Jean Pépin. L'hermeneutique ancien

March 26, 2018 | Author: Mark Cohen | Category: Hermeneutics, Aristotle, Plato, Rhetoric, God


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Poétique 23 (Paris, 1975): .291-300 Jean Pépin L'herméneutique ancienne Les mots et les idées Les pages que l'on va lire se proposent d'examiner, dans la grécité classique et tardive, le sens du verbe herméneuein et des substantifs ou adjectifs de la même famille, tels que herméneia, herméneus, herméneutès, herméneutikos (d'où « her-méutique »), etc.1. Sans doute estàl d'une bonne méthode, pour cette enquête, s'abstraire autant que possible des amplifications dont l'herméneutique a bénéficié depuis qu'elle vint se greffer sur la méthode phénoménologique 2 ou sur l'investigation analytique 3. Sa traduction latine par interpretatio a joué un mauvais tour à l'herméneia. Car le substantif interpretatio, passé à peu près tel quel dans les langues européennes modernes, a un préfixe très visible qui lui confère, avant toute spécification, le sens de base d' « entremise »; et cette acception prégnante s'est reportée sur herméneia, dont l'étymologie inconnue n'offrait aucune protection. Le résultat de cette contamination est que le mot grec en est venu à signifier « interprétation », et que l'herméneutique reçoit couramment aujourd'hui pour synonyme l'exégèse *. Or le sens originel de herméneuein et des mots apparentés, en tout cas leur sens principal, n'est pas celui-là; il n'est pas loin d'en être le contraire, si l'on accorde que l'exégèse est un mouvement d'entrée dans l'intention d'un texte ou d'un message. Car l'herméneia désigne le plus souvent l'acte d'exprimer, dont le caractère d'extraversion est, on va le voir, fortement souligné. Le plus connu des traités anciens Péri herméneias est, à juste titre, celui d'Aristote; il trouve place dans la collection logique dite Organon; mais la frontière entre dialectique et rhétorique est indécise dans l'Antiquité, et le traité d'Aristote devait engendrer une postérité rhétorique 6. Ce philosophe ne définit pas expressément sa notion de l'herméneia, 1. Dont on verra à l'occasion les équivalents latins. On devine que la plus grande partie du matériel mis en œuvre ici provient des dictionnaires et index : Liddell-Scott-Jones, Lampe, Ast (Platon), Bonitz (Aristote), Leisegang (Philon), etc., sans oublier J. Behm, art. herméneuo, etc., dans Theohgisches Wôrterbuch zum Neuen Testament, t. U, Stuttgart, 1935, p. 659-662; pour interpretari et les mots de même famille, le Thésaurus Linguae Latinae. 2. Cf. P. Ricœur, « Existence et herméneutique », dans le Conflit des interprétations, Paris, Seuil, 1969, p. 7-9. 3. Cf. ibid., p. 124 sq. 4. Cf. ibid., p. 7 : «... le problème herméneutique s'est d'abord posé dans les limites de l'exégèse dans Hermes. Voir F. 285-311. repris dans R... « Demetrios Péri herméneias und sein peripatetisches Quellenmaterial ».[..] Si l'exégèse a suscité un problème herméneutique. p. édit. » 5. Hildesheim. 1968. Stark.. Rhetorika. 241-267. . p. 66 (1931).. Solmsen. à ce titre. mieux deux espèces du logos. 11. élocution. on pourrait traduire « discours » au sens rhétorique (où l'on parle des « parties du discours »). couramment tra-duits par « interpréter ». l'intellect emploie le langage. sur le langage comme herméneus des délibérations de la pensée sa sœur. Il ne serait pas impossible de traduire dans les deux cas par « exégèse ». 108. 414 d. H 8. « interprétation ». 32. succombe devant Caïn. 6. encore Quod deterius. dans les textes que vient de parcourir chez Philon autant que chez Aristote. et jamais de l'« interprétation » prise au sens d'exégèse. ne manquerait pas de portée. 22. 10. II 17. Mais il est clair que. cf. Yherméneia d'Aristote est une sémiologie. 14. Lipsiae. Un autre auteur digne d'être interrogé sur le même sujet est. Discours. mais il est plus probable que Philon a en vue 1' « expression » littérale et l'« élocution » du commenta- ce texte et du suivant. autant de mots qui suggèrent qu'il n'y a d'herméneia qu'humaine. De migrât. Autre synonyme concourant. par exemple que le mythe. le penseur irréprochable. 