n° 141 ~ Septembre 2015
Sommaire Dossier : Archéologie boréale Pour le développement des recherches arctiques coordonné par Claire Alix, Aline Averbouh & Claudine Karlin 3 Claire Alix, Aline Averbouh & Claudine Karlin | Introduction 6 Yan Axel Gómez Coutouly, Brian T. Wygal, Kathryn E. Krasinski & Randolph M. Tedor | À la recherche des premières occupations préhistoriques de l’Alaska dans la vallée de la Tanana (États-Unis)
n° 141
13 Claire Alix, Owen K. Mason, Nancy H. Bigelow, Shelby L. Anderson, Jeffrey Rasic & John F. Hoffecker | Archéologie du cap Espenberg ou la question du Birnirk et de l’origine du Thulé dans le nord-ouest de l’Alaska
19 Rémi Méreuze | La construction de la maison 33 du cap Espenberg (nord-ouest de l’Alaska) au xviiie siècle
25 Angélique Neffe | Faisons parler les pierres. Le jade de la préhistoire récente de l’Alaska
31 T. Max Friesen | The Arctic Char Project: Climate Change Impacts on the Inuvialuit Archaeological Record
38 Claire Houmard | Dorsétiens et Thuléens dans l’Arctique de l’est canadien (~ xiiie siècle apr. J.-C.), quelle modalité de remplacement ?
44 Aline Averbouh | Recherches autour des critères d’identification sexuelle des bois de renne. Constitution d’une collection de référence
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56 Émilie Gauthier, Vincent Bichet, Charly Massa, Typhaine Guillemot, Laurent Millet, Christophe Petit et Hervé Richard | De la déglaciation à l’agriculture moderne : histoire environnementale du sud du Groenland
Sept.
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Les Nouvelles de l’archéologie
Camille Viot | Tous semblables, tous différents. Quelles méthodes pour appréhender le lien entre variabilité et fonction des couteaux ulu ?
n o u v e ll e s d e l ’ a r c h é o l o g i e
Politique de la recherche
Les
63 Hélène Djema | Un décret pour réduire les délais d’instruction des autorisations d’urbanisme : le patrimoine archéologique perdant !
12 euros
ISBN : 978-2-7351-2073-4
Archéologie boréale Pour le développement des recherches arctiques
Les Nouvelles de l’archéologie Sommaire Dossier : Archéologie boréale Pour le développement des recherches arctiques
coordonné par Claire Alix, Aline Averbouh & Claudine Karlin
3 Claire Alix, Aline Averbouh & Claudine Karlin | Introduction 6 Yan Axel Gómez Coutouly, Brian T. Wygal, Kathryn E. Krasinski & Randolph M. Tedor | À la recherche des premières occupations préhistoriques de l’Alaska dans la vallée de la Tanana (États-Unis) 13 Claire Alix, Owen K. Mason, Nancy H. Bigelow, Shelby L. Anderson, Jeffrey Rasic & John F. Hoffecker | Archéologie du cap Espenberg ou la question du Birnirk et de l’origine du Thulé dans le nord-ouest de l’Alaska 19 Rémi Méreuze | La construction de la maison 33 du cap Espenberg (nord-ouest de l’Alaska) au xviiie siècle 25 Angélique Neffe | Faisons parler les pierres. Le jade de la préhistoire récente de l’Alaska 31 T. Max Friesen | The Arctic Char Project: Climate Change Impacts on the Inuvialuit Archaeological Record 38 Claire Houmard | Dorsétiens et Thuléens dans l’Arctique de l’est canadien (~ xiiie siècle apr. J.-C. ), quelle modalité de remplacement ? 44 Aline Averbouh | Recherches autour des critères d’identification sexuelle des bois de renne. Constitution d’une collection de référence 50 Camille Viot | Tous semblables, tous différents. Quelles méthodes pour appréhender le lien entre variabilité et fonction des couteaux ulu ? 56 Émilie Gauthier, Vincent Bichet, Charly Massa, Typhaine Guillemot, Laurent Millet, Christophe Petit et Hervé Richard | De la déglaciation à l’agriculture moderne : histoire environnementale du sud du Groenland
Politique de la recherche
63
Hélène Djema | Un décret pour réduire les délais d’instruction des autorisations d’urbanisme : le patrimoine archéologique perdant !
N° 141 Septembre 2015
En couverture : Banquise et bateaux à Barrow, côte nord de l'Alaska, juillet 2008 (cliché C. Alix).
Rédaction Éditions de la Fondation maison des sciences de l'homme 18, rue Robert Schumann - CS 90003 94227 Charenton-le-Pont Téléphone : 01 53 48 56 37 Courriel :
[email protected] Internet : http://nda.revues.org
Directeur scientifique François Giligny (Université de Paris-I )
Rédactrice en chef Armelle Bonis (Conseil général du Val-d’Oise, direction de l’Action culturelle)
Secrétaire de rédaction Nathalie Vaillant (Fmsh)
Relecture et maquette Virginie Teillet (Italiques)
Comité de rédaction Aline Averbouh (Cnrs, Paris) Olivier Blin (Inrap, Centre / Île-de-France) Christian Cribellier (Direction des Patrimoines, MCC) Séverine Hurard (Inrap, Île-de-France) Claudine Karlin (Cnrs, Nanterre) Sophie Méry (Cnrs, Nanterre) Stéphen Rostain (Cnrs, Nanterre) Nathan Schlanger (École nationale des chartes, Paris) Antide Viand (Conseil général de l'Eure, mission archéologique départementale)
Comité de lecture Peter F. Biehl (State University of New York, Buffalo, États-Unis) Patrice Brun (Université de Paris-I ) Michèle Brunet (Université de Lyon-II ) Joëlle Burnouf (Université de Paris-I ) Noël Coye (Ministère de la Culture, Paris) André Delpuech (Musée du quai Branly, Paris) Bruno Desachy (Epci, Mont-Beuvray) James Enloe (Université d’Iowa, États-Unis) François Favory (Université de Franche-Comté, Besançon) Xavier Gutherz (Université Paul-Valéry Montpellier-III ) Marc Antoine Kaeser (Musée du Laténium, Neuchâtel, Suisse) Chantal Le Royer (Ministère de la Culture, Rennes) Fabienne Médard (Université de Bâle, Suisse) Christophe Moulhérat (École française d’Athènes) Agnès Rousseau (Sra, Bourgogne) Alain Schnapp (Université de Paris-I, Paris) Stéphanie Thiébault (Mnhn, Paris) Élisabeth Zadora-Rio (Cnrs, Paris)
Directeur de publication Michel Wieviorka (Fmsh)
Abonnement Épona Sarl, 82 rue Bonaparte, 75006 Paris. Tél. : 01 43 26 40 41. Fax : 01 43 29 34 88. Courriel :
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Vente http://www.lcdpu.fr/revues/?collection_id=1666 Comptoir des presses, 86 rue Claude Bernard, 75005 Paris. Tél. : 01 47 07 83 27
Les Nouvelles de l’archéologie Revue de la Fondation de la maison des sciences de l’homme, soutenue par la sousdirection de l’archéologie (ministère de la Culture). Les articles publiés, approuvés par le comité de lecture, sont sollicités par le comité de rédaction ou envoyés spontanément par leurs auteurs. Les Nouvelles de l’archéologie proposent régulièrement un dossier de trente à cin quante pages ou des actes de colloques, séminaires, tables rondes, dont les thématiques concordent avec la ligne éditoriale. La revue publie aussi des articles d’actualité et des informations sur la politique de la recherche, l’enseignement et la formation, le financement et les métiers de l’archéologie, les expositions, publications, congrès, films, sites Internet et autres moyens de diffusion des connaissances. Ces dernières sont également mises en ligne, ce qui permet de suivre l’actualité entre deux livraisons.
