« Les Dames galantes » au fil des mots 023

March 25, 2018 | Author: Pierre Wechter | Category: Languages


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« Les Dames galantes » au fil  des mots 023 J’ay veu madame la marquise de Rothelin1, mere à2 madame la doüariere3 princesse de Condé4 et de feu M. de Longueville5, nullement offencée6 en sa beauté ny du temps ny de l’aage, et s’y entretenir7 en aussi belle fleur8 qu’en la premiere, fors que9 le visage luy rougissoit un peu sur la fin ; mais pourtant ses beaux yeux qui estoyent des nompareils10 du monde, dont madame sa fille en a herité, ne changerent oncques, et aussi prests à blesser que jamais. Jacqueline de Rohan-Gyé (ou Gié) [v. 1520-1587], mariée en 1536 à François d’Orléans-Longueville [1513-1548], marquis de Rothelin. 2 construction ancienne : 1 Vous fustes fils au bon comte Reynier ; Que jamais ne dirai que soie fille à roi ; De lès els seoit l’empereris, qui feme estoit au pere et marastre au fil, et estoit suer le roi de Hongrie, bele dame, et bone durement ; Son fils de son premier mariage, qui fut pere au gentil roi Edouard, fut couronné après lui ; Cassandre, autrement Alexandre, fut fille à Priam, roi des Troyens (Delaporte, Epithetes, 1571) ‖ s’est maintenue dans des locutions désuètes : la barque à Caron (Depuis qu’en France les medecins ont des carroſſes à deux chevaux, la barque à Caron paſſe toujours meſure comble), le denier à Dieu (pièce de monnaie destinée à devenir entre deux parties contractantes la preuve d’un engagement formel, et qui autrefois devait toujours être employée à quelque usage pieux), disputer de la chape à l’évêque (De la chape à l’évêque, hélas ! ils se battoient, Les bonnes gens qu’ils étoient [documentation : Littré ; le Courrier de Vaugelas, 1872] 3 TLFi : Rem. La plupart des dict. gén. (surtout du XIXe s.) attestent douairier, subst. masc. ,,Enfant qui se tenait au douaire de sa mère, en renonçant à la succession de son père. Un enfant ne peut être douairier et héritier tout ensemble” (Ac. 1798-1878). Prononc. et Orth. : [dwɛ:ʀ]1. Les aut. ne mentionnent les prononc. [dwa:ʀ] et [dwaʀjɛʀ] que pour les rejeter comme « surannées » (Martinon cité par BUBEN 1935, p. 77). Cependant DUPRÉ 1972 va plus loin en écrivant : ,,Douaire, espèce de dot, (...) ne s’est jamais prononcé, que nous sachions [dwa:ʀ]”. Étymol. et Hist. Ca 1160 doaire (Eneas, éd. J.-J. Salverda de Grave, 3319). Empr. au lat. médiév. dotarium de même sens (av. 1040 ds NIERM.) dér. de dos, dotis (dot*) avec infl. de douer au sens de « gratifier, doter d’un douaire ». C’est la remarque citée de Paul Dupré (Encyclopédie du bon français dans l’usage contemporain, 1972) qui appelle cette mise au point. Le douaire est un droit en usufruit sur les biens propres du mari : un gain de survie. À l’origine, les revenus du douaire sont prélevés sur les héritages de la lignée du mari. La douairière a donc la jouissance d’une terre durant sa vie, jouissance qui doit ensuite dans le lignage du mari soit par les enfants si enfants vivants il y a, soit par la fratrie, soit en recherchant les ascendants. Le sens dégradé de douairière « vieille femme » (l’emploi péjoratif du terme n’est pas rare : « Ah ! voilà que vous me traitez aussi mal que me traitent les vieilles douairières vos amies » Mérimée, Le Vase étrusque) ne remonte pas au-delà du XIXe siècle : en 1819, chez Boiste (5e éd.). 1 [dwɛ:ʁ] et le reste à l’avenant. Pour les aspects techniques, voir la thèse de Nicole Dufournaud, soutenue en 2007, « Rôles et pouvoirs des femmes au XVIe siècle dans la France de l’Ouest », en particulier la 3e partie du ch. II, Le douaire, un usufruit réservé aux femmes, p. 125-146. En complément, l’analyse fouillée d’Odile Halbert, « Un an de deuil signifiait pour la veuve aucun partenaire sexuel, sinon plus de douaire », dans son blog Modes de vie aux 16e, 17e siècles à travers les actes notariés, les archives d’Anjou et Normandie1. La forme douare est attestée : « le douare sa mere vus volra calengier [« redemander, réclamer »], Li Romans d’Alexandre ; « Et je i tremetrai lo fil de ma moillier Por nen douare [« récompense »] sans autre recovrer », Le Roman de Roncevaux. Dans « Une existence de grand seigneur au seizième siècle — Mémoires autographes du duc Charles de Croÿ », publié en 1845 par le baron de Reiffenberg, la forme douare apparaît vingt-deux fois (dans des actes notariés datant de 1605-1606). Les dérivés usuels sont doua(i)rier [Enfant qui se tenait au douaire de sa mère, en renonçant à la succession de son père] et le très fréquent doua(i)riere (douariere chez Saint-Simon, Fénelon, Tallemant des Réaux, … ; la suscription d’une lettre adressée en 1550 par Diane de Poitiers à Marie de Guise, veuve de Jacques V d’Écosse/James V of Scotland, porte De madame la duchesse de Valentinois à la royne douariere d’Escosse). Dans son Enrichissement de la langue française - Dictionnaire de mots nouveaux (2e éd., 1845, p. 154), Jean-Baptiste Richard de Radonvilliers propose douariable, douariation, douarié, le verbe douarier, et douarisme, qui sont demeurés lettre morte. Comme il s’agit de phonographématique, on va retrouver le clivage point de vue descriptif / point de vue prescriptif chez les auteurs qui vont traiter de « doua(i)rière ». Le tableau suivant me semble rendre compte d’un état de fait sur une longue période : GRAPHIES PRONONCIATIONS douariere douairiere dwaʁjɛʁ ✔ ✔ ✔ dwɛʁjɛʁ Pour mon propos, il me suffit de montrer que la prononciation /dwaʁjɛʁ/ est attestée. En 1739 sort la 1re éd. (posthume) du Traité de l’orthographe françoise de Charles Leroy [de la Corbinaye], qui indique « quelques-uns diſent douariere… Mais le bon uſage eſt pour douairiere. » 1 www.odile-halbert.com/wordpress/?cat=2814 — daté du 6 février 2010. En 1760, l’abbé Bouillette fait paraître un Traité des sons de la langue françoise, et des caracteres qui les representent, précisant (au ch. IV, p. 120) que le double graphème ai se prononce « comme a, dans le mot douairiere, qu’on prononce douariere. » Cette assertion est critiquée par un collaborateur (anonyme) du Journal des Sçavans (juin 1763, p. 430). Enfin, Nicolas Beauzée, académicien, grammairien, mais surtout « précurseur de la phonétique » (Christophe Rey), publie dans le VIIIe tome de l’Encyclopédie, en décembre 1765, un article (signé) ouvrant la partie consacrée aux vedettes commençant par i et où il affirme : Ce cliché est tiré du tome XVIII, 3e éd., Genève (1779). Le passage correspondant se trouve p. 424 du tome VIII paru en 1765. Le débat entourant la prononciation de douariere (cette graphie cédant constamment du terrain face à douairière ; notons que le Dict. portatif de la langue françoise extrait du grand dict. de Pierre Richelet [1780], de Noël François de Wailly, admet DOUAIRIER (DOUARIER) et DOUAIRIERE (DOUARIERE), mais c’est un cas isolé) et se prolongea très avant dans le siècle suivant : voir Napoléon Landais, Dict. général et grammatical des dict. français (9e éd., 1846), Bernard Jullien, Le Langage vicieux corrigé (1853). Melchior Núñez de Taboada, Diccionario francés-español y español-francés, 7e éd. (1833, la 1re datant de 1812), I, p. 334, n’enregistre que les vedettes DOUAIRE, DOUARIER, DOUARIÈRE — avant de passer directement à DOUANE, petit écart par rapport à l’ordre alphabétique. Ces singularités disparurent d’éditions ultérieures. En toponymie, douare désigne une pièce de terres arables appartenant à la cure1 (Paul Auguste Piémont, 1969). [Ne pas confondre avec le breton douar « terre, terrain », d’un plus ancien doiar, gallois daear, de dayr, cornique dōr, de doer2 ; cf. l’étymologie populaire de Douarnenez.] En Écosse, on parlait de (Quene) Douarier ; en Angleterre, de (Princess, Queen) Dowager, adaptation de l’ancien-français doua(i)g(i)ere, tiré de douage « douaire ». 4 Françoise d’Orléans-Longueville [1549-1601], seconde épouse de Louis Ier de Bourbon [1530-1569], prince de Condé. 5 Léonor d’Orléans-Longueville [1540-1573]. 6 « dont la beauté n’avait aucunement subi les atteintes du temps et de l’âge » — É. Vaucheret : « flétrie » ‖ offencée : on rapprochera, dans le même registre, « Pour réparer des ans l’irréparable outrage. » 7 « s’y maintenir » 8 ces sens métaphoriques de fleur sont hérités du latin flōs, qui les avait empruntés au grec ἄνθος/anthos. 9 « si ce n’est que, à ceci près que » 10  nous avons déjà croisé l’adjectif, écrit nonpareil, « inégalable, incomparable, unique, sans pareil, sans égal » Cf. Faulte d’argent, c’est douleur non pareille. ‖ En 1538, Henri VIII (qui possédait déjà treize palais à Londres et dans les environs) décida de se faire bâtir un pavillon de chasse à proximité de Hampton Court ; l’emplacement choisi fut Cuddington, près d’Epsom : ce fut Non(e)such Palace (calque de « palais nonpareil », mais on parle du traité de Sans-Pareil qui y fut conclu entre Elisabeth Ire et les Provinces-Unies le 10 août 1585 ; Nathan Chytraeus/Chyträus (Kochhaff ; χύτρα « marmite »), Hodoeporica (« récits de voyages »), et Leland, Itinerary, l’appellent Nulli Secunda, Nulli Par), démoli en 1682. Une ballade de Thomas, Lord Vaux, publiée en 1557, fournit une des premières attestations de none such (voir la chanson des fossoyeurs dans Hamlet) : For Age with steling steps Hath clawde me with his crowch 1 Car l’Âge, [s’avançant] à pas furtifs, m’a agrippé avec sa béquille [‘crutch’] Il n’y a là rien qui doive surprendre ; sous DOAIRE, Godefroy illustre le sens « Revenu, en général » par la citation que voici : « Ensi que je penroi tous les douares de la devant dite egleise en terres, en cences, en deniers, en gelines, en relevemens et en autres meneires de douares. » (Mai 1238, S. Nic de Verd., A. Meuse.) 2 Václav Blažek (On the position of Gaulish within Celtic from the point of view of glottochronology, 2009, p. 277) restitue *diyar-. En 1967, Kenneth Hurlstone Jackson (A historical phonology of Breton, p. 231, § 324) restituait déjà un brittonique *dii̯aro-. And lusty Youthe awaye he leapes, As there had bene none such. et mon ardente Jeunesse s’enfuit en bondissant comme si de rien n’était. François-Victor Hugo (dont le texte porte ‘clutch’ à la place de ‘crowch’) : « Car l’âge venu à pas furtifs, M’a enlevé en sa tanière, En franchissant la vigoureuse jeunesse, Comme si elle n’avait pas été. » Cf. Faust : „Nun hat das tückische Alter mich Mit seiner Krücke getroffen.“  J’ay veu madame de La Bourdesiere, depuis en secondes nopces mareschale d’Aumont11, aussi belle sur ses vieux jours que l’on eust dit qu’elle estoit en ses plus jeunes ans ; si bien que ses cinq filles, qui ont esté des belles, ne l’effaçoient12 en rien. Et volontiers, si le choix fust esté à faire, eust-on laissé les filles pour prendre la mere ; et si13 avoit eu plusieurs enfans. Aussi estoit-ce la dame qui se contregardoit14 le mieux, car elle estoit ennemie mortelle du serain15 et de la lune, et les fuyoit le plus qu’elle pouvoit ; le fard commun16, pratiqué de plusieurs dames, luy estoit incogneu. Françoise Robertet (fille de Florimond Robertet), mariée à Jean Babou de La Bourdaisière, puis au maréchal Jean d’Aumont. De son premier mariage, elle eut une fille : Françoise [cf. « Les Dames galantes » au fil des mots 005, p. 18 note 34 et 017, p. 38 note 150], ce qui fait d’elle la grand-mère maternelle de Gabrielle d’Estrées. 