L’énigme de la fagga ra : ¯ commerce, crédit et agriculture dans le Touat algérien* Judith Scheele Les considérables dépenses d’investissements qui sont nécessaires pour commencer d’irriguer la moindre parcelle, les coûts de mise en valeur et d’entretien d’une arboriculture intensive en milieu de sévère aridité ne trouvent pas dans leur rentabilité financière ni même dans l’économie générale leur propre justification... En outre on constate très souvent que, pour des motifs divers (politiques, militaires, démographiques, etc.), les oasis périclitent bien avant de terminer le remboursement du capital investi. On s’étonnera alors de l’optimisme et du volontarisme des créateurs d’oasis, ou de leur naïveté en somme, si l’on ne considère que l’avantage économique qu’ils peuvent en espérer. C’est peut-être qu’il doit y avoir d’autres rémunérations que financières, d’autres bénéfices, ou encore d’autres obligations d’un système où la production du secteur agricole n’est qu’une partie nécessaire, fût-il déficitaire... D’où la fragilité de l’économie oasienne, secteur toujours déficitaire, qui ne peut expliquer son existence que par son appartenance à des ensembles plus vastes 1. Le Sahara contemporain est un espace d’urbanisation et d’immigration. Les villes sahariennes d’aujourd’hui abritent une population mixte originaire des deux rives du Sahara. Elles font globalement preuve d’une vitalité économique remarquable et le plus souvent tournée vers l’extérieur : vers d’autres marchés, vers l’État ou * Cet article est basé sur quinze mois de recherches de terrain dans le Sud algérien et le Nord du Mali, effectués en 2007-2008 et financés par le Magdalen College, l’université d’Oxford et la British Academy (Grant no SG-47632). Je tiens à remercier Julien Brachet pour sa relecture et ses observations critiques. 1 - Paul PASCON, La maison d’Iligh et l’histoire sociale du Tazerwalt, Rabat, SMER, 1984, p. 9-10. Annales HSS, avril-juin 2012, n° 2, p. 471-493. 471 JUDITH SCHEELE vers des activités qui facilitent la migration 2. Difficile, dirait-on, d’y reconnaître le Sahara historique, faiblement marqué par des oasis enclavées, et le plus souvent perçu comme relativement homogène, autonome et peu dynamique. Pourtant, cette distinction entre le « nouveau » et « l’ancien » Sahara, entre l’image d’une introversion statique et l’extraversion contemporaine, mérite un examen plus attentif : la différence s’avérait peut-être plus de degré que de nature. Les qsur (oasis fortifiées, ¯ singulier qsar) sahariens, tout comme les villes modernes, semblent toujours avoir été tributaires de leurs relations extérieures 3 ; ils ne peuvent être compris qu’en référence aux cadres plus larges – écologiques, économiques, sociaux, culturels, moraux – qui leur donnent vie et identité. La tension entre l’universel et le particulier n’y est jamais extérieure au local ; ou plutôt, l’universel fait partie du local, même dans ses aspects les plus intimes. Il y a presque trente ans déjà que Paul Pascon, après une analyse de la comptabilité interne de la zawiya d’Iligh dans le ¯ Sus marocain, est arrivé aux conclusions citées plus haut. Suivant un raisonnement ¯ parallèle, Denis Retaillé notait en 1986 que les oasis sont des « lieux » avant d’être des « milieux », et qu’en tant que lieux, elles « existent dans un réseau de relations » 4. L’observation est banale ; pourtant, elle n’a eu que très peu d’influence sur les monographies des villes ou des qsur oasiens, ou même sur les travaux qui ¯ parlent des mobilités sahariennes, historiques ou contemporaines. Même si l’étude des sources locales et des archives privées sahariennes a récemment avancé d’un grand pas 5, ces archives sont le plus souvent utilisées partiellement, pour des informations précises ayant trait soit au commerce, soit à l’agriculture. Elles ne sont encore que rarement traitées comme un corpus dont l’« incohérence », en termes de classifications « scientifiques », est elle-même parlante 6. Cet article, essentiellement fondé sur des archives locales, vise à apporter quelques éléments à la compréhension des économies du Touat, groupe d’oasis du Sud-Ouest algérien (carte 1). Il adopte un point de vue régional plutôt que 472 2 - Sur l’essor des villes sahariennes contemporaines, voir Olivier PLIEZ, Villes du Sahara, urbanisation et urbanité dans le Fezzan libyen, Paris, CNRS Éditions, 2003 ; Marc CÔTE (dir.), La ville et le désert, le bas Sahara algérien, Paris/Aix-en-Provence, Karthala/IREMAM, 2005 ; Elisabeth BOESEN et Laurence MARFAING (dir.), Les nouveaux urbains dans l’espace Sahara-Sahel. Un cosmopolitisme par le bas, Paris, Karthala, 2007 ; et Armelle CHOPLIN, Nouakchott. Au carrefour de la Mauritanie et du monde, Paris, Karthala, 2009. 3 - O. PLIEZ, Villes du Sahara..., op. cit. ; Ali BENSAÂD, « Eau, urbanisation et mutations sociales dans le Bas-Sahara », in M. CÔTE (dir.), La ville et le désert..., op. cit., p. 95-122. 4 - Denis RETAILLÉ, « Avertissement », no spécial « Études sahéliennes », Cahiers géographiques de Rouen, 26, 1986, p. 2, et « Les oasis dans une géographie méridienne Sahara-Sahel », ibid., p. 3-16. 5 - Voir par exemple Ulrich HAARMANN, « The Dead Ostrich: Life and Trade in Ghadamès (Libya) in the Nineteenth Century », Die Welt des Islams, 38-1, 1998, p. 9-94 ; les travaux de Ghislaine LYDON, notamment On Trans-Saharan Trails: Islamic Law, Trade Networks, and Cross-Cultural Exchange in Nineteenth-Century Western Africa, Cambridge, Cambridge University Press, 2009 ; et Judith SCHEELE, « Traders, Saints and Irrigation: Reflections on Saharan Connectivity », Journal of African History, 51-3, 2010, p. 281-300. 6 - E. Ann MCDOUGALL, « Conceptualising the Sahara: The World of NineteenthCentury Beyrouk Commerce », The Journal of North African Studies, 10-3/4, 2005, p. 369-386. les Nawazil al-Ghuniya (NG). Les oasis du Touat dans leur contexte régional local. ‘Abd al-Rahman al-Balbalı (1155 de l’hégire/1742-1244 de l’hégire/1828) ¯ ¯¯ et son fils Sıdi Muhammad ‘Abd al-’Azız (né en 1199 de l’hégire/1776) . les archives privées des familles ¯ ¯ 473 .ÉCHANGES ET COMMUNAUTÉS Carte 1. SQ). même si quelques-unes des sources consultées sont plus anciennes 7. Abu ‘Abd Allah Sıdi al-Hajj ¯ ¯ ¯ ¯ ¯ Muhammad b. ‘Abd al-Haqq al-Bakrawı (Sijill al-qadi. le registre du ¯ ¯ qadi de Timmi Sıdi ‘Abd al-Karım b.Les sources juridiques au Touat sont nombreuses. Il 7 .établi ¯ ¯ ¯ ¯ ¯ dans les années 1930 et 1940 . datant des années 1950 . et le matériel discuté ici n’en représente qu’une partie infime : à savoir. pour une période allant essentiellement de la fin du XIXe jusqu’au milieu du XXe siècle. le registre des fagagır Adjalloune et al-Hajj dans le Timmi ¯ ¯ ¯ (Zamam al-Faggara. ZF). une collection ¯ de responsa données par le qadi de Timmi près d’Adrar. Jean-Jacques BARATHON. En Tunisie. « restée si longtemps à l’écart des principaux axes de circulation sud atlasique et des circuits touristiques » 8. Annales de Géographie. notamment là où ils opposent une situation actuelle de dépendance envers des sources de financement extérieures. 8 . Pourtant. d’ouverture et de perméabilité. les sources et motivations de cet investissement restent obscures. la faiblesse relative des mécanismes de protection communautaire et l’enracinement profond des relations de crédit qui liaient toute activité productive à des réseaux financiers qui les dépassent. d’une viabilité agricole assurée ou de projets de domination régionale à long terme. 474 . SJ). Or. Ainsi. par des projets de prestige et d’accumulation des obligations sociales et par des ambitions religieuses et « civilisatrices ». fermés sur eux-mêmes et liés à l’extérieur surtout par la rapine de leurs voisins nomades. D’ailleurs. est ancienne. « Les oasis de la région de Tata (Maroc). ils notent un taux d’émigration de 40 %. Geneviève Bédoucha parle de la « cohésion » du groupe des oasiens assurée par la Ma’zuz à Talmin et Balbalı à Kusan. Jean-Jacques Barathon. 2005. en l’absence d’un État centralisateur. Elles s’expliquent par des tentatives de diversification régionale des sources de revenus. p. dans une région qui dépend exclusivement des ressources hydrauliques souterraines et d’une main-d’œuvre importée. qui enregistre les décisions de l’assemblée et les dépenses ¯ et recettes municipales de 1962 à 1977. Abandon de la vie oasienne traditionnelle et adaptation à la vie urbaine ». autant d’« assurances » dans un environnement fragile et imprévisible. mais plutôt dans des logiques d’exploitation et des aspirations locales. 449-461. l’importation volontaire de la loi islamique comme signe d’appartenance à un monde moral et spirituel plus large. 450. L’agriculture oasienne L’image des oasis comme des systèmes autonomes.JUDITH SCHEELE part d’un constat simple : l’établissement et le maintien des systèmes d’irrigation. 