les appels d’offres et y répondre ». « Il va falloir que je développe la compétence commerciale, de me faire connaître ou alors 100 m’entourer de personnes compétentes ». « Il faut savoir se mettre au niveau de la personne qui est en face, […] savoir dialoguer, communiquer ». « Il faut t’intéresser à l’autre, il faut l’écouter, il faut répondre à ses envies, aussi bien personnelles que professionnelles ». « Il ne faut pas être intelligent, il faut avoir envie, être curieux, astucieux et après, c’est sûr qu’il faut maîtriser ce que tu fais, l’important c’est le premier contact ». « D’ailleurs moi-même, je ne suis pas un superman, il y a des jours où on n’est pas en forme, je ne suis pas assez intéressant, percutant et ils le sentent, après il faut aller au culot aussi ». « Il faut savoir négocier, être doux quand il faut, être ferme quand il faut. » « Les convaincre d’abord pour qu’il puisse défendre en commission, leur donner des arguments sur les faiblesses pour leur donner la réponse, forcément les membres de la commission interrogeront sur cela ». « Il faut savoir vendre ce qu’on a envie de faire. Parler des forces surtout vis-à-vis des banques ». « Ensuite, je me suis procuré tous les journaux, la vie économique de la région, j’ai demandé aux stagiaires d’envoyer une plaquette pour chacun des articles et relance téléphonique et c’est minimum cinquante coups de fil par jour et dix enveloppes qui partent par jour en mailing pour continuer à développer ». « Avec Internet, j’apporte les projets, j’envoie une synthèse par Internet, les collègues y travaillent, je les finalise ». « La gestion de l’outil informatique, c’est indispensable ». « Il y a une organisation professionnelle à avoir ». « Bon, il y a beaucoup de paperasses au début mais j’ai été aidé par la Chambre du Commerce et le comptable ».« Je dois gérer la qualité de mes produits, gérer la perte aussi des produits, gérer un stock ». « Mon associé m’aide bien, on fait tout ensemble, on travaille aussi le soir ensemble… ». « Moi, j’ai le profil commercial et je me suis donc entouré de techniciens ». « Mon boulot à moi, ma femme est pianiste, moi je suis chef d’orchestre, je connais la compétence de chacun, je peux dire à l’un de faire ça, à l’autre de faire ça et centraliser etc. ». « Personnellement, j’ai l’impression de ne pas savoir faire grand-chose. Pour un chef d’entreprise, il ne peut pas tout savoir, ce n’est pas ce qu’on lui demande, c’est un chef d’orchestre, il faut qu’il arrive à coordonner les différentes compétences ». « Il faut savoir recruter, c’est faire qu’ils viennent travailler en passant un bon moment ». « Avec mes représentants, je leur donne, en tournée, des petits trucs, des astuces ». « C’était très très dur au début mais ça fait du bien d’ailleurs ». « On commence à recherche un local, une fois qu’on commence à être fixé sur la surface, le type de local, on commence à faire un prévisionnel ». « Tout est sous-traité, les statuts, c’est le notaire qui me les a fait… ». « Il faut savoir chercher les affaires partout ». « C’est moi qui prend la décision de faire, de ne pas faire, d’acheter ou ne pas acheter ». « Si il faut changer 101 d’orientation, effectivement, sans remettre tout en question mais si il faut changer un petit temps de direction pour revenir mieux sur l’axe qui était fixé ». « Quand on est convaincu de quelque chose, c’est toujours des hommes (qu’on doit convaincre), ce n’est pas des chiffres, […], c’est important de convaincre celui qui va décider ou qui va faire partie de ceux qui vont décider ». C. Des savoir être P.A. Fortin évoque dans son ouvrage La culture entrepreneuriale : un antidote à la pauvreté la pondération que R. Boivin propose quant aux savoirs que doivent détenir l’entrepreneur : savoir (5 %), savoir-faire (20 %), savoir être et savoir-vivre (75 %)207. Lors de l’analyse des propos tenus par les personnes interrogées dans le cadre de notre étude, nous avons tenté d’identifier les savoir être (et vivre). On note en effet que ces savoirs, loin d’être exhaustifs dans notre contribution, sont multiples et variés. 