QUID SIT LUMEN(1476) CE QC'EST LA LU\iIÈRE DANS LE CORPS DU MONDE, DANS L'A,\lE, DANS L'ANGE ET EN DIEU PAR .\1ARSILE FIC IN, FLORENTIN, AU TRÈS ILLUSTRE AMBASSADEUR \'ÉNITIEN PHŒBUS 1 SALUT à roi, norre Plzœbus, toujours dans la lumière de la vie. Salza à toi, célesre Plzœbus, dom l'illustre lumière ne viem pas du dehors mais brille du plus profond de toi-même. Ces derniers jours, l'esprit de ton 1Harsile, fécondé dans la mesure de ses forces par les rayons du Soleil Platonicien comme par des semences, s'est efforcé d'cnfamer le Soleil et, par trop i11fortzmé, je ne sais par quelle faiblesse d'une nature stérile, a enfamé à la place du Soleil la lu11e à la lumière emprwuée. Aussi, pour que ce fruit obscur du Soleil Plato11icien né de mes ré11èbres soit au moins illzmziné de ses rayons, je le dédierai sans plus attendre au Phédon 2 de r. Phœbus Capella, ambassadeur de Venise et ami de Ficin associé au projet platonicien. Cf. Opera 011111ia, p. 949. (Voir la bibliographie p. 61.) Ficin joue bien entendu ici sur le nom de Phébus, épithète du dieu de la lumière, selon un procédé dont il gratifiait souvent ses "amis platoniciens" dans sa correspondance. 2. Dialogue sur l'immortalité de l'âme, thème favori 16 QUID SIT LC\\E~ Platon. Quant à toi, illustre PJzœbus, accepte de bon cœur ces choses qui te reviennent. Et parce qu'elles te reviennent de droit, je te prie de les éclairer de la lumière de ton esprit. Sois heureux auprès de ton divin sénat, illustre Phœbus. Au nom de JV!arsile et de tous les gens de lettres, notre salut au Vénitie11, ou plutôt Florentin, Bernardo Bembo 1 ,. avec l'affection de notre peuple. des conversations de l'Académie platonicienne, le Plzédim est, avec le Banquet, l'œuvre la plus représentative de l'esprit platonicien selon l'humanisme florentin. L'autorité du Phédon doit s'entendre, selon l'esprit du dialogue, comme une injonction à rechercher la vraie contt:mplation dans le détachement, l'élévation et la purification. r. Bernardo Bembo, père du poète Pietro Bembo. ambassadeur de Venise à Florence (1474-1475), compagnon des banquets platoniciens. Chaque sem JI 'atteint que l'objet seul auquel il co11viem. JE hais plus que tout les ténèbres, par la faute desquelks toutes choses déplaisantes me déplaisent lorsqu'elles sont accompagnées de ténèbres, ou bien, lorsqu'en surgissant d'elles, elles s'y abîment et y retournent. ]'aime avant tout la lumière, par la grâce de laquelle toutes les autres choses me deviennent aimables lorsqu'elles sont accompagnées de lumière, ou bien, lorsqu'en provenant d'elle, elles Y refluent et y retournent. Donc instruisez-moi, ô mes sens, vous qui apprenez d'innombrables choses sur presque tout; instruisez-moi, je vous en prie, de ce qu'est la lumière 1 • Et l'ouïe répond: ''Je suis aérienne, il est suffisant que je t'instruise des sons aériens." Et l'odorat répond: "Quant à moi, à plus forte raison ne suis-je pas lumineux, mais vaporeux: apprends de moi les vapeurs." "Pourquoi me demander ce qui m'est étranger? dit le goût: je baigne r. Q11id sir !11111c'll: selon la tradition scolastiqw:, quit/ sit (qu'cst-cc quc c'est?) est la question de l'cssencc de la chose. 