644. Elle reste vivante dans des travaux même récents sur l’agriculture oasienne. de nouveaux systèmes d’irrigation sont financés par l’émigration pour alimenter une agriculture tournée vers la ville. Hassan EL ABASSI et Claude LECHEVALIER. à un passé présumé autonome. et le cahier d’assemblée du qsar de Tit près d’In ¯¯ ¯ Salah (Sijill al-Jama’a. par des besoins d’infrastructures commerciales. Elles sont à chercher non pas dans de pures stratégies économiques ni dans une domination forcément externe. au Maroc. Cette dépendance vis-à-vis de l’extérieur se reflète dans le haut degré de « lisibilité » qui caractérise les économies oasiennes : la pénétration des valeurs monétaires au plus profond des catégories d’évaluation locale. nécessitent un investissement extérieur à long terme et remettent donc en cause l’image plus classique des oasis comme isolats sociaux et économiques. et je tiens à remercier leurs propriétaires de m’avoir donné l’opportunité de les consulter. ici p. Hassan El Abassi et Claude Lechevalier parlent de « l’ouverture tardive vers le monde extérieur » de la région des oasis du Tata. et des systèmes d’irrigation anciens abandonnés aux alentours faute de moyens et de main-d’œuvre. Tous ces documents sont tenus dans des archives privées dans le Touat. dans sa description du système d’irrigation dans le Touat précolonial. p. L’enjeu du droit de l’eau dans les oasis du Maghreb ». BÉDOUCHA... et une ouverture forcée. considérable et incomparable avec tout développement antérieur. 2004.. la « communauté originelle » a tendance à toujours reculer vers un « âge d’or » antérieur 13. Voir aussi l’excellente monographie du même auteur. s’est attachée à substituer un principe d’unité idéologique et linguistique à la base linguistique et ethnique des sociétés. elle comporte. 118 et 139.Jean BISSON. Elle introduit une rupture dans la structure de la propriété. ici p. protégée contre le monde extérieur.Ibid. Études Rurales. Mais elle gagne tout au moins à être problématisée. au détriment ¯’.. Cette islamisation légale aboutit à une monopolisation de la propriété entre les mains des shurafa descendants du Prophète. Mais c’est surtout Gilbert Grandguillaume. Revue des études islamiques.Gilbert GRANDGUILLAUME. « Le droit de l’eau dans les Foggara du Touat au XVIIIe siècle ».] Il apparaît nettement que la suppression de la coutume locale relative au droit de propriété entraîne une déstructuration de la communauté originelle. 1987. en l’ouvrant à des étrangers 11. 13 .Gilbert GRANDGUILLAUME. Mon but ici n’est pas de nier l’impact. 155-156. 117-142. « L’eau. ancienne.. dans ses divers aspects. qui l’aurait détruite. p. Lui aussi parle d’une rupture profonde entre une communauté solidaire. 120 et 131.Geneviève BÉDOUCHA. [. ce qui n’était déjà plus le cas même avant la conquête française 10. Toute forme de vie y dépend des 9 . L’Harmattan. cit. notamment dans le Touat qui. où [les oasiens] avaient l’entière maîtrise de l’eau ». 287-322. 11 . « De la coutume à la loi. qui nous intéresse car il traite de la région géographique et en partie des documents d’archives qui seront étudiés ici. Mais il situe ce moment de déstructuration non pas à l’époque contemporaine ou coloniale. 2000. Droit de l’eau et statut des communautés locales dans le Touat précolonial ». de l’intervention de l’État colonial et indépendant dans la gestion interne des ressources vitales à l’oasis. ici p. 10 . dans ses composants idéologiques et juridiques. 475 . « des communautés traditionnelles originellement propriétaires des foggara 12 ». Éd. cette cohésion se situe nécessairement à « l’époque. p. « Libertés coutumières et pouvoir central. mais au début du XVIIIe siècle : L’islamisation. des facteurs de déstructuration des sociétés organisées sur une base collective. p. ne dispose pratiquement pas de sources d’eau de surface 14. Pourtant. Il est impossible de démontrer l’existence ou l’absence des telles « communautés originelles » puisque tous les documents dont nous disposons aujourd’hui ont été écrits dans une tradition plus ou moins islamique et que.G. « Libertés coutumières et pouvoir central. 119-133. Une communauté oasienne du Sud-tunisien. 18-2. et la perte d’autonomie qui en résulte. d’origine forcément extérieure.] dans ce but. Peuples méditerranéens. p. 1975. 118-119. 1978. 139.. art.. 14 . 2. Geneviève BÉDOUCHA.. p. une fois son existence démentie. révolue. 320. 12 . cas extrême (« typé » dit Jean Bisson). Paris/Montreux. Paris. Mythes et réalités d’un désert convoité : le Sahara. l’amie du puissant ». et [. 210. ici p. des archives contemporaines.ÉCHANGES ET COMMUNAUTÉS coutume telle qu’elle est appliquée par la jama ‘a (assemblée) du qsar et qui exclut ¯ forcément toute intervention ou investissement extérieurs 9. économique et légale. ». (dir. Ces registres visent principalement à noter les droits d’eau respectifs des ¯ membres et les ventes. elle était coûteuse et demandait un investissement à long terme.Voir par exemple NG. Oasis du Sahara algérien. Tamentit ». Si les oasis produisent toute une variété de produits agricoles. 1953.Pour une discussion plus détaillée du fonctionnement et de l’histoire des fagagır au ¯ ¯ Touat. singulier saqiya) revient régulièrement dans les collec¯ ¯ tions des questions juridiques (nawazil. qui acheminent ¯ ¯ ¯ l’eau de nappes souterraines élevées vers des oasis situées en aval 15. p. « Irrigation et structure agraire à Tamentit ». in N. GRANDGUILLAUME. 1994.. hypothèques et locations des parts d’eau. Petite et moyenne hydraulique au Maroc. J. Et en effet. Society for Libyan Studies. Du fait qu’elles abaissent inévitablement la nappe souterraine. Mais chaque entrée fait aussi état d’une certaine quantité d’eau enlevée pour financer l’entretien de la faggara : pour son extension (nafakh) ou pour son curage (li-kabuyihi). Damade recensèrent plus de 2 000 kilomètres de fagagır – dix fois ¯ ¯ plus que le métro parisien à l’époque.). Cette ¯ ¯ eau venait soit des parts individuelles.. 16 . ne serait-ce que pour assurer un débit d’eau à peu près régulier. NESSON. elles s’ensablent très rapidement. cit. 145-146 .R. Paris. t. 1952. Institut géographique national. De plus. dont les premières ¯ ¯ datent du XVIIIe siècle. p. quoique plus récents (années 1940 à 1950). ROUVILLOIS-BRIGOL et J. les fagagır demandent un entretien constant : ¯ ¯ creusées dans une terre souvent fragile.. « Droit de l’eau. M. 139-179 et 11. 15 . Travaux de l’Institut des Recherches Sahariennes. G. Paris. défend l’hypothèse d’une origine orientale.JUDITH SCHEELE systèmes d’irrigation sous terre. VALLET (dir. art. sont les registres d’eau tenus par les assemblées des propriétaires (jama‘a al-arba des faga ¯ ¯t ¯b) ¯gır. 17 .). »... 1962. pour à peine 40 000 habitants 16. singulier nazila) locales. « The Spread of Foggara-Based Irrigation in the Ancient Sahara ». l’origine des fagagır reste discutée 17. 21. « Irrigation. 99. Les Juifs au Sahara. quelle que ¯ ¯ soit l’origine de cette technique. soit des « réserves » (‘awl) de la faggara 19. voir André CORNET.). 10. ¯ Elle était louée à des tiers pour obtenir l’argent nécessaire pour payer les travaux. 8. S’appuyant sur des données archéologiques récentes. p. La question hydraulique. DAMADE. 1973. in C. Rabat. ». 119-319. Graphitec. p. voir Jeanne CHICHE. leur attribue une origine juive. 19 . « Les foggara du Tidikelt ». Londres. Capitaine LO.Jacob OLIEL. Robert CapotRey et W. le jardinage y reste forcément tributaire de la culture des palmiers-dattiers caractérisés par une période longue de maturation durant laquelle il fallait pouvoir nourrir ceux qui les travaillaient. 1. Études de photo-interprétation no 6. Les Foggaras ». CNRS Éditions. une fois établies. et Jacques VALLET. via le Fezzan.Pour des cas parallèles des « provisions » collectives d’un système d’irrigation au Maroc. The Libyan Desert: Natural Resources and Cultural Heritage. 1984. la question de l’entretien des fagagır ou des canaux d’irrigation secon¯ ¯ daires en plein air (sawaqin. cit. « Essai sur l’hydrologie du Grand Erg Occidental et des régions limitrophes. in D. Robert CAPOT-REY et W. Travaux de l’Institut des Recherches Sahariennes. MATTINGLY et al. Or. p. montrant qu’il ne s’agit pas de difficultés récentes 18. 476 . CAPOT-REY et W. Ces fagagır ¯ ¯ formaient un système complexe et étendu : dans les années 1950. Andrew WILSON. 99-119 . « Description de l’hydraulique traditionnelle ». DAMADE. appelés fagagır (singulier faggara). elles doivent être étendues régulièrement. Faute de recherches archéologiques. 2006. Le Touat au Moyen Âge. Encore plus parlants. « Une oasis à foggara. 49-77 . BOUDERBALA et al. 18 . (dir. p. 205-216. 71-122 . 1954. p. art. Travaux de l’Institut des Recherches Sahariennes. p. voir CAOM 22H26. 116 et 505.. vite interdite par l’administration militaire. p. Mythes et réalités d’un désert convoité. J. préoccupait les administrateurs coloniaux au point qu’ils proposèrent. bien supérieure aux ressources restreintes et dispersées qu’offrait le Sahara. CAOM 10H86. CAOM 10H86. « Recensement des populations du Touat ». dans la région. ¯ En plus des capitaux. « Recensements du Touat ». faute d’investisseurs locaux.Pour les propositions d’un maintien de la traite. au Gouverneur Général de l’Algérie ». Or.. local ou étranger. Voir J. quelques années plus tard. Les sommes engagées étaient parfois très élevées. ¯ Ainsi. et pourvu d’eau 21. Avec l’abolition (plus ou moins efficiente) de la traite par l’administration coloniale française au XIXe siècle.SJ. 22 janvier 1907. cit. 1911. plus de 70 % de leur budget total. d’autres travaux d’entretien coûtèrent près de deux millions de francs.ÉCHANGES ET COMMUNAUTÉS Ce système permettait une concentration plus grande des parts d’eau entre les mains des propriétaires les plus riches – souvent les shurafa’ mentionnés par ¯ G. 28 octobre 1876 . augmentant ainsi son débit : la moitié de l’eau ainsi gagnée lui revenait ¯ de droit. dépensa près d’un demi-million de francs (environ 7 500 euros au cours d’aujourd’hui. des travailleurs. Si. le « problème ouvrier » des oasis sahariennes se fit de plus en plus visible. boîte 23H91. notamment ouest-africains. 