1) L’inventaire des savoir être 207 208 Avoir de l’assurance Avoir de la volonté Avoir le sens du relationnel (et être présentable) Avoir une bonne capacité physique et être courageux Avoir une résistance forte au stress Etre à l’écoute et être discret Etre autonome et indépendant Etre clairvoyant Etre créatif et observateur Etre généreux Etre motivé, voire passionné Etre optimiste Etre patient Etre tenace208 Ne pas être trop naïf R. Boivin, professeur à l’université du Québec à Trois-Rivières, Fortin, 2002 : 87. Un article, paru dans le Figaro Entreprises du 27/06/2005, dresse le portrait des autodidactes, ces salariés ou créateurs d’entreprise qui se sont formés sur le tas avec le bac comme unique diplôme ou parfois moins. Dans un pays comme la France ou la culture du diplôme est très puissante ils doivent faire preuve d’opiniâtreté et de ténacité pour s’imposer. De Capucine Graby. 102 - Savoir accepter les erreurs et savoir se remettre en cause Savoir changer de cap et s’adapter aux besoins Savoir se remettre en question 2) Les verbatims des locuteurs « Quelqu’un qui crée son entreprise qui est, certes compétent, mais qui n’a pas un charisme commercial ne peut pas développer son affaire si ce n’est que démarrer le plus rapidement avec un délégué commercial ». « Un jeune créateur, comme moi, c’est des quatre-vingt heures semaines environ, ma copine aussi ». « Des soirs, à vingt heures je suis là, à vingt-deux heures je suis encore là, les dossiers s’empilent ». « Il y en a qui ont la capacité intellectuelle de ne pas stresser, c’est énorme, la capacité à résister, à encaisser ». « Il faut savoir être discret, écouter mais sans juger (pour les clients) ». « Une capacité à être commerciale, et à échanger, à être ouverte aux autres ». « Le commercial, c’est vraiment important. Et il faut savoir écouter l’autre et peut être aimer l’autre, tout simplement ». « Etre autonome et indépendant dans tous les domaines ». « Surtout, il faut aimer ce qu’on fait, moi je ne compte pas mes heures, je rentre parfois tard mais j’aime ça ». « Je ne vais pas dire que je trouve une nouvelle idée tous les jours mais presque », « Avoir des idées au cas où ça ne marche pas bien » « Et le concept est original, On se base toujours sur un concept qui n’existe pas. Tout simplement parce que ça ne sert pas à grand-chose d’imiter les autres. On prend des idées à droite à gauche ». « Il faut tout donner au début, tout donner, dans ce sens là. On se donne entièrement en laissant sa vie privée de coté ». « Si on se dit que ça ne marchera jamais car c’est trop difficile, ce n’est même pas la peine. Moi, à aucun moment je ne me suis dit que ça ne marchera pas ». « Le processus, il est laborieux parce qu’on met beaucoup de temps en France à avoir un SIRET209, un extrait K-Bis210 ». « On a mis trois semaines à monter notre dossier et ensuite ça a pris six mois ». « Il faut aussi des défauts, comme la méfiance ». « Il ne faut pas stagner ». « Il faut avoir du courage, ce n’est pas trente-cinq heures ». « J’en apprends tous les jours. A chaque fois que je me casse la figure, j’en prends bonne note ». « Il faut avoir l’envie, des semaines complètes à passer cinq cents coups de fil sur la semaine sans rendez-vous, à en pleurer des fois ». « Ne jamais se 209 210 Il identifie les établissements de l’entreprise. Document officiel attestant de l'existence juridique d'une entreprise commerciale, délivré par le registre du commerce et des sociétés (c’est à dire au greffe du tribunal de commerce), et qui est la « carte d'identité » de l'entreprise. 103 décourager, et toujours profil bas ». « Il faut garder son côté humble ». « Il faut être à l’écoute des gens, à l’écoute des gens qui lâchent des bribes comme ça ». « J’essaye de regarder partout, d’observer ». « Et quand je copie quelqu’un, je me plante, systématiquement car ça ne rapporte pas assez ». « Une certaine force de caractère, un volontarisme que j’ai découvert avec le développement de la société ». « Je pense qu’il faut aussi être clairvoyant dans ce qu’on fait, ne pas s’entêter à vouloir développer ou à créer son activité si on se rend compte que ça ne marche pas ». « Un naturel optimiste : à la limite je n’y pense même pas, je me dis qu’aujourd’hui c’est comme ça, j’ai des objectifs à trois mois, six mois, il n’y a pas de raisons que ça ne marche pas ». 