12. les mots hermèneuein. à quoi l'on ajoutera que les exemples rencontrés incitent à restreindre ce langage au domaine sonore et vocal. on rapprochera les Définitions pseudo-platoniciennes. Philon. c'est elle qui enseigne à adapter à chaque sujet l'herméneia qui convient 20. il les amène à la lumière18. De l'âme. par exemple dans le domaine musical ou théâtral. De cherub. où l'adjectif herméneutikos apparaît deux fois (dont une comme épithète de « signe ») avec le sens de « indicateur ». la nature utilise la langue à la fois pour la perception des saveurs et pour l'herméneia9.. de en sorte que la collaboration de ces deux derniers personnages signifie que. rien ne sert d'avoir eu des ancêtres mégalophones17.420 b 17-20. « ne pouvant communiquer ses richesses intérieures. Dieu. 4. qui usent de cet organe en vue de lherméneia mutuelle10. 660 a 35-36. tirés encore de Philon. l'herméneia se constitue par le moyen d'un instrument naturel qui est la voix16. et qui. nécessaire à la vie. 6. teur Sans doute les termes de la famille de hermèneuein sont-ils. d'autres traits sans équivoque. et dont les actes sont respectivement les pensées. est plus répandu dans le règne animal. dit-il. Des parties des anim. et l'élocution [herméneia]. à l'exclusion du geste et de l'écriture. plus restreinte8). Aussi apprend-on sans surprise que l'herméneia. et. comme le dit à peu pres un éditeur classique de l'Organon. le langage exprime (herméneuei) par le moyen de la langue et des autres organes vocaux les pensées dont l'intellect est gros et. dit en effet Aristote. d'un exégète professionnel. la sensation et le langage (logos). diuin. Moïse. il note plus loin que l'auteur du commentaire oral de l'Écriture doit prendre son temps. p. certains sophismes.. apparaît pour le verbe hermèneuein un synonyme qui est « signifier en parlant » (tei lexei sémainein) 7. celle qui opère par le moyen des mots 11. doit être le plus claire possible9. s'il était usuel. etc. et cela est admissible dans la mesure où ces derniers mots. De la respir. sans quoi l'intellect des auditeurs ne pourrait suivre son herméneia 22. Réfut. c'est celui de « langage ». 7. comme un porte-parole (herménei) pour manifester ses conteSi l'on doutait encore que Yherméneia décrite dans ces textes fût une démarche expressive tournée vers l'extérieur. s'adjoint Aaron qui figure le langage. Mais il ne l'est pas. 13. Aristotelis Organon. dans le courant de l'exemple qui suit. suivi ou non d'un complément. Il est notable que le même sens continue de prévaloir dans des cas où le contexte pourtant l'exégèse. quand la langue paralysée se refuse à l'herméneia. Quis rer.. 139 b 12-14. l'intellect tout entier à la contemplation. qui sont l'âme (ou l'intellect).. et c'est ce logos-ci qui est dit Vherméneus de celui-là 14. cf. lorsque Philon décrit la communauté des Thérapeutes se livrant à la lecture allégorique de la Bible : ils croient. hères sit. VI 1. « interprète ». chez certains animaux aussi. 113. Philon d'Alexandrie.40. chez qui l'emploi d'herméneia au sens d'« interprétation ». ordonnée au bien-être. Poétique. Parua natur. c'est le cas des oiseaux. plus exactement dans une anthro pologie allégorique. Philon utilise abondamment le mot en contexte anthropologique. 1844. 8. Il y a en vérité deux logoi frères. 323 : « sensu proprio hè herméneia complectitur signa externa per quaecunque exprimuntur et cum aliis communicantur quae animum afficiunt. Un terme recouvre ces différents emplois. 12. Top. l'originalité de Philon est de mêler à ces considérations anthropologiques deux couples de frères de l'Écriture : Abel. ainsi quand de qui n'est pas identique s'exprime (herméneuetai) de façon identique. l'une mentale. dans les deux series de textes cités. peuvent désigner l'action d'extérioriser par un moyen verbal ou sonore des contenus mentaux par eux-mêmes muets. Th. Abrah. cette fois pour herméneia : c'est le « langage articulé » (dialektos). parole. son tout proche. l'autre proférée. une activité de communication principalement orale. 