1933 . 30 avril 1933. un investisseur.CAOM 23H91. 23 . comme descendants d’esclaves). dans tous les documents préservés. dans le premier cas. 5-7.Centre d’archives d’outre-mer (CAOM) d’Aix-en-Provence. d’autant qu’un nombre toujours grandissant des esclaves et des haratın ¯¯ en profitait pour partir vers le nord 23. 1911-1950 . Hardy. 209.De même. et au besoin et avec le temps. ne se reproduisant que peu. le conseil des propriétaires de la faggara princi¯ pale du qsar de Tit. 21 . l’établissement des fagagır demandait une forte concen¯ ¯ tration de main-d’œuvre. régulièrement. pourtant peu élevés. 39. près d’Aoulef dans le Tidikelt. BISSON. Le premier état civil établi pour le Touat au début du XXe siècle mentionne 10 % d’esclaves et 43 % de haratın (généralement ¯¯ définis. « Une terre qui meurt : le Touat ». Ces chiffres sont peu fiables mais donnent au moins un ordre de grandeur. 114. soit le maintien provisoire des liens de servitude garanti par 20 . p. op. 20. Malgré l’abolition officielle de l’esclavage en 1848. au courant de l’année 1962. 10. la question de la production et de la reproduction de la main-d’œuvre reste au cœur des économies oasiennes. CAOM 12H50. la plus grande partie des dépenses pour la faggara était destinée aux salaires. après avoir opposé une résistance tenace à l’abolition de l’esclavage imposée par leurs supérieurs 24. Vallier. ils n’arrivèrent à trouver de telles sommes qu’en vendant une partie du patrimoine foncier décrit comme appartenant « à la faggara ». cette location pouvait se transformer en vente 20. pouvait se décider à prolonger la faggara à ses frais. Le matériel technique nécessaire pour établir les fagagır était ¯ ¯ rudimentaire et. au Sahara. de 1962 à 1980. « Lettre de Laperrine. Ainsi. « Rapport pour la Chambre de Commerce d’Alger ». étaient sans cesse renouvelés par la traite 22. 24 . Commandant militaire supérieur des oasis sahariennes. pour une population de 500 personnes) pour l’entretien du système d’irrigation . 22 . dont les effectifs.. il fut souvent maintenu jusqu’aux premières décennies du 477 . 13 juillet 1876 et « Lettre du Président de la chambre de commerce d’Alger au préfet d’Alger ». l’eau était louée à des entrepreneurs extérieurs. les propriétaires réussirent à obtenir des subventions de l’État algérien qui venait d’acquérir son indépendance. Cette émigration. Il n’y a pas de doute que les oasis sahariennes sont le résultat du travail d’esclaves.. Grandguillaume. avait détruit un fragile équilibre.-P.-G. dans une année faste. de telles ¯ ¯ relations impliquent des liens forts entre agriculture et commerce. L’ampleur de ces investissements est d’autant plus étonnante lorsqu’elle est mise en relation avec les résultats obtenus. Si ce projet s’avéra un échec total. mais il n’y a pas de doute que les ressources propres du Touat de la fin du XIXe et du début du XXe siècle ne parvenaient qu’à peine à nourrir la population locale. 1 : « Bien sûr. p.Voir aussi D. Frank Cass. STELLA (dir. l’administrateur militaire français avait noté que la situation matérielle des « indigènes » était « peu brillante » : la plupart des gens survivait avec un seul repas par jour. c’est la mort lente des oasis par disparition d’une main-d’œuvre métissée. il indique néanmoins la pérennité du problème ouvrier et le lien établi par l’administration entre apport de travailleurs et relations transsahariennes. 2012 (sous presse). Or. 38-56 . and Very Little Fraternity: The Mirage of Manumission in the Algerian Sahara in the Second Half of the Nineteenth Century ». L’esclavage.A... avec un repas par jour 27. Slavery and Colonial Rule in Africa. en noir et blanc ou en couleurs ? Méditerranée. Seul le Noir a pu être. l’occupation du désert passe par l’eau. « Travail et liberté en Algérie ». Touat.. Avec. du Moyen Âge au XXe siècle. « Rapport annuel. Alfred Martin estimait que. BOTTE et A. Et tout comme le coût élevé de l’établissement et de l’entretien des fagagır.Alfred-Georges-Paul MARTIN. Londres. les années fastes se faisaient rares. Les statistiques commerciales établies par l’armée française confirment cette appréciation peu optimiste. Cahiers d’études africaines. En 1908. mais la maîtrise de l’eau suppose un considérable investissement en travail c’est-à-dire la mise en activité d’une main-d’œuvre nombreuse : projet et encadrement doivent préexister. RETAILLÉ. la déclaration de l’impôt. 26 . Prenons l’exemple d’In Salah. Quelques années plus tôt. A. le qsar et sa région siècle : voir les nombreux rapports d’archives. les palmeraies et jardins du Touat produisaient assez pour permettre à leurs habitants de survivre. 805-828. Les chiffres nous manquent. 25 . sans dépérir. des moyens considérables et des projets à long terme qui obéissent à des logiques régionales plutôt que locales 26. Karthala. « capitale » et marché principal du Tidikelt. algérienne. 1909. cit. Benjamin BROWER..CAOM 23H91. Denis Cordell. la bête humaine suffisamment robuste et résistante en ces climats brûlants pour disputer à l’aridité du pays désertique les gîtes d’étapes indispensables à la traversée de leur étendue désolée. « Rethinking Abolition in Algeria: Slavery and the ‘Indigenous Question’ ». 29 . La conquête coloniale. Impr.. de surcroît. qui avait interrompu une partie des relations d’échange qui liaient le Touat au Tell et au Hoggar. 195. p.CAOM 3H13. plusieurs qsur se trouvaient abandonnés par leurs habitants qui tentaient ¯ de « survivre de la chasse dans le désert 28 ». À la frontière du Maroc.JUDITH SCHEELE le régime militaire. p. cit. MIERS et M. » Voir aussi les autres documents préservés sous la même cote. De 1909 à 1929. art. not Much Equality. « Note sur la question noire en Algérie » : « C’est un fait aujourd’hui reconnu que les oasis sahariennes sont nées du travail de l’esclave soudanais. classés sous CAOM 12H50 . Paris. « No Liberty. » 27 . annexe du Touat ». p. 1908. soit l’installation des tirailleurs sénégalais dans les oasis pour travailler la terre et « régénérer la race locale 25 ». 2009. XXe 478 . Alger. KLEIN (dir. MARTIN. 306-308. in S. Tidikelt). Mais la traite supprimée. p. sans cesse abâtardie et sans renouvellement.). 1999. in R. et Judith SCHEELE. composé de « quelques dattes » 29.). op. « Avertissement ». À la frontière du Maroc. Les oasis sahariennes (Gourara. 383. 28 . 1945. 31 . Importations et exportations à In Salah. 1909-1929 (valeurs en francs) Figure 2. mais les échanges de base en produits locaux. en plus du travail forcé (figure 1) 30. Si l’exploitation n’en devenait pas moindre. 1923 et 1930. annexe du Touat ».ÉCHANGES ET COMMUNAUTÉS souffraient en moyenne d’un déficit annuel de 900 000 francs . 1951 et 1952. 1913. ou tout au moins des réserves. « Rapports annuels. L’administration militaire se plaignait sans cesse d’une « disette de numéraire » et ne faisait survivre ses postes que grâce aux importations d’argent qui étaient de plus en plus importantes 31. Certes. et pourquoi ? Figure 1. en même temps. un nombre toujours croissant d’oasiens devait s’embaucher sur des chantiers publics afin d’obtenir les espèces nécessaires pour payer les impôts.Voir CAOM 23H102. 32 . Si nous avons donc affaire à une économie locale qui « ne peut qu’être déficitaire ». une grande partie de cet argent allait vers le ravitaillement et la solde de l’armée coloniale et des fonctionnaires.À partir des années 1920. 1909-1929 (valeurs en francs) 30 . 1928. « Rapport annuel. Une seule année voit un surplus léger d’exportation . même l’argent des impôts venait donc en grande partie des coffres français. pour reprendre les mots d’un administrateur français résigné à son sort 32. 1910. il aurait été impossible d’éviter la famine. 1907. annexe du Tidikelt ». ne pouvaient pas non plus à eux seuls suffire à nourrir la population du lieu (figure 2). Les années déficitaires sont plus nombreuses que celles où un fragile équilibre se dessine. le déficit est tel que si l’oasis n’avait pas d’autres ressources. Importations de blé et de viande et exportations de dattes à In Salah. dattes contre céréales et viande. qui avait payé la facture jusquelà. en 1913. les impôts ne s’élevèrent jamais au-dessus de 30 000 francs. 479 .CAOM 23H91. des silos et des magasins à Arawan 39. qui ne vivent que par lui et dont les installations ne sont développées qu’en vue de ses besoins périodiques 35. p. 1962. « Tarıkh ¯ ¯ ¯ ¯ ¯ ¯ Arawan wa Tawdanni ». Paris. Selon D. De même. est « suicidaire » dans des régions d’une fragilité écologique telle que les crises font partie de l’état normal des choses et que la stabilité y est exceptionnelle 33. 73. la famille possédait une maison au qsar d’Aïn Madhi près de Laghouat. 121. ici p. ¯ ¯ ¯ ¯ investissaient dans des maisons. « c’est la relation entre nomade et sédentaire qui semble tenir l’édifice lorsque nous retenons que chaque fuseau nomade aboutit spécifiquement à un noyau sédentaire qui semble son exutoire ou son pivot même 34 ». Paris. s. « Aoulef ». 71-82. 39 .Peregrine HORDEN et Nicholas PURCELL. 480 . 1998. 409-464. 1930. ms. 1962. le patron naturel de toutes les populations sédentaires. 35 . Les Barabısh. doctorat de 3e cycle. Retaillé. » Auguste Geoffroy tire ces conclusions de l’analyse minutieuse de l’économie familiale d’une famille des Arba‘. en plus de son troupeau et de sa tente. avaient investi leurs capitaux ¯ ¯ dans de « beaux jardins » dans le Tidikelt. Simon. dans le langage du XIXe siècle : « Le nomade est le suzerain. al-Shaykh Abı al-Khayr ‘Abd Allah al-Arawanı.Manuel BUGÉJA.Muhammad Mahmud wuld Shaykh. où elle emmagasinait ses céréales et ses dattes. p. no 762 préservé au Centre d’études et de documentation Ahmed ¯ Baba (CEDRAB) à Tombouctou . 