104 Conclusion et perspectives L’objectif de cette contribution est de permettre à un individu, porteur de projet ou non, de prendre conscience qu’il est possible de créer son entreprise en fonction de ses propres qualités, compétences et expériences, car « on ne naît pas entrepreneur, on le devient »211. L’étude présente en effet l’entrepreneur, non pas comme un surhomme, mais comme un individu avec un ensemble de caractéristiques qu’il utilise pour faire face aux difficultés rencontrées ; bien que le métier d’entrepreneur tienne difficilement dans une définition achevée. Cela a été rendu possible grâce à la mise en œuvre d’entretiens individuels auprès de treize personnes qui ont créé leur entreprise. Leurs analyses présentent les qualités, compétences et conditions qui semblent nécessaires pour aboutir à une création d’entreprise réussie. Comme nous pouvons le lire dans le rapport présenté, en juin 2005, par le ministère de l’Education nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, portant sur Les aides à la création d’entreprises innovantes à partir de la recherche publique : bilan des dispositifs et analyse des entreprises concernées, « quelques soient les conditions organisationnelles et matérielles que l’on s’efforce de mettre en place pour stimuler la création d’entreprise, rien ne peut se faire sans la volonté et la compétence des hommes ». En effet, force est de constater que la création d’entreprise nécessite une mobilisation de compétences que nous pouvons relier à une capacité de réussir, à laquelle on ajoute une forte motivation, ainsi qu’un environnement familial nécessairement solidaire. Ces compétences, que nous avons distinguées sous la forme du triptyque savoirs, savoir-faire et savoir être, sont sociales et relationnelles, théoriques et « d’environnement », c'est-à-dire constituées par l’expérience professionnelle et/ou personnelle de la personne. Conscients qu’il est illusoire et risqué d’imaginer prétendre couvrir toutes les situations professionnelles, nous avons toutefois retenu certaines dimensions de compétences fondamentales qui concernent autant les relations interpersonnelles, le leadership, la communication, la délégation et l’encadrement, la gestion financière, la capacité technique, les compétences organisationnelles, la planification stratégique, l’innovation… 211 A. Fayolle (2003) - Le métier de créateur d'entreprise, Editions d'organisation, 223 pages. 105 Nous constatons également que, outre les compétences, certaines qualités et attitudes doivent pouvoir être combinées : l’autonomie, la responsabilité, la créativité, la capacité à relever les défis (et par conséquent le goût du risque), l’écoute, la compréhension, le sens du relationnel, l’humilité ; mais aussi une capacité personnelle d’action, de résistance physique et de solidité psychologique… Autant de savoir être et de savoir vivre que le professeur R. Boivin212 estime à 75 % de la totalité des savoirs à mobiliser chez un entrepreneur, et qu’il est bon d’acquérir, on l’a vu, dès le plus jeune âge. Lors des entretiens, nous avons pu noter que la plupart des entrepreneurs étaient passés à l’acte d’entreprendre avec l’envie d’être leur propre patron (malgré les contraintes qui semblent entourer la création d’entreprise, tant au niveau des lourdeurs administratives que les blocages législatifs) ; et de ne pas, ou plus être, considéré comme un pion ou de s’ennuyer au sein d’une entreprise. Pour éviter cela, les jeunes diplômés en quête de responsabilités et de nouveaux horizons, et pour lesquels « l’entreprendre » reste marginal dans notre pays213, peuvent choisir la voie de l’entrepreneuriat comme projet de carrière. Ce projet peut se traduire, soit par une création ou une reprise d’entreprise, soit par le biais de pratiques comme l’essaimage ou l’intrapreneuriat. Parce que les organismes d’accompagnement à la création d’entreprise ne s’intéressent qu’aux projets déjà existants, nous pensons que les écoles, universités et entreprises, tout