12 « ne lui faisaient pas d’ombre, ne l’éclipsaient pas » 13 « et pourtant » 14 « se prémunissait, se protégeait » 15 Dict. Acad. 1re éd. (1694) : « Vapeur froide & maligne qui tombe au coucher du ſoleil. Le ſerein eſt plus dangereux en certains pays qu’en d’autres. le ſerein eſt plus dangereux l’eſté. le ſerein eſt tombé. le ſerein penetre, perce. craindre le ſerein. aller au ſerein. ſe tenir au ſerein. » 11 Dict. hist. de la langue française (2010), sous la direction d’Alain Rey : SEREIN n. m. réfection (1580) d’après l’adjectif de serain (v. 1138), sierain (v. 1175), est issu d’un latin populaire *seranus, dérivé de serum « heure tardive ». Ce dernier est la substantivation du neutre de l’adjectif latin classique serus « tardif », qui a un correspondant, pour la forme, dans le vieil irlandais sír « long » et, pour le sens, dans le sanskrit sāyám « soir ». De serus vient le bas latin sera n. f. « le soir », dont procèdent l’ancien provençal sera « soir » (v. 1160) et l’italien sera. L’adverbe sero « tard » a abouti (v. 980) à ser, qui a donné soir. • Le mot a d’abord désigné la tombée du jour, le soir puis (v. 1180) l’humidité qui tombe avec la nuit, acception aujourd’hui littéraire ou régionale, en France, mais usuelle en français des Antilles. […] ‖ J’ajouterai que, dans les formes latines citées, la voyelle radicale est longue (sēr-) alors qu’elle est brève dans l’adjectif sĕrēnus « pur, sans nuages, serein », ce qui exclut toute parenté. — La forme postulée *sērānus s’appuie également sur le portugais serão « veillée ». — Les contaminations entre paronymes ont longtemps brouillé les explications de « serein » adj. ~ subst. alors que les équivalents dans d’autres langues (en mettant à part italien et espagnol sereno et occitan serena qui ajoutent à la confusion) fournissent des indications utiles : l’allemand a „Abendtau“ « rosée du soir » (par opposition à Morgentau), l’anglais evening dew (le roi Jean dit : Before the dew of evening fall « avant que ne tombe la rosée du soir », Shelley To roof the glow-worm from the evening-dew « pour abriter le ver luisant de la rosée du soir », et St. John dans Jane Eyre prend abruptement congé en disant : The dew begins to fall. Good-evening !) et night dew (Thomas Moore : But the night-dew that falls, though in silence it weeps « Mais la rosée du soir qui tombe, bien qu’elle pleure en silence »), néerlandais avonddauw « rosée du soir » (Dauw en tranen komen Met den avond, du poète mystique Pieter Cornelis Boutens, 1902). Laurent Joubert (dans ses Erreurs populaires : « Du ſerain qu’eſt ce, & s’il tõbe ſur nous ») en s’attaquant aux idées reçues à son époque concernant le serain montre à quel point la crainte qu’inspire cette humidité du soir est répandue dans le grand public. Dans la comédie de Marguerite de Navarre « Deux filles, deux mariées, la vieille, le vieillard et les quatre hommes » (dite aussi Comédie des Quatre femmes), la centenaire accepte d’entendre les doléances des jeunes femmes présentes auxquelles elle va dispenser des conseils, mais elle prévient : « Haſtez vous comme le Soleil, Car le ſerain eſt dangereux A mon vieil cerueau caterreux », puis met fin à sa participation en usant du même argument : « Et moy, de peur des accidens Du ſerain, m’en vois retirer. » Montaigne (qui a lu l’ouvrage de Joubert, dont il ne partage pas toujours la façon de voir) mentionne à plusieurs reprises le serain (qui l’affecte : « Nature m’a … apporté … : De m’offenſer d’vn long ſerain ») dans les Essais et le Journal de voyage : « Combien de nations, & à trois pas de nous, eſtiment ridicule la crainte du ſerain, qui nous bleſſe ſi apparemment : Et nos bateliers & nos payſans s’en moquent. » Les explications de Cotgrave méritent une mention : « Serain : m. Faire, cleere, calme, or open weather ; alſo, the mildew, or harmefull dew of ſome Summer euenings ; alſo, the freſh, and coole ayre of the euening ; alſo, the euening. » — L’acception citée en dernier est la plus ancienne (cf. Villon montrant la duplicité de « Katherine de Vauselles » : Abuſé m’a et fait entendre… Du matin, qu’eſtoit le ſerain « m’a fait croire que le matin était le soir »). Comme on voit, mildew (vieil-anglais mildēaw, meledēaw) « rosée de miel » n’avait pas encore le sens de « mildiou » mais était déjà considérée comme une humidité maligne (nocive) [þe Meldewe : Aurugo, erugo, rubigo dans le Catholicon Anglicum, 1483]. La rosée et le serain étaient censés tomber de l’air, ainsi que l’explique Capulet : When the ſun ſets, the air doth drizzle dew. L’anglais a connu une forme serene (avec des variantes telles que syren) correspondant pour le sens à serain, mais qui a pu être influencée par l’italien et l’espagnol sereno ; Sir Philip Sidney parle de the mortall ſerene of an euening, Ben Jonson fait dire à Celia (dans Volpone) Some ſerene blaſt me, or dire lightning ſtrike This my offending face ! et s’en sert dans ses épigrammes : Wherever death doth pleaſe t’appear, Seas, ſerenes, ſwords, ſhot, ſickneſs, all are there. Enfin, le lien a été fait (à tort ou à raison) entre lune et rosée : Aggiunsegli in capo una luna piena, perciochè allora cade maggior guazza che in alcun altro tempo. « S’y ajoute de surcroît une pleine lune, car alors tombe une rosée plus abondante qu’à aucun autre moment. » [cité par le dictionnaire de la Crusca, 7e éd., p. 708.] (pour guazza, cf. « gouache » ; l’italien distingue guazza, rugiada et brinata.) 16 « le maquillage ordinaire »  J’ay veu, qui est bien plus17, madame de Mareuil18, mere de madame la marquise de Mezieres19 et grand-mere de la Princesse-Dauphin20, en l’aage de cent ans, auquel elle mourut, aussi belle, aussi droite, aussi fraische, aussi disposte21, saine et belle, qu’en l’aage de cin- quante ans : ç’avoit esté une trés-belle femme en sa jeune saison. Sa fille, madame ladite marquise, avoit esté telle, et mourut ainsi, mais non si aagée de vingt ans22, et la taille luy appetissa23 un peu. Elle estoit tante de madame de Bourdeille24, femme à mon frere aisné, qui luy portoit pareille vertu25 : car, encor qu’elle eust passé26 cinquante-trois ans et ait eu quatorze enfans, on diroit, comme ceux qui la voyent sont de meilleur jugement et l’asseurent, que ces quatre filles qu’elle a auprés d’elle se monstrent ses sœurs : aussi voidon souvent plusieurs fruicts d’hyver, et de la derniere saison, se parangonner à27 ceux d’esté, et se garder28, et estre aussi beaux et savoureux, voire plus. Madame l’admiralle de Brion29, et sa fille, madame de Barbezieux30, ont esté aussi trés-belles en vieillesse. L’on me dit dernierement que la belle Paule31, de Thoulouze, tant renommée de jadis, est aussi belle que jamais, bien qu’elle ait quatre-vingts ans ; et n’y trouve-on rien changé, ny en sa haute taille ny en son beau visage. J’ay veu madame la presidente Conte32, de Bourdeaux, tout de mesme et en pareil aage, et trés-aimable et desirable : aussi avoit-elle beaucoup de perfections. J’en nommerois tant d’autres, mais je n’en pourrois faire la fin. cf. qui plus est (où qui = « ce qui », d’après quod magis est) Catherine de Clermont-Dampierre, seconde épouse de Guy de Mareuil. 19 Gabrielle de Mareuil, épouse de Nicolas d’Anjou. 20 Renée d’Anjou-Mézières, épouse de François de Bourbon, duc de Montpensier, appelé le Prince-Dauphin. Voir la nouvelle de Madame de La Fayette, La Princesse de Montpensier (et le film que Bertrand Tavernier en a tiré). 17 18 Brantôme parle ici de parentes éloignées, comme on peut le voir par l’opuscule de lui que reproduit Lalanne et intitulé « Nombre et rolle de mes nepveux, petitz-nepveux, ou arriere-petitz-nepveux à la mode de Bretagne, que moy Brantôme je puis avoir, et que j’ay faict aujourd’hui, 5 novembre M.DC.II. » Voici le passage pertinent (X, p. 103-104) : Je ne fais pas plus de compte aussy de M. de Montpensier d’aujourd’hui [Henri de Bourbon-Montpensier, 1573-1608], duquel la mere estoit fille de madame la marquise de Mezieres, cousine de mon pere, à cause de messire Guy de Mareuil, son pere, lequel estoit cousin germain de mon grand-pere, à cause de de sa femme Marguerite de Bourdeille, maryée à Mareuil. Les alliances en sont encor peintes en la salle [du château] de La Tour-Blanche, aux vitrages. « alerte » « en ayant atteint vingt ans de moins que sa mère » (donc à 80 ans environ) 23 « elle se tassa un peu » ‖ Mérimée et Lacour : « Nous disons maintenant rapetisser, et bien à tort puisque nous avons conservé agrandir. » 24 Jacquette de Montbron, femme d’André de Bourdeille. 25 « les mêmes qualités » 26 « dépassé » 27 « soutenir la comparaison avec, rivaliser avec » (Calvin : « les hypochrites qui se vouloient parangonner avec Dieu ») — Pour l’étymologie de « parangon » et du verbe qui en en est tiré, la meilleure synthèse actuelle, à mon avis, se trouve dans le Dict. hist. de la langue française (2010), sous la direction d’Alain Rey. S’il faut bien partir du subst. ἀκόνη « pierre à aiguiser » (apparenté à lat. cōs [d’où queus], angl. to hone) et du dénominatif παρακονᾶν « aiguiser, affûter », l’aboutissement en italien paragone a trois sens principaux : « pierre 21 22 de touche (Traiano Boccalini [1556-1613], Pietra del paragone politico, rendu par La Pierre de touche politique) ; comparaison ; modèle ». Démêler les échanges italo-espagnols relève de la gageure ; l’italien ne connaît que paragonare, l’espagnol a paragonar et la forme nasalisée parangonar. 28 « se conserver » 29 Françoise de Longwy, épouse de Philippe Chabot, dit l’Amiral de Brion. 30 Françoise Chabot, épouse de Charles de La Rochefoucauld, baron de Barbezieux. 31 Paule de Viguier [1518-1610], surnommée la Belle Paule, une des célébrités de la « ville rose » ; son nom a été donné à un hôpital de Toulouse. 32 selon É. Vaucheret, il pourrait s’agir de Françoise de Colonges, épouse de Guillaume Le Comte, seigneur (captal) de la Tresne et Cénac, procureur général au parlement de Bordeaux et cinquième président.  Un jeune cavalier espagnol parlant d’amour à une dame aagée, mais pourtant encor belle, elle luy respondit : ¡A mis completas desta manera me habla V. M.1 ! « Comment à mes complies me parlez-vous ainsi ? » Voulant signifier par les complies son aage et declin de son beau jour, et l’approche de sa nuict. Le cavallier luy respondit : Sus completas valen mas, y son mas graciosas que las horas de prima de qualquier otra dama. « Vos complies vallent plus, et sont plus belles et gracieuses que les heures de prime de quelque autre dame qui soit. » Cette allusion33 est gentille34. Un autre parlant de mesme d’amour à une dame aagée et l’autre luy remonstrant sa beauté flestrie, qui pourtant ne l’estoit trop, il luy respondit : A las vísperas se conoce la fiesta35 : « A vespres la feste se connoist. » « badinage, amusement ; jeu de mots2 » (latinisme ; Montaigne « i’ay deſdain de ces menues pointes & alluſions verballes, qui naſquirent depuis ») La Mothe Le Vayer, De la Vertu des payens (1642), en offre une bonne illustration : 33 1 2 Vuestra Merced, ancêtre d’une longue lignée qui aboutit à Vd./Ud./usted. Richelet : « Terme de Rétorique. Figure qui conſiſte dans un jeu de mots. » La source de l’échange entre Platon et Denys de Syracuse se trouve chez Diogène Laërce (III, 18) : Ὀργισθεὶς γὰρ « Οἱ λόγοι σου, » φησί, « γεροντιῶσι. » Καὶ ὅς· « Σοῦ δέ γε τυραννιῶσιν. » Denys lui dit alors avec emportement : « Tes propos sentent le vieillard. — Et les tiens le tyran, » répliqua Platon. [Denys, pour faire mouche, invente un verbe ; du tac au tac, Platon se sert du même procédé, allant jusqu’à couler son verbe dans le même moule morphologique, avec le même rythme. On pourrait risquer : « Tes propos radotisent. — Et les tiens tyrannisent », mais tyranniser existe déjà.] Brantôme rapporte une variante de la même anecdote dans ses Rodomontades espagnoles (Buchon, II, 55 ; Lalanne, VII, 168-169 ; Mérimée, IX, 180) : 34 Un cavallier parlant un jour d’amour à une femme aagée, mais pourtant belle encore et fort desirable, elle luy dit : Y cómo, señor, ¿me habla V[uestra] S[eñoría] de esta cosa a mis completas? L’autre luy respondit : Señora, sus completas valen más que las horas de prima de cualquier otra ; faisant allusion gentille là-dessus sur les complies du soir et sur les heures de prime du matin. J’en ay faict un beau discours sur ce subject ailleurs. [Graphies modernisées du castillan.] Le mémorialiste a, ici encore, emprunté à la Floresta de Melchor/Melchior de Santa Cruz de Dueñas ; cf. « Les Dames galantes » au fil des mots 001, p. 16-17 note 44 et 016, p. 18 note 98 ; Cuartero/Chevalier, p. 301 et 487, soulignent le jeu de mots (a cumpletas « ayant déjà un pied dans la tombe », con un pie en la sepultura — cumpletas « dernière des heures canoniales », última de las horas canónicas en el oficio divino) : le niveau ne dépasse pas « à complies » ~ « accomplie ». Le texte de la Floresta disant : « A vn vieio que hablaua en amores a vna ſenora, le reſpondio : ¿A cumpletas habla vueſtra merced deſſa manera? », avec son vieillard libidineux remis à sa place grâce à une repartie spirituelle, Brantôme a redistribué les rôles, donnant au caballero l’occasion de se montrer des plus galants. 35 La réplique est un proverbe : castillan, Por las vísperas se conoce la fiesta, ó los disantos ; catalan, Las grans fèstas ja comensan en la vigilia. Dans le cas présent, la manipulation de sens prévaut : c’est dès la veille qu’on commence à célébrer une fête patronale.  