18 QUID SIT LUMEN dans l'élément liquide et te renseigne sur les liquides." "Ne cherche pas, dit le toucher, à tirer de moi ce que je ne puis te donner: je ne suis que corporel, et je t'instruis du corporel. Cherche plus haut la lumière 1." I · Les qualités que Ficin attribue aux sens correspondent au "milieu" de propagation de la sensation scion la thèse d'Aristote. Cf. De anima, 11, 7, . p8 b S</. II Dcscrz'prùm de la lumière 'VzS1'ble. G RA c E à ces conseils, je m'élevais du plus bas où j'étais tombé vers les hauteurs de mon corps pour y recevoir une lumière en toutes choses plus légère et plus haute. Eh bien, allons mes yeux lumineux! Au nom de cette lumière qui nous charme seule et plus que tout, je vous en conjure, indiquez à la raison, votre reine, ce qu'est la lumière. Et la splendide vue répond aussitôt: "Moi, je suis esprit, je suis splendeur spirituelle. Et puisque c'est justement mon rôle que tu me demandes, c'est avec grand plaisir que je l'expose: la lumière est une émanation en quelque sorte spirituelle, soudaine et très étendue des corps dont elle n'altère pas la nature. Elle est émanation d'une lumière brillante pour les corps diaphanes, c'est-à-dire transparents, émanation de la couleur pour les corps qui lui font obstacle, et enfin, pour tous les corps, émanation de la quantité, de la figure et du mouvement 1 • 1. En termes aristotéliciens, le "milieu" de la lumi\:re est le diaphane, et la lumière l'acte du diaphane (Dt' <lllÙ11,1, 11, 7, . p9 a). L'essence formelle de la couleur 20 QUID SIT LU.\lE~ Rassemble en un seul tous les genres de couleurs: que sera cet assemblage, sinon une lumière de toutes les couleurs, ou bien une lumière faite dans la matière la plus solide et la plus obscure de la terre, et dès lors opaque? Sépare-la de la terre qui lui est mêlée: que restera-t-il, sinon une qualité, ou plus précisément la clarté et l'acte de la transparence comme la couleur est l'acte de l'opacité? En effet, la couleur est une lumière opaque et la lumière une couleur claire, ou plutôt une sorte de fleur et d'éclat du corps transparent et des couleurs qui, pour ainsi dire d'une seule couleur en acte, est de toutes les couleurs en puissance." consiste à mettre en mouvement le diapham: dont l'entéléchie est la lumière; la couleur n'est pas visible sans lumière et la lumière est en quelque sorte la cnukur du diaphane. C'est par conséquent un acte (mouvement) et une forme déterminée (figure) que la lumière fait apparaître et surgir à partir de l'élément matériel et étendu (quantité). I 1I Rien 11 'esr plus clair que la lumière cr Dieu, cr rien 11 'est plus obscw: c 'EST une esquisse, ô mes yeux, plus qu'un tableau. Je n'ai jamais entendu de plus obscure définition. Ô vraiment, quelle merveille! Comment se fait-il que rien ne soit plus obscur que la lumière, quand il n'y a pourtant rien de plus clair, puisqu'elle élucide et fait connaître clairement toutes choses? De là, je montais donc au sublime sommet de l'intellect 1 pour y voir, à tout le moins, ce sans quoi je ne pouvais rien voir nulle part ailleurs. Ô intellect, toi qui mesures tout avec justesse, dis-moi si par hasard la lumière est Dieu lui-m~me, puisque rien n'est plus obscur et lumineu.'\: à la fois. Rien n'est plus clair que Dieu existe, et qu'il est, souverainement puissant, sage et bon. En effet, toutes ses œuvres le proclament à nos oreilles et c'est pourquoi il n'y a pas plus sourds que CClL'\: qui ne l'entendent haut et fort en toutes choses. 1\1ais cependant, rien n'est plus obscur que ce qu'est Dieu, puisque rien n'est plus ténébreu.x pour qui s'imagine que c'est chose très claire. 1. "Intellect" traduit k latin 1w11s. IV La lumière intelligible est cause des imelligibles, la lumière visible est cause des choses visibles. répond que Dieu est père des lumières, chez qui n'existem ni clzangemem, qui l'éteindrait ou le ruinerait, ni ombre de variation 1 , qui le plongerait dans la nuit ou l'éclipserait. Il répond encore que Dieu est lumière dans laquelle aucune ténèbre 11'existe 2 , c'est-à-dire une forme (forma) qui ne contient rien d'informe et une beauté (fomwsitas) qui ne contient rien de difforme. Dieu est de toute évidence, comme le montre l'intellect qui est son rayon, une lumière invisible, l'infinie vérité, la cause de chaque vérité et de toutes choses, dont la splendeur, ou plutôt l'ombre3 est cette lumière visible et finie cause des choses visibles. Or, puisque la nature de la lumière et de la vérité est de révéler réelle- L'INTELLECT 1. Saint Jacques, Epîcrt, I, 17. 