comme les spécialistes du conseil et de l’orientation professionnelle, ont un rôle à jouer en amont des accompagnateurs individuels afin d’encourager l’esprit entrepreneurial. Mais qui doit-on encourager, voire stimuler ? Les études amènent à constater que certaines personnes possèdent des caractéristiques favorables au développement de comportements entrepreneuriaux : c'est ce qui représente un potentiel214. Exploité et développé dans un environnement favorable, ce potentiel pourrait contribuer à la création et à la réussite d’entreprises. La question de sa détection apparaît alors comme un champ de réflexion nouveau. 212 P.A. Fortin évoque dans son ouvrage La culture entrepreneuriale : un antidote à la pauvreté la pondération que R. Boivin propose quant aux savoirs que doivent détenir l’entrepreneur : savoir (5 %), savoir-faire (20 %), savoir être et savoir-vivre (75 %), 2002 : 87. 213 Nous rejoignons le point de vue de T. Legrain, président-directeur général de Coach'Invest et vice-président de l'Association des diplômés Essec, qui constate que la politique d’orientation actuelle française conduit les jeunes diplômés après leurs études à travailler dans un grand groupe et que les grandes écoles et les universités françaises forment beaucoup trop de managers et pas assez d'entrepreneurs (La Tribune du 12/02/2004). Pour information, 5 % des jeunes diplômés seulement créent leur entreprise (Le Monde Campus du 13 mai 2003). 214 Ensemble de ressources dont une personne dispose et qu’elle va pouvoir utiliser, développer ou révéler, F. Danvers (en cours de réalisation) - Anthropologie de l'orientation, version n°3, remaniée et augmentée. 106 Nous avons vu qu’il existe un test215 dont se sert le centre d'entrepreneurship de l'université de Montréal pour évaluer le potentiel de ses membres en comparant notamment certaines caractéristiques d’un individu à celles des entrepreneurs à succès. Outre l’utilisation de ce test, il serait intéressant de chercher, au travers de questionnements, à identifier les potentiels. Nous pourrions envisager, par exemple, de chercher à faire expliciter les jeunes diplômés sur un évènement où ils ont pu faire preuve de : créativité et d’imagination, afin de mesurer leur capacité à exprimer leur idée, à proposer des solutions à un problème ; responsabilité et de maturité, car il est primordial de savoir assumer et de chercher à réaliser ce qui a été convenu tout en respectant ses engagements ; capacités de travail « à plein régime », car on l’a vu les heures ne sont pas comptées quand on parle de création d’entreprise ; autonomie pour valider leur capacité à fonctionner sans avoir besoin d’une supervision immédiate, à prendre des initiatives et des décisions dans le cadre de ses responsabilités ; confiance en soi afin de valider si ils se connaissent bien, se perçoivent positivement, et sont capables de miser sur leurs possibilités ; capacités à communiquer et à convaincre, puisqu’il est nécessaire de savoir s’exprimer, voire « vendre » ses projets face à un banquier, un client, un fournisseur ; ténacité et d’esprit d’initiative, car il est nécessaire de savoir faire preuve de constance, de persévérance dans l’action tout en la menant à terme ; aptitudes216 à la décision rapide, pouvant entraîner des risques ; capacités d’adaptation à de nouvelles situations ; capacités de contrôle et de résistance au stress ; leadership afin de valider si ils sont capables d’entraîner les autres dans la réalisation de leurs idées et projets, d’avoir une influence sur les autres (même sans avoir la certitude d’être sur la bonne voie) ; 215 curiosité à comprendre ce qui dans le monde ne les concerne pas directement ; capacités à déléguer à des personnes compétentes ; aptitudes à la recherche, à l’analyse, au calcul, à l’organisation, à la planification etc. Le test I.C.E. (Inventaires des Caractéristiques Entrepreneuriales) qui a été développé par le professeur Yvon Gasse de l'Université Laval pour la Fondation de l'Entrepreneurship. 