Recommandations aux auteurs L’article ne peut excéder 25 000 signes, notes et bibliographie comprises. Le nombre maximum d’illustrations est fixé à cinq. Les appels bibliographiques doivent figurer dans le texte entre parenthèses, selon le système (auteur date). Les références complètes doivent être regroupées en fin d’article, par ordre alphabétique et, pour un même auteur, par ordre chronologique. Dans le cas de plusieurs articles publiés la même année par un même auteur, mettre par exemple 2001a, 2001b, 2001c. Les rapports finaux d’opération (Rfo) et les mémoires universitaires sont déconseillés en bibliographie – sauf s’ils n’ont pas encore fait l’objet d’une publication. Les articles sont soumis à une évaluation anonyme par le comité de lecture et relus par le responsable éventuel du dossier. Les auteurs sont tenus d’intégrer les modifications demandées, qu’elles soient d’ordre scientifique ou rédactionnel. Dans le cas d’un article à signatures multiples, la rédaction n’entre en relation qu’avec le premier auteur, à charge pour lui de négocier les corrections avec ses coauteurs. La publication de chaque article est conditionnée par la signature et le renvoi du contrat d’auteur. Le bon à tirer final de chaque numéro est donné par la rédaction des Nouvelles de l’archéologie, qui se réserve le droit d’apporter d’ultimes corrections formelles. Après publication, l’auteur reçoit un exemplaire du numéro et une version pdf de son article.
Présentation des références dans le texte et en bibliographie • (Auteur date, volume : pages). Exemple : (Dumont 1983 : 113-130) ou bien (Lepage 1756, 2 : 223-598). En l’absence d’auteur, remplacer le nom d’auteur par le titre abrégé. Exemple : (Dictionnaire des synonymes… 1992 : 33-46). • Pour les ouvrages : Nom, initiale du prénom. Date. Titre. Lieu d’édition, éditeur, nombre de pages. Ex. : Lothaire, E. 1989. Figures de danse bulgares. Paris, Dunod. • Pour un article dans une revue : Nom, initiale du prénom. Date. « Titre de l’article », titre de la revue, volume, numéro : page à page. Ex. : Glassner, J. 1993. « Formes d’appropriation du sol en Mésopotamie », Journal asiatique, 16, 273 : 11-59. • Pour un article dans un volume d’actes par exemple : Nom, initiale du prénom. Date. « Titre de l’article », in : prénom et nom des directeurs de l’ouvrage, titre de l’ouvrage. Ville d’édition, éditeur : page à page. Ex. : Lemonnier, P. 1997. « Mipela wan bilas. Identité et variabilité socio-culturelle chez les Anga de Nouvelle-Guinée », in : S. Tcherkézoff & F. Marsaudon (éd.), Le Pacifique-Sud aujourd’hui : identités et transformations culturelles. Paris, Cnrs Éditions : 196-227. Dossiers à paraître : Changements climatiques et sociétés passées. Technologies 3D et archéologie. Archéologie de la réclusion. Le n° 141 a été tiré à 450 exemplaires.
Abonnement du 1er janvier au 31 décembre 2015 – 4 numéros : France : 40 euros (étudiants : 36 euros) Étranger : 44 euros (étudiants : 40 euros) Prix au numéro : 12 euros
ISSN : 0242-7702. ISBN : 978-2-7351-2073-4
Dossier
Archéologie boréale Pour le développement des recherches arctiques
Introduction Claire Alix*, Aline Averbouh** & Claudine Karlin***
D
* Maître de conférence, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Umr 8096 Archéologie des Amériques, 3, rue Michelet, 75006 Paris,
[email protected] ** CR1, Cnrs, Umr 7209 Archéozoologie, Archéobotanique : Sociétés, pratiques et environnement - Muséum national d'histoire naturelle, CP56, 55, rue Buffon, 75005 Paris,
[email protected] *** Cnrs, Umr 7041 Archéologies et sciences de l’Antiquité Ethnologie préhistorique,
[email protected]
oté d’une image de pays de glace où les hommes ne peuvent que « survivre », de terre lointaine et difficile d’accès, l’Arctique est aujourd’hui au cœur d’enjeux environnementaux, géopolitiques, énergétiques et sociétaux que le Chantier Arctique français a résumé récemment dans sa prospective pour les cinq ans à venir (Babin & Sansoulet 2014). Dans l’Arctique, en effet, les changements climatiques enregistrés sont spectaculaires et sont directement et empiriquement ressentis par les populations locales depuis plusieurs décennies (par ex. Krupnik & Jolly 2002 ; Collignon 2011). Dans un tel contexte, un numéro des Nouvelles de l’archéologie consacré à l’archéologie de ces hautes latitudes vient à point pour présenter la dynamique d’une recherche encore jeune en France et pourtant d’autant plus urgente que sont grands les risques encourus par les vestiges archéologiques, fortement menacés par ces changements et leurs conséquences plus ou moins directes tels les développements industriels et un tourisme grandissant. Mais il est un autre fait d’importance que révèlent ces recherches : la richesse de l’histoire culturelle dans ces milieux septentrionaux et sa relative ancienneté soulignent l’ingéniosité des sociétés humaines pour s’adapter à des territoires apparemment hostiles. On ne rappellera jamais assez l’écart énorme entre les descriptions occidentales d’un environnement arctique inhospitalier et la vision que les Inuit ont de leur propre territoire, « un milieu exigeant, mais riche, favorable à l’implantation humaine et au développement » (Collignon 2011 : 142). Les neuf articles présentés ici ont pour cadre géographique le grand Nord du continent américain, depuis l’intérieur et les côtes de l’Alaska jusqu’au Groenland en passant par l’Arctique canadien. Il s’agit d’une vaste zone qui, avec des spécificités régionales marquées, se caractérise historiquement par une remarquable homogénéité environnementale et culturelle. Ces textes rendent compte à la fois de projets collaboratifs souvent internationaux (Gómez Coutouly et al., Alix et al., Friesen, Gauthier et al., Averbouh) et de recherches ponctuelles réalisées dans un cadre plus individuel mais toujours d’envergure (Houmard, Neffe, Méreuze, Viot). En effet, dans ce dossier que nous voulions d’actualité sur les recherches menées dans ces hautes latitudes, il nous a paru important d’évoquer à la fois des programmes en cours de réalisation, voire achevés, présentant des analyses assez poussées, et d’autres plus récents, voire débutants, qui, de ce fait, sont moins fournis sur le plan des résultats mais construits autour de problématiques représentatives des développements récents de la recherche. Bien sûr, d’autres projets sont en cours dans la région. Pour diverses raisons, ils n’ont
