Humour. Panorama de La Notion Fabula . Org

March 23, 2018 | Author: Αντριάννα Καραβασίλη | Category: Humour, Irony, Comedy, Aesthetics, Laughter


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Humour: panorama de la notionBernard Gendrel, Patrick Moran L'humour: Panorama de la notion Voltaire est l'un des premiers en France à parler de l'humour: Ils [les Anglais] ont un terme pour signifiercette plaisanterie, ce vrai comique, cette gaîté, cette urbanité, ces saillies qui échappent à un homme sans qu'il s'en doute; et ils rendent cette idée par le mot humeur, humour, qu'ils prononcent yumor, et ils croient qu'ils ont seuls cette humeur, que les autres nations n'ont point de terme pour exprimer ce caractère d'esprit; cependant, c'est un ancien mot de notre langue employé en ce sens dans plusieurs comédies de Corneille.[i] Inconscience donc et universalité (ou au moins bi-nationalité[ii]). Un siècle plus tard, Hippolyte Taine contestera cette possibilité française de l'humour, L'humour est le genre de talent qui peut amuser des Germains, des hommes du Nord; il convient à leur esprit comme la bière et l'eau-de-vie à leur palais. Pour les gens d'une autre race, il est désagréable; nos nerfs le trouvent trop âpre et trop amer.[iii] et Cazamian son caractère inconscient: Ou bien l'écrivain, l'orateur, si inculte soit-il, a finement conscience de la transposition qu'il effectue – et l'humour se réalise en lui; ou bien il n'en a pas conscience, et l'humour n'existe pas.[iv] Bergson, lui, semble considérer l'humour comme un mécanisme de transposition, Tantôt, au contraire, on décrira minutieusement et méticuleusement ce qui est, en affectant de croire que c'est bien là ce que les choses devraient être: ainsi procède souvent l'humour.[v] alors que Breton le voit plutôt comme une posture existentielle: Il est rare que la question ait été serrée d'aussi près que par M. Léon Pierre-Quint qui, dans son ouvrage Le Comte de Lautréamont et Dieu, présente l'humour comme une manière d'affirmer, pardelà «la révolte absolue de l'adolescence et la révolte intérieure de l'âge adulte», une révolte supérieure de l'esprit.[vi] Personne, apparemment, ne dit la même chose sur l'humour. Souvent même les uns et les autres se contredisent. Avant de rejeter, comme il est courant de le faire, l'humour dans le domaine de l'insaisissable, il convient peut-être de se demander si tous nous parlons du même humour et si, victimes de ce que Wittgenstein appelle lavision unilatérale du langage, nous n'avons pas tendance à confondre les différents usages du mot. 1. La grammaire de l'«humour». La première étape en vue d'une clarification, est l'établissement d'un tableau (ou schéma) synoptique[vii] présentant les usages (passés et présents) du mot. Je propose celui-ci, sans prétendre qu'il soit le seul possible (nous verrons d'ailleurs plus tard qu'il peut encore se ramifier):  humour / monomanie / être un humour o passif: excentricité / avoir un humour / figure de l'excentrique o actif: tournure d'esprit / avoir de l'humour / figure de l'humoriste  « forme de vie », « art d'exister »: l'homme de l'humour  conscience, « jeu de langage », production, ou réception d'un objet humoristique b. "a. monomanie (niveau 1)" (niveau 2). C'est l'origine du terme en anglais[viii]. Comme les auteurs français du XVIIIe le répètent à plaisir, humour dérive du français «humeur» et en est au départ l'exact équivalent («humeur» devant s'entendre ici comme liquide sécrété par le corps humain, v. la théorie des humeurs). C'est avec Ben Jonson et sa pièce Every Man out of His Humour (1599) que le terme passe vraiment du sens physique au sens figuré. Humour ne désigne plus seulement l'humeur médicale (ou même le tempérament que celle-ci provoque) mais (par métaphorisation) tout caractère excessif: The choller, melancholy, flegme, and bloud, By reason that they flow continually In some one part, and are not continent, Receive the name of Humours. Now thus farre It may, by Metaphore, apply it selfe Unto the generall disposition: As when some one peculiar quality Doth so possesse a man, that it doth draw All his affects, his spirits, and his powers, In their confluctions, all to runne one way, This may be truly said to be a Humour.[ix] Ce que fonde Ben Jonson c'est une comédie de caractères dans laquelle le public rira de ces monomaniaques dont le humour est en perpétuel décalage avec les situations de la vie. Ce sens premier n'est plus d'actualité aujourd'hui. En fait, une fois métaphorisé, le mot va se répandre et désigner des réalités parfois fort différentes. b. actif vs passif (niveau 2). C'est Corbyn Morris qui a le mieux résumé la situation du mot en Angleterre au XVIIIe siècle. Nous lui avons emprunté sa distinction, mais à la suite d'Escarpit nous avons modifié sa terminologie : A Man of HUMOUR is one, who can happily exhibit a weak and ridiculous Character in real Life, either by assuming it himself, or representing another in it, so naturally, that the whimsical Oddities, and Foibles, of that Character, shall be palpably expos'd. Whereas an HUMOURIST is a Person in real Life, obstinately attached to sensible peculiar Oddities of his own genuine Growth, which appear in his Temper and Conduct. In short, a Man of Humour is one, who can happily exhibit and expose the Oddities and Foibles of an Humourist, or of other Characters.[x] Dans le schéma, «Humoriste» a été remplacé par «excentrique» et «Homme d'Humour» par «humoriste», mais la différence est ici bien analysée entre celui qui subit l'humour et celui qui le pratique. Plus généralement il s'agit d'une opposition entre l'usage[xi] avoir un humour (avoir des bizarreries, des excentricités qui font rire) et l'usage – toujours en vigueur – avoir de l'humour. Dans ce dernier cas, l'humour est très souvent réduit à une tournure d'esprit inégalement répartie entre les hommes: il y a ceux qui ont de l'humour et ceux qui n'en ont pas. Au XVIIIe, il y a les Anglais et les autres. C'est au passage du niveau 2 au niveau 3 que se situe le passage de l'humour anglais à l'humour «universel». Certains, comme les Encyclopédistes, tentent de faire sortir la notion de ses frontières en retrouvant ladite disposition chez leurs compatriotes; mais l'universalisation va plutôt prendre deux directions moins particularistes. c. forme de vie vs jeu de langage (niveau 3). L'humour n'étant plus une mentalité, une forme d'esprit caractéristique de telle ou telle nation, l'emploi du mot va s'étendre à d'autres usages. Le premier, que nous nommons «forme de vie», en référence à Wittgenstein, tend à présenter l'humour comme une position existentielle, une manière de vivre, aux limites parfois de l'éthique et du religieux. L'expression caractéristique de cet usage est celle qu'emploie Dominique Noguez en titre d'un de ses ouvrages, l'homme de l'humour (l'expression est héritée de Corbyn Morris mais employée dans un sens différent). Le deuxième usage utilise le terme «humour» d'une manière plus linguistique que philosophique. Cet usage met l'accent sur le fait que l'acte de production de l'humour est conscient (c'est la position par exemple de Cazamian), mais il n'est ni seulement mécaniste (étude des procédés) ni seulement affectiviste (étude des sentiments qui provoquent l'humour et que provoque l'humour)[xii]. Il est l'un et l'autre, tenant à la fois de la rhétorique et de la pragmatique, et à ce titre le terme wittgensteinien de «jeu de langage» nous a paru le plus opportun, puisqu'il évoque non seulement des combinaisons de mots (comme il y a des combinaisons de coups aux échecs) mais aussi la présence indispensable d'un partenaire (notons que «langage» a ici un sens large et fait référence à l'image et au son tout autant qu'aux mots). S'il fallait choisir dans les termes dérivés d'«humour» le plus caractéristique de cet usage, ce serait l'adjectif «humoristique», qui s'applique à une production consciente reconnue comme telle par un tiers. Nous ne contestons pas l'existence de tel ou tel usage. Chacun a son intérêt. Notre travail néanmoins se concentrera sur l'humour comme «jeu de langage». La plupart des théoriciens n'ayant pas fait clairement de délimitations, les différents sens se bousculent souvent dans leurs écrits. Il s'agira de prendre chez les uns et les autres ce qui intéresse notre objet. 2. Dérives et doxa du discours sur l'humour. A. Les dérives du discours sur l'humour. Le discours sur l'humour est semé d'embûches. L'histoire du terme est, comme nous l'avons vu, trouble et emmêlée; en conséquence, la notion revêt souvent des aspects extrêmement flous, et la multiplication des approches, philosophique, littéraire, psychologique et autres, font qu'il y a presque autant de sens du mot «humour» qu'il y a de commentateurs. André Breton cite cette remarque de Valéry, dans la préface de l'Anthologie de l'humour noir: Le mot humour est intraduisible. S'il ne l'était pas, les Français ne l'emploieraient pas. Mais ils l'emploient précisément à cause de l'indéterminé qu'ils y mettent, et qui en fait un mot très convenable à la dispute des goûts et des couleurs. Chaque proposition qui le contient en modifie le sens; tellement que ce sens lui-même n'est rigoureusement que l'ensemble statistique de toutes les phrases qui le contiennent, et qui viendront à le contenir.[xiii] De plus, le discours sur ce concept souffre de plusieurs dérives assez répandues, qui nuisent souvent à l'effort de clarification; il peut être utile d'énumérer les dérives les plus importantes et de chercher leurs origines. 1. Humour et jugement de valeur. L'humour est marqué positivement: tout le monde aime l'humour; il est généralement considéré comme une espèce de comique amélioré, plus profond, plus fin et plus noble. Cette valorisation de l'humour, qui se vérifie dès le début du XIXe siècle (chez Jean Paul par exemple), ne pose pas de problème en soi. Elle est néanmoins remarquable par l'unanimité qu'elle suscite, notamment chez les commentateurs qui s'intéressent aux rapports entre humour et ironie: l'humour est presque toujours le terme le plus éminent de la dichotomie (chez Kierkegaard, cf. infra; ou chez Jankélévitch, pour qui l'humour est la forme accomplie de l'ironie). Seul Bergson semble accorder la même valeur aux deux notions. Même quelqu'un comme Freud, qui bien souvent réduit à néant les objets auxquels la société accorde de la valeur, ne se prive pas d'admirer l'humour. En 1905, il consacre les toutes dernières pages du Mot d'esprit et sa relation à l'inconscient à la notion[xiv], la mettant dans la catégorie des «processus de défense», dont la forme la moins efficace est le «refoulement raté», «mécanisme efficient de la naissance des psycho-névroses». L'humour, en revanche, «peut être conçu comme la plus haute de ces réalisations de défense», puisqu'il n'a à aucun moment recours à l'inconscient – en effet le mot d'humour est formulé au niveau préconscient. Plus tard, en 1927, Freud revient sur la question dans son article intitulé «L'humour»[xv]; son discours va toujours dans le sens d'une valorisation: l'humour a une «dignité» que n'a pas le mot d'esprit, parce qu'il est un mécanisme de défense contre la souffrance; l'attitude humoristique est un «don précieux et rare». Cette valorisation de l'humour ne serait pas un problème si elle ne menait pas à des prises de position parfois très passionnelles, autant chez les commentateurs que dans la vie courante. L'humour étant une valeur très positive, tout le monde veut avoir un sens de l'humour; et si l'humour est sans doute la chose du monde la mieux partagée pour les mêmes raisons que le bon sens chez Descartes, chacun est prompt à considérer son sens de l'humour comme le seul qui soit valable. On dit d'une personne dont on veut déprécier à la fois les qualités sociales et morales qu'elle n'a pas de sens de l'humour; on distingue entre le bon et le mauvais humour, le premier étant le seul «vrai». On retrouve même cette tendance chez les auteurs se consacrant à la question, par exemple Breton et Schopenhauer, qui ne se privent pas de dire que leur interprétation de l'humour est la seule bonne. Il est peut-être surprenant qu'un concept si fortement associé dans l'imaginaire collectif au flegme et au détachement suscite des réactions d'accaparement aussi peu mesurées. 2. Humour et subjectivité. leurs approches de l'humour sont beaucoup plus proches l'une de l'autre qu'ils ne voudraient bien l'admettre. c'est le mélange du bas et de l'élevé. . mais en les combinant de manière à désigner davantage une certaine attitude philosophique. L'évolution du mot «humour» est en ce sens comparable à celle du mot «tragédie»: on désigne aujourd'hui du nom de «tragédie». on a souvent l'impression qu'ils n'ont pas tant été choisis pour leur humour que parce qu'ils manifestent une certaine philosophie distanciée et contestataire qui lui agrée. depuis son introduction en français. tout événement triste et irréversible. catastrophe naturelle. définition peu précise s'il en est. mort d'un proche. Cette dérive est d'autant plus remarquable qu'elle est dénoncée dans la préface de l'Anthologie. Deleuze reprend en fait certaines propriétés attribuées par les philosophes à l'humour (cf. lorsque Breton s'en prend au Traité du style d'Aragon. le dernier paragraphe de l'article. différente du comique en général. mais se vérifie souvent chez les critiques.La deuxième dérive est la conséquence naturelle de la première dans ses manifestations les plus extrêmes: si chaque personne tenant un discours sur l'humour affirme être le seul détenteur de son véritable sens. désastre humanitaire. Le terme d'humour a subi. il ne manque pas aux paveurs. consacré aux difficultés de définition que suscite le terme. dans les termes mêmes d'Aragon. si bien qu'on qualifie souvent d'humoristique n'importe quelle chose qui fait rire. ou anti-philosophique. 3. notamment anglo-saxons: en effet cette évolution sémantique est encore plus patente en anglais qu'en français. Cet affaiblissement ne se limite pas au langage courant. finit sur cette phrase: L'humour est ainsi devenu synonyme de comique. accentué par l'imagerie surréaliste. Breton critique cette dérive tout en s'y complaisant largement lui-même: sans doute faut-il voir dans son attaque envers Aragon moins l'expression d'un désaccord de méthode que l'expression de l'animosité entre les deux écrivains. dans l'article «Humour» du Dictionnaire du littéraire. Par contre.[xvii] Cette acceptation de l'affaiblissement sémantique ressemble à un aveu de défaite. Une troisième dérive à laquelle il faut prendre garde relève plus de la nomenclature que d'un problème de méthode. C'est une dérive particulièrement patente chez Breton: l'humour y devient une «révolte supérieure de l'esprit»[xvi]. Humour et comique. Daniel Grojnowski. en vient même à donner l'onction critique à cette évolution. En effet. il accuse son ancien camarade de «s'être donné pour tâche d'épuiser le sujet (comme on noie le poisson)». dans la neuvième partie de Logique du Sens. en réalité. et à regarder les textes que Breton choisit pour son anthologie. de l'idéal et du réel. au sens commun du terme. Cela n'empêche pas les critiques littéraires de savoir de quoi ils parlent lorsqu'ils étudient le genre de la «tragédie»: l'affaiblissement du sens courant ne neutralise pas le sens restreint. il tient ses quartiers d'hiver dans la mode…» On est bien là dans le discours subjectiviste sur l'humour. aux orchestres symphoniques. aux chapeaux claques… On l'a signalé dans la batterie de cuisine. aux ascenseurs. il a fait son apparition dans le mauvais goût. aux poules. l'humour. un «sens (de l'humour)» qui existe en dehors de ses manifestations littéraires. Il en va de même pour l'humour: ce n'est pas parce que le terme a vu son sens se diluer jusqu'à englober toute la sphère du rire dans l'usage courant que la catégorie critique «humour» n'existe plus. Une telle dérive s'observe également chez Deleuze. le refus de la profondeur au profit de la surface. dans le langage courant. intitulée «De l'humour»: la notion s'y dilue à un tel point qu'elle finit par n'avoir de sens que métaphorique. ce sens peut finir par se diluer dans un flou subjectiviste dont il est très difficile de se sortir. révélant un état d'esprit. l'humour est «ce qui manque aux potages. elle ne se justifie guère. qu'une forme particulière du discours comique. infra sur Jean Paul et Kierkegaard). et à bien y regarder. un affaiblissement de sens tendant à l'assimiler au concept plus général de «comique». Toujours est-il que du point de vue de la critique littéraire. et de ce fait semble bien appartenir à la sphère comique. généralisant une remarque qui portait sur une catégorie spécifique pour en faire une vérité philosophique au sujet de l'humour. Gallimard. 2002). Le discours philosophique sur l'humour. La dernière tendance du discours sur l'humour à laquelle il faut prendre garde n'est pas tant une dérive.[xviii] Cette approche philosophique ou existentielle de l'humour. si souvent employée. comme dans la phrase citée précédemment. Pierre Desproges ou encore Chris Marker. Laurence Sterne. n'existe pas. qui affirme que les liens entre comique et humour sont purement accidentels: l'humour n'est pas fait pour être drôle. Il s'agit de l'orientation exprimée par la trop célèbre formule: «L'humour est la politesse du désespoir». B. auxquelles s'ajoutent les manifestations bien connues de l'humour noir. Comme le disait Voltaire: «Ceux qui cherchent des causes métaphysiques au rire ne sont pas gais». On la renforce souvent en faisant remarquer que bon nombre des grands humoristes étaient aussi de grands dépressifs. Cette sorte de discours a sans doute une vraie pertinence psychologique ou existentielle: bon nombre d'humoristes étaient ou sont dépressifs (Houellebecq en dépeint un exemple dans le protagoniste de La Possibilité d'une île). mène enfin à d'autres formes d'apories. Si l'homme de l'humour n'existe pas. qui l'avait formulée ainsi: «L'humour noir est la politesse du désespoir». et peut-être y a-t-il un lien entre la mélancolie et la production d'un discours humoristique. De l'esthétique à l'existence. on trouve la position de Robert Escarpit à la fin de son «Que sais-je?» consacré à la question. du côté du désespoir. Elle est due au surréaliste belge Achille Chavée (1906-1969). Encore une fois. tels Peter Sellers ou Alphonse Allais. qu'il est impossible. l'humour est bien cette «révolte supérieure de l'esprit» que salue Breton. c'est-à-dire celui qui vit vraiment selon les préceptes informulés de l'humour. un tel discours aporétique. Développant cette réflexion. qu'une orientation dont l'analyste littéraire doit se tenir à distance s'il veut pouvoir avancer dans son étude. et donc position insoutenable sur une quelconque durée. a connu une fortune abusive. extrêmement répandue. susceptible de surgir dans le discours journalistique dès qu'il est question de la valeur éthique ou philosophique de l'humour. soit en fait une citation erronée. amputée de son seul adjectif. nous disent les biographes. dont Jules Renard affirme qu'il ne l'a jamais vu sourire une seule fois dans sa vie. qui se contente d'examiner des objets précis. en fin de compte. était un homme profondément malheureux. et qu'ils manifestent une forme d'expression particulière – même si l'attitude nécessaire pour les produire est peut-être insoutenable tout au long d'une existence. Il n'est pas anodin que la phrase «l'humour est la politesse du désespoir». mais au contraire une proximité constante entre humour et comique: l'humour fait rire. mais révolte contre tout (y compris la vie et l'idée même de révolte). il n'en est pas moins vrai que les textes humoristiques existent. Cette phrase. Humour ne rime avec pessimisme que dans le cas de l'humour noir. L'examen des textes humoristiques ne révèle aucun lien essentiel entre humour et mélancolie.4. de fait. conséquence presque logique d'une certaine approche de l'humour. un tel discours générateur de paradoxes ne mène pas loin. 1. Noguez érige l'humour au rang d'une morale ou d'une anti-morale qui est. notamment dans un des derniers ouvrages publiés sur la question. De telles preuves. Noguez en vient à dire que l'humour. La phrase. ne peut convenir à l'analyse littéraire. Par définition. poussent plusieurs commentateurs à ranger l'humour du côté de l'expression mélancolique. ne peut exister que sur une corde raide: il risque sans cesse de sombrer dans la banalité d'un côté. Dans son livre. . a été attribuée entre autres à Boris Vian. cet homme ne devrait même pas pouvoir vivre. à l'extrême. L'homme de l'humour de Dominique Noguez (Paris. voire. L'homme de l'humour. Paradoxes et apories. ou dans l'ignominie de l'autre. un but inatteignable. En conséquence. sur un mode souvent extrêmement subjectif et personnel. mais il est sans cesse guidé par l'exigence du sérieux. est due à plusieurs facteurs. mais il distingue un humour subjectif. C'est cette idée qui fait la véritable différence entre humour et persiflage. Chez Hegel et Jean Paul. et surtout pas la sienne. b et c. Bergson. d'une part l'humour est. sa doxa en quelque sorte. Il ne défend aucune cause. se définit par l'adéquation ou la recherche d'adéquation entre connaissance intuitive et connaissance rationnelle. mais en en faisant un «sublime inversé»: alors que le sublime consiste à contempler le très haut à partir d'une position terrestre. et cette valorisation s'accompagne d'une amplification qualitative de l'objet dans l'esprit des gens: s'il est si important de posséder un sens de l'humour. l'humour ne procède jamais par des piques personnelles ou des sarcasmes dirigés envers tel individu ou telle catégorie humaine. 3e section. Jean Paul. dans Le Rire. l'humour est une forme romantique par excellence. le discours sur l'humour. c'est-à-dire tout entière déterminée par la subjectivité. Ce fonctionnement en vase clos. faisant apparaître au grand jour la contradiction entre les deux formes de connaissance humaine. et un humour objectif. selon un mouvement qui est celui de la sympathie: c'est là que l'humour accomplit pleinement son potentiel. il dépasse les divisions et rassemble toute chose à la lumière de son idée anéantissante. l'humour est encore une catégorie esthétique (Hegel l'aborde dans l'Esthétique. et Jean Paul dans son Cours préparatoire d'esthétique. Cette définition de l'humour se retrouve plus tard chez Bergson. mais qui souhaite la réconciliation: derrière la drôlerie perce le souhait de réparer le divorce de la pensée avec elle-même. Jean Paul. au contraire. De même. On conçoit bien souvent l'humour comme un objet trop grand. Schopenhauer. ou lorsque l'homme d'esprit fait surgir cette disparité par un bon mot. la faisant dériver de sa définition du comique. Avec Jean Paul. Ainsi. créant ainsi une confusion propre à anéantir l'idéal ou. Hegel. en revanche. Le comique surgit lorsque l'observateur constate une disparité entre la connaissance rationnelle et la connaissance intuitive. à mêler les deux niveaux en indiquant la direction d'un idéal inconnu et inexprimé. porte souvent à considérer l'humour comme un objet indéfinissable. en intégrant l'humour de manière forte à son système philosophique. plus éminent que le premier. vers sa propre intériorité. a bien plus été assumé par les philosophes que par les rhétoriciens. où l'humoriste est tourné vers le dedans. en effet. . adopte le ton de la plaisanterie. 2e partie. pour tout anéantir. définit l'humour en le rapprochant du sublime. où la valorisation conduit à toujours plus de valorisation. Le sérieux. On lui attribue donc des «propriétés» particulières. comme on l'a vu. extrêmement valorisé. c'est que l'humour est une chose bien plus importante que l'esprit ou n'importe quel autre talent social. l'humour mélange le haut et le bas. l'humour consiste à prendre une position surplombante et à contempler les choses tout en bas. Schopenhauer va plus loin. tendant à assimiler la notion à une forme de morale ou un mode de vie. VIIe et VIIIe programmes). C'est de la rencontre entre l'esprit comique et l'esprit de sérieux que naît l'humour: celui-ci. chapitre III. mais aussi entre humour et sublime: l'humoriste subsume tout. montrant que toutes choses sont égales au sein de la totalité humoristique. trop important et touchant à des questions trop vastes pour pouvoir être traité de manière satisfaisante par une méthode aussi «réductrice». Cette définition de l'humour objectif sera saluée par Breton dans son Anthologie. Il consacre une annexe du Monde comme volonté et comme représentation à la notion. un rôle capital dans l'attitude que l'homme doit adopter face au monde et à lui-même. en revanche. Pour Hegel. Jankélévitch et surtout Kierkegaard sont les grands penseurs qui se sont le plus intéressés à la question. l'humour devient presque une attitude morale. mieux encore. déjà évoqué à propos de Gérard Genette: l'humour prend le réel pour l'idéal. où l'humoriste sort de lui-même pour aller vers l'objet extérieur en créant une communauté d'esprit entre les deux pôles. L'humoriste est celui qui constate la divergence.La prolifération du discours «existentiel» sur l'humour. première division. surtout dans le cadre d'une approche relevant de la critique littéraire. même si elle ne s'exprime chez lui que dans un contexte littéraire. le grand et le petit. pour entrer en relation directe avec Dieu. pour Kierkegaard ironie et humour sont le plus souvent des lieux de passage. voire éthique de la chose: L'humour n'est pas une humeur. l'homme éthique. mais il l'est également parce qu'il semble dépasser de loin le seul champ de l'analyse littéraire: parler de l'humour en tant que critique semble être décidément réducteur. et celle de Jankélévitch. Un rapport assez différent s'observe entre la sphère éthique et celle qui la surplombe. puisqu'il sait que toutes les contradictions s'anéantissent en Dieu. et c'est de cette fréquentation de la société que naît l'humour. Et c'est pourquoi. Le premier propose une approche psychologique. 2. Tentative de résolution. en revanche. est celle de la loi et de la règle: l'homme éthique agit toujours selon des préceptes immuables et donne ainsi un sens et une valeur à son existence. seul existe ce rapport à Dieu. mais en même temps. si l'on a raison de dire que l'humour fut banni de l'Allemagne nazie. du rapport immédiat aux choses. mais qui n'appartient pour le moment à aucune des trois sphères. il ne condamne pas. L'homme religieux est celui qui a dépassé le simple rapport à la loi. Il y a trois sphères d'existence. l'humour confine à l'éthique et au religieux. La sphère éthique.[xix] La sphère esthétique est celle des sens. ne peut s'empêcher de faire preuve d'ironie. c'est-à-dire un filtre par lequel passe le regard et qui structure à la fois la perception. la sphère religieuse.[xx] L'humour est explicitement défini dans le texte allemand comme une Weltanschauung. On retrouve par le biais de Kierkegaard à la fois l'attitude de Noguez. des situations transitoires: s'ils sont l'expression qu'adoptent l'homme éthique et l'homme religieux lorsqu'ils descendent dans les sphères inférieures. Le discours sur l'humour est problématique parce qu'il est contradictoire. et noie son propos dans des bons mots sans originalité. une manière de voir le monde. éthique. c'est-à-dire d'adopter une attitude de recul et de jugement sur les comportements qu'il observe. le langage et l'imagination. il ne fait que singer la vraie ironie. et la sphère religieuse consiste en un anéantissement du monde extérieur. Une solution possible se trouve chez Wittgenstein. Sa réaction n'est donc pas d'ironie. L'ironie apparaît lorsqu'on se situe à la frontière entre les deux. obligé de sortir de sa relation exclusive avec Dieu. mal délimité et propice aux paradoxes. Deux paragraphes abordent principalement la question. mais quelque chose de beaucoup plus profond et beaucoup plus important. de la jouissance pure. observant le monde esthétique. cela ne signifie pas simplement que l'on n'y était pas de bonne humeur. Deux zones frontières y correspondent: l'ironie confine à l'esthétique et à l'éthique. et proposer une nouvelle définition de l'humour ne revient qu'à rajouter une voix discordante de plus dans un concert déjà fort peu harmonieux. mais d'humour. décrit l'humour sur une base plus communicationnelle: . En réalité. esthétique. ils décrivent plus généralement l'attitude de celui qui est sur le point d'entrer dans la sphère éthique ou dans la sphère religieuse. selon des points de vue différents. dans les pages des Remarques mêlées consacrées à l'humour. Le second paragraphe. L'homme religieux. L'humour s'insère dans la trame même de l'existence. religieuse. Mais l'homme religieux reste le plus souvent forcé de vivre en société. pour lui. c'est une vision du monde. en revanche. qui est celle de l'esthète: mais comme l'esthète est incapable de se référer à une loi supérieure. lui consacrant plusieurs pages du Post-scriptum définitif et non scientifique aux Miettes philosophiques. observe le monde autour de lui et constate la contradiction entre le fini et l'infini. pour qui l'humour s'exerce toujours sur une corde raide. À ceci s'ajoute une fausse ironie.Enfin. chez qui l'humour est la forme supérieure et accomplie de l'ironie. Kierkegaard est assurément celui qui offre à l'humour la plus forte intégration dans son système. les manifestations humoristiques (jeux de mots. les difficultés du discours sur l'humour. Il n'est plus un cadre général de la pensée et de l'activité humaines. il est en grande partie indéfinissable et consiste en une coloration générale du langage et des rapports humains. mais dans d'autres contextes. 21 avril 1762. et dont chacune s'est voulue définitive. recours au nonsense. voire de la morale et de l'interrogation philosophique. une culture qui n'aurait pas de mot pour désigner la couleur verte exclurait cette couleur du champ de son expérience collective. comme outil instaurant une relation pragmatique précise. tout individu est appelé à jongler avec plusieurs jeux de langage selon sa situation. lorsque des gens n'ont pas le même sens de l'humour? Leurs réactions l'un envers l'autre sont désaccordées. Le sens de l'humour est une notion qui relève de la psychologie. ce sont les divers jeux de langage religieux qui prédominent. . C'est comme si la coutume voulait. mieux vaut se restreindre à examiner l'objet humoristique en lui-même. [ii] On retrouve cette idée dans l'Encyclopédie à l'article «humour». la mettent dans leur poche. Chaque société. ainsi. [iii] Hippolyte Taine. Seul ce deuxième sens du mot peut intéresser le critique littéraire. une caractéristique plus ou moins identifiable: dans un texte d'Alphonse Allais. ainsi. À une autre échelle. chaque sport. dérèglement de l'attente du lecteur) sont le signe du «sens de l'humour» de l'auteur. ses formes rhétoriques et son fonctionnement pragmatique. mais la critique doit se contenter de décrire plutôt que d'interpréter. celui-ci l'attrape et la renvoie. non plus comme «forme de vie» mais comme code. mais une forme particulière que revêt cette activité. Histoire de la littérature anglaise. Lettre à l'abbé d'Olivet. entre certaines gens. sens qui est peut-être à son tour le signe d'une attitude existentielle particulière. IV. chaque activité sociale en a un qui lui est propre.[xxi] L'humour apparaît ici comme un code. et nous ne pouvons connaître et percevoir que ce que nous pouvons formuler. au lieu de la renvoyer. Il ne servirait à rien d'ajouter un candidat de plus à la longue liste des définitions qui ont déjà été données de l'humour. comme vision du monde. mais certains. En des termes plus banals. ses paradoxes et ses apories résultent le plus souvent de la confusion entre les deux aspects du mot. chaque époque de l'histoire développe son propre jeu de langage.Comment est-ce. Chaque matière scolaire ou universitaire possède son jeu de langage particulier. en revanche. C'est par la notion de jeu de langage telle que Wittgenstein la développe dans ses Recherches philosophiques que ces deux paragraphes se rejoignent. il faut éviter de confondre «sens de l'humour» et «humour». inversement une culture qui dispose du concept «vert» n'a pas une connaissance plus détaillée de la réalité: sa réalité n'est tout simplement pas la même. un jeu dont les règles doivent être comprises pour qu'il puisse avoir un intérêt. L'humour. V. tout milieu social donné est parcouru par une multiplicité de jeux de langage. Le langage détermine la réalité et non l'inverse. vers holorimes. C'est en ce sens qu'est employé le mot «humour» dans le second paragraphe. les domaines du savoir sont largement dominés aujourd'hui par le jeu de langage des sciences exactes. Ainsi. C'est cette acception du «jeu de langage» qui semble être effective dans le premier paragraphe: l'humour comme cadre structurant du langage et de la pensée. [i] Voltaire. que lorsque l'un envoie une balle à l'autre. II. est une forme spécifique. qui détermine sa manière d'être et l'ensemble de son savoir possible. On peut maintenant. Paris. Raillery. Traduction (Ernest Lafond. An Essay towards fixing the true standards of Wit. Paul Aron. ses affections. Cette qualité peut être justement appelée humour. Humour. d'une façon si naturelle qu'on pourra. pp. Satire and Ridicule. in Revue germanique. [xiv] Sigmund Freud. [xii] En cela nous allons contre la position d'Escarpit. Gallimard. 13. l'ouvrage de référence reste celui d'Escarpit (L'humour. l'assimilation entre humour et comique persiste dans le monde anglosaxon. article «Humour». 1906. traduit de l'allemand par Denis Messier. 1988. Paris. cit. [v] Henri Bergson. soit en le faisant représenter par une autre personne. reçoivent le nom général d'humeurs. 317-328. la mélancolie. 1960).U. 1863): Ainsi dans tout le corps humain. 431-432. p. Oxford. [x] Corbyn Morris. [viii] Pour l'histoire du mot «humour». Anthologie de l'humour noir. Nous y renvoyons tous ceux qui cherchent faits et dates précis. [vii] Toute cette démarche est évidemment d'inspiration wittgensteinienne. Traduction (Robert Escarpit): Un Homme d'Humour est un homme capable de représenter avec bonheur un personnage faible et ridicule dans la vie réelle. [xvi] op. Anthologie de l'humour noir. Paris. ses facultés. 1744. 1966. bizarreries qui sont visibles dans son tempérament et dans sa conduite. [xvii] Dictionnaire du littéraire. pp. P. 1985. Le Rire. [xi] Héritée de cet usage. toucher du doigt les bizarreries et les faibles les plus extravagants du personnage. traduit de l'allemand par Bertrand Féron. p. Un Humoriste est une personne de la vie réelle. Le Mot d'esprit et sa relation à l'inconscient. in Œuvres. par métaphore. «Préface». soit en l'assumant lui-même. la bile. . «Pourquoi nous ne pouvons pas définir l'humour?».F. Paris. [vi] André Breton. [xv] Sigmund Freud. 1927. Le Livre de Poche. Alain Viala dir. comme lorsqu'une qualité particulière a pris possession d'un homme et qu'elle attire ses esprits. 11.. mais forcées à fluer continuellement quelque part. dans leur mouvement fluide. 398-411.[iv] Louis Cazamian. pp. p. le flegme. [ix] Every man out of his Humour. Livre de poche / Biblio.U. p. 2002. Denis Saint-Jacques..F. n'étant pas choses continentes. 12. Gallimard. 447. «L'humour» in L'inquiétante étrangeté. pour les faire fluer dans la même voie. obstinément attachée à des bizarreries particulières de son propre cru. PUF.. le sang.. Bref un Homme d'Humour est un homme capable de représenter et de révéler avec bonheur les bizarreries et les faibles d'un Humoriste ou d'autres personnages. 12. «Prologue». pour ainsi dire. p. P. [xiii] Cité par André Breton. Londres. appliquer ce terme à une disposition générale. tel que nous l'avons délimité dans «Panorama de la notion». l'histoire. mais cet objet-là nous ferait sortir du cadre esthétique. d'autre part. vers une philosophie et . Si l'on stipule par exemple. Chercher à définir la notion de comique est une entreprise monumentale et peut-être impossible à mener à un terme pleinement satisfaisant. pour des raisons ressortant aussi bien aux problèmes de définition de l'humour qu'aux problèmes de définition du comique. fait bien partie des procédés visant à provoquer le rire. p. L'humour a-t-il sa place au sein du comique? Les relations entre ces deux notions sont difficiles à établir. l'anthropologie et la philosophie. etc. [xxi] Ibid. nous entendons aussi bien le rire «bas» et bruyant des blagues obscènes que le «rire dans l'âme» cher à Pascal. 1. Paris. 188. 150 [78].php?Humour%3A_panorama_de_la_notion Humour. et appelle sans doute de surcroît une définition du rire. p. Paris. Contentons-nous de dire que par rire. qui soit en même temps la plus inclusive possible: la notion de comique recouvre l'ensemble des procédés qui visent à susciter le rire. Une définition aussi inclusive du comique semble accueillir tout naturellement l'humour: en effet. 