216 L’aptitude est la faculté évoquant une disposition naturelle, un ensemble de qualités physiques ou intellectuelles attachées aux individus, utilisées ou non, connues ou non (F. Danvers en référence à S. Michel & M. Ledru, 1991, (en cours de réalisation) - Anthropologie de l'orientation, version n°3, remaniée et augmentée. Aujourd’hui, les notions de « capacité » et d’ « aptitude » sont synonymes dans le langage courant. 107 En plus d’un travail à mener sur les compétences217, l’analyse des propos tenus pourrait, en référence à la définition du potentiel proposée par D. MacCarthy218, permettre de distinguer ses trois composantes : le pouvoir (capacités physiques et aptitudes), le savoir (ensemble des acquis scolaires et expérientiels) et le vouloir (la personnalité et la motivation) et d’appréhender ainsi l’intensité du potentiel détecté. Mais la prudence est de mise : « Le potentiel est toujours un jugement a priori, une probabilité, un risque difficilement mesurable »219. Des actions de sensibilisation à la création pourraient ensuite s’envisager en considérant, entre autre, plusieurs critères : l’importance de la créativité qu’il faut pouvoir développer ; les représentations négatives qui découragent le passage à l’acte ; la difficulté pour certaines personnes à trouver l’information adéquate et à faire partie de réseaux ; la question du besoin de sécurité inhérent à chacun d’entre nous ; la nécessité de donner du sens à ce que l’on fait ; la place accordée au projet de création qu’il faut aider à définir ; les notions de peur, de rejet et de solitude que peuvent ressentir les créateurs ; la place de notre culture française qui tend à favoriser la dévalorisation de la prise de risque, l’obligation de résultats et la promotion de l’assistance. la rencontre entre une idée, une personnalité et un environnement propre à chaque créateur220 , etc. Toutefois, comme on l’a lu, une personne pourrait posséder un potentiel entrepreneurial et une forte envie d’entreprendre, sans pour autant avoir la capacité à créer une entreprise. Les interventions éducatives doivent donc pouvoir s’inscrire dans un objectif de passage du potentiel aux capacités entrepreneuriales. Cela nous ouvre des voies nouvelles de réflexion qui sortent du cadre de notre étude et qui mériteraient des recherches approfondies. 217 Par exemple, en utilisant le portefeuille de compétences qui, en France « se présente sous la forme d'un classeur mobile susceptible de recevoir des documents différents témoignant des acquis professionnels et extraprofessionnels des individus au cours de la gestion de leur parcours professionnel ». 218 Citée par P. Gilbert et R. Thionville (1990 : 40), voir page 41 du présent mémoire. 219 F. Danvers en référence à S. Michel, 1989, (en cours de réalisation) - Anthropologie de l'orientation, version n°3, remaniée et augmentée. 220 en prenant en compte ses aspects sociaux et culturels auxquels il est nécessaire de s’adapter. Nous faisons référence au dossier sur l'esprit d'entreprise paru dans L’expansion management review de mars 2005, piloté par les professeurs A. Fayolle, E. M. Hernandez et P. Sénicourt. 108 Tout au long de l’élaboration de ce travail, j’ai eu l’occasion de développer mon professionnalisme et de nouvelles compétences (relationnelles, organisationnelles, rédactionnelles, etc.), de faire preuve d’innovation (en choisissant un sujet peu exploité par les étudiants en sciences de l’éducation) et d’acquérir des savoirs théoriques. Ce travail a également permis d’approfondir, avec un œil plus averti, mon projet de création d’entreprise, voire de m’ouvrir vers d’autres horizons professionnels tels que le conseil et l’accompagnement à la création d’entreprise. 