On void encore aujourd’huy madame de Nemours36, jadis en son avril37 la beauté du monde, faire affront au temps, encor qu’il efface tout. Je la puis dire telle, et ceux qui l’ont veuë avec moy, que ç’a esté la plus belle femme, en ses jours verdoyans, de la chrestienté. Je la vis un jour danser, comme j’ay dit ailleurs, avec la reine d’Escosse, elles deux toutes seules ensemble et sans autres dames de compagnie, et ce par caprice38, que tous ceux et celles qui les advisoient39 danser ne sceurent juger qui l’emportoit en beauté ; et eut-on dit, ce dit quelqu’un40, que c’estoyent les deux soleils41 assemblez qu’on lit dans Pline42 avoir apparu autresfois pour faire esbahir le monde. Madame de Nemours, pour lors madame de Guise, monstroit la taille la plus riche ; et, s’il m’est loisible ainsi le dire sans offenser la reine d’Escosse, elle avoit la majesté plus grave et apparente, encor qu’elle ne fust reine comme l’autre ; mais elle estoit petite-fille de ce grand roy43 pere du peuple44, auquel elle ressembloit en beaucoup de traits de visage, comme je l’ay veu pourtrait45 dans le cabinet de la reine de Navarre, qui monstroit bien en tout quel roy il estoit. Anna d’Este [1531-1607], fille d’Ercole II, duc de Ferrare, et de Renée de France ; fut mariée à François de Lorraine [1519-1563], duc de Guise, puis à Jacques de Savoie [153136 1585], duc de Nemours. — Brantôme ne manque jamais de l’appeler « la plus belle femme de la chrestienté » cf. « Les Dames galantes » au fil des mots 007, p. 27 ; « Du temps du roy Henry IIe, y avoit en sa cour une trés grande dame et la plus belle de la cour (possible quand je dirois de la chrestienté ne mentirois-je) ; ce fut madame de Guise. » [Voir Un héros de Marignan ou La fraîcheur de Monsieur d’Humbercourt] 37 « printemps » (d’où « en ses jours verdoyans ») ‖ cliché : Tirso de Molina, El Celoso prudente : Que no vienen bien las flores Del amor sino en su abril ; Anthony Chute, Beawtie Dishonoured, 1593 : Whose bewtie then, when in her Aprill grace. Cf. « J’eſtois alors en ma fleur Avrilliere, Au May plaiſant de ma ſaiſon premiere, Et je paſſe or’ non-ſeulement mon juin, Ains, j’entre au mois où l’on cueille le vin » (Vauquelin de La Fresnaye, Satires Françoiſes : A Jean de Morel). 38 (et non par nécessité) 39 « regardaient » 40 « et on aurait dit, selon la formule d’un spectateur » 41 (un parhélie ; sun dog) 42 Voici le passage en question : Et rursus soles plures simul cernuntur, nec supra ipsum nec infra, sed ex obliquo, numquam iuxta nec contra terram nec noctu, sed aut oriente aut occidente. Semel et meridie conspecti in Bosporo produntur, qui ab matutino tempore durauerunt in occasum. Trinos soles et antiqui sæpius uidere, sicut Sp. Postumio Q. Mucio et Q. Marcio M. Porcio et M. Antonio P. Dolabella et M. Lepido L. Planco cos., et nostra ætas uidit Diuo Claudio principe, consulatu eius Cornelio Orfito collega. Plures quam tres simul uisi ad hoc æui numquam produntur. On a vu aussi plusieurs soleils à la fois, non au-dessus ni en-dessous du soleil lui-même, mais sur les côtés, et non près de la terre, ni à l’opposite, ni la nuit, mais le matin ou le soir; on en a vu, diton, même à midi, une fois, sur le Bosphore; ils avaient paru dès le matin, et durèrent jusqu’au soir. Les anciens ont observé plusieurs fois trois soleils : par exemple, sous les consulats de Sp. Postumius, de Q. Mucius (an de Rome 580) ; de Q. Marcius, de M. Porcius (an de Rome 631); de Marc-Antoine, de P. Dolabella (an de Rome 710); de M. Lepidus, de L. Plancus (an de Rome 712). Ce phénomène s’est montré aussi de notre temps, durant le règne du dieu [sic] Claude lorsqu’il était consul, ayant Cornelius Orfitus pour collègue (après J.-C. 51). Aucun document ne parle de l’apparition de plus de trois soleils à la fois. [trad. Littré] Louis XII. (pater populi) surnom qui lui a été donné aux États généraux de mai 1506 ; voir Nicole Hochner, Louis XII (2006), p. 197 et l’édition critique (2009) des Louenges du roy Louys XIIe (par Claude de Seyssel, 1508) de Patricia [Particia sur la couverture de l’ouvrage] Eichel-Lojkine et Laurent Vissière, p. 58. 45 « représenté » 43 44  Je pense avoir esté le premier qui l’ay appelée du nom de petite-fille du roy pere du peuple ; et ce fut à Lion quand le roy tourna de Pologne46 ; et bien souvent l’y appellois-je : aussi me faisoit-elle cet honneur de le trouver bon, et l’aymer de moy. Elle estoit certes vraye petite-fille de ce grand roy, et surtout en bonté et beauté : car elle a esté trés-bonne ; et peu ou nul se trouve à qui elle ait fait mal ny desplaisir, et si en a eu de grands moyens du temps de sa faveur, c’est-à-dire de celle de feu M. de Guise, son mary, qui a eu grand credit en France. Ce sont doncq deux trés-grandes perfections qui ont esté en cette dame, que bonté et beauté, et que toutes deux elle a trés-bien entretenu jusques icy, et pour lesquelles elle a espousé deux honnestes marys, et deux que peu ou point en eust-on trouvé de pareils ; et, s’il s’en trouvoit encore un pareil et digne d’elle, et qu’elle le voulust pour le tiers47, elle le pourroit encor user, tant elle est encor belle. Aussi48 qu’en Italie l’on tient les dames ferraroises pour de bons et friands morceaux49, dont50 est venu le proverbe, pota ferraresa51, comme l’on dit cazzo mantuano. Sur quoy52, un grand seigneur de ce païs là pourchassant53 une fois une belle et grande princesse de nostre France, ainsi qu’on le loüoit de ses belles vertus, valleurs et perfections pour la meriter, il y eut feu M. Dau54, capitaine des gardes escossoises, qui rencontra55 mieux que tous en disant : « Vous oubliez le meilleur, cazzo mantuano56. » « à Lyon quand Henri III, de retour de Pologne, fit son entrée triomphale » ; voir Les feux de ioye faicts à Paris pour l’arrivee du Roy en France. Avec l’ordre tenu à ſon entree & reception en la ville de Lyon. En Septembre 1574 (avec des vers de circonstance de Dorat), de Nicolas Du Mont. 47 « et qu’elle l’accepte comme troisième époux » 48 « Il faut ajouter » 49 Littré, 5o : « Fig. C’est un friand morceau, c’est un morceau de roi, se dit d’une jolie personne. » Cf. « Les Dames galantes » au fil des mots 009, p. 8 note 85 et « bouchée de roi », boccone da re/principe/prete d’où Le pere, par jalousie qu’il en eut, et qu’il participast avec luy de ce bon boucon (Boccace [le proverbe est cité par la vieille maquerelle de V-10, qui pareva pur santa Verdiana che dà beccare alle serpi] : alle giovani i buon bocconi e alle vecchie gli stranguglioni « aux jeunes les bons morceaux et aux vieilles les estouffades » traduit Marthe Dozon, 1994 ; jeu de mots sur stranguglioni). 50  « d’où » 51 Mérimée et Lacour (XII, 254, note 2) : « Potta. La phrase se rapporte à la conservation de la beauté de Mme de Guise, qui était de la maison d’Este. » — Maurice Rat : « Un pot de Ferrare, comme l’on dit un cas (sexe) de Mantoue. Les dames ferraraises et mantouanes passaient pour être fort chaudes1. » Voilà qui est loin de compte. 46 Commençons par l’adjectif : « ferraresa » doit être corrigé en ferrarese (de Ferrarensem). Potta [les éditeurs de Ruzante écrivent le padouan pota, quand ce n’est pas po.a] : • Le substantif potta2, terme toscan — maintenant archaïque — attesté depuis le XIVe siècle qui s’est répandu dans les autres parlers de la péninsule, fait partie des nombreux synonymes désignant le « sexe de la femme » (monna, fica, …) : Cristobal de las Casas en 1604 n’hésite pas à traduire par « Coño » et Florio en 1611 par ‘a womans cunt or quaint’. Mot cru, son emploi est répétitif chez l’Arétin alors que Belli ne l’utilise qu’une fois (dans La madre de le sante) comme moyen, explique-t-il plaisamment, Pe ffasse intenne de la ggente dotta « de se faire comprendre des gens instruits ». « Potta oceanica // Chi vuol veder la stanza di Morgana, / Insieme con la grotta di Merlino, / La spelonca Inconvénient qu’il y a à poser l’équivalence cazzo ↔ « cas » : le premier ne désigne que le pénis, le second (depuis 1480 environ, chez Henri Baude : par ma foy son cas n’est pas net) le sexe [de l’homme ou de la femme], comme de besoin. 2 Dans le dictionnaire de l’Accademia della Crusca, ne fait d’abord (1612) qu’une apparition incidente sous fica : « parte vergognosa della femmina, che anche si dice potta. » 1 di Cacco, e quella tana / Dove discese Astolfo Paladino. // Miri la Potta di questa Puttana, / Vituperio del sesso feminino, / Dove ben chiaramente si discerna / Buche, tane, spelonche, antri, e caverne. // Fugga ciascun questa caverna oscura. . . », bibliothèque de l’Arsenal, ms. 4123. Qui veut voir la chambre de Morgane, / tout ensemble avec la grotte de Merlin, / la spélonque de Caccus, et ce terrier / où descendit le Paladin Astolphe, // contemple le Con de cette Putain / insulte du sexe féminin, / où bien clairement l’on discerne / trous, terriers, spélonques, antres et cavernes. // Que chacun fuie cette caverne obscure… L’Antre des nymphes (François La Mothe Le Vayer, Adrien de Monluc, Claude Le Petit), textes présentés par Jean-Pierre Cavaillé [auteur de la traduction], 2004, p. 47-48 et note 64. L’auteur de la Potta oceanica serait un certain Nappini, chanoine de Santa Maria Maggiore, à Rome. — Pour mémoire : le semihominis Caci facies de Virgile s’appelle Cācus (corroboré par Κᾶκος chez Plutarque) et, par conséquent, Caco en italien (Dante : Lo mio maestro disse : Questi è Caco, Che sotto ’l sasso di monte Aventino Di sangue fece spesse volte laco.) • Son usage fréquent en a fait une « interjection de colère. Ô ciel ! grand Dieu ! » (Cormon et Manni, 1823). Or pour retourner à Barelete [le prédicateur Gabriele Barletta], il en raconte vn plaiſant d’vn bon compagnon Italien, lequel auoit accouſtumé de dire, Vienne la caqueſangue à l’aſneſſe qui porta Ieſus Chriſt en Ieruſalem. Ie di plaiſant, ſi aucun blaſpheme doit eſtre trouué plaiſant : mais ce propos eſt pluſtoſt gaudiſſerie que blaſpheme : & toutesfois s’il eſt dit en intention de blaſphemer, il y a bien à diſputer : ne plus ne moins que que quand ceux de ceſte meſme nation diſent Per la potta de telle ou telle, & le diſent en cholere, au lieu qu’ils ont accouſtumé de dire Per la potta de la virgine Maria : ou bien par exclamation, Potta de la virgine Maria : ou ſans adiouſter Maria, comme s’entendant aſſez. Ne plus ne moins auſſi que quand nous diſons en cholere Vertubieu, & quand les Alemans en leurs mauldiſſons (pour leſquels nous les appelons daſtipoteurs1, faute de les bien entendre) deſguiſent le mot Gott. Henri Estienne, Apologie pour Herodote. Bayle rapporte, dans son Dict. historique, que les jurons habituels du pape Jules III étaient al dispetto di Dio (in contemptum Dei, « au mépris de Dieu ») et potta di Dio (ad uuluam Dei, « par la vulve de Dieu », correspondant au français plus idiomatique « putain de Dieu »), ce dernier attesté depuis 1363 (Ingiurie recanatesi). Dès lors, on comprend la réaction d’Alphonse de Liguori, dans Avertissements aux nouveaux confesseurs que cite J. Delumeau, 1987 : « Il faut remarquer ici que le blasphème contre les morts n’est pas un péché grave, de même que ce n’est pas un péché grave de dire potta di Dio, parce que cette expression n’est en langue toscane qu’une simple interjection marquant l’impatience. » De là, « pote de Christo » (Gargantua) et « Pote de froc, s’escria frere Jehan » (Cinquiesme Livre). • Par synecdoque, potta en arriva (du moins dans l’usage oral) à désigner une femme, ainsi dans le proverbe qui célébrait « cazzo mantovano, potta ferrarese e cul bolognese », dont Brantôme livre des éléments. Le proverbe en question sert de ressort au sonnet 48 des Priapea de Nicolò Franco et dont voici le premier quatrain : Suol oggi dire ogni parabolano, che vende le parole a poche spese, quel bel proverbio : Potta Ferrarese, cul Bolognese, e cazzo Mantovano. „Das dich pots [pour Gottes] Lung schend [de Schande]“ : que le poumon de Dieu te fasse honte. (Éd. critique de Bénédicte Boudou, 2007, p. 206, note 149.) 1 « À ce propos, »  « poursuivre (comme un chasseur le gibier) ; courtiser (en vue de s’unir par le mariage ou sans lui) » 54 Jean d’O († 1596), seigneur de Manou, capitaine de cent archers de la garde du roi, frère cadet de François d’O, surintendant des Finances et un des mignons d’Henri III. 52 53 Brantôme s’est trompé (et a induit les éditeurs en erreur) en faisant de Jean d’O le capitaine des gardes escossoises, charge qui était celle de son père Jean d’O (v. 1558-† 1584). Du coup, Lalanne et Mérimée/Lacour attribuent au personnage qu’évoque le mémorialiste le titre de seigneur de Maillebois, qui ne se transmettait qu’au fils aîné (et que portait François d’O). Lalanne (XI, 300) fournit deux indications précieuses en tant que repères chronologiques : a) arrête Condé à Orléans : Louis Ier, prince de Condé, fut arrêté à Orléans le 31 octobre 1560 sur ordre de François II. b) son mot sur le mariage du duc de Nevers avec Henriette de Clèves : Ludovico Gonzaga épouse Henriette de Clèves, héritière du duché de Nevers, le 4 mars 1565 (sous Charles IX). C’est donc à propos de Ludovico Gonzaga (qui fut envoyé à 10 ans de Mantoue à la cour de France et, plus tard, naturalisé), alors prétendant à la main d’Henriette de Clèves, que M. Dau fit une plaisanterie sur le cazzo mantuano. « fit un bon mot, eut une trouvaille spirituelle » Le Bolognais Sebastiano Locatelli fit un séjour en France, au cours duquel il tint une sorte de journal : Viaggio di Francia. Costumi e qualità di que’ paesi (1664-1665), « Voyage de France. Mœurs et coutumes françaises (1664-1665) », éd. d’Adolphe Vautier, 1905. À la date du 20 mai 1665, l’ecclésiastique remarque : « Ces maudits Mantouans ont bien du penchant pour les femmes. » Vautier indique en note : « Les Mantouans avaient une réputation d’un genre fort particulier en Italie » et Luigi Monga (responsable de l’édition italienne de l’ouvrage, 1990) : « Sulla proclività tradizionale dei mantovani per l’attività sessuale… ». 