2. Saint Jean, Epitre, I, 5. 3. L'ombre est très exactement la lumière en tant qu'elle est relative au degré d'être qui lui est supérieur. Toute lumière, exceptée celle de Dieu, est dnnc en méme temps une ombre. Cf. DL' amorc, VI, 17, p. 234. QCID SIT LU\1EN 23 ment les choses les unes aux autres, Dieu perçoit ainsi clairement et véritablement chaque chose par soi. Comme si la lumière visible, qui est la source des couleurs et des choses visibles, portait ses regards sur elle-même comme sur une lumière de toutes les couleurs, et voyait en elle toutes les couleurs et toutes les choses sensibles. V Lumière visible, raliowzelle, imelligible, divine. vérité, l'intellect nous avertit de ne pas nous élever si soudainement à cette sublime contemplation mais de monter par degrés pour n'être pas éblouis et le moins possible aveuglés par l'éclat (splendor) de la lumière. "Ne te fie pas aux sens, ô 1na raison: la vue ne t'instruit pas suffisamment, quant aux autres sens ils ne t'apprennent rien. Parce que la vue est une lumière relative aux sens, elle ne peut recevoir et rendre qu'un éclat sensible; et réciproquement, parce qu'elle ne peut recevoir et rendre qu'un éclat sensible, tu sais qu'elle est une lumière relative aux sens. Toute progression devient donc impossible 1 • EN r. Telle est la difficulté et la circularité d'une description de la lumière sensible. En tant qu'acte du diaphane, la lumière est ce qui rend visible, mais qui n'est visible elle-même que dans et par les couleurs ou actes de l'opaque. La lumil:re est toujours vue par ce qu'elle éclaire et jamais en elle-même. Ainsi, l'analyse aristocélicienne laisse place à une interrogation platonicienne: la lumière visible porte en elle son propre dépassement; voir la lumière, c'est voir la source transcendante du visible qui éclaire sans être jamais vue en clic-même. QUID SIT LU.\1El'\ 25 "1V1ais à présent, apprends ceci: moi, l'intelligence, je suis une lumière en quelque sorte intellectuelle, puisque mon objet est la lumière intelligible que je cherche en tout ce qui peut être cherché et trouve en tout ce qui peut être trouvé, car la lumière de chaque être est en même temps sa vérité. Aussi la vérité est-elle une lumière intérieure et la lumière une vérité se déployant au-dehors 1 • "Apprends maintenant ceci: toi, la raison, tu es une lumière en quelque sorte rationnelle et une raison lumineuse, puisque c'est en raisonnant que tu cherches si avidement la raison de la lumière comme ton origine même. Mais veux-tu chercher plus convenablement la raison de la lumière? Cherche-la dans la lumière de toute raison: c'est là qu'est la raison de la lumière et de tous les êtres, là que tu découvres, dans la souveraine vérité qui est elle-même souveraine certitude et clarté, la vérité et la clarté de la lumière, puisque sont identiques la clarté et la vérité de cette lumière que tu cherches 2 • 1. Tclk est la définition de la lumière naturelle chez saint Augustin (Dt• 11/agistro, XII, 40) et saine Thomas (5ù1111111<1 tlh·1,/ogic<I, 1 q. 67 c. 1; q. 106 c. r). 2. Ces chiasmes, caractérisci4ues du style de Ficin, font de la lumière le paradigme de l'assimilation du sujet à l'objet de la connaissance. 26 QUID SIT LUME!'