157 [83]. Un autre Moyen Âge. l'objet humoristique. on peut faire remarquer que l'humour mène peut-être. à l'instar de Hobbes. on peut arguer que l'humour dans ses manifestations artistiques naît d'une psychologie mélancolique voire dépressive (Peter Sellers. Éditions de l'Otrante. p. Les facteurs susceptibles de justifier son exclusion seraient plutôt à chercher en amont ou en aval de sa manifestation. 1999. Post-scriptum définitif et non scientifique aux Miettes philosophiques. comique. 2002. au-delà du rire.org/atelier. humour vs ironie". qui ne se manifeste par aucun signe physiologique. traduction de Paul-Henri Tisseau et Else-Marie Jacquet-Tisseau. Patrick Moran.fabula. ironie Bernard Gendrel.[xviii] Cité par Jacques Le Goff. [xix] Kierkegaard. Une telle formulation ressemble à une tautologie. Alphonse Allais. Il nous semble plus prudent de nous en tenir à une approche esthétique. Remarques mêlées. Flammarion. 1977.). en reprenant deux hypothèses écartées dans l'article précédent: d'une part. 1343. Bernard Gendrel et Patrick Moran http://www. «GF». on doit sans doute exclure d'emblée l'humour du champ du comique. elle touche aussi bien à l'esthétique qu'à la sociologie. «Rire au Moyen Âge». "Humour et comique. [xx] Ludwig Wittgenstein. la psychologie (voire la psychanalyse). Gallimard. p. que la cause du rire chez un homme naît du sentiment de supériorité morale ou physique qu'il éprouve sur un autre.. volume II. Paris. comme le fait remarquer Jean Émelina dans Le Comique[i]. notamment. Il n'est peutêtre pas anodin. un dessin de Serre. ses implications philosophiques) l'humour n'est peut-être pas toujours intrinsèquement lié au comique. parfois malheureux) s'oppose au comique dans sa forme première (basse. et pour longtemps. entre comique significatif et comique absolu. représente-t-il la totalité ou seulement une partie de cette catégorie? Rien ne permet de le déterminer.une éthique pessimistes. Donc. Ce seraient ces facteurs-là qui permettraient de remettre en cause l'appartenance du premier à la sphère du second: néanmoins. si l'humour entre dans la catégorie du rire absolu. réservé à un rire qui serait purement «dans l'âme»? Une répartition peut-être plus efficace des formes du comique. de situation ou de caractère ne permet pas de faire avancer le problème. Genette va jusqu'à faire se recouper la distinction significatif/absolu avec la distinction humour/ironie. l'humour appliqué au caractère. rien n'oblige une histoire humoristique à avoir une issue heureuse. et ainsi de suite. ou du moins résignées. le comique et le genre de la comédie sont des concepts qui se manifestent d'abord. si l'humour semble bien entrer dans le cadre qu'on accorde aujourd'hui au comique. Une autre liste possible serait celle des tons et des registres comiques. En effet. pour les traiter comme des sortes de frères ennemis. il n'en va pas de même si l'on examine celui-ci d'un point de vue diachronique. plus noble que le rire habituel. héritée de Baudelaire. selon Genette. le grotesque. ce sont les nonsenses poétiques de Lewis Carroll. Ces exigences se retrouvent tout au long de l'âge classique. c'est la voie que suit Gérard Genette dans le chapitre «Morts de rire» de Figures V. Enfin. En ce sens l'humour (noble. et aboutit à une fin heureuse. en amont (les conditions de sa production) et en aval (sa réception. non seulement en relation avec le phénomène du rire. pourtant. comme si l'un accommodait ou provoquait l'autre. Cette répartition fonctionne mieux. c'est-àdire inoffensif ou du moins non-agressif. la farce et ainsi de suite. 2. ce sont les excentriques de Dickens. l'héroï-comique. La subdivision traditionnelle en comique de mots. un film des Monty Python) prête volontairement à rire suffit à ancrer fermement cet objet dans la sphère en question[ii]. L'humour est-il un de ces «tons»? Le problème est d'une part que ces objets restent assez mal définis (leur nature. et les commentateurs les plus divers voient l'humour comme un phénomène souvent plus apte à parler de malheur que de bonheur: en tout cas. heureuse): ce n'est que l'élargissement de la notion de comique et son éloignement d'un modèle mimétique particulier qui ont permis d'inclure l'humour dans son champ. qui prennent acte des contradictions inhérentes au monde et à toute activité humaine. que cette évolution des termes «comique» et «comédie» survienne plus ou moins au même moment que l'apparition du mot «humour». S'ils sont vraiment si proches qu'on le dit habituellement. et pas uniquement au théâtre. ces deux formes sont loin d'épuiser le potentiel de l'expression comique. mais dans un champ mimétique précis: la comédie met en scène un personnel bas. n'est pas claire) et d'autre part qu'ils s'organisent selon une logique du bas et de l'élevé: l'humour est-il nécessairement la forme la plus «haute» du comique. l'imaginaire collectif dépeint généralement l'humour comme une forme de comique supérieure. La présence du couple humour/ironie est néanmoins intéressante ici: les discours philosophique et critique ont souvent tendance à mettre les deux notions sur un plan d'égalité. puisque l'humour peut s'exprimer à travers n'importe laquelle de ces catégories: l'humour appliqué aux mots. Jasinski et Freud[iii]: l'humour. Or. le burlesque. au demeurant. par exemple. de gestes. le fait que l'objet humoristique (un texte de Sterne. serait du côté du comique absolu. mais elle n'est pas encore assez précise: en effet. sans doute une étude . Quelle place réserver à l'humour au sein du comique? Dire que l'humour fait partie du comique ne résout pas pour autant la question de la nature de cette inclusion. où il relève des distinctions similaires ou du moins comparables chez Stendhal. suggérée par l'article «Comique» de Marie-Claude Canova-Green dans Le Dictionnaire du littéraire est celle. lourde. bien que le titre de celui-ci stipule bien qu'il est toujours question d'«humour». en quelque sorte. l'individu peut adopter trois attitudes. sa forme supérieure. tant les apparences sont trompeuses. pourtant le second semble être l'application stylistique du premier. son discours est relativement flou et ne distingue pas clairement l'une de l'autre. ses réflexions dans Le Rire insistent notamment sur les mécanismes précis de l'expression ironique et de l'expression humoristique. enfin. dans le septième programme il oppose clairement l'humour au rire sarcastique de l'attaque ad hominem. Surtout. Dans L'Ironie. les deux notions ne s'affrontent à aucun moment: l'une engendre l'autre. De tous les philosophes ayant réfléchi sur le couple ironie/humour de manière rigoureuse. La réflexion de Kierkegaard sur les liens et les contrastes entre humour et ironie est sans doute la première à clairement différencier les deux notions tout en mettant au jour des mécanismes semblables. on n'est pas très loin de Pirandello. On trouvera une étude détaillée de ce couple comique dans «Ce que Bergson peut nous apprendre sur l'humour» (à venir).de leurs rapports permettra-t-elle de déterminer plus précisément la place de l'humour au sein du comique. En revanche. Jankélévitch met l'ironie du côté du semihabile et l'humour du côté de l'habile. le seul à l'avoir fait dans un cadre véritablement esthétique est Bergson. et qui la dénonce. en tout cas il n'oppose les deux termes à aucun moment. s'est lui aussi rendu compte de la vérité. il est son accomplissement. attaques personnelles. L'ironie consiste à critiquer et à montrer les insuffisances et les contradictions du monde et des hommes. après tout. en effet. Kierkegaard note à quel point les frontières entre les deux concepts peuvent être floues: en effet. Jean Paul ne met à aucun moment ces deux couples antithétiques en rapport. n'est pas en dehors de l'humanité. d'un ton agressif et remplie d'effets voyants. le couple se décline encore d'une autre manière. Définir l'humour par rapport à l'ironie? . fine et subtile. et une «mauvaise ironie». De même. Cependant. 4. s'élève toujours au-dessus des conflits individuels et assimile pêle-mêle l'humoriste. il remplace très vite ce mot par celui d'ironie dans le huitième programme. Jean Paul. mais avec «l'idée de derrière» qui fait toute la différence. mais il sait plus encore quelles sont les vertus de la tranquillité et de la stabilité: ainsi se comporte-t-il exactement comme le naïf. procédés parfois lourds) sont devenus aujourd'hui des traits distinctifs de ce que nous appelons l'ironie en général. arguant que l'humour. l'humour n'est plus opposé à l'ironie. qui veut faire passer pour une grandeur naturelle sa simple grandeur d'établissement. Mutatis mutandis. qu'il est bel et bien une grandeur naturelle. est le premier à traiter des deux notions à la fois. Le naïf croit ce que lui dit le pouvoir. L'habile. dans le huitième programme. si dans le septième programme de la première partie il s'attache exclusivement à décrire les mécanismes de l'humour. ce qui nous intéresse particulièrement ici. bon nombre des traits que Jean Paul attribue au rire sarcastique et à la mauvaise ironie (agressivité. Jankélévitch emprunte aux Pensées de Pascal la dialectique de l'habile et du semi-habile: face au pouvoir politique. il met en lumière la différence entre une «bonne ironie». pour qui l'humour est un dépassement du comique. sauf que pour Jankélévitch l'humour ne remet pas en cause l'excellence de l'ironie. l'humour consiste à aller jusqu'au bout de cette logique en acceptant ces contradictions et en les assumant: l'humoriste. Chez Jankélévitch. alors que chez Pirandello il tend à montrer le caractère automatique et simpliste du comique. Humour et ironie: une opposition féconde[iv]. bien au contraire. Le semi-habile est celui qui se rend compte de la fiction sur laquelle repose l'État. son public et l'humanité tout entière. un public non-averti pourra aisément prendre une manifestation humoristique pour de l'ironie. et à attribuer la place d'honneur à l'humour. En tout cas. Jean Paul semble considérer l'ironie comme une forme particulière de l'humour. dans son Cours préparatoire d'esthétique. 3. par l'idée anéantissante qui le dirige. entre le mécanique et le vivant. De même chez Jankélévitch. on peut trouver beaucoup d'exemples de syllepse de mot non-humoristique. Fontanier offre de l'ironie une définition rhétorique: c'est un procédé consistant. mais sa place dans les études rhétoriques. sont des fonctionnements qui servent plutôt à définir le comique en général. cette notion relève dans les deux cas du procédé: l'ironie est un outil et non véritablement un registre ou un ton. L'humour est-il vraiment de même nature? Dominique Noguez. que l'on propose de l'ironie une définition rhétorique ou linguistique. Ainsi. on est donc très près de les confondre. ne consistant souvent qu'en une attitude in pectore qui ne se vérifie pas nécessairement de manière tangible. lui. de regrets consumé / Brûlé de plus de feux que je n'en allumai. n'est pas satisfaisant: d'une part. réduire l'humour à la syllepse. la différence entre une ironie qui prend l'idéal pour le réel et un humour qui prend le réel pour l'idéal repose à première vue sur une nuance de très faible ampleur. La comparaison entre humour et ironie devient extrêmement problématique: les deux notions ne semblent pas fonctionner sur le même plan. Cependant. À vouloir mettre les deux notions sur le même plan. et de faire de l'humour une simple variante de l'ironie. qui prend le réel pour l'idéal. entre ce qui est attendu et ce qui se produit. chez Audiberti (L'Effet Glapion): «Une voiture nouvelle. évoquée plus haut. De Fontanier à Ducrot. Une telle définition par le biais de la polyphonie englobe nécessairement le procédé antiphrastique établi par Fontanier. chez Genette la distinction entre antiphrase factuelle et antiphrase axiologique finit par ramener l'humour dans le giron de l'ironie. que ce soit chez Schopenhauer. on n'est plus très loin de la définition bergsonienne de l'humour. Bergson ou Émelina (qui résume tous ces dysfonctionnements sous le terme d'anomalie). La syllepse ne suffit pas à donner une place spécifique à l'humour au sein de ce champ. est assurée depuis longtemps. mais il n'y a pas contradiction entre sa définition et celle de l'auteur des Figures du discours. et même sortant complètement du champ du comique. il n'est pas nécessairement plaisant. chargé de fers. L'ironie. la syllepse étant le procédé qui consiste à confondre sens propre et sens figuré. la distinction entre humour et ironie est en dernière analyse tout intérieure. ainsi. par exemple. Même chez Bergson.Un problème commun à beaucoup de définitions couplées de l'humour et de l'ironie est leur réversibilité. il fait reposer l'ironie sur la polyphonie: le locuteur ne se pose pas comme instance énonciative de son propre discours (et bien souvent l'énonciateur second n'est autre que la cible de l'intention ironique). et reconnaître que les rapprochements faits par la critique et les philosophes entre humour et ironie depuis deux cents ans sont le fruit d'une illusion? Une autre solution serait de placer l'humour à la croisée de plusieurs chemins: l'analyse de l'humour exigerait d'emprunter une voie énonciative proche de celle de la polyphonie ironique. les premiers jours!» Noguez étend la définition de la syllepse au delà d'un simple jeu sur le vocabulaire pour en faire une sorte de figure de pensée: l'humour naît du contraste entre deux niveaux de réalité. adopte une approche énonciative de la question. tout en permettant également des formes plus subtiles d'ironie[v]. comme le fait remarquer Genette. propose la syllepse comme équivalent humoristique de l'antiphrase ironique. à dire le contraire de ce que l'on veut signifier. mais fonctionnant peut-être de manière plus distendue (cf. par le recours à l'antiphrase. et il est de surcroît difficile de le ramener au rang de simple procédé. puis linguistiques. entre une norme et une exception.» Et dans son sens plus large. Faut-il revenir à la notion de registre. n'appartient pas exclusivement à la sphère comique: s'il est toujours polémique. même dans son sens élargi. ça vous transporte. il n'est tout au plus qu'un outil auquel peut avoir recours le comique. Ducrot. comme la réplique de Pyrrhus dans Andromaque: «Je souffre tous les maux que j'ai faits devant Troie / Vaincu. en revanche. Cependant. L'humour. En effet. le discours sur l'ironie est en effet extrêmement fort et cohérent. notamment dans L'Arc-en-ciel des humours. pour définir l'humour. appartient de manière plus fondamentale au comique par ses manifestations. la syllepse ne permet pas de distinguer l'humour du comique en général: en effet le contraste entre deux niveaux de réalité. L'ironie a pour elle d'être entourée d'un appareil conceptuel plus puissant: non seulement a-t-elle fourni matière à réfléchir à plusieurs philosophes. les propos de Ducrot cités dans «Réflexions . entre inclusion et exclusion: il s'agirait de voir l'humour comme une forme supérieure de/au comique. Genette»). [ii] Dans son article sur «L'humorisme» (Écrits sur le théâtre et la littérature. pour l'instant. comme le fait remarquer Freud. Genette». n'a besoin que de lui-même comme seul public. [i] Jean Émelina. une autre voie tout aussi importante serait celle des procédés rhétoriques employés par l'humour. Le Comique. que celle-ci s'en rende compte (c'est le cas du sarcasme) ou non (il faut alors une troisième instance. Patrick Moran Un humour ou des humours? Notre travail jusqu'à maintenant a été un travail de délimitation (entre tous les sens du mot «humour» et entre les notions d'«humour». Georges Piroué. [iv] Pour plus de détails sur les discours philosophiques évoqués dans cette partie. Denoël. Paris. qui nous semble. Pirandello propose une sorte de troisième voie. L'humoriste. Essai d'interprétation générale. Après avoir centré notre objet d'étude sur le «jeu de langage» humoristique. et il est nécessaire de les prendre en compte simultanément: c'est une des différences majeures entre humour et ironie (ce dernier étant un axe simple qui traverse le champ du comique sans nécessairement s'y arrêter). le spectateur qui comprend l'ironie). Ces deux chemins se recoupent au sein de la sphère comique. tandis que l'humour dépasse la réaction instinctive pour penser la contradiction et la ressentir en profondeur: c'est ce que Pirandello appelle le sentiment du contraire. et qui serait pour sa part bien distincte de l'antiphrase. en revanche. met la cible sur le même plan que lui et vise à lui sauver la face. procédé unique employé par l'ironie. voir «Panorama de la notion». ce dernier reposant seulement sur une constatation du contraire. Paris.sur une analyse de G. 1996. Cette conception de l'humour comme une sorte de comique «au carré» repose cependant trop sur l'attitude psychologique de l'humoriste pour être entièrement satisfaisante ici. de «comique» et d'«ironie»). Souvent l'humour n'a même pas recours à une situation pragmatique: l'humoriste. n'emprunte donc que la voie énonciative). à la croisée d'un . rapportée à la notion de face management: l'ironiste vise à faire perdre la face à la cible. Patrick Moran et Bernard Gendrel Un humour ou des humours Bernard Gendrel. trad. 1968). et qui dans la pratique n'est que de la polyphonie sous un autre nom (l'ironie. à proprement parler. [iii] Voir «Réflexions sur une analyse de G. [v] Dans «Remarques sur un article de Gérard Genette». SEDES. nous avions également proposé une définition pragmatique de l'ironie. si elles sont autonomes ou si elles se rapportent à une forme générale de l'humour.axe rhétorique (procédés. Partout de l'antisémitisme. «nonsense»… laissent à penser en effet à une profusion des formes d'humour. jouant «constamment de cette ambiguïté dans le registre d'une auto-dépréciation semi-feinte.G. d'autre part la thématique employée (Klatzmann distingue à cet égard les «thèmes de toujours» – mère juive. Les expressions «humour anglais». Le problème est à peu près similaire à celui posé par Wittgenstein à propos du terme «jeu». reprend cette caractéristique. L'humour anglais se définit avant tout par le tempérament que l'on prête au peuple anglais et que l'on a l'habitude d'appeler «flegmatique». etc. au macabre (humour noir) et à l'absurde (nonsense): «You can't stick lighted matches between the toes of an English butler. ou plus possessif (la «mère juive»). La caractéristique de cet humour est donc à deux niveaux. entre eux qu'un «air de famille». L'humour juif déjà se faisait l'écho d'une situation bien précise. mécanismes…) et d'un axe énonciatif (position du locuteur par rapport à son énoncé). maghrébin.&#8243. d'autre part. des portes qui se ferment aux Juifs qui veulent quitter leur pays. ou plus pleutre.»[i] Joseph Klatzmann dans son ouvrage L'humour juif[ii]. peut-on trouver un trait commun à tous les jeux? Wittgenstein explique que le rapprochement entre les jeux participe plus d'un réseau de similarités d'un jeu à l'autre que d'une similarité globale. L'humour et les minorités L'humour anglais et l'humour juif sont un peu à part. on entend souvent parler de l'«humour juif». la presse. que nous tenons entre nos mains la banque. dans les années 30. «humour noir». Des articles font notamment référence aux humours québécois. j'apprends que nous dominons le monde. l'auto-dénigrement. irlandais. en Allemagne lit un journal nazi et explique à un compagnon: «Quand je lis un journal juif.». Wodehouse) Au côté de l'humour anglais.» b. Les différents jeux n'ont. je ne trouve que des nouvelles tristes et des catastrophes. Genette le décrit. ou plus roublard. Ainsi l'humour anglais est souvent rattaché. des persécutions. «humour juif». car ils sont des formes analysées et reconnues de l'humour. 1. Y a-t-il une définition unique possible de ce mot.» (P. d'une part la forme employée. la finance. mais ce flegme n'a d'intérêt que parce qu'il entre en confrontation avec un énoncé qui justement ne devrait pas susciter ce calme – apparent – du locuteur. en soulignant le risque d'une utilisation antisémite par les non-juifs. comme consistant «à se faire. il convient de se poser la question de l'unicité ou de la multiplicité de cet humour. L'humour juif dans ce cas particulier a quelque . La question est de savoir. d'une part. se demande-t-il aux paragraphes 66 et 67 des Recherches philosophiques? Autrement dit. Diverses classifications a. Ainsi de l'histoire bien connue du juif qui. argent – des thèmes propres au contexte historico-social des pays d'adoption): «Une femme promène ses très jeunes enfants dans un landau et les présente à une amie rencontrée dans la rue: &#8243. ou plus sale. au delà du flegme. On rencontre parfois d'autres qualificatifs culturels qui n'ont pas le même caractère établi. He would raise his eyebrows and freeze you with a glance. You'd feel as if he had caught you using the wrong fork. L'humour juif est fait par un juif à partir d'éléments de la culture juive. dit-il. C'est autrement réconfortant!». ou plus cynique. L'humour anglais et l'humour juif Il ne s'agit plus ici comme dans notre «Panorama de la notion» d'envisager l'expression «humour anglais» dans une perspective diachronique mais de voir plutôt le sens qu'elle peut avoir aujourd'hui et d'étudier la réalité à laquelle elle se réfère. De la même manière nous pouvons nous demander si les humours ont seulement un «air de famille» ou s'il est possible de trouver un dénominateur commun qui explique le phénomène. non pas plus bête. On voit que l'on est encore proche de la caractérisation humorale des origines.L'avocat a un an et le médecin deux ans. cajun[iii]… qui se définiraient avant tout par le contexte social qui les entoure. mais par exemple plus cupide. au contraire. dans Figures V. Dans ce journal. religion. si ces distinctions sont pertinentes. Les thématiques utilisées peuvent en effet s'ancrer dans la réalité des peuples et il est important de s'en souvenir pour ne pas se laisser enfermer dans l'abstraction théorique. lorsque Peggy Castex parle de l'humour cajun[v]. C'est néanmoins Dominique Noguez qui dans L'arc-en-ciel de l'humour va proposer une classification rigoureuse des différents types d'humour selon leur couleur. et l'humour étant une valeur très positive dans notre monde. elle parle avant tout d'un comique dirigé contre le monde anglo-saxon environnant. la femme analysant plus l'histoire qu'on lui raconte et ne s'attendant pas obligatoirement à en rire[viii]. comme en retrait. Une conclusion similaire peut être donnée à propos de l'humour prolétarien. l'utilisation de l'humour par des groupes minoritaires. L'humour en Angleterre[ix]. plus littéraire. dans un contexte moins tragique. d. «classe moyenne» ou aristocratique.un humour jaune. Dans le cas de l'humour juif le caractère auto-dénigrant empêche la taxation d'ironie. Les couleurs de l'humour Une autre classification. «l'humour gris» et lorsque l'affectif l'emporte sur le réalisme «l'humour rose». Difficile de dire qu'un camp politique ou qu'un groupe social n'a pas d'humour. de trouver d'autres classifications. Classifications par sexes. Dans les cas des humours minoritaires la frontière est parfois plus mince et le terme d'humour perd souvent sa pertinence. un usage mineur. à un niveau moindre.un humour noir qui serait du côté du macabre. Le point positif est que ces appellations mettent en évidence l'importance du monde dans lequel naît l'humour. à supposer qu'elle soit unique. part de l'expression de Huysmans «humour noir» pour établir un «arc-en-ciel des humours». Là encore. pour désigner le fonds d'histoires populaires d'un peuple ou d'un groupe humain. Gilles Deleuze dans son Kafka. chacun revendiquera son humour et au besoin niera celui du voisin. qu'elle soit une langue majeure ou l'ait été. nous semble-t-il.» (Erik Satie) . Cette idée des couleurs de l'humour est déjà présente dans un ouvrage d'Alexandre Mavrocordato. pour désigner le rapport plus au moins grand à la réalité: tout au bout de la chaîne. Le développement des gender studies conduira certainement à une bi-partition humour masculin – humour féminin. à partir de là. c'est la possibilité de faire de sa propre langue.» . Il s'agit d'un humour qui se développe au sein d'une petite communauté. par classes.»[vi] Peut-être l'humour vrai se fait-il aussi toujours «mineur» au sein du monde qui l'entoure. Il distingue . De là à conclure qu'homme et femme ne produisent pas la même sorte d'humour il n'y a qu'un pas. les différences se feront jour plus au niveau des thématiques que du fonctionnement même de l'humour. qui serait du côté de l'auto-dénigrement «dépathétisant» (à la limite donc de la mélancolie): «Suis chauve de naissance par pure bienséance. face à une majorité plus ou moins hostile[iv]. Des études médicales viennent déjà de révéler qu'homme et femme ne réagissent pas de la même manière face à l'humour. du scandale et de la mort: «L'amputation de la jambe est un grand pas vers la sédentarité. de l'humour de gauche ou de droite. par rapport à l'ironie surplombante (cela rejoindrait la tendance à l'atténuation analysée par Noguez[vii]) Le point négatif des ces appellations est que trop souvent le terme d'humour est employé à la place de comique ou d'ironie. poussant le réalisme jusqu'au bout il y a «l'humour noir». appelait à l'émergence d'une littérature qui se fasse «mineure» à l'intérieur de sa propre langue: «[…] ce qui est intéressant encore. Et on reconnaîtra sans peine qu'une femme ne traitera pas obligatoirement des mêmes sujets qu'un homme. par idéologies? Il est toujours possible. c.chose à voir avec «l'humour mineur» – comme Deleuze parle de «littérature mineure». De même. Être dans sa propre langue comme un étranger. Autre élément important. qui serait du côté de la parodie: «Il était une fois un roi. le petit pois et l'horrible motocyclette. qui serait du côté de la fantaisie et du rêve.» (Benjamin Péret) ..un humour bleu. Heine. unissez-vous&#8243.» (Scutenaire) Ces classifications.un humour rouge. «Pourquoi nous ne pouvons définir l'humour» (Revue Germanique. voire de l'absurde (référence aux «contes bleus»): «Dans un récipient contenant de l'air sous une pression de trois atmosphères et soumis à une très basse température.» (Max Jacob) .&#8243. s'en remettre à l'étude de réseaux de similarité? 2. ceux des auteurs: «Il critico letterario deve andare oltre queste osservazioni generiche: deve individualizzare. Forme et matière Toutes ces considérations pourraient nous amener à la position prise par Benedetto Croce en 1903 dans son article «L'umorismo»: l'humour ne serait qu'un nom donné à un groupe de représentations bien particulières. ma c'è Sterne. qui a rapport à la religion: «Adam et Eve sont nés à Quimper. le berceau. qui serait la tendance à l'atténuation commune à tout humour: «je ne plie le genou devant rien ni personne: j'ai de l'arthrose. qui serait du côté de l'atténuation sentimentale: «Quand les fausses notes étaient trop fausses. ne résiste plus à une cuisine en formica. elle disait alors d'une voix plaintive. Par là relatif.un humour violet. la terre fournit l'aiguille à tricoter. Quand elle marchait. l'humour échappe à la science parce que ses éléments caractéristiques et constants sont en petit nombre et surtout négatifs. Per lui.un humour blanc. lorsque Dominique Noguez établit sa classification des humours. Mais le serpent à sonnettes avala complètement l'huissier et ils eurent beaucoup d'enfants. une reine. avons-nous dit.un humour gris. que l'on soit d'accord ou non avec certaines d'entre elles. alors que ses éléments variables sont en nombre indéterminé. Cela veut-il dire qu'on ne peut définir l'humour et qu'il faut. c'était un déménagement.» (Dominique Noguez) . un huissier et un serpent à sonnettes. s'intéresser à des humours encore plus singuliers. Comme la reine avait des dettes. Mais l'esprit ne faisait pas la commission.un humour caméléon. l'huissier vint le trente et un octobre pour la saisir.Prolétaires de tous les pays. comme un ordre discret qu'elle eût donné à un esprit: &#8243. qui serait du côté de la fausse naïveté (le «vert paradis des amours enfantines»): [Madame Rosa] n'avait pas de taille et les fesses chez elle allaient directement aux épaules.» (Romain Gary) . Richter. dépasse infiniment sa .Il faudra faire venir l'accordeur. qui serait du côté de la grisaille quotidienne («façon enjouée qu'on peut avoir d'être déprimé»): «Bien que vivant seul. non c'è l'umorismo. comme pour le «jeu» chez Wittgenstein. évitable»: «La très belle phrase &#8243. il ne pense pas à l'absence de traits communs. En augmentant la pression et en diminuant la température. abstraitement. sans s'arrêter.un humour rose. Il renvoie d'ailleurs à un article fondateur de Louis Cazamian.»[x] Pourtant. Cazamian tente de définir l'humour mais explique qu'il faut distinguer la forme de l'humour et sa matière: «Pour nous. montrent que l'humour peut revêtir plusieurs formes. parce que sa matière.» (Gide) . Malgré un titre provocateur.» (Raymond Borde) . il s'était fait faire un rond de serviette à son nom.un humour vert. «couleur que prend le noir quand le malheur dont il ricane ne vient pas de Dieu (ou de la Nature) mais des hommes. Et l'on pourrait au delà même des classifications culturelles ou colorées. on a le merle. novembre 1906).» (Henry Somm) . En effet. qu'est-ce d'autre que cette implication du locuteur dans l'énoncé (à l'opposé de la distance du locuteur au fondement de l'ironie)? De même à propos de l'humour caméléon. Si nous suivons notre hypothèse d'un humour à la croisée d'un axe rhétorique et d'un axe énonciatif. C'est là qu'intervient l'axe rhétorique. mais que cette feuille est en papier bible: c'est cette irréductible nuance d'humanité et de compassion qui est le critère sine qua non de tout humour. . indispensable. . astéisme. La matière mouvante dont parlent Noguez et Cazamian consisterait alors dans tous ces visages que peuvent prendre le thème d'un côté et le propos de l'autre.l'humour anglais a un thème macabre/absurde et un propos flegmatique.l'humour juif a des thèmes fortement ancrés dans le monde juif (familier) et un propos dépréciatif.» Pour la parodie c'est encore la situation énonciative qui permet de faire la part des choses. . Plusieurs figures peuvent être utilisées (hyperbole. il faut que l'énoncé paraisse incongru.forme. Pour faire naître l'incongruité. de mécanismes. . . Prise en charge de l'énoncé par le locuteur et décalage thème/propos seraient ainsi la forme fixe de l'humour. L'idée selon laquelle le locuteur prendrait en charge l'énoncé (contrairement à l'ironie) mais que l'énoncé serait tellement gros que l'allocutaire verrait une distance entre le locuteur et le sujet parlant. litote. Si nous reprenons les grandes catégories étudiées plus haut. qui oscille entre agressivité et complicité: «[L'humour] sera d'autant plus pur qu'il s'éloignera plus […] de la raillerie grossière et des travestissements appuyés. il est besoin de procédés particuliers. qu'il n'en est séparé que par une mince feuille de papier. Mais elles obéissent toutes à un principe général: il faut que le thème (ce dont on parle) soit en décalage avec le propos (ce qu'on dit du thème). soit le propos. et pouvant s'appliquer aussi au langage pictural (voire même au langage musical).l'humour rouge un thème traitant des malheurs d'origine humaine. La «forme» dont parle Cazamian nous paraît plus complexe et plus intéressante que ce qu'il laisse entendre.l'humour violet un thème religieux.l'humour jaune a un thème personnel ou familier et un propos dénigrant et dépathétisant. .» Cazamian cherche à sauver les auteurs de la menace théorique que ferait peser sur eux la possibilité d'une définition de l'humour: pour lui. soit les deux: . .l'humour noir a un thème macabre. à propos de l'«humour rouge». n'est remis en cause par aucune des classifications ci-dessus. l'originalité de tel ou tel humoriste est plus importante que le mécanisme commun à tous les humours. la compassion. Dominique Noguez explique que la frontière avec l'ironie est assez faible: «Convenons que l'humour rouge ressemble parfois beaucoup à l'ironie. elle sert dans deux cas à distinguer l'humour de l'ironie. nous nous apercevons qu'elles précisent soit le thème utilisé.l'humour rose un propos sentimental. thème et propos devant s'entendre ici au sens large. nous pouvons dire que l'axe énonciatif n'est pas concerné par la variété des humours. Il n'en reste pas moins qu'il y a bien une forme fixe d'un côté et une matière livrée à la – plus ou moins libre – invention des auteurs de l'autre.» L'humanité. la sympathie. Bien plus. épitrope…). Pour que l'allocutaire comprenne qu'il y a néanmoins une distance entre le locuteur et le sujet parlant. .l'humour vert un propos naïf .l'humour gris un thème quotidien. l'important étant que le décalage subsiste. collection«Critique». 1984. le branchement de l'individuel sur l'immédiat-politique. 3. P. Pour une littérature mineure. op. [ii] Joseph Klatzmann. C'est cette forme fixe que nous essayons. [i] Genette. que sa matière est variée.. 8 novembre 2005. l'agencement collectif d'énonciation». in Problemi di Estetica e contributi alla storia dell'Estetica italiana. humour anglais et humour bleu.. Paris. cit.l'humour bleu un thème fantaisiste. Les Éditions de Minuit. [x] Benedetto Croce. p. Cette traversée des différents humours a été profitable à plusieurs plans. En guise de conclusion Nous avions pris au début de ce parcours l'exemple du «jeu» chez Wittgenstein comme garde-fou. L'humour d'expression française. de définir avec le plus de précision possible. pour nous rappeler de ne pas nous laisser abuser par une vision unilatérale du langage qui nous ferait croire qu'une seule réalité se cache derrière le mot«humour». Aubier. On voit par là les relations qu'entretiennent humour anglais et humour noir.U. [v] «Humour chez les Cajuns de la Louisiane». . Z'éditions. Paris.F. op. «L'umorismo». [ix] Paris. Paris. cit. Paris. 2003. [viii] Source: Dr Guy Benzadon. 2001. 33.. [iii] v. Nice.l'humour caméléon un propos parodique. [vii] v. 1998. p. [vi] Deleuze et Guattari. P. «Que sais-je?». ..l'humour blanc un propos euphémistique[xi].U. humour juif et humour jaune. D'une part elle a rappelé l'importance du contexte dans lequel naît l'humour. 1967.F. Signalons aussi L'Humour juif dans la littérature de Job à Woody Allen de Judith Stora-Sandor. Seuil. Le Quotidien du médecin. . p. 276-277. Paris. d'une séance à l'autre. la revue Humoresques et notamment les deux volumes L'humour d'expression française. pp. Kafka. 48. onirique ou absurde. inventive. in Humoresques.. Figures V. 212. l'humour se différenciant en cela du «jeu» wittgensteinien. L'humour juif. infra. 1990. humour juif et humour violet[xii]. Mais cette traversée a permis aussi d'asseoir l'idée de traits communs à tous les humours. multiple. «L'humour passé au crible du cerveau féminin». «collection Poétique». [iv] Pour Deleuze et Guattari«les trois caractères de la littérature mineure sont la déterritorialisation de la langue. Bibliopolis. d'autre part elle a montré que l'humour peut prendre divers visages. inadéquation. chez ceux qui y ont recours. entamées dans la Revue d'esthétique et poursuivies dans plusieurs articles et ouvrages au fil des ans. essayiste. ancien élève de la rue d'Ulm. [xii] Les humours qui se définissent par leur thème peuvent se combiner également avec les humours qui se définissent par leur propos: ainsi de l'humour caméléon et de l'humour bleu dans la citation d'Henry Somm. ancien professeur d'esthétique. dirait Barthes. tandis que toute parole est singulière. on évaluait à un. celle-ci relève proprement de la sémiologie. le nombre des alunissages» (Pierre Desproges). Noguez invoque Saussure. et autre chose la vision du monde et de l'homme impliquée. La langue est absolument générale. et insère l'humour dans le spectre qui va de la langue à la parole. Bernard Gendrel. L'humour revient sans cesse. «Structure du langage humoristique». par l'humour . ont fait surgir bon nombre de concepts opératoires et de méthodes d'approche nouvelles. il est à la fois romancier. sa syntaxe. est l'auteur d'une oeuvre variée et éclectique. il ne se . si l'on veut . spécialiste de cinéma expérimental. chercheur. une grammaire. sa mythologie. Il manifeste cependant une attitude plus optimiste face au problème soulevé par Cazamian. science des significations. lui est un langage codé. L'absurde se trouve donc à la fois du côté du thème dans l'humour bleu et du côté du propos dans l'humour blanc. consciemment ou non. et non d'explorer une signification: «Autre chose. L'humour. En effet. Patrick Moran Humour: réflexions sur l'oeuvre de Dominique Noguez Patrick Moran Bernard Gendrel L'oeuvre de Dominique Noguez Dominique Noguez. philosophe de formation. Les théories de Noguez sur l'humour. elle est le code fondamental. Celle-là sera ici l'objet d'une analyse structurelle. a. il relève chez tous les commentateurs une forte insistance sur la bipolarité qui est au fondement de l'humour. Lénine Dada et Les Trois Rimbaud). En 1969 paraît l'article «Structure du langage humoristique» dans la Revue d'esthétique[i]. environ. Pour expliquer son propos. en affirmant que la matière du langage humoristique n'est pas aussi radicalement inconnaissable que celui-ci le laisse entendre. en effet.