55 56 Autre écho de cette tradition chez le peintre Salvator Rosa [1615-1673], également auteur de satires (publiées en 1719), dont la 4e (La Guerra), où le narrateur, s’adressant à Timon d’Athènes, s’écrie (v. 550-561) : E se non fosse per scaldolezzarti1, con materie sì brutte e disoneste, le belle cose ch’io vorrei narrarti ! Certi satrapi vedo e certe teste che sembrano Catoni a gl’atti, a i moti Zenocrati : d’amor hanno le creste ; io non ti vuo’ citar gl’esempi noti : basti sol dir, per non tornar da capo, che son tutte bardasse, avi e nipoti. Ma giuro al ciel che se a dir mal m’incapo non tacerò la gran vigliaccheria che sorte ha sol chi ha Mantovan Priapo.  J’ay oüy dire un pareil mot une fois, c’est que le duc de Mantoue57, qu’on appelloit le Gobin, parce qu’il estoit fort bossu, voulant espouser la sœur de l’empereur Maximilian, il fut dit à elle qu’il estoit ainsi fort bossu. Elle respondit, dit-on : « Non importa purche la campana habbia qualche diffetto, ma ch’el sonaglio sia buono58 » ; voulant entendre le cazzo mantuano. D’autres disent qu’elle ne profera le mot, car elle estoit trop sage et bien apprise59 ; mais d’autres le dirent pour elle. 1 = scandalizzarti. Guglielmo Gonzaga [1538-1587], gobbo cortese e piacevole (bossu courtois et sympathique), épousa Eleonore von Österreich [1534-1594], une des 11 sœurs de Maximilien. — Gobin représente une adaptation de gobbino « petit bossu ». Voir Saint-Amant, Le Gobbin. 58 (la conjonction de subordination purché serait ici incompréhensible : lire pur che ; ch’el doit être corrigé en che ’l, issu de che + il : rien ne s’oppose à l’aphérèse de l’article défini) Le sens ne fait pas difficulté : « Qu’importe que la cloche ait quelque défaut, pourvu que le battant en soit bon. » Mais pour « battant, marteau » d’une cloche, on attendrait battaglio, attesté depuis 1275. Sonaglio : « sonnette, grelot » (cf. « sonnaille »). Un mot mis pour un autre ? 59 DMF 2010 : Appris/bien appris : « Dont la conduite est conforme aux usages de la société, aux exigences de la morale » [bien élevé] ; Mal appris « Qui n’a pas bénéficié d’une bonne éducation » [mal élevé]. 57  Pour tourner encore à cette princesse ferraroise60, je la vis, aux nopces de feu M. de Joyeuse61, parestre62 vestuë d’une mante à la mode d’Italie63 et retroussée à demy sur le bras à la mode sienoise : mais il n’y eut point encor de dame qui l’effaçast64, et n’y eut aucun qui ne dist : « Cette belle princesse ne se peut rendre65 encor, tant elle est belle. Et est bien aisé à juger que ce beau visage couvre et cache d’autres grandes beautez et parties en elle que nous ne voyons point ; tout ainsi qu’à voir le beau et superbe front66 d’un beau bastiment, il est aisé à juger qu’au dedans il y a de belles chambres, antichambres et garde-robbes, beaux recoins et cabinets. » En tant de lieux encor a-elle fait paroistre sa beauté depuis peu, et en son arriere-saison, et mesme67 en Espagne aux nopces de M. et madame de Savoye68, que l’admiration d’elle et de sa beauté, et de ses vertus, y en demeura gravée pour tout jamais. Si les aisles de ma plume estoyent assez fortes et amples pour la porter dedans le ciel, je le ferois ; mais elles sont trop foibles ; si en parleray-je encore ailleurs. Tant y a que69 ç’a esté une trés-belle femme en son printemps, son esté et son automne, et son hyver encore, quoyqu’elle ait eu grande quantité d’ennuis et d’enfans70. « Pour en revenir à madame de Nemours/Anna d’Este » 61 le mariage d’Anne de Joyeuse [1560-1587], mignon d’Henri III, et de Marguerite de Lorraine-Vaudémont [1564-1625], demi-sœur de la reine de France, fut célébré le 24 septembre 1581 ; Anna d’Este avait alors 50 ans. 62 Cf. « Les Dames galantes » au fil des mots 008, p. 12 note 76. 63 « mante à capuche » ; Marie-Catherine Desjardins de Villedieu, Les Annales galantes (1670) : 60 L’heure marquée dans le Billet de Jacaya étant venuë, le Marquis entend un coup de ſifflet dans la ruë, qu’il prit d’abord [« aussitôt »] pour un ſignal ; & en effet, à ce coup de ſifflet le Portier ouvre doucement, & introduit dans la Cour, une perſonne couverte d’une mante à l’Italienne, qui la cachoit depuis la tête juſques aux pieds.  « lui fît de l’ombre, l’éclipsât »  Littré, 40o : « Ce cheval se rend, il est outré à force de fatigue, ou bien, il finit par obéir. » (Outrer un cheval, le pousser au delà de ses forces.) L’Encyclopédie : « un cheval rendu, eſt celui qui ne ſauroit plus marcher. » Le sens fig. est donc « renoncer » (ici, à séduire) ; É. Vaucheret : « Abdiquer, capituler. » 64 65 « façade imposante » 67  « surtout » 68 le mariage de Charles-Emmanuel Ier de Savoie [1562-1630] et de sa cousine Catalina Micaela [1567-1597], fille de Felipe II/Philippe II, fut célébré le 11 mars 1585 à Saragosse. 69  « Toujours est-il que » 70 (zeugme) 66  Qui pis est, les Italiens, mesprisans une femme qui a eu plusieurs enfans, l’appellent scrofa71, qui est à dire72 une truye ; mais celles qui en produisent de beaux, braves et genereux, comme cette princesse a fait73, sont à loüer, et sont indignes de74 ce nom, mais de celuy de benistes75 de Dieu. du latin scrōfa ; cf. scrofuleux et écrouelles (d’après χοιράδες, latinisé en chœrades)  mis pour : ce qui est à dire « c’est-à-dire » 73  emploi de faire comme verbe suppléant ou vicaire ou de substitution ou encore pro-verbe. 74 « ne méritent pas » (cette désignation) ‖ pour conserver une cohérence à la fin de la phrase, on supposera mais [sont dignes] de celuy de benistes de Dieu. 75 TLFi : 71 72 Béni, ie et bénit, ite supposent un *benedīctu > a.fr. benëit > béni(t); v. p. oppos. benedĭctu > a.fr. benëeit > benoît et benêt (FOUCHÉ t. 2, 1958, p. 198). Béni, ie est la forme de la conjug. Dans bénit, ite, conservation, dans l’orth. et, dans la prononc., au fém., du t lat. (cf. fait, faite < factu; lit < lectu; etc.) (BOURC.-BOURC. 1967, § 152, II). Cette oppos. béni, ie/bénit, ite ne s’est fixée qu’au XIXe s. (BL.-W.4).  Je puis faire cette exclamation : Quelle mondaine et merveilleuse inconstance, que la chose qui est la plus legere et inconstante, au temps fait la resistance, qu’est la belle femme ! 76 Ce n’est pas moy qui le dis ; j’en serois bien marry77, car j’estime fort la constance d’aucunes femmes, et toutes ne sont pas inconstantes : c’est d’un autre de qui je tiens cette exclamation. J’alleguerois encore volontiers des dames estrangeres, aussi bien que de nos françoises, belles en leur automne et hyver ; mais pour ce coup je ne mettray en ce rang que deux78. (Variations sur le thème Comme la plume au vent/La Donna è mobile/Frailty, thy name is Woman… ; Brantôme reviendra à la charge dans son dernier Discours avec l’inscription Toute femme varie gravée sur une fenêtre de Chambord et attribuée à François Ier) « La belle femme, comble de la légèreté et de l’inconstance, résiste à l’usure du temps : motif d’étonnement face à ce paradoxe de l’existence en ce bas monde » 77 « je serais navré » [qu’on m’attribue une telle pensée] 78 « mais pour le moment je ne parlerai que de deux d’entre elles qui sont dans ce cas » 76  L’une, la reine Elisabeth d’Angleterre qui regne aujourd’huy79, qu’on m’a dit estre encor aussi belle que jamais. Que si80 elle est telle, je la tiens pour une trés-belle princesse : car je l’ay veuë en son esté et en son automne81. Quant à son hyver, elle y approche82 fort, si elle n’y est : car il y a long-temps que ne l’ay veuë. La premiere fois que je la vis, je sçay l’aage qu’on luy donnoit alors. Je croy que ce qui l’a maintenuë si longtemps en sa beauté, c’est qu’elle n’a jamais esté mariée, ny a supporté le faix de mariage qui est fort onereux83, et mesmes84 quand l’on porte plusieurs enfants. Cette reine est à loüer en toutes sortes de loüanges, n’estoit la mort de cette brave, belle et rare85 reine d’Escosse, qui a fort soüillé ses vertus86. [1533-1603]  « Car si » 81 Brantôme est allé deux fois au Royaume-Uni : en 1561, car il figurait parmi les quelque cent personnes escortant Marie Stuart jusqu’à Édimbourg, puis en 1579 dans la suite de François d’Anjou (dédicataire des Dames galantes). 79 80 Lalanne, Brantôme, sa vie et ses écrits (1896) : Comme en 1561 Élisabeth, née en 1533, avait vingt-huit ans, on voit que Brantôme fait commencer « son esté » d’assez bonne heure ; quoiqu’il ne dise rien de la date ni des circonstances où il la vit « en son automne », il est facile de suppléer à son silence, dont on devine le motif. Chambellan du duc d’Anjou, il l’accompagna à la cour d’Angleterre, en 1579, quand ce prince, bien accueilli d’abord, finit par voir échouer misérablement ses projets de mariage avec la reine. [Dans « Les projets de mariage de la reine Élisabeth » du comte de La Ferrière, 1882, l’auteur rapporte que la souveraine « ne l’appelait plus (Anjou) que son petit Italien, son petit prince Grenouille. Dans les billets que le duc lui adressait presque chaque jour, il signait votre prince Grenouille. » Anjou lui avait offert une boucle d’oreille en forme de grenouille : “Item, one little flower of gold, with a frog thereon, and therein mounseer, his phisnomye, and a little pearl pendant”. On attribue à la reine un poème de trois sizains intitulé On Monsieur’s Departure, dont l’incipit est I grieve and dare not show my discontent.] 82 le verbe a eu trois constructions : approcher qqch. / à qqch. / de qqch. Li frere malade ne doivent approcher au chelier ne au four ne a la cuisine ne a la furnerie ne au puch ne a le grange ou on bat le ble et l’avaine, ne a le porte, ne si ne doivent approcher a aucune chose qui soit atournee a l’usage des frere sains. Les malades ne doivent en nul temps ne a vendanges approcher des vingnes, ne si ne soivent en nul temps seir devant l’uis du chelier. […] Freres malades qui approche a cuisine ne au four n’en camube ne au chelier n’en vingne n’en ortillage ne au puch ne a le porte ne a le grange ne ale furnerie ne a le porte as dames ne a cele qui appartiengne as freres sains, ara XL jours de penanche, III jours en le sepmaine en pain et en yaue. Règlement de la maladrerie d’Amiens (1305), chez Augustin Thierry (1850) : Rabelais : Si le croyez, vous n’approchez ne de piedz ne de mains a mon opinion. Montaigne : Si eſt ce que la peur des voiles Egyptiennes, qui commençoient à les approcher… « lourd, pesant, difficile » (ŏnĕrōsus est tiré de ŏnŭs, ĕris « charge, fardeau », cf. exonérer) 84  « surtout » 85 « exceptionnelle » 86 « qui a beaucoup entaché ses mérites » 83  L’autre princesse et dame estrangere est madame la marquise de Gouast, donne87 Marie d’Arragon88, laquelle j’ay veuë une trés-belle dame sur sa derniere saison ; et je vous le vois89 dire par un discours que j’abbregeray, le plus que je pourray. (écrit aussi done) Cf. « Les Dames galantes » au fil des mots 001, p. 38 note 192. 88 Maria d’Aragona [1503-1568], surnommée Draga (« la dragonne »), qui tint un cénacle littéraire à Naples — cf. Vittoria Colonna [1490-1547] —, à Milan, à Pavie, puis de nouveau à Naples, épousa Alfonso d’Avalos d’Aquino d’Aragona [1502-1546] (la famille Ávalos étant espagnole, la famille Aquino italienne), marquis del Vasto [« de(l) Gouast »] puis de Pescara [« Pescaire »], un des lieutenants de Charles-Quint, battu à Ceresole Alba/Cérisoles en 1544 : 87 Audict an et le lundi de Pasques, le marquis du Gouast, lieutenant general de l’empereur en toute l’Italie, estant adverti que le seigneur d’Anguyen [d’Enghien], lieutenant pour le roy en Piedmond, avoit faict assieger une ville dudict pais nommée Carignan [Carignano, province de Turin], voulant lever le siege et avituailler [« ravitailler »] ceulx qui estoient dans ladicte ville, dressa une armée de dix-huict mil hommes de pied et mil hommes de cheval, taschant aller trouver ledict seigneur d’Anguyen ; de quoy adverty, ledict seigneur, lequel n’avoit que dix mil hommes de pied et mil chevaulx, marcha au-devant ledict marquis du Gouast tant qu’ilz se rencontrarent, ledict lundi de Pasques, près ung lieu nomé Serizolles à six mil dudict Carignan ; la bataille commença environ unze heures avant midy et dura longuement, tant que à la fin la victoire demeura audict seigneur d’Anguian. Ledict marquis du Gouast se saulva à la fuite avec une partie de la cavalerie ; à ladicte bataille furent tués les principaulx capitaines que l’empereur eust en toute l’Italie, furent aussi prins des ennemys don Charles de Gonzague et don Loys de Cardoue et plusieurs autres capitaines dudict empereur ; tous les lansquenetz furent mis au tranchant de l’espée par les Souysses que ledict seigneur d’Anguyen avoit sans vouloir prendre aucun à mercy ; plusieurs des aultres saouldarts furent prins à rançon. Archives municipales de Toulouse, BB 274, Chronique 220 1543-1544 page 65. Benedetto Croce, dans la série Aneddoti di storia civile e letteraria, a consacré une quinzaine de pages en 1932 à Un capitano italiano del Cinquecento. Giulio Cesare Brancaccio [1515-1586], l’historien prenant soin de préciser que le gentilhomme napolitain appartenait à une ancienne et illustre famille dont le nom, sous sa forme primitive, était Brancazzo1. Richard Wistreich [musicologue et baryton/basse], dans son ouvrage paru en 2007 “Warrior, Courtier, Singer : Giulio Cesare Brancaccio and the Performance of Identity in the Late Renaissance”, souligne que Brancaccio a abandonné la proie pour l’ombre, délaissant une carrière qui s’ouvrait à lui comme chanteur lyrique [voix de basse] au profit d’un rêve de gloire comme bretteur et se sabordant en refusant de chanter aux noces d’Anne de Joyeuse (voir plus haut note 61). — Brantôme a connu celui qu’il appelle « Jules Brancasso/Brancazzo » alors que ce dernier traisnoit l’esguillette en France ; il en parle deux fois : Lalanne II, 27-28 et VII, 235 ; Mérimée/Lacour II, 45 et IX, 290. R. Wistreich cite p. 45 note 111 une lettre de l’expatrié (référence : Haus-, Hof- und Staatsarchiv de Vienne, E. 22, fol. 6) adressée le 2 juillet 1554 à Simon Renard de Bermont (alors Le poète Luigi Tansillo, dans ses Capitoli giocosi e satirici, emploie l’une et l’autre graphies du nom, lui qui était très lié avec Giulio Cesare. — La famille napolitaine a fait souche en France, puisqu’elle est à l’origine des Brancas, ducs de Villars et de Lauragais. 