-: "Qu'est-ce que la lumière en Dieu? L'immense exubérance de sa bonté et de sa vérité. Qu'est-elle dans les anges? La certitude de l'intelligence émanant de Dieu et la joie débordante de sa volonté. Qu'est-elle dans ks corps célestes? L'abondance de la vie dans les anges, le déploiement de la puissance dans le ciel. Rire du ciel 1 • Qu'est-elle dans le feu? Une force vitale entée par les corps célestes, une propagation efficace. La grâce descendue du ciel dans ce qui est privé de sens. La joie de l'esprit et la force des sens dans ce qui est doué de sens. Enfin, l'effusion de l'intime fécondité en toutes choses, et partout, l'image de la bonté et de la vérité divines." r. L'image apparaît dans le Paradis ù plusieurs reprises. Dante voit dans le ciel étoilé "le rire de l'univers" (XX\ II, 0 4), "le ciel riant avec les beautés de toutes ses régions" (XXVIII, 83). VI Quand les divi11irés som joyeuses, les corps célestes, qui sont connne leurs yeux, rient er som transportés de joie en rcsp/endissam et en se mouvam. PUI s Qu E nous voyons, grâce aux rayons célestes qui des corps supracélestes descendent jusqu'à nous en passant par les corps célestes comme par du verre, que la lumière donne à tous les ètres sa perfection, son sens, sa certitude, sa grâce et sa joie, il faut qu'elle soit, dans les esprits qui sont au-dessus du ciel, la perfection de leur forme, la fécondité de leur vie, la clairvoyance de leurs sens, la très claire certitude de leur véritable intelligence, l'abondance de leur grâce et la richesse de leur joie. L'image de toutes ces qualités est la splendeur du ciel, ou plutôt une ombre quant à leur clarté, puisque le corps du ciel peut moins exactement rendre la clarté de l'esprit que la terre la lueur du ciel. Dans l'admirable joie des esprits célestes, le ciel, semblable à leur corps, et même à leur œil, car Orphée 1 appelait le soleil "œil", manifeste son rire en sa splendeur et son I. Orpl1<'/ l'ùlïl/Ù1a, VII, 1-2. 28 QUID SIT LUMEN exultation en son mouvement, comme la terre, très éloignée de ces mêmes esprits, manifeste ses pleurs en ses ténèbres et sa langueur en son immobilité et son inaction. Mais il ne faut cependant pas croire que le ciel soit mû à l'aide de quelque force ou bien par défaillance, car son mouvement est naturellement perpétuel et n'abandonne pas son lieu naturel. Aussi est-il la très absolue substance de laquelle rien ne se retranche et qui, par une sorte de ravissement de joie qui la transporte, ne sait se reposer. Selon les Pythagoriciens, c'est au son du chant des joyeuses divinités que les sphères mènent les chœurs astraux qui produisent ainsi une merveilleuse harmonie en des mouvements très ordonnés et variés 1 • Devant le rire des astres, principalement manifesté par leurs rayons, tout ce qui est sous le ciel et au-dessus de la terre sourit; devant les ténèbres, comme devant la tristesse, tout s'afflige, car nous avons coutume de nous réjouir avec ceux qui rient et de nous attrister avec ceu..x qui pleurent. I. La théorie pythagoricienne veut que la vitesse et le déplacement des sphères, en fonction du Nombre qui régit routes choses, engendrent une harmonie sonore, une musique des sphères ou 11111sica 111w1da11a. Cette musique astrale tient une grande place chez Ficin, qui en fait l'un des fondements de sa médecine astrologique. Cf. De 'UÙa, III, 21. VII E11 émanam de la joie des divinités) le rire du ciel, c'est-à-dire la lumière) réchauffe er charme wwes choses. QUE la lumière soit le rire du ciel émanant de la joie des esprits célestes, les hommes l'indiquent, eux qui se réjouissent constamment de l'esprit et rient avec leur visage, eux qui resplendissent assurément