11. est dévaluée par rapport aux réalités. destinée à communiquer à l'extérieur les états d'âme 12. que l'on est . Waitz.166 b l0-16. a confié en dépôt aux hommes trois facultés. qui a en commun avec le sens du goût le fait que la nature se sert de la langue en vue de l'un comme de l'autre (mais le goût. La fonction ainsi désignée déborde donc l'élocution humaine. relèvent de la forme du discours. à l'aube de l'ère chrétienne. qu'elle parente à une ombre et à une copie là où les objets exprimés seraient les corps archétypes n.292 Jean Pepin Lhermeneutique ancienne 293 mais il la donne plusieurs fois à entendre : c'est la formule dont on use dans une définition. pourrait-on dire. 1450 b 14-15. dit-il. Aristote.. s'entendent tous de l'expression et du langage. le technicien de la parole. t. telle une sage-femme. par exemple dans le traité De la vie contemplative. sous le nom de lexis n'en constitue qu'une espèce. Nullement. qui. La discipline intéressée n'est autre que la rhétorique : c'est elle qui exerce la parole en vue de l'herméneia 19. » 13. sophistiques.1. voici. les images et les herméneiai13. car il s'agit. que les éléments de Yherméneia littérale sont les symboles d'une réalité cachée qui se révèle à mots couverts. Ainsi s'expliqueraient d'apparentes anomalies. 9. affaire de mots.. 476 a 18-19. 71-73 . Quod deterius. 20. De migrât. Quod deterius. 76.habitué à regarder comme l'objet de l'interprétation (au sens d'exégèse).. et plus largement 13. 84 (noter en 15. 3. De migrât. 17. 18. témoin cette phrase d'un 15. 19. 21. . 14. 2. Philon a consacré au meurtre d'Abel et au châtiment de Caïn tout un traité intitulé « Que géné-ralement le pire attaque le meilleur » (Quod deterius).127.. De uita contempl. De uirtut.17.. 74-15. 78. Abrah. 28 (avec la note très éclairante de Colson) et 10.. 36. De congressu erud.. 34. De cherub.12. 193. gratia. en soit dit l'agent (au sens où l'interprétation est expression). 16.105. 14. 22. 68. « bouche » et « prophète » de Moïse). 30. Abrah. 84 deux mots de la famille hermèneuein pour qualifier la fonction d'Aaron. 19. L'hermeneutique ancienne (Aquila) distinct des soixante-dix vieillards. puis il a commenté l'un d'eux. Les dictionnaires fournissent à cet égard un exemple lointain. or on a pu remarquer3l que. le mythe est un interprète (herméneus) plus convenable 23. tandis qu'il se dit interpres quand il pense à son travail de traduction proprement dite 294 Jean Pepin platonicien du IIe siècle de notre ère : « dans les questions dont la faiblesse humaine. les tempéraments créateurs et les « éternels commentateurs. qui s'abritent à l'ombre d'un autre 26 ». . Philosophoumena. tenus généralement pour objets d'exégèse. éd. et il suffira d'en citer un tout petit nombre parmi les plus nets. sur un point justement où elle se sépare de la Septante 29. du même verbe. emprunté aux Trophées de Damas. » De ce que herméneuein n'a pas toujours le sens de « faire l'exégèse ». le plus sou. c'est ainsi que Sénèque oppose parmi les philosophes.26-86. vent. les exemples de cet emploi abondent.5. mais incontestable. La même acception n'est guère moins courante en latin. ainsi Proclus. p. soient appelés parfois « exégètes » (exéghétai) de l'essence des dieux. Justin nomme herméneia une autre traduction lue par des Juifs hellénisés. il se présente comme expositor quand il évoque son œuvre de commentateur. le moine lui oppose de nombreux passages de l'Ancien Testament inintelligibles selon là lettre 27. Il n'y a pas loin de herméneuein — « expliquer » à un autre sens.. p. généralement. Évoquant des écrits d'auteurs inconnus. Commentaires sur la République de Platon. une page de Clément d'Alexandrie s'emploie à rappeler l'événement. qui est « traduire » d'une langue dans une autre. et en la circonstance mieux avisé qu'eux. On observe ce glissement à l'epoque carolingienne chez un théologien d'origine irlandaise. qu'il ne l'ait jamais.12-14. Au cours des siècles. l'historien Eusèbe de Césarée note que du moins ceux-ci étaient « orthodoxes et ecclésiastiques. prooem. Hobein. Commentaire sur le Cantique des cantiques. la Hiérarchie céleste. Le mot apparaît sans cesse dans cette acception. Jean Scot a. même si toute statistique comparative est impossible. 24. bien entendu. à l'exclusion des autres variétés d'interprétation. Maxime de Tyr. IV 5. Quantité de textes attesteraient donc l'emploi de herméneia pour désigner l'exégèse biblique-. On rapprochera le fait que les mythes. et les mots de la famille herméneuein ne s'y rencontrent pas moins de six fois28. le mot se dit indifféremment de toute espèce d'exégèse. 9.Kroll. Jésus « explique (herméneuei) ses propres paroles 24 ». notamment pour désigner la traduction de la Bible hébraïque en grec par les soins des Septante. 