Les Nouvelles de l’archéologie no 141 – Septembre 2015
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D os s i er Archéologie boréale pu être évoqués dans ce numéro et les articles publiés ici n’abordent donc que certains aspects de la dynamique archéologique dans l’Arctique. Les thèmes couverts sont multiples mais ils se recoupent et forment un fil d’Ariane courant entre ces pages autour de questions liées au peuplement, aux changements climatiques, à la technologie culturelle ou encore à l’élaboration et/ou l’application de méthodes d’analyse spécifiques, adaptées à ces problématiques. Ainsi sont abordées les modalités de peuplement de régions jusque-là largement inhabitées (Gómez Coutouly et al.) ou localement et temporairement abandonnées (Alix et al., Gauthier et al.), ou pour lesquelles la question du vide de population lors de l’établissement d’une nouvelle tradition culturelle reste en partie posée (Houmard) et est débattue parfois vivement (Park 2000 ; McGhee 2009). Une chose pourra étonner les lecteurs habitués sans doute à des paradigmes de diffusion plus ou moins progressive de traits culturels et de techniques : qu’il s’agisse de la recherche des premiers établissements humains sur le continent américain (Gómez Coutouly et al.), de l’origine de la culture inuit (Alix et al.), de la colonisation de l’Arctique canadien (Houmard) ou de la colonisation norroise depuis l’Europe vers le Groenland (Gauthier et al.), ces questions font souvent appel à des modèles de migrations de population et de déplacements humains plutôt qu’à la diffusion de traits culturels. Si l’histoire de la recherche arctique n’est pas sans impact sur ces interprétations, ce sont d’abord les vestiges archéologiques qui nous renseignent. Ainsi en estil de la migration thuléenne, pour laquelle l’extrême rapidité avec laquelle on retrouve, dans divers endroits de l’Arctique, une même culture identifiée par son matériel à fort caractère occidental témoigne de l’arrivée rapide de groupes humains dans le Haut Arctique oriental. Les recherches récentes en paléogénétique viennent aujourd’hui corroborer cette interprétation (Raghavan et al. 2014). Sans entrer dans le vieux débat entre « migrationisme » et diffusionnisme, précisons que les vides géographiques, les abandons volontaires (ou non) et les migrations de groupes humains sont bien connus à l’échelle historique dans l’Arctique (par ex. Mary-Rousselière 1980), à commencer par les sagas médiévales relatant la colonisation norroise du Groenland depuis l’Islande. De manière dialectique, ces exemples de migration et de mouvements de personnes servent souvent de fondements aux différents modèles de peuplement proposés pour interpréter les données archéologiques (par ex. Krupnik & Chlenov 2009). Les changements climatiques marquent l’environnement arctique, son histoire culturelle et celle de son peuplement de façon totalement imbriquée. Pour autant, si les recherches environnementales (Gauthier et al.) fournissent aujourd’hui des séquences paléoclimatiques de plus en plus précises et détaillées, celles-ci restent encore à affiner dans des régions comme le nord-ouest de l’Alaska, ce que s’efforcent de réaliser des projets comme celui du cap Espenberg (Alix et al.). L’observation des effets du changement climatique actuel nous conduit bien sûr à travailler sur les capacités d’adaptation des sociétés. Mais elle nous oblige aussi à réfléchir à une politique de sauvegarde du patrimoine archéologique. Le programme conduit dans la région du delta du Mackenzie, dans l’Arctique occidental canadien, pose justement la question de l’impact
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de la fonte du pergélisol et d’une plus grande érosion sur les sites principalement côtiers de sa région d’étude (Friesen). Les raisons actuelles de s’inquiéter sont donc réelles, mais cette situation nous renvoie aussi au rôle des périodes de réchauffement passées sur la mauvaise préservation des vestiges organiques antérieurs à 2 000 ans, alors qu’elle est généralement excellente pour les deux derniers millénaires. Les recherches, notamment celles que présentent les jeunes chercheurs dans ce numéro, montrent le développement grandissant d’approches qui combinent la prise de données archéométriques et technologiques avec l’utilisation des informations ethnographiques ou ethno-archéologiques pour étudier certains matériaux et répondre à des questions de savoir-faire et de fonction (Neffe, Méreuze, Viot). Ainsi, la mise en évidence de la chaîne opératoire de construction d’une maison en bois permet d’aborder la complémentarité des savoirs et l’action coordonnée du groupe dans la réalisation de cet acte technique au centre du lien social d’une communauté (Méreuze). De même, l’importance de la jadéite et la difficulté de sa transformation en outil semblent aller de pair avec la valeur du matériau et le statut social de ceux qui savent le travailler (Neffe). C’est l’analyse de la sélection des matériaux et des choix techniques mis en œuvre qui permet de mieux comprendre la fonction de certains objets (Méreuze, Viot, Houmard, Neffe). Pour un outil – le ulu –, devenu au fil du temps un véritable symbole culturel et identitaire, une approche innovante est élaborée pour interroger son rôle en tant qu’outil multi fonctionnel et courant qui s’accompagne d’une persistance de son importance (Viot). D’autre part, discontinuités et/ou continuités dans les façons d’opérer entre les deux traditions culturelles bien distinctes, auxquels appartiennent les Dorsétiens et les Thuléens, sont évoquées grâce à l’identification de certaines techniques utilisées pour le débitage et le façonnage des outils en matières osseuses (Houmard). Ces discontinuités/ continuités dans les techniques et l’économie sont recherchées cette fois à une échelle très locale au cours des 10 000 ans minimum d’occupations de la vallée du Tanana dans l’intérieur de l’Alaska (Gómez Coutouly et al.). Enfin, l’effort de mise en place de référentiels pour aider à l’analyse des vestiges archéologiques est à souligner. La complexité des propriétés d’un matériau tel