[xi] Notons que Noguez place aussi dans cette catégorie le nonsense grammatical: «Fin 1984. adepte des formes courtes (nouvelles. aphorismes) et inventeur de nouveaux types de fiction (notamment avec ses pseudo-biographies. son caractère mêlé (union des contraires.). Le titre de l'article révèle qu'il s'agit uniquement ici d'étudier un fonctionnement. etc.» Noguez mène son étude à partir de l'article «Pourquoi nous ne pouvons définir l'humour» de Cazamian et de sa distinction entre la forme générale de l'humour et la matière propre à chaque humoriste. aussi bien au titre d'objet de réflexion que de pratique d'écriture. duplicité. Plus généralement. cependant. au sein de sa production. la structure du langage humoristique . fonctionne sur la base d'une dissociation entre signifiant et signifié. ce sont ces matières naturelles en quelque sorte qui intéressent Noguez. Si l'un de ces trois termes n'est pas propice (par exemple si l'humorisant est trop hermétique. C'est une litote. et les conditions de leur relation. . il s'agit donc d'un «sur-code». . puisqu'ils jouent un double jeu. Noguez étend cette catégorie jusqu'à englober des éléments relevant du contexte (nature du livre qu'on lit. En effet. mais exige une compétence de la part du récepteur. ou si le contexte n'est pas à la gaieté). en revanche il vaut mieux qu'il ne soit pas opaque. qui est plus ou moins grande selon les cas. de la conversation). Le discours humoristique n'est nécessairement pas transparent. l'humorisant. Noguez parle ici du caractère litotique de l'humour. notamment lorsqu'elle se réfugie dans les jugements de valeur: ainsi. Or ce sur-code n'est pas à ranger radicalement du côté de l'individualité: en effet. En réalité.il.La fausse naïveté: on trouve de multiples exemples chez Voltaire. L'humour est le discours d'une tribu. du contexte général et particulier dans lequel l'énoncé est produit. Mais le discours humoristique recèle aussi en lui-même des indices permettant de l'identifier correctement: il y a d'abord l'énormité des signifiés. allant en ce sens contre Cazamian: en effet. il considère que la matière du discours humoristique est. pour bien marcher. du cadre socioculturel. Cette énormité peut se faire discrète. dans une certaine mesure. distinct du codage linguistique universel. Le codage propre à l'humour. repérable et classifiable. Noguez explique qu'il est translucide. sourires). pour montrer quelle est la véritable nature du texte auquel on a affaire.»[ii] Après ces considérations. Noguez s'attache davantage à la structure «matérielle» de l'humour. l'humorisé. mais extrême abondance des associations implicites sur le plan des systèmes. lorsque Voltaire décrit la guerre des Abares et des Bulgares dans Candide. doublement codé. si tel était le cas. et que cette translucidité. d'autres en revanche fonctionnent de manière stratégique. la compréhension d'un propos humoristique dépend de la finesse du récepteur. . entre autres. Au niveau du verbe. ou plutôt l'absence de jugement condamnant de telles atrocités. ainsi L'Ingénu ou Micromégas.Ce qui ne va pas de soi présenté comme allant de soi: c'est le cas notamment du nonsense. Inversement. de la situation «historicomondiale» (connaître un tout petit peu le siècle des Lumières permet de mieux comprendre Candide) ou de l'expressivité visuelle (clins d'&#156. seul l'humoriste serait capable de comprendre son propre discours. le discours humoristique se révèle aussi par l'emploi de signifiants démasqueurs: alors que la plupart des signifiants du discours humoristique sont hypocrites. Il propose donc une première typologie des discours humoristiques possibles. l'humour aura recours souvent à des figures tendant à remettre en cause la stabilité du langage: «Raccourcissement sur le plan des syntagmes. presque imperceptible parfois. et qui permet de mettre en valeur l'inadéquation signifié/signifiant qui est à la source de l'humour. Tout ceci tend à placer l'humour. l'humour noir.comprend pas immédiatement. l'humour est syntagmatiquement sous-développé. la forme de ce discours (dont traite la première partie de l'article) est telle qu'elle appelle nécessairement certains contenus plutôt que d'autres. associativement surdéveloppé. avant la liste par couleurs de L'Arcen-ciel des humours[iii]: . On n'est pas très loin du procédé d'antiphrase axiologique décrit par Genette dans «Morts de rire». la viabilité du discours humoristique sera en péril. c'est aussi peut-être une rhétorique particulière. sur le spectre qui va de la langue à la parole.La chose triste présentée non tristement ou la chose gaie non gaiement (an-esthésie ou hyperesthésie inversée): c'est ici que l'on range. doit reposer sur trois termes. dans le champ non pas des idiosyncrasies (purement individuelles) mais des idiolectes. les scènes de carnage sont bien réelles: la description ne ment pas. de l'époque. si l'humorisé n'est pas assez réceptif. C'est le jugement donné par le narrateur qui est «énorme». ou la dernière des tristesses» dans la revue Études françaises (Montréal. dans cette danse sur des braises. L'ouvrage se divise en trois grandes parties. tel Flaubert. une omelette aux bolets de Satan. qui constituera la majeure. comme dans tout syllogisme correctement formulé[iv]. un inspecteur de police en tutu. le sarcome de Kaposi. Libraire Générale Française. dix-sept escargots en goguette. 2000) qu'il propose une véritable synthèse de ses divers travaux.. Les discours de comices agricoles les plus ridicules ne seront jamais humoristiques que s'ils sont formulés par un individu conscient de la charge qu'il y met. la France éternelle. Dieu grossi mille fois. Deux autres traits. on ne dispose que d'une mineure. la joie de vivre des grands brûlés. Kant ivre mort. il doit donc éviter de laisser transparaître le système de valeurs sur lequel il se fonde implicitement &#150. un évêque tatoué. l'humour sans arrière-monde suffisant se réduit au mot de salon. et. et on ne peut reconstruire l'ensemble du raisonnement qu'à partir du système de valeurs de l'humoriste. Autre trait important. une main de jeune fille sur un bréviaire. s'attache à décrire le fonctionnement de l'énonciation humoristique: c'est à elle que nous allons nous consacrer à présent. une trompe de Fallope.L'amabilité présentée comme une méchanceté. caractérisent l'humour: l'importance de la retenue. le vol nuptial de l'archéoptéryx. au calembour ou à la contrepèterie): «Tout l'art de l'humoriste se trouve dans cet équilibre instable. Il procède comme un enthymème. de l'équilibre (car inversement. une caresse qui déchire. «C'est un rayon de soleil sur une eau croupie. l'apoplexie des canards. une paire de fesses légèrement dissymétriques. l'humour brille par une très forte conscience de lui-même: l'humour n'est jamais involontaire. le dernier mot de Paul Deschanel. une équation à dix inconnues. un doigt coupé trouvé dans la soupe. la louange comme un reproche.»[v] b.il bleu louchant avec un &#156.il vert. d'autre part. «Qu'est-ce que l'humour?» demande le premier chapitre. un squelette désossé. Blanche-Neige et les sept géants. les béquilles suspendues devant la grotte de Lourdes. La limite entre les deux dépend souvent de l'attitude de l'énonciateur ou de son public (on retrouve ce que dit Kierkegaard dans son Post-scriptum: un public peu averti pourra aisément prendre une manifestation humoristique pour de l'ironie). la rencontre de l'abbé Pierre et d'un pélican dans le bois de Chaville. l'humour se garde toujours d'émettre un jugement. notamment «L'humour. le supplice du pal. l'amputation de la jambe un soir d'été. ainsi qu'une réflexion globale sur la forme. un nain bègue. Zeus soulevant un four à micro-ondes en croyant que c'est Ganymède. 1969) et «Petite rhétorique de poche pour servir à la lecture des dessins dits d'humour» dans la Revue d'esthétique en 1974. Noguez publie d'autres articles sur l'humour. si l'humour est un enthymème. le bal masqué des petits aveugles. la maladie d'Alzheimer. ou réciproquement: c'est la frontière floue entre humour et ironie. repeindre les feux . Tout d'abord. Prosper Mérimée. deux lapis-lazulis. Noguez tire trois ou quatre conséquences sur le fonctionnement général de l'humour. De cette petite typologie. la claudication du mille-pattes. d'une part &#150. un &#156. le flirt de la girafe et du doryphore. la main du chirurgien dans la vésicule du zouave. la lune perdue dans une gare de triage. un livre sur l'humour. la seconde est un historique des types d'humour qui se sont développées en France au cours du XXe siècle. La conclusion s'ensuivra inévitablement. du Chat Noir à Pierre Desproges. La première partie. l'incendie de la caserne des pompiers. Mais c'est avec L'Arc-enciel des humours (Paris. enfin. L'Arc-en-ciel des humours. déjà décrite dans «Un humour ou des humours?». faire des chatouilles à un mourant. l'histoire et la matière de l'humour. les facéties d'un Mr Pickwick ne sont de l'humour que parce que Dickens les met en scène. c'està-dire un syllogisme auquel manque la majeure et la conclusion. l'Évangile en serbocroate. en revanche. Abraham Lincoln. tandis que la troisième développe la typologie des couleurs de l'humour. quel que soit l'aspect qu'il revêt dans telle ou telle manifestation particulière. essaie toujours de susciter une réaction émotionnelle chez son récepteur. citée (et décriée) par Breton dans l'Anthologie de l'humour noir. si l'humour. à l'instar de ces deux auteurs. la comtesse de Ségur. Tardieu lui-même a expliqué que cette schizophrénie littéraire avait des origines dans son propre psychisme. L'humour. et tente de faire comprendre la part d'indicible et d'insondable qui est à l'oeuvre dans toute manifestation humoristique. elle est trop nette. Noguez fait la liste ensuite de plusieurs figures voisines de la syllepse. mais sans que l'un disparaisse jamais au profit de l'autre[vii]. l'hyperbole. l'étendue du désastre. c'est le masque: la syllepse se rapprocherait trop du comique ou de l'esprit.La syllepse n'est pas la seule figure qu'emploie le discours humoristique. souvent la sympathie (ce qui révèle une forte tendance au narcissisme chez l'humoriste). trop voyante. Noguez prend néanmoins ses distances avec Freud sur plusieurs points. déjà étudiée dans l'article de 1969. il s'éloigne néanmoins de la forme universitaire des premiers articles.Comme toute figure rhétorique.Enfin. l'exception paradoxale ou cocasse. celui-ci. la litote. l'humour est intrinsèquement communicationnel. qui n'actualise que le sens nouveau qu'elle suscite. et une des formes les plus élevées du psychisme: en ce sens. proche des choses et des réalités les plus dérisoires. et tout message humoristique. la liste hétérogène. D'autre part. il se rapproche aussi de Léon Pierre-Quint (l'humour comme «révolte supérieure de l'esprit»). par exemple. pour Noguez. humble. le mimosa des souris. Avec la syllepse. c'est assurément la syllepse. Breton («principe du seul commerce intellectuel de haut luxe») ou Desnos («l'humour n'est possible qu'à la faveur d'une liberté d'esprit presque absolue»). il voit à la fois dans l'humour une forme basse. les deux sens opèrent sans cesse des mouvements d'attraction et de répulsion. Noguez reconnaît cependant que la syllepse pose plusieurs problèmes: . fait l'économie de l'affect. . Noguez s'éloigne du modèle de Cazamian et s'intéresse davantage à Bergson et à Freud. il les appelle des syllepses . l'un propre et l'autre figuré (Fontanier) &#150. Cette bipolarité inhérente à l'humour a une incidence psychologique: un exemple particulièrement intense serait l'oeuvre de Jean Tardieu. souvent de manière beaucoup plus sournoise et tenace (l'humour est une «anesthésie ratée»). Noguez aborde ensuite la question de la bipolarité. l'humour est profondément lié à la mélancolie et à des affects gravitant autour du désespoir et de la tristesse. elle est une figure de style particulièrement appropriée au ton élevé des tragédies. on n'en fait jamais tout seul. le calembour. la paronomase. incluant le métaplasme. qui consiste à réunir dans un seul signifiant deux signifiés. Il récuse d'une part le solipsisme de l'humour: pour lui. qu'il s'agisse de Monsieur Monsieur ou du Professeur Froeppel: or. actualisés tour à tour. pour Noguez elle fonctionne aussi si les deux signifiés sont figurés. se réintroduit subrepticement dans l'équation. La syllepse se distingue donc de la métaphore. la syllepse a beaucoup d'autres emplois qui sont tout à fait distincts de l'humour: pour Fontanier. Elle manifeste en tout cas un changement de ton dans l'approche de Noguez. si L'Arc-en-ciel des humours reste dans une grande mesure un ouvrage d'analyse et de théorisation. qui multiplie les doubles de l'auteur. Ainsi. un crachat dans l'océan. l'holorime.rouges en bleu.»[vi] Cette énumération n'est pas sans rappeler celle d'Aragon. Mais la bipolarité a également des conséquences rhétoriques: s'il est une figure de style qui caractérise l'humour selon Noguez. qui obéissent peu ou prou au même principe: l'antanaclase. aussi bénin qu'il paraisse. Noguez dresse une liste non-exhaustive. comme le dit Freud. . huit cent mètres d'intestin grêle hachés menu. Gallimard. Si ce texte paraît s'éloigner de ses travaux précédents. la Joconde si elle avait vraiment porté la moustache. dans sa réflexion sur la question. et qui considère cette forme de pensée comme un «art d'exister». La syllepse humoristique. de son objet. Erik Satie s'il avait composé les opéras de Wagner. moi si je n'étais pas moi. exprime moins des différences de nature que de degré: il faut lui appliquer une approche bathmologique. l'homme de l'humour est hautement improbable. L'humour se retrouve entièrement détaché du comique: ses liens avec lui sont purement accidentels. saint Vincent de Paul s'il avait été parachutiste en Algérie (en ayant.ur de les distinguer très clairement et de récuser l'assimilation du premier au second. ou plutôt comme anti-éthique: l'humour suppose dans le même temps d'adhérer absolument au monde et de s'en éloigner vertigineusement. . l'humour n'a rien à voir avec les «humoristes»: cette remarque. Voltaire s'il avait fini archevêque. des «humoristes») ou bien dans l'opprobre (lorsqu'on flirte trop avec l'infâme et avec le scandale). Noguez se livre à une définition de l'humour comme éthique. Ses écrits antérieurs n'allaient pas jusqu'à couper complètement le cordon entre ces deux notions. et l'humour pur serait plutôt une forme de désespoir qu'une forme de consolation. et assurément surprenant. Bref. La syllepse. et beaucoup plus existentielle et éthique. pour reprendre le terme mis à l'honneur par Barthes. Pour essayer de déterminer à quoi ressemblerait cet homme. L'espoir de Kierkegaard se mue en désespoir. c'est celui qui accorde sa vie à l'humour. tout simplement. mais entre le monde et le néant. Shakespeare s'il avait été nègre. pour reprendre l'expression d'Escarpit. Le livre s'ouvre sur une énumération qui n'est pas sans rappeler celle de L'Arc-en-ciel des humours: L'homme de l'humour. C'est une pratique qui ne peut se déployer que sur une corde raide. 2004) adopte une approche nettement moins littéraire et formelle. La syllepse n'apporte pas un deuxième sens mais un deuxième degré. n'est peut-être pas le sésame stylistique du discours humoristique. on la trouvait déjà en conclusion de l'article de 1969. en fin de compte. c. les frères Goncourt s'ils s'en étaient tiré une (pour deux). en même temps que le dédoublement du sens finit par ôter le sens. Jacques Rigaut s'il ne s'était pas tiré une balle dans la tête. ce serait Socrate s'il avait été beau. mais elle est en tout cas une figure opératoire. où la frontière n'est plus entre la relation au monde et la relation exclusive avec Dieu. Glenn Gould si après une fausse note il s'était coupé une main en direct à la télévision. parce que révélatrice d'un certain fonctionnement. notamment sur les rapports entre humour et comique. L'homme de l'humour. on retrouve en fait les préoccupations qui font la spécificité du discours de Noguez sur la question. Landru s'il avait connu la cuisinière électrique. Gengis Khan s'il était mort d'amour. des blagues. saint Martin s'il avait donné la moitié non de son manteau mais de sa peau. vous si vous n'étiez pas vous ni présentement en train de me lire.[viii] La réflexion de Noguez se poursuit sur cette lancée. L'Homme de l'humour. mais ils avaient néanmoins toujours à c&#156. oscillant sans cesse entre la paradoxe et l'aporie. De même. Le dernier ouvrage en date publié par Noguez sur la question de l'humour semble représenter un virage radical. cependant. Dieu s'il existait. où l'on risque sans cesse de tomber ou bien dans la banalité (celle du rire. le rapprochement de deux réalités sans que l'une élimine l'autre. la Petite Sirène si elle avait eu une queue de langoustine. En effet L'Homme de l'humour (Paris. Le court essai s'interroge sur l'existence (ou l'inexistence) de «l'homme de l'humour».impures ou développées. la comtesse de Ségur si elle était l'auteur de Justine. L'idée de l'homme de l'humour se tenant sur le seuil entre l'acceptation du monde et son refus n'est pas sans rappeler le propos de Kierkegaard dans sa Postface aux Miettes philosophiques: la différence principale est que Noguez décrit ici l'humour dans un monde sans Dieu. tout de même. Descartes s'il n'avait pas inventé le cogito mais la nitroglycérine. un peu honte). voire historiques. comme une asymptote. Freud et Fontanier dans L'Arc-en-ciel des humours. L'homme de l'humour s'éloigne du quantifiable pour plonger résolument dans l'ineffable. décrivait des fonctionnements et opérait des typologies. médiéval ou postmoderne. Noguez porte à son point extrême l'idée. Il n'est pas viable. Il existe dans l'imaginaire. et pour achever le geste de Jacques Vaché retirant en 1917 son «h» à «umour». Nous ne pouvons être à lui que ce que le philosophos est à la sophia. dans la distance du philein: nous en approchant infiniment sans jamais pouvoir l'atteindre. Les seules choses valables qu'on puisse dire sur l'humour sont précisément celles qui ne peuvent être dites. la pensée de Noguez n'a jamais véritablement changé de cap: en dialoguant avec divers penseurs &#150. juif. jamais refermée. en ce sens Noguez se rapproche des analyses de Cazamian. Seul. Alors que L'Arc-en-ciel proposait des mécanismes d'analyse.&#145. Aux pages 64-65. qu'il avait en partie récusées en 1969. à aller vers une description plus rigoureuse. de lui ôter ses cinq dernières lettres. Encore ces nuances ont-elles un sens et une utilité. pour finir. Le livre conclut ainsi sur l'existence de cet homme: «Reste une question: cet homme existe-t-il? Il existe comme le Ménalque des Nourritures terrestres pour Gide.»[ix] Si l'humour est à un tel point indicible et indescriptible. Tout accepter en refusant tout. il y a. encore moins d'humour préhistorique. tout au plus. Réciproquement. des situations humaines types (minoritaire ou majoritaire. ne seront jamais à l'humour «que ce que quelques pâquerettes cueillies en chemin sont &#145. auprès de l'unique soleil qui l'engendre? Le grand humour est hors catégories. un monstre marin des grandes profondeurs pourrait affronter un si persistant état d'apnée. comme Vaché pour Breton. Les traits dominants de son propos restent toujours les mêmes. que les coupeurs de faux cheveux en quarante-quatre ont pris l'habitude d'opérer dans leurs stocks de bons mots. tout bouquet d'exemples humoristiques. quoique la mort dans l'âme. le soit tout autant. il a cherché à affiner son discours. l'indolent en agité). c'est en un éclair. j'appelle «humour» le sentiment de l'impossibilité éprouvé jusqu'au fou rire. comme le Major pour Boris Vian. si l'on ne veut pas s'y brûler définitivement. c'est qu'ils sont aussi impossibles. le temps d'un suicide.à l'absente de tous bouquets''. Noguez revient sur la typologie chromatique qu'il avait élaborée en 2000: Mais qu'est. puis plus complète. des couples de masques (le sanguin déguisé en flegmatique. on comprend que l'homme de l'humour. Il n'existe que virtuellement. et rester en cet équilibre instable pour ainsi dire éternellement: pareille gymnastique entraînerait de terribles courbatures et pas seulement métaphysiques.Le contraste le plus fort entre L'homme de l'humour et L'Arc-en-ciel des humours (qui représentait jusque là la somme des réflexions de Noguez sur le sujet). sinon plus. et comme un emblème. Il n'y a pas d'humour anglais. . L'homme de l'humour est l'homme absolu. victime ou bourreau). dont on joue où que ce soit et à toute époque. celui qui conforme sa vie aux préceptes (ou aux anti-préceptes) de l'humour.»[x] Si l'humour et l'homme de l'humour sont indicibles. Kierkegaard dans L'Homme de l'humour &#150. Tout florilège. au bout du compte. n'y est parvenu? &#150. contrairement aux improbables regroupements ethniques ou nationaux. et en rire. et s'il apparaît dans la vraie vie. ce bel arc-en-ciel des humours. En conséquence de quoi. c'est le caractère fortement aporétique de son propos. que ce soit la spécificité de l'humour par rapport au comique ou surtout l'excellence de l'humour par rapport à toute autre forme de pensée ou d'action. Cazamian dans «Structure du langage humoristique». il les dépasse toutes. je me vois contraint ici. De 1969 à 2004 en passant par 2000. solennellement. corse ou turc. puis enfin plus essentielle de l'humour. développée dans «Structure du langage humoristique». comme le «Feu follet» pour Drieu. qu'à se nier. que l'art de l'humour est une «danse sur les braises»: une telle danse ne peut durer que peu de temps. Autant dire que c'est l'homme impossible. Il porte cette impossibilité comme une blessure magnifique. Dieu même n'y parviendrait &#150. les deux devenant en fin de comptes synonymes selon lui. L'Arc-en-ciel des humours. [ii] Ibid.. notamment. se voit accorder la préséance dès l'Anthologie de l'humour noir de Breton : celuici en vient même à utiliser indifféremment les formes « humour » et « humour noir ». pp. Paris. Les commentateurs n'hésitent pas. si l'on regarde même d'un peu . amputée de son adjectif chromatique. comique. Paris. Seul l'ironiste a un système de valeurs clair.. Librairie Générale Française. 2000. une quelconque majeure. [vi] Id. [iv] Ce fonctionnement par enthymème semble plus apte à décrire l'ironie que l'humour. 13-14. 47. L'humour noir. «Structure du langage humoristique». 67. [ix] Ibid. [iii] Voir «Un humour ou des humours?». p. Revue d'esthétique. dans un véritable discours humoristique on serait bien en peine d'identifier. Noguez assouplit sa définition de l'enthymème. et qu'ils étaient des exemples purs d'humour. à placer l'un ou l'autre à la source du phénomène – comme s'ils représentaient une sorte d'essence première. [v] Ibid.. dans la pensée de Breton.. bien souvent. deux formes de comique sans rapport clair entre eux a priori. De même. 9-10. Bernard Gendrel et Patrick Moran Humour noir Patrick Moran Bernard Gendrel L'humour noir Humour noir et nonsense L'humour noir et le nonsense. et tous deux équivalant à la notion d'« humour surréaliste » (expression qui. n° 1. [vii] Pour plus de détails sur la syllepse. L'homme de l'humour. même implicitement. 37-54. 2004. ironie». 80. p. [viii] Id. Paris. pp. XXII. pp. Dans L'Arc-en-ciel des humours. Gallimard. Inversement. tient du pléonasme). janvier-mars 1969. une sorte de sésame qu'il est de bon ton d'introduire au début de n'importe quelle discussion sur l'humour.. t. il est remarquable que la maxime d'Achille Chavée (« l'humour noir est la politesse du désespoir ») soit devenue. p. [x] Ibid. à bien y regarder: en effet. quels qu'ils soient. voir «Humour.[i] Dominique Noguez. p. tiennent traditionnellement une place importante dans le discours sur l'humour. la présentant comme un syllogisme dont deux termes manquent. 54. à l'humour en général. et il en va de même pour la plupart des écrivains qui manient cette forme d'humour. Nombre de récepteurs désapprouvent l'humour noir. C'est aussi. à la fois chronologiquement et géographiquement. La limite rencontrée dans le nonsense est de nature légèrement différente. Une expression plus utile serait peut-être le gallows humour. et qu'elle n'est. ne dispose pas de terme pour rendre strictement la notion française d'« humour noir ». quoique dans une moindre mesure. pitreries infantiles et bâclées pour les autres. de se reporter aux réactions extrêmement contrastées qu'a suscité la diffusion des premiers épisodes de Monty Python's Flying Circus sur la BBC à la fin des années 1960 : humour visionnaire et expérimental pour les uns. Freud.loin les débuts historiques de l'humour. mais qu'elles en incarnent aussi des cas limites. avec plus ou moins de résignation. on constate que le phénomène se développe d'abord sous des formes extrêmement proches du nonsense moderne – les cock & bull stories de Tristram Shandy en sont l'exemple le plus prégnant – et que le rire anglais. Le gallows humour décrit le rire du condamné à mort. L'apparent manque de structure du nonsense. face à une situation désespérée. d'une part pour interroger la haute valeur qu'on leur accorde. et de la manière dont il est exploité (matière morbide. mais semble même s'y complaire. Le contraste entre gallows humour et humour noir est révélateur : si la seconde locution insiste sur une thématique. pour le constater. Autant la naissance du nonsense est relativement aisée à repérer. lieu de naissance du concept d'humour ainsi que de celui de nonsense. l'homme qui rit plus ou moins jaune. ou la condition d'existence de cet humour. de Sterne aux Monty Python. Il ne s'agit pas ici d'arbitrer le conflit. mutatis mutandis. une forme d'humour nécessairement un peu roublarde. La langue anglaise. d'autre part pour tenter de décrire leur fonctionnement. Les concepts de black humour. du scandale et de l'indécence . gaieté ou indifférence). dark humour. la première décrit plutôt la posture énonciative. à l'absurde et aux aspects les plus ludiques du discours et de la pensée. en passant par Lewis Carroll. la compréhension. pour des raisons relevant à la fois du thème. La limite rencontrée avec le nonsense est plutôt une limite dans l'analyse. Pour l'humour noir la frontière se situera plutôt du côté de la sensibilité et du sentiment moral : tout auditeur/lecteur confronté à de l'humour noir ne réagira pas nécessairement de manière bienveillante. Sick humour est une expression qui met en évidence l'opprobre qu'on peut jeter sur certaines formes de rire (littéralement. Le . ou la tolérance intellectuelle. à strictement parler. d'autant plus qu'ils n'ont pas la force idiomatique qu'a la locution française. il n'est pas étonnant que certaines tempéraments tolèrent mal certaines formes d'humour : tout comme une personne peut ne pas goûter l'humour noir. « humour malade » ou « malsain »). On peut considérer que cette forme sort du champ du comique. par le biais de la sensibilité. son recours fréquent aux truismes. autant celle de l'humour noir est incertaine. lieu d'origine de l'humour. traitée avec détachement. qui est l'équivalent strict en allemand de l'expression anglaise. que l'on devrait traduire strictement par « humour du gibet ». Si l'humour se rattache étymologiquement au tempérament. L'humour noir navigue donc dans des eaux proches de celles du mauvais goût. a généralement privilégié cette forme particulière d'humour. parle de Galgenhumor. Il est néanmoins utile de regarder de près ces deux formes à la fois éminentes et particulières d'humour. L'humour noir . à propos de l'exemple du condamné à mort employé dans son article de 1927. mais elle rejoint celle déjà évoquée au sujet de l'humour noir. mais elle ne traduit pas vraiment la notion – elle tend à englober aussi bien les catégories d'humour morbide que les diverses formes de rire scatologique ou sexuel. mettent fréquemment à l'épreuve la tolérance des publics même les plus cultivés . il est en tout cas remarquable qu'il s'agisse d'une forme de rire qui non seulement provoque parfois une réception malveillante. par exemple. et de décider quelle forme d'humour est à mettre au premier rang. une autre pourra rester hermétique au nonsense . Il n'est pas nécessaire d'être dans une situation désespérée pour faire de l'humour noir : Thomas de Quincey en fait dans De l'assassinat considéré comme l'un des beaux-arts sans déclencheur psychologique immédiat. Les deux formes ont en tout cas en commun le fait qu'elles représentent non seulement des exemples peut-être « purs » d'humour. black comedy ou dark comedy sont visiblement trop flous pour être maniables. que du non-sens : il suffit. et pour voir si les phénomènes qui leur sont propres ne seraient pas aussi applicables. invoquant soit leur sensibilité propre (« je ne supporte pas ») soit une raison éthique (« c'est inacceptable »). telle qu'elle se développe à partir du XIXe siècle . dans ses thèmes. comme le dit Noguez. En réalité. et dont les larmes. qui ne peut rire sans pleurer. qui en vient dans L'Homme de l'humour à couper plus ou moins tous les ponts avec le rire. réside dans la posture qu'il suppose chez l'énonciateur. le noir semble bien être la couleur primaire. que Noguez range dans la catégorie de l'humour rouge. peut en amont (psychologie de l'humoriste) aussi bien qu'en aval (philosophie implicite) s'éloigner de cette même sphère. puisqu'elle infirme ce que nous savons de l'apparition historique de la notion d'humour.gallows humour. celle qui se rapproche le plus de la vision éthique et/ou existentielle de l'humour. Pourtant la Modeste proposition rappelle davantage d'autres textes du XVIIIe siècle. L'humour noir est perçu à la fois comme l'humour le plus audacieux. Dire que l'humour vient de l'humour noir. on accorde une prééminence à l'humour noir à cause du lien privilégié qu'il semble entretenir avec la condition humaine elle-même : c'est ce qu'exprime la formule de Chavée. l'humour noir est la « politesse du désespoir ». L'humour noir. Assurément. alors qu'à travers son message filtre le « tremblement » de l'indignation contenue ? De plus. en somme l'humour d'avant-garde. et l'érige en pierre de touche de toute l'entreprise surréaliste. la spécificité de l'humour noir. De tels rapprochements montrent la frontière parfois mince entre humour noir et ironie (et entre humour et ironie en général) : mais lorsque la fonction pragmatique d'une page réside dans . Achille Chavée énonce à la même époque la formule dont on sait la fortune postérieure. sont à la source de son rire. bien qu'il s'intègre parfaitement dans la sphère comique. de toutes les nuances humoristiques. l'humour noir jouit d'une grande proximité avec l'humour rouge. pourtant. Cette conception de l'humour noir se retrouve. C'est probablement dans le cas de l'humour noir que cet éloignement est le plus marqué. En même temps. qui vient nuancer une simple définition par type de sujet abordé. comme le fait remarquer L'Arc-en-ciel des humours. un texte comme la Modeste proposition de Swift. André Breton reprend la formule dans le titre de son Anthologie. l'humour noir est. défende l'idée que l'humour noir est à la source de toutes les autres formes. c'est en quelque sorte l'humour noir appliqué à soi. L'humour noir apparaît d'abord chez Huysmans : il utilise l'expression pour commenter À Rebours . et qu'on ne songerait pas raisonnablement à classer dans la famille de l'humour. Il n'est dès lors pas surprenant qu'un critique comme Dominique Noguez. fortuite. tout contenu moral ou dogmatique . et que le recoupement entre humour et comique est le plus tangentiel. Pour Freud. tandis que l'humour noir s'intéresse davantage aux malheurs cosmiques que sont la mort et la finitude. Une telle analyse reste néanmoins difficilement satisfaisante. Une définition stricte de l'humour empêche tout parti-pris. en raison de la nature même des thèmes traités. c'est dire que sa rencontre avec le rire est accidentelle. et reconnaître que l'étiquette « humour noir » n'est que l'appellation impropre d'une thématique comique particulière. En effet. produits de l'autre côté de la Manche. celui-ci choisissant pour thème les malheurs infligés par l'homme. et superflue. ou bien il faut l'exclure du champ de l'humour. le plus scandaleux. est fondamentalement un concept post-romantique – alors que l'humour apparaît déjà aux XVIIe et XVIIIe siècles. Mais l'humour rouge est-il encore de l'humour. l'humour sert avant tout à déplacer ou rejeter l'affect douloureux . à la fin du siècle. « le malheur se venge » : l'humoriste est un être profondément mélancolique. est d'habitude considéré par la critique. Nous avons remarqué auparavant que l'humour. Or l'humour noir ne consiste pas simplement à faire rire avec des sujets sombres. et bien souvent on emploie les termes « humour noir » pour signifier « comique morbide » – la dark comedy des anglo-saxons. Swift n'est pas étranger à l'humour : les Instructions aux domestiques en sont la preuve. qui participe à l'entreprise de destruction et de refondation que mènent les surréalistes : l'humour noir. mais. Peut-on donner une définition satisfaisante de l'humour noir ? Cette notion n'échappe pas au flou sémantique qui menace la catégorie d'humour en général. primordiale. ce sont néanmoins les surréalistes qui lui donnent ses lettres de noblesse. comme un parfait exemple d'humour noir. dans les formes qu'il adopte et dans l'ethos qu'il implique. Celui-ci ne doit pas nécessairement se trouver dans la situation du condamné à mort freudien : il s'agit plutôt ici de posture idéologique. L'humour noir entretient des liens ambigus avec la dénonciation. dont toutes les autres ne sont que des reflets. des textes comme Candide ou les pages de L'Esprit des lois consacrées à l'esclavage. l'humour contre la société. dans l'œuvre de Dominique Noguez : de toutes les couleurs de l'humour qu'il identifie dans L'Arc-en-ciel des humours. Genette au premier rang. c'est l'humour anti-social. en un cercle vicieux mais esthétique. sans haut ni bas. Dans un monde sans Dieu. sans morale. l'outil par lequel l'homme « polit » la conscience de son propre néant. Mais peut-être peut-on parler dans de tels cas d'effet de désinvestissement dans les textes littéraires : l'humour noir fonctionne parce que le lecteur perçoit ce désinvestissement. celles de Villiers de l'Isle-Adam. l'humour peut-être pas. mais ne change rien à l'essentiel. Bernard Gendrel Humour selon Bergson Jérôme Moreau Ce que Bergson peut nous apprendre sur l'humour Avertissement initial Cet exposé sera non-bergsonien. c'est à cause de l'apparent détachement qu'ils affichent tous deux face à leur sujet (on songe encore une fois au condamné à mort de Freud. joue un rôle dans un processus de désinvestissement affectif : une personne usant d'humour noir le ferait avant tout pour elle-même. quoique remarquablement noire par l'alliance de son sujet et du ton détaché de son narrateur. à deux titres : . Si l'énonciateur d'un propos ironique et celui d'un propos relevant de l'humour noir se ressemblent à bien des égards. La Modeste proposition. . et finalement éradiquer les désagréments liés au deuil et à la peur du néant dans la société moderne.la dénonciation. celui d'un De Quincey par exemple. l'analyse doit renoncer à l'étiquette humoristique. La différence fondamentale. De sorte que cet exposé devrait plutôt figurer à la fin du programme de ce séminaire. ce qui semble exclure l'humour noir « gratuit ». Tout au plus dira-t-on avec Freud que l'attitude « pince-sans-rire ». mais à l'articuler aussi étroitement que possible aux faits. . et c'est la seconde limite. encore une fois. réside dans la visée pragmatique du discours : l'ironie en a une. fonctionnent néanmoins de manière plus gratuite et ne visent pas principalement à dénoncer. On lui préférera. comme il l'a fait pour le rire. ou « L'appareil pour l'analyse chimique du dernier soupir » de Villiers de l'Isle-Adam .D'autant plus. « flegmatique ». une définition satisfaisante de l'humour noir devrait se faire à la croisée du thématique et du psychologique. C'est encore la thèse de Ducrot qui semble la meilleure ici : alors que l'ironie dissocie le locuteur et l'énonciateur. qu'il serait peut-être vain de chercher avant le XIXe siècle. mais aussi au narrateur de Candide). Ainsi seulement peut-on parler véritablement d'humour . Ce dernier texte a un fonctionnement relativement similaire à celui de la Modeste proposition. Mais alors que les pages de Swift aspiraient à avoir une efficace politique immédiate. Patrick Moran. vantant les bienfaits de la dite machine pour habituer les enfants à l'idée de la mort. pour en ramasser les conclusions tirées d'une étude précise de faits. L'humour noir y trouve une certaine autonomie poétique. n'en proposant une définition qu'après un long examen. l'ajout subséquent de l'adjectif « noir » ne fait qu'infléchir la thématique et affiner la dimension psychologique. comme exemples plus satisfaisants. des textes comme De l'assassinat considéré comme l'un des beaux-arts de De Quincey. l'humour les rapproche et les unit. puisqu'il s'agit d'une sorte de traité publicitaire parodique. où le lecteur perçoit clairement. La notion de désinvestissement doit pouvoir être généralisée : Freud en parle uniquement à propos du sujet qui ferait preuve d'humour face à son propre malheur. de textes. si elles dépeignent une idéologie peu reluisante. sous le calme au premier degré du narrateur. En somme. ou du moins l'implied author (ce qui exclut du champ un texte comme la Modeste proposition. reste en deçà de la sphère spécifique de l'humour noir. non seulement chez le narrateur (comme dans certains récits d'Ambrose Bierce) mais aussi chez l'auteur. le locuteur assumant pleinement le propos et l'ethos de l'énonciateur. de l'humoriste. l'ironie indignée qui perce).Bergson n'aurait fait un tel exposé qu'à la suite d'une étude aussi exhaustive que possible de ce que l'on s'accorde à appeler humour. de façon à éviter une définition a priori et abstraite. et par quels subtils phénomènes d'imprégnation. C'est à la suite de ces analyses que figure la première définition du comique. 