45. éd. et Basile nommera herméneutès un traducteur 23. 32). comme le démontre l'interprétation (herméneia) que chacun donne de la divine Écriture 25». il ne s'en suit pas.85.p. Mais ces mots ne sont naturellement pas réservés exclusivement à la prouesse des Septante. éd. également très commun. car ce dialogue met en scène un moine chrétien qui demande à son adversaire juif s'il reçoit l'Écriture « selon la lettre» (kata to gramma) ou s'il l'entend « au sens spirituel et selon l'interprétation » (kata anagoghen kai herméneian) . sous les noms d'auctores et d'interprètes. le sens de « traducteur » pour interpres devient tellement dominant que le mot cesse parfois de désigner l'exégète. Langerbeck. 5 (il s'agit de Jean 4. texte de polémique antijuive daté du vu6 siècle. traduit en latin l'ensemble des traités du pseudo-Denys l'Aréopagite. et quand le Juif a répondu qu'il n'admet pas l'« interprétation ». ne se rend pas clairement compte. 295 Des observations du même ordre seraient valables dans la langue latine. mais il arrive qu'il indique précisément l'allégorie. Grégoire de Nysse observe qu'après avoir tenu à ses disciples un propos obscur.I. les preposés aux oracles sont dits herméneutai des dieux auprès des hommes 32 . sauf à être maltraités par l'interprétation humaine. Stramate I 22. Lettre à Lucilius 33. by J. pourtant nettement contrastés en eux-mêmes. de même que les augures et les haruspices passent à Rome pour deorum interprètes 33 . 223. II 4. bifurque vers le langage quand il s'agit de la rendre publique. celle d'une action ad extra (Philon. Bieler.Histoire ecclés. « Traduction ou interprétation? Brèves remarques sur Jean Scot traqucteur de Denys ». R. dans beaucoup de cas. O'Meara et L. 148149. 4. 34. après que l'exégète l'a opérée pour son propre compte dans l'intimité du texte. disait de façon caractéristique logos « profeté ») et d'un mouvement d'intériorisation (on entre dans l'intelligence d'un texte. 26. dans The Mind Of Eriugena. Dublin. ou bien les porte-parole des dieux (lesquels ordinairement ne s'expri-ment pas eux-mêmes en langage humain)? Probablement l'un et l'autre. t. éd. Cicéron. De là vient que. on en pénètre le sens). J. la balance pencherait vers la première hypothèse dans le cas de la formule latine rappelée à l'instant.. Veut-on dire qu'ils sont les exégètes des signes tenus pour divins (assimilables à un texte obscur). son langage s'assortit plus ou moins d'une exegèse des intentions qu'il exprime. Platon ou l'un de ses proches estimait que la mantique et l'herméneu-tique (herméneutikè) « savent seulement ce qui est dit. 12A. on l'a vu. de l'explication lorsquele texte est rédigé dans un idiome inconnu du lecteur. Platon. cette compétence exclusive pour la littéralité du message. 27. 33. Les Trophées de Damas. 32. 17 A.. 31. mais se fait porte-parole. On pourrait donc regarder herméneuein — « traduire » comme un cas particulier de herméneuein — « expliquer ». c'est ainsi que l'exégèse. 8. 290 c. Epinomis. et parfois suffisante. XV. p..12. PG 29. I 6. De natura deorum. les contaminations ne manquent pas d'une acception a l'autre. 28. éd. la traduction étant l'amorce nécessaire. Pourtant. par exemple lorsque le locuteur n'agit pas en son propre nom. . 5961. à l'inverse. 1973. Roques. p. mais ignorent si cela est vrai 34 ». Les professionnels de la mantique. Bardy en Patrologia orientalis. 975 c. cette indiffé-rence à sa valeur de vérité font penser à la fidélité machinale du porte-parole plus qu'aux tourments de l'exégète. En revanche. 29. 25. après les stoïciens. Dialogue avec Tryphon. 2. Homélies sur l'Hexaém. V 27. inversement. la dualité n'est pas douteuse entre l'hermèneia comme langage et l'herméneia comme exégèse : elle est. l'on hésite entre les deux sens. puisque Cicéron poursuit en disant que les signes de 1'avenir sont toujours véridiques. 30. Politique. 374 ■. Porphyre. Hennecke. non d'analystes. Wendland. passe sans encombre d'un sens à l'autre. 407 e-408 b. De imaginibus. Dictionnaire étymologique de la langue grecque. p. Aristide. l'interprète ». p. VII14 (probablement d'après Varron). s'entrelacent non sans subtilité avec les deux fonctions du rhapsode. Apologie.-. 85. selon qui Hermès serait 1' « intermédiaire entre les dieux et les hommes. 2. 