1 ambassadeur de Philippe II près la Court of St James’s) et dont je retiens ceci : e sappia ch’io mi domando Julio Cesare Brancazzo, e non altramente, ne mai negai il mio nome a persona di questa vita, anzi ho piacere che sia noto a tutto il mondo si come ne fo le mie forze che per la via virtù sia palese ad ogn’uno. « et sachez que je m’appelle Julio Cesare Brancazzo et pas autrement, que jamais je n’ai manqué de répondre à ce nom à âme qui vive, vu qu’au contraire il me plaît de penser qu’il puisse être connu du monde entier, mes forces étant employées à suivre la voie de la vertu afin qu’il soit répandu auprès de tout un chacun. » Royall Tyler, qui avait déjà publié ce document en 1949, commentait en note : “Giulio Cesare appears to be indignant because Renard spells his name Brancacio”, Giulio Cesare s’indigne, semble-t-il, de ce que Renard écrive son nom Brancacio. Mais, comme j’ai déjà eu l’occasion de le noter, cazzo veut dire « pénis », ce qui a suffi pour que Maria d’Aragona trouve malsonnant1 le nom de famille Brancazzo et se refuse à le prononcer autrement que Brancaccio (elle n’est pas la seule à avoir eu cette réaction, ce qui peut contribuer à expliquer l’abandon de la forme ancienne du patronyme). Or la marquise tenait un cénacle littéraire, dont Diana Robin (Encyclopedia of women in the Renaissance : Italy, France and England, 2007, p. 24-26) a dressé une liste des principaux habitués, parmi lesquels on compte Paolo Giovio, Girolamo Muzio, Giulio Camillo, Bernardo Spina et Pietro Aretino (qui, d’ailleurs, a dédié en 1535 à la marquise del Vasto son Angelica). Même si l’on met en avant dans l’œuvre du pamphlétaire la Passione di Gesù, Salmi [Psaumes], Vita di Maria Vergine et quelques autres opuscules de cette veine, comment la Dragonne aurait-elle pu ne pas être informée du scandale retentissant que l’Arétin avait recherché et obtenu avec ses œuvres « sulfureuses », où le leitmotiv de cazzo n’est qu’une vétille ? 89 « je vais vous l’exposer par un récit »  Lorsque le roy Henry mourut90, un mois aprés mourut le pape Paul IVe, Caraffe91, et pour l’election d’un nouveau fallut que tous les cardinaux s’assemblassent92. Entr’autres partit de France le cardinal de Guise93 ; et alla à Rome par mer avec les galeres du roy, desquelles estoit general M. le grand prieur de France94, frere dudit cardinal, lequel, comme bon frere, le conduisit avec seize galleres. Et firent si bonne diligence et avec si bon vent en poupe qu’ils arriverent Voir une des remarques liminaires de Robert Godel, « Dorica castra : sur une figure sonore de la poésie latine » (1967) : « Quintilien… ne donne lui-même… qu’un seul exemple de paraphonie malsonnante : ne dites pas cum notis, mais cum hominibus notis loqui, pour éviter de faire entendre un vocable obscène (cunno). L’exemple était classique : Cicéron motive par le même souci l’usage de nobiscum, en regard de cum illis. Mais il remarque ailleurs, et avec raison, qu’il faut avoir l’esprit mal tourné pour trouver de l’obscénité dans une phrase innocente et banale, comme cum nos te conuenire uoluimus. Virgile a pu écrire, sans crainte d’offenser ses auditeurs ou ses lecteurs : . . . cum nomine Troia, et Servius n’y trouve rien à redire. » (Dorica castra dans l’Énéide : II, 27 et VI, 88.) — Pour mémoire : Brancazzo dérive de Pancrazio (= Pancrace), dont le point de départ est παγκρατής « (Zeus) tout-puissant » ; cf. Brancaleone, nom de famille, localité de la province de Reggio Calabria, et héros de deux films de Mario Monicelli. 1 en deux jours et deux nuicts à Civita-Vecchia95, et de là à Rome, où estant96, M. le grand prieur, voyant qu’on n’estoit pas encor prest97 de faire nouvelle election (comme de vray elle demeura trois mois à faire), et par consequent de retourner98 son frere, et que ses galleres ne faisoyent rien au port, il s’advisa d’aller jusques à Naples voir la ville et y passer son temps. blessé dans un tournoi le 30 juin, Henri II mourut le 10 juillet 1559. 91 Gian Pietro Carafa mourut le 18 août 1559. Le trône de saint Pierre resta vacant quatre mois et sept jours. 92 Le conclave de 1559 commença le 5 septembre ; l’élection du cardinal Giovanni Angelo de’ Medici [di Marignano, c’est-à-dire Melegnano ; son frère est il Medeghino] par acclamation eut lieu le jour de Noël, fut ratifiée le lendemain, et le nouveau pape fut couronné le 6 janvier 1560 sous le nom de Pie IV. 93 parmi les quatre cardinaux que compta la maison de Guise, celui qui participa au conclave de 1559 est Louis de Lorraine [1527-1578], qui était alors évêque d’Albi (depuis le 27 juin 1550). C’est lui qui sacra son cousin Henri III à Reims en 1575. 90 « On apeloit ce bon prelat le Cardinal des Bouteilles, pource qu’il les aimoit fort, et ne se mesloit gueres d’autres affaires que de celles de la cuisine, où il se cognoissoit fort bien et les entendoit mieux que celles de la Religion et de l’Estat. » Mémoires-Journaux de Pierre de L’Estoile ; cf. l’allusion de Théodore de Bèze au cardinalis lagenifer dans Le Passavant et celle d’Henri Estienne dans l’Apologie pour Herodote, mentionnant au passage « l’injure que les Italiens ont accoustumé de nous dire, nous appelans boutillons1 ». Voir aussi Le Tigre — la version versifiée de 1561 — aux vers 201 et suiv. : Du Cardinal de Guise, est-il un qui ne sache Ses actes dissolus, qui mesme ne se fasche D’ouïr tant seulement qu’il donne plus de lieu Et de gloire à Bacchus, qu’il ne fait pas à Dieu ? Calvin commence ainsi une lettre à Heinrich Bullinger en 1560 : « Nuper at Fontem Bellæ Aquæ [Fontainebleau] (qui locus vix itinere bidui diſtat Lutetia) vocati ſunt omnes proceres. Adfuit Cardinalis quidam, qui aut cadus eſt aut lagena, ne hominis quidem figuram gestans. » (Parmi les participants, un cardinal, jarre ou bouteille, en tout cas pas une silhouette humaine.) Émile Doumergue, 1927, estime qu’il s’agit du cardinal de Bourbon. Artus de Cossé Brissac [1512-1582] vu par Brantôme : « Il avoit la teste et la cervelle aussi bonne que les bras, encor qu’aucuns luy donnarent le nom de mareschal des boutteilles, parce qu’il aymoit quelquesfois à faire bonne chere et rire et gaudir avec les compagnons ; mais pour cela sa cervelle demeuroit tousjours fort bonne et saine ; et le roy et la reyne se trouvoient bien de ses advis, ce disoient-ilz. » Peut-être sur la foi d’un rapprochement entre ce dernier passage et la note correspondante dans l’édition de Mérimée et Lacour (IV, 353), Arlette Jouanna (La France de la Renaissance, 2001, p. 868, notice sur la famille de Guise) présentant les six frères, écrit à propos de Louis : « esprit brouillon, il est moqué, selon Brantôme, sous le sobriquet de cardinal des bouteilles. » Malencontreuse bévue : le mémorialiste ayant d’abord évolué dans le sillage des Guise, ne serait pas avisé de colporter pareil sobriquet. (Incidemment, c’est à propos de son frère Charles que Brantôme écrit « On le tenoit pour fort brouillon. ») François de Lorraine [1534-1563], Grand-prieur de France (grade de l’ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, appelés par la suite Chevaliers de Rhodes, puis 94 Cf. bottiglioni dans le Dialogo de l’Arétin. François de Billon se sert aussi de boutillons dans ce sens dans son Fort inexpugnable de l’honneur femenin (1555). Dans le Cinquiesme Livre, le grand Flasque, gouverneur de la Dive Bouteille, est « accompagné de la garde du temple, et estoyent touts bouteillons françoys. » 1 Chevaliers de Malte). Brantôme lui, par ailleurs, consacré une notice : Lalanne IV, 150164, Mérimée et Lacour V, 62-77. 95 Les États pontificaux disposaient de deux accès principaux à la mer : Civitavecchia sur la Méditerranée (et à 60 km de Rome) et Ancône sur l’Adriatique. 96 « où, une fois arrivé, » 97 « près » 98 « raccompagner »  A son arrivee donc, le vice-roy, qui estoit lors le duc d’Alcala99, le receut comme si ce fust esté un roy. Mais avant que d’y arriver salüa la ville d’une fort belle salve qui dura longtemps ; et la mesme luy fut renduë de la ville et des chasteaux, qu’on eust dit100 que le ciel tonnoit estrangement durant cette salve. Et, tenant ses galleres en bataille et en joly101, et assez loin, il envoya dans un esquif M. de l’Estrange, de Languedoc102, fort habille et honneste gentilhomme, qui parloit fort bien, vers le vice-roy, pour ne luy donner l’allarme103, et luy demander permission, encore que nous fussions en bonne paix104, mais pourtant nous ne venions que de frais de la guerre, d’entrer dans le port, pour voir la ville et visiter les sepulchres de ses predecesseurs qui estoyent là enterrez, et leur jetter de l’eau beniste et prier Dieu sur eux. Le royaume de Naples (il Regno, tout court) avait alors à sa tête un vice-roi (virrey) ; de 1559 à 1571 de fut Per Afán-Enríquez de Ribera y Portocarrero, premier duc d’Alcalá. 100 « de sorte qu’on aurait cru » 101 Brantôme : « en joly (c’est un mot de galleres que l’on use quand elles ne voguent en advant ny en arriere et qu’elles font halte) » c’est donc mettre en panne ; confirmation dans le Glossaire nautique (1800) d’Auguste Jal. 99 essere, stare in giolito /'ʤɔlito/ : di nave che, stando all’ancora, o ferma per bonaccia, si dondola sulle onde [encalminé ou mis au bassin] ; c’est un catalanisme, en jólit « (navire) en panne » (malgré Marta Prat Sabater, Préstamos del catalán en el léxico español, thèse de 2003). Chez Lope de Rueda (dans Armelina) sous la forme en xólite « inmovilidad de calma chicha ; sin apoyo, en aislamiento » (« abraçábasle tú agora para no quedarte en xólite ó apolillada en un rincón », accroche-toi à lui maintenant pour ne pas rester en carafe ou bien à te ronger dans un coin [sin casarte, sans te marier]), par la suite en xólito /'ʒɔlito/ [DRAE : jolito /χɔ'lito/] (Cervantes, Los Baños de Argel « Nuestros ahincos han salido vanos, Porque ya los turcos son embarcados, Y en xólito se están cerca de tierra », nos efforts ont été vains, les Turcs se sont embarqués et ont mis en panne près de la côte ; Quevedo : « El hermano se fué rabo entre piernas, el maridillo echando chispas, y todos se quedaron en xólito », le frère s’en fut la queue entre les jambes, le petit mari fulminant et tous les autres restant comme figés). 102 103 104 Maurice Rat : « Sans doute Claude de l’Estrange, gentilhomme languedocien. » « pour le rassurer » (et qu’il ne croie pas à un acte de guerre) depuis le 3 avril (traité du Cateau-Cambrésis).  Le vice-roy l’accorda trés-librement. M. le grand prieur donc s’avança et recommença la salve aussi belle et furieuse que devant105, tant des canons de courcie106 des seize galleres que des autres pieces et d’arquebusades, tellement que tout estoit en feu ; et puis entra dans le mole107 fort superbement avec plus d’estendarts, de banderolles, de flambans108 de taffetas cramoisy, et la sienne de damas, et tous les forçats vestus de velours cramoisy, et les soldats de sa garde de mesme, avec mandilles109 couvertes de passement d’argent, desquels estoit capitaine le capitaine Geoffroy, Provençal, brave et vaillant capitaine, si bien que l’on trouva nos galleres françoises trés-belles, lestes110 et bien espalverades111, et surtout la Realle112, à laquelle n’y avoit rien à redire : car ce prince113 estoit en tout trés-magnifique et liberal. « précédemment » (coursive, de l’italien corsia) É. Vaucheret : « Canons placés à la proue. » 107 (môle) 108 É. Vaucheret : « Sortes de petites bannières. » 109 « casaques » 110 « de forme élégante » 111 telle quelle, la forme ne se trouve que chez Brantôme, qui aura peut-être voulu créer un dérivé de pavesade (cf. pavoiser). 