102) Enfin. que le comique exprime avant tout une certaine inadaptation particulière de la personne à la société. comme dans les autres. là seulement peut commencer la comédie. analyse plus précise du comique de formes et du comique de mouvements. pour voir comment Bergson construit progressivement cette analyse du comique et ce que nous pouvons en tirer pour une analyse de l'humour. et complètement élucidée et développée seulement dans le troisième et dernier chapitre. une page plus loin : « Où la personne d'autrui cesse de nous émouvoir. Récapitulons la progression de l'œuvre. c'est donc par là qu'il convient de commencer la lecture de l'essai. L'idée principale n'est pas. Mais c'est le métal lui-même que nous allons étudier maintenant. Ce n'est pas le comique le plus fondamental. c'est l'homme. avec la formule la plus connue de l'essai : « Du mécanique plaqué sur du vivant. ce qui oblige à rapprocher des moments éloignés de l'œuvre de Bergson. Est comique le personnage qui suit automatiquement son chemin sans se soucier de prendre contact avec les autres. dans le chapitre central. et à en inférer des conclusions qui seront plus des extrapolations à partir de sa pensée que l'étude précise d'analyses proposées par Bergson lui-même. C'est au début du troisième chapitre que Bergson explique clairement les principes de sa recherche. On peut penser que la publication en trois temps n'y est pas pour rien : il fallait que chacune des publications puisse avoir son intérêt propre. son terme. […] Convaincu que le rire a une signification et une portée sociales. J'essaierai néanmoins de proposer une analyse qui me paraisse cohérente avec la pensée propre de Bergson. nous arrivons maintenant à la partie la plus importante de notre tâche. » L'enjeu de l'essai est donc d'élucider la nature du rire provoqué par le comique dans la comédie. et nos efforts ne tendaient qu'à reconstituer le minerai.que la notion est très peu présente chez Bergson en tant que telle. qu'il n'y a de comique enfin que l'homme. dans une structure un peu différente de celle des autres livres. « Avec l'analyse des caractères comiques. et la place qui y est donnée à l'humour. le comique peut s'insinuer dans un simple mouvement. Et elle commence avec ce qu'on pourrait appeler le raidissement contre la vie sociale. dans une phrase indépendante. 29). voilà une croix où il faut s'arrêter. Le cœur de l'analyse. Nous nous donnions le métal pur. Mise en situation et analyse du passage Notre point de départ sera la structure de l'œuvre. que la progression soit linéaire et nettement marquée. » (pp. » (p. puisque l'élément simple selon Bergson est le comique de caractère. 101-102). Le rire est là pour corriger sa distraction et pour le tirer de son rêve. Tel est le travail que nous avons fait jusqu'ici. en leitmotiv. dans une situation impersonnelle. revient la perspective d'éclairer « le rapport général de l'art de la vie. de combinaison ou de mélange. est donc bien la comédie et le rire qu'elle suscite. image centrale d'où l'imagination rayonne dans des directions divergentes. Elle est déjà exprimée dans le premier chapitre. Ce qui a certaines conséquences sur la progression de l'essai. ce qui implique pour Bergson d'élucider tant la nature même du comique que celle de la comédie comme art. Le Rire fut publié en trois fois. . c'est le caractère que nous avons visé d'abord. en dehors de ce que Bergson en dit explicitement. » (p. Chapitre 1 Les formes les plus limitées du comique : après une série d'exemples variés. Ajoutons encore cette brève analyse récapitulative. La difficulté était bien plutôt alors d'expliquer comment il nous arrive de rire d'autre chose que d'un caractère. la répétition. Bergson prend toutes les précautions nécessaires pour montrer qu'il s'agit d'un carrefour à partir duquel on peut emprunter des directions différentes. » (p.Notons que ce n'est pas une formule s'appliquant immédiatement. si le rire n'était un plaisir et si l'humanité ne saisissait au vol la moindre occasion de le faire naître. voilà les caractères extérieurs (réels ou apparents. par sa raideur d'un genre tout particulier. 40). Bergson enchaîne : . » Trait que l'on retrouve dans le comique de mots. Le rire est cette correction même. s'égarera nécessairement si elle ne tient pas le fil le long duquel l'impression comique a cheminé d'une extrémité de la série à l'autre. dans le chapitre qui va suivre. 29) . Il exprime donc une imperfection individuelle ou collective qui appelle la correction immédiate. individualité parfaite d'une série enfermée en elle-même. le quiproquo]. 67). Noter donc la notion de plaisir et un besoin qui n'est pas purement social. l'automa. si éclairée et si pénétrante qu'on la suppose. 78). D'abord par l'intermédiaire de l'image de jeux d'enfants. Le rire est un certain geste social. de créer un art pour elle. et ainsi de suite pendant très longtemps : de sorte que l'analyse psychologique. inexplicable par elle-même. l'inversion. 68). il y a l'artifice. d'aller puiser à leur source même.« Nous rions toutes les fois qu'une personne nous donne l'impression d'une chose. Trois de ces directions sont : . il est vrai. C'est pourquoi l'idée ne serait pas venue de l'exagérer. Nouvelle récapitulation : « Le comique est ce côté de la personne par lequel elle ressemble à une chose. 39). C'est dans cette zone des artifices. Mais nous nous en rapprocherons déjà davantage. La première moitié est consacrée au comique de situation. par une étude plus approfondie et plus sérieuse. Au-dessous de l'art. laquelle ne nous fait rire que par sa parenté avec une troisième. Conclusion (p. du pantin à ficelles et de la boule de neige. « Changement continu d'aspect. dans leur principe permanent et simple. Cependant. Noter la conclusion : « Mais cette distraction des événements est exceptionnelle. et l'interférence des séries [grosso modo. « Le corps prenant le pas sur l'âme ». . Transition : « Nous sommes loin du grand art.« Est comique tout incident qui appelle notre attention sur le physique d'une personne alors que le moral est en cause. Les effets en sont légers. qui souligne et réprime une certaine distraction spéciale des hommes et des événements. le mécanisme pur et simple. les procédés multiples et variables du théâtre comique. parce qu'il n'est pas encore du domaine de l'art. 66-67) Second temps de l'analyse du comique de situation. que nous pénétrons maintenant. 49) : « Telle forme comique.| tisme. l'étude du théâtre : « Le moment est venu de tenter une déduction méthodique et complète. » (p. » (p.l' « image plus vague d'une raideur quelconque appliquée sur la mobilité de la vie » (p. Prenons-en le contrepied : nous aurons trois procédés que nous appellerons. » Chapitre II Le chapitre II est donc bien un stade intermédiaire. tout de suite. peu importe) qui distinguent le vivant du simple mécanique. si vous voulez. cet aspect des événements humains qui imite. avec les exemples de comique qui viennent de passer sous nos yeux. ne se comprend en effet que par sa ressemblance avec une autre. » (p. envisagé en deux temps. de sorte qu'il ne sert à rien d'en rire. 51). sans y atteindre tout à fait encore. » (p. » (p. » (pp. de l'ériger en système. mitoyenne entre la nature et l'art. la lettre cherchant chicane à l'esprit. et qui n'est sans doute pas sans intérêt pour une recherche sur les formes de l'humour. qui donne « quelque chose de plus général : la forme voulant primer le fond. Exemples du diable à ressort. enfin le mouvement sans la vie. irréversibilité des phénomènes. pour y retrouver « la première ébauche des combinaisons qui font rire l'homme » (p. 44). Et elle est en tout cas incorrigible. et montrer comment elle nous permet de marquer la place exacte de la comédie au milieu des autres arts. Et comme chaque direction correspond à ce que nous appelons un sens. elle accepte la vie sociale comme un milieu naturel . c'est accidentellement. que l'artiste est ordinairement voué à l'art. ce qui est particulièrement significatif. C'est d'elle surtout qu nous nous occuperons dans la dernière partie de notre étude. Notre premier mouvement est de nous . Mais se détacher des choses et pourtant apercevoir encore des images. « Qu'est-ce que l'objet de l'art ? » (p. le comique de mots. passage à une sorte de digression sur l'art. et par là. l'émotion. 103-104). dans les thèmes qu'elle fait se croiser : « Or le rêve est une détente. et d'un seul côté. de corriger tout au moins. Chapitre III Il est consacré au comique de caractère. » Contrairement à Bergson. puis du comique professionnel. « Nous avions donc bien le droit de dire que la comédie est mitoyenne entre l'art et la vie. 125). Il s'y mêle une arrière-pensée que la société a pour nous quand nous ne l'avons pas nous-mêmes.« La comédie de caractère pousse dans la vie des racines autrement profondes. le plaisir de rire n'est pas un plaisir pur. En organisant le rire. la nature suscite des âmes plus détachées de la vie. Il y entre l'intention inavouée d'humilier. Après l'analyse des moyens pour neutraliser la sympathie. Bergson revient à partir de là à l'étude du comique de caractère proprement dit. soit qu'il affaiblisse la société soit qu'il renforce la nature. » (pp. et automatisme des actions. il est vrai. C'est dans une direction seulement qu'elle a oublié d'attacher la perception au besoin. Ici la généralité est dans l'œuvre même. qui est une rupture avec la société et un retour à la simple nature. « Mais dans les deux cas. nous passons directement au troisième chapitre. sa méchanceté possible : « même au théâtre. ce qu'on pourrait appeler l'élément tragique de notre personnalité. Mais nous devons d'abord analyser un certain genre de comique qui ressemble par bien des côtés à celui du vaudeville. qui est de nous découvrir une partie cachée de nous-mêmes. ne voir que ce qui est et ne penser que ce qui se tient. 116). voilà qui est simplement du jeu ou. Cela conduit à une analyse finale très intéressante pour notre propos. Rester en contact avec les choses et avec les hommes. » (p. extérieurement. qu'elle a soulevé le voile. insensibilité du spectateur ». » (pp. pour achever de montrer la progression de l'œuvre. qui correspond à la distraction. Le bon sens est cet effort même. et par ce sens seulement. cela exige un effort ininterrompu de tension intellectuelle. elle suit même une des impulsions de la vie sociale. la nature mêlée du rire. 123). c'est par un de ses sens. L'absurdité comique nous donne donc d'abord l'impression d'un jeu d'idées. 118-119). 122-123). « Tout autre est l'objet de la comédie. Retour sur la fonction du comique. se rapproche du rêveur. qui lui permet une ouverture sur le rêve : le personnage comique. 113). » (p. de la paresse. « Nous devons maintenant serrer [cette idée = que le rire vient d'une certaine raideur] de plus près. sa fixation sur certaines idées. Elle n'est pas désintéressée comme l'art pur. pour des raisons que je vais bientôt expliquer. si l'on aime mieux. » (p. qui ruinerait le comique : « Insociabilité du personnage. par sa distraction. « Mais de loin en loin. je veux dire un plaisir exclusivement esthétique. » (p. […] Pour ceux mêmes d'entre nous qu'elle a faits artistes. à travers l'exemple de la vanité. » (pp. » (p. 131). on pourrait passer directement de cette première moitié du chapitre II au chapitre III. rompre avec la logique et pourtant assembler encore des idées. par distraction. 115) « L'individualité des choses et des êtres nous échappe toutes les fois qu'il ne nous est pas matériellement utile de l'apercevoir. « Il suit de là que l'art vise toujours l'individuel. il [le drame] poursuit le même objet. Et sur ce point elle tourne le dos à l'art. Comme Bergson le souligne. C'est du travail. Suit un développement fameux sur l'art. avec un thème qui reviendra encore en conclusion. absolument désintéressé. et enfin de l'absurde. […] Le rire est. qui est le plus souvent la pente de l'habitude. Cela repose de la fatigue de vivre. Nous verrons qu'il y a pourtant là un seuil intéressant. Pendant un instant au moins. On ne cherche plus à s'adapter et à se réadapter sans cesse à la société dont on est membre. Nous essaierons de proposer une lecture un peu différente dans un moment. N'est-ce qu'une voie de garage. » (p. et le repli sur soi du rieur. La société se venge par lui des libertés qu'on a prises avec elle. Nous n'y trouverions rien de très flatteur pour nous. pour l'humour. Peut-être vaudra-t-il mieux que nous n'approfondissions pas trop ce point. la tendance à se laisser glisser le long d'une pente facile. Mais on en dirait autant des autres formes du risible. Enfin on se donne l'air de quelqu'un qui joue. les entend. et celui que le langage crée. […] Il a pour fonction d'intimider en humiliant. Cela repose de la fatigue de penser. La sympathie qui peut entrer dans l'impression du comique est une sympathie bien fuyante. l'application stricte des règles précédemment énoncées à un registre donné. s'affirme plus ou moins orgueilleusement lui-même. une impasse ? « Il y a peut-être quelque chose d'artificiel à faire une catégorie spéciale pour le comique de mots. 80). Ce qui vaut pour le comique vaut sans doute tout autant. avant tout. Malgré cela. mais qui ne compte pas particulièrement dans une perspective où c'est toujours le comique qui prime. Au lieu de manier ses idées comme des symboles indifférents. Il n'atteindrait pas son but s'il portait la marque de la sympathie et de la bonté. d'une distraction. une correction. il doit donner à la personne qui en est l'objet une impression pénible. il ne semble pas que Bergson analyse ce que le langage apporte de spécifique. Mais il faut distinguer entre le comique que le langage exprime. car la plupart des effets comiques que nous avons étudiés jusqu'ici se produisaient déjà par l'intermédiaire du langage. ici. Il note que cela concerne des cas nouveaux. Peut-être trouverait-on qu'un mot est dit comique quand il nous fait rire de celui qui le prononce. Il y a toujours au fond du comique. elle aussi. le mouvement de sympathie qui se crée brièvement. que le rieur rentre tout de suite en soi. auront ici une force comique indépendante [de leur auteur]. Il y aurait ici une importante distinction à faire entre le spirituel et le comique. l'homme d'esprit les voit. 78-79). Ici encore notre premier mouvement est d'accepter l'invitation à la paresse. n'est pas toujours celle qui parle. » (pp. et tendrait à considérer la personne d'autrui comme une marionnette dont il tient les ficelles. […] On rompt avec les convenances comme on rompait tout à l'heure avec la logique. « Au sens le plus large du mot. mais selon les mêmes règles que celles qu'il a établies précédemment. . nous ne saurions décider si le mot est comique ou spirituel. si ce n'est plus. Fait pour humilier. et spirituel quand il nous fait rire d'un tiers ou rire de nous. Il n'y réussirait pas si la nature n'avait laissé à cet effet. […] La phrase. et surtout les fait dialoguer entre elles comme des personnes. Chapitre II-2 La place de l'humour dans Le Rire Les analyses sur l'humour ont une place à part : elles apparaissent dans un embranchement vers une série de cas qui semblent juste une excroissance. » L'intérêt réside dans le phénomène de détente.associer à ce jeu. Mise en garde : « La personne en cause. Mais Bergson s'en tient au sens restreint. Mais. Difficulté de trancher dans bien des cas. un petit fonds de méchanceté. Il est risible simplement. 79-80). » (pp. le plus souvent. On se relâche de l'attention qu'on devrait à la vie. Nous verrions que le mouvement de détente ou d'expansion n'est qu'un prélude au rire. disions-nous. d'ailleurs. Elle vient. Mais nous ne nous reposons qu'un instant. nous nous mêlons au jeu. qui devient comique. dans les meilleurs d'entre les hommes. […] C'est le langage lui-même. ou tout au moins de malice. le mot. il semble qu'on appelle esprit une certaine manière dramatique de penser. 92-93). De là un sens plus étroit du mot. alors qu'elle était employée au figuré. mais Bergson en revient finalement aux trois catégories déjà élucidées pour le comique de situation. Nous venons d'employer un mot anglais : la chose elle-même. comme nous allons le voir dans un instant. si vous les amenez à s'exprimer en un tout autre style et à se transposer en un tout autre ton. selon qu'elle porte sur la grandeur des objets ou sur leur valeur. Premier exemple avec « deux tons extrêmes. » (p. (p. le seul qui nous intéresse d'ailleurs au point de vue de la théorie du rire. 82). prendre une situation scabreuse. Dans l'autre sens. Ce n'est pas anodin. que tout est déjà fini quand nous commençons à nous en apercevoir. est la transposition de bas en haut qui s'applique à la valeur des choses. Plusieurs exemples (« On obtiendra un mot comique en insérant une idée absurde dans un moule de phrase consacré ».« Mais si l'esprit consiste en général à voir les choses sub specie theatri. » (pp. cherchez ensuite la catégorie comique à laquelle cette scène appartient : vous réduirez ainsi le mot d'esprit à ses plus simples éléments et vous aurez l'explication complète. et non plus à leur grandeur. soit enfin par interférence. » (p. ou une conduite vile. en somme. On appellera cette fois esprit une certaine disposition à esquisser en passant des scènes de comédie. 95). l'idée exprimée devient comique ». mais plus raffinée aussi. ou. ou un métier bas. 87-88). « Formule pharmaceutique » du mot d'esprit : « prenez le mot. Exprimer honnêtement une idée malhonnête. le langage présente une si riche continuité de tons. 86 . La transposition est en effet au langage courant ce que la répétition est à la comédie ». on obtient la parodie. » (pp. pp. 93-94) Notons en passant que l'humour et l'ironie sont présentées comme le degré le plus élevé de l'humour langagier. « Inversion et interférence. que nous renonçons à faire une énumération complète. en effet. en d'autres termes. p. cela est généralement comique. Nous allons voir qu'il en est de même des séries de mots. ne sont que des jeux d'esprit aboutissant à des jeux de mots. depuis la plus plate bouffonnerie jusqu'aux formes les plus hautes de l'humour et de l'ironie. » « D'où cette règle générale : On obtiendra un effet comique en transposant l'expression naturelle d'une idée dans un autre ton. Si vous imaginez un dispositif qui leur permette de se transporter dans un milieu nouveau en conservant les rapports qu'elles ont entre elles. Puis un autre cas plus intéressant encore concernant l'humour : « Plus artificielle. Ou encore : Dès que notre attention se concentre sur la matérialité d'une métaphore. 94). 90) Illustration de la répétition et de l'inversion. même si cela semble quelque peu remis en cause par la présentation qui suit. soit par inversion. le solennel et le familier. 80-81). si rapidement. et les décrire en termes de stricte respectability. » (p. . 96). « On obtient un effet comique quand on affecte d'entendre une expression au propre. » Du familier en solennel. on conçoit qu'il puisse être plus particulièrement tourné vers une certaine variété de l'art dramatique. « deux formes principales. la comédie. c'est le langage qui sera comique. c'est-à-dire son « procédé favori ». » (p. le comique peut passer ici par un si grand nombre de degrés. si légèrement. « Nous avons montré que des ‘‘séries d'événements'' pouvaient devenir comiques soit par répétition. Plus profond est le comique de la transposition. épaississez-le d'abord en scène jouée. (pp. « Supposez maintenant des idées exprimées dans le style qui leur convient et encadrées ainsi dans leur milieu naturel. est bien anglaise. mais à les esquisser si discrètement. » Arrive la première mention de l'humour : « Les moyens de transposition sont si nombreux et si variés. On accentue l'ironie en se laissant soulever de plus en plus haut par l'idée du bien qui devrait être : c'est pourquoi l'ironie peut s'échauffer intérieurement jusqu'à devenir. et si cette vie du langage était complète et parfaite.plus spécifiquement. le comique de mots suit de près le comique de situation et vient se perdre. Ici encore la transposition pourra se faire dans les deux directions diverses. » (pp. dans la liste des divers types possibles de transposition. L'humoriste est ici un moraliste qui se déguise en savant. inversion. avec ce dernier genre de comique lui-même. Le comique de situation se scinde d'abord en situations concrètes et en comique langagier. Nous sentons en lui quelque chose qui vit de notre vie . ce n'est pas là un trait accidentel de l'humour. unie. là où il se rencontre. Bergson finit en évoquant la possibilité de resserrer encore l'intervalle. semblable à une nappe d'eau bien tranquille. les faits précis. si rapidement. on peut relever : l'humour appartient au comique . Elles sont. Et c'est là qu'intervient le passage qui nous intéresse : « Pour résumer ce qui précède. ce qui signifie un comique où le langage n'exprime pas seulement. le meilleur et le pire. est bien une transposition du moral en scientifique. L'humour constituerait donc un genre particulier de transposition au sein du langage. C'est au sein de cette dernière distinction qu'intervient. modelée aussi exactement que possible sur les formes de l'esprit humain. de l'éloquence sous pression. en resserrant peu à peu l'intervalle. Le langage n'aboutit à des effets risibles que parce qu'il est une œuvre humaine. par une action . au contraire. Tantôt on énoncera ce qui devrait être en feignant de croire que c'est précisément ce qui est : en cela consiste l'ironie. des formes de la satire. s'il n'y avait rien en elle de figé. On pourrait retrouver à partir du mot d'esprit une scène . de ce qui est à ce qui devrait être. est l'inverse de l'ironie. ou pas de la même façon. ce qui signifie « une certaine disposition à esquisser en passant des scènes de comédie. mais l'ironie est de nature oratoire. au sens restreint où nous prenons le mot. avant de conclure : « Ainsi qu'il fallait s'y attendre. il échapperait au comique. mais à les esquisser si discrètement. le très grand et le très petit. l'essence même. Jean-Paul entre autres. L'humour. pour en noter les particularités avec une plus froide indifférence. que tout est déjà fini quand nous commençons à nous en apercevoir ». comme y échapperait d'ailleurs une âme à la vie harmonieusement fondue. en descendant de plus en plus bas à l'intérieur du mal qui est. La plus générale de ces oppositions serait peut-être celle du réel à l'idéal. trois distinctions parmi d'autres peuvent se faire : répétition. au contraire. on a déjà un élément intéressant. le couple humour/ironie. c'en est. Tantôt. On accentue l'humour. et comme on a pu voir par ce qui précède. dans le comique de caractère. entre lesquels la transposition peut s'effectuer dans un sens ou dans l'autre. si légèrement. il appartient au comique de mots. et l'humour. et des effets de transposition comique de plus en plus subtils. Si notre analyse est exacte. Si l'on récapitule les caractéristiques qui s'attachent à lui à partir de cet exposé. 96-98). les détails techniques. en quelque sorte. si le langage enfin était un organisme tout à fait unifié. il le crée.Quand on sait les débats sur le caractère anglais de l'humour. en parlant du comique professionnel. ainsi définie. Il y a donc là un comique qui ne pourrait pas se réaliser. tandis que l'humour a quelque chose de plus scientifique. L'humour est presque à la pointe d'un développement annexe du Rire. nous dirons qu'il y a d'abord deux termes de comparaison extrêmes. quelque chose comme un anatomiste qui ne ferait de la dissection que pour nous dégoûter . et interférence des séries. Maintenant. » Conclusion de cette lecture Prenons au sérieux pour commencer la situation de l'humour dans Bergson. on décrira minutieusement et méticuleusement ce qui est. en affectant de croire que c'est bien là ce que les choses devraient être : ainsi procède l'humour. Plusieurs auteurs. on obtiendrait des termes à contraste de moins en moins brutal. Au sein de celui-ci. incapable de se scinder en organismes indépendants. l'une et l'autre.il semble bien se rattacher au mot d'esprit. ont remarqué que l'humour affectionne les termes concrets. et consiste à « décrire minutieusement et méticuleusement ce qui est. la dissection du réel. L'humoriste aurait pu aller jusqu'à détailler tous ces morceaux. citée par Freud : nous rions d'imaginer possible une sorte de distraction totale du condamné. l'une des plus élevées peut-être. pour souligner implicitement l'écart vis-à-vis de la norme.complète. en affectant de croire que c'est bien là ce que les choses devraient être. l'humour noir ne sera pas drôle. À strictement parler. est ailleurs. de la présentation de Bergson. Où est le rire ? Où est le caractère plaisant ? Il y a là une faiblesse. l'analyse scientifique. et l'effet de la phrase vient incontestablement de là. Ce qui nous paraîtrait abominable est ici érigé en règle. sinon un problème. ce qui en fait la sève. reprends-en''. est construit sur deux registres. À moins de supposer quelque chose comme le plaisir de toucher à des choses honteuses (mais si c'était le cas. dans le comique de mots. développée. pourquoi nous rions. il est peut-être cependant l'une des plus humiliantes de ces armes. Problème et hypothèses Ce que Bergson n'explique pas. permet de référer de façon plus vive encore au moral. l'idéal. À plus forte raison. à la sous-branche qui opère une transformation par interférence de séries. De même. de manières de faire qui représentent un modèle. . c'est pourquoi cela serait drôle. mais je préfère ne pas être là quand ça arrivera. dit un proverbe du Centre-Afrique réservé aux usages locaux. de déplacer un énoncé d'un registre dans un autre. la déclaration du condamné à mort conduit à l'échafaud. à l'idéal. Retour sur la définition Revenons un peu plus précisément sur les termes mêmes de Bergson. il y a bien à chaque fois une scène comique qui est esquissée. normales. Vialatte le souligne d'ailleurs en parlant des « usages locaux ». en revanche. L'humour procède en relevant tous les détails de cette situation réelle. Dans le même temps.il relie les deux registres de l'idéal et du réel On retrouve jusque là nombre d'éléments qui paraissent décrire efficacement l'humour. Autrement dit. qui est implicite. qui est de sanctionner des écarts commis par rapport à une norme admise et reconnue. surgit à la conscience spontanément par contraste avec cet étalage abominable de la réalité. il ne peut être question de rire à l'évocation d'un noble représentant de l'université française. Moins cinglant que l'ironie. il nous faudra revenir sur ce point l'humour appartient. Mais on sait que WA a parlé en connaissance de cause. mais la réalisation n'en est pas achevée. on comprend bien que l'humour puisse faire rire : il est l'une des armes de la société. au sens étymologique fort du mot : il est question de règles. lorsque Woody Allen dit : « Ce n'est pas que j'aie vraiment peur de mourir. on peut penser que Bergson l'aurait au moins suggéré. C'est un critère plus délicat à appliquer à l'humour et qui ne semble pas opérer systématiquement. elle reste suspendue. Ainsi. Si nous sommes particulièrement pénétrés des règles de notre société. . un idéal) : « Il n'y a pas de bas morceaux dans le gros ethnographe ». qui peut être tragique. Bergson n'en parle pas. être découpé en petits morceaux pour être mangé. également appelée transposition. Ainsi remis dans la perspective de l'ensemble de l'essai. jusqu'à disséquer le gros ethnographe. comme Bergson semblait le suggérer. il faut reprendre cette présentation. on peut rire en pensant que quelqu'un a cru pouvoir être absent au moment où il mourrait. ».plus précisément. » La norme. dans le rapport entre celui qui parle et la scène en question. commence-t-il par dire. Alexandre Vialatte fournit deux exemples de réalités qui pour nous sont abominables. précisément. Il semble bien que le sens profond de la scène. L'humour. » Bergson ajoute qu'ironie et humour sont deux formes de la satire. quoique un peu corpulent. il a une parenté certaine avec la « transposition de bas en haut » . Il s'agit donc de faire jouer deux niveaux différents à la fois. pour ne pas dire l'esprit. traitées comme si elles étaient idéales (ou disons. et « ‘‘Puisque tu aimes ta maman. pour remettre dans le droit chemin un de ses membres qui se serait égaré. le réel et l'idéal. qui est l'idéal. Ainsi. dans ces transformations. Ainsi. C'est souligner que l'on n'a pas perdu de vue la fonction première du comique. il parle en connaissance de cause. oubliant ce qu'il fait là. puisqu'il relève détail après détail les errements du coupable. est ici l'anthropophagie. plutôt que de le passer complètement sous silence). Cette distance. qui serait comique. Bergson parle d'ailleurs bien d'une forme de dégoût. Les exemples de la vie courante sont nombreux. suivre véritablement les mouvements ou les paroles de quelqu'un. Il y a effort d'approfondissement. opère un décalage. Il est plus intéressant de se demander ce qui se passe lorsque nous rions. Il y a dans le rire une manifestation profondément vitale. d'obligations constituant un système clos. c'est mobiliser en nous (autant que nous en sommes capables) l'énergie même qui anime celui que nous essayons de suivre. Reste à savoir ce qu'est le sens large du terme. comme dépositaire de toute norme. je m'appuierai sur la notion d'attention à la vie. tension croissante. qui a pour fonction de mettre en scène ces événements. à une situation. qui me semble permettre de penser de façon particulièrement intéressante le rapport de la personne au monde. que la personne agit par automatisme. pénétré de l'importance de sa présence. Remettre la personne au centre Pour cela. en faisant de la personne le centre et le sujet du rire. Il donne par la suite de la société une vision toute différente.). sauf à considérer que cela était particulièrement inattendu ou mal venu (quelqu'un marchant avec une grande distinction. un discours. C'est ce qui fait. Elle consiste en une certaine tension de la personne. Au mieux faut-il reconnaître avec Bergson qu'il s'agit d'un « sens restreint ». Il me paraît conforme à la philosophie de Bergson d'affirmer que lorsque nous voyons quelqu'un agir. a contrario. c'est la société. tendu sur les exigences de sa fonction. comme autorité absolue. que l'on ne rit pas en général lorsque quelqu'un glisse dans la rue. répétons-le. à la place de la société qui tient le premier rôle dans l'essai de Bergson (à juste titre. tel un ressort. Il n'y a plus alors de code à la fois figé et intériorisé qui fonctionnerait comme une référence absolue et définitive. nous sommes tendus. Quelque chose de vital explose alors en nous. mais seulement relatif. dû à l'examen du phénomène du rire provoqué par le comique. ou au théâtre. L'ouverture signifie l'aptitude à progresser. sans pouvoir anticiper. l'air vaniteux. nous nous projetons sur les mouvements qu'il fait . L'énergie que nous mobilisions dans notre effort d'attention se trouve soudain libérée. et qu'elle peut faire l'objet du rire des autres. d'autant plus violemment que l'effort d'attention était élevé et que le niveau de l'incident comique est bas. Cf. la marche de l'autre est brisée par un obstacle interrompu. mais d'une façon qui ne permet pas de poser d'autres questions). dans 2SMR. Comique et attention à la vie Pour cela. La société reste un critère déterminant. de façon distraite. le point de vue adopté par Bergson vis-à-vis de la société n'est qu'un point de vue ponctuel. Et. de la cérémonie en cours . C'est ainsi que me paraît s'expliquer le phénomène de détente souligné par Bergson. intangible. et nous tâchons d'anticiper. quelque chose le dérègle. pour une raison ou une autre. pour arriver à en suivre le mouvement particulier et nouveau. ou tout autre situation que l'on voudra. pour s'ajuster à un objet. Le propre d'une société ouverte est de n'être justement pas régie par une série de normes. C'est précisément lorsque cette attention est défaillante. de façon incontrôlable.l'humour nous paraît assez différent de ce que l'on entend aujourd'hui. la belle prestance de l'orateur en pleine tirade est ruinée par un mouvement corporel involontaire. adaptée à chaque occasion. le rire explose. en fonction de ce que nous savons. Nous avions en tête une exigence sociale. pour lui permettre de comprendre la situation et d'y conformer. ou bien tout simplement notre interlocuteur exigeait de nous une grande attention. à la tension qui nous traverse et . un décrochage semble s'opérer. il faudra le dégager de la structure dans laquelle Bergson l'a inscrit : cette structure. celle-ci se trouve soudain démobilisée. dans la comédie. Et l'on voit bien que les éclats de rire les plus violents sont ceux qui résultent de la plus grande tension. une tension intérieure qui explose tout d'un coup lorsque nous assistons à un événement comique. dans « la vraie vie ». ou de repères que nous avons et que nous estimons s'appliquer à la présente situation. Nous nous retrouvons face à quelque chose qui confronte à la vie elle-même. le rire de Clinton : président. détend soudain le ressort . en vertu du fonctionnement même de l'attention. ou retombant de toute manière toujours sur un nouveau système. Or. comprendre. Ou bien. Il serait intéressant de reprendre alors la question du comique lui-même envisagé du point de vue de la personne ellemême. à aller vers de nouvelles découvertes dans le domaine même de la morale. etc. elle se détend brusquement. Nous avons vu ce qui se passe lorsque quelqu'un agit par automatisme. Le comique fait soudain irruption : c'est-à-dire que soudainement. si la situation ou le discours est complexe et requiert de nous une attention toujours renouvelée. en dansant. Que se passe-t-il lorsque nous assistons à une scène comique ? Nous suivons une action. car la transposition joue non pas sur l'expression même. La valeur ironique ou humoristique d'un énoncé dépendra donc d'autre chose que de sa matérialité. nous avons vu que le propre de l'humour et de l'ironie. sanctionne l'écart par un jugement qui sert précisément à souligner cet écart en le conservant intégralement. Que notre attention vienne soudain à rencontrer le vide. La relation entre la situation visée et celui qui aura à en rire ou pas est médiatisée par le jugement d'une troisième instance. En ce sens. La réaction face à un énoncé ironique ou humoristique est donc complexe : elle implique une étape de réflexion pour établir la nature du jugement prononcé. L'ironie Qu'est-ce que l'ironie ? « On énoncera ce qui devrait être en feignant de croire que c'est précisément ce qui est ». Passons rapidement sur le mot d'esprit en général : il paraît relever du même principe que précédemment. Et lorsqu'il l'est. Application au comique de mots Nous avons donc le premier degré du rire. lorsqu'il est véritablement créé par les mots. sans avoir pour autant développé cette esquisse pour retrouver le mécanisme comique qui s'y joue. Allons plus loin. une parole. La situation se complique quelque peu dans le comique de mots. Le décalage est senti avant même d'être réfléchi. et comment il s'applique. Si l'on est dans le cas du Rire. nous contrôlions cette vie en nous. Il s'agit d'une déprise de notre faculté de compréhension. d'ailleurs. qu'ils existent concrètement ou soient seulement postulés : la situation ou la personne visée. mais un simple effet de contraste. ayant un modèle en tête et observant une situation qui manque ce modèle. et non susciter l'ironie. Elle n'existera qu'en relation avec la réalité visée par l'énoncé. et tâchons d'analyser les spécificités respectives de l'ironie et de