38. I" Apologie. Legatio ad Gaium. Voici la liste (approximativement chronologique) des principales d'entre elles : Platon. . sans que l'on sache toujours bien dans quel registre on se trouve. mais toute l'Antiquité a cru à l'existence d'une relation de ce genre. éd. Cratyle. a. 99. Commentaire sur le Songe de Scipion. 1 p.. Il est intéressant d'éprouver. aussi bien l'emploi du rhapsode tel qu'il se trouve décrit alors est-il celui du récitant et de l'acteur. 535 a. Les philologues d'aujourd'hui sont sceptiques sur la possibilité d'une relations étymologique entre le verbe herméneuein et le nom du dieu Hermès 39. est-il dit d'emblée doit être l'herméneus de la pensée du poète auprès des auditeurs 35 . 10. de 35.2-3. Chantraine. Cité de Dieu. 23. Hippolyte. non seulement de déclamer Homère. 530 c. Elenchos. p. les herménès des dieux 36 . par grâce divine. éd. fgt 8 Bidez. Ce doit être le cas de Platon au début de son dia logue sur l'inspiration poétique intitulé Ion.. 14 (qui dépend sans doute de Porphyre et peut-être de Numénius). autant dire que la divinité use de hérauts. Diodore de Sicile.. Ion. 40. Allégories homériques. Philon.19-20 (descrip tion des thèses d'une secte gnostique. pour la rai son que le poète est possédé par un dieu qui fait exprès de choisir le rimeur le plus médiocre comme instrument du chant le plus sublime . selon laquelle les poètes sont auprès de nous. 21. Les deux sens principaux du verbe herméneuein on le voit. on s'en écarte tout à fait dans la suite. Ibid.29. 534 e-535 a.2. mais de « parler sur Homère ». et se borner à observer que toutes doivent dépendre d'une façon ou d'une autre du témoignage de Platon. on hésite à trancher entre le porte-parole et l'exégète. Augustin. 39. quand on apprend que les vrais poèmes sont œuvre divine et non humaine. Le rhapsode. 11. en deux pages voisines. V 7. c'est en ce sens qu'il faut prendre la for mule. Histoire des mots. Ibid. 112. Ibid. les Naassènes). Heraclite. cite sans sympathie la thèse de Bosshardt. t. P. Bibliothèque historique. et par où le rhapsôde s'apparente au commentateur.. 116. Puis Platon revient aux rhapsodes pour les faire entrer dans un type de raisonnement par redoublé ment qu'il affectionne : ayant à herméneuein les œuvres des poètes. mais voici que ne tarde pas à revenir la mention de l'autre moitié du métier. Les attestations de cet état d'esprit sont trop nombreuses 40 pour que l'on puisse analyser ici le contenu de chacune d'elles. mais on incline vers celui-ci quand on lit peu après qu'il revient au rhapsode. bref de l'« interprète» au sens esthétique du mot. ce que les lignes précédentes engagent à traduire des « porte-parole de porte-parole » . En revanche. Macrobe. ils sont de ce fait des herménès d'herménès 37 . 13. 15-16. qui est de « parler sur Homère 38 ». 17. 36. on doit renoncer également à tracer le stemma selon lequel certaines d'entre elles proviennent de certaines autres. 28. Justin. répétée deux fois presque identiquement. d'illustrer et de compléter les analyses qui pré cèdent en examinant les personnages et entités qui assument le plus souvent la qualité d'herméneus et en portent le nom. 536 cd.296 Jean Pepin II n'est pas exclu qu'un même auteur. 37. En dépit de son obscurité. Quand Platon rattache au pouvoir du logos le caractere qui fait d'Hermès un herméneus. fonction que l'on appelle Vherméneutikon ». le langage des hommes fait place à celui des dieux. démiurge universel et révélateur (herméneus. et quand il met ainsi sur pied la justification etymologique. ils en infléchissent le sens usuel de «communiquer » en direction d'une spécification proche de l'idée de « révélation ». l'évolution se fait plus sensible dans la doxogra-phie d'Hippolyte sur la secte gnostique des Naassènes et dans le fragment de Porphyre. non pas exactement du dieu Hermès. les deux textes s'entendent à faire du personnage le logos. ou l'apologiste chrétien Aristide quand il fait du dieu un simple hermèneutès de discours (?). mais aucun d'eux apparemment n'applique le verbe herméneuein à l'activité de l'exégète . et entendront le langage humain. néanmoins. herméneus signifierait alors < locuteur ». tel l'historien Diodore de Sicile disant qu'Hermès a enseigné aux Grecs qui concerne l'herméneia. de toute evidence. et reçoit de chacune d'elles une qualité. qui par là joint à la connotation du