109 Glossaire des sigles et termes utilisés A.C.C.R.E. : aide aux demandeurs d'emploi créateurs ou repreneurs d’entreprise A.D.I.E. : association pour le droit à l'initiative économique A.E.I.C. : association pour l'emploi dans l'industrie et le commerce A.N.I. : accord national interprofessionnel A.N.P.E. : agence nationale pour l’emploi A.P.E.C. : agence pour l’emploi des cadres A.S.S.E.D.I.C. : association pour l’emploi dans l’industrie et du commerce B.E.P. : brevet d'études professionnelles B.I.C. : bénéfices industriels et commerciaux B.O.A.M.P. : bulletin officiel des annonces des marchés publics B.T.S. : brevet de technicien supérieur C.A.F. : caisse d’assurances familiales C.A.P. : certificat d'aptitude professionnelle C.C.I. : chambre de commerce et d'industrie C.D.D. : contrat à durée déterminée C.D.I. : contrat à durée indéterminée C.J.D. : centre des jeunes dirigeants C.R.A.M. : caisse régionale d’assurance maladie D.D.T.E. : direction départementale du travail de l'emploi D.E.U.G. : diplôme d’étude universitaire générale D.U.T. : diplôme universitaire technologique E.U.R.L. : entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée G.P.P.E.C. : gestion prévisionnelle des emplois et des compétences G.R.H. : gestion des ressources humaines G.S.A. : grandes surfaces alimentaires G.S.B. : grandes surfaces de bricolage H.E.C. : haute école de commerce I.A.E. : institut d’administration des entreprises I.F.O.P. : institut français d’opinion publique I.N.P.I. : institut national de la propriété industrielle I.N.S.E.E. : Institut national de la statistique et des études économiques M.E.D.E.F. : mouvement des entreprises de France O.P.P.E. : observatoire des pratiques pédagogiques en entrepreneuriat P.N.B. : produit national brut S.A.R.L. : société à responsabilité limitée T.C. : techniques de commercialisation T.V.A. : taxe sur la valeur ajoutée U.R.S.S.A.F. : union pour le recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales V.A.D. : vente à distance V.A.E. : validation des acquis de l’expérience V.P.C. : vente par correspondance 110 Bibliographie Ouvrages portant sur l’entrepreneuriat, l’innovation, l’acte • AUMONT B., MESNIER P.M. (1992) - L’acte d’apprendre, PUF, 289 pages. ALTER N. (1996) - Sociologie de l’entreprise et de l’innovation, PUF, 241 pages. BOUTILLIER S. et UZUNIDIS D. (1999) - La légende de l'entrepreneur : le capital social ou comment vient l'esprit d’entreprise, Syros, 151 pages. CASSON M. (1982) - L’entrepreneur, Economica, 380 pages. COUPLET X., HEUCHENNE D. (1998) - Religions et développement, Economica, 352 pages. DESSEIGNE G. (1998) - La création d'entreprise, Que sais-je, n°3125, PUF, 127 pages. DANJOU I. (2004) - Entreprendre : la passion d'accomplir ensemble, L'harmattan, 282 pages. DRUCKER P. (1985) - Les entrepreneurs, Hachette, 344 pages. DUCATTE J.C. (1994) - Après la crise : les nouveaux modes d’organisation du travail, Editions d’organisation, 185 pages. FAYOLLE A. (2004) - Entrepreneuriat : apprendre à entreprendre, Dunod, 387 pages. FAYOLLE A. (2003) - Le métier de créateur d'entreprise, Les éditions d'organisation, 223 pages. FILLON L.J., LUC D., FORTIN P.A. (2002) - L’essaimage d’entreprises, vers de nouvelles pratiques entrepreneuriales, Collection entreprendre, 317 pages. FORTIN P.A. (2002) - La culture entrepreneuriale, un antidote à la pauvreté, Collection entreprendre, 248 pages. GRIGNON F. (1998) - Richesse de l’homme, richesse de l’entreprise, Grands enjeux, Editions Ellipses, 96 pages. HERNANDEZ E. M. (2001) - L'entrepreneuriat, collections Alternatives rurales, 2001, 270 pages. approche théorique, l'Harmattan, HERNANDEZ E. M. (1999) - Le processus entrepreneurial : vers un modèle stratégique d'entrepreneuriat, L'harmattan, 256 pages. MANDEL G. (1998) - L’acte est une aventure, La Découverte, 570 pages. 111 PAPILLON J.C. (2000) - De l'entrepreneur à la gouvernance, 2ème édition, éditions management société, 267 pages. PAPIN R. (1993) - Stratégie pour la création d’entreprise, 5ème édition, Dunod, 603 pages. VERSTRAETE T. (2002) - Essai sur la singularité de l'entrepreneuriat comme domaine de recherche, Les éditions de l'ADREG, 120 pages. VERSTRAETE T. (1999) - Entrepreneuriat : connaître l'entrepreneur, comprendre ses actes, L’Harmattan, Economie et Innovation, 208 pages. WEBER M. (1994) - L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, AGORA, 286 pages. Ouvrages traitant de la compétence, de l’orientation et du projet professionnel • AUBRET F. & AUBRET J. & DAMIANI C. (1993), Les bilans personnels et professionnels, Paris, EAP Collection Orientations, 148 pages. BAUBION-BROYE A. (1998) - Evénements de vie, transitions et construction de la personne, ERES, 