1887. où leurs cousins ¯ pauvres s’embauchaient comme saisonniers 36. pour financer des expéditions commerciales confiées à leurs cousins restés sous la tente 38. « Contribution à l’étude des pasteurs nomades Arbâ’a ». « Note sur le Tidikelt ». 36 . Oxford. 37 . D’autres familles Arba‘ achetaient des silos dans le Gourara et des terres à Tiaret. nomades hassanı du nord de Tombouctou.Auguste GEOFFROY. 73-1. au début des années 1900.CAOM 22H50. Ici. Chardenet. les liens étroits entre agriculture oasienne et économies nomades. 34 . FirminDidot. d. 38 . « Kitab al-turjaman fı tarıkh al-sahara’ wa ¯ ¯ ¯ ¯ ¯ ¯ ¯ al-sudan wa bilad tinbuktu wa shinjıt wa arawan wa nubadh fı tarıkh al-zaman fı jamı’a ¯ ¯ ¯ ¯ ¯ ¯ ¯ ¯ ¯ ¯ ¯ al-buldan ». on le sait bien. Les Awlad al-Mukhtar. des Touaregs Ahaggar étaient propriétaires d’entrepôts à Aoulef 37. En 1885. toute stratégie de survie valable doit viser à la diversification des ressources. 20 juin 1900. Il en est de même au Sahara.Denis RETAILLÉ. Revue de géographie de Lyon. nomades arabophones et éleveurs de moutons de la bordure nord du ¯ Sahara algérien. produire et stocker un surplus dans les années fastes et s’insérer dans des réseaux d’échange dispersés et flexibles. « L’estivage des Larbaâ dans le Tell ». « L’espace nomade ». Ou.CAOM 22H50. écrivent Peregrine Horden et Nicholas Purcell à propos de la Méditerranée.JUDITH SCHEELE Un système ouvert La notion de subsistance. Blackwell. et CAOM 28H1. Arabes pasteurs nomades de la tribu des Larbas. 2000. où quelques-uns d’entre eux avaient élu résidence. le ¯ 33 . plus au sud. D’où. et qui était gardée par un habitant de l’oasis à sa solde. voir aussi Yves BONÈTE. 1-19 . 1933. CEDRAB 621 . rapports mensuels coloniaux ¯ sur la région frontalière. Bulletin de la Société de Géographie d’Alger. auparavant pasteurs nomades. p. (début des années 1900). En effet. p. The Corrupting Sea: A Study of Mediterranean History. 272. À Ghadamès. Lund. au point qu’il paraît impossible de les séparer. Or l’interdépendance entre nomades et sédentaires ne fournissait qu’une partie des ressources nécessaires à l’établissement des oasis.Ainsi. pour des raisons socioéconomiques autant qu’écologiques. Ghat. À Ghat. ou « forteresse ». La propriété était morcelée à l’extrême. le « droit coutumier » (rudimentaire) des qsur.Ibid. recueilli dans la région par des ¯ officiers français.Ibid. à l’instar du Mzab en Algérie. Une étude sur la vie socio-économique dans les trois oasis libyennes de Ghat. 145. pluriel ahbas). et même d’un qsar à l’autre. en revanche. le plus souvent au profit des femmes d’une famille. moins de la moitié des terres et de l’eau était tenue en hubus. « Annexe du Touat. Cette différence s’explique moins par la structure écologique de la région que par la composition socio-économique des deux oasis. Ghadamès. de protection et de ravitaillement 40. par contre.Ibid. 5 janvier 1904. Ghat et. 42 . Seul un qsar de la région. servait de résidence. dans une moindre mesure. même si. mais rarement vendue à des étrangers. à l’exception des parts d’eau appartenant à d’anciens nomades devenus commerçants. Structure foncière. L’implication des nomades dans la vie économique et la répartition foncière des oasis variaient fortement d’une région à l’autre. au profit des familles élargies ¯ qui se disaient toutes ghadamsiennes 42. Plus d’un cinquième de la population (500 sur 2 400 habitants) avait émigré. p. p. Lars Eldblom fournit des chiffres plus ou moins exhaustifs pour les oasis libyennes de Ghadamès. 44 . Ainsi.ÉCHANGES ET COMMUNAUTÉS terme qsar. 80 % de l’eau était constituée en hubus (donation pieuse. 142). CAOM 22H50. Barakat. les économies nomades et sédentaires étaient étroitement liées. comme lieu de stockage et de prestige 40 . « Rapport sur l’Oued Dra par le chef de l’annexe de Beni Abbès ». notamment pour faire du commerce ailleurs. Mourzouk et particulièrement Ghadamès.Lars ELDBLOM. les commerçants s’étaient mis à investir dans le foncier urbain à Tunis ou Tripoli 44. 41 . Le contraste entre Ghadamès et Ghat est instructif. avec moins de détail. p. servait surtout de relais à des commerçants venus d’ailleurs et.. 43 . Uniskol. 166. utilisé partout dans la région pour désigner des oasis à l’exclusion du terme arabe classique waha. qui résidaient à quelque 160 kilomètres de Ghadamès et qui les sous-louaient à des habitants d’autres quartiers. p. ne serait-ce que pour mieux les analyser. Mourzouk (sans en tirer les conclusions qui suivent) 41. Pour les années 1960.. se compose presque exclusivement des prévisions pour l’accueil des hôtes : CAOM 22H48. 1968. à en juger par la Ghuniya. Régnault. Propositions du chef de l’annexe pour l’hébergement des hôtes arabes au chef-lieu ». était un des centres commerciaux les plus importants du Sahara. 481 . d’entrepôt et de lieu d’investissement à la « noblesse touareg » de la région. pouvait parfois tourner en rançon (NG. 214. 9 avril 1902 .. depuis peu. 80 % de l’eau appartenait à des commerçants arabes venus de l’extérieur et qui formaient « une aristocratie d’argent arabe 43 ». témoigne de l’association fondamentale ¯ entre des lieux de fixation et leur fonction de centre de stockage. Un accueil qui. Cinq jardins avaient même été vendus à un investisseur italien. L’argent ainsi gagné était le plus souvent investi dans la terre à Ghadamès. organisation et structure sociale. Trois ans plus tard. Damade indiquaient que ¯ seules cinq hubub (mesure d’eau. 48 . . Martin notait que plus de la moitié des parts d’eau et des terres appartenait aux shurafa’ et aux mrabtın. tel que Abı Flıja. les parts d’eau pouvaient être achetées. cit. Grandguillaume.. où il vivait. et ne mentionnait même pas des proprié¯ ¯ taires extérieurs aux qsur . Sıdi Yusuf. CAPOT-REY et W. possédait des jardins et des droits d’eau à Titaf. ‘Antha. BISSON... Les habitants de Ghat étaient surtout des haratın qui. émigraient en grand nombre vers le nord. R. au premier abord.. A. et les registres d’eau et la Ghuniya ne laissent aucun doute qu’au Touat. cit.. En avril ¯ 1944.. originaire de ¯ ¯ la zawiya de Kerzaz. Ainsi. mais aussi. ce sont les commerçants sha’anba originaires de Metlili qui tiennent le « haut du pavé » de la propriété en eau : voir aussi J. 46 . 16-20. Ailleurs.. ¯ La sharı ‘a privilégie en effet un régime de propriété individuel qui permet toutes ¯ sortes de transactions commerciales. lorsque 250 (70 %) appartenaient à des shurafa’ et mrabtın : une concentration locale de la propriété ¯ ¯ qu’ils trouvaient exceptionnelle 45. et d’une valeur bien plus élevée. ¯ ¯ ¯ ¯ Muhammad. et R. p. cit. Le même éparpillement des droits de propriété peut être discerné au Touat.. la succession de Sıdi Muhammad al-Sharıf nécessite l’établissement de cinq ¯ ¯ documents indépendants. quelques noms réapparaissent partout. Mais sharıf et mrabit n’équivaut pas à résident ¯ local : une grande partie des propriétaires semble en effet venir des oasis voisines. même si. 20-21. 106.-G. De manière générale. Al-Mahdı b. en 1962. à mi-chemin entre Béchar et Adrar. p. acquise entre-temps 46. Les registres de qadi ¯ où sont consignés les partages d’héritages sont plus explicites à ce sujet.JUDITH SCHEELE pour quelques grandes familles touarègues de la région. mais le résultat automatique de l’imposition de la sharı‘a sur des logiques plus anciennes et plus communautaires. p. décédé en juillet de ¯ ¯ ¯ ¯ ¯ la même année.SQ. 210. les relations de propriété y paraissent plutôt locales.SQ. en suivant le raisonnement de G. MARTIN. p. « Irrigation.. op.SQ. ¯ ¯ il y ajoute des parts d’eau d’une septième faggara. op. Sıdi Muhammad al-Husayn établit un hubus pour ses ¯ ¯ enfants qui inclut des droits d’eau dans six fagagır différentes. art. ¯ Si les registres d’eau n’indiquent jamais la provenance des acheteurs dans de telles transactions. 34. qui figure dans tous les ¯ registres d’eau que nous avons pu recueillir dans le Touat. des successions ayant trait ¯ ¯ à des propriétés tenues dans un seul qsar étaient exceptionnelles. Bien sûr. ». on pourrait voir dans ce morcellement des propriétés non pas des stratégies d’investissement raisonnées qui visent à établir une assise foncière régionale. Mythes et réalités d’un désert convoité. À la frontière du Maroc. en 1929. ¯¯ mais qui travaillaient le plus souvent dans les positions subalternes et n’investissaient pas ou peu dans leur qsar d’origine. p. al-Hajj al-Sadıq al-Titafı. chacun concerné par des propriétés tenues dans des localités distinctes 47. vendues.. louées 482 45 . à Tamasat.A.-P. eux aussi. Buyahia. En 1908. Tamasakh et Ighıl 48. DAMADE. 47 . Sıdi Muhammad b. singulier habba) sur les 360 produites par la faggara ¯ ¯ Ouarmol Kébir dans le Timmi étaient tenues par des nomades. liant ainsi les qsur à des réseaux denses formés de droits de propriété entrecroisés.. Capot-Rey et W. Tauris. l’institution des ahbas. et s’il y renonce il ne doit rien au propriétaire de l’eau. étaient très peu utilisées : comme. Londres. et la sharı‘a offre toute une gamme de contrats pour protéger des propriétés collectives ¯ de la vente autant que des successions 50. Practice. 140 et 145). lorsque cette part d’eau est louée à un tiers ? La location reste valable jusqu’à la fin du contrat. De même. dit le qadi. Pour les limites de l’application. 