105 106 Jean-François Féraud, Dict. critique (1787-1788), sous PAVESADE : « toile ou drap tendu autour du plat bord d’un vaisseau, soit dans un jour de réjouissance, soit dans un jour de combat. » Italien pavesata « Gala di bandierine di varia foggia e colore, per addobbare le navi in segno di festa » et impavesata, castillan (em)pavesada, portugais pavezada. « la Royale » (cf. Montréal), nom que, dans l’escadre des galères, on donnait [à partir de 1526] à la galère destinée à porter le roi, les princes, l’amiral de France, ou en leur absence, le général des galères (A. Jal). 113 François de Lorraine. 112  Estant donc entré dans le mole en un si bel arroy114, il prit terre et tous nous autres avec luy, où le vice-roy avoit commandé de tenir prests des chevaux et des coches pour nous recueillir115 et conduire en la ville ; comme de vray nous y trouvasmes cent chevaux, coursiers, genets, chevaux d’Espagne, barbes et autres, les uns plus beaux que les autres, avec des housses de velours toutes en broderie, les unes d’or et les autres d’argent. Qui vouloit monter à cheval montoit, qui en coche montoit116, car il y en avoit une vingtaine des plus belles117 et riches et des mieux attelées, et traisnées par des coursiers les plus beaux qu’on eust sceu118 voir. Là se trouverent aussi force grands princes et seigneurs, tant du Regne119 qu’Espagnols, qui receurent M. le grand prieur, de la part du vice-roy, trés-honnorablement. Il monta sur un cheval d’Espagne, le plus beau que j’aye veu il y a longtemps120, que depuis le vice-roy luy donna ; et se manioit trés-bien, et faisoit de trés-belles courbettes121, ainsi qu’on parloit de ce temps. Luy, qui estoit un trésbon homme de cheval, et aussi bon que de mer, il le fit trés-beau voir là-dessus ; et il le faisoit trés-bien valloir et aller et de fort bonne grace, car il estoit l’un des beaux princes qui fust de ce temps là, et des plus agreables, des plus accomplis, et de fort haute et belle taille et bien denoüée122 ; ce qui n’advient guieres à ces grands hommes123. Ainsi il fut conduit par tous ces seigneurs et tant d’autres gentilshommes chez le vice-roy, lequel l’attendoit, et luy fit tous les honneurs du monde, et logea124 en son palais, et le festoya fort sumptueusement, et luy et sa troupe : il se pouvoit bien faire, car il luy gaigna vingt mille escus à ce voyage125. Nous pouvions bien estre avec luy deux cens gentilshommes, que capitaines des galleres et autres126 ; nous fusmes logez chez la plupart des grands seigneurs de la ville, et trés-magnifiquement. « ordre » 115 « accueillir » 116 énoncé à ellipses : « Celui qui voulait monter à cheval montait (à cheval), celui (voulait monter) en coche montait (en coche) » 117 apparu en français en 1545 et venant du hongrois kocsi (szekér) d’après le village de Kocs, le mot est, à la Renaissance, aussi bien féminin que masculin. 118 « pu » 119 Cf. « Les Dames galantes » au fil des mots 002, p. 28 note 199. 120 « depuis longtemps » 121 La Courbette vue par Charles Parrocel [1688-1752] : 114 Cliché tiré de Ecole de cavalerie (1736), de François Robichon de La Guérinière [1688-1751]. Littré : « Terme de manège. Air relevé de manège consistant en un saut dans lequel le cheval lève et fléchit les deux membres antérieurs, pendant que, tenant les hanches basses, il les avance sous le ventre. » 122 « dégagée » — Le Grand Dictionnaire des arts et des sciences (1696), de Thomas Corneille, en illustre bien l’emploi à l’article SUELTE (« svelte ») : SUELTE. adj. Terme de Peinture. Les peintres, dit M. Felibien [André Félibien, 1619-1695], ſe ſervent de ce mot pour exprimer dans les figures ce qu’on appelle d’ordinaire dans les hommes & dans les femmes Une taille dénoüée, degagée, aiſée, égayée. Il vient de l’Italien Suelto, qui veut dire Adroit, agile, déchargé de taille. Portrait du grand-prieur dans Les Vies des grands capitaines françois : il estoit trés-beau de visage, blond, doux, courtois et gracieux et respectueux, de fort belle, haute et tréshaute taille, et avec cela, comme disent les tireurs d’armes d’Italie, con bel corpo desnodato e di bella vita [« avec un beau corps souple et la taille bien prise »]. [Brantôme a francisé l’italien snodato à partir de « dénoué » : il y a redondance de préfixes.] « ce qui est rarement le cas chez les hommes de haute taille » soit il y a rupture de construction, soit un pronom personnel a sauté lors de la dictée (et le logea en son palais). 125 (il ce pouvoit bien faire) « il lui devait bien ça, car il lui prit au jeu 20000 écus pendant son séjour » ; Brantôme qualifie le grand-prieur de beau joueur « joueur acharné ». 126 « nous pouvions bien être 200 gentilshommes à former sa suite, en comptant les capitaines de galères et autres » 123 124  Dés le matin, sortans de nos chambres, nous rencontrions des estaffiers127 si bien creez128 qui se venoyent presenter aussitost et demander ce que nous voulions faire et où nous voulions aller et pourmener. Et, si voulions chevaux ou coches, soudain, aussitost notre volonté dite aussitost accomplie. Et alloyent querir les montures que voulions, si belles, si riches et si superbes qu’un roy s’en fust contenté ; et puis accomencions et accomplissions nostre journée ainsi qu’il plaisoit à chacun. Enfin nous n’estions guieres gastez d’avoir faute129 de plaisirs et delices en cette ville : ne faut dire qu’il n’y en eust, car je n’ay jamais veu ville qui en fust plus remplie en toute sorte ; il n’y manque que la familiere, libre et franche conversation d’avec les dames d’honneur et reputation, car d’autres130 il y en a assez. A quoy pour ce coup131 sceut trés-bien remedier madame la marquise del Gouast, pour l’amour de laquelle132 ce discours se fait : car, toute courtoise et plene133 de toute honnesteté, et pour la grandeur de sa maison, ayant ouÿ renommer M. le grand prieur des perfections qui estoyent en luy, et l’ayant veu passer par la ville à cheval et recogneu134, comme de grand à grand cela est deu communement, elle, qui estoit toute grande en tout, l’envoya visiter un jour par un gentilhomme135 fort honneste et bien creé136, et luy manda que, si son sexe et la coustume du païs luy eussent permis de le visiter137, volontiers elle y fust venuë fort librement pour luy offrir sa puissance138, comme avoyent fait tous les grands seigneurs du royaume ; mais le pria de prendre ses excuses en gré139, en luy offrant et ses maisons, et ses chasteaux, et sa puissance. le point de départ est l’italien staffa « étrier », d’où staffiere « domestique qui tient et présente l’étrier au cavalier pour qu’il se mette en selle » (d’où aussi staffetta « courrier à cheval, porteur de dépêches, exprès » et estafette, ainsi que staffilata « coup(s) donné(s) avec les étrivières [qui tiennent l’étrier] » et estafilade, avec changement de sens) ; d’abord, sans e- prosthétique, stafier chez Molinet, staphier chez Henri Estienne. Le mot ne voulait dire guère plus que « laquais », cf. Maint estafier accourt dans Un fou et un sage de La Fontaine. É. Vaucheret p. 612 note C : « Valets armés chargés de porter des messages » cor127 respondrait à estafette. 128 É. Vaucheret : « Bien stylés. » 129 « nous n’avions pas vraiment à nous plaindre de manquer » 130 « des dames perdues d’honneur et de réputation » 131 « Au manque de dames d’honneur et de réputation, en l’occurrence, » 132 « par considération envers laquelle » 133 (sic) 134 « salué » 135 « envoya se présenter à lui un gentilhomme » 136 « connaissant bien les usages du monde » 137 (hendiadys) « et l’informa que, si les règles de bienséance qui s’imposaient aux femmes dans la société italienne lui avaient permis de venir le saluer, » 138 « mettre à sa disposition ce qui était en son pouvoir » 139 « de bien vouloir agréer/accepter ses excuses »  M. le grand prieur, qui estoit la mesme courtoisie140, la remercia fort, comme il devoit, et luy manda, qu’il luy iroit baiser les mains incontinent aprés disner141 ; à quoy il ne faillit142 avec sa suitte de tous nous autres qui estions avec luy. Nous trouvasmes la marquise dans sa salle avec ses deux filles, done Antonine143, et l’autre done Hieronime ou done Joanne144, je ne sçaurois bien le dire, car il ne m’en souvient plus, avec force belles dames et damoiselles, tant bien en point145 et de si belle et bonne grace que, horsmis nos cours de France et d’Espagne, volontiers ailleurs n’ay-je point veu plus belle troupe de dames.  « la courtoisie même, la courtoisie faite homme » « qu’il irait lui présenter ses compliments aussitôt après le déjeuner » 142 « ce qu’il ne manqua pas de faire » 143 Antonia, qui épousa Giangiacomo Trivulzio, puis Orazio de Lannoy. 144 On ne sait rien d’une donna Girolama ou Giovanna. — Selon Lalanne, il s’agirait de Beatrix, qui épousa « Alphonse de Guevara, comte de Potenza ». 145 É. Vaucheret : « De si belle apparence. » 140 141  Madame la marquise salua à la françoise146 et receut M. le grand prieur avec un trésgrand honneur ; et luy en fit de mesmes, encor plus humble, con mas gran sossiego147, comme dit l’Espagnol. Leurs devis furent pour ce coup de propos communs148. Aucuns149 de nous autres, qui sçavions parler Italien et Espagnol, accostasmes les autres dames150, que nous trouvasmes fort honnestes et gallantes, et de fort bon entretien. (en lui faisant une révérence, bow, curts(e)y or obeisance) (con más gran sosiego) É. Vaucheret : « Avec une plus grande componction. » « Leur entretien fut, pour cette fois, fait de banalités » (de sujets ordinaires)  « Certains » 146 147 148 149 150 « engageâmes la conversation avec les autres dames »  Au departir151, madame la marquise, ayant sceu de M. le grand prieur le sejour d’un quinze jours152 qu’il vouloit faire là, luy dit : « Monsieur, quand vous ne sçaurez que faire et qu’aurez faute de passe-temps, lorsqu’il vous plaira venir ceans vous me ferez beaucoup d’honneur, et vous y serez le trés-bien venu comme en la maison de madame vostre mere ; vous priant de disposer de cette-cy de mesme et ainsi que la sienne, et y faire ny plus ny moins. J’ay ce bonheur d’estre aymée et visitée d’honnestes et belles dames de ce royaume et de cette ville, autant que dame qui soit ; et, d’autant que vostre jeunesse et vertu porte que vous aymez la conversation des honnestes dames, je les prieray de se rendre icy plus souvent que de coustume, pour vous tenir compagnie et à toute cette belle noblesse qui est avec vous. Voilà mes deux filles auxquelles je commanderay, encores qu’elles ne soyent si accomplies qu’on diroit bien, de vous tenir compagnie à la françoise, comme de rire, danser, joüer, causer librement, modestement et honnestement, comme vous faites à la cour de France, à quoy je m’offrirois volontiers ; mais il fascheroit fort à un prince jeune, beau et honneste comme vous estes, d’entretenir une vieille surannée153, fascheuse et peu aymable154 comme moy : car volontiers155 jeunesse et vieillesse ne s’accordent guieres bien ensemble. » « Au moment de prendre congé » Lettre du conseil d’État à Philippe II, écrite de Bruxelles, le 31 mars 1576 : 151 152 Si est-ce que avec tout cela avons communicqué avec luy [le colonel Verdugo], pour trouver promptement quelque somme de deniers pour soustenir lesdictes necessités encoires pour un quinze jours ou plus, attendant si pendant ce peu de temps ne viendra riens de Vostre Majesté, ou aultrement de la grâce de Dieu. » Lettres de Catherine de Médicis, juin-juillet 1588, « Au Roy monsieur mon fils » [Henri III] : Monsieur mon fils, je vous veus fayre une requeste que je vous suplye m’accorder, c’èt de permetre à Vyleroy1 la survivance de son aystat, come à ma requeste avés permy et accordé à ses deus compagnons. Vous savés coment yl vous sert et ayst utyl servyteur et que aveques reyson l’aucoupés plus que neul aultre : aussi vous suplyé-ge que, pour le solager, quant yl aurè quelquefoys permysion de s’aller refrechyr un quynse jours au [« ou »] un moys cheu luy … Journal de Gabriel Breunot, conseiller au Parlement de Dijon, 12 juillet 1593 : Après plusieurs ouvertures, resolu que l’on leveroit quelques gens de la ville pour un quinze jours, que l’on fera fond pour leur solde de cinq ou six cens escus, que pour un peu de jours nous prient MM. des comptes d’aller aux portes, demandent que l’on y aille huit par jour de chacun collége. (suranné appartient d’abord au vocabulaire juridique : « qui a plus d’un an et dont le délai est expiré ; périmé », d’où « qui a fait son temps ») « de converser avec une vieille antédiluvienne » 154 « désagréable et peu sympathique » 155 « d’ordinaire, en général » 153  M. le grand prieur luy releva aussitost ces mots156, en luy faisant entendre que la vieillesse n’avoit rien gaigné sur elle, et que malaisement il ne passeroit pas celuy-là157, et que son autonne surpassoit tous les printemps et estez qui estoyent en cette salle ; 1 Nicolas IV de Neufville [1542-1617], marquis de Villeroy. comme, de vray, elle se monstroit encor une trés-belle dame et fort aymable, voire plus que ses deux filles, toutes belles et jeunes qu’elles