238 pages. BERNAUD J.L., LEMOINE C. (2002) - Traité de psychologie du travail et des organisations, Dunod, 473 pages. BOUTINET J.P. (1993) - Anthropologie du projet, Paris, PUF, 313 pages. BUJOLD C., GINGRAS M. (2000) - Choix professionnel et développement de carrière, Gaëtan Morin, 421 pages. DANVERS F. (en cours de réalisation) - Anthropologie de l'orientation, version n°3, remaniée et augmentée. GAULLIER X. (1988) - La deuxième carrière - Ages, emplois, retraites, Paris, Seuil, 408 pages. GILBERT P. et THIONVILLE R. (1990) - Gestion de l’emploi et évaluation des compétences, des hommes aux emplois et des emplois aux hommes, ESF, 207 pages. GINGRAS M. et SYLVAIN M. (1998) - Le modèle de Schlossberg, L'orientation scolaire et professionnelle, pp. 339-352. GOGUELIN P. DRAU E. (1992) - Projet professionnel - Projet de vie, ESF, 194 pages. GUGLIELMI D., FRACCAROLI F., POMBENI M.L. - Les intérêts professionnels selon le modèle hexagonal de Holland, L'orientation scolaire et professionnelle, vol. 33, n° 3, pp. 409427. 112 KERLAN F. (2004) - Le guide de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, Editions d’organisation, 136 pages. LEVY-LEBOYER C. (1996) - La gestion des compétences, Editions d’organisation, 165 pages. LE BOTERF G. (1994) - De la compétence, Essai sur un attracteur étrange, Editions d’Organisation, 159 pages. LE BOTERF G. (1998) - L’ingénierie des compétences, 2ème édition, Les éditions d’organisation, 445 pages. LE BOTERF G. (2000) - Construire les compétences individuelles et collectives, Les éditions d’organisation, 206 pages. LEMOINE C. (2002) - Se former au bilan de compétences, Dunod, 147 pages. METIERS ET COMPETENCES, (2000) - Guide des aides à la création d’entreprise, Paris, PUF, 160 pages. PARLIER M. (1996) - L’orientation professionnelle dans l'entreprise: une alternative à la gestion des carrières, L'orientation scolaire et professionnelle, vol. 25, n° 3, pp. 343-355. PEMARTIN D. (1999) - Gérer par les compétences, Editions Management Société, 128 pages. PERETTI J.M. (1994) - Ressources humaines, Vuibert, 4ème édition, 575 pages. RAVENNE C. (1991) - Faire son projet professionnel, ESF, 149 pages. REINBOLD M.F., BREILLOT J.M (1993) - Gérer la compétence dans l’entreprise, L’Harmattan, 171 pages. TREPOS J.Y. (1992) - Sociologie de la compétence professionnelle, Presses universitaires de Nancy, 223 pages. ZARIFIAN P. (2001) - Le modèle de la compétence, éditions Liaisons, 114 pages. WEISS D. (1999) - Les ressources humaines, Les éditions d’organisation, 764 pages. Rapports et revues consultés • ANVAR (2005) - L’entrepreneuriat, vecteur d’innovation, La lettre de l’innovation, Numéro 33, 7 pages. APCE (2004) - La création d’entreprise en région Nord-Pas de Calais, données INSEE, Panel Sine 2002, 16 pages. APCE (note mensuelle de conjoncture) - Création d’entreprise (chiffres de mars 2005). 113 BRUYAT, C. (2001) - Créer ou ne pas créer ? Une modélisation du processus d’engagement dans un projet de création d’entreprise, Revue de l’entrepreneuriat, Vol 1, n°1, 42 pages. CACHOT L., SERVAIS I., COPIN G. (2002) - L’esprit d’entreprendre, étude définissant les valeurs et aptitudes qui caractérisent l’esprit d’entreprendre, Interprofessionnel Rhône Alpes, 68 pages. CAMION C, GASSE Y., HEBBAR K, BERGER-DOUCE S (2005) - Etude « L’esprit d’entreprendre et les étudiants » présentée lors de la 5ème journée franco québécoise le 25 mai 2005 à l’IAE de Valenciennes. CESR (2000) - Développer l’esprit entrepreneurial dans le Nord-Pas de Calais, 25 pages. COUPLET X. (2005) - Les sociétés protestantes, confucianistes et juives sont plus aptes au développement, LE MONDE (article du 12 avril). DANVERS F. (2004) - Peut-on enseigner l'entrepreneuriat, document CEDEFOP, 6 pages. DIETRICH A. (2004) - La gestion des compétences, document de travail, 14 pages. ENTREPRISES FORMATION (2003) - Pour une création d’entreprise accompagnée, n°137, 2 pages. FAYOLLE A., HERNANDEZ E.M., SENICOURT P. (2005) - Etude sur l'esprit d'entreprise, L'Expansion management review de mars 2005. FAYOLLE A. (2004) - Entrepreneuriat, de quoi parlons-nous, L’expansion management review, pp. 