19. Ainsi. HALLAQ. comme il veut. Dans le Touat. Est-ce que la propriété d’un jardin entraîne automatiquement celle de son canal d’irrigation ? Non. Quelques palmiers sont morts et d’autres sont restés sans rendements et sans fruits à cause du manque d’irrigation. Or. l’irrigation appartient « à l’eau ». Pour des exemples de tels subterfuges utilisés au Yémen. POWERS. mais plutôt un élément constitutif 49 . La tendance à la dispersion et l’ouverture aux investisseurs extérieurs ne semblent donc pas le résultat automatique de « l’imposition » de la sharı ‘a sur un ¯ monde essentiellement clos et communautaire. et qui peuvent donc agir pour contrecarrer l’influence centrifuge du droit islamique : comme indiqué plus haut. 1995. 2009. p. p.ÉCHANGES ET COMMUNAUTÉS et même hypothéquées librement. Community and Polity in North Yemen. pourtant connues localement. suite à une absence d’eau ¯ ou à d’autres investissements extérieurs. Cambridge University Press. Domestic Government: Kinship. la description donnée dans un acte établi en avril 1944 : En ce qui concerne le jardin al-Nurman et tout ce que le Shaykh Abu Qasim b. Il ne faut pas pour autant conclure au déterminisme légal : tout au long de l’histoire. elle impose un partage (proportionnel) des héritages entre tous les membres de la famille proche sans tenir compte du lieu de résidence. des sociétés musulmanes agricoles ont été très au fait des subterfuges et des ruses légales pour éviter de tels partages. ces possibilités.Voir par exemple Wael B. du régime de succession indiqué dans la sharı’a. Tout se passe comme si la tentative même « d’arrêter » (le sens premier de la racine arabe habasa) des terres allait à l’encontre des logiques économiques dominantes. 1986. à en juger par les registres du qadi. 138. 271-295.SQ. Studies in Qur’an and Hadith: The Formation of the Islamic Law of Inheritance. ¯ au Touat. Et si quelqu’un achète un ¯ jardin irrigué par de l’eau que ne lui appartient pas. voir Martha MUNDY. Le vent y est entré et le sable a augmenté du nord et il a été coupé de son tour [d’eau]. 51 . University of California Press. ¯ Cambridge. sans restreindre le cercle d’acquéreurs potentiels aux membres de la famille ou aux résidents du lieu 49. demande-t-on au qadi de la Ghuniya. Les ahbas sont des propriétés inaliénables ¯ ¯ qui peuvent être établies au bénéfice d’un groupe précis. pour n’en citer que l’exemple le plus répandu. 483 . 50 . Abi ‘Alı ¯ ¯ ¯ ¯ a déclaré hubus. Sharı’a: Theory. c’était pratique courante à Ghadamès. et qu’il loue ? L’acheteur peut continuer la location ou y renoncer.Ainsi. que faire si un jardin est vendu à ¯ quelqu’un d’autre avec sa part d’eau. le pourcentage des terres muhabbas restait assez bas . Et le vent et le sable ont pris le dessus et il est devenu impossible de le travailler depuis quelques années déjà et il est devenu une terre aride remplie de sable 51. c’est-à-dire au propriétaire de l’eau (NG. d’autant plus qu’un grand nombre de ces ahbas avaient tendance à péricliter. p. dans les faits. Transformations. Berkeley. voir David ¯ S. Enjeux sahariens.Ces contrats sont conservés dans les archives de la famille Ma’zuz à Talmin. Sayyid Muhammad ¯¯ ¯ al-‘Adunı et Hamad b.. p. aussi appelé cinco). Abi Ahmad. Sayyid Ab Aı‘ısh et Sayyid Salim b. certes. le rabı’a (quart). le dourou français (la pièce de 5 F. Abi Salim et Abi Hasan b. La variété des monnaies en cours dans le Touat précolonial était époustouflante. la mizouna. et mêmes deux toilettes extérieures. avec la ¯¯ gracieuse permission du Shaykh Tayyeb. voir Tayeb CHENTOUF. Abu Aı‘ısh établi en juin 1944 : ¯ ¯ ¯ ¯¯ [. toutes les transactions sont conclues en mithqal. c’est-à-dire ¯ en or 54. la ¯ waqiya (once).NG. ouverte non seulement à des principes juridiques. mais aussi à des modes d’évaluation. 54 . La « Note sur le mouvement commercial qui s’est produit entre In Salah et le pays touareg pendant l’été et l’automne 1900 » (CAOM 22H50) donne la liste suivante (en maintenant l’orthographe de l’époque) : le dourou espagnol. l’acte d’héritage de Abu Ibrık b.-R. . 79-94. 139 et 142. et dont la perméabilité n’était que facilitée par la lisibilité et les aspirations universalistes du droit islamique. BADUEL (dir. Ainsi.Pour une discussion des monnaies courantes dans le Touat au début de l’époque coloniale. et ont ¯ été consultés avec la gracieuse permission de ‘Abd al-Qadir Ma’zuz.. donne des conseils sur les mesures d’or à utiliser dans des transactions commerciales. ¯ ¯ 55 . le tlétti (trente). [. au point où elle l’accepta facilement. 1984.). eau.] Et ils ont appelé à la division et ils sont allés chercher le qa’id Sayyid al-‘Arafı ¯ ¯ b. explique comment convertir des bijoux en argent et tranche des querelles entre changeurs de monnaies (mustarafın) 53. ¯ ¯ avec ses installations et les palmiers bur [non irrigués] et la terre et les palmiers et les ¯ 484 52 . La conquête coloniale imposa. La Ghuniya parle des échanges monétaires. du CNRS.. Dans des contrats de vente établis au ¯ milieu du XIXe siècle. de crédit et de gestion aux ambitions universalistes. ¯l mais elle l’imposa à une société qui était visiblement accoutumée à l’évaluation en argent. le riyal ¯ en argent. le settoujour. témoignant de l’intégration de l’économie locale aux marges des réseaux économiques plus larges 52. et le thaler de Marie-Thérèse d’Autriche appelé mithqal. De même. « Les monnaies dans le Gourara. même au cœur des transactions familiales.. le Touat et le Tidikelt dans la seconde moitié du XIXe siècle ». ¯ 53 . Tous les documents juridiques locaux décrivent une économie monétaire. Paris. une fiscalité et une monnaie uniques.JUDITH SCHEELE d’un système économique et social qui devait être perméable pour survivre. Muhammad et Muhammad b. le tlétaouokt (trois fois).Acte d’héritage conservé dans les archives de la famille Balbalı de Kusan. un acte d’héritage établi à Kusan près d’Adrar dans les années 1900 traduit toute chose. Et ceux qui connaissent ¯ ¯ ¯ ¯ la valeur des propriétés et savent établir les prix se sont proposés.] Et ils ont fait le tour de la palmeraie dans le jardin d’al-Hajj Ahmad et ils l’ont évaluée à 600 duru. en mithqa 55. in P. p. Argent et crédit Cette perméabilité économique est reflétée par la pénétration de l’argent dans les aspects les plus intimes des économies locales. Éd. maisons. Et en effet. comme par exemple une esclave. restées à Tombouctou et dont la valeur est maintenant disputée 59. LYDON. ¯ Tout. pour échapper à ses créanciers. à l’exception des barres de sel achetées avec de l’argent emprunté dans le Touat. D’autres questions concernent les modalités de paiement des dettes : peut-on rembourser des dettes avec d’autres biens. p. 58 . 707-708. toutes les sources s’accordent sur le fait que. Voir aussi Paul PASCON. ou bien à celle payable au Touat ? Pour un cas comparable.NG.. 485 . 35-3/4.. G. signe supplémentaire des interdépendances financières. dans la Ghuniya déjà. confisquée par ses créanciers.. le remboursement des héritiers se faisait souvent attendre. cit. voir NG.. 59 . 1980. au long des 800 pages de l’ouvrage. p. p. 336. ¯ 57 . Pourtant. terre. 206 : correspond-elle à la valeur de la marchandise à Tombouctou. a plus de sens que l’accumulation dans un endroit fixe et jamais sûr..] la maison ¯ ¯ de Musa b. Sayyid al-Barka : elle vaut 900 duru.] Et trois quarts de l’âne de Hansanı b.NG. le duru est la pièce de 5 francs. terres et eau comprises..ÉCHANGES ET COMMUNAUTÉS pousses de palmiers. À son retour. et vers le nord par les jardins de Sayyid ¯ Hammud b. des questions ayant trait aux dettes reviennent. [. ici p. même si elle a moins de valeur que la dette initiale ? Peut-on compenser une dette avec une autre ou 56 . malgré l’importance de l’évaluation en argent. p. la monnaie se faisait rare. le père qui.. On Trans-Saharan Trails. transfère toutes ses propriétés ancestrales (asl) à son fils. Ou le débiteur qui voit ¯ la totalité de ses biens. mais aussi expression d’une logique régionale de patronage et d’accumulation 57.. Salim limitée au sud par la maison de Bujma‘a b. avant de partir « en voyage ». Annales HSS. Ici. Hachem ».SQ.] Et [ils ont aussi évalué] la sabkha limitée vers le sud et l’ouest par le chemin et par l’est par l’héritage d’al-Kabıra la fille de Sayyid al-Bakrı et [par ¯ ¯ les propriétés de] Khalıfa b. « Le commerce de la maison d’Ilîgh d’après le registre comptable de Husayn b. op. dépendants de toute sorte ou clients.. le fils refuse non seulement de lui rendre ses propriétés mais aussi de les partager avec ses frères et sœurs – et toute intervention du père devant le qadi s’avère inutile 58. note que dans le Sahara. al-Hajj Ahmad qui vaut 75 duru ¯ ¯ ¯ et le petit âne qui vaut 50 duru 56..... [. 142-143.] Et la moitié de la ¯ ¯ cour qui fait partie de la maison qui est l’héritage de Sayyid al-‘Azız : elle vaut 10 duru... Ainsi. eau et maisons.] Et les maisons : [. Muhammad. le crédit est un « dispositif d’épargne » là où la dispersion d’argent parmi des gens. 700-729. p. correspondait donc à une valeur en argent et pouvait être vendu librement. 25-27. p. le manque de liquidités rendant le processus de division partiellement caduc. Habba et qırat sont des mesures d’eau qui peuvent varier d’un qsar à ¯ ¯ l’autre. Le Touat n’a jamais frappé sa propre monnaie et. Yasad avec le passage ¯ ¯ ¯ ¯ couvert qui est dans la maison de Bujma‘a : elle vaut 100 duru [. dans les actes d’héritage. avec une régularité presque monotone. Cette précision monétaire couplée à un manque chronique de numéraire indique l’importance des relations de dette. 