l'humour. Nous suivons le mécanisme soudain fortement simplifié suivi par celui dont nous rions. Et c'est sans doute à cela qu'il faut attribuer le sentiment de sympathie fugace que Bergson évoque dans la conclusion de son essai. et en particulier dans l'humour et l'ironie. Cependant. cette forme fût-elle purement spirituelle. c'est le simple fait de chuter brutalement d'un niveau à un autre qui suscite le rire. mais sur un plan plus raffiné. L'ironie est donc un acte . et en même temps le fait de découvrir ce nouvel état provoque en nous un effet notable de détente et de plaisir. déformerait. Toute la question étant de savoir quel est cet idéal. du moins. la situation est différente. Ou. sur laquelle on projette une vision idéale. il doit y avoir dans le rire une certaine ironie. la claire conscience d'un idéal. L'ironiste est celui qui. on admire bien plutôt la subtilité de celui qui a proféré le mot d'esprit. Dans le même temps. le phénomène de détente nous apporte un plaisir certain. et nous éprouvons quelque chose comme de la reconnaissance à l'égard de la personne ou de la situation qui nous a permis de rire. Nous sommes distraits nous aussi pendant un temps plus ou moins long de notre attention pesante aux choses. c'est de constituer un jugement porté sur les choses. confronté à une action qui manifestement le manque. de mise à distance du réel. le registre est par nature différent de celui où se joue le simple comique. son public. Le rapport aux choses est médiatisé. métamorphoserait. donc sur un donné que l'on transformerait. regardant de haut une situation. d'ordre infra-intellectuel. Ce n'est donc sans doute pas tant la personne que l'occasion qui nous est sympathique. à la société. cependant. comme Rousseau le regrettait. Il s'agit de saisir la scène qu'il n'a qu'esquissée. qui laisse la place à un mouvement spontané et irréfléchi de détente morale et physique.que nous ne contrôlons pas toujours. tandis que le rire est spontané. souhaitant l'introduction d'un point d'ironie comme il existe un point d'interrogation. Il y a donc dans l'ironie une démarche intellectuelle spécifique qui ne peut qu'être volontaire. résulte d'un effet simple. aux autres. bref à qui l'on donnerait une nouvelle forme. devrait déclencher le rire. d'être une attitude réfléchie à leur égard. intellectualisé. C'est donc un discours surplombant. en premier lieu. aussi longtemps que nous suivions certaines règles. Le langage joue ici pleinement son rôle de réflexion. qui seule permet d'établir la valeur du jugement et d'identifier son auteur : l'ironiste ou l'humoriste. on ne rit plus. et voilà que cette énergie devient pour un temps incontrôlable. l'humoriste/ironiste. Une conséquence importante est que nous devons penser désormais une relation à trois termes. Il n'y a pas de marqueur explicite d'ironie ou d'humour. dans les situations les plus simples : le rire y est immédiat. Pour l'humour et l'ironie. Ce n'est pas la compréhension de ce qui se passe qui nous met en mouvement. mécanique. ou mouvements. direct. d'ordre langagier. Aussi longtemps que nous soutenions notre attention. qu'il faut alors classer dans le genre des émotions. Ou plutôt. L'humour cesse alors d'être cette arme de la société. est ce qu'il devrait être. Pour peu que l'on prenne cette proposition au sérieux. Cette analogie reste très nettement limitée. Dans une société – ou une situation ouverte. Qu'en est-il alors de l'humour ? Il s'agit de décrire les choses comme si elles représentaient un idéal. Au lieu d'être un procédé rhétorique. L'ironie peut faire rire. pourrait de la sorte évoquer la posture mystique. il appellera à espérer. évoquer la perspective d'être ailleurs. L'exemple le plus patent en est l'humour noir : qu'il soit ponctuel ou devienne une attitude. l'humoriste ne crée pas une réalité nouvelle comme le fait le mystique. comme le fait une émotion supra-intellectuelle. Une certaine forme d'humour noir moins systématique ouvre même vers l'espoir : c'est le cas de la phrase du futur guillotiné. L'intérêt de replacer cette définition dans le contexte d'une société ouverte est de supprimer l'idée que « ce que les choses devraient être » correspond à un énoncé idéal présent implicitement à l'esprit de l'humoriste et de ses auditeurs. elle vient sanctionner en l'autre un défaut de maîtrise. l'ironie s'abstrait de toute notion d'effort. s'il n'est pas un humoriste noir systématique. de la conscience de ses capacités. de sa maîtrise. y compris le plus sombre. Elle constitue l'acte d'une personne sûre de son fait. finalement assez proche de l'ironie. ou de voir la vie continuer comme si de rien n'était. L'humoriste. mais d'autant plus cruel qu'elle est parfaitement contrôlée. de tout ce qui pourrait faire voir en l'autre une volonté. Il n'en reste pas moins quelqu'un qui porte en lui quelque chose comme une espérance. face à la mort. à propos de laquelle Bergson utilise la notion de supra-intellectuel. Sauf exception. Si le comique appartient donc à un registre infra-intellectuel. Dans le cadre le plus tragique vient s'insérer une note d'espoir en permettant une mise à distance du caractère concrètement tragique de l'existence. c'est référer à une vie à côté même de la mort. C'est pour cela que l'ironie paraît avoir aujourd'hui mauvaise presse. vers une réalité supérieure plus heureuse. c'est faire comme s'il y avait autre chose que la mort. elle est une forme de rire médiatisé. l'humour cesse d'être l'autre lame d'un sabre à deux tranchants. Toujours est-il que l'humoriste dans son sens premier. Il s'agirait de dépasser notre registre habituel. c'est toute une vision du monde qui s'en trouve transformée. l'ironie paraîtra d'autant plus mal venue que son auteur semblera s'ériger lui-même – ou ériger son intelligence (pas son intellect) – en norme. Autrement dit. toute aussi meurtrière que l'est l'ironie. il semble que l'ironie doive être placée dans un registre spécifiquement intellectuel . Sans rien affirmer du bien-fondé de cette perspective. le plus tragique. elle devient un signe de mépris et d'arrogance. un mode de vie. En ce sens. Il supprime ainsi toute idée de désespoir. « on décrira minutieusement et méticuleusement ce qui est. L'humour Reste maintenant à analyser l'humour. susceptible de recevoir de la sympathie. En son sens le plus simple. on pourrait rencontrer l'analogie de l'appel du héros lancé par le mystique. considérer ce qui est comme ce qui devrait être. une personne. celui où nous suivons le déroulement concret des choses et en subissons éventuellement le caractère limité et tragique. De même que pour l'ironie. qui s'exprime dans l'humour noir. celui du supra-intellectuel. l'ironie comme l'humour ne s'appliquent pas dans un contexte dont les règles seraient parfaitement claires et explicites pour tous ceux qui sont concernés. quelle que soit son échelle. Là encore.intellectuel et constitue une sorte de comique volontaire et maîtrisé. ses efforts. sa richesse. L'ironie pourra donc paraître déplacée à ceux qui se placent dans un contexte plus large et revendiquent la prise en compte de la personne dans tout ce qu'elle est. et effectivement satirique. ou encore de Woody Allen. consistant à énumérer tous les défauts et manquements d'une situation. pour créer une ouverture plus spirituelle. et donc à se libérer de la tension imprimée par la conscience du caractère tragique de . fera passer par son humour une note d'espoir appelant à se détacher de ce que la situation a de tragique. Dans la perspective d'une société – ou plus globalement d'une réalité – ouverte. donc d'intellectualisation des choses. qui accable une personne qui lui paraît échouer dans ses efforts. vient d'une position spirituellement plus élevée et bien réelle. et pour compléter notre vision du rire. il consiste à dire que tout. cependant : à proprement parler. en affectant de croire que c'est bien là ce que les choses devraient être ». une tentative manquée de se placer au même niveau de maîtrise. toute situation peut être considérée comme ouverte. à la différence toujours que dans le cas du mystique cet appel est concret. dans sa définition la plus pure. et pas seulement dans ses échecs. avec ses émotions. et cette espérance constitue une sorte de détente qui est un appel. Dans ces deux cas. il importe de sortir du cadre où Bergson l'a enfermée. et ce pour une raison bien simple : le plus souvent. l'humour en appellerait peut-être à un registre nouveau. Un humour plus optimiste semble caractériser Alphonse Allais. où l'on anticipe sa fin en renonçant déjà à une partie de notre vitalité. L'effet n'est pas comique. Quand le sable est passé. très oral. ou du moins elle n'y suffirait que dans la mesure où elle marque clairement une distance à l'égard du sujet abordé en le dé-dramatisant. En ce qui concerne Alexandre Vialatte. Reste à voir des cas plus complexes. bien plus que comme une distraction d'où naîtrait le comique. à partir de ces analyses. librement conçue.l'existence. C'est le cas déjà de la chasse aux lions. comme on enlève les plumes d'un poulet. faisant paraître comique le narrateur. L'humour semble dans tous ces cas reposer sur une distance prise à l'égard du sérieux de l'existence. Ce n'est pas pour autant une simple parodie. mais de façon telle. il semble bien que l'humour gagne à être analysé. L'humour est d'autant plus plaisant que le décalage par rapport à la dimension comique est grand et complexe. pour la seule vertu vitale de l'espoir. qu'il a joué sur notre attente. Nous nous apercevons qu'il nous a menés en bateau. s'il nous était naturel de consommer des missionnaires. Mais cela suppose une forme de saut qui ne repose sur rien de tangible. du moins par pour le public communément visé par AV. qu'on le prend comme une fantaisie. dans la mesure où il nous semble impossible. tant l'on constate que c'est un effet voulu. et les lions avec quelque menu objet. vous passez tout le désert au tamis. texte assurément humoristique. ») tire sans doute sa dimension humoristique de la fantaisie qu'elle crée. il reste les lions. comme si l'habit était indissociable de celui qui le portait. L'humour apparaîtrait ici alors comme un comique détaché. mais c'est autre chose. des explorateurs ou les guerriers de la tribu voisine : nous aurions alors intérêt à ne pas oublier que le missionnaire n'est pas inséparable de son habit. sur notre plaisir. abominable. ce l'est encore plus des Templiers. et être d'autant plus plaisant qu'une proportion importante de comique viendra s'y mêler. Les effets comiques virent vraisemblablement à l'humour. esquissé (« et si quelqu'un se disait… ») : nous savons que le . On frôle le comique à plusieurs reprises : si la scène avait effectivement lieu. décalé. pour raconter une aventure de plus en plus vaste. on pourra comprendre sans mal tout ce qui touche à l'humour noir. L'humour est en quelque sorte l'espérance d'un monde sans Dieu et l'humoriste se contente d'espérer ce que le mystique réalise. Il s'agirait donc de libérer toutes les potentialités vitales de la personne même face à une situation où la vie semble être menacée. cela concerne surtout l'aspect plaisant de l'histoire). intégrant de ce fait un certain nombre d'effets narratifs. on lui reprocherait d'oublier qu'il parle d'un plat où l'on doit enlever la soutane. dépassant la simple phrase. Son histoire de la chasse aux lions (« Pour la chasse aux lions : vous achetez un tamis et vous allez dans le désert. ou encore l'humour juif (lequel peut cependant se nourrir partiellement d'une espérance plus solide). de l'humour que nous trouvons dans les textes ? Si l'on en reste à cette définition de l'humour. lequel était un plaisir stéréotypé. tant l'on sait la maîtrise d'Alphonse Allais sur le récit. au titre du détachement qu'il exprime au regard de la douleur voire du tragique de l'existence (s'enfoncer dans la nuit). et de l'idée que le missionnaire est un plat comme un autre. La dimension volontaire et consciente de cette affirmation ne suffit sans doute pas à la classer dans l'humour. néanmoins. Il s'agit d'espérer sans motif pour le faire. L'humour conserve ainsi une forte dimension intellectuelle. Là. Allais nous réjouit parce que nous nous attendions à un autre type d'histoire. ou si ces mots avaient été prononcés par distraction par quelqu'un qui confondrait désert et bac à sable. voulu. Conclusion et pistes théoriques Comment rendre compte. comique. Ce serait là un simple trait d'esprit. mais à peu près complètement éclipsée par le caractère inattendu de ces traits. et seulement proposé. mais d'une longueur non négligeable. On pourra classer ce mot de Pierre Dac : « Mieux vaut s'enfoncer dans la nuit qu'un clou dans la fesse droite » dans la catégorie de l'humour et non pas seulement dans celle du mot d'esprit. le sérieux devient sujet à fantaisie. celui que nous avons à lire des romans d'aventure qui rebondissent sans fin de péripétie en péripétie. et de la manière de rendre plus légère et heureuse une réalité plus sérieuse. de manger quelqu'un. Un père avertissant son fils dans ces termes serait comique. avec un tel décalage. et qu'il a en fait suivi un autre fil (qui en lui-même était comique. que ses harmoniques ne s'en ressentent que mieux. par les images un peu convenues et déjà comiques par elles-mêmes qu'il convoque : ainsi de l'association soutane-missionnaire. nous retrouvons dans son humour une dimension noire. maîtrisé. Le premier effet plaisant de l'histoire est le ton. Nous dirons que l'image est plaisante. sociologiquement. les comiques de l'histoire. Pourquoi employer le terme anglaiset pas le mot français non-sens? Le mot anglais a une extension beaucoup plus vaste que le terme français et désigne une «bêtise». pourrait en constituer un prolégomène. L'humour des textes longs repose donc sur des effets plus complexes. sur des attentes minutieusement déjouées. Forme de distraction de la part du narrateur. mais. Nous passons donc de l'absurdité à la fantaisie. et cela de façon illogique. Cela implique de transformer de petits événements sérieux en des fantaisies improbables auxquelles il ne croit pas. nous nous laissons prendre petit à petit au récit. du «n'importe quoi». en particulier des attentes génériques : c'est là où l'attention que nous prêtons au texte peut le plus facilement chercher à anticiper sur la suite du texte. c'est nous dont il rit. et nous rions de nous-même. cela réclame une attitude de distance totale. À l'arrivée. n'est pas un personnage comique. Et c'est pourquoi nous pouvons rire le cœur léger : tout cela ne prêtait pas à conséquence. mais pas soudaine comme dans le comique . il désigne une forme d'humour lié à l'absurdité ou à l'excentricité. Force est bien de constater que. L'effet comique ne reposait sur rien de concret. largement intellectuelle. n'est qu'une occasion. une capacité à rebondir sans arrêt. tant il est loin de l'ironie et d'autres formes du comique. Et nous finissons soit par le rejeter. plus vive. mais transforme le regard que nous portons sur elle. notre vision. L'humour ne transforme pas la vie. tout ce qui est pesant. c'est là où il est le plus facile pour l'auteur de nous surprendre. celui-là seul comptait en fait.narrateur n'existe pas. Nous sommes donc détachés. les humoristes professionnels tendant à perdre de vue la mystique et à faire de l'humour leur seul refuge contre leur désespoir. nous reposerait de notre tension constante à suivre le sérieux de l'existence. oui. auquel il est souvent lié. De la part de l'humoriste. Jérôme Moreau Nonsense Nicolas Cremona Le nonsense Tout comme l'humour noir. mais ouvrant sur une vie plus heureuse et plus légère. nous n'en sommes pas complètement coupables. Détente. Sans que la situation soit nécessairement noire (mais l'humour sera meilleur s'il grince un peu). et se concentrait sur ce qui semblait n'être qu'un motif comique. donc. Il n'est qu'analogique de la mystique. irréfléchie. et pourtant. Né en Angleterre. allégeant fictivement la vie en jetant par-dessus bord ce qui nous encombre. de ce mécanisme faussement mis en branle en nous et déjoué par l'auteur. l'humour transforme notre jugement. dans le fond. puisque nous pouvons reconnaître que c'est l'auteur qui a tout fait pour nous dérouter. Il n'y a pas de logique. À défaut de pouvoir alléger la vie elle-même. alors que le non-sens est presque un terme technique en français définissant . ou au moins une fois mais de façon soudaine et définitive. qui en fait était absent de ce qui paraissait le fil central. on s'attend à ce que la fantaisie de l'auteur en rajoute toujours plus. c'est nous qui paraissons être tombés dans un panneau. d'ouvrir les choses dans leur matérialité même à une vie plus profonde. on retrouve un même processus de mise à distance du poids de la vie (quitte à ce que la vie en question se limite au cadre d'un récit qui refuse précisément de se plier à ses propres règles) pour l'élever à quelque chose qui serait plaisant et accaparerait moins notre esprit. Il s'agit de présenter des personnages ou des situations incongrues avec gaieté. le nonsense est souvent considéré comme une des formes les plus pures de l'humour. de notre attente déçue de façon si habile : il fallait suivre l'autre fil. soit par rire de nous-même. seulement sur un jeu d'esprit d'Alphonse Allais. qu'il se laisse prendre lui-même par l'histoire. en grande partie. Et en fait. nous sommes les dindons de la farce. avoir suivi une impulsion de façon mécanique. Et cependant. Parallèlement. Il y a en effet ce type d'univers dans Alice au pays des merveilles. peut dire: «Mes goûts sont simples. dans «Morts de rire». bien trouvé. Ainsi. en anglais. pour certains. le nonsense présente des situations absurdes ou incongrues. on peut procéder par la voie négative et le différencier de formes proches: le monde à l'envers. Le désordre est une parenthèse. plus centrée sur la logique et la linguistique. Pour tenter de définir le nonsense. à une recherche de l'effet. D'ailleurs. nonsense paraît plus apte à désigner un type d'humour que le non-sens (que l'on retrouve plus dans les corrigés de versions latines que dans les théories de l'humour). sans rien dire (dans Oh les beaux jours) ont une valeur de preuve ou de démonstration. un ultime renversement.un raisonnement illogique ou absurde. Enfin. on parle de «theatre of the absurd» et non pas de «nonsense theatre». pas pris philosophiquement. si l'on balaie la critique sur le nonsense. Comment définir le nonsense? La voie négative indique des formes voisines mais ne permet pas de donner une conception claire et définie. l'absurde fait partie du nonsense mais il n'est pas pris au sérieux. Le nonsense est plutôt du côté de la surprise sans admiration. mais sans le renverser. qui représentent deux extrêmes: celle de Chesterton. tant il est lié à un art de la conversation. Oscar Wilde. c'est exactement la fonction du carnaval à la Renaissance et de la fête des fous. Par ailleurs. on associe souvent le nonsense à la vision d'un monde inversé. le paradoxe. Mais suffit-il de présenter un monde à l'envers pour faire du nonsense? Le topos du monde à l'envers. Les aphorismes brillants d'Oscar Wilde cherchent à susciter la surprise et l'admiration: on se dit que c'est bien senti. on constate la rareté de théories sur la question et une abondance de mises en pratique. Chez Beckett. Mais l'absurde d'un roman de Kafka ou d'une pièce de Beckett diffère du nonsense. on peut dégager deux positions antagonistes. Le paradoxe consiste à opposer dans une même phrase deux propositions incompatibles et à présenter leur relation sous l'aspect de la logique. l'absurde.» Ce mot d'esprit relève du paradoxe car il se présente comme un pseudo-raisonnement logique. A vrai dire. polémiste catholique et polygraphe anglais du début du siècle. je me contente du meilleur. Il serait moins intellectuel que le mot d'esprit. et celle de Genette. le nonsense s'apparente au paradoxe. mais il ne correspond pas au nonsense. au mot d'esprit. Le nonsense ne peut pas être assimilé à ces trois formes mais il leur est lié néanmoins: il peut présenter un monde à l'envers. grand spécialiste en la matière. ces deux éloges paradoxaux sont de véritables morceaux de bravoure de rhétorique. négatif du monde réel. L'absurdité du monde soumis à la vieillesse et à la mort. que Bakhtine a longuement et brillamment étudié implique toujours un retour à l'ordre. et sert à renforcer l'ordre. Rien de tel dans le nonsense qui échappe à une codification rhétorique. le nonsense peut emprunter des formulations paradoxales mais il ne recherche pas l'effet brillant et ne peut pas se couler dans une rhétorique. le nonsense peut être rapproché de l'absurde: en effet. semble difficilement utilisable dans le cadre d'une philosophie. quant à lui. Parmi les théoriciens du nonsense. l'absurdité du langage qui ne peut que se répéter sans innover. Cela n'exclut pas qu'on puisse rire à certains passages de la pièce de Beckett. où Alice devient la servante d'un lapin. Dans le nonsense. le monde à l'envers n'est jamais remis à l'endroit. l'absurde se présente comme une vision du monde inspirée par une philosophie pessimiste. «bien rédigé» comme diraient les Guermantes. ainsi. qui semblent défier les lois de la logique et ne référer à aucun élément du monde réel. Conception philosophique du nonsense: Chesterton . L'expression anglaise montre (et c'est bien commode) qu'il y a une différence de perception entre les deux variétés. partisan d'une approche philosophique et existentielle du nonsense. le monde à l'envers s'exprime à travers des formes codées à la Renaissance: pensons notamment à l'Eloge de la folie d'Erasme ou à l'éloge des dettes de Panurge au début du Tiers livre. Le nonsense. Ainsi. il y a eu du nonsense mais celui d'Aristophane. Pour Chesterton. C'est en ce sens que Lear est supérieur à Carroll car il renonce à l'intelligence. le nonsense n'a plus cette dimension allégorique. décide que «la foi. elle risque plus tard de découvrir que le nonsense. Dans le premier de ces articles. ayant simplement examiné le coté logique des choses.» «C'est la folie pour la folie[iii]» Gaieté. c'est le nonsense» ne sait pas de quoi elle parle. comme un sous-produit de la vie réelle. » Avec Lear. quant à lui.uvres illustrent son idée du nonsense comme merveilleux chrétien? Les histoires du père Brown. et ne se moque pas simplement de l'incongruité de quelque hasard ou farce.» On voit donc l'évolution de la position de Chesterton qui part de l'idée de folie pour la folie et aboutit à une vision d'un nouveau merveilleux. Le nonsense est donc une fuite du monde. trop mathématicien alors que Lear introduit ses absurdités dans un monde poétique. le nonsense est amené à devenir une nouvelle littérature qui viendra au secours de la vision spirituelle du monde Le sentiment d'émerveillement devant l'exubérance des choses indépendamment de notre contrôle rationnel est la source de la spiritualité. qui ont un sens. c'est-à-dire symbolique: c'était un genre d'exubérante cambriole autour d'une vérité découverte[iv]. Il reprend la forme du limerick. Lear propose des poèmes clairs du point de vue logique. puisque son univers est totalement délié du monde réel. Carroll est trop intellectuel. ce rapport à l'intelligence. paru dans The Spice of Life et «Défense du nonsense». c'est la foi[v]. et pas seulement la création d'un merveilleux totalement coupé de la réalité. Chesterton fait une généalogie de la notion d'humour et aborde le nonsense à la fin de son article: pour lui. Chesterton lui-même parvient-il à réaliser le programme qu'il propose? Est-ce que ses &#156. d'inspiration chrétienne. poème bref de cinq vers souvent grivois. un autre plonge dans l'Etna et se plaint que ce n'est pas à la bonne température) : est-ce vraiment du nonsense? Lear ne reste-t-il pas lié à l'intelligence. et c'est Lewis Carroll qui est du côté du merveilleux et non Lear. mais l'extrait et l'apprécie pour le plaisir[ii]. son . Dans «Défense du nonsense». Ce sont les situations qu'il peint qui sont incongrues(un vieillard mange des araignées. Reprenons la comparaison entre Lear et Carroll : il apparaît qu'au regard des critères de Chesterton. le nonsense est l'aboutissement historique des autres formes d'humour. Chesterton élargit la perspective et propose de voir dans le nonsense un retour à un émerveillement premier devant le monde. auteur des Nonsense Poems. C'est «de l'humour qui a pour l'instant renoncé à tout lien avec l'intelligence[i]». tiré de The Defendant. avant Lear. mais aussi celle du nonsense.On trouve dans l'anthologie Le Paradoxe ambulant deux articles de Chesterton sur le nonsense: «L'humour». «C'est de l'humour qui abandonne toute tentative de justification intellectuelle. semble aller beaucoup plus loin. plaisir et gratuité sont les maîtres mots de cette définition. la réflexion se poursuit et l'auteur se livre à une grande comparaison entre Edward Lear. Pour le polémiste catholique qu'est Chesterton. Ces deux aspects sont-ils cohérents? Rien n'est moins sûr. Après cette comparaison. Et Chesterton achève son article par cette brillante péroraison : «La personne bien intentionnée qui. ce serait plutôt Carroll qui vaincrait Lear. en employant une forme codée et en introduisant dans le réel des personnages excentriques? Carroll. et son contemporain Lewis Carroll. C'est cette absence de référence au monde réel qui ferait le véritable nonsense. de Rabelais «était satirique &#150. En effet. est clairement exprimé par la narrateur qui sous-titre le roman «un cauchemar». cet auteur reste prisonnier de la raison. c'est le prosélytisme de Chesterton qui l'empêche d'atteindre à l'émerveillement chrétien. qui correspond à certaines tentatives de Carroll et Michaux mais qui ne relèvent pas de la foi chrétienne. détective amateur mais grand connaisseur des mystères de l'homme et de la nature. ce retour à l'ordre. on peut dire que Chesterton reste du coté de l'étrange et que le vrai représentant du nonsense est celui qui pose son univers comme merveilleux. annonce la solution du problème sous la forme d'un paradoxe. regroupés dans Ailleurs (1948). Mais le critique ne le définit pas. et le merveilleux repose sur un monde totalement délié de la réalité et qui exhibe son aspect fictif et imaginaire. Or. on se livre à des activités parfaitement absurdes au regard du narrateur (des combats de boue. (1911) que Chesterton est le plus proche de son idéal de nonsense. le nonsense est nié. fonctionnent comme des paradoxes: un crime impossible est commis. représentent de bons exemples de nonsense merveilleux. des lâchers de fauves dans les rues) mais qui correspondent à des jeux numérotés pour les Emanglons. Le début du Voyage en grande Garabagne est exemplaire: chez les Emanglons. Pour Genette. c'est-à-dire Lewis Carroll. On découvre à la fin que le personnage inconnu est Dieu et qu'il a soumis les hommes à une épreuve: voir le désordre du monde à travers le regard d'un anarchiste est un moyen de constater in fine l'harmonie du monde et de revenir à l'ordre. Face à cette conception philosophique et existentielle. On pourrait reprendre l'opposition entre étrange. . Paradoxalement. proposons l'hypothèse de Gérard Genette. La logique du réel n'a pas de prise sur les activités de ces peuples. Une conception logique du nonsense C'est à la fin de son article «Morts de rire» (Figures V) que Genette parle du nonsense (p 215-219). C'est peut-être dans son roman Le nommé Jeudi. il propose des exemples et les examine au cas par cas. Si l'on transpose cette grille à l'&#156. Dans le même esprit. fantastique et merveilleux que formule Todorov dans Introduction à la littérature fantastique: l'étrange consiste à présenter des éléments paradoxaux qui seront expliqués rationnellement à la fin. le nonsense peut être analysé: «c'est le négatif d'un dialogue parfaitement sensé. absurde. Il n'y a pas vraiment de nonsense car l'ordre est rétabli à la fin par la révélation que tout est un rêve. puisque le narrateur y décrit des mondes totalement imaginaires et absurdes qui ne se laissent pas appréhender par la logique du monde réel. le père Brown. Ça relève de l'humour logique». A ce titre.ouvrage le plus connu. et la suite de l'histoire consiste en l'explication rationnelle du paradoxe. ce qui aurait pu être du nonsense est écrasé par la fin moralisante. Décidément. Le roman raconte comment six policiers sont engagés secrètement par un personnage inconnu dans une confrérie d'anarchistes qui projette de semer le chaos en Angleterre. Chesterton est trop intelligent pour faire du nonsense. dans des fragments déliés. A ce titre. le fantastique naît de l'hésitation entre une explication rationnelle de faits curieux et une croyance au surnaturel. L'humour des histoires du Père Brown repose plus sur une présentation amusante des décors et des personnages que sur un merveilleux ou un jeu de folie. Le rétablissement du sens ou de la raison montre qu'il n'y a pas de nonsense. plus centrée sur la logique et les faits de langage. Le fait que Chesterton ne remplisse pas le programme qu'il a fixé dans ses articles ne nous mènera pas pour autant à invalider sa théorie du nonsense merveilleux. Dès lors.uvre de Chesterton et à d'autres écrits apparentés au nonsense. les récits de voyage imaginaires d'Henri Michaux. car tout est expliqué. sans aucune référence au réel. au rationnel. La pratique de Chesterton montre qu'il reste souvent du coté du paradoxe. Pour Genette. par dérision ou par naïveté (Genette ne tranche pas). Quelques exemples et propositions Le nonsense pourrait reposer sur le déroulement logique d'une situation de départ illogique: il se présenterait sous la forme de la logique. je ne reconnais plus personne. absolument inutile sur le plan de la communication de l'information. le nonsense repose sur une apparence de raisonnement logique sur un fond parfaitement illogique. Le glissement est rendu possible par une ambiguïté de la question. plus personne ne me reconnaît. Dans le même genre. sans référence: «L'actuel roi de France est chauve». le critique mélange boutades. un artifice rhétorique. à la question «Combien de personnes travaillent au Vatican?».Voici quelques exemples: dans Ninotchkade Lubitsch.» et le garçon répond: «Ah. c'est la répétition et la variation: le nonsense se présente comme un énoncé logique (une réponse à une question) puisqu'il reprend la question (même si elle est illogique).»(Léon-Paul Fargue) : c'est un nonsense car l'auteur prétend créer une relation logique entre deux faits qui n'ont rien à voir entre eux. on aurait un énoncé absurde: ici ce qui fait rire. nous n'avons pas de crème. il ne crée pas un nonsense mais un simple énoncé vide de signification. si l'on considère que le burlesque repose sur une inversion du haut et du bas. Mais c'est aussi et surtout la réponse du garçon qui se prend au jeu qui contribue à rendre ce dialogue comique: le garçon reprend la formule par habitude. le comique vient du glissement logique: on demande un nombre. le nonsense reste-t-il du nonsense? Par ailleurs. Le rajout de la négation. mots d'esprit et nonsense. On ne s'y attend pas. Il parodie la logique.» Le nonsense fonctionne comme un négatif de raisonnement sensé. A moins de classer Russell et Wittgenstein parmi les humoristes. un simple négatif d'un discours logique. Là encore. Sans cette reprise. C'est d'ailleurs cette surprise qui crée le nonsense. ne serait-il pas réduit à une simple formulation? Lorsqu'on peut reconstruire une logique derrière. Il est difficile de proposer une conception purement logique du nonsense. répondit: «A peu près la moitié». un déguisement de l'absurde sous les traits de la logique. Genette mentionne un exemple de « nonsense par excès d'évidence[vi]»tiré de La Grande Illusion de Renoir: «Etre végétarien n'a jamais empêché d'être cocu». Sans la surprise. Ainsi. Le nonsense doit donc s'appuyer sur autre chose qu'un énoncé absurde. lorsque Bertrand Russell présente cet énoncé absurde. En effet. A ce titre. Ainsi. Mais on peut reconstruire l'énoncé «Depuis que j'ai coupé ma barbe. ce qui ne paraît pas évident. Par exemple. Voulez-vous un café au lait sans lait?». C'est un pur truisme dont le sel tient à ce qu'il prétend démentir une assertion absurde. crée le nonsense. Ici. dans son roman . on répond une proportion. procéder ainsi conduirait à envisager le nonsense comme une forme renversée de logique. Genette cite d'autres exemples de nonsense qui ne semblent pas se placer sur le même plan que les précédents. Il y a un effet de surprise. Mais on ne peut pas mettre cet exemple sur le même plan que les précédents puisqu'il signifie quelque chose. Faute de donner une définition du nonsense. on aurait un simple raisonnement absurde. On ne comprend pas très bien le terme de nonsense burlesque. à travers quelques exemples. tout en étant parfaitement illogique. Genette analyse cet extrait comme le renversement absurde d'un énoncé clair. Le nonsense est donc fondamentalement un jeu avec la logique. Nous ne proposerons pas de définition du nonsense mais nous essaierons de louvoyer entre les deux positions extrêmes développées précédemment. un personnage demande à un garçon de café : «Garçon. Autre exemple: «Depuis que j'ai coupé ma barbe. apportez-moi un café crème sans crème. ceci est un classique du nonsense burlesque. il cite ce mot de Jean XXIIIqui. Ferdydurke (1938), Witold Gombrowicz insère un épisode digressif «Philidor doublé d'enfant» qui raconte le duel entre Philidor, un professeur partisan de la synthèse et l'Anti-Philidor, son adversaire partisan de l'analyse. Les deux adversaires commencent par opposer «du macaroni» et «des macaroni», «l'essence du macaroni, le macaroni en soi» et «un composé de farine, d'&#156;ufs». Puis l'analyste se met à décomposer la femme de Philidor (un nez, une bouche, deux yeux, deux oreilles); le synthéticien riposte en synthétisant la maîtresse de son rival (il la force à se concentrer sur un problème de logique); enfin, le synthéticien gifle l'analyste et le cri de douleur de l'AntiPhilidor est la preuve qu'il a ressenti tout entier la douleur et non pas seulement sa joue. Gombrowicz réalise ici un nonsense par emballement de la logique, à partir d'une base excentrique. A ce propos, on peut se demander si le nonsense peut se développer à grande échelle, sur plusieurs pages, de façon illogique: la mise en récit n'implique-t-elle pas obligatoirement une mise en ordre, un déroulement logique? Cet emballement absurde se retrouve chez Michauxdans «Plume au restaurant»; le poème fonctionne par gradation: tout devient de plus en plus démesuré et décalé. Le nonsense joue de l'accumulation et du décalage. Le nonsense peut se présenter comme un jeu avec le langage non rhétorique(sinon, il serait assimilé au simple paradoxe) : l'avalanche de phrases absurdes dans La cantatrice chauveet l'histoire de Bobby Watson qui est mort mais dont on parle comme s'il était vivant relèvent du nonsense car deux faits contradictoires sont présentées comme des vérités. Le cas Bobby Watson illustre le jeu sur le langage (tous les membres de la famille Watson s'appellent Bobby) et le déroulement d'une logique illogique (Watson est mort et vivant à la fois). Le poème de Lewis Carroll, Jabberwocky, inséré dans De l'autre côté du miroir, illustre une autre tentative du nonsense, reposant sur l'invention de mots imaginaires placés au milieu d'un poème épique racontant une lutte entre un héros et un monstre nommé le Jabberwock: on comprend le sens du poème, bien que certains mots n'aient aucun sens. Dans la préface de La chasse au Snark, autre poème pseudo-épique, Lewis Carroll prétend, cum grano salis, ne pas faire du nonsense en expliquant que tous les vers de son poème sont clairs sauf un vers qu'il cite (et qui est parfaitement clair, quoique anodin). Se peut-il qu'un texte clair et logique passe du coté du nonsense uniquement par l'intrusion de mots sans référence? Le nonsense n'est donc pas uniquement une forme aberrante ni une vision du monde merveilleux. Il est entre les deux. Il peut servir d'instrument, de véhicule à d'autres types d'humour, comme l'humour noir par exemple, dans certains sketches du film Le Sens de la vie des Monty Python. Sous sa forme ramassée, il cherche à provoquer la surprise mais pas l'admiration. Il s'adresse moins à l'intelligence que le paradoxe et se présente toujours sous les traits de la gaieté, du plaisir. C'est en effet peut-être le point commun de tous les exemples mentionnés ici. Il pourrait y avoir plusieurs degrés de nonsense, de l'illogique à l'a-logique, du simple énoncé apparemment logique illustrant un contenu aberrant à la présentation illogique d'un monde coupé de la logique du réel, forme de merveilleux a-logique (Alice au pays des merveilles). Nous laisserons à d'autres le soin de construire cette «bathmologie[vii]». [i] G.K. Chesterton, Le paradoxe ambulant, Actes sud, 2004, p 151. [ii] ibid, p 151. [iii] ibid, p 151. [iv] ibid, p 186. [v] ibid, p 190. [vi] Genette, Figures