à l'intérieur et s'ouvrent par l'esprit, eux qui semblent resplendir aussi par leur visage et plus encore par leurs yeux qui sont essentiellement célestes, chaque œil accomplissant, sous l'influence du rire, un mouvement circulaire à la ressemblance du ciel. Mais, à l'inverse, lorsqu'ils pleurent tout est enténébré, éteint et plongé dans l'immobilité 1 • Quant aux rayons venant des étoiles riantes comme des yeux des intelligences divines, c'est avec beaucoup de joie et de générosité qu'ils sont portés dans les germes des êtres qu'ils couvent et engendrent tous comme le fait le regard que I. La correspondance du microcosme et du macro- cosme est particulièrement sensible a\·ec le \'isage humain qui exprime les sentiments de l'âme comme le corps du monde exprime les volontés de l'âme du monde. Cf. De· ~!Ù<l, 111, 17. QUID SIT LUJ'v\EN 30 l'autruche porte sur son œuf 1 • En effet, la chaleur naturelle de ces rayons est une énergie qui s'introduit en chaque chose: c'est de là que la vie tire son origine, de là qu'elle s'élève et se développe. Voilà pourquoi tous les êtres vivants désirent le plaisir, parce qu'ils sont engendrés non seulement dans le plaisir terrestre, mais aussi par la joie céleste. Qui pourrait donc nier que les puissances divines, par une heureuse disposition, meuvent et engendrent toutes choses alors même que nous voyons, tant par la nature des êtres vivants que par leur art, tout être procréé et accompli dans le plaisir 2 ? I. Symbole biblique de la cruauté et de l'oubli (Job, 39, r3), l'autruche abandonne ses œufs sous le sable, ks garde et les couve, pour ainsi dire, de ses yeux. Elle est encore, selon les bestiaires médiévaux de Brum:tto Latini et Guillaume le Clerc de Normandie, l'oiseau qui, restant continuellement les yeux en l'air à contempler l'étoile, représente l'homme sage de sainte vie qui abandonne les choses terrestres et qui s'attache aux célestes. 2. Cette idée du plaisir ('V0/11pras) est propre au platonisme de Ficin. L'amour s'achève en plaisir parce qu'il est le dernier mouvement par lequel le lien qui nous relie à Dieu "re\;ent à son auteur et l'unit à son œuvre". Point de départ de la génération dans les créatures, le plaisir doit l:tre dans le créateur lui-même la source de la génération. Cf. Tlzé,1/,,gi<' p!aw11icic1111c', II, 11, p. r r I et De amore, 11, 2, p. q6. VIII La lumière est une chose, la clzaleur en est une azure. La lumière précède la chalew: IL est clair que la vive lumière est autre chose que la chaleur, car on trouve de nombreux corps froids ou sans chaleur qui brillent ou luisent. Il y a également beaucoup de corps chauds et sombres tout à la fois. La chaleur du feu pénètre souvent là où ne passe pas l'éclat de la lumière, qui s'étend lui-même beaucoup plus vite et beaucoup plus loin que la chaleur. Chacun de nous est à même de découvrir que la chaleur existe par la lumière, en comprenant que la clarté de l'intelligence précède dans les esprits, par son origine, la disposition de la volonté, et que les rayons du soleil sont dans la machine du monde à l'origine de la chaleur. IX La lumière est en quelque sorte spirituelle, et les esprits sont comme des lumières. lumière est donc en quelque sorte plus spirituelle que corporelle, parce qu'elle se propage partout sans temporalité, parce qu'elle remplit les corps transparents sans les heurter et parce qu'elle se répand sur les corps grossiers sans se souiller. En outre, elle s'offre d'autant plus facilement aux corps qu'ils sont plus éloignés de la pesanteur corporelle. C'est pour cette raison que les corps très purs du ciel et du feu, comme le pensent les Platoniciens 1 , brillent en