146. il semble qu’une fois le partage fait sur le papier.] cinq habba et 13 qırat et dix qırat des grands qırat : elle vaut 976 duru et ¯ ¯ ¯ ¯ ¯ ¯ ¯ dix salad [.Une grande partie de ces dettes n’était probablement jamais payée : il s’agissait de stratégies d’accumulation de débiteurs autant que de dettes. ¯ ¯ Et l’eau : [.. . 64 . voir G. il a le droit d’être remboursé après consentement du vendeur. ses terres devenaient la propriété de l’acheteur.. p. 213 et 216-217. « d’un passage couvert » ou de « trois quarts d’un âne » n’a un sens que s’il s’agit d’investissements amenant une rente plutôt que de lieux de vie ou d’outils de travail.. D’où les débats récurrents sur la nature exacte de « l’usufruit » à payer – s’agit-il de toute la récolte. le prêteur réclame le « droit d’usufruit » de la propriété. 138. la question encore plus pressante des hypothèques (ruhun. On Trans-Saharan Trails. La Ghuniya confirme ce lien étroit entre agriculture et investissement à but commercial : ainsi. dit le qadi. p. les nombreux vendeurs qui essaient de récupérer les terres ne seraitce que quelques jours après la fin du contrat. Or.G. singulier rahn) sur les ¯ terres. 206. Ainsi. le vendeur ne pouvait pas rembourser le prix d’achat. aussi.. 206-207. Les limites de l’espace utile et de l’espace approprié ne s’y recoupent pas : la propriété « de la moitié d’une cour ». découvre un défaut grave et imprévisible. et entre mari et femme (NG. p. 212. sujet de prédilection des nawazil. p. 139. De manière générale. cit.NG. op. Pour des prêts à l’intérieur des familles en Mauritanie. p. cit. les maisons et les récoltes ne laisse aucun doute sur l’enracinement profond du système de crédit 61. 147-148). ou des débats sur qui doit assurer 60 . LYDON. par exemple – a entre-temps été volée ou endommagée 60 ? Si ces questions se mettent aisément sur le compte d’un système commercial transsaharien ou régional que l’on pourrait imaginer extérieur à l’agriculture locale.. une maison avec jardin y est hypothéquée chez un tiers pour garantir l’achat des biens qui seront délivrés après un délai fixe. et il s’agit clairement des prêts à intérêt mal déguisés. un tel arrangement n’est possible que si l’hypothèque ¯ (rahn) est transformée en vente avec restitution (iqala) 62. L’acte d’héritage cité plus haut montre que jardins et maisons pouvaient servir de fonds d’investissement indépendamment de leur valeur d’usage. aucune mention n’est faite d’un défaut quelconque. Si de tels cas apparaissent parfois dans la Ghuniya (comme ce chameau « bien gras » qui décède subitement lors d’un voyage. ou seulement des dattes. LYDON. de continuer à les travailler et de payer « l’usufruit » – c’est-à-dire une partie de la récolte – à l’acheteur avant de le rembourser pour récupérer ses terres. 216). 61 . décrit la iqala comme une ¯ vente avec une clause de garantie : si l’acheteur. interdit par la sharı ‘a 63. Si. 63 . p. il était pratique courante ¯ ¯ de « vendre » ses jardins pour une durée déterminée contre une somme d’argent en espèce ou en nature. à la fin du contrat. 62 . L’hypothèque est valable jusqu’à la date prévue pour l’arrivée des biens et. tant qu’elle dure. la ¯ iqala. On Trans-Saharan Trails. semble le plus souvent avoir caché un ¯ ¯ emprunt avec intérêt (riba). 219-220). op...Des hypothèques sur terre étaient pratique courante même à l’intérieur des familles : entre frère et sœur (voir par exemple NG.NG. p. 304-306. p.. 486 .NG. dans la plupart des cas.JUDITH SCHEELE l’utiliser pour passer des commandes futures (salam) de grains ou d’esclaves ? Peuton vendre des dettes à un professionnel qui se chargerait d’en récupérer autant qu’il pourra ? Qui doit rembourser une dette réglée avec un tiers qui a perdu l’argent en route ? Que faire d’une dette si la chose donnée en gage – un tapis ou des armes. 218. dans un délai fixé à l’achat. ou des produits maraîchers à l’exclusion des dattes 64 ? D’où. consomme rapidement aux époques des récoltes ce dont elle dispose. 67 . les premiers officiers français aient été frappés par l’étendue et l’enracinement des réseaux de crédit : Il se produit en effet dans les oasis ce qui se produit ailleurs. datées des années 1920 ou 1930. et qu’il est inadmissible. 69 . Plus près de nous. l’insistance répétée du qadi sur le fait qu’une iqala est une vente et pas un prêt. vers 1960.CAOM 23H102. et d’autres documents archivés aux Archives du ¯ ¯ Cercle de Kidal (ACK). Aussi les cours des grains et des dattes sur les marchés montent-ils rapidement pour atteindre chaque année le double et le triple des taux normaux. Cette manière de procéder place la classe pauvre dans la dépendance absolue des riches 69. nous viendrons te payer 67. mais qui restaient pourtant essentielles à leur quotidien : Louanges à Dieu et que la bénédiction de Dieu soit sur notre Seigneur Muhammad. « Risala ». Ce sont en réalité des prêts à six mois qui sont consentis par les gros propriétaires avec un intérêt de 200 et 300 du cent. finalement. toujours imprévoyante. Acculés par la misère. Après : tu me vois qui t’envoie le fils de notre oncle paternel Muhammad Salim b. faites par des particuliers pour des sommes d’argent qui sont parfois minimes. ¯ ¯ « comme font beaucoup de gens ». Ahmad avec dans sa main deux duru : le prix d’un kilo de sucre et d’un quart ¯ ¯ de livre de thé. 139-140 et 141. 65 .NG. 66 . p.NG.Note extraite des archives de la famille d’al-Makkı al-Markantı. « Rapport annuel.ÉCHANGES ET COMMUNAUTÉS les réparations nécessaires entre-temps 65. De celui qui l’a écrit au sharıf béni le Sayyid Mulay ‘Umar fils du sharıf le Sayyid ¯ ¯ ¯ ¯ Mulay al-Jilalı que mille salutations de Dieu soient sur toi et la miséricorde de Dieu et ¯ ¯ ¯¯ sa bénédiction. Et même si cela ne suffit pas pour payer ce que je te dois s’il te plaît ajoute pour moi encore seize chemises de coton qui valent un franc et huit salad. les petits propriétaires ou khammès. Mali. commerçants zuwa ¯ ¯ ¯ ¯ installés à Adrar et Timimoun. Kidal. les archives des grandes familles commerciales sudalgériennes sont remplies des notices des dettes. 487 . La population pauvre.Hamu ZAFZAF. 1909. Et d’où. liés aux commerçants algériens établis à Kidal et dans le Tidikelt. Il n’est donc pas surprenant qu’à leur arrivée dans le Touat en 1900. p. avec la gracieuse permission de Mekki Kalloum. il s’étendait même aux pasteurs nomades du Nord du Mali. achètent à crédit ce qui est nécessaire à leur subsistance et l’échéance a lieu aux récoltes suivantes. de l’utiliser pour déguiser l’usure 66. qui leur avançaient des biens pour vivre et pour faire du commerce à leur propre compte 68. 139. Au XXe siècle tout au moins. un jour avec la permission de Dieu. 68 . et une livre de sucre et un quart de livre de thé et. Cet endettement permanent parcourt tous les récits d’histoire familiale des agriculteurs et petits commerçants au Touat. annexe du Tidikelt ». harratin ou nègres. Le projet n’aboutit pas. voir Daniel J. Une anecdote rapportée dans les archives coloniales indique l’ampleur de ces réseaux financiers et leur enracinement profond. destinataire de la note citée plus ¯¯ haut. V. 1911. selon le commandant du poste . SCHROETER. 72 . acheter les dettes qu’ont les gens des oasis envers des commerçants mozabites par l’intermédiaire de ses cousins zuwa pour ¯ ainsi devenir propriétaire de « tous les jardins » de la région 74. « Les commerçants transsahariens ». mémoire du Centre des hautes études sur l’Afrique et l’Asie modernes (CHEAM). colonel de FRAGUIER. 1958 . « Rapport annuel. et David P. CHAN. ‘Umar al-Jilalı. GUTELIUS. contre des hypothèques de toutes leurs propriétés. à qui ils étaient liés par un endettement chronique 70. longtemps transporteurs privilégiés des commerçants du Mzab et qui. « Le commerce du Touat ». selon la légende familiale. Tit et Aoulef en 2007 et 2008. 71 . l’armée française ferait mieux de l’envoyer. A. annexe du Tidikelt ». dit-il. CAOM 23H102. terre. 28 avril 1851 . puissante fédéra¯ ¯ ¯ tion nomade de l’Ouest algérien. créant des chaînes d’intermédiaires liés les uns aux autres par des obligations financières (et autres). Social Networks and Economic Change in Morocco. investissaient souvent dans le commerce pour leur propre compte et pratiquaient « une usure souvent scandaleuse 72 ».JUDITH SCHEELE Or les petits commerçants qui tenaient ces dettes ne s’en sortaient guère mieux : ils n’étaient que des représentants de grands commerçants basés ailleurs. eau. 1948. Reynaud. Quant aux Sha‘anba. 25 mai 1893. En 1893. p.Selon des entretiens menés à Adrar. descendants des Awlad Sıdi Shaykh. l’histoire orale parle des Zuwa. 74 . 1988 . par leur intermédiaire. néanmoins.CAOM AffPol 2178/6.Centre historique des archives nationales (CHAN) de Fontainebleau. était un Zuwı d’Abiodh Sidi Cheikh installé à Timimoun et Adrar. « ‘The Path is Easy and the Benefits Large’: The Nasiriyya. 70 . à la veille de la conquête du grand Sud. 488 . mémoire du CHEAM. Pour des réseaux financiers comparables au Maroc. Or ‘Umar ¯ lui-même devait des sommes beaucoup plus importantes à des banquiers juifs du Tell qui. avec des banques européennes. L’argent pouvait donc venir de loin. 43-1. ils étaient le plus souvent débiteurs des commerçants du Mzab.CAOM 22H13. lui avaient demandé « les bijoux de sa mère et de ses sœurs » en gage. et de l’étendue des réseaux qui l’étayent.CAOM 22H38. 