que le bois de renne ou de caribou, et de sa réaction aux différentes contraintes auxquelles il est susceptible d’être soumis rappelle qu’il est essentiel de comprendre ce qui fait varier sa qualité si l’on veut réellement s’approcher des questions de choix (Averbouh). La mise en place d’un programme de prospection des sources de jade du nord-ouest de l’Alaska pour comparer les propriétés des matériaux distribués sur de courtes distances va aussi dans ce sens (Neffe). Cette série d’articles dont la présentation suit à la fois un ordre géographique et thématique donne un aperçu des problématiques et des spécificités de la recherche archéologique en milieu arctique que développent des chercheurs français et canadiens, en étroite collaboration bien sûr avec d’autres chercheurs américains, canadiens, groenlandais et danois. En Arctique, l’équilibre est fragile entre un environnement rigoureux et des sociétés humaines qui ont su l’exploiter et l’exploitent encore aujourd’hui. L’archéologie montre que
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Claire Alix, Aline Averbouh & Claudine Karlin | Introduction l’adaptation à ce milieu riche et exigeant n’est pas récente, remontant au moins à 4 500 ans le long du littoral. Les Inuit aujourd’hui, comme probablement par le passé, sont à l’écoute d’un environnement changeant et adaptent leurs décisions en conséquence (Krupnik 2006 ; Collignon 2011). La persistance de l’occupation humaine depuis plusieurs millénaires témoigne de ce rapport intime au milieu arctique et à ses variations. Les nouvelles mutations somme toute drastiques auxquelles l’Arctique fait face aujourd’hui font de ces régions un laboratoire d’étude grandeur nature des interactions entre sociétés humaines et environnement, laboratoire que l’archéo logie inscrit dans une dimension historique. L’Arctique tient d’ailleurs une place grandissante dans la politique de la recherche, en France comme à l’étranger. À travers ce numéro, nous espérons attirer l’attention de nos collègues archéologues autour de ces thématiques majeures et motiver la poursuite du développement des recherches dans ces régions de hautes latitudes.
Remerciements La publication de ce dossier « Archéologie boréale » a bénéficié de la constitution d'un comité de lecture : chaque article a été revu par les éditrices (Cl. Alix, A. Averbouh C. Karlin), le secrétariat d'édition (N. Vaillant) et l'un des rapporteurs extérieurs suivants : Ch. Andrieu, M. Biard, P. Biehl, B. De Sachy, J. Enloe, F. Giligny, D. Kuntz, Ch. Leroyer, J.-M. Pétillon, S. Rostain. Qu'ils soient ici remerciés pour leur aide et leur participation efficaces.
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Références bibliographiques Babin M. & Sansoulet J. (éd.). 2014. Bilan et prospective 2015-2020 du Chantier Arctique Français, Cnrs, Paris. Collignon B. 2011. « Les Inuits et le changement climatique », in : M. Tabeau & A. Kislov (éd.), Le changement climatique. Europe, Asie septentrionale, Amérique du Nord. 4e Dialogues Européens d’Evian, Eurcasia, Allonzier : 141-151. Krupnik I. 2006. « We Have Seen These Warm Weather Before. Indigenous Observations, Archaeology, and the Modeling of Arctic Climate Change », in : J. Arneborg & B. Grønnow (eds.), Dynamics of Northern Societies. Proceeding of the SILA/NABO Conference on Arctic and North Atlantic Archaeology, Publications from the National Museum, Copenhagen : 11-22. Krupnik I. & Chlenov M.A. 2009. « Distant lands and brave pioneers: original Thule migration revisted », in : B. Grønnow (ed.), On Track of the Thule Culture from Bering Strait to East Greenland, Papers in honour of Hans Christian Gulløv, Publications from the National Museum, Copenhagen (Studies in Archaeology & History, 15) : 11-23. Krupnik I. & Jolly D. 2002. The Earth Is Faster Now: Indigenous Observations of Arctic Environmental Change. Arctic Research Consortium of the United States, Fairbanks. Mary-Rousselière G. 1980. Qitdlarssuaq, l’histoire d’une migration polaire. Presses de l’Université de Montréal, Montréal. McGhee R. 2009. « Why and When did the Inuit Move to the Eastern Arctic? », in : H.D. Maschner, O.K. Mason & R. McGhee (eds.), The Northern World AD 900 – 1400, University of Utah Press : 155-163. Park R. 2000. « The Dorset-Thule succession revisited », in : M. Appelt, J. Berglund & H.C. Gulløv (eds.), Identities and cultural contacts in the Arctic. Proceedings from a Conference at the Danish National Museum, Copenhagen, The Danish National Museum & Danish Polar Center, Copenhagen : 192-205. Raghavan M., DeGiorgio M. & Albrechtsen A. et al. 2014. « The genetic prehistory of the New World Arctic », Science, 345, 6200.
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La construction de la maison 33 du cap Espenberg (nord-ouest de l’Alaska) au xviiie siècle Rémi Méreuze* Introduction
D
* Doctorant, Université Paris 1 Panthéon‑Sorbonne, Umr 8096 ArchAm, Archéologie des Amériques,
[email protected]
epuis que Mauss & Beuchat (1904) ont décrit les populations inuit comme seminomades, vivant en général l’été dans des tentes et passant l’hiver dans des maisons semi-enterrées, les chercheurs ont continué d’utiliser ce modèle dans l’ensemble de l’Arctique américain. Dans les récits ethnographiques, la construction de ces maisons, la récupération des matériaux, leur travail ainsi que l’assemblage de tous ces éléments étaient décrits comme des événements rassemblant la famille, le groupe et le village. Récemment, plusieurs maisons semi-enterrées ont été fouillées sur le site du cap Espenberg (Hoffecker & Mason 2010), dont la maison 33 (F33) qui date du xviiie siècle apr. J.-C. (cal. 1675-1778 - Beta-286170, cal. 1675-1778 - Beta-343354) (fig. 1). Celle-ci fait l’objet de recherches tant sur son mobilier que sur son apparence globale (Darwent et al. 2013). À travers l’étude de son architecture et l’analyse des techniques de construction, nous tenterons de discuter des enjeux sociaux liés aux techniques mises en œuvre pour son élévation. Pour atteindre cet objectif, nous avons procédé à l’identification des matériaux utilisés, la caractérisation des empreintes d’outils encore présentes sur le mobilier archéologique et la modélisation d’une chaîne opératoire de construction de la maison 33.