67-75. FAYOLLE A. (2002) - Du champ de l'entrepreneuriat à l'étude du processus entrepreneurial : quelques idées et pistes de recherche, Cahiers de recherche du CERAG (Centre d'Etudes et de Recherches Appliquées à la Gestion), n° 2002-32, 32 pages. FAYOLLE A. (2002) - Les déterminants de l'acte entrepreneurial chez les étudiants et les jeunes diplômés de l'enseignement supérieur français, Revue Gestion 2000, pp. 61-77. GALAND B., VANLEDE M. (2004) - Le sentiment d’efficacité personnelle dans l’apprentissage et la formation, Les cahiers de recherche en éducation et formation, n°29, 21 pages. GAUDRON J.P., CROITY-BELZ S. (2005) - Bilan de compétences (BC) : état des recherches sur les processus psychologiques en jeu, Psychologie du travail et des organisations, Elsevier, 14 pages. GINISTY D. (2003) - Pour une création d’entreprise accompagnée, Entreprises formation, N° 137 Mai-Juin 2003. GIRY Y. (2000) - Créateurs d’entreprises, nouvelles entreprises, Agence Régionale de Développement, pp 2-3. 114 INSEE Conjoncture (2005) - Informations rapides n° 117. INSTITUT DE L’ENTREPRISE (2004) - La dynamique entrepreneuriale dans les grands groupes, 45 pages. LEGER-JARNIOU C. (2001) - A propos de promotion auprès des jeunes : esprit d’entreprise ou esprit d’entreprendre, 9 pages. LE JOURNAL DU MANAGEMENT - La création d’entreprise au beau fixe, 15 septembre 2004. LES ECHOS (2004) - De nouvelles mesures pour favoriser la création d’entreprise par les chômeurs (article du 28 octobre). LES RENCONTRES DE L’AGENCE (1999) - Vers un nouveau service aux étudiants : l’accompagnement à la création d’entreprise, 14 pages. LIAISONS SOCIALES (2003) - Loi pour l’initiation économique, aide à la création d’entreprise, n° 8410, 10 pages (septembre). MADOUI M. (2004) - Créer son entreprise pour échapper au chômage et à la discrimination, in la formation tout au long de la vie : une chance égale pour tous ?, VEI enjeux, n° 136, mars 2004, pp. 86-98. MARTIN J.O. - Créations d’entreprises : la hausse se poursuit, LE FIGARO (article du 15 septembre 2004). MINISTERE DE L’EDUCATION NATIONALE, DE L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET DE LA RECHERCHE (2005) - Les aides à la création d’entreprises innovantes à partir de la recherche publique : bilan des dispositifs et analyse des entreprises concernées, rapport de juin 2005, 77 pages. MONTIGNY D. (1996) – Personnalité oblige, revue Contact, Université de Laval, automne 1996, 7 pages. NAUZE-FICHET E., LERAIS F. (2002) - Projections de la population active : un retournement progressif », INSEE première n°838, 4 pages. OPPE (2004) - Intervention de M. REYNAUD lors des journées de l’observatoire des pratiques pédagogiques en entrepreneuriat, pp. 10-11 (47 pages). REVERCHON A. - Peut-on enseigner l’entrepreneuriat, LE MONDE (article du 18 mai 2005). ROSS D. (1993) - L’éducation à l’entrepreneurship, Revue de carriérologie, pp. 51-73. VOLERY T., SERVAIS I. (2000) - Rapport 2000 sur l’entrepreneuriat en France, Global Entrepreneurship Monitor, 47 pages. 115 VOLERY T. (2002) - Entrepreneuriat, étude de l’art, Management et Conjoncture Sociale, 83 pages. Dictionnaires • DANVERS F. (2003) - 500 mots-clefs pour l’éducation et la formation tout au long de la vie, Presses Universitaires du Septentrion (Les dictionnaires du Septentrion), 2ème édiction, 697 pages. DANVERS F. (1992) - 700 mots-clefs pour l’éducation, Presses universitaires de Lille, 320 pages. LAROUSSE (1998) - Nouveau Larousse encyclopédique, en 2 volumes. PERETTI J. M. (2001) - Dictionnaire des ressources humaines, 2ème édition, Vuibert. Ouvrages méthodologiques • BEAUD S., WEBER F. (1998) - Guide de l’enquête de terrain, Editions La découverte, 315 pages. BLANCHER A., GOTMAN A. (1992) - L’enquête et ses méthodes : l’entretien, Nathan, 127 pages . GHIGLIONE R., MATALON B. (1985) - Les enquêtes sociologiques : théories et pratique, Colin, 301 pages. KAUFMANN J.C. (1996) - L’entretien compréhensif, sous la direction de François de Singly, Nathan, 127 pages. QUIVY R., VAN CAMPENHOUT L. (1988) - Manuel de recherche en sciences sociales, Dunod, 271 pages. 116
Copyright © 2024 DOKUMEN.SITE Inc.