mot l'idée d'une revelation du divin. Augustin également bornera au langage humain les suggestions étymologiques du nom d'Hermès-Mercure. et le second de la planète Mercure. » Dans d'autres témoignages. Hermes doit son nom à ce qu'il désigne le langage qui herméneuei. à ceci près que le premier traite du dieu Hermès. cela dit. mais de la planète qui porte son nom. d'ailleurs peu claire.L'hermeneutique ancienne 297 beaucoup le plus ancien. Tous ces témoignages sur Hermès sont. « messager ». reçoit maintenant la consistance d'un principe. ne dépassait guère la realite d'une abstraction personnifiée. ou mieux « porte-parole ». on le voit. en d'autres termes la fonction expressive. elle doit l'aptitude à « exposer et exprimer (interpretandi) ses pensées.ou l'élocution (interpretatio) qui relève assurément du langage — se dit en grec herméneia. D'autres préciseront davantage. ou encore l'hermèneia verbale. Mercure : l'âme qui descend s'incarner traverse les sphères planétaires. Hermès ainsi appelé parce qu'il est l'herméneus et l'annonciateur des choses divines. haussant le mot au niveau de panthéon classique. c'est ce que l'on trouvait aussi chez Philon. comme le confirme le couplement avec anghelos. qui. ailleurs. voire d'une hypostase. dans un sens voisin. car c'est le cas de plusieurs autres. comme ces différents textes se recouvrent en partie il est relativement facile de faire la somme des données qu'ils procurent. dans lesquels ce mot reçoit d'ailleurs. . loin d'être limpides. Une particularité de ce dernier texte pourrait être que le dieu. ainsi fait Macrobe à propos. la phrase. ce dernier texte a l'intérêt de mettre Hermès en rapport avec la notion de logos. dans une phrase qui mérite d'être citée en ce qu'elle renoue par-dessus les siècles avec les ussges d'Aristote : « Mercure est en grec Hermès parce que le langage (sermo) -. des sens différents. à celle de Mercure. de l'apo-logiste chrétien Justin semble donner Hermès pour le logos qui prête sa voix (herméneutikos) à son père Zeus et fait connaître toutes choses. le commen-tateur Heraclite (comme faisait déjà le Cratyle selon certains manuscrits) associe Hermés à Iris pour voir en eux les messagers les dieux. Plussieurs d'entre eux restent dans le vague pour le sens des mots de la famille hermeneuein. hermêneutikos) de toutes choses. sans doute a-t-il en vue le langage en général. J. Die Anschauung von Christus als Bote und Engel in der gelehrten und volkstümlichen Literatur des christlichen Altertums. et de l'âme de celui-ci. Eusèbe. Marc se trouve en quelque sorte dans la situation d'être herméneus d'herméneus. 1. Athanase 49. ils ont toujours pour habitat un entre-deux. mérite le nom de porteparole de Dieu. logos et instructeur universel. 44. 2. inter-prête si l'on veut. 1974. d'autre part. telle est la fonction que le philosophe nomme « herméneutique » : par sa médiation. Un autre origénien. Oratio contra Gentes. C'est le cas dans l'Epînomis. porte-parole d'un auteur canonique qui. Interpretation von Selbstzeugnissen. éd. 4. 7 *. du nom de Papias. Epinomis. elle permet aux dieux de communiquer avec les hommes par toutes sortes de rites divinatoires et magiques. Justin avait nommé le Verbe chrétien. 43. Et c'est sans doute dans le même sens que Clément d'Alexandrie signale un autre her41. un titre usuel du Verbe 42. éd. assure que l'évangéliste Marc n'avait pas connu Jésus. 50. Ennéade IV. II 22. or voici que. celle du démon : intermédiaire entre le dieu et le mortel. p. Autant de textes où le mot signifie clairement que les auteurs de l'Écriture parlent et écrivent à la place de Dieu. le même Athanase prend à son compte l'essentiel de la formule (le Verbe « révélateur et messager ») dans son Oratio contra Gentes 45. theologia. 21. mais alternativement dans deux sens opposés. fait par le truchement de son héraut (herméneus) 46. premier-né de Dieu et notre didascale4I. à ce titre. mais il ne peut être fortuuit il rappelle que « herméneus du Père » est. 4. Le platonisme n'avait d'ailleurs pas attendu la troisième hypostase de Plotin pour mettre au jour cette notion d'herméneia à double entrée. Justin réitère le rapprochement en 22. 22. bien placée pour assurer une communication de l'un l'autre. p. Harl. que le gnostique Basilide se flattait d'avoir eu pour maître 51. Le même Clément applique ailleurs 48 le même substantif à saint Paul regardé comme écrivain sacré : il est Vherméneus de la voix divine. 