27-49. étant « trop cher ». qui avaient à leur tour des relations financières avec des banques juives de la côte. Cambridge. et palmiers. Cambridge University Press. la proposition témoigne de l’importance du crédit dans les rapports de production et les régimes de propriétés locaux. notamment de Tripoli et. par des Sha‘anba installés au Touat et Tidikelt 71. 1640-1830 ». 1957. 1844-1886. Dans leurs récits historiques. 2002. Merchants of Essaouira: Urban Society and Imperialism in Southwestern Morocco. Sinon. Les Sha‘anba étaient des pasteurs nomades de la région de Metlili près de Ghardaïa. avec l’arrivée des Français. « Rapport du CHEAM sur le Sahara ». comme agent commercial. « Le ministre de la Guerre au Gouverneur général de l’Algérie ». les descendants de petits commerçants du Sud algérien reviennent toujours sur les premiers prêts faits à la famille. 73 . surtout italiennes 73. un commerçant zuwı « très au fait des réalités du Sud » approcha l’armée française à Laghouat : au ¯ lieu de conquérir les oasis par la force. « Lettre du général Marmet commandant la subdivision de Médéa au général commandant la division d’Alger ». Journal of African History. Campens. REYNAUD. les Zuwa avaient investi dans la terre et dans l’eau et ouvert des ¯ succursales un peu partout dans le Touat et le Tidikelt. leur nomadisme. art. évolution de la tribu durant l’administration française. 78 . 27. Problèmes économiques d’une oasis à foggaras ». Les Chaanba. CHAN. ils occupaient une rue entière dans la ville d’Agadez. 80 . achetaient aussitôt des propriétés dans le Touat. voir aussi Auguste CAUNEILLE. jardins.CAOM 22H50. 21 janvier 1862 . 81 .Pour Agadez. En 1957. Ainsi. 1951/2 » .Ibid. camions et cars. les logiques poursuivies par des commerçants de la région témoignent tout autant d’une volonté d’investissement et d’expansion. 16. 76 . au sousgouverneur de l’Algérie ». Ces succursales payaient une redevance annuelle à la zawiya-mère à Abiodh Sidi Cheikh. du CNRS. Éd. pour Tessalit et Kidal. 75 . « Les Chaamba du Gourara ».. « Irrigation. ». au Nord du Mali 81. ils étaient parmi les premiers à s’installer dans les nouvelles colonies commerciales de Tessalit et de Kidal. chef d’annexe d’In Salah au commandant militaire des oasis ». au Nord du Niger. 1968.ÉCHANGES ET COMMUNAUTÉS Commerce et religion Or. automobiles. « Notices sur le Tidikelt ». par contre il achète souvent quelques biens immobiliers : maisons. un des commerçants sha‘anba ¯ les plus riches du Sahara. p. Bien avant. « Lettre du capitaine Métois. voir les rapports conservés à Kidal aux archives de la préfecture (ACK). 489 . « Lettre du général commandant la division d’Alger. « Les commerçants transsahariens ». 77 . les Bani Mzab possédaient des palmiers et des jardins à Ouargla et dans le Touat et le Tidikelt 76. En contrepartie. 79 . voir CAOM 28H2. mémoire du CHEAM. Les Zuwa animaient le commerce à travers la région à partir de leur ¯ base à Foggarat Ez-Zoua. « Aoulef. on peut dire qu’Hadj Ahmed est aujourd’hui un des hommes les plus riches du Sahara . CAPOT-REY et W. R. jardins.A. Au contraire. Capitaine J. il possède villas. Dans le passé. 1962 . magasins. parts d’eau. Simon.CAOM AffPol 2178/6. cit. au début du XXe siècle. ces réseaux de crédit et d’investissement n’étaient pas uniquement « l’appareil de pompage et d’évacuation de numéraire » décrié par les administrateurs coloniaux 75. CHAINTRON. op. où ils constituent jusqu’à ce jour le cœur de la bourgeoise marchande 77. cit. 20 juin 1900. convertis en soldats et en fournisseurs de l’armée coloniale. DAMADE. 1957. « Monographie du Territoire militaire des oasis sahariennes. dans le Tidikelt 80. Travaux de l’Institut des Recherches Sahariennes. 19 juillet 1903 . Leurs convoyeurs sha‘anba. Je ne pense pas qu’il ait des actions ou des titres de bourse ni qu’il garde de l’or ou des billets dans son coffre . p.CAOM 22H13. pour y faire du commerce .CAOM 10H86. comme suit : Quelque soit le montant exact de sa fortune.. ¯ elles profitaient du rayonnement régional et du prestige spirituel des Awlad Sıdi ¯ ¯ Shaykh 79. maisons de rapport. Paris. « Rapport du CHEAM sur le Sahara ». 101-130 ..-F. un rapport français présente la fortune d’al-Hajj Ahmad Akacem. palmiers dont il dotera plus tard l’un de ses enfants 78. Tidikelt ». descendant du shaykh Mawlay Hayba. Hirtz. G. Dès leur installation à Tit près de ¯¯ Tamanrasset. rapports sur les activités de la zawiya. p. « Siège d’Ain Madhi par El-Hadj Abd-el-Kader ben Mohi ed-Din ». « Reconnaissance du bassin supérieur de l’Igharghar et visite du Sud du Ahaggar et de l’Ahnet. document ronéotypé conservé à la bibliothèque de la Maison méditerranéenne des sciences de l’homme (MMSH) à Aix-enProvence. des terres que les Zuwa faisaient tra¯ vailler par leurs haratın 82. 75-88. avec Yazid Ben Hounet. ailleurs. Ainsi. confrérie qui avait. et elles payaient à leur tour des redevances à la zawiya-mère 85. G. ¯ ¯ fondé des dépendances agricoles à travers le Sahara. Revue Africaine. KOHL (dir. Tauris & Co. Ahaggar. Aujourd’hui. Copenhague. « Étude sur Laghouat. « Rapport de tournée du Capitaine Dinaux. Londres. avant tout. un officier français en tournée dans l’Aïr rencontre plusieurs haratın à Agadez qui disaient ¯¯ être originaires du Tidikelt et désiraient y retourner 83.CAOM 28H2. 19 juillet 1903. les routes commerciales déviaient pour bénéficier de la protection du saint fondateur du lieu. 3 mai au 29 octobre 1905 » . dans le Hoggar. 83 . CAOM 16H44-5 et 51-3. et leur capacité à cultiver la terre – par haratın interposés – en était la preuve vivante. CHEAM. et « Notices sur les districts du Tidikelt ». Simon. « Notices ». des colonies agricoles et des centres religieux.L. Ils étaient. B. 354-371 . la zaouïa d’Aïn Mâdhî ». 1893. cité plus haut comme entrepôt des nomades Arba‘. BARRÈRE. hiver 1905-1906 » . 21 mai 1900 . Ahnet. Dinaux. ¯ 82 . les Mekhalif. Sur la zawiya Mawlay Hayba. CAOM 22H72.Enquête réalisée au printemps 2006. Aïn Madhi.JUDITH SCHEELE Les Zuwa étaient aussi à l’origine des colonies agricoles du Hoggar.Les premiers « colons » agricoles dans l’Ahaggar y trouvaient déjà des traces de systèmes d’irrigation plus anciens : il s’agit donc peut-être d’un mouvement pendulaire d’expansion et de rétrécissement. Ecology and Culture of the Pastoral Tuareg. CAOM 22H68. Or. The Tuareg in a Globalised Society: Saharan Life in Transition. Musée national. capitaine Métois. 84 . CAOM 22H50. dans le nord du Sahara algérien. 1950 . p. Voir aussi Johannes NICOLAISEN. l’installation des colonies agricoles ¯¯ zuwı ne date que de la première moitié du XIXe siècle. nouvellement enrichie grâce à ses liens internationaux 86. « Contribution à l’étude de l’évolution sociale du centre de cultures d’Idélès ». ¯ 86 . et donc spécialistes reli¯ ¯ gieux imbus de la baraka de leurs ancêtres. 47. l’installation des Zuwa ¯ dans cette région n’obéissait pas uniquement à des logiques commerciales.).CAOM 22H36. CAOM 8X192. ARNAUD. 1864. I. Rapport de tournée du Lieutenant Voinot. Si. par exemple. FISHER et I. « Rapport ». Aïr septentrional. contre une partie de la récolte. 85 . with Particular Reference to the Tuareg of Ahaggar and Ayr. D’autres haratın qui résident toujours dans le Hoggar sont originaires des oasis ¯¯ agricoles de Djanet et de Ghat : voir Dida BADI. 2010. leur investissement ¯ dans les terres et dans le jardinage semble plus ancien. Adrar nigritien. in A. 490 . en 1903. voir CAOM 22H36. « Genesis and Change in the SocioPolitical Structure of the Tuareg ». à l’instar des Awlad Sıdi Shaykh. Et ils n’étaient pas les seuls à fonctionner ainsi. mais la plupart de leurs troupeaux appartiennent désormais à la zawiya. chef de l’annexe d’In Salah. Zuwı ¯ ¯ et patron d’une de plus grande zawaya du Tidikelt 84. 1963. Ces dépendances étaient établies grâce aux dons et souvent aussi au travail des adeptes. descendants des Awlad Sıdi Shaykh. Leurs établissements étaient ¯ ¯ donc à la fois des relais commerciaux. était aussi un des ¯ chefs-lieux de la Tijaniyya. « Lettre au commandant militaire des oasis ». ¯ ¯ « Notes sur les personnages influents du Touat. des Arba‘ nomadisent ¯ ¯ toujours dans la région. Gourara. les Larbaâ. fondées ¯ dans les années 1840 à l’instigation des Touaregs Ahaggar qui mettaient à leur disposition. Jean CLAUZEL. avaient été plantées par des mrabtın du Tidikelt ou par des Kunta. Leroux. cit. d. 35. En même temps. Paris. était. saints commerçants de l’Azawad. CAOM 28H1. D’autres palmeraies. Elle offrait un sanctuaire sûr à tous ceux qui en cherchait un. aujourd’hui au nord du Mali. cit. La maison d’Iligh. offrant ainsi une protection militaire autant que spirituelle aux habitants des environs et aux clients du shaykh. mais aussi ¯ ¯ des habitants des villes du nord de l’Algérie. Études sur l’islam et les tribus du Soudan. Travaux de l’Institut des Recherches Sahariennes. 147-149. dont elle abrite la bibliothèque jusqu’à ce jour 89. Chardenet. Kuntı de l’Azawad. elle était une preuve tangible de la baraka de leurs fondateurs. Elle était un centre agricole et pastoral important qui canalisait le commerce du Hoggar et du Tidikelt vers la région de Gao. avait été fondée par des Kunta. 1995. « un peu plus grand que [la ville de] Gao 90 ». et contenait la bibliothèque du shaykh. célèbre dans toute la région. IREMAM/MSH. 31-1.Voir les documents archivés aux ACK . 491 . en plus de plusieurs milliers de chèvres et de moutons gardés par des pasteurs nomades affiliés à la zawiya. p. « Rapport trimestriel. . de même que son école 91. E.Paul MARTY. PASCON. À la fin du XIXe siècle. D.. La zawiya recevait des dons des tribus nomades du Maroc. Abdallah Hammoudi et David Gutelius au Maroc. « Les hiérarchies sociales en pays touareg ». et « Le commerce de la maison d’Ilîgh. 