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D os s i er Archéologie boréale
100 m
TUNNEL D’ENTRÉE
0
Mer des Tchouktches
Baie de Kotzebue
KATAK
fond de carte : GINA 2015
Dépressions dans le sol observées en prospection. Pour la plupart, elles correspondent aux maisons d’hiver.
PIÈCE PRINCIPALE
Mer des Tchouktches
OCÉAN GLACIAL ARCTIQUE
Mer de Béring
0
100
200 km
N
fond de carte : Google Earth 2013
Mer de Béring
OCÉAN PACIFIQUE
Bois de feuillus
1 mètre
Bois de conifère
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Fig. 1 – Localisation et vue satellite du site du cap Espenberg avec l’emplacement des maisons fouillées récemment (d’après Hoffecker & Mason 2010) et plan de la structure 33 (relevés C. Darwent et C. Alix, DAO S. Éliès et R. Méreuze).
Techniques de construction de la maison 33 Caractéristiques générales des maisons thuléennes de l’Arctique occidental Dans l’Arctique nord-américain occidental, les maisons liées à la culture de Thulé1 possèdent des caractéristiques communes malgré certaines varia1. tions dans leur forme ou La culture de Thulé est directement leur organisation spatiale antérieure aux Inuit. Elle apparaît autour du détroit de Béring entre le xie et (Slaughter 1982 ; Giddings le xiie siècle avant de s’étendre dans & Anderson 1986 ; Friesen l’ensemble de l’Arctique nord-américain 1999). Toutes ces strucau xiiie siècle. tures sont semi-enterrées et composées majoritairement d’une armature en bois à laquelle sont parfois ajoutés des os de baleine. Le tout est recouvert de tourbe et de terre végétale, comme l’expliquent les descriptions ethnographiques du xixe siècle (Murdoch 1988). L’entrée se fait par un tunnel plus profond que le sol de la pièce principale. La jonction entre le tunnel et la pièce est marquée par un katak, sorte de marche de 20 à 30 centimètres de haut (Young 2000). Ce dispositif « tunnel/katak » agit comme un piège bloquant le froid qui stagne au fond du tunnel. Ces maisons possèdent toutes
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une plateforme de couchage surélevée et située dans la pièce principale. Á l’instar de ces descriptions, la maison 33 présente bien ces éléments (fig. 1). En revanche, leur conservation n’est pas uniforme. Dans la pièce principale, le sol et la base des murs, tous composés de bois, étaient encore présents lors des fouilles alors que la plateforme de couchage n’était plus signalée que par un vide dans la structure. Dans le tunnel, plus profond, les éléments structurels étaient mieux préservés du fait du pergélisol et conservaient une certaine hauteur. Plusieurs os de baleine y ont été trouvés. Des dorsales étaient en hauteur et le katak en comportait également une. Sur l’ensemble de F33, la toiture n’a pas été conservée.
Les matériaux de construction : sélection des essences de bois flotté Géographiquement, le cap Espenberg est situé au nord de la ligne de l’arbre, limite qui marque le début de la toundra, une végétation rase dont les plus grands éléments sont des arbustes nains. Les grumes employées dans la construction des maisons provenaient donc principalement de bois d’origine flotté, mode d’acquisition qui correspond à celui de la majorité du bois utilisé par les Thuléens (Alix 2009).
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Rémi Méreuze | La construction de la maison 33 du cap Espenberg au xviiie siècle
Répartition des essences 60
Tunnel d’entrée N = 68
30 0
Pièce principale N = 75
60 30 0 120
Total N = 143
80 40 0
Picea sp./ Larix sp.
Populus sp./ Salix sp.
Betula sp.
sur la structure de la maison, les sols, les murs, mais aussi la toiture effondrée, localisés sur les plans. Cette étude a permis de comprendre la sélection des essences de bois utilisées pour la construction de la maison. Sur 150 échantillons prélevés, 143 ont été identifiés. La charpente de la maison 33 montre une forte corrélation entre les essences disponibles dans les dépôts naturels et celles employées dans sa construction. Ainsi, la majorité de la structure se compose d’épicéas (Picea sp.). Des feuillus sont tout de même présents comme le peuplier (Populus spp.) et le saule (Salix spp.) (fig. 2). L’analyse de la répartition spatiale de ces essences est la plus révélatrice des choix intervenus dans la construction de la maison 33. En effet, le tunnel présente une plus grande diversité d’essences que la pièce principale (fig. 2). À cette première différence technique entre les deux parties de la maison viennent s’ajouter les différences dans les modes de débitage.
Débitage des grumes Formes de débitage des grumes
Rondins
Demi-rondins
Quarts de rondins
Planches Planches
(débitage (débitage sur quartier) sur dosse)
Tunnel d’entrée
Pièce principale
Total
es
nch
Pla
ins
nd
Ro
m
De
ins
nd
i-ro
s e iné sd rm art ins e u t Q nd é Ind ro
Fig. 2 – Répartition des essences et des formes des bois dans la structure F33.