estoyent ; si avoit-elle bien alors prés de soixante bonnes années. Ces deux petits mots que M. le grand prieur donna à madame la marquise luy pleurent158 fort, selon que nous pusmes cognoistre159 à son visage riant, à sa parole et à sa façon160. « se récria/protesta aussitôt contre l’emploi de ces mots » « qu’il ne laisserait pas passer une telle remarque sans réagir » « plurent » « comme nous pûmes nous en convaincre » « son attitude » 156 157 158 159 160  Nous partismes de là extresmement bien edifiez161 de cette belle dame, et surtout M. le grand prieur, qui en fut aussitost espris, ainsi qu’il nous le dit. Il ne faut donc douter si cette belle dame et honneste, et sa belle troupe de dames convia M. le grand prieur tous les jours d’aller à son logis : car si on n’y alloit l’aprés-disnée162 on y alloit le soir. M. le grand prieur prit pour sa maistresse sa fille aisnée, encor qu’il aymast mieux la mere ; mais ce fut per adombrar la cosa163. « ayant une haute opinion » « l’après-midi » (adumbrar) « pour masquer/voiler la chose » 161 162 163  Il se fit force courremens de bague164, où M. le grand prieur emporta165 le prix, force ballets et danses. Bref, cette belle compagnie fut cause que, luy ne pensant sejourner que quinze jours, nous y fusmes pour nos six sepmaines, sans nous y fascher nullement166, car nous y avions nous autres aussi bien fait des maistresses comme nostre general. Encore y eussions-nous demeuré davantage, sans qu’un courrier vint du roy son maistre, qui luy porta nouvelles de la guerre eslevée en Escosse167 ; et pour ce falloit mener et faire passer ses galleres de levant en ponant168, qui pourtant ne passerent de huict mois aprés. la course de bague [courrement de bague, chez Brantôme ; on disait courre la bague] est un jeu d’adresse qui consiste, pour un cavalier au galop, à enlever avec le bout de la lance1 un anneau suspendu à une potence à l’extrémité d’une carrière (voir Lucien Clare, La quintaine, la course de bague et le jeu des têtes, 1983). 164 Le grand prieur paraît y avoir excellé et Brantôme prend plaisir à évoquer la fois, dans l’allée centrale du jardin d’Amboise en 1560 sous François II, où il remporte la palme à la 11e reprise face à Jacques de Savoie, duc de Nemours, les deux concurrents étant masqués François de Vivonne, seigneur de La Chasteigneraye et oncle de Brantôme, était capable de lancer en l’air et reprendre sa lance trois fois de suite avant d’enlever (souvent) l’anneau. 1 et déguisés en femmes : Lorraine en femme Ægyptienne★ (« en bohémienne ») avec, sur son bras gauche, « au lieu d’un petit enfant, une petite singesse qui estoit à luy, et plaisante, emmaillottée comm’ un petit enfant » et Nemours en femme bourgeoise de ville, « à sa saincture une grand’ bource de mesnage, avec un grand clavier de clefz où pour le moins il y avoit plus de cent clefz pendentes avec la grosse chaisne d’argent ». ★ Journal d’un bourgeois de Paris de 1405 à 1449, éd. de Colette Beaune (1990) p. 234 § 464 et note 71 : « Le dimanche d’apres la mi-aoust, qui fut le 17e jour d’aoust audit an 1427, vinrent a Paris douze penanciers [« pénitents »], comme ils disoient, c’est a savoir, un duc et un comte et dix hommes tous a cheval, et lesquels se disoient tres bons chrestiens, et estoient de la Basse Egypte […]. — Il s’agit de romanichels ou bohémiens. Le Moyen Age en fait traditionnellement des Égyptiens dispersés sur les chemins. En fait, des tribus originaires de l’Indus avaient séjourné du IXe au XVe siècle dans le Péloponnèse, où la région de Modon [anc. Μεθώνη, en Messénie] est appelée BasseÉgypte. » 165 166 167 168 « remporta » « sans jamais connaître l’ennui » (affaire du siège de Leith) « de la Méditerranée à la Manche (et à l’Atlantique) »  Ce fut à se departir169 de ces plaisirs delicieux, et de laisser la bonne et gentille ville de Naples ; et ne fut à M. nostre general et à tous nous autres sans grandes tristesses et regrets, mais nous faschant fort de quitter un lieu où nous nous trouvions si bien. « Vint le moment de se séparer » 169  Au bout de six ans, ou plus, nous allasmes au secours de Malte170. Moy estant à Naples, je m’enquis si madite dame la marquise estoit encor vivante ; on me dit qu’oüy, et qu’elle estoit en la ville. Soudain je ne faillis171 de l’aller voir ; et fus aussitost recogneu par un vieux maistre d’hostel172 de leans173, qui l’alla dire à madite dame que je luy voulois baiser les mains174. Elle, qui se ressouvint de mon nom de Bourdeille, me fit monter en sa chambre et la voir. Je la trouvay qui gardoit le lict à cause d’un petit feu vollage175 qu’elle avoit d’un costé de joue176. Elle me fit, je vous jure, une trés-bonne chere177. Je ne la trouvay que fort peu changée, et encore si belle qu’elle eust bien fait commettre un peché mortel, fust ou de volonté ou de fait178. Il ne s’agit pas du siège de Malte en 1565 (18 mai-11 septembre) par les Ottomans : Lala Kara Mustafa Paşa, Piyale Paşa, Turgut Reis (Dragut) et Uluç Ali Paşa (l’Ouchaly). 170 Brantôme arrive sur l’île au cours de l’été 1566 (il y assiste, en juin, à la procession de la Fête-Dieu), ce qui ne l’empêche pas d’écrire « lorsque nous allasmes au siege de Malte1 ». Il faisait partie d’une troupe de « nouveaux croisés » — près de 300 gentilshommes (Philippe Strozzi, Timoléon de Cossé, « Il me souvient que lorsque nous allasmes au siege de Malte, dont le Grand-Seigneur [Soliman] s’en plaignit au roy qui, pour le contenter, nous bannyt tous et nous desavoüa. » 1 Roger de Saint-Lari de Bellegarde, Hardouin de Villier de la Rivière, René de Voyer, vicomte de Paulmy…) et de plus de 800 soldats — qui, de leur propre initiative, à leurs frais et sans l’aveu du roi ou de quiconque, formèrent le projet de combattre à Malte. À cette occasion, Brantôme faillit se faire chevalier de Malte ; ce fut Strozzi qui l’en dissuada. « Aussitôt je ne manquai pas » « celui qui a la haute main sur l’organisation matérielle de la demeure seigneuriale » (maggiordomo). 173 Cf. « Les Dames galantes » au fil des mots 001, p. 23 note 91. 174 « je voulais lui présenter mes respects » 175 « ignis uolaticus, dartre, gratelle, impétigo » 176 « sur une joue » 177  « bon visage, bon accueil » 178 « que ce soit en intention ou en acte » 171 172  Elle s’enquit fort à moy179 des nouvelles de feu M. le grand prieur, et d’affection180, et comme il estoit mort181, et qu’on luy avoit dit qu’il avoit esté empoisonné, maudissant cent fois le malheureux182 qui avoit fait le coup. Je luy dis que non, et qu’elle ostast cela de sa fantaisie183, et qu’il estoit mort d’un purisy184 faux et sourd qu’il avoit gaigné à la bataille de Dreux185, où il avoit combattu comme un Cesar tout le jour ; et le soir, à la derniere charge, s’estant fort eschauffé au combat, et suant, se retirant le soir qu’il186 geloit à pierre fendre, se morfondit187 ; et se couva sa maladie, dont il mourut188 un mois ou six sepmaines aprés. « Elle me pressa de questions pour avoir » « et avec insistance » « quelles étaient les circonstances de sa mort » « le misérable » « son imagination » « pleurésie ou pneumonie » 179 180 181 182 183 184 M. de Salvoyson…y prit un gros vilain purisy et une fiebvre chaude, dont il en mourut au bout de six jours, en l’aage de trente sept ans, qui n’estoit que sa fleur et sa vigueur pour exploicter [« accomplir »] de grandes choses. « attrapée/contractée à la bataille de Dreux [19 décembre 1562] » 186 « alors qu’il » 187 « prit froid » cf. Rabelais « Je (disoit-il) sens le fond de ma mitre Si froid que autour me morfond le cerveau » 188 (le 6 mars 1563, à 29 ans) 185 (cf. note 160)  Elle monstroit, par sa parole et sa façon, de le regretter fort. Et notez que, deux ou trois ans auparavant, il avoit envoyé deux galleres en cours189 sous la charge du capitaine Beaulieu190, l’un de ses lieutenans de galleres. Il avoit pris la bandiere191 de la reine d’Escosse192, qu’on n’avoit jamais veuë vers les mers de Levant, n’y193 cogneuë, dont on estoit fort esbahy : car, de prendre celle de France, n’en falloit point parler, pour l’alliance entre194 le Turc. M. le grand prieur avoit donné charge au dict capitaine Beaulieu de prendre terre à Naples, et de visiter195 de sa part madame la marquise et ses filles, auxquelles trois il envoyoit force presens de toutes les petites singularitez196 qui estoyent lors à la cour et au Palais197, à Paris et en France : car ledit sieur grand prieur estoit la mesme liberalité et magnificence ; à quoi ne faillit le capitaine Beaulieu, et de presenter le tout, qui fut trés-bien receu, et pour ce fut recompensé198 d’un beau present. = en course, en expédition militaire sur mer (les corsaires pratiquaient la course) 189 Voici donc le grand prieur de l’ordre de Malte et ses chevaliers exerçant, comme l’écrit Lalanne « leur métier de corsaires, comme on disait alors, de pirates, comme nous dirions aujourd’hui » (citation tirée de Brantôme, sa vie et ses écrits, 1896, ch. VII : « Brantôme armateur. La piraterie au e XVI siècle » p. 108-122, chapitre qui m’a permis d’éclairer le présent passage). N. de Chasteigner/Chastaigner, seigneur de Beaulieu, ami de Brantôme (cf. « Les Dames galantes » au fil des mots 012, p. 15, son aventure à Palerme). 191 (ancien occitan ou italien bandiera) « bannière » 192 Marie Stuart. Lalanne (op. cit. p. 110) : 190 … le grand prieur avait pris ses précautions. Pour ne pas compromettre la France, il avait, avant de reconduire la princesse dans son royaume, obtenu d’elle l’autorisation de prendre la bannière d’Écosse ; autorisation qu’il avait fait mettre au nom de Beaulieu. C’est ce que nous apprennent deux lettres écrites par la reine le 28 mai 1561 […]. « ni » 194 « c’était hors de question, en raison de l’alliance conclue avec le Turc » 195 « rendre visite » 196 « colifichets, fanfreluches, nouveautés » 197 Lalanne (op. cit. p. 95 n. 1) : « C’est-à-dire dans les boutiques qui garnissaient la galerie du Palais de justice de Paris. » (Voir Abraham Bosse, Galerie du Palais, exécutée vers 1637.) 198 É. Vaucheret : « Reçut en échange. » [Par conséquent, le beau present est destiné au grand prieur, et non à l’intermédiaire.] 193  Madame la marquise se ressentoit si fort obligée199 de ce present, et de la souvenance qu’il avoit encor d’elle200, qu’elle me le reitera201 plusieurs fois, dont elle l’en ayma encore plus. Pour l’amour de luy202, elle fit encore une courtoisie203 à un gentilhomme gascon, qui estoit alors aux galleres de M. le grand prieur, lequel204, quand nous partismes, demeura dans la ville, malade jusqu’à la mort205. La fortune fut si bonne pour luy que, s’addressant à ladite dame en son adversité, elle le fit si bien secourir qu’il eschappa ; et le prit en sa maison, et s’en servit, que, venant à vacquer une capitainerie en un de ses chasteaux, elle la luy donna, et luy fit espouser une femme riche206. « était si touchée/reconnaissante » « et du fait qu’il s’était encore souvenu d’elle » « répéta » « par considération envers le grand prieur » 199 200 201 202 « elle rendit encore un service » 204 « et qui » 205 « entre la vie et la mort » 206 « Le sort lui fut favorable : quand, au milieu de son malheur, il sollicita la dite dame, elle lui fit si bien porter secours qu’il en réchappa ; il devint membre de sa maison et entra à son service en sorte que, lorsque la charge de gouverneur d’un de ses châteaux vint à se libérer, elle la lui donna et arrangea son mariage avec une femme riche. » 203  Aucuns de nous autres ne sceusmes qu’estoit207 devenu le gentilhomme, et le pensions mort, sinon lorsque nous fismes ce voyage208 de Malte, il se trouva un gentilhomme qui estoit cadet de celuy dont j’ay parlé, qui un jour, sans y penser209, parlant à moy de la principale occasion210 de son voyage, qui estoit pour chercher nouvelles d’un sien frere qui avoit esté à M. le grand prieur, et estoit resté malade à Naples il y a plus de six ans, et que211 depuis il n’en avoit jamais sceu nouvelles, il m’en alla souvenir212 ; et depuis m’enquis de ses nouvelles aux gens de madame la marquise, qui m’en conterent, et de sa bonne fortune213 : soudain214 je le rapportay à son cadet, qui m’en remercia fort ; et vint avec moy chez madite dame, qui en prit encor plus de langue215, et l’alla voir où il estoit. « ce qu’était » « l’expédition militaire » « spontanément » « la principale cause, le principal motif » « dont » « je fis le rapprochement » « la chance qu’il avait eue »  « aussitôt » « où il en apprit encore davantage » 207 208 209 210 211 212 213 214 215  Voilà une belle obligation216, pour une souvenance d’amitié qu’elle avoit encore, comme j’ay dit : car elle m’en fit encore meilleure chere217, et m’entretint fort du bon temps passé, et de force autres choses qui faisoyent trouver sa compagnie trés-belle et trés-aymable ; car elle estoit de trés-beau et trés-bon devis218, et trés-bien parlante. « façon de montrer sa reconnaissance » « car elle me réserva un accueil encore meilleur » « car sa conversation était très belle et très agréable » 216 217 218  Elle me pria cent fois ne prendre autre logis ny repas que le sien, mais je ne le voulus jamais, n’ayant esté mon naturel d’estre importun ny coquin219. Je l’allois voir tous les jours, pour220 sept ou huict jours que nous y demeurasmes, et y estois trés-bien venu, et sa chambre m’estoit toujours ouverte sans difficulté. « n’étant pas porté par nature à imposer ma présence ni à mendier (être un parasite, un écornifleur, un profiteur) » 220 « pendant » 219  Quand je luy dis à Dieu221, elle me donna des lettres de faveur222 à son fils M. le marquis de Pescayre223, general pour lors en l’armée espagnole ; outre ce, elle me fit promettre qu’au retour je passerois pour la revoir, et de ne prendre autre logis que le sien. 221 « au revoir » Montaigne, Exemplaire de Bordeaux. 