89 . Société de Géographie. p. 92 . GUTELIUS. Une confrérie musulmane saharienne sous le regard français. « La zaouïa de Kerzaz » . 615-641 . 1918-1919. s. lui-même né à Tahoua dans le centre du Niger. 91 . 3-4. La zawiya d’Akabli.. 1. la zawiya de Kerzaz. « Monographie de Baye ».. 88 .P. 90 . ou plutôt par leurs haratın 92. grâce aux relations privilégiées qui les liaient aux Arabes nomades de ces contrées. telles que Tlemcen . relais principal sur la ¯ route qui liait le Tidikelt à Tombouctou. ¯ ¯¯ 87 . (début des années 1900). Les haratın du shaykh y cultivaient des céréales et des légumes. Documents scientifiques. art. Arnaud. op. en 1950. « Akabli ». ici p. p. 1980. possédait 65 810 palmiers à travers le Touat. La légende noire de la Sanûsiyya. sont nombreux.. au-delà des entreprises des Awlad Sıdi Shaykh et de la ¯ ¯ Tijaniyya. construite par son père dans la ¯ ¯ ¯ ¯ deuxième moitié du XIXe siècle à Téléya près de Kidal. et Jean-Louis TRIAUD. « Sainteté. à Tessalit et à Kidal. le shaykh de la zawiya. Abdallah HAMMOUDI.ÉCHANGES ET COMMUNAUTÉS L’importance économique des zawaya ne fait plus aucun doute depuis les ¯ ¯ travaux de Paul Pascon. 1908-1909 et 1911-1912. 1er trimestre 1950 ». La zawiya de Shaykh Bay. Elle avait deux puits à l’intérieur de l’enceinte. à mi-chemin entre Adrar et ¯ la frontière marocaine. était parti en ¯ quête de dons en Afrique de l’Ouest 88. Annales HSS. Les Berabich.. Fonds anciens. Affaires politiques musulmanes. Les Kounta de l’Est. 1918. au début du XXe siècle. Dans le Sahara algérien et malien. t. Paris.. 119-137 . » .CAOM 22H50. et de Jean-Louis Triaud en Libye et au Tchad. ainsi que du tabac ¯¯ et des dattes pour l’exportation. carton 1D305. les exemples comparables. « ‘The Path is Easy’. Missions de Gironcourt en Afrique occidentale. 1920. Paris..Archives nationales du Mali (ANM). et il est souvent impossible – et futile – de distinguer entre la vocation commerciale et religieuse de ces établissements 87.CAOM 22H70. ».. pouvoir et société : Tamgrout aux XVIIe et XVIIIe siècles ». 120-162. p. 145. pour assurer la sécurité ¯ des voyageurs à destination du sud. à une échelle plus restreinte. 1962. Les Iguellad. Georges DE GIRONCOURT. Commissariat de la politique en AOF. Albert. .Entretien avec Mekki Kalloum. il était venu chez eux pour leur apprendre l’arabe ¯ et tout. ». justice et protection dans des endroits auparavant « vides » revienne dans pratiquement tous les récits de fondation des qsur ¯ sahariens. de la langue arabe et même de l’Islam dont ils seraient personnellement responsables.. mais aussi aux commerçants sahariens de l’époque plus prosaïque des camions..JUDITH SCHEELE Tenant compte de l’importance économique. signe premier de baraka . mais je reste dans la cabine. les douaniers sont difficiles. On Trans-Saharan Trails. dans sa famille. LYDON. qui. Le douanier il m’a dit que quand il était petit. mon père est rentré avec un Algérien. venu d’ailleurs. 492 . socioculturelle et politique des zawaya. on passe. et puis le chauffeur il va voir les gens de la douane [malienne]. commerce régional et transsaharien. leur acharnement à cultiver le désert reste difficilement compréhensible. pas de problème chef. j’arrive à la frontière avec mon camion et mon chauffeur. Les saints et les relations transrégionales qu’ils représentaient permettaient un échange de capitaux et de main-d’œuvre adapté à la fragilité de toute économie saharienne. et puis le patron lui-même il vient voir le camion. C’est qu’il m’a reconnu tout de suite : je ressemble à mon oncle. neveu de ‘Umar al-Jilalı et de son frère légendaire. Adrar. il leur a apporté la baraka et c’est comme ça qu’ils sont devenus riches eux-mêmes 93. les descendants de grandes familles commerçantes algériennes parlent surtout de la « première maison » qu’ils auraient construite quelque part « en brousse ». ce travail en eau. investissement dans l’agriculture et vocation spirituelle et « civilisatrice » vont de pair dans des projets de 93 . poursuivit les routes transsahariennes de son oncle à la recherche de la gloire. qui ¯ ¯ amène eau.. de l’introduction du thé. Comme se souvient le doyen de la famille Guindo : « Un jour. dans les années ¯ ¯¯ ¯ ¯ 1980. entretien à Gao. Mekki adore conter des légendes : c’en est probablement une 94. Mon père était riche est respecté de tous. il m’invite à déjeuner chez lui. un commerçant qu’il avait rencontré à Gao et qui ne savait rien de rien. al-Makkı al-Markantı. mais sans « mission civilisatrice ». agriculture.Ce qui. ne reflète pas forcément le point de vue malien. d’ailleurs. il dit que tout va bien. 24. Interrogés sur leurs histoires familiales. al-Makkı. et avec qui. tout change : il m’invite à descendre. Mekki.. Cette association entre agriculture sédentaire. cit. celui qui a construit la première ¯ maison de Kidal et qui a introduit le thé là-bas. janvier 2008. voir G. comment parler aux gens ici et comment s’habiller – c’est comme ça qu’il est devenu riche. commerce et influence spirituelle reste opérationnelle à travers la région. Depuis. p. et là. Mais le cadre qu’il choisit pour relater ses aventures montre la force du modèle du saint fondateur. donc il l’a aidé : il lui a montré comment faire du commerce. op. il avait connu al-Makkı. Ainsi. et cette eau en jardins... Puis il me voit. de l’aventure et du franc CFA convertible : La première fois que je suis parti au Mali. Puis les choses s’embourbent. bâtisseur des zawaya et des villes et pourvoyeur de baraka au bilad al-sudan. Elle semble avoir fourni un modèle d’action non seulement aux saints des temps légendaires. il est peu surprenant que l’image du saint fondateur.. ils nous disent bonjour seulement. d’autant plus qu’ils pouvaient convertir leur prestige religieux en travail. Nombreux sont les commerçants qui disent avoir introduit le thé au Sahara : pour un autre exemple. ¯ ¯ ¯ ¯ ¯ Dans ce modèle. octobre 2007. civilisation. 94 . ¯ multiples et plus contemporaines. à des pressions extérieures. la migration et le commerce. Une telle ouverture a de lourdes conséquences : les oasis étudiées ici participent pleinement d’une économie monétaire. Par les réseaux humains. un projet civilisateur.ÉCHANGES ET COMMUNAUTÉS « colonisation » intérieure qui procédaient (ou échouaient) non pas par contrôle territorial ou militaire. elle s’est focalisée sur ses ressources . d’autres réseaux. 2012. au contraire : là où il y a des État forts et riches. politiques. crédit et protection 95. Cet argument est bien évidemment réversible : afin de comprendre la mobilité. 493 . des villes-entrepôts des zones frontalières actuelles. suivant une logique de sécurisation économique et sociale. elle s’est réorientée vers d’autres liens. Cambridge. dans une stratégie de dispersion du capital et d’accumulation de clients. la dépendance des oasis vis-à-vis de l’extérieur ne s’en trouve pas diminuée. Mais elle s’explique dès que l’on admet que le but recherché n’est pas l’accumulation des capitaux. là où il y a « faillite » des États. L’argent sert de mesure universelle. Aujourd’hui. les développements nationaux à plusieurs vitesses et les crises actuelles. voir Judith SCHEELE. D’autant plus qu’en fin de compte. Ainsi. mais le règlement des comptes est toujours remis à plus tard.Pour d’autres exemples qui témoignent d’une logique comparable. mais l’ouverture vers un monde plus large qui offre des sources d’investissement et des possibilités de diversification. Le rôle important joué par les zawaya dans la région témoigne de cette double logique. la vivification du Sahara reste tout d’abord un problème de disponibilité et d’organisation du travail : c’est dire qu’elle est un exploit social et politique. nous arriverons peut-être un jour à élucider l’énigme de la faggara – et celles. mais par réseaux personnels. sociaux et spirituels. Dans le Touat. elles fournissaient autant de caisses d’assurance et de lieux de diversification qui permettaient l’accès à des ressources éparpillées mais nécessaires. Cette ouverture est facilitée par l’adoption du droit islamique. les oasis dépendent économiquement comme socialement de leurs liens avec l’extérieur : elles s’inscrivent dans plusieurs réseaux régionaux. « L’énigme de la fagga » soulève une série de questions à laquelle il est impossible ¯ra d’apporter une réponse unique. y compris à l’époque contemporaine. mais aussi et surtout résultat d’un désir local de s’inscrire dans un monde moral et légal plus large. Smugglers and Saints of the Central Sahara: Regional Connectivity in the Twentieth Century. qui vont du transfrontalier à l’international. économiques. il nous faut pouvoir les situer par rapport aux spécificités locales et aux liens multiples qui les lient aux écologies régionales – dans le sens large et dynamique du terme. Université d’Oxford 95 . Judith Scheele All Souls College. ou plutôt d’une économie de la dette. si les mobilités sahariennes ont profondément changé. cette inscription semble se faire au détriment des avantages économiques ou même de la cohésion locale. spirituelles et autres. suite. les indépendances. Cambridge University Press. ¯ ¯ financiers et sociaux qu’elles représentent. certes. avec la colonisation. Parfois. qui se croisent sans jamais se fondre l’un dans l’autre. mais aussi un défi moral. Car établir une oasis n’est pas seulement un problème technique d’irrigation et d’agriculture.