Dans l’Arctique occidental, les dépôts naturels de bois contiennent en majorité des conifères, des épicéas [épinette blanche, Picea glauca (Moench.), épinette noire, Picea mariana (Mill.)] et, dans une moindre mesure, des feuillus comme le bouleau (Betula spp.) et le saule (Salix spp.) (Alix 2004). L’identification des essences a été réalisée par Claire Alix et l’auteur, au laboratoire de l’Alaska Quaternary Center de l’University of Alaska Fairbanks. L’échantillonnage de chaque élément ligneux retrouvé en contexte de fouille a surtout porté
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Les bois sont classés selon leur forme : - les rondins, lorsque les grumes n’ont pas été fendues longitudinalement ; - les demi-rondins, des grumes simplement fendues en deux ; - les quarts de rondins, des demi-rondins à nouveaux fendus en deux ; - les planches, dont le débitage aboutit à un élément fin et relativement plat sur ses deux faces. C’est à nouveau la répartition spatiale des modes de débitage qui nous offre le plus d’éléments d’analyse. À l’inverse des essences, une plus grande variabilité des formes est retrouvée dans la pièce principale alors que le tunnel comporte surtout des rondins (fig. 2), ce qui s’explique notamment par la présence du plancher. Les essences et les modes de débitage correspondent aux types d’éléments et aux propriétés mécaniques appliquées à la construction d’une maison thuléenne. Le tunnel d’entrée est principalement constitué d’éléments verticaux qui viennent le soutenir, formant alors les murs. Souvent, ces éléments porteurs doivent être aussi peu débités que possible afin d’offrir une meilleure résistance à la pression qui s’exerce sur eux dans le sens de la longueur (Hodara 2005). En revanche, le sol de la pièce principale est recouvert d’un plancher, ce qui nécessite de débiter les grumes en planches (la répartition entre débitage sur dosse et sur 2. Ce qui peut être expliqué par le fait quartier est à peu près égale que les conifères sont les bois les entre les deux catégories ; voir plus faciles à fendre (Hoadley 2000). fig. 2). La pièce principale contient une plus forte proportion d’épicéas, due à la fabrication du plancher2, alors que les bois de feuillus, moins faciles à fendre, sont plus nombreux dans le tunnel.
Restitution d’une chaîne opératoire pour la construction de la maison 33 Comment la maison 33 a-t-elle été construite ? Comment les étapes de sa construction se sont-elles succédé ? Quel système, social et technique, peut être défini d’après les données existantes ? La restitution de la chaîne opératoire, concept pivot
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D os s i er Archéologie boréale
RÉCUPÉRATION DE LA MATIÈRE PREMIÈRE ET PRÉPARATION DU TERRAIN
TRAVAIL DES MATÉRIAUX
ASSEMBLAGE ET MONTAGE DE LA MAISON
fendage. Il est donc possible, bien que non prouvé, qu’une première étape de Couverture en fendage longitudinal des grumes ait été tourbe réalisée à proximité des dépôts de bois. Cette hypothèse est le résultat d’une première réflexion par rapport aux Bouchage des cavités différents débitages de grumes de la Récupération de la par du sable tourbe maison 33. D’après les données expérimentales réalisées sur le fendage des Assemblage de la charpente bois dans d’autres contextes (Pillonel Montage du tunnel de la pièce principale 2007 ; Épaud et al. 2009), celui-ci est plus facilement contrôlable et régulier si les billes ont d’abord été débitées dans Débitage transversal un sens transversal. Fendre un bois sans des bois dans la fosse l’avoir « raccourci » est une opération plus complexe et plus risquée, ce qui rend cette séquence du travail du bois à Fendage des Espenberg « illogique ». Un premier fengrumes ? Creusement de la dage pour alléger les bois avant de les fosse débiter transversalement sur place au fur Stockage et à mesure, afin d’adapter leur longueur durant la construction, pourrait être une Activités dans la fosse Récupération des bonne justification de cet ordre des faits Activités sur le rivage grumes sur le rivage techniques. - L’assemblage des éléments de structure. La différence de techniques de montage entre la pièce principale et le tunnel Fig. 3 – Les différentes étapes de la construction de la maison 33. d’entrée pourrait correspondre à deux phases distinctes de construction. de l’anthropologie des techniques, apporte ici quelques éléa) La pièce principale, avec sa plateforme de couchage, a été ments de réponses. montée sur un premier socle de sablière basse (fig. 1), ce qui Les différentes étapes sont assez simples à repérer si l’on se a permis de maintenir la stabilité de la structure élevée à parconcentre uniquement sur les données techniques (fig. 3). tir de cette sablière. Par comparaison avec d’autres structures - La récupération des grumes se fait dans les amas de bois archéologiques du même type (Slaughter 1982), ces éléments flottés, sur les rivages. Pour la maison 33, cette activité a eu bas étaient emboîtés (un peu à la manière des colombages de lieu directement sur la plage, au pied de la dune la plus proche l’Europe moderne) et, le plus souvent, creusés d’une légère de la mer. Ce premier acte est, du point de vue chronologique, tranchée sur leur face supérieure, dans laquelle étaient calés indépendant des autres car il peut être réalisé longtemps avant les éléments verticaux formant les parois intérieures, planches la construction de la maison, au moment de l’arrivée des bois et demi-rondins. flottés. b) Les murs du tunnel ne reposent pas sur des sablières basses. - Le creusement de la fosse précède l’installation de la maiLes poteaux sont directement plantés de part et d’autre du son. Les profils relevés lors des fouilles ne permettent pas de creusement. Aucune pièce transversale n’a été trouvée au fond déterminer s’il y a une différence technique ou chronologique du tunnel permettant de maintenir verticalement les parois entre le creusement de la pièce principale et celui du tunnel. du tunnel. Ce rôle a pu être joué par les éléments du plafond, - Le débitage des grumes : lors des fouilles du cap Espenberg, comme cela semble avoir été le cas à Agiagruat, un autre site certains indices ont permis de comprendre où ce travail avait proche du cap Espenberg (Young 2000). Les sols des tunnels eu lieu. Comme sur d’autres sites archéologiques du nord de d’entrée sont, le plus souvent, laissés nus avant d’être recoul’Alaska, des déchets de débitage ont été trouvés entre les éléverts par des déchets des différentes activités domestiques. ments architecturaux, ayant au moins servi de calage, sinon Une particularité du tunnel de la maison 33 est la planche d’aide à l’isolation des murs (Ludwig 1991). La présence de massive en peuplier (Populus sp.) qui recouvre son sol. Pour tels déchets indique qu’ils étaient là dès l’assemblage de cette obtenir cet élément, la grume initiale a été fendue sur dosse, maison, dans le chantier de sa construction. Le débitage des puis la face supérieure de la planche obtenue a été régularigrumes a donc pu être réalisé sur place, dans la dépression sée, probablement à l’herminette, laissant une planche plane préalablement creusée. Pour le savoir, il faudrait étudier les de 33 cm de large servant de sol pour le tunnel d’entrée. déchets et les comparer avec les empreintes d’outils visibles - Le vide entre les murs et l’extérieur a été en partie comblé sur les éléments architecturaux. En revanche, certaines pièces par du sable. La toiture a pu être recouverte de tourbe, comme ont montré, d’après les empreintes d’outils encore visibles, le décrivent les sources ethnographiques (Spencer 1959 ; que leur sectionnement transversal avait été fait après leur Burch 2006).