77. comparées à tous les textes rappe-lés ci-dessus. qui sont des entités occupant. collection « Theophaneia ». de « traduire ». Opitz. constituait à l'aide du poète et du rhapsode. dont l'authenticité platonicienne n'est pas assurée : entre les démons de l'éther et les habitants terrestres. sur lequel la nature démonique a pouvoir. Barbel. elle est le lien qui retient ensemble le Tout. p. III 39. 47. 2. Ibid. On se gardera de forcer le rapprochement. dira de lui un autre Alexandrin. lherméneus de la piété divine. Strotnate VU. parfois. 8. . Les auteurs de textes sacrés sont eux-mêmes appelés hérauts de la divinité. 45. 52. 3 [27] 11. car ils font connaître (her51. et c'est à ce propos que surviennent encore les mots de la famille herméneuein. Gressmann. sous réserve d'accentuer dans ce vocable l'idée d'entremise aux dépens de celle d'interprétation. or. y lit-on. 1re Apologie.. 9-10. a primordialement le Fils pour son Verbe son révélateur (herméneus) et son messager 43 ». intermédiaire. 3-4.61. elle remplit l'intervalle.18-20. elle fait descendre vers les autres ordres et faveurs. Miinchen. Papias emploie le verbe herméneuein. dans la hiérarchie universelle. 52. Cette analyse offre un exemple de l'importance prise par la démonologie chez Platon. 1-2. 54. 132. p.150. p. Banquet.11. retiendra le mot dans le même emploi. 49. ce n'est plus le Verbe qui est dit le révélateur du Père. fgt 3. meneus de Pierre. On a rencontré plus haut une page de Clément d'Alexandrie où abondent les mots de la famille herméneuein pour désigner les Septante et leur version de la Bible. 1958. c'est lui dont on rapporte qu'il s'est mêlé à la vie des hommes par l'instrument de son corps mortel. 53. sur quoi cf. Histoire ecclés. Übersetzer der Augustin-Zeit. p. Platon en vient à définir une nature nouvelle. Paris. 122. n. 42. La formule doit être issue de l'enseignement d'Origène puisqu'on la rencontre chez son disciple Denys d'Alexandrie. du soleil d'ici-bas.4. disant par exemple que le Père murmure à l'oreille des hommes par le moyen de son Fils unique comme par un herméneus 44. Stromate 122. p. comme le Grand Roi le. collect. p. ascendant et descendant. Thomson. De sententia Dionysii. 202 e. un rang intermédiaire. 3.298 Jean Pépin L'hérméneutique ancienne 299 Quelques lignes avant d'en venir à Hermès fils de Zeus. c'est pour traduire cet échange et ce relais que Platon emploie le verbe herméneuein : ainsi le démon « fait connaître (herméneuon) et transmet aux dieux ce qui vient des hommes et aux hommes ce qui vient des dieux 53 ». Cf. et plus largement 202 d-203 a. Clément ne peut vouloir dire qu'il les traduisit. Cité par Eusèbe. Théophanie. Origine et la fonction révélatrice du Verbe incarné. 1941. peu après (§ 16). 19. pour fonction principale la médiation et la double transmission de l'information. tout de suite après. 15. De eccles. 64. mais c'est avec le sens.. Protreptique. proche des Apôtres. M. se tiennent les démons aériens qui assurent la communication (herméneia) et méritent d'être honorés pour leur entremise favorable 54. 46. La tradition philosophique platonicienne connaît enfin d'autres herméneis. se trouve à mi-distance de l'intelligible et du sensible. mais les démons continuent d'occuper le devant de la scène autour de lui et bientôt après lui. éd. leurs porte-parole. elle fait monter vers les uns sollicitations et sacrifices. Un personnage du début du IIe siècle. 6 «. 984 e. 127-129. mais sans doute: qu'il les rédigea en porte-parole de Dieu et sous sa dictée. IX 87. 17. col. mais il écrivit sans omission ni erreur toutes les données fournies oralement par Pierre. dans l'ancienne Académie. il est rappelé que Moise fut l'herméneus des lois sacrées 47. 48. et doit apparaître dans la traduction du mot : médiateur. Il ne sont d'ailleurs pas sans avoir eux-mêmes. Bonn. Cité par Athanase. la situation médiane de Vherméneus est devenue essentielle. selon qui « le Père qui est l'Intellect souverain et universel. « Patristica Sorbonensia ». » Ces lignes de Plotin. Klostermann. Dans une page celèbre du Banquet où il s'occupe de donner un statut à l'Amour. il y aurait là une réduplication non sans analogie avec celle que Platon. antiqua ». Ce texte est commenté par H. « Studia et testim. en ce que l'action d'hermé-neuein ne se développe plus maintenant à sens unique. Marti. aux pas de qui il s'était attaché. 