eux-mêmes, que l'air et l'eau brillent grâce aux corps très purs, et que les corps intérieurs à la terre n'ont d'éclat ni en eux-mêmes ni grâce aux autres. A la surface de la terre, la lumière qui est infuse en de nombreux mélanges des quatre éléments où domine l'élément terrestre, revêt les formes des diverses couleurs qui sont comme des corpuscules dont, pour ainsi dire, les petites âmes sont les étincelles de la lumière infuse en eux. Si tu les sépares de ces mélanges et les conserves, peut-être verras-tu ce que LA r. Cf. Plotin, E1111éade, 11, 1, 6. QUID SIT LUlvlEN 33 sont, séparées des corps, les âmes rationnelles. Ce sont en effet des lumières d'ordinaire très confuses dans les corps, mais qui redeviennent très claires une fois rétablies en leur vraie nature. Ainsi, le corps étant très différent de l'âme, la recouvre, comme lors d'une éclipse lorsque la lune entre en conjonction avec le soleil, ou plutôt, comme le mélange terrestre qui est très éloigné du ciel rend la lumière céleste opaque et façonne la couleur à partir de la lumière; ainsi le corps qui entoure l'âme produit le sens à partir de l'intelligence 1 • 1. Le sens est assimilé à l'opacité ou à l'état matériel de l'intelligence. Inversement, l'intelligence est l'acheminement de la matière vers sa forme, le processus d'abstraction de la donnée sensible vers les Idées. X La lumière en Dieu, dans l'ange, dans la raison, dans l'esprit, dans le corps. · maintenant au point d'où notre propos s'est écarté: si c'est en lui-même que le ciel resplendit et exulte, ce n'est cependant pas à partir de lui-même, mais à partir de la joie et de la clarté des esprits supérieurs, comme l'œil à partir de la clarté de l'esprit et de la joie de l'âme. L'esprit se réjouit quant à lui de sa propre clarté et de celle du Soleil; l'âme, de la clarté de l'esprit et de l'intellect. Or, il semble que cette lumière soit l'intellect rendu visible en resplendissant à travers un corps transparent comme du verre. Mais l'intellect est une lumière en soi totalement invisible en raison de sa subtilité et de son extrême abondance. En outre, la lumière est dans l'intellect la vérité se réjouissant et la joie vraie. En troisième lieu, la lumière est hors de l'intellect une manifestation dans les corps de la vérité des choses sensibles, la fleur de la beauté et le délice des sens. Maintenant, recherche plus directement dans l'intellect divin la lumière suréminente à l'intelligence. La même lumière infuse dans l'intellect angélique est produite dans l'intelligence, mais au-dessus des termes de la raison. REVENONS QUID SIT LUMEN 35 Cette angélique et divine lumière aboutit alors sous la raison dans les intelligences des hommes, mais reste supérie.ure à la fantaisie. Dans l'esprit, c'est sous la fantaisie, mais audessus des sens. Dans le corps enfin, et surtout dans les yeux qui sont pour l'âme comme des étoiles célestes, naît alors une lumière familière aux sens, mais non à la matière. Dans tous les intellects, la lumière est une vie exubérante, une vérité claire et certaine, une joie pleine. De là vient, dans les corps, le déploiement du divin et l'effusion de la vie, la manifestation de la vérité des choses et de leur auteur, la grâce de la forme et l'aiguillon du plaisir 1 • Empédocle et Zénon veulent que la lumière soit à la flamme ce que la flamme est au charbon, que la flamme soit comme une lumière dense et la lumière une flamme très subtile et la vie de toutes choses 2 • Plotin et 1. La lumière est la pleine manifestation de l'influx divin qui relie la nature à Dieu. La lumière est un intermédiaire unissant corps et esprit, une essence médiatrice contenant