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Rémi Méreuze | La construction de la maison 33 du cap Espenberg au xviiie siècle Fenêtre Pièce principale
Entrée Katak
Tunnel d’entrée 0
Fig. 4 – Coupe d’une maison traditionnelle du nord-ouest de l’Alaska, d’après Murdoch (1892).
Plateforme de couchage
2m
Charpente (principalement en bois, peut contenir des os de baleine)
Couverture en tourbe
La construction d’une maison, une activité sociale Modèles ethnographiques À partir du début du xixe siècle, les premiers explorateurs ont visité la région du cap Espenberg et décrit sa population, ce qui facilite le recours à l’analogie ethnographique, la maison 33 datant du xviiie siècle. Mises en parallèle avec les informations archéologiques, ces observations nous ont permis d’appréhender le contexte social dans lequel F33 a pu exister. Par son plan au sol et les vestiges de sa forme, la structure 33 correspond à la maison de type Barrow dont la coupe est représentée dans la figure 4, observée par les ethno graphes aux xixe et xxe siècles (Murdoch 1988 ; Slaughter 1982). C’est le type d’habitat d’hiver le plus répandu dans l’Arctique occidental (Lee & 3. Reinhardt 2003). Ces maiInupiaq (sg.), Inupiat (pl.) : les Inupiat sons sont aussi liées aux sont les Inuit qui vivent actuellement en Alaska. villages inupiat3 d’Alaska, considérés comme les plus grands et les plus pérennes dans le monde inuit traditionnel (VanStone 1984). Les quelques descriptions des occupations du cap Espenberg qui nous sont parvenues mentionnent des regroupements allant de une à une dizaine de maisons en moyenne (Schaaf 1995). F33, d’après les prospections du site KTZ-088, faisait partie d’un ensemble de quatre ou cinq maisons proches (Darwent et al. 2013), orientées dans la même direction, leurs tunnels d’entrée tournés vers la mer, contrairement à la plupart des autres maisons du site (fig. 1).
Comment fut construite F33 ? Les étapes de construction de la maison 33 impliquent des connaissances et des niveaux d’expérience avancés. Plusieurs domaines de compétences liés aux différents matériaux exploités sont nécessaires. - Le bois est un élément central de la construction d’une maison. Sa sélection, de même que la maîtrise de son travail, démontrées par l’étude des essences et leur répartition dans la charpente, soulignent la nécessité d’un apprentissage, voire d’une spécialisation. - La sélection d’un bois peut se faire d’après son aspect, mais surtout d’après les capacités techniques que l’artisan le
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Sable
soupçonne de posséder (Alix 2007). D’ailleurs, comme noté par Giddings (1942), les Inupiat « testaient » souvent le bois d’un coup d’herminette ; la réaction mécanique de la grume (sa souplesse et son élasticité) comme le son produit étaient autant d’indices pris en compte. Le travail du bois était normalement fait par ceux qui le sélectionnaient (Burch 2006). - Le creusement de la fosse devait employer plusieurs personnes. Lors des fouilles au cap Espenberg, très peu d’« effondrements » ont été repérés dans la stratigraphie, ce qui laisse penser que le temps entre le 4. creusement et l’installation Lors des fouilles, nous avons nousde la charpente était assez mêmes pu constater que des blocs de court4. sable s’effondraient souvent au bout - Comme pour le creusement d’une semaine. de la fosse, la récupération de la tourbe était aussi une activité de groupe qui ne nécessitait pas forcément une expertise concrète mais la coopération de plusieurs individus (Spencer 1959). En comparant les données archéologiques et les descriptions ethnographiques, on peut supposer que plusieurs familles se sont regroupées pour construire une maison telle que F33. En effet, la simultanéité de certaines des activités (fig. 3), ainsi que le partage des tâches traditionnelles dans les sociétés inuit suggèrent un rapprochement entre au moins deux familles, ce qui correspond aux données ethnographiques (Burch 2006). Les rassemblements en villages pouvaient ainsi permettre la construction d’une ou plusieurs maisons par an, au début de l’automne.
Des maisons, un village D’après les modèles ethnologiques, les maisons inuit était équipées de plateformes de couchage servant chacune, le plus souvent, à accueillir une famille nucléaire (Spencer 1959). La maison 33, comme toutes les maisons de type « Barrow », possédait une plateforme et il est probable qu’une seule famille y vécut. Selon Spencer (1959), les deux premiers niveaux de la société inupiaq étaient la famille nucléaire puis le groupe, qui pourrait être assimilé au village. Le regroupement de ces villages correspondait au territoire, voire à la nation selon Burch (1998). Les modèles anthropologiques proposés par Mauss & Beuchat (1904) ou par Burch (2006) définissent le rassemblement d’hiver comme nécessaire aux activités cynégétiques
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D os s i er Archéologie boréale des Inuit. Par exemple, la chasse aux mammifères marins ou la construction des embarcations ont toujours été décrites comme réalisées en groupe. Dans les zones d’habitats dispersés comme au cap Espenberg, les familles spatialement éloignées étaient liées entre elles à travers ces activités saisonnières (Burch 1998). Il en est de même pour la construction des maisons qui apparaît comme une activité collective et saisonnière rassemblant toutes les familles nucléaires qui composent le village. Les connaissances techniques nécessaires à la construction de chaque maison, mises en évidence avec l’étude de la maison 33, ainsi que le besoin de construire en un temps réduit (Burch 2006), donnent à penser qu’un grand nombre de personnes était nécessaire pour réaliser les différentes tâches. Dans une société aussi structurée et hiérarchisée que celle des Inupiat d’Alaska (Burch 2006), comment considérer cette pratique collective à destination d’une famille individuelle ? Ici, la construction d’une maison souligne l’interdépendance entre les individus d’un même groupe, une façon de créer et de rendre pérenne une société. La construction de la maison d’hiver régie par le groupe apparaît alors comme une activité qui le consolide socialement et où l’individu est promu comme « sujet social » (Godelier 2007). La fabrication de l’habitat est ainsi garante de la société et de la tradition sociale (Cresswell 2003). Cette conception de la maison est d’ailleurs définie par Levi-Strauss : « La maison est d’abord une personne morale, détentrice ensuite d’un domaine composé de biens matériels et immatériels. Par immatériel, j’entends ce qui relève des traditions, par matériel, la possession d’un domaine réel [...] » (Lamaison & Lévi-Strauss 1987 : 34).