1 Notre « adieu » (soudé) est issu par réduction brachylogique (pour reprendre l’expression du TLFi) de « a Dieu vous com(m)ans », je vous recommande à Dieu — on disait aussi « al comant dam Dieu », à la recommandation du seigneur Dieu —, simple formule de politesse pour prendre congé et qui n’avait rien ni de solennel ni de définitif ; l’énoncé est tellement ritualisé que, dans un Miracle de Nostre-Dame1 où les Sarrasins jurent par Mahon, un personnage s’adresse à Clovis (qui va se convertir au christianisme, puisque c’est le sujet de la pièce de théâtre) en lui disant « a Mahon vous commans ». « lettres de recommandation (pour) » Francesco Ferdinando d’Ávalos d’Aquino d’Aragona († 1571), marquis de Pescara et del Vasto, fut commandant en chef de l’armée espagnole en Lombardie et au Piémont, puis gouverneur du Milanais, enfin vice-roi de Sicile. Il commandait il Gran Soccorso, le second et principal envoi de troupes envoyées au secours des chevaliers de Malte contre les Ottomans. — Brantôme nous laissé un portrait de lui : 222 223 M. le marquis l’aisné estoit l’homme du monde le plus adroict et le plus fort, soit à pied ou à cheval, qui fust de son temps, et le plus ferme ; et si [« pourtant »] avoit une jambe plus courte que l’autre d’un doigt ; et si [« pourtant »] l’on n’y recognoissoit rien [« on ne s’en apercevait pas »] ny en sa taille ny en sa vigueur, car ell’ estoit des plus belles et des plus riches. Aussi, pour l’enrichir davantage, il s’habilloit des mieux, et en estoit trés-curieux [« se montrait très soucieux de son élégance »]. C’estoit l’homme du monde qui combattoit à la barriere [dans les joutes ou tournois] le plus vertement [« avec le plus de vigueur »], et le plus ferme et le plus rudement. Ce fut luy le premier qui invanta en ses combatz les revers, qui estoient si estranges [« inhabituels »] et si rudes, que peu les eschappoient qui ne missent les genoux en terre [« rares étaient, parmi ceux qui les esquivaient, les adversaires qui ne se retrouvaient pas à genoux par terre »]. Il estoit aussi bon, adroit, ferme aux combatz de cheval à bon escient [« livrés contre des ennemis »]. Il fut general de l’armée qui vint à Malte pour le second secours [il Gran Soccorso], là où il le faisoit beau voir en sa charge, et n’en abusant point, estant fort doux et gratieux, et mesmes à l’endroict [« surtout à l’égard »] de nous autres François. Il mourut visce-roy de Scicille : j’en parleray ailleurs. Le mémorialiste, transposant un conte folklorique (L’Orma del Leone [« L’empreinte du lion », cf. ἴχνη λέοντος]), a fait de lui le protagoniste de l’anecdote du gant perdu, cf. « Les Dames galantes » au fil des mots 019, p. 12, notes 62 à 86. 1 Monmerqué et Francisque Michel, Théâtre français au Moyen Âge (1839), p. 658.  Le malheur fut tant pour moy que les galleres qui nous tournerent224 ne nous mirent à terre qu’à Terracine225, d’où nous allasmes à Rome, et ne peus tourner en arriere226 ; et aussi que je m’en voulois aller à la guerre en Hongrie227 ; mais, estans à Venise, nous sceusmes la mort du grand sultan Soliman228. Ce fut là où je maudis cent fois mon malheur que ne fusse retourné aussi bien à Naples, où j’eusse bien passé mon temps. Et possible, par le moyen de madite dame, j’y eusse rencontré une bonne fortune, fust par mariage ou autrement : car elle me faisoit ce bien de m’aymer. « ramenèrent » Terracina, dans le golfe de Gaeta, à peu près à mi-chemin entre Rome et Naples. « ne pus retourner en arrière » (une raison possible étant que Terracina faisait alors partie des États pontificaux et Naples, comme on l’a vu, du Regno) 227 allusion au siège de Szigetvár (5 août-8 septembre 1566) par le septuagénaire Soliman. En hongrois, sziget veut dire « île » et vár « château fort, forteresse », fréquent en toponymie. 224 225 226 Brantôme parle de Siguet : Lalanne, I, 90, explique en note par Szigeth ; Siguet également chez Mérimée et Lacour, I, 151 ; Pascal Pia, p. 351 note 2, indique qu’il s’agit de Szegedin ; É. Vaucheret, p. 1427, précise qu’il s’agit de Szeged. Le site fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_Hongrie, dans la partie intitulée « La Petite Guerre de Hongrie (1529-1552) » adopte une formulation qui est source d’ambiguïté : Le 5 août 1566, le sultan Soliman assiège la forteresse de Szigetvár➊ (Szeged➋) […]. Les hyperliens renvoient le 1er à une ville de Transdanubie méridionale (Dél-Dunántúl) située dans le comitat/département de Baranya, le 2e à une ville de la Grande Plaine méridionale (Dél-Alföld), chef-lieu du comitat/département de Csongrád. Szigetvár Szeged À cette confusion géographique s’ajoute une erreur historique : les Ottomans s’emparèrent de Szeged et la réduisirent en cendres en 1526, occupant ce qu’il en restait jusqu’en 1686 ; comment et pourquoi en auraient-ils fait le siège en 1566 ? Les sites hongrois (hu.wikipedia.org/wiki/Szigetvár) et turc (tr.wikipedia.org/wiki/Zigetvar) de Wikipedia n’affichent aucune divergence concernant la ville assiégée, Szigetvár, devant laquelle mourut Soliman. On trouve même des ouvrages de référence pour tomber dans ce piège. Kanuni Sultan Süleyman Han, né en 1495, arrivé au pouvoir le 30 septembre 1520, mort le 6/7 septembre 1566. 228  Je croy que ma malheureuse destinée ne le voulut, et me voulut encore ramener en France pour y estre à jamais malheureux, et où jamais la bonne fortune ne m’a monstré bon visage, sinon par apparence et beau semblant d’estre estimé gallant homme de bien et d’honneur prou229, mais de moyens et de grades point comme aucuns de mes compagnons, voire d’autres plus bas, lesquels j’ay veu qu’ils se fussent estimez heureux que j’eusse parlé à eux dans une cour, dans une chambre de roy ou de reine, ou une salle, encore à costé ou sur l’espaule230, qu’aujourd’huy je les vois advancez comme potirons et fort aggrandis231, bien que je n’aye affaire d’eux et ne les tienne plus grands que moy ny que je leur voulusse deferer232 en rien de la longueur d’une ongle233. Cf. « Les Dames galantes » au fil des mots 002, p. 8, note 60. 230 É. Vaucheret : « En passant, négligemment » 231 « aujourd’hui je les vois élevés dans la société comme (des champignons apparus du jour au lendemain →) des parvenus et très enrichis. » 229 À ce sujet, je me permets de renvoyer à mon billet intitulé Ceci est un « potiron ». Mérimée et Lacour : « On sait que le potiron devient énorme sans acquérir pour cela grand prix. Le dépit de Branthôme lui a fait trouver là une image expressive. » Les commentateurs ont bien vu qu’il y avait une difficulté, mais ils n’en ont pas saisi la nature. 232 « leur céder » Mérimée et Lacour ont lu defier au lieu de deferer et paraphrasent ainsi : « Ni que je veuille les provoquer en rien, pas même du bout du doigt », ce qui impliquerait la construction défier à qqn. a) issu du latin ungŭla, féminin, « ongle » en a longtemps conservé le genre comme, du reste, l’italien unghia, le castillan uña, le catalan ungla, le portugais unha et le roumain unghie : Montaigne ie me trauaillois d’entr’ouuurir mon pourpoinct à belles ongles (car i’eſtoy deſarmé) ; La Fontaine Cela nous fait-il empirer D’une ongle ou d’un cheveu ? 233 b) Brantôme déforme (à dessein ou non) la locution usuelle, cf. Montaigne I’ay peu, me meſler des charges publiques, ſans me deſpartir de moy, de la largeur d’vne ongle ; avant lui l’escholier Limosin : ie reuere les olimpicoles, ie venere latrialement le ſupernel aſtripotent, ie dilige et redame mes proximes, ie ſerue les preſcriptz decalogicques, et ſelon la facultatule de mes vires n’en diſcede la late unguicule. je respecte les habitant de l’Olympe, je vénère avec adoration l’être suprême qui commande aux étoiles, je chéris mon prochain et lui rends amour pour amour, je respecte les dix commandements et en fonction du peu dont mes forces sont capables, je ne m’en écarte pas de la largeur d’un ongle. De même, Calvin : il n’y a pas ſujet que nous devions ſupporter de nous diſtraire de l’Eſcriture Sainte la largeur d’une ongle par aucune authorité des Hommes, ou par la preſcription des années Et encore Fénelon : Et, quand aulx troys chefz de pleincte que je luy avoys deduictz, elle [Elisabeth Ire] s’assuroit fort, pour le regard des deux premiers, que ses ambassadeurs vous y avoient très amplement satisfaict, si les lettres là dessus n’avoient esté perdues, et qu’elle prenoit, sur l’obligation de sa conscience et de la foy qu’elle avoit à Dieu, de ne préjudicier, ny du costé de France, ny du costé d’Escoce, de la largeur d’une ongle, à la teneur du traicté et de la ligue qu’elle avoit avec Vostre Majesté…  Or bien, pour moy en cela je peux bien pratiquer le proverbe que nostre redempteur Jesus-Christ a profferé de sa propre bouche que : « nul prophete en son païs234. » Possible235, si j’eusse servy des princes estrangers aussi bien que les miens, et cherché l’adventure parmy eux comme j’ay fait236 parmy les nostres, je serois maintenant plus chargé de biens et dignitez que ne suis d’années et de douleurs. Patience237 ! si ma Parque m’a ainsi filé238, je la maudis ; s’il tient à mes princes239, je les donne240 à tous les diables, s’ilz n’y sont241. (Marc) « Οὐκ ἔστι προφήτης ἄτιμος εἰ μὴ ἐν τῇ πατρίδι αὐτοῦ καὶ ἐν τοῖς συγγενέσι καὶ ἐν τῇ οἰκίᾳ αὐτοῦ. » Non est propheta sine honore nisi in patria sua et in cognatione sua et in domo sua. Un prophète n’est méprisé que dans sa patrie, parmi ses parents et dans sa maison. 235  « Peut-être » 236 cf. note 73. 237 l’emploi comme interjection n’est pas attesté avant 1548 (Rabelais) ; comme, en l’occurrence, il semble curieux car le reste de l’énoncé n’est pas inspiré par un sentiment de résignation (Mérimée et Lacour : « Ce qui suit ne s’accorde guère avec cette exclamation »), je penche pour un italianisme : Pazienza ! « Tant pis ! ‖ Dommage ! » 238 (voisinage métaphorique d’une Parque païenne et de diables chrétiens, mais cela permet de noyer un certain nombre de poissons : le narrateur maudit son destin en l’imputant à une Parque ; gageons qu’il y regarderait à deux fois avant de maudire Dieu de le lui avoir imposé. Agiter la marionnette païenne, sortie du magasin aux accessoires, lui permet d’épancher sa bile sans commettre de blasphème.) 234 Il étoit une vieille ayant deux chambrieres. Elles filoient si bien que les sœurs filandieres Ne faisoient que brouiller au prix de celles-ci. Nous nous trouvons en présence d’un syncrétisme curieux : nous parlons des Parques, divinités latines, Parcæ, dont pour ainsi dire personne n’est capable de citer les noms (Nōna, Decuma, Morta), alors que Clotho, Lachésis et Atropos (Κλωθώ, Λάχεσις, Ἄτροπος), chargées de filer la destinée de chaque mortel, font partie de la culture, mais il est exceptionnel de les voir désignées — sauf chez les hellénistes — par leur identité collective, les Moires (Μοῖραι). Il faut aussi souligner à quel point la symétrie des triades Moires/Parques est trompeuse, tant les fonctions diffèrent, cf. Joseph-Antoine Hild [1845-1914], art. Fatum dans Daremberg et Saglio. 239 240 « si mon sort a été forgé par mes princes » « je les voue » « [en enfer] s’ils ne s’y trouvent pas déjà » — Brantôme brûle ce qu’il a adoré. Quelle amertume ! 241  Voilà mon conte242 achevé de cette honnorable dame ; elle est morte en une trésgrande reputation d’avoir esté une trés-belle et honneste dame, et d’avoir laissé aprés elle une belle et genereuse lignée, comme M. le marquis son aisné, don Juan, don Carlos, don Cesare d’Avalos, que j’ay tous veus et desquels j’en ay parlé ailleurs243, les filles de mesme ont ensuivy les freres. Or je fais fin à mon principal discours.  « anecdote » dans Les Vies des grands capitaines estrangers ; note de Lalanne : « François-Ferdinand, marquis de Pescaire ; Charles d’Avalos, prince de Montesarchio ; Jean, seigneur de Pomarico et de Montescaglioso ; et César, qui fut chancelier du royaume de Naples. » 242 243 Fin  du  Quatriesme  Discours   Sur  l’amour  des  dames  vieilles   et  comme  aucunes  l’ayment  autant   que  les  jeunes.  
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