en elle l'articulation du réel. 2. Empédocle selon Aristote, Dt: se11s11, 446 a, 26 et Topiques, 134a, 32. Zénon de Citium et les stoïciens postérieurs décomposaient le feu, l'élément par excellence source de vie et constitutif de l'univers, en charbon, QUID SIT LUi\lEN Proclus pensent qu'elle est pour ainsi dire la vue et le regard des divinités émis au loin par les rayons de leurs yeux célestes, et qu'elle est un esprit en quelque sorte divin qui voit toutes choses et qui est en lui-même ce que toutes choses voient 1 • Ils ajoutent qu'ainsi l'esprit ne s'éteint pas, mais suit les astres. flamme et éclat lumineux. Cf. Philon d'Alexandrie, D ..· aerernitate mzmdi, § 86 sq. I. Selon Proclus, dans cette ascension du véhicule lumineux de l'âme qui rejoint le corps astral, la lumière est à la fois objet et organe de vision (notamment Com- memaire Slir la République, XVI, 199, 21 et IV, 39, 5-16). Selon Plotin, la lumière supérieure est la pure vision transparente et réciproque des Idées et des esprits divins. Cf. Ennéade, v, 8, 4. XI La lumière est l'ombre de Dieu, Dieu est lumière des lumières. la lumière (lumen) est pour ainsi dire un signe divin (mmzen) renvoyant l'image de Dieu dans ce temple qu'est le monde; et cela à tel point que notre Platon, dans les livres de la République 1, l'aura appelée enfant du Bien. Il faut en effet vénérer avant toute chose ce qui, par son aspect, est à la ressemblance de Dieu, c'est-à-dire un accroissement soudain et très étendu qui en raison de son exubérante bonté et de sa largesse s'offre très abondamment et très généreusement à toutes choses sans altération. De là sont nées la cause, la conservation et l'animation de toutes choses. C'est par conséquent vers la vie, la vérité et la joie d'où elle est descendue que la lumière a exhaussé tous les êtres 2 • En son absence tout semble mourir, mais en sa présence tout semble ENFIN, I. VI, 507b. Tel est l'aboutissement du "cercle spirituel" décrit par la lumière et qui constitue l'univers dans une tension et un élan réciproques entre Dieu et la création. Cf. De a111ore, II, 2, p. 146. 2. QUID SIT LU.1'v\EN revivre. Elle rappelle que le plus haut devoir du genre humain est le culte divin, afin que les impies n'osent pas nier que Dieu existe, car son image est ce qu'il y a de plus clair pour les sens. Mais elle le rappelle aussi pour que ces indignes ne croient pas pouvoir se soustraire à son œil ou échapper à sa main, car son image est la pure clarté qui en un instant, encore plus vite qu'on ne pourrait le dire, se répand à travers toutes choses. Dieu est un, en toutes choses et au-dessus de toutes choses. La lumière est une, en toutes choses et autour de toutes choses. Dans les créations de Dieu, la lumière est une certaine splendeur de la divine clarté 1 , et même un dieu, si je puis dire, se limitant lui-même et s'adaptant à la capacité de ses œuvres. Dieu est une lumière infinie existant en soi et par soi en toutes choses et hors de toutes choses à travers l'infini. Il est la source de la vie dans la lumière de laquelle, comme dit David 2 , nous voyons la lumière. Il 1. Définition néoplatonicienne de la beauté. Au terme de cerce dialectique de la lumière, c'est en effet l'essence de la beauté elle-même qui est atteinte. De l'essence de la lumière, Ficin opère ainsi la double déduction de la Beauté et de l'Amour. 2. Psaumes, 35, IO. QUID SIT LUMEN 39 est aussi l'œil par lequel tous les yeux voient et, comme le dit Orphée 1 , l'œil qui perçoit la totalité des êtres en chaque être singulier et regarde véritablement tout en lui-même, lorsqu'il voit qu'il est toutes choses. 1. Orplzei carmina, LVIII, 13-14.