La maison est donc à la fois un élément de la culture matérielle et un objet social. La construction de la maison inupiaq par la communauté, habitée par son unité sociale la plus réduite, la famille, sert autant d’activité sociale qui fédère le groupe que de vecteur des techniques et des traditions, figurée par l’objet matériel qu’elle est et les activités qui y sont pratiquées.
Une famille inupiaq au xviiie siècle La construction d’une maison d’hiver était un événement important de la vie sociale des Inuit. Elle exigeait de réunir de nombreuses personnes dont certaines possédaient des connaissances techniques précises. L’étude de la maison 33 du cap Espenberg révèle, notamment, une utilisation méthodique du bois. Le choix des essences ou leur utilisation dans la structure sont autant d’indices montrant que les matériaux ne sont pas utilisés par hasard. Avec des individus aux connaissances approfondies, une force de travail réunissait les habitants d’un même regroupement d’hiver. Les habitants de cette maison étaient ainsi insérés dans un système social à une échelle locale, le village. Au sein de ce village, une famille inupiaq a construit sa maison avec l’aide de son groupe, une centaine d’années à peine avant les bouleversements du Contact.
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Les Nouvelles de l’archéologie no 141 – Septembre 2015
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Faisons parler les pierres Le jade de la préhistoire récente de l’Alaska Angélique Neffe* Introduction
A
* Doctorante en archéologie de l’Arctique, ArchAm, Umr 8096, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne,
[email protected]
ujourd’hui en Alaska, les magasins de souvenirs proposent souvent un vaste choix de bijoux et d’éléments décoratifs en jade. La valeur commerciale de ce matériau est attestée bien avant l’arrivée des explorateurs des xviiie et xixe siècles. En effet, des parures, des objets décoratifs, mais surtout des outils en jade étaient produits et échangés entre l’intérieur et la côte dès la première moitié du iie millénaire apr. J.-C. Au ier millénaire apr. J.-C., plusieurs entités culturelles interagissaient dans le détroit de Béring et se partageaient les ressources maritimes et terrestres dans un contexte de mobilité, de migration et d’organisation sociale et économique de plus en plus complexe. On observe ainsi une intensification de la chasse à la baleine, des indices de conflits armés, un nombre croissant de structures de stockage et des changements dans la taille des campements, interprétés comme des variations démographiques (Mason 1998). En termes de relations économiques, des indices de circulation des techniques, des objets et des matières premières comme l’obsidienne (Clark & McFadyen 1993), la céramique (Anderson et al. 2011), le fer et le bronze (Hoffecker & Mason 2011) témoignent d’un réseau d’échange étendu jusqu’en Asie. Vers l’an mille, ce contexte culturel est marqué des deux côtés du détroit de Béring par des groupes à forte identité régionale, dont le Birnirk (600-900 apr. J.-C.) et le Punuk (650-1100 apr. J.-C.), à l’origine de la culture de Thulé (Mason & Bowers 2009), ancêtre direct des Inupiat du nord de l’Alaska (Ford 1959). L’outillage en jade fait son apparition dans les sites du nord-ouest de l’Alaska au xiiie siècle apr. J.-C. L’exploitation de cette matière devient d’un coup prépondérante dans les premières occupations du Thulé occidental sur la côte et le long du fleuve Kobuk (Giddings & Anderson 1986) et peut être décrite comme une signature culturelle. Dès lors, et jusqu’au début du xixe siècle, cet outillage compte parmi les assemblages les plus répandus, après ceux fabriqués en ardoise et en chert (Giddings 1952). Pourtant, son rôle dans le développement du continuum Thulé-Inupiaq (1200-1800 apr. J.-C.) et la question de sa circulation, des techniques utilisées pour le travailler et de son statut ont été peu abordés et n’ont pas fait l’objet d’analyses systématiques. Développée dans le cadre d’une recherche doctorale, l’analyse des techniques de transformation et d’utilisation des jades explore les changements culturels qui ont pu avoir lieu à trois moments clés : - à l’origine de la culture de Thulé à la fin du ier millénaire ; - au xve siècle, quand l’emploi du jade devient prépondérant ;
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n° 141 ~ Septembre 2015
Sommaire Dossier : Archéologie boréale Pour le développement des recherches arctiques coordonné par Claire Alix, Aline Averbouh & Claudine Karlin 3 Claire Alix, Aline Averbouh & Claudine Karlin | Introduction 6 Yan Axel Gómez Coutouly, Brian T. Wygal, Kathryn E. Krasinski & Randolph M. Tedor | À la recherche des premières occupations préhistoriques de l’Alaska dans la vallée de la Tanana (États-Unis)
n° 141
13 Claire Alix, Owen K. Mason, Nancy H. Bigelow, Shelby L. Anderson, Jeffrey Rasic & John F. Hoffecker | Archéologie du cap Espenberg ou la question du Birnirk et de l’origine du Thulé dans le nord-ouest de l’Alaska
19 Rémi Méreuze | La construction de la maison 33 du cap Espenberg (nord-ouest de l’Alaska) au xviiie siècle
25 Angélique Neffe | Faisons parler les pierres. Le jade de la préhistoire récente de l’Alaska
31 T. Max Friesen | The Arctic Char Project: Climate Change Impacts on the Inuvialuit Archaeological Record
38 Claire Houmard | Dorsétiens et Thuléens dans l’Arctique de l’est canadien (~ xiiie siècle apr. J.-C.), quelle modalité de remplacement ?
44 Aline Averbouh | Recherches autour des critères d’identification sexuelle des bois de renne. Constitution d’une collection de référence
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56 Émilie Gauthier, Vincent Bichet, Charly Massa, Typhaine Guillemot, Laurent Millet, Christophe Petit et Hervé Richard | De la déglaciation à l’agriculture moderne : histoire environnementale du sud du Groenland
Sept.
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Les Nouvelles de l’archéologie
Camille Viot | Tous semblables, tous différents. Quelles méthodes pour appréhender le lien entre variabilité et fonction des couteaux ulu ?
n o u v e ll e s d e l ’ a r c h é o l o g i e
Politique de la recherche
Les
63 Hélène Djema | Un décret pour réduire les délais d’instruction des autorisations d’urbanisme : le patrimoine archéologique perdant !
12 euros
ISBN : 978-2-7351-2073-4
Archéologie boréale Pour le développement des recherches arctiques