4-5. un double transit. éd. et qui n'eut pas lui-même le loisir de faire un recueil des logia du Seigneur. en considération de quoi Papias appelle Marc Vherméneutès de Pierre 50. Bref. 106. Eusèbe de Césarée. ou encore qu'il a infligé la mort à Vherméneus de sa divinité 45 dans un emploi voisin. 23. XIV. 4. on s'en souvient. Christos Angeles. attesté encore par le même auteur. C'est ainsi que l'âme. Plotin parle en réalité du soleil de là-haut.12-13. tout différent. troisième hypostase selon Plotin. présentent une nouveauté considérable. p. l'âme met le sensible en liaison avec l'intelligible. dans la théologie trinitaire ancienne. elle est une sorte d'interprète (herméneutikè) des messages de l'intelligible au sensible et du sensible à l'intelligible 52 . appelant Hermès le logos annonciateur venu de Dieu. 6. celui d'une interposition. l'« herméneutique » au sens actuel. et encore qu'ils soient interprètes et intercessores inter deos et hommes 59 . 58. 57. au IIe siècle de notre ère. Cité de Dieu. on rencontre d'ailleurs de ce mot d'autres traductions latines encore sous la plume d'Augustin. des intermédiaires (interprètes) porteurs de salut56. On aura remarqué que ces textes latins. L'intérêt de ces pages d'Apulée est en outre de faire voir comment le latin tardif a rendu le grec herménès. . Si l'Epinomis accorde aux démons la fonction de l'herméneia. celle-ci s'imposant au détriment des autres composantes sémantiques. pour rendre le grec herménès appliqué aux démons. 985 ab. or tel était en gros le sens aristotélicien. choisissent plusieurs mots. 112. en sorte qu'ils sont.133. l'accent y est mis à peu près exclusivement sur l'aspect ascendant de la communication. gardiens des hommes et leurs interprètes (interprètes) s'ils attendent des dieux quelque faveur. Paris. avant tout autre sens. ni probablement la plus originelle. inséparable de l'idée de médiation. à la différence de tous les autres cas répertoriés. rien en cela n'évoque. Ibid. non pas sans doute la plus importante. c'est-à-dire l'exégèse. VIII 22. l'écrivain de langue latine Apulée : les démons acheminent d'ici-bas prières et demandes de là-haut dons et secours. car c'est précisément contre la prétendue médiation des démons qu'Augustin s'emporte. 56. qui n'est décidément que l'une des possibilités sémantiques de l'herméneia. Est-ce à dire que. il refuse qu'ils tiennent le milieu entre les dieux et les hommes. pour faire droit à sa traduction par interpretatio dont on a signalé plus haut les méfaits. la notion même l'herméneia soit devenue différente de ce qu'elle était. ci-dessus. Car celle-ci s'étale dans la synthèse scolaire que tente. Du dieu de Socrate. l'« interprétation ». 55. par exemple. respecté dans le Banquet redevient la règle dans un état ultérieur de la démonologie platonicienne. 59. on s'explique que Vherméneia en soit venue à être rendue par des mots qui évoquent. tamquant internuntios et interprètes 58. l'activité d'« interprètes » que l'on a vu attribuer aux démons se laisse ramener pour l'essentiel à un langage. pour les dieux et les hommes.300 Jean Pepin méneuesthai) à leurs congénères et aux dieux supérieurs ce qu'il en est de tous les hommes et de toutes choses. dans le cas particulier considéré. VIII 24. qui a pris la démonologie païenne pour cible et Apulée pour son meilleur représentant. chez Aristote? C'est peu probable. Centre National de la Recherche Scientifique. voilà les démons 57. ministres des dieux. est un Janus à double face. Epinomis. qui tous comportent le préfixe inter-( Cette traduction. dont l'orientation dans deux directions opposées n'altère pas la nature.206. De Platon et de sa doctrine. Mais l'équilibre entre la montée et la descente de l'information.. même de loin. Le lecteur aura compris que ce rappel (car tout cela est fort connu) constitue la thèse des pages qu'il vient de parcourir. doit être liée au fait que l'herméneia accomplie par les démons. favorisés qu'ils sont par leur situation médiane entre ciel et terre. et par la légèreté de leur mouvement dans l'une ou l'autre direction55 .
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