V, &#147;Morts de rire&#148;, Paris, Seuil, 2002, p 217. [vii] La «bathmologie» ou science des degrés est un projet formulé par Roland Barthes dans ses derniers écrits, elle a été reprise &#150; ironiquement &#150; par Dominique Noguez dans son roman Les Martagons, Gallimard, 1995. Nicolas Cremona Humour au XVIe siècle Nicolas CREMONA, L'humour au XVIe siècle: Rabelais et Montaigne. Avant le XVIe siècle, il y a bien dans l'Antiquité et au Moyen Age un pan de littérature satirique qui utilise l'ironie pour se moquer de certains travers humains ou de certains groupes: Lucien, Aristophane se moquent des philosophes, utilisent la satire qui grossit et fait rire par exagération. Cela relève du comique: on attaque une cible ou bien on tourne en dérision des personnages. Mais l'humour ne relève pas forcément du champ du comique, n'attaque pas obligatoirement. A travers Rabelais et Montaigne, on pourrait voir comment l'humour se détache progressivement de la dimension satirique et comique pour s'approcher d'une forme personnelle, plus gratuite qu'acide, liée à l'oralité et au commentaire sur soi. La théorie du grotesque de Bakhtine: humour ou comique? Dans son ouvrage François Rabelais et la culture populaire à la Renaissance, Mikhail Bakhtine fait du réalisme grotesque une catégorie esthétique qui s'éteint peu à peu car elle se détache de la culture populaire et devient un code littéraire. Le carnavalesque consiste en une inversion du monde, présente dans la culture populaire, transmise à la littérature. La littérature est donc l'expression de son temps. Il s'appuie sur la notion de burlesque, inversion du haut et du bas. Chez Rabelais, le carnavalesque sert à la satire: satire des pédants dans les épisodes de l'éducation de Gargantua, satire de l'écolier limousin. L'ironie prévaut ici. Mais il y a des moments comiques moins liés à l'ironie: ainsi, le célèbre prologue de Gargantua. Ici, il n'y a pas d'attaque directe d'une catégorie sociale, même s'il y a des charges contre les censeurs. Le fonctionnement du prologue est fondé sur l'alternance des deux lectures possibles: la lecture allégorique, qui cherche la substantifique moelle et la lecture littérale qui ne voit que des billevesées dans ce texte. Cette ambivalence posée dès la préface (doit-on le prendre au sérieux?) semble être une forme de jeu avec le lecteur qui se rapprocherait plus de l'humour, qui déstabilise sans attaquer. Cette dimension ludique, qui n'est pas assimilable chez Rabelais à l'ironie, correspond assez bien à ces «jeux de langage» identifiés et théorisés par François Rigolot dans Les langages de Rabelais: lorsqu'il lance un débat, lorsqu'il met en scène un affrontement entre deux théories opposées, Rabelais ne prend pas parti, il ne s'oppose pas clairement à une théorie. Il se contente de montrer l'opposition sans trancher. L'ironiste, lui, ferait pencher la balance. La pratique de Rabelais semble proche de celle d'un humoriste. Mais ne tranchons pas nous non plus entre humour et ironie: les deux fonctionnements me semblent présents chez cet auteur, sans s'exclure pour autant. Je choisis de prendre Montaigne comme exemple d'humoriste pour plusieurs raisons: d'une part (révérons les autorités[i]), pour reprendre et explorer l'idée lancée par Robert Escarpit dans son essai sur l'humour, qui voyait en Montaigne un humoriste avant la lettre; d'autre part, (et plus sérieusement) pour des raisons de genre et de registre: en effet, contrairement à celle de Rabelais, l'&#156;uvre de Michel de Montaigne ne se situe pas dans un registre comique ni ironique. Montaigne peut avoir recours à l'ironie philosophique, socratique ou sceptique, comme moyen de douter, comme méthode philosophique. Mais l'humour est au-delà de cette pratique ironique. Commençons par distinguer l'ironie et l'humour: on peut se reporter pour cela à la thèse de Bruno Roger-Vasselin, L'ironie et l'humour chez Montaigne, (2000, sous la direction de Mme Géralde Nakham) qui voit dans l'ironie un principe de vérité et dans l'humour un principe de santé. Selon lui, l'ironie est une arme rhétorique pour attaquer un adversaire, c'est une «mise à distance d'un propos». Au contraire, l'humour n'est pas un instrument de conviction, c'est une «mise à distance de soi[ii]». L'humour est donc déplacé du champ rhétorique à un champ beaucoup plus général, à une attitude d'auteur. Cela n'empêche pas, bien évidemment, que l'humour se manifeste par des procédés langagiers, voire rhétoriques, comme le montre Bruno Roger-Vasselin. Pour essayer de différencier humour et ironie, pour cerner l'humour chez l'auteur des Essais, tentons une approche historique et pragmatique, reposant sur quelques exemples (souvent pris parmi les chapitres les plus connus des Essais et, diront certains, quelquefois un peu longs, mais il est nécessaire de prendre des extraits conséquents pour voir comment un texte philosophique peut dériver vers l'humour en quelques remarques et quelques phrases) et sur l'examen des mots employés par Montaigne pour désigner son écriture. Il n'emploie pas le terme humour, qui n'existe pas encore en français, mais utilise des termes proches, parlant de son «humeur», de son style «comique et privé», du «ridicule». On considère, au XVIe siècle, que l'humour est lié à l'humeur, qu'il relève de l'idiosyncrasie, de l'excentricité d'un caractère, alors, on peut faire naître l'humour du moment où s'affirme peu à peu «l'individu dans sa singularité, en proie à un vacillement des certitudes religieuses et scientifiques», suivant l'expression de B. Roger-Vasselin. Nous essaierons d'examiner les formes d'humour suivant un principe de continuum, en commençant par les traits qui s'apparentent à l'humour mais aussi à l'ironie, et en allant vers une plus grande autonomie de la notion d'humour vis-à-vis de l'ironie. Du rhétorique au personnel, de l'ironie à l'humour, telle sera la progression de l'étude. <blockquote>- le choix du rire: «De Democritus et Heraclitus» Dans ce chapitre, Montaigne reprend le topos bien connu à cette époque de l'opposition entre Démocrite riant et Héraclite pleurant, que l'on trouve chez les philosophes, les écrivains (Plutarque, Burton) et les peintres (l'Académie au Vatican). Democritus et Heraclytus ont esté deux philosophes, desquels le premier, trouvant vaine et ridicule l'humaine condition, ne sortoit en public qu'avec un visage moqueur et riant; Heraclitus, ayant pitié et compassion de cette mesme condition nostre, en portoit le visage continuellement atristé, et les yeux chargez de larmes, alter Ridebat, quoties à limine moverat unum Protuleratque pedem; flebat contrarius alter. J'ayme mieux la premiere humeur, non par ce qu'il est plus plaisant de rire que de pleurer, mais parce qu'elle est plus desdaigneuse, et qu'elle nous condamne plus que l'autre: et il me semble que nous ne pouvons jamais estre assez mesprisez selon nostre merite. La plainte et la commiseration sont meslées à quelque estimation de la chose qu'on plaint; les choses dequoy on se moque, on les estime sans pris. Je ne pense point qu'il y ait tant de malheur en nous comme il y a de vanité, ny tant de malice comme de sotise: nous ne sommes pas si pleins de mal comme d'inanité; nous ne sommes pas si miserables comme nous sommes viles. Nostre propre et peculiere condition est autant ridicule que risible.[iii] Ici, Montaigne choisit le rire comme stratégie philosophique mais aussi comme posture existentielle. On voit l'importance de la notion d'humeur. Rappelons qu'à la fin du XVIe, le mot humour n'existe pas en français. En anglais, humor désigne l'humeur corporelle puis en vient à dénoter un caractère extravagant et fantasque. Montaigne parle sans arrêt de l'humeur (80 occurrences dans les Essais), synonyme de caractère, tempérament: il évoque l'humeur de grands personnages et son humeur propre, signifiant son caractère ou son goût: Quand j' entreprendroy de suyvre cet autre stile aequable, uny et ordonné, je n' y sçaurois advenir; et encore que les coupures et cadences de Saluste reviennent plus à mon humeur, si est-ce que je treuve Caesar et plus grand et moins aisé à representer; et si mon inclination me porte plus à l' imitation du parler de Seneque, je ne laisse pas d' estimer davantage celuy de Plutarque[iv]. Les Essais sont présentés comme le fruit de son humeur, et sont constamment dépréciés: dans la dédicace de «De l'affection des pères aux enfants», Montaigne se peint en mélancolique, alors qu'il était du coté de Démocrite auparavant. L'écriture des Essais est assimilée à une rêverie, à une fantaisie, ce qui correspond bien à la définition qu'on donne de l'humour au XVIe siècle. Le livre de Montaigne, portrait de son auteur, est donc un livre d'humeur et un livre d'humour, selon les critères du XVIe siècle. De l'Affection des Pères aux Enfans A Madame d'Estissac. Madame, si l'estrangeté ne me sauve, et la nouvelleté, qui ont accoustumé de donner pris aux choses, je ne sors jamais à mon honneur de cette sotte entreprise; mais elle est si fantastique et a un visage si esloigné de l'usage commun que cela luy pourra donner passage. C'est une humeur melancolique, et une humeur par consequent tres ennemie de ma complexion naturelle, produite par le chagrin de la solitude en laquelle il y a quelques années que je m'estoy jetté, qui m'a mis premierement en teste cette resverie de me mesler d'escrire. Et puis, me trouvant entierement despourveu et vuide de toute autre matiere, je me suis presenté moy-mesmes à moy, pour argument et pour subject. C'est le seul livre au monde de son espece, d'un dessein [0158v] farouche et extravagant. Il n'y a rien aussi en cette besoingne digne d'estre remerqué que cette bizarrerie: car à un subject si vain et si vile le meilleur ouvrier du monde n'eust sçeu donner façon qui merite qu'on en face conte[v]. - le «style comique et privé», l'écriture personnelle, l'humeur de Montaigne J'ay naturellement un stile comique et privé, mais c'est d'une forme mienne, inepte aux negotiations publiques, comme en toutes façons est mon langage: trop serré, desordonné, couppé, particulier; et ne m'entens pas en lettres ceremonieuses, qui n'ont autre substance que d'une belle enfileure de paroles courtoises. Je n'ay ny la faculté ny le goust de ces longues offres d'affection et de service. Je n'en crois pas tant, et [0105v] me desplaist d'en dire guiere outre ce que j'en crois. C'est bien loing de l'usage present: car il ne fut jamais si abjecte et servile prostitution de presentations; la vie, l'ame, devotion, adoration, serf, esclave, tous ces mots y courent si vulgairement que, quand ils veulent faire sentir une plus expresse volonté et plus respectueuse, ils J'honnore le plus ceux que j'honnore le moins. Roger-Vasselin prend pour de l'humour est proche de l'ironie. où mon ame marche d'une grande allegresse. que la lacheté et la foiblesse de coeur plantent en nous et establissent? [C] Plaisante foy qui ne croit ce qu'elle croit que pour n'avoir le courage de le descroire![vi] Les éléments ajoutés ne servent pas vraiment à l'argumentation. j'oublie les pas de la contenance. ambition) et des procédés (parodie. Je hay à mort de sentir au flateur: qui faict que je me jette naturellement à un parler sec. à chacune de ces formes correspondent des thèmes (vieillesse du corps. et que l'expression de mes paroles fait tort à ma conception. un peu vers le dedaigneux.la déstabilisation des savoirs: ironie socratique ou humour? Dans l'«Apologie de Raymond Sebond». Montaigne commence par montrer la relativité de la foi: la foi dépend des circonstances. qu'il est peu d'hommes si fermes en l'atheisme. Selon lui. ne proposent pas de nouveaux arguments mais proposent des formules frappantes qui présentent le propos de façon triviale dans le premier cas ou ludique dans le second. ce que B. à qui ne me cognoit d'ailleurs. Le lien entre comique et privé n'est pas anodin: l'écriture humoristique est une écriture privée. pour leur aspect brillant et spirituel mais également aussi peut-être parce qu'elles confortent l'image que la tradition a forgée de l'écrivain bordelais: celle d'un auteur non pédant. religion. Et m'offre maigrement et fierement à ceux à qui je suis. Est-ce de l'humour ou de l'ironie? Dans le cadre général du chapitre qui a recours à l'ironie socratique et qui détruit les fondements de la religion exposés par Sebond. mais comme présentation allègre d'un propos. sans doctrine. rond et cru qui tire. Le lien entre écriture personnelle et humour se retrouve dans d'autres essais comme l'Anatomie de la mélancolie de Robert Burton (1621). Et me presente moins à qui je me suis le plus donné: il me semble qu'ils le doivent lire en mon coeur. Il est bien difficile parfois de distinguer les deux chez Montaigne. personnelle. habillage paradoxal de la pensée. puis chez des auteurs «égotistes» comme Stendhal (à ce titre. sceptique. l'humourallégresse et l'humour-politesse. a recours à Platon. Remarquons que ce sont souvent ces formules brèves et ajoutées que l'on retient du texte montaignien. le choix du sujet qui permet l'humour. il rajoute des formules en 1588 (B) puis sur l'exemplaire de Bordeaux après 1588 (C): [B] Nous sommes Chrestiens à mesme titre que nous sommes ou Perigordins ou Alemans. qu'un dangier pressant ne ramene à la recognoissance de la divine puissance. ces phrases visent-elles à détruire l'argument de Sebond? Dans le . Dans sa thèse. Peut-être que c'est l'usage de la première personne. important exposé philosophique. Souvent. entendu non pas seulement comme tempérament. Bruno Roger-Vasselin distingue trois formes d'humour: l'humour-charge. Il emploie des exemples. où l'auteur commence en grande pompe par une scène «romantique» sur le mont Janicule à Rome puis déconstruit cette image en avouant au lecteur qu'il est en train d'affabuler. L'humour de Montaigne consisterait à traiter de façon personnelle ses sujets: traiter de façon comique et privée de graves sujets. exagération verbale. et. [A] Et ce que dit Plato. chapitre le plus long des Essais. Quelle foy doit ce estre. ce rolle ne touche point un vray Chrestien. En plein milieu. traiter de la même manière des sujets qui ne sont pas dignes d'intérêt. C'est à faire aux religions mortelles [0187v] et humaines d'estre receues par une humaine conduite. à la manière des théologiens et des philosophes&#133. dont le prologue est signé «Democritus junior». le début de la Vie d'Henry Brulard . pourrait se lire comme un début humoristique). On retrouve des procédés identiques dans les trois catégories. . on voit l'ironie et l'humour se mêler: l'apologie est une fausse apologie qui est en fait une critique. texte central du livre II. euphémisme).n'ont plus de maniere pour l'exprimer. les thèmes reviennent eux aussi. asseurons. les hirondelles. elle a regardé seulement l'usage des prognostications qu'on en tiroit en son temps. desconfortons. attachée et clouée à la pire. les branles internes et secrets des animaux? par quelle comparaison d'eux à nous conclud il la bestise qu'il leur attribue? Quand je me joue à ma chatte. repentons. bienveignons. Montaigne met. despitons. c'est l'homme. nous promettons. avec les animaux de la pire condition des trois. et en conduisoit de bien loing plus hureusement sa vie que nous ne sçaurions faire. Elle se sent et se void logée icy. enhortons. tesmoignons. et quoy non? d'une variation et multiplication à l'envy de la langue. esconduisons. demandons. confessons. nions. mesprisons. tansons. qu'il se trie soy mesme et separe de la presse des autres creatures. caressons. estonnons. Quoy des sourcils? quoy des espaules? Il n'est mouvement qui ne parle et un langage intelligible sans discipline et un langage publique . car il initie une longue séquence qu'on pourrait appeler le carnaval des animaux: on montre la supériorité de l'animal sur l'homme à travers les exemples des abeilles dont la société est très bien organisée. applaudissons. Comment cognoit il. escrions. jurons. Platon. La plus [0190v] calamiteuse et fraile de toutes les creatures. De la teste: nous convions. par où il acqueroit une tres-parfaicte intelligence et prudence.[vii] L'exemple de la chatte est intéressant à ce titre. condamnons. taille les parts aux animaux ses confreres et compaignons. et se va plantant par imagination au dessus du cercle de la Lune et ramenant le ciel soubs ses pieds. moquons.il est familier à Montaigne qui réécrit ses textes et va vers de plus en plus de connivence avec le lecteur. soubmettons. Ennemi de la rhétorique. enquerons. par l'effort de son intelligence. des bâtons dans la roue de Virgile. incitons. instruisons. au principe rhétorique de l'aptum. resjouissons. benissons. humilions. un aparté. attristons. recommandons. parmy la bourbe et le fient du monde. de clin d'&#156. menaçons.deuxième cas. égayons. en sa peinture de l'aage doré sous Saturne. un commentaire. reconcilions. admirons. appellons. Nous faut il meilleure preuve à juger l'impudence humaine sur le faict des bestes? Ce grand autheur a opiné qu'en la plus part de la forme corporelle que nature leur a donné. interrogeons. desmentons. accusons. honorons. (que l'on me pardonne cette image). commandons. exaltons. supplions. craignons. encourageons. compte entre les principaux advantages de l'homme de lors la communication qu'il avoit avec les bestes. les chevaux&#133. absolvons. bravons. dans le sens où la confidence fait passer de l'abstraction philosophique à la donnée autobiographique. injurions. congedions. qui déroge à la hiérarchisation des styles. advouons. refusons. deffions. C'est aussi un procédé qui ne convient pas vraiment à la dignité du sujet. qui sçait si elle passe son temps de moy plus que je ne fay d'elle.le renversement du joueur au joué illustre plaisamment le relativisme mais introduit également une dimension ludique que l'on retrouve dans l'emballement verbal de la page suivante qui prouve que le langage des signes des muets peut avoir un équivalent chez les animaux(rajouté sur le manuscrit de Bordeaux): Quoy des mains? nous requerons. et quant et quant la plus orgueilleuse. nombrons. lamentons. et leur distribue telle portion de facultez et de forces que bon luy semble. qu'il s'attribue les conditions divines. desesperons. plus morte et croupie partie de l'univers. complaignons. desquelles s'enquerant et s'instruisant il sçavoit les vrayes qualitez et differences de chacune d'icelles. festoyons. L'introduction d'éléments triviaux dans la réflexion peut être considérée comme un trait d'humour. desadvouons. menaçons. taisons. doubtons. qui trace une correspondance entre les sujets et les styles. C'est par la vanité de cette mesme imagination qu'il s'egale à Dieu. Ce procédé de pseudoconfidence. Montaigne semble se moquer de la foi. prions. desdaignons. flattons. au dernier estage du logis et le plus esloigné de la voute celeste. ou bien de l'idée de la foi exposée par Platon: la phrase se présente comme un jeu de mots. nous renvoyons. venerons. vergoignons. il écrit: «Je n'ay vu monstre et miracle au monde plus exprès que moy mesme. ce n'est ny par cettuy-cy. car sur des eschasses encores faut-il marcher de nos jambes. de façon gratuite. difforme: dans «Des boiteux».l'auto-ironie: les portraits sans complaisance de Montaigne On le voit. P 463 Ce bestiaire correspond à l'humour allégresse selon Roger-Vasselin: il relève de l'humour car on peut y voir un décalage introduit par l'argumentaire philosophique. de distance qui peut être assimilée à l'humour. ludique. Son imagination ne concevoit autre plus eslevée grandeur que celle de son maistre[viii]. la «prétention» de l'homme? le cas échéant. ains s'y laisse emporter par la force de la raison. ny ne le sonde plus. il devient excentrique. Ce traict purement dialecticien et cet usage de propositions divisées et conjoinctes et de la suffisante enumeration des parties. moins je n'entends en moi»: ici. . Et au plus eslevé throne du monde si ne sommes assis que sus nostre cul. il a recours à une forme d'auto-ironie[ix] entre sérieux et humour: il dit que c'est une vanité d'écrire sur la vanité et qu'«il devrait y avoir quelque coercition des lois contre les écrivains ineptes et inutiles». il faut necessairement qu'il passe par l'un de ces trois chemins. Les figures de sage sont ridiculisées ou rendues triviales: les conclusions de certains chapitres révèlent cet emploi du comique qui vient à contre-courant de l'attente du lecteur et de la tradition philosophique: ainsi.le jeu de Montaigne: connivence avec le lecteur . n'est visible qu'à travers des moyens langagiers quelquefois ambivalents.Autre procédé utilisé : la prosopopée. aux plaisanteries est fréquent dans les Essaiset oscille entre ironie et humour: Et disoit le Savoïart que. ellemême. établir par des listes infinies la supériorité de l'animal sur l'homme. Montaigne est à cheval entre humour et ironie. il ne se sert plus de son sentiment au troisiesme chemin. peut être assimilé à une technique rhétorique de recherche de connivence. donner la parole au chien du philosophe (double cynisme!). s'asseurant par cette conclusion et discours. par sa longueur. Il est à la fois un divertissement de l'auteur et une attaque de la vanité humaine: il est à cheval entre l'humour. Au début de «De la vanité». si ce sot de Roy de France eut sceu bien conduire sa fortune. et que. la fin de «De la vanité». et l'ironie. il faut donc infalliblement qu'il passe par cet autre. gratuit. Mais là encore. le recours aux boutades. ny par celuy-là. Mais Montaigne se prend au jeu qui perd sa dimension d'attaque et qui se développe pour lui-même. est-ce seulement un moyen de rabattre le «cuyder». On montre le raisonnement d'un chien . L'humour de Montaigne se manifesterait peut-être de la façon la plus pure (éloignée de l'ironie) dans les portraits qu'il fait de lui-même. Montaigne reprend Chrysippe le cyniquequi imagine le raisonnement d'un chien suivant son maitre à la traceet arrivant devant un carrefour : Il est contraint de confesser qu'en ce chien là un tel discours se passe: J'ay suivy jusques à ce carrefour mon maistre à la trace. par son écriture. Il se peint en vieillard souffrant. il estoit homme pour devenir maistre d' hostel de son Duc. ce serait ironique. la présentation distanciée de soi. il y a une forme de recul. vaut il pas autant que le chien le sçache de soy que de Trapezonce. Dans le même esprit. où l'homme reste le «badin de la farce» et la fin de «De l'expérience»(rajoutée sur le manuscrit de Bordeaux) : Si avons nous beau monter sur des eschasses. En effet. plus ma difformité m'étonne. il se rapproche d'une écriture comique.» et «plus je me hante et me connais. La différence entre les deux tendances semble résider dans l'intentiond'attaquer ou de ne pas attaquer une cible. critique. est la forme la plus personnelle de l'humour de Montaigne. . cette façon de se peindre en «monstre». de se déprécier. On hésite sur le sens à donner à ces lignes: l'auto-ironie. Mais cette intention. impuissant. son incapacité à distinguer clairement l'humour de l'ironie. Que si j'eusse esté entre ces nations qu'on dict vivre encore sous la douce liberté des premieres loix de nature. plus généralement. Les phrases en bleu marquent les remaniements de l'édition de 1588. Ainsi. Mes forces ne sont pas capables d'un tel dessein. de Montaigne. Je l'ay voué à la commodité particuliere de mes parens et amis: à ce que m'ayant perdu (ce qu'ils ont à faire bien tost) ils y puissent retrouver aucuns traits de mes conditions et humeurs. Finissons par le commencement. on le détruit. son aspect oral et gratuit. et tout nud. et l'humour. je me fusse mieux paré et me presanterois en une marche estudiée. qui reprend la pagination de l'édition de référence Villey-Saulnier des P. Ainsi. d'en démonter les mécanismes (ou l'absence de mécanismes).C'est icy un livre de bonne foy. ny de ma gloire. je t'asseure que je m'y fusse tres-volontiers peint tout entier. comme le suggérait Jean-Christophe Blum à la fin de la séance. Mes defauts s'y liront au vif. Mais dès qu'on essaie de l'identifier avec certitude. et que par ce moyen ils nourrissent plus entiere et plus vifve. Ce début. lecteur. Si c'eust esté pour rechercher la faveur du monde. que je ne m'y suis proposé aucune fin. je suis moy-mesmes la matiere de mon livre: ce n'est pas raison que tu employes ton loisir en un subject si frivole et si vain.U. Comme on le verra tout au long de cette étude. et ma forme naïfve. En effet. Ou du moins. Les phrases en gris correspondent à la première édition en 1580. p 638. A Dieu donq. tout en paradoxes. naturelle et ordinaire. l'humour s'impose à nous. d'en examiner les enjeux (ou les nonenjeux). l'humour de Montaigne reste paradoxal. son coté «ajout» et «commentaire au fil de la plume». autant que la reverence publique me l'a permis. fait d'auto-dépréciation et de ruse rhétorique. Je n'y ay eu nulle consideration de ton service. Je veus qu'on m'y voie en ma façon simple. celles en rouge sont des ajouts de l'édition posthume de 1595 réalisée à partir du manuscrit de Bordeaux. On en a l'intuition à la lecture des Essais. c'est-à-dire dans les éléments non indispensable à l'argumentation logique des chapitres. que domestique et privée. On est entre la captatio benevolentiae . de le départager de l'ironie. sans contention et artifice: car c'est moy que je peins. une attitude analytique qui a du mal à rendre parfaitement la gratuité et l'aspect ludique de certaines marques d'humour? Il va de soi que nous ne répondrons pas à cette question. comme une évidence. [iv] ibid. c'est dans les passages rajoutés que s'introduit l'humour de Montaigne. Il t'advertit dès l'entrée. [iii] Les citations des Essais sont empruntées à l'édition numérisée du Montaigne project de l'Université de Chicago.F. lecteur. annoté par Montaigne. la connoissance qu'ils ont eu de moy. [i] Cum grano salis [ii] Opposition formulée à la page 958 de cette thèse. qu'il faut blâmer? Ou bien. ce premier de Mars mille cinq cens quatre vingts. montre toute la complexité de l'humour de l'auteur. Est-ce la lourdeur de la présente démonstration. . on lui ôte sa fraîcheur. comme point obligé de la rhétorique. Genette ne cesse de se référer à ce grand ancêtre. La démarche. le même genre d'outil rhétorique. p 452. dans la tradition rhétorique en général et chez Fontanier en particulier. d'instaurer une vraie distance entre soi et soi? Nicolas Cremona Humour est-il rhétorique Bernard Gendrel Patrick Moran L'humour est-il rhétorique? L'ironie. [viii] ibid. [vi] ibid. soeur ennemie de l'humour. p 157. avant toute chose. Rappelons tout d'abord la définition qu'il donne des «figures du discours»: «Les figures du discours sont les traits. On remarque que Noguez suit un peu la même pente en allant chercher. La tentation est donc forte chez les penseurs de l'humour de trouver. reprenant une à une les figures de rhétorique compatibles avec le fait humoristique. des pensées ou des sentimens. dans l'expression des idées. Les poéticiens modernes ont opéré une redécouverte de l'oeuvre de Fontanier et de ses théories sur les tropes. les formes ou les tours plus ou moins remarquables et d'un effet plus ou moins heureux. [vii] ibid. pour vaine qu'elle puisse paraître parfois. pour leur objet. Si les théories modernes de l'énonciation ont montré qu'elle ne se réduisait pas à cela. . concession. n'en éclaire par moins le fonctionnement du discours humoristique. il n'en reste pas moins vrai que l'antiphrase en est souvent . a souvent été réduite à la figure de l'antiphrase: dire le contraire de ce que l'on pense. la syllepse pour en faire une figure-type de l'humour.un indice. 1. Il convient donc. [ix] Le terme est-il bien choisi? Est-il possible de se prendre soi-même comme cible. s'éloigne plus ou moins de ce qui en eût été l'expression simple et commune. de faire le point sur les théories dudit Fontanier. par lesquels le discours.sinon toujours . notamment dans ses écrits sur l'humour.[v] ibid.»[i] À partir de là Fontanier distingue deux figures de discours: les figures de pensées (prosopopée. La théorie des figures. p 445. p 385. . elle n'est pas un divertissement.»[iii] La première tentation des théoriciens de l'humour est de rapprocher antiphrase et humour. allitération. illustre cette tendance. qui ne changent pas la signification habituelle des mots . Exemple traditionnel d'ironie et d'antiphrase puisque ce que dit Voltaire à travers cette citation est l'inverse de ce qu'il pense.).. Voltaire. il se rapporte à la catachrèse.» Dans ce cas-là on ne parlera pas d'ironie mais d'humour noir. figures de style (périphrase. topographie&#133. Figures privilégiées a. il se rapporte nécessairement à l'Ironie. astéisme. ou de ce qu'on veut faire penser. s'il est forcé par l'usage.éthopée.»[v] Nous avons tenté de montrer ailleurs[vi] qu'hyperbole et litote pouvaient tout aussi bien se mettre au service de l'ironie. ironie. nous éclairer. métaphore. ou plaisante. Un exemple extrait du Dictionnaire philosophique portatif (article «Torture») peut. Si l'emploi du mot ou de la façon de parler dans un tel sens se fait librement et par choix. hyperbole. Fontanier ne se risque d'ailleurs pas à séparer le fait de son appréciation: les deux font pour lui partie de l'ironie. apostrophe. Le problème de l'antiphrase Une absence remarquée dans la typologie qui précède est l'absence de l'antiphrase. l'antiphrase se divise en deux groupes. dans un article précédent. l'idée de symétrie entre ironie et humour . 2) les tropes. dans un sens contraire à celui qui lui est ou lui semble naturel. on pourrait. le contraire de ce qu'on pense.et même fondamental . dérivation. ou plutôt de faire de l'humour un type particulier d'antiphrase.» Nous avions.. prétérition. La question que nous pouvons nous poser est de savoir s'il arrive que l'humour prenne la forme de l'antiphrase.. 2. ou sérieuse. après Bergson et Henri Morier. lui. D'un côté le «jugement de fait» (ironie). voir dans la litote et l'hyperbole les figures ordinaires de l'humour . On peut d'ailleurs rétablir la phrase qu'il faut entendre sous celle-ci: «La torture ne fait pas passer une heure ou deux. exclamation. syllepse) et les tropes en plusieurs mots (personnification.»[ii] En fait la définition d'antiphrase se réduit de nos jours à la définition que Fontanier donne de l'ironie: «L'Ironie consiste à dire par une raillerie. Genette. Pour lui. Ainsi du passage de l'Esprit des lois sur l'esclavage. proposer de placer cette phrase dans un contexte différent. À l'intérieur des figures de mots il distingue 1) les «figures de mots dans le sens propre». Dans chaque catégorie j'ai souligné les termes sur lesquels nous reviendrons plus précisément. antithèse. zeugme. puisqu'un être humain souffre. à cet égard. On se dit qu'Ambrose Bierce ne pense pas réellement ce qu'il dit mais cela ne signifie pas qu'il veuille faire dire l'inverse de ce qu'il pense.. À l'intérieur des tropes il distingue les tropes en un seul mot (métonymie. de l'autre le «jugement de valeur» (humour). anacoluthe.).de l'ironie. Litote et hyperbole Voilà. Nous avons déjà dit ailleurs[iv] que cette bipartation nous semblait peu probante puisqu'elle conduisait à considérer comme humoristiques des phrases ou des textes que toute la tradition a reçu comme ironiques. fort bien de figures. assonance. synecdoque. On ne parlera pas non plus d'antiphrase puisqu'il n'y a finalement aucune proposition juste à rétablir. métalepse. figures d'élocution (répétition. cite un vers des Plaideurs: «Cela fait toujours passer une heure ou deux». litote. énallage. qui prennent les mots dans un sens détourné. à propos de la question qu'un conseiller de la Tournelle inflige à un accusé. Ce n'est donc ni un trope ni une figure particulière. portrait. où il rentre dans la classe de ces locutions qu'on appelle des phrases faites.) et les figures de mots. a contrario. allégorie. Fontanier considère l'antiphrase comme un «prétendu trope»: «On emploie un mot ou une façon de parler. selon Genette les deux figures humoristiques qui correspondraient à l'antiphrase pour l'ironie: «Et comme l'antiphrase est le procédé favori . Cela fait toujours passer une heure ou deux. paradoxisme. b. l'antiphrase factuelle d'un côté et l'antiphrase axiologique de l'autre.). hypotypose). celui d'une nouvelle à la Ambrose Bierce : «Hier j'ai tué toute ma famille.. gradation.qui au reste se passe. ellipse. ou plutôt le remplacement de celle-ci par l'ironie. adjonction.figures de construction (inversion. épitrope. Sauf que dans la définition stricto sensu de la litote. Pour l'hyperbole. Lorsqu'ils s'égaillèrent pour aller goûter.» Il y a excès ici avec ces «douze mille cadavres» que la seule parole du professeur-démiurge pourrait matérialiser et bien sûr décalage puisque la situation est celle d'un petit professeur de collège face à l'une de ses classes. et les présente bien au-dessus ou bien au-dessous de ce qu'elles sont. soit le repentir. Essayons de voir précisément ce qu'il en est. le but est de donner plus d'énergie à la phrase positive qui se cache derrière. dans la vue même de donner plus d'énergie et de poids à l'affirmation positive qu'elle déguise. il utilise pour parler de quelque chose d'atroce (un parricide) une formule euphémistique («made a deep impression on me»). et de fixer.»[ix] Et Fontanier de citer cet exemple d'ironie . nous avons tout à la fois de l'humour par excès puisque le décalage est quasi absurde entre le phénomène (la nuit) et l'impression du héros (perte de son bras) et en même temps une hyperbole.étant par là-même rompue. Il n'est pas indifférent d'ailleurs que litote et hyperbole puissent se trouver employées à des fins ironiques (et comme indices d'ironie .contrairement à la litote . ou à y mettre le comble. d'une «obscurité si épaisse qu'il vous semblait qu'on ne reverrait plus son bras dès qu'on l'étendait un peu plus loin que l'épaule». la cloche de la récréation avait sonné à toute volée. puisqu'il prend la forme euphémistique pour en fait frapper encore plus fort. non de tromper. les enfants semblaient enjamber avec une déférence renouvelée les douze mille cadavres que j'avais amoncelés entre ma chaire et le tableau noir. qui révèle quelque chose et de cette nuit et de l'état d'esprit de Bardamu. non pas pour rétablir une phrase cachée . Au début des Enfants du bon Dieu. mais d'amener à la vérité même. Les deux peuvent se superposer mais les deux existent aussi indépendamment l'un de l'autre. alors qu'il est à la guerre. Antoine Blondin présente un professeur d'histoire qui. Dans le cas de l'humour c'est l'humour qui se trouve renforcé et non quelque phrase à rétablir. raconte la bataille de Rocroy: la salle elle-même dans l'esprit du professeur devient champ de bataille: «Quatre-vingts drapeaux pris à l'ennemi avaient soudain tapissé les murs de notre classe. pour ressaisir sa classe.voir supra l'exemple de Voltaire «cela fait toujours passer une heure ou deux»). dans la vue. figures qui comme l'ironie véhiculent l'idée du rétablissement d'une vérité cachée. le problème est un peu similaire: «L'Hyperbole augmente ou diminue les choses avec excès. Comme je prononçais le mot Te Deum. Là encore ces figures ont souvent partie liée avec l'ironie parce qu'elles tendent à démontrer quelque chose: «L'Épitrope ou Permission. nie absolument la chose contraire. La litote. Quand le narrateur de Bierce déclare au début de l'une de ses nouvelles «Early one June morning in 1872 I murdered my father . Mais nous avions reconnu que l'hyperbole et la litote pouvaient être comptées au nombre des figures privilégiées de l'humour. mais cette diminution se trouve en décalage justement avec ce qui a été dit: l'euphémisme ne fonctionne pas et se fait voyant. comme le rappelle Fontanier. c.»[vii] On peut dire que la litote est finalement un faux euphémisme. «au lieu d'affirmer positivement une chose. ou la diminue plus ou moins. par ce qu'elle dit d'incroyable.»[viii] L'humour certes utilise l'excès mais il ne l'utilise pas pour amener à une quelconque vérité et pour donner l'idée juste et grandiose de ce dont il parle. semble nous inviter à nous y livrer sans réserve. Épitrope et astéisme Genette parle aussi beaucoup des figures de l'épitrope et de l'astéisme comme figures de l'humour. Lorsque Bardamu parle. ce qu'il faut réellement croire. dans la vue même de nous détourner d'un excès. On parlera donc plutôt de faux euphémisme et d'excès pour l'humour que de litote ou d'hyperbole. Ce qui ne veut pas dire que l'humour ne puisse coexister avec l'hyperbole.mais pour révéler l'humour absurde de l'ensemble.an act which made a deep impression on me at the time». et à ne plus garder de mesure. Par contre il n'y a pas hyperbole puisque l'excès ne conduit pas à une vérité quelconque. ou de nous en inspirer soit l'horreur. Paradoxisme Genette évoque aussi. mais que faire des Instructions aux domestiques de Swift? Là encore certains éléments sont semblables (encouragement feint) mais le phénomène dans son ensemble est différent: «Quand vous avez cassé toutes vos tasses de faïence (ce qui ordinairement est l'affaire d'une semaine). se trouvent rapprochés et combinés de manière que. e.» L'humour. C'est en cela qu'il est rhétorique(les figures n'ont aucune valeur en elles-mêmes et sont avant tout des outils en vue de persuader). Dominique Noguez tente dans L'arc-en-ciel des humours de rapprocher l'humour d'une figure essentielle: la syllepse[xii]. Fontanier cite par exemple Boileau: «Souvent trop d'abondance appauvrit la matière. car s'il allie deux notions contradictoires ce n'est pas pour faire éclater une vérité. mais rien n'indique qu'il s'agisse d'une attaque contre ces pratiques et qu'il faille retourner l'éloge en condamnation.»[x] Genette cite à cet égard comme exemple la phrase de Fontanierà propos d'un écrivain de premier ordre: «Quoi! encore un nouveau chefd'&#156. L'humour est au delà. de peur d'enlever l'étamage. mais je préfère ne pas être là quand ça arrivera» (Woody Allen). Syllepse De même que Genette. L'astéisme quant à lui «est un badinage délicat et ingénieux par lequel on loue ou l'on flatte avec l'apparence même du blame et du reproche. On y peut faire bouillir le lait. le «paradoxe».» Oui. Pour qu'il y ait esprit. tout en se maintenant dans les limites du paradoxe. dira-t-on. s'il ne l'est pas toujours en effet. appliquez-la donc indifféremment à tous ces usages. lui. la casserole de cuivre fera aussi bien l'affaire. Néron. vous ferez bien de les ménager et de n'employer que ceux de votre maître. «ce n'est pas que j'aie vraiment peur de mourir. En plus. à voir dans cette phrase de l'humour. Je dirais que l'esprit vise à faire rire.» Le locuteur encourage ici les domestiques à faire des actions répréhensibles.uvre! N'était-ce donc pas assez de ceux que vous avez déjà publiés? Vous voulez donc désespérer tout-à-fait vos rivaux? Vous ne voulez pas leur laisser un laurier à cueillir? C'est bien cruel de votre part!» J'ai du mal. elle peut en cas de nécessité servir de «Jules». mais ne la lavez. et produisent le sens le plus vrai. ordinairement opposés et contradictoires entre eux. est un artifice de langage par lequel des idées et des mots. comme le plus profond et le plus énergique. contrairement à l'«encouragement feint» on connaît peu de cas reconnus d'humour se rapportant au «reproche feint» &#150. une vérité. mais toujours du moins propre.»[xiii] Fontanier donne quelques exemples: «Rome n'est plus dans . ou sourire. tout en semblant se combattre et s'exclure réciproquement. même débarrassé de toute flagornerie. tu n'as pas fait ce pas pour reculer. peut-être justement parce que la flatterie est trop évidente.»[xi] Le paradoxe vise toujours. Rappelons la définition de Fontanier: «Le Paradoxisme. ils frappent l'intelligence par le plus étonnant accord. / Par des faits glorieux tu vas te signaler. Bien qu'on vous ait affecté des couteaux pour vos repas à l'office. mais il faut aussi qu'il y ait maintien du fonctionnement rhétorique: «Corot est l'auteur de 3000 tableaux dont 10000 ont été vendus aux Américains» (Alfred Capus). qu'on appelle Syllepses. L'une des questions qui se posent est de savoir alors ce qui distingue l'humour paradoxal de l'«esprit». Rappelons ce qu'en dit Fontanier: «Les Tropes mixtes. à bien y réfléchir. ni ne la récurez jamais. consistent à prendre un même mot tout-à-la-fois dans deux sens différents. qui revient à ce qu'on appelle communément Alliance de mots. / Poursuis. avec de tels ministres.dans Britannicus (c'est Agrippine qui parle): « Poursuis. il faut qu'il y ait écart comique. mettre de la petite bière. comme autre figure de l'humour. d. et l'autre figuré ou censé tel. l'un primitif ou censé tel. derrière une formulation saisissante. chauffer le potage. voire étonnante. jouera sur le faux paradoxe. Figures V. Flammarion. «Brûlé par plus de feux que je n'en allumai». 145.» 3. collection «Poétique». On pourrait dire que l'humour c'est l'alliance d'un fonctionnement comique et d'une situation énonciative quasi normale (le locuteur prenant en charge l'énoncé anormal). il [l'humour] est si allergique au tapage et au soulignement qu'il n'est pas loin d'être anti-rhétorique. il n'offre pas de phrase cachée à reconstruire. L'esprit. pour nuancer ses analyses sur la syllepse: «En tout cas.Rome&#133. 1977. Bilan Malgré les différentes tentatives pour rapprocher l'humour de tel ou tel fonctionnement rhétorique. L'humour n'est pas là pour révéler une vérité.. p. Réflexion sur une analyse de Gérard Genette». Seuil. Pour la bonne raison que l'humour ne semble en rien rhétorique. [i] Fontanier. «L'humour. se définirait en revanche par son fonctionnement rhétorique et par son fonctionnement comique. [ii] Ibid. le «conseil feint». «Morts de rire». Réflexion sur une analyse de Gérard Genette». 265-266.» Ce qui nous est apparu est moins le côté discret de l'humour. une analyse précise laisse penser qu'une entreprise pareille est vouée à l'échec. L'ironie. . Les Figures de discours. [iv] v. réédition Paris. À la fois décalé et brillant. Là encore je dirais que la différence entre l'esprit et l'humour tient au fonctionnement rhétorique ou non de la syllepse. op. quant à elle. Il n'y aurait pas de place dans ce couple pour le fonctionnement rhétorique. 64. c'est avant tout un processus plus général de décalage (à la base du comique). «Champs Flammarion». 133. que son côté antipersuasif. Paris. même si on restreint sa définition à une prise de distance entre un locuteur et un énonciateur. [v] Gérard Genette. 201. Cela explique que souvent on confonde ironie et esprit et que l'on inclue l'ironie voltairienne dans l'esprit français du XVIIIe siècle. [vii] Fontanier. pp. p. Dominique Noguez le disait déjà.». cit. [iii] Ibid. «Si tu aimes ta mère. le «faux paradoxe». Ce que prend l'humour dans le «faux euphémisme». Si la syllepse est utilisée de manière comique et en faisant coexister deux sens l'un avec l'autre. «L'humour. Il n'aime pas être trop visible. L'humour utilisera le décalage entre les deux sens de manière tellement «hénaurme» qu'il faudra en dernier recours choisir l'un des sens (il n'y a plus alors syllepse à proprement parlé): « Il prit la porte et ne voulut pas la rendre». reprends-en. frôle même volontiers l'invisibilité. lui. elle se fait alors esprit: «Il n'y a qu'à être en Espagne pour n'avoir plus envie d'y bâtir des châteaux» (Madame de Sévigné). [vi] v. peut utiliser fonctionnement rhétorique et fonctionnement comique pour mettre en avant cette distance. p. p. donc l'ébauche d'une définition. 137. geste social et non individuel celui-là. 2000.. [xi] Ibid.]. c'est déjà le constituer. [xii] Dominique Noguez. Bernard Gendrel. 123. p. L'arc-en-ciel des humours. que l'humour n'est pas «indéfinissable». p. 148. 150.. Même les critiques (et des meilleurs) qui semblent camper sur cette thèse d'une définition impossible finissent toujours par suggérer des traits constants. la «connivence» résultant d'un discours fortement individualisé. malgré tout. 23-37. dans son particulier. Il n'est pas un objet théorique [. Ainsi Jacques Chabot. op. [x] Ibid. en «objet de connaissance» —.. Reste à savoir quelles peuvent être les marques textuelles objectivement repérables de cette pratique discursive éminemment subjective. . [ix] Ibid. Patrick Moran Le double je de l'humour L'humour: tentative de définition ENS Ulm. cit. Paris.»[i] Voir dans l'humour un «mode d'expression». L'humour n'est pas un objet de connaissance: on en fait (quand on peut) chacun pour soi.. p. p. à propos d'un texte de Giono: « [. L'humour est la connivence des individualistes solitaires. 105. L'humour est le mode d'expression d'un esprit subjectif en pleine action contre l'ordre établi de la réalité: celui que nous subissions d'ordinaire passivement au nom de l'autorité (elle-même établie). en dépit des lieux communs. il est une pratique singulière du sujet.. des caractéristiques générales. 24 mai 2006 Denis LABOURET (Paris IV) Le double je de l'humour (à propos de Vallès et de l'écriture de soi) Faisons le pari. Librairie générale française.. «Livre de poche Biblio/essais».[viii] Ibid. mais en complicité avec autrui. pp.] je suis persuadé que l'humour est indéfinissable. [xiii] Fontanier. p.. choisir de le définir notamment comme l'opposé du «rire» selon Bergson. s'agissant de l'humour. des variations de son sens dans l'histoire. en invoquant. en rapport avec une histoire des formes modernes du rire. mais qui s'inscrit dans le texte et donne donc prise à l'analyse littéraire &#151. double fictif de Jules Vallès. en deuxième lieu d'un point de vue historique.L'examen de l'oeuvre de Vallès peut nous y aider. selon les cas. «L'humour au XVIe siècle»). Pas de quoi rire. combatif. qui entre dans la vie battu par sa mère. pour esquisser en fin de parcours une réflexion plus générale sur l'humour dans l'écriture de soi. Le Bachelier et L'Insurgé. à propos de Vallès mais aussi à partir de Vallès.»[iv] . Et pourtant: tous les commentateurs ont souligné la puissante veine comique de l'&#156. une attitude existentielle. du comique moliéresque ou de l'ironie voltairienne. de la caricature et de la littérature tout au long du siècle — pour enfin montrer que l'humour à l'&#156. comme posture d'énonciation et comme dispositif narratif: ce que l'on pourrait appeler le dédoublement. un an après la mort de l'auteur.uvre &#151. sur la «mise à distance de soi» comme trait distinctif (cf. avant de m'intéresser à la différence entre «blague» et «humour» — le premier mot étant massivement employé dans le domaine de la presse. est susceptible de nous intéresser selon trois axes: d'abord d'un point de vue sémantique &#151. usages révélateurs des flottements sémantiques que connaît le mot en France autour de 1860-1880. il permettra ici d'éprouver ou de prolonger quelques-unes des propositions ou interrogations qui ont été formulées dans le cadre de cet atelier. qu'il commence la Trilogie. subit l'humiliation d'un enfant pauvre d'origine semi-paysanne tout au long de sa scolarité. d'abord arme d'«autodéfense» du Moi face à «l'instabilité du réel» avant la Commune[iii]. L'Insurgé fait l'objet d'une édition posthume en 1886. enfin d'un point de vue littéraire et plus précisément générique. Exemplaire — en quel sens? L'oeuvre de Vallès. avant de rentrer en France à la faveur de la loi d'amnistie de 1880. Cette dernière question a déjà été abordée lors d'une séance précédente à propos des Essais de Montaigne. oeuvre romanesque à la première personne largement inspirée de la vie de l'auteur — pose la question des rapports entre humour et écriture de soi. Les premiers lecteurs avisés qui ont vu dans l'humour le principe unifiant de ces diverses composantes comiques sont Marie-Claire Bancquart et Michel Tournier.uvre chez Vallès. si l'on veut. échecs qu'accompagnent les épreuves de la prison et de l'exil&#133. humour qui précisément se distingue de la blague. Pourquoi le choix de ce mot? La première. le double je de l'humoriste. parce que cette oeuvre — c'est-à-dire essentiellement la Trilogie de Jacques Vingtras. parlait du «don d'humour» de Vallès. C'est une réflexion de ce type que nous pouvons tenter de poursuivre. et peut-être d'apporter une contribution partielle à la recherche d'une définition de l'humour dans le champ des études littéraires. dans le parcours biographique de ce Jacques Vingtras. 1. constituée de L'Enfant. implique à la fois un certain rapport à soi et un certain rapport au temps. a priori. et connaît les échecs politiques du 2 Décembre 1851 et de la Commune. L'Enfant paraît en feuilleton en 1878. dans un Jules Vallès paru chez Seghers en 1971. à propos de l'emploi du mot «humour». peine à gagner sa vie. dans une intervention qui insistait sur l'humour de l'autoportrait. L' «humour» en 1880: un mot en quête de sens Vallès écrit sous le Second Empire (principalement comme journaliste) et au début de la IIIe République: c'est en exil après la Commune. me semble-t-il. l'héritage du grotesque rabelaisien. devenu affirmation dynamique d'une subjectivité renforcée dans le travail de recomposition romanesque de la Trilogie: «La mise en cause du monde extérieur et de soi-même par la caricature ne débouche plus sur l'incertitude. Le Bachelier est publié en volume en 1881. Parce que l'humour de Vallès est particulièrement exemplaire[ii]. Je commencerai donc par envisager les usages que Vallès fait du mot «humour». mais sur une affirmation de l'existence d'un Moi profond. en Angleterre surtout. Saint-Simon. Or le moment de la Trilogie retient notre attention parce qu'il est précisément celui où commence à se stabiliser. Ce tournant va se confirmer à la fin du siècle avec ce que Daniel Grojnowski appelle les «commencements du rire moderne»[vii].. précède de peu cet «avènement de l'humour» qui selon Grojnowski «marque l'histoire moderne du comique»[viii]. promet de faire désormais de l'humour.L'humour se définirait par cette force d'une subjectivité qui se manifesterait par l'invention d'une écriture radicalement neuve. et c'est ce qui nous intéresse ici. L'auteur de Jacques Vingtras présente cet intérêt majeur d'être encore un «blagueur» et déjà un «humoriste». dans une préface de l'édition «Folio» du Bachelier parue en 1974. car ils s'opposent comme l'eau et le feu. écrivait ceci: «[. «L'humour avant l'humour»)..uvre. c'est dans une acception qui peut nous paraître bien faible.] il y a [.. Mais s'ils sont aussi rares l'un que l'autre. [. de fait. qu'a bien résumé Robert Escarpit: le mot entre au Littré en 1863.] Pour en mesurer le privilège. Dans l'histoire de la notion... autour de l'esprit fumiste. ou Marx. Dans les lettres qu'il envoie d'exil à des écrivains proches de lui qui ont gardé plus de liberté de mouvement et de publication.. Il y a bien une véritable «invention de l'humour» dans une culture française imprégnée alors d'une certaine «anglomanie». d'auteurs comme Jules Renard. Sens cosmique. le mot humour est entré dans la langue»[vi]. Vallès parle lui-même rarement d'humour. Il écrit ainsi à Zola : «Sans prendre parti dans la lutte. Le second. ni d'homme fréquentable qui ne possède l'un ou l'autre... il n'est que de comparer la prose pétillante et hilarieuse [sic] de Vallès à celle. [.»[ix] Il pense écrire pour L'Evénement. la période 1860-1880 marque un tournant décisif. Pour ne pas effrayer les journaux auxquels il aimerait pouvoir collaborer afin de s'assurer des ressources.] hilarieuse»? Quelles propriétés la rendent telle? Une fois établi ce constat que le lecteur partage spontanément — cette oeuvre est oeuvre d'humour — encore faut-il s'entendre sur la définition de cet «humour». l'humour serait le contraire de l'engagement. Auguste Comte.. Et quand il emploie le mot. Cette cristallisation lexicale est le signe d'une prise de conscience: l'appropriation d'un mot nouveau. compacte et étouffante. comme humoriste et comme peintre. comme Hector Malot et Emile Zola. les ouvrages de Taine y familiarisent à cette époque le public français.] chez Vallès une dimension [. leur réunion est plus rare encore. dans la langue française. l'emploi du mot «humour». Proudhon. fort éloignée de la pratique bien réelle de l'humour que l'on est en droit de reconnaître rétrospectivement dans son &#156. Le premier type se rencontre dans la correspondance d'après la Commune.. pas de la politique: faites l'humour.. sens de l'humour. n'est pas sans lien avec la réalité d'un phénomène culturel (cf. On peut distinguer deux types d'emploi du mot.. à ce moment-charnière de l'histoire de la notion qui marque le passage d'une ère de la blague à l'ère de l'humour: j'y reviendrai. par l'intermédiaire de ses correspondants. reprise dans Le Vol du vampire. dirigé alors par Magnier . Vallès annonce. comme Rousseau et Voltaire. pas la guerre&#133. Il n'est pas d'oeuvre lisible. de ses pairs socialistes et réformateurs sociaux. l'Académie française admet «humoristique» en 1878: «On peut donc dire qu'à partir de 1880. possédé au plus haut point par le sens cosmique de l'histoire: le sens de l'humour. * Parce qu'il écrit à ce moment où le mot est encore sans signifié stable.»[v] L'humour serait alors la qualité morale d'un «homme de l'humour». comme en quête de son sens. mais qu'en est-il de cette «prose [. comme Alphonse Allais.] je parle au nom de l'observation seule.] rarissime chez un homme de son espèce. Vallès oppose l'écrit «humoristique» à l'écrit militant. le proscrit. sans faire diversion. embrassant une durée bien plus vaste du vécu subjectif. il pense à des «lettres de voyage» qui seraient écrites d'Ecosse et d'Irlande pour des journaux français : «Il est bien entendu qu'il n'y aurait pas de théories.. à cette date et à propos des projets mêmes de Vallès. atténué de la chronique de presse — à un niveau encore plus «simple».»[xi] L'humour serait du côté d'un art de l'observation pittoresque.. Même idée dans une autre lettre de la même année : «C'est dit — je ne veux faire que du roman ou de l'humour.: «Magnier a assez de mes études anglaises. jusqu'ici. ou bien simplement humoristique. [.. de mise à distance du contexte sociopolitique dans son actualité immédiate: car c'est bien une telle rupture avec le présent qui permet à l'humour positif de la Trilogie — au-delà du sens réducteur que Vallès donne au mot — de se détacher de l'instant du polémique pour retrouver une puissance critique à un autre niveau &#151. Vallès écrit en 1879. des boutades pittoresques.. une fois par semaine.. de l'histoire socio-politique. [. Et à propos de Jourde. Définition surtout négative donc. ce serait donc toujours.. L'humour désigne alors l'aptitude à sourire face à une réalité douloureuse. de la mémoire populaire.. éminemment positif aux yeux de l'auteur. Celle-là. peu après. Je connais mon Angleterre. parlementaire. j'ai envie d'y entrer comme humoriste parisien. J'ai envie! Magnier en a-t-il envie?»[x] Les «affaires de romancier». d'une écriture conçue comme manière de faire diversion &#151. et singulièrement d'auteurs anglais. . je voudrais l'étudier encore!»[xii] «Descendre» dans l'humour: il s'agit bien d'un registre affaibli. de l'autre l'humour comme désarmement du discours journalistique.. plus proche du mot «ironie». comme je connais sa vie sourde. semble-t-il. Mais gardons à l'esprit cependant cette idée de détachement. ce sera de quoi attendre en travaillant à mes affaires de romancier.. sa vie courante. Ne pouvant lutter pour la discussion de mes idées en toute liberté et hardiesse nulle part. plus «bas» que celui de la «peinture» apolitique qu'il envisage.] à lui demander s'il ne pouvait pas me fournir dans Le Siècle un coin modeste et anonyme où je ferais simplement de la littérature humoristique. des portraits de parisiens. un engagement du sujet dans son discours..] Il est bien entendu que je puis descendre de cette idée un peu haute [l'idée de ces «lettres de voyage»] dans la chronique simple — politique.. c'est bien le mot — et un conteur.]. de désengagement. [. le directeur du journal Le Siècle qui a déjà à cette date publié le début de Jacques Vingtras en feuilleton. critique ou voyageuse [. avec de la couleur et du trait. pas une seule — que ce serait non pas un polémiste mais un peintre qui serait en scène — rien qu'un peintre. mais de celle d'autres écrivains. d'une certaine légèreté dans la description.. renoncer à autre chose: une parole de conviction. j'ai résolu d'attendre ce moment en me dégageant du côté militant tout à fait. pittoresque. Adopter une écriture humoristique. mais peut-être bien accepterait-il très volontiers des articles littéraires ou humains. à Malot toujours : «Je me suis cru autorisé [.] Je serai un peintre.] Bien que j'aie beaucoup souffert à L'Evénement [. c'est le Vingtras qu'il est en train d'écrire. il précise plus loin: «en dehors de toute politique et polémique»)[xiii]. et non plus comme subversion. Le mot prend alors un sens plus profond. sans les occulter. J'annonçais cependant un second type d'emploi du mot «humour» sous la plume de Vallès. C'est celui que l'on rencontre quand il ne parle pas de sa propre écriture. de la chronique pittoresque ou des histoires de sentiment et de lutte intime — point de la prose militante.]». la capacité de dominer par la gaieté les souffrances de l'existence &#151. plus grave. ce serait intéressant et dans la note boulevardière du journal. dès avant la Commune.. Autre projet annoncé au même Malot. VOILA TOUT. On serait alors aux antipodes de tout ce que Vallès a pu écrire sur l'arme de l'ironie dans les dernières années de l'Empire: d'un côté l'ironie comme instrument discursif d'un combat pour la liberté. comme on voudra.. des paysages ou des souvenirs de Paris. parfois qu'on pleure.]. écrit Flaubert en 1868. Vallès écrit : «Je préfère Swift à Perrault. »[xiv] Il s'agit alors de Gulliver.uvre de combat». ce qui implique de comparer et de différencier blague et humour.. S'agissant de Vallès. et à cette émotion. «ironie douce»). «L'Humour est une tournure d'esprit très originale et à peu près particulière aux Anglais. en 1861[xvi]). L'humour comme disposition d'un pamphlétaire qui a souffert: la formule pourrait aisément s'appliquer à Vallès lui-même (cette idée des souffrances du pamphlétaire apparaît dès la Lettre de Junius. roman des Goncourt paru l'année précédente (1867). qui a contribué à habituer le lecteur français à la notion d'humour. l'humoriste étrange au bénisseur béat[. et teint en rose les lèvres des blessures.»[xvii]Vallès cite alors Taine.. Vallès l'analyse dans ses articles critiques selon une perspective principalement psychologique et morale. c'est cette qualité qui donne presque toute leur saveur à un grand nombre de leurs écrivains»[xviii]. je retiendrai cependant autre chose: une sympathie pour ces littératures de fiction qui autorise à y voir les possibles modèles de l'écriture vallésienne à venir. mais en la réservant à la littérature anglaise (cf. entièrement consacré à ce sujet[xx]. Pour une définition de la blague. et surtout au récent ouvrage de Nathalie Preiss. la question a été largement étudiée par Roger Bellet dans divers articles[xxi]. même si lui-même emploie peu le mot. «Nous sommes dans le temps de la blague. et une vision de l'humour comme modalité de l'écriture littéraire: Vallès parle bien d'un effet de lecture.uvre d'un «pamphlétaire [qui] a souffert»[xv]. se mêle une gaieté tendre qui fait que l'on sourit. dans ces années 1860. c'est peut-être quand il parle de l'humour des autres que Vallès annonce le mieux l'humour qui sera le sien. De la blague à l'humour Impossible de définir l'humour en effet... la poésie de l'image dans la réalité des faits: l'émotion arrive sur l'aile humble et fine de la mélancolie. développe au chapitre VII . Il reste que nous avons parfaitement le droit. Autrement dit. 2. pour le déplorer: «Tant pis pour les gens comme nous qu'elle n'amuse pas!»[xxii] Et un chapitre entier de Manette Salomon.. On peut y voir la confirmation d'une réduction de l'humour. cet humour très anglais. dont Vallès dit encore: «[Ce] livre est presque une &#156.] une ironie douce couronne les sensations amères. la reconnaissance dans l'humour d'un comique non agressif dans la représentation du réel et dans l'expression des sensations («gaieté tendre». A condition de préciser en quel sens &#151. [. Et la théorie littéraire d'aujourd'hui ne trouve certainement pas son compte dans cette évocation émue d'un mélange ou d'une alternance entre ironie et mélancolie. tel qu'il advient dans la littérature française des années 1860-1880.. C'est l'humour dans l'observation [le mot est encore souligné comme un anglicisme]. à une originalité de l'esprit anglais. on se reportera à quelques pages de la fin du livre que Philippe Hamon a consacré à l'ironie[xix]. Cet humour de l'autre. non de l'esprit de l'auteur. et qu'après avoir pleuré l'on rêve. Et à propos de Dickens : «On n'a qu'à ouvrir un de ses livres pour qu'il s'en échappe une odeur douce et fraîche comme celle qui sort des armoires honnêtes où le linge sent bon. De ces rares occurrences du mot chez Vallès. omniprésente tout au long du siècle.A propos de Swift(qu'il juge «plus bizarre que gai». entre le rire et les larmes. sans le mettre en rapport avec la blague. L'humour est bel et bien perçu comme un article d'importation. et rien de plus». c'est l'&#156. Comme le dit à la même époque le Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle. de juger humoristique l'écriture de Vallès dans la Trilogie. «Panorama de la notion»). aux antipodes du conte de fées optimiste à la française). la blague a partie liée avec un siècle qui connaît une inflation de spéculations politiques et financières et fait circuler des effets qui n'en sont pas.].. c'est qu'elle est l'indifférenciation même. la vis comica de nos décadences et de nos cynismes [. Ou encore: «Si la blague fascine et peut faire peur. si l'on peut dire. comme «écho du rire de Dieu»[xxvi]. rire au nez de. puisque n'importe quel sujet parlant peut le reprendre à son compte[xxx] &#151. de l'ironie classique.» On aura compris que les Goncourt sont plutôt contre: la Blague résume «tout ce qu'ils détestent dans leur siècle»[xxiv]. comme journaliste. Blaguer alors.»[xxxii] * Or Vallès a bien pratiqué la blague en ce sens. La blague. Parole enflée. de la pudeur. ce rire riant de la grandeur. amour. elle met dès lors en place une esthétique et une poétique de la déception. les références. Exhibition du siècle. ce «rien» qui est en définitive au coeur de la blague — conformément à l'origine du mot.»[xxix] Discours fort éloigné donc. qui s'exhibe — comme le spectacle de foire ou la publicité auxquels elle est historiquement liée — pour n'ouvrir que sur du néant. dont voici quelques extraits: «La Blague — cette forme nouvelle de l'esprit français [. pour Vallès comme pour beaucoup de journalistes contemporains. Si la blague peut prendre les formes les plus diverses. ces propos discontinus qui déchirent le tissu du discours dominant pour rire. l'empoisonneuse de foi. de la terreur. enragé.une longue «définition &#151. c'est «[c]e Vingtras qui blague toujours»[xxxiii]. les valeurs. avec son souffle canaille et sa risée salissante. sans proposer ni construire de contre-discours structuré. de la poésie de toute chose [. la Blague. «c'est narguer. la Blague.. «cette parole hâbleuse. tout à la fois trompeuse et plaisante». c'est qu'elle est un «discours de la neutralisation généralisée des valeurs»[xxviii].. derrière le jeu toujours recommencé de ses simulacres. pour ses amis. elle fait pouf aussi.. «redistribue les rapports entre illusion et réalité. la Blague.. La blague frappe en tous cas par ses ambiguïtés. une posture d'indifférence qui mélange les langages. d'enfants pourris de la vieillesse d'une civilisation. Elle combine l'inflation et la déception: il n'y a pas de sens. faux et vrai[. d'en haut?»[xxv] On croirait déjà lire ce que Kundera dira de l'art du roman. comme la «blague à tabac».]. la Blague du XIXe siècle. rire de. qui neutralise les différences elles-mêmes. Discours sans sujet. ce rire terrible. c'est-à-dire comme le bon Dieu les voit. elle concentre les ravages destructeurs du «nivellement démocratique».].]... telles les blagues de Vautrin dans Le Père Goriot ou les plaisanteries qui fusent lors du banquet de La Peau de chagrin. les sources. qui désigne d'abord un petit sac. d'où cette tendance qu'ont les deux auteurs à en démesurer la puissance négative. au fond.]. de la sainteté. celle qui permet à l'écrivain d'adopter le point de vue surplombant de Dieu: «Quand est-ce qu'on écrira les faits du point de vue d'une blague supérieure. donc de l'humour qui est pour lui consubstantiel à l'art du roman. tantôt une «parole plaisante»[xxvii]. Si la blague fait effet. en forme d'anti-définition»[xxiii] de la Blague. cette grande révolutionnaire. mauvais. d'enfants gâtés. sous le Second Empire.. de la majesté.. fiévreux.. selon Philippe Hamon. La blague est une «enflure du vide»[xxxi].. la Blague. Même Flaubert peut en venir à rêver d'une «blague supérieure».. Mais nombre d'écrivains de l'époque prêtent au contraire au rire blagueur des vertus positives.].. cette insolence de l'héroïsme qui a fait trouver un calembour à un Parisien sur le radeau de la Méduse. presque diabolique. la Blague. la tueuse de respect. jetée à tout ce qui est honneur. famille [. . Le jeune Vingtras du Bachelier. comme l'écrit Roger Bellet. cette grande démolisseuse. les cibles. qui défie la mort [. qui suppose toujours un système de valeurs identifiable.. qui délocalise sa source de laquelle ne coulent que des paroles non assumées. qui autorisent une telle réversibilité des valeurs: le mot désigne tantôt une «parole trompeuse». L'ouvrage de Nathalie Preiss insiste sur ce vide. car la blague du boulevard.. avec une esthétique du discontinu. indifférence éthique. Il a travaillé au Figaro de Villemessant. Ce testament.»[xxxvi] Rire agressif. en 1869. on vint me dire dans un café: Vous savez. Or. le lecteur découvre les fragments d'une vie racontée à la première personne. Comme on avait peur de lui. que l'on croyait corrosive.. après une brève introduction qui ouvre le testament de ce narrateur-blagueur.»[xl] Vie tout entière vouée à la pratique négative de la blague: pour celui qui rit de tout sans croire en rien.»[xxxix] Mais ce n'est pas seulement le sérieux de l'engagement politique qui condamne la blague et conduit à son dépassement. au temps de L'Enfant. mais qui ne menace pas vraiment le pouvoir: la blague offre un espace de liberté trompeur. nous dit L'Insurgé : «Légitimiste. On l'appelait blagueur. le moment nécessaire d'une formation à la révolte. Dans ce récit d'une enfance malheureuse qui annonce L'Enfant.. le premier insurgé de l'Empire. même si elle a pu être. Dès avant la Commune. La blague généralisée est plus aliénante que libératrice. fût-ce au péril de ma vie! L'ironie me pète du cerveau et du coeur. «j'aurais voulu les voir rire aussi dans la fumée du canon». écrit Vallès. ce sont des «souvenirs» déposés «par tranches et miettes dans quelques bouts de papier froissés»[xlii]. trouée et masquée.»[xxxiv]. «[i]ls continuèrent à tourner leur cuiller dans leur demi-tasse»: c'est que les blagueurs «manquaient d'idées et de conviction»[xxxviii]. un texte de Vallès concentre les caractéristiques majeures de la blague en même temps qu'il proclame les limites et la fin d'une certaine blague: c'est Le Testament d'un blagueur. un récit autodiégétique qui esquive la confidence et dissimule le Moi sous le sarcasme et le rire[xli].. «[l]e rire blagueur n'est pas un rire véritablement combattant. dans le parcours de Vallès.. homme connu pour sa «blague féroce»[xxxv]. parce qu'il riait de tout et ne ménageait rien. désinvestissement du sujet. avec son journal tirant à blanc contre les Tuileries. s'est dissoute dans les fracas de la Commune : «[. de ceux que le succès n'éblouit point et que le péril n'effraie pas. celui que veut bien lui consentir la censure impériale. Il le raconte dans L'Insurgé : «J'ai envie de rire un peu au nez de cette société que je ne puis attaquer de vive force.] ces boulevardiers qu'on croyait représenter l'esprit français». il dira sa déception devant «le rire catin de Villemessant»[xxxvii]. royaliste? allons donc! Il est un blagueur de la grande école. Vallès ne pourra pas toujours se contenter de cette blague-là. de son éclatement mortifère.. la blague vitale s'inverse en blague mortelle. . qui «blaguaient [. de la presse et de la bohème. Et le récit de cette vie blagueuse est lui-même écriture blagueuse. dont on apprend qu'il s'est suicidé : «Un matin. De fait. Le Testament d'un blagueur est donc le testament ou le tombeau de la blague: il dresse le constat de ses impasses. émiettement. C'était un blagueur de la grande espèce. et. on avait essayé d'appliquer à son ironie un mot qui en diminuât la hauteur et pût en voiler la portée. offensif. Dans La Rue de 1879.] l'Empire» et qui représentaient «le rire contre la force». le blagueur s'est tué. Ce qui vérifie ces caractéristiques de la blague vues plus haut: vacuité. écrit encore Roger Bellet. bachelier puis insurgé — Jacques le Majeur et Jacques le Mineur. pour tenter de les distinguer.»[xlvi] Il est plus que probable que Vallès n'aurait pas partagé les termes de l'analyse de Jean Paul. en morceaux. moraux ou métaphysiques. enfant.»[xliii] La force centrifuge de la blague est une force explosive susceptible de mettre et le récit. Mais à ce point de l'analyse. Le discours blagueur est du côté du second. avec la Trilogie. La grande originalité de l'option narrative de . mais de la fraction irréductible. le je se dissocie en un je-narrrateur. et un je-personnage. sur un principe d'individualisation exacerbé[xliv] (cf. Ce qui suppose pour le blagueur supérieur de trouver une autre solution que le suicide: une réflexivité de la blague. pour inscrire. au sublime inversé qu'est l'humour» pour Jean Paul. les marques de la blague ou de l'ironie. Jacques Vingtras adulte retraçant sa vie passée. qui «fait voler en éclats tout absolu. Sous-tend l'esthétique et la poétique de la blague non point une plénitude originelle à retrouver mais une cassure première à jamais répétée. alors que l'humour.impose selon Jean Paul la «prosternation devant l'idée»: dès lors. «Panorama de la notion»). mais en fonction de choix d'écriture. de stratégies énonciatives et de configurations narratives qui consistent à intégrer. Humour et dédoublement Dans la Trilogie. même chez Jean Paul. Nathalie Preiss suit et cite toujours Jean Paul quand elle écrit: «La poétique de la blague semble bien ressortir à l'individuation comique propre à l'humour. tout infini. je m'avoue vaincu d'avance. tout universel». 3. par rapport à la blague et à l'ironie. car au regard de l'infini tout se vaut et rien ne vaut. et le point de vue de l'humour qui abaisse le grand pour y accoler le petit et hausse le petit pour y accoler le grand. c'est que la blague est essentiellement esquive. d'un certain usage de la blague — et ainsi de rire. * C'est donc ici qu'il faut revenir à l'humour. et le récit humoristique et le sujet humoriste: L'Enfant reprendra des «bouts» du Testament pour les structurer dans une perspective différente.] la blague ne relève pas d'une esthétique du fragment qui appelle son complément. non pas selon des critères psychologiques. Si le mot «blagueur» rabaisse celui à qui on l'applique. «[. blaguer les autres. cette «blague supérieure» qui postule un principe d'unité. D'où l'idée que l'humour se manifeste par un art du dédoublement[xlvii]: ce qui permet d'évaluer sa supériorité. quand le discours plaisant en vient à s'unifier autour d'une subjectivité cohérente et d'un système de références affermi. à un niveau supérieur d'organisation textuelle. coïncider avec celui de la blague supérieure rêvée par Flaubert»[xlv]. en effet. à l'«idée anéantissante» qui débouche sur le chaos du divers. Nathalie Preiss remarque que la blague. l'humour. mais je vais me blaguer moi-même. On aura noté que le mot «blague» est considéré comme réducteur: il tend à «diminu[er] la hauteur» et à «voiler la portée» de l'ironie. Mais c'est à partir de ces morceaux que vont pouvoir se recomposer. et c'est ici que l'on retrouve l'analyse de Nathalie Preiss.. et le sujet. impuissance. trop idéalistes pour son goût: l'unité dont il s'agit chez Vallès n'est pas la plénitude. Mais on assiste bien dans son oeuvre à un dépassement de la blague éclatée par une «blague supérieure»... le discontinu dans la durée.. Jacques le jeune.Je sais que la lutte est inutile. hurler mon mépris pour les vivants et pour les morts.. sans mourir de rire pour de bon. dispersion. C'est ce qui peut conduire dans un premier temps à assimiler la blague du Testament à l'humour selon Jean Paul: «La blague s'apparenterait au fini appliqué à l'infini. à englober. paradoxalement.. «blague supérieure» en ce sens. elle rapproche la blague de l'humour. à unifier et à dépasser. et anéantit ainsi l'un et l'autre. n'est pas l'humour. capable de faire rire. que le premier met en scène et met à distance par le biais de l'énonciation humoristique. A propos du Testament d'un blagueur de Vallès. l'absolu d'une métaphysique romantique. fuite... à la fois «rieur» et «objet du rire». combien les plaisanteries. parfois à des fins publicitaires. pour Baudelaire.]»[xlviii] Nul commentaire explicite du je-narrateur. en porte-à-faux dans une situation sociale donnée. dans l'ambiguïté même d'un singulier double je. m'a dit Rogier. dans Le Bachelier. au fond. faisant rire.. donc à effacer les marques textuelles d'une distinction en deux niveaux énonciatifs et temporels (comme l'alternance. ça ne fait rien! [J'ai été surpris dans cet exercice. de l'échec du rire.la Trilogie consiste à restituer au présent le discours intérieur de Jacques le jeune. comme en direct. on dit: — Tu l'as lu à la bibliothèque ce matin. Par bonté. Vallès montre. artificiel. «Vallès ne se départit jamais d'un humour caustique. dit-on. vous n'en viendriez jamais à bout. dans les Confessions..»): c'est donc le je lui-même qui est affecté d'un rabaissement comique. C'est ainsi que le narrateur-humoriste construit. de brefs poèmes satiriques. ce qui est un véritable malheur... c'est qu'il correspond en tout cas à une écriture de l'humour. — Vous n'avez pas besoin de les inventer vous-même. il m'a donné quelques recueils de calembours à faire. l'emprise d'une subjectivité. puisque l'emploi du présent crée l'illusion de laisser la parole au personnage au moment de la scène. ce qui nous intéresse du point de vue de l'analyse littéraire. Mais le second degré de l'humour est bien perceptible dans la dramatisation hyperbolique («un véritable malheur»). »[xlix] Ce dédoublement du moi. sans cesse tourné contre lui-même et entretenant à l'égard . — Et nous qui riions de confiance. Exemple : — Vous n'avez pas d'esprit. et je mettrai des années à m'en relever. Ce manège dure peut-être depuis longtemps. tout le monde peut en faire — parfois sur commande. Chaque fois que je fais une plaisanterie. est peut-être susceptible de définir un «homme de l'humour». mon pauvre garçon. Comme l'a bien vu Tournier. le rieur s'oppose radicalement à l'objet du rire — sauf exception: «Ce n'est point l'homme qui tombe qui rit de sa propre chute. Or cette commercialisation de la blague la délie de toute énonciation singulière. des mots d'esprit. un homme qui ait acquis.Mais le cas est rare. le potentiel comique lié aux faiblesses du personnage. Jacques a eu l'occasion de vendre des calembours. à moins qu'il ne soit un philosophe. et surtout dans la représentation d'un personnage maladroit («mon pauvre garçon»). cherchez dans les livres. la force de se dédoubler rapidement et d'assister comme spectateur désintéressé aux phénomènes de son moi. le personnage-blagueur. mécanique jusque dans la production d'un discours prétendument comique («Chaque fois que. de toute «valeur « personnelle. du présent du commentaire et du passé des événements narrés). l'humour réintroduit par là. L'humour de la narration discrédite les blagues de la fiction. On croit que je vais y chercher ce que je dirai le soir pour paraître espiègle et folâtre. La blague. ce qui confirme que ce n'est jamais un discours assumé. alors même que l'instance narrative laisse entendre sa différence en soulignant. les jeux de mots ou les histoires drôles relèvent d'un discours léger. ici. précisément. pour en faire rire. Alors que la blague est sans auteur. «fabriqué». par habitude. perceptible dans l'intention autocritique qui organise l'écriture de cette scène. un matin. On se rappelle que. avec des accents proches de ceux de Baudelaire quand il voit dans le pouvoir de convertir la vulnérabilité en supériorité un talent d'artiste: «Saluons d'un sourire. on en profite. Mais l'on rit surtout. Et il faut alors se demander s'il ne s'agit que d'un prolongement de l'ironie sous la forme d'une auto-ironie. quand arrive la première sage-femme. contre l'Ecole.. de moi!»[lv] Dans la Trilogie. un nouveau-né dans les bras. par les ratés de son discours et de son corps. nourrir un récit à visée satirique. et l'on est le premier à rire de la perspicacité maligne de l'ennemi! On fait mieux que d'en rire. de l'autre. le moi a tout à gagner à s'exposer au rire. de qui rit-on en effet à la lecture de la Trilogie? Sans doute. violentes.. Le droit de rire. dût-il être un peu forcé. Elle ne fait peur qu'aux faibles.. Ils ont d'abord des angines pour de rire. ce à quoi l'on peut être tenté. Mais ils risquent gros. de l'étudiant ou du petit journaliste qu'il fut. adoucies. Pour moi qui ai l'amour de mon art. contre le Pouvoir et les professionnels de la Politique. pourrait être envisagée dans la seule perspective d'un discours ironique. ou du professeur de philosophie qui démontre l'existence de Dieu en manipulant des haricots[lii]. les scènes comiques et les plaisanteries pourraient rester en deçà de l'humour. Au début de L'Insurgé. de la figure maternelle — quand Mme Vingtras fait bruyamment irruption dans un salon feutré. en dansant une bourrée échevelée[li]. qui a la mauvaise habitude de se dérober quand on l'incite à s'engager: «Gambetta a inventé une angine dont il joue chaque fois qu'il y a péril à se prononcer.»[liii] Contre la Famille. — Interrogez vous-même la déclarante.. En acceptant ainsi l'ironie qui vous touche. de fait. la tête fraîche et la main ouverte. ceux qui se moquent du Peuple. polémique. ou des hommes politiques qui suscitent la blague ou l'ironie vengeresse par leur opportunisme ou leur lâcheté: ainsi Gambetta. où on leur scie le cou pour de bon. de celui-là. par les discordances entre sa conduite et le réel — ratés et discordances soigneusement agencés par la construction du discours narratif. . barbares. Vingtras travaille dans une mairie.] Nous ne vous demandons que le droit de rire un peu! c'est la consolation des pauvres et toute la vengeance des vaincus. le moi passé. ou d'une autodérision &#151. vous venez pour un enfant?. on passe à travers la vie. Il le proclame dans un bel article de 1865. le je-personnage fait rire par tous ses accidents. et elle est la leçon et l'honneur des forts. dans un tel cas. lors d'une réception. L'orgueil panse les souffrances de la vanité. de Jacques Vingtras lui-même. Débuts difficiles. De quelle façon vais-je m'y prendre? que dois-je dire? — Madame.. / Cette ficelle ne me va pas.. au bureau des déclarations de naissances. Et la fausse naïveté souvent adoptée par le narrateur pour laisser s'exprimer le point de vue de l'enfant. de réduire l'humour. polies. je l'ai mérité). de celui-ci. Philippe Lejeune en restait d'ailleurs à cette catégorie d'ironie pour analyser l'énonciation ambiguë du roman vallésien[liv]. s'il vous plaît! de rire de l'un. c'est vrai. toutes les attaques qui ont un air de gaieté./ [. accompagnée du père: «Mon collègue me lance en plein danger. —. de vous. * Pour Vallès. puis un jour arrive. Voilà aussi pourquoi j'aime toutes les formes de l'ironie.de sa propre vie cette distance critique qui permet seule à tout instant de s'en rire et de s'en libérer. je devine le pantin au bout.»[l] De quoi. alors même que le ridicule m'atteint (et s'il m'atteint. j'éprouve la joie heureuse de l'artiste quand je sens entrer dans mes ridicules une arme luisante. .») et son collègue (interrogation indirecte: «il semble se demander si. — Je vous crois! fait le père en se rengorgeant [. vous serez peut-être capable de constater! Assurez-vous du sexe. liberté de la parole. c'est le corps du je passé.»[lviii] Très souvent. ni une réclamation pour faveurs fournies par moi antérieurement. Au commissaire qui s'étonne qu'il ait tenté ainsi de s'en prendre à une femme aussi laide et qui lui demande pourquoi il criait: «Quinze francs!». Jacques (interrogation directe: «De quelle façon vais-je m'y prendre?.. Pendant longtemps. il aura provoqué une émeute délirante. mais si ce que vous dites est vrai.. à la vérité. son morcellement. qu'il poursuivait simplement pour lui demander le versement des sommes dues pour son petit emploi de professeur dans la pension tenue par son mari.. au présent..Il hausse les épaules. J'indique par signes que je le sais bien. son discours ne fait que reproduire les divers discours aliénants et aliénés qui s'imposent . l'allusion sexuelle ou la grossièreté scatologique qui font naître l'effet comique: l'objet risible. mis en scène et mis en mots... Les exemples de ce type abondent. approchez donc! — C'est un garçon. regardez. Vous.»[lvi] Ce n'est pas seulement une (bonne) scène de comédie: la restitution du point de vue du personnage inadapté. Mais de là-bas vous ne voyez rien. tous les quatre jours.» S'il est innocenté. c'est que le commissaire le juge trop mal alimenté pour avoir pu avoir les pulsions dont on l'accuse: «Vous aviez un oeuf. et la représentation des pensées des différents protagonistes. — Et pourquoi diable voulez-vous qu'elle vienne?. il semble se demander si je ne suis pas arriéré comme éducation et exagéré comme pudeur au point d'ignorer ce qui distingue les garçons et les filles.») intègrent le comique de situation dans un humour proprement narratif. Il pousse un soupir d'aise. ou peu s'en faut. fait mine de jeter le manche après la cognée. monsieur. Enfin. depuis cette longue scène de L'Enfant (II. — si vous pouvez faire constater qu'il y avait trois jours que vous n'aviez pas eu d'oeuf — aucun médecin ne conclura en faveur de l'attentat par la violence. Jacques répond en expliquant qu'elle lui devait de l'argent pour son travail et qu'il n'avait aucune visée coupable: «Voilà pourquoi je criais: Quinze francs. dis-je avec un sourire. et s'adressant à l' accoucheuse: — Déshabillez l'enfant. maîtrisé par un sujet parlant autonome. comme dans ces derniers exemples. liberté physique.. mis en pièces aussi par le récit humoristique qui souligne son mal-être. c'est le bas corporel. cuisinée par sa mère. dans son assiette (entre-temps. Souvent aussi. c'est donc le moi qui est la principale figure risible ou ridicule. Car le moi est comique dans l'exacte mesure où il est privé de sa liberté &#151. 225-227) où le petit Jacques a gagné à un stand de jeux un lapin dont il retrouvera la dépouille.]. — M'assurer du sexe!. quinze francs! mais ce n'était ni une offre pour acheter des faveurs. / — J'aurais pris plus cher. Me voilà nourrice.. et comment? Il rajuste ses lunettes et me fixe avec stupeur. digne du meilleur cinéma burlesque américain)[lvii] jusqu'à ces pages du Bachelier où Jacques est accusé de tentative de viol sur la personne de Mme Entêtard.. sa difficulté à devenir corps actif. Cependant. mais ces autres discours. Certainement. la profondeur de la conscience enfantine: «L'humoristique apparaît du fait qu'on laisse l'enfantin se réfléchir dans la conscience totale [. pour Kierkegaard. le préfixe auto. il ne prêtera plus au comique: l'humour s'atténue quand l'écart interne au double je se réduit.. mais un geste individuel de réaction aux ridicules de la mécanique sociale[lxv]. pour l'humour moderne. Quand l'acteur politique de la Commune. un «geste social» adressé à l'individu coupable de «distraction»[lxiv].».. objets risibles qui invitent constamment à renverser une fois pour toutes la maxime de Bergson: le rire n'est plus alors en effet. il donne parfois de beaux fruits mais il faut régulièrement lui couper les branches.. en reproduisant le point de vue du petit Jacques. dans ses défauts et son inadaptation qui font rire. une loi de la grammaire narrative de l'humour. précisément. de son allure de singe ou de clown.] le je est toujours du plus haut comique et il a trop tendance à l'oublier. aura enfin conquis sa parole libre. .L'humoriste possède l'enfantin mais n'est pas possédé par lui.»[lx] Le «Soi» objet de l'écriture de soi — et cela vaut peut-être aussi pour Montaigne — n'est pas de même nature que le je sujet: ce n'est pas là un constat moral ou psychologique &#151. ne se contentent pas de faire de lui un pantin et font entendre la même «résonance de douleur» sous l'ironie apparente. qui s'insurge quand on lui reproche de pratiquer à l'excès l'autodérision: «Je ne raconte pas des histoires contre moi-même. qui le façonnent.. semble-t-il: ni auto-. c'est-à-dire supériorité moqueuse. coïncidence entre sujet rieur et objet risible. l'humour trouve son accomplissement dans l'évocation lucide et pourtant nostalgique du passé enfantin. La définition de l'humour comme autodérision est assez classique. qui consiste entre autres à se faire plus bête qu'on ne l'est. Et par ailleurs. comme avec toutes les plantes. des erreurs sur son identité. Ce n'est jamais le cas quand la distance de l'humour creuse l'écart entre le moi décomposé. C'est ainsi que.]. Si dérision il y a. en espérant quelque part l'être réellement moins qu'on ne le fait voir [. à travers sa culture. mais elle est aussi affaire de point de vue. De nombreuses pages de L'Enfant qui. de registre. mécaniques.).. autodérision? Auto-ironie? Pas seulement. mais plutôt une propriété. est un «moi» autre qu'un simple état antérieur de la personnalité du sujet écrivant. figés.] le bonheur de l'enfance de recevoir des coups» — réplique qui relève de l'humour en raison de sa «résonance de douleur»[lxii]. fragmenté de l'enfance et le moi affermi. contre notre petit royaume du je. D'abord parce que le moi risible n'est nullement objet de dérision: quand il s'agit des souffrances de l'enfant (et l'on rit en effet des toilettes ridicules dont sa mère l'affuble. qu'il y a parfaite identité. etc. L'humour est autre chose. En outre. pourraient illustrer cette définition.suppose qu'il s'agit du même. Le je-personnage. ce moi risible du je-personnage est toujours représentatif. ni dé-rision. «forme paradoxale d'autodéfense». rire qui rabaisse. instance re-figurée par la fiction. du XXe siècle celui-là. ce n'est pas le moi en tant que tel qui en est la cible.. construction rétrospective. dans L'Insurgé. cette mise à distance humoristique d'un moi passé.. Romain Gary. C'est ce que dit un autre grand écrivain humoriste. qui éloignerait l'humour du registre polémique[lix].»[lxi] L'humour comporte pour cette raison une part de douleur et de sympathie étrangère à l'ironie. On la retrouve chez Gérard Genette:«D'où la capacité de l'humour — bien plus que de l'ironie — à l'autodérision. ce que le propos de Gary peut faire penser —. Et c'est pourquoi le moi du lecteur peut s'y reconnaître. chez Vallès. La distance est temporelle. mais contre le je. d'écriture. qui reproduisent les injustices et les préjugés d'un système social répressif.à lui. L'humour fait ça très bien. entre la voix qui reprend à son compte le discours parental (du type: «Ma mère a bien fait de me battre») et cette autre voix qui fait entendre au lecteur le propos contraire. réunifié de la narration présente. un rappel à l'ordre.. n'est pas seulement dé-rision ou ironie. [. Alors. de la société dont il est victime[lxiii].]. C'est cette autodérision. l'humour vérifie la définition qu'en donne Kierkegaard dans le Post-Scriptum aux Miettes philosophiques: il tient à cette faculté que possède l'adulte de percevoir. il n'y a plus alors cette distance de soi à soi qui en était la condition et la matière même. que résument des formules comme celle-ci: «[. bloquée dans une conception archaïque de la métaphysique. tout à l'heure. comme dans l'ironie. — Je vous ai demandé. combien il y a de facultés de l'âme? Moi. en ce sens que l'énonciateur ridicule n'y a pas d'identité spécifiable. une «dissociation» qui affecte l'instance énonciative. Si l'on peut voir dans l'humour. Ce paradoxe — qui consiste à associer une forte identité individuelle. agitation au banc des examinateurs! Il y a un revirement général. (D'une voix ferme): Combien y en a-t-il? Il a l'air d'un juge d'instruction qui veut faire avouer à un assassin. pas plus que d'auto-dérision. J'attends l'opinion de Gendrel. monsieur. Pi-houit!. dissocié du locuteur-narrateur. on peut s'interroger à la suite d'Oswald Ducrot sur l'identité de «l'énonciateur ridicule» qui résulte de cette dissociation: «On pourrait [..»[lxvi] Voilà Vingtras recalé. est à la fois un personnage fortement individualisé (support «incarné» en Jacques Vingtras) et un carrefour de voix: l'énonciateur (distinct du locuteur) est lui-même instance polyphonique. professeur de philosophie de province quelque peu méprisé par ses collègues parisiens. Il me regarde bien en face. monsieur. comme il s'en produit quelquefois dans les foules. c'est moins son erreur à lui. sans support. vous avez à nous parler des facultés de l'âme. — Vous dites qu'il y a huit facultés de l'âme? Vous ne faites pas honneur à la source des hautes études à laquelle monsieur de doyen vous félicitait si généreusement de vous être abreuvé. qui interroge. .Exemple : à l'examen. Gendrel. et l'on entend: Huit. Ce qui fait rire. huit. il se place hors contexte et y gagne une apparence de détachement et de désinvolture. — Monsieur. abasourdi: — Il y en a HUIT. C'est M. bien sûr. Nous n'en avons que sept en province. caisse de résonance de multiples discours risibles qu'il reproduit sans les reprendre vraiment à son compte. du fait de la fiction romanesque et du récit autodiégétique. facteur de sympathie et d'identification.] définir l'humour comme une forme d'ironie qui ne prend personne à partie. on interroge le candidat Vingtras sur les facultés de l'âme. il y en avait peut-être huit. Stupeur dans l'auditoire. le locuteur semble alors extérieur à la situation de discours: défini par la simple distance qu'il établit entre lui-même et sa parole. Dans le collège de Paris où vous étiez. et l'humoriste ne se contente pas de rire de soi — ce qui réduirait encore le comique à un travail négatif.. «l'énonciateur risible». ou d'un cavalier qui enfonce un carré avec le poitrail de son cheval. que le formalisme et le dogmatisme de l'Institution. huit.. au caractère «anonyme» des discours reproduits ou représentés — confirme qu'il ne s'agit pas de dérision.. Or il n'a fait que reproduire ce qu'il avait appris d'un autre professeur.. ridicule par le décalage entre le contenu idéaliste de l'enseignement et la mesquine vanité des professeurs qui règlent leurs comptes. L'humour ne se confond donc pas avec l'autodérision: il ne se contente pas de rire de. alors.. La position visiblement insoutenable que l'énoncé est censé manifester apparaît pour ainsi dire en l'air. Présenté comme le responsable d'une énonciation où les points de vue ne sont attribués à personne.»[lxvii] Chez Vallès. dans le cadre de cet atelier.Mémoire textuelle. dit ma mère. . enfin: l'adhésion du lecteur à l'humour vallésien suppose un cadre de références partagé. . close sur elle-même. Dans le parcours de Vallès-Vingtras. L'humour. de rappels. des valeurs ancrées dans l'Histoire. lui. il semble que l'humour prenne souvent la forme d'une brève histoire drôle. s'intéresser à l'humour propre à cette forme brève qu'est la nouvelle. l'écart originel entre mère paysanne et père professeur engendre une contradiction interne qui nourrit le mal-être du narrateur-personnage: c'est là la source de multiples effets comiques dont l'humour du récit opère la synthèse dans un livre irrigué par la verve populaire. pour finir. en forme de proposition ou de problématique pour des pistes futures. croise un professeur de lettres classiques: — Quelle imagination il a. Le régime temporel de la blague. c'est l'instant: la blague n'a pas de passé. la culture et la nature. d'introduire entre les épisodes un jeu d'échos. se comprendre. Du côté de l'écriture de soi. ainsi. de cette mémoire rieuse. d'effets d'annonce. n'est pas seulement comique mais humoristique parce qu'elle est racontée dans le contexte plus large des misères d'un bachelier crève-la-faim. Et l'on a pu. anonyme. Deux exemples rapides. dynamique. qui tente de réunir l'écrit et le vivant. une même conscience de la continuité qui relie le Badinguet du Deux-Décembre au Thiers de la Semaine sanglante. politique et historique. La Trilogie est alors ce que j'ai appelé ailleurs un «livre du rire et de la mémoire»: elle nous enseigne que l'humour ne peut s'interpréter. d'abord. elle ne fait pas appel à une mémoire personnelle. émane d'une subjectivité qui requiert la connivence du lecteur et qui se reconnaît à des valeurs constantes. il reste à éclaircir ce paradoxe énoncé plus haut: l'humour de la Trilogie inscrirait le discontinu dans la durée. dont le point de vue est mimé de l'intérieur en même temps que mis à distance. * En effet.Mémoire personnelle ensuite: on reconnaît dans l'humour l'unité de ton d'une subjectivité unique et singulière. de surplomp vis-à-vis du moi passé. Mme Vingtras. loin d'être close. remarque Daniel Grojnowski[lxviii]. Dans les exemples rencontrés. se savourer.Par l'effet de détachement. interne au récit: celle qui permet de mettre en rapport les scènes comiques entre elles. Maintes allusions renvoient à cette conscience collective. «L'effet comique est souvent associé à la brièveté». et ce sera mon dernier point. La moindre histoire drôle. . dans L'Enfant. et quelle facilité! Minerve est sa marraine! — Tante Agnès. ballotté par des forces contradictoires. lui conférant une puissance non pas polémique (qui supposerait une cible précise au moment de l'écriture et/ou de la lecture) mais critique (qui suppose une conscience aiguë des contradictions sociales dans le temps). qui loin de contredire ou de tempérer l'humour lui donne sa gravité. positif. par la posture ambiguë de ce je. qui s'étend à l'ensemble du récit et qui se reconnaît à l'épreuve de la durée. pas de lendemain.Mémoire culturelle. qu'en fonction d'une mémoire commune à l'auteur et au lecteur qui tisse une complicité dans le procès de la communication littéraire. d'une saynète efficace en vertu même de sa brièveté. s'inscrit dans un processus de formation et de libération que scande la succession des chapitres. il me semble au contraire que l'humour se construit et se perçoit sur une longue durée[lxix]. Cette mémoire est triple (au moins): . La scène du faux viol de Mme Entêtard. une même mémoire de 1789 et de 1848. l'humour a un pouvoir structurant. au cas du génitif. il requiert une poétique de l'effet-idéologie qui lui est propre. «Humour au XVIe siècle»). s'agissant de la génitrice. à la voix qui la commande. n'est évidemment pas innocent et pose tout particulièrement la question de l'origine. quand on s'intéresse à l'unité de l'oeuvre.. Car la désinence en — téton. interprété différemment selon le code socio-culturel. D'abord. Après un premier moment qui correspondrait à la naissance de l'humour humaniste et baroque (cf. Mon père était de taille moyenne. la mémoire culturelle et historique qui nourrit une conscience critique du système scolaire sous la monarchie de Juillet. succéderait de ce point . plutôt petit. le moment de Montaigne[lxxiii].— Tantagnès. au contrat de lecture qu'elle propose. La question de l'humour ne peut être traitée dans une perspective seulement formelle. politiques qui le soustendent.. le paradoxe. de la voix et du temps. Si l'humour met en oeuvre certaines figures privilégiées (la syllepse. fait Mme Vingtras. idéologiques. Tantagnététon. c'est pourquoi il ne s'analyse pas sur le même plan que la blague ou l'ironie. mon grand-père était appelé Bas-du-Cul dans son village. * Au terme de cette analyse. précisément parce que le détachement de l'humoriste envers les imperfections du monde n'est pas l'indifférence du blagueur. qui semble effrayée par une de ces consonaces. consiste à prendre au pied de la lettre l'expression figurée du compagnon de cellule républicain.. Mais elle est surtout le moyen de désacraliser. L'humour est alors «polymnésique»: il superpose plusieurs mémoires et ne saurait se réduire à un rire dépréciatif. centrales au demeurant.. classique. ces géants. Deuxième remarque: l'écriture de soi est un domaine privilégié d'accomplissement de l'humour en littérature. la lecture de Vallès conduit à formuler deux remarques sur le projet d'une «définition» de l'humour. le culte de la Révolution dont se méfie l'auteur.»[lxxi] La plaisanterie. — Vous dites.. l'hyperbole.. le discours républicain ampoulé. Enfin. par le rabaissement grotesque. et a rougi du génitif pluriel!»[lxx] Le comique tient au dialogue de sourds entre les préoccupations familiales de l'une et le savoir de l'autre: le double signifié de Tantagnès. quel sein il a mordu. Tantégnétos. quand dans L'Insurgé le narrateur semble simplement blaguer les propos d'un nostalgique de 93. L'humour véhicule ce que Philippe Hamon appelle de «l'évaluatif»[lxxii]. C'est alors une mémoire commune qui permet d'apprécier l'opposition vigoureuse entre la vraie tradition populaire (le «Bas» du Réel) et la glorification artificielle du Passé (les grands Mots de l'Idéal). « — Nos pères. le souvenir de la scène inaugurale où Jacques se demande s'il a été nourri par sa mère. excluant toute réflexion sur les références morales. fait rire à cause de l'incompréhension de Mme Vingtras comme du réflexe mécanique du professeur. Je n'ai pas de géants pour ancêtres. la litote. sans doute faut-il autre chose: la mémoire textuelle qui relie cette scène à d'autres scènes où l'inculture de la mère entraîne des confusions risibles.). l'humour ne saurait se prêter à une analyse seulement stylistique ou rhétorique. il comporte des présupposés moraux et politiques qui déterminent son sens et sa nature même d'humour. et pas seulement une approche narratologique des questions. il ne se comprend vraiment comme tel qu'à un niveau supérieur d'organisation discursive et narrative. qu'il peut d'ailleurs parfaitement intégrer comme des moments ou des figures partielles de son processus. et la mémoire «personnelle». Mais pour que le lecteur perçoive l'humour de ce dialogue. p. Mais le «dédoublement» énonciatif propre à l'écriture de soi offre sans doute des conditions particulièrement propices à la mise en &#156. p.ur gros comme ça: Jules Vallès». E. et ma Préface de L'Enfant pour l'édition «Folio» (Gallimard. «Que sais-je?». [ix] Lettre à Emile Zola du 28 février 1877. 67. p. Europe. (lettre de 1877). et jusqu'à François Weyergans[lxxiv]). p.. p. 1981. «Humour et poésie dans Noé».uvre de cette conscience «distanciée» de soi et du monde par laquelle peut se définir l'humour. [v] Michel Tournier. octobre 1985 (Actes du colloque international de Saint-Etienne 1985). [vi] Robert Escarpit. 177-189. n° 20. Par son écriture narrative révolutionnaire et par sa situation — entre l'épuisement de la blague et la prise de conscience d'un rire d'un nouveau genre — Vallès me semble bien marquer l'avènement de cet humour moderne vers 1880. PUF. «Un c&#156. rééd.-C. n°470-472. 198-199). José Corti. p.de vue un second moment. [ii] L'analyse s'inscrit ici dans la continuité de mes travaux antérieurs sur cette question: voir D. 1968. p. 71. 1877. juin-août 1968. Mercure de France. Gallimard. «Jules Vallès». *** [i] Jacques Chabot. 5-29. L'Humour. «Ecrivains d'hier et d'aujourd'hui». Publications de l'Université de Provence.ni qu'il n'y ait pas d'humour dans d'autres champs génériques. 61-73. éd. n° 2. chez le Gary de La Promesse de l'aube.. p. chez Colette. 402. [x] Lettre à Hector Malot. in Le Vol du vampire. [vii] Daniel Grojnowski. p. R. 1997. [viii] Ibid. Ce qui ne veut pas dire que toute écriture de soi soit humoristique. in Giono: l'humeur belle. 251. Labouret. 183. p.. juin 1995 (numéro spécial «Vallès ridens»). [iv] Ibid. p.Les Amis de Jules Vallès. Correspondance avec Hector Malot. 2000). «Rire et Révolution: aspects de l'humour dans la Trilogie». «Folio Essais». aux XIXe et XXe siècles (chez Vallès. 1992. Jules Vallès. 212. «Folio classique». L'esprit fumiste. 1960. F. Seghers. «Le Livre du rire et de la mémoire». chez le Giono de Noé. M. Je remercie Yann-Loïc André de m'avoir fait bénéficier de ses savoirs sur ce rire «fin de siècle». Aux commencements du rire moderne. Les Amis de Jules Vallès. [iii] Marie-Claire Bancquart. 174. 72. . [xi] Ibid. Bancquart. p. 272. manifeste (XIXe-XXe siècles). 2002. 140-149. Louvain. Hamon. [xxviii] Ph. 193. Les Amis de Jules Vallès.urs de la «vie parisienne» sous le Second Empire. p. 51). manifeste. 98. citée. lettre à Mlle Leroyer de Chantepie du 24 janvier 1868. 106-107. Actes du colloque de Grenoble. [xv] Ibid. de 1873. p.. utopie». éd. Labouret. juin 1995. [xix] Philippe Hamon. 17 septembre 1865. L'Art du roman.» (Lettre de Junius. citée. [xxv] Flaubert. La Chasse au Snark. PUF. op. [xvii] Courrier du dimanche. Hachette. blague. la vie et la mort». 2001. p. [xx] Nathalie Preiss. 14 décembre 1867. p. Le Vocabulaire des m&#156. . 144. Lise Dumasy et Chantal Massol. in Pamphlet. p.[xii] Ibid. p. p. [xxiv] Ibid. Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle. 355.. p. Les Victimes du Livre. dir. [xxvii] Jean-René Klein. [xvi] «Il faut qu'il y ait eu des larmes dans les yeux clairs des pamphlétaires. 97. (lettre de 1879). art. [xxi] Voir notamment: R. «La blague. L'Ironie littéraire. 1986. 1996.. 1976. cit. IX. Pour de rire! La blague au XIXe siècle. p. cit. utopie. 2001. 143.. Vallès. éd. p. lettre à Louise Colet du 7 octobre 1852. Nauwelaerts. op. Gallimard. et «Jules Vallès journaliste et romancier: pamphlet. in Les Victimes du Livre. D. «Perspectives littéraires». éd. [xviii] Pierre Larousse. Hamon. (lettre de 1878). p. [xiv] La Rue. 214. éd. 5 et suiv. p. 142. [xiii] Ibid. Bellet. [xxii] Flaubert. [xxiii] Ph. L'Harmattan. «Humour». p. t. Essai sur les formes de l'écriture oblique. [xxvi] Milan Kundera. in J. Ecrits sur la littérature. p.. 81 et suiv. in Les Victimes du Livre. n° 20. p. t. Bibliothèque de la Pléiade.. [xxxii] Ibid. 917. citée. 60. 145. t. Bellet. qui consiste comme elle en une «production fictionnelle d'un comique involontaire» (Figures V. la vie et la mort». 6. 399-400. 914. p. [xxx] Gérard Genette signale le «caractère généralement anonyme» de la blague. [xxxiii] Le Bachelier. Bellet. II. [xxxiv] R. p. p. pour la rapprocher de la comédie. «Jules Vallès journaliste et romancier: pamphlet.uvres. «La blague. R. in &#140. p. citée. 7 décembre 1879. art. [xxxv] L'Insurgé.uvres. [xli] Voir sur ce point R. t. t. cit. «La blague. [xliii] L'Insurgé. II.. 2002. in &#140. p. utopie».uvres. II.. in &#140. [xxxviii] Ibid. [xl] Le Testament d'un blagueur (publié dans La Parodie d'octobre à décembre 1869). éd. cité. 88. Bibliothèque de la Pléiade.[xxix] Ibid. p. manifeste. [xxxi] N.. Preiss. p. 1975. op. éd. 1097.. p. cité. op. 401. 1990. 915. in &#140. Gallimard. . art. blague. I. cit. Gallimard. 510. p. p. op. cité. Bellet.uvres. art.. «Poétique». R. 163). Seuil. p. 1-2. [xxxvi] Ibid. cit.. [xlii] Le Testament d'un blagueur. la vie et la mort». [xxxvii] La Rue. p. p. [xxxix] R. 6. 1098. Bellet. éd. Bellet. éd. p. 100. [li] L'Enfant. R. p. Preiss. [lvi] L'Insurgé. [xlix] Baudelaire. cit. cit. 225-227. 100-101. 22). op. Je est un autre. Gallimard. 1962.] y a-t-il circonstance plus favorable. la formule ainsi. à la suite de Freud: «[&#133. Classiques Garnier. op... [xlvi] Ibid. 1742. Dada. II. cit. op. qu'une bonne dichotomie? que la conscience d'être double?» (L'Arc-en-ciel des humours. 198-199. t. cit. p. [lv] «La Caricature»..uvres. éd. p. H. op. p. 1980. [xlvii] Idée assez répandue dans les théories de l'humour. in &#140. [xlviii] Le Bachelier. 947-948. Jarry.uvres. p. Vian. p. op.. [lii] Ibid.. p.. Hatier. 98. cit. 887-888. p. [liii] L'Insurgé.. b p. 160-161. 652 et var. [lviii] Le Bachelier. par exemple. t.. cit. p. éd. [l] M.. Bibliothèque de la Pléiade. [xlv] Ibid. «Brèves Littérature». 585.[xliv] N. Le Figaro. 251. op. etc. in &#140. «Poétique». Bellet. éd. Lemaitre. Dominiquez Noguez. Tournier. «De l'essence du rire et généralement du comique dans les arts plastiques». [liv] Philippe Lejeune. op.. p. in Curiosités esthétiques.. 1990. Seuil. p. p. I. p. . 308. 23 novembre 1865. 583 et 587588. p. dans cette volonté de se tenir soi-même à distance et de saisir les affres de son propre moi avec des pincettes. citée. [lvii] L'Enfant. cit. 2005. cit. op. [lxix] C'est ce que Kundera dit à propos de l'humour du roman. Essai sur la signification du comique. ou d'un groupe typisé contre lequel l'agression se dilue [&#133.» (La Poétique des textes. Post-scriptum aux Miettes philosophiques. 67. [lxi] Kierkegaard. in La Parole polémique. 202. [lxvi] L'Enfant. 372. op. rééd. peut-être plus difficile à cerner dans la mesure où il a davantage d'implications socio-culturelles. Nathan. 927. [lxiii] Jean Milly voit dans l'humour une forme d'ironie qui prend pour cible l'émetteur &#151.. 1949. p. [lxiv] Bergson.]. 212. rééd. l'humour est moins une arme mise au service d'une argumentation efficace que la mise en scène énonciative d'un sujet lucide sur ses propres faiblesses. Le Rire. La nuit sera calme. «moderne». 215). trad. cit. de l'humour juif. op. L'objet risible ne serait pas tant le moi que le groupe qui l'inclut. Gallimard. Mais c'est très souvent une ironie catégorielle. dir. [lxv] En ce qui concerne la portée polémique respective de l'ironie et de l'humour. 1982) pour situer l'ironie du côté de la satire (le rire moqueur.. p.). p. cit. p. 1992. Gallimard.]. Michel Murat et Jacqueline Dangel. «classique». [lxviii] D. Ce peut être de l'auto-ironie caractérisée [&#133. p.. cette «grande invention» des Temps modernes selon Octavio Paz: «L'humour n'est pas une étincelle qui jaillit brièvement lors du dénouement comique d'une situation ou d'un récit pour nous faire rire. de l'individu qui se dresse contre l'universel. 1975. sans espoir de vaincre): chez Bloy ou Péguy. Petit. 2003. 1974. 375. Champion. 1984. p. Payot. Ecriture agonique et jeux spéculaires». p. P. 135. «Folio». Il est alors à rapprocher de la réflexivité du polémique (voir D. Grojnowski. [lxvii] Oswald Ducrot. 130). note p. p. cit. les remarques formulées par Bernard Gendrel et Patrick Moran au cours du débat qui a suivi cette communication incitent à s'inspirer de la différence établie par Marc Angenot entre satire et pamphlet (dans La Parole pamphlétaire. PUF. 1940. qui prend pour cible le particulier au nom de l'universel) et l'humour du côté du pamphlet (le rire solitaire. Sa lumière discrète s'étend sur tout le vaste paysage de la vie. Le Dire et le dit. mais pas seulement: «Discours de dérision lui aussi [&#133. visant un groupe auquel appartient l'émetteur: ainsi de l'humour britannique. cit. p.» (Le Rideau. soit la norme à laquelle on peut la rattacher s'étend à l'humanité entière. [lxxi] L'Insurgé. «Le polémiste au miroir. p.. op.. p. l'humour peut être caractérisé par l'implication du sujet-émetteur dans la cible. 213. 205 et suiv. Gallimard.]. . Minuit. [lxx] L'Enfant. Genette. p.[lix] G. 372-373. 319. Gilles Declercq.. [lx] Romain Gary. Labouret. Ce caractère catégoriel prend son maximum de généralité quand soit la cible. op. chapitre «Comique et brièveté». [lxii] Ibid. suscite les rires du perroquet de Félicité lorsqu'il vient en visite. grâce à cette conscience qui le maintient à distance à la fois du monde et de lui-même. position dont on sait par ailleurs que le locuteur L n'en prend pas la responsabilité et bien plus. Prenons l'exemple que cite Patrick Bacry[vii]: M. Bourais. L'humoriste. c'est-à-dire l'hiatus entre la réalité et les postulats éthiques et esthétiques. p. cela revient. «Ecriture». l'ironie . Pour reprendre un exemple de Genette.uvre littéraire. Cela permettrait de comprendre pourquoi un même énoncé peut être tour à tour ironique ou humoristique. le véritable humoriste. Dans les deux cas le comique provient de l'inadéquation entre le thème (jolie fille) et le propos (fait d'être sublime). d'une situation d'énonciation quasi normale où le locuteur L serait aussi l'énonciateur E (ou serait en accord avec lui) et où seule l'incongruité du contenu ferait penser que le sujet parlant S est distinct de L. Valeurs. qu'il la tient pour absurde. 1983. si c'est le locuteur lui-même qui use de la litote. est capable. de considérer les défauts objectifs de l'existence et de la nature humaine. Sur cet humour de l'écriture de soi chez Stendhal.» (Trois essais sur le style. à présenter l'énonciation comme exprimant la position d'un énonciateur E. B. cite un vers des Plaideurs. Shakespeare) aux arts plastiques: «C'est le satiriste. voir Béatrice Didier. pas l'humoriste. si bien qu'il est chaque fois obligé de se cacher: «[…] les regards qu'il envoyait à l'oiseau manquaient de tendresse». l'hyperbole et la litote créeraient le décalage nécessaire à l'humour et à l'ironie. [lxxiii] «Moment» qu'Erwin Panofsky élargit à celui d'un «sens de l'humour»baroque qui s'étend de la littérature (Cervantès. p. 96).[lxxii] Voir Ph. il y a humour (ce n'est pas parce qu'il s'agit de Flaubert que nous sommes obligatoirement en situation d'ironie).]. Denis Labouret laudative soulignant la bonne tenue des lieux) qui fait rire (jaune). même exagéré. «Cela fait toujours passer une heure ou deux»[ix]. Nos deux figures ne seraient donc pas seulement du côté de l'humour. «Ecrivains». voire métaphysique. Gallimard. 1984. inadéquation introduite par l'hyperbole. deux possibilités – en régime non sérieux – s'offrent à nous. On se souvient de la définition donnée par Ducrot de l'ironie: Parler de façon ironique. Texte et idéologie. personnage d'Un Cœur simple. Bourais). non seulement excuse. Hamon. préfigure l'humour «moderne». Turle. [lxxiv] Et probablement dès Stendhal. et de dépasser subjectivement cet hiatus (le sens de l'humour étant donc une qualité réellement baroque) dans la mesure où il comprend qu'il est le résultat d'une imperfection universelle. Soit le locuteur se moque ici du discours ampoulé d'un autre et fait mention de ce qu'il a dit ou de ce qu'il aurait pu dire[vi] (attitude polémique ou d'opposition). Pour la litote le principe est le même. mais tout dépendrait après de la situation d'énonciation.Le propos «manquer de tendresse» est en décalage avec le thème (regards haineux de M. à propos de la torture qu'«un conseiller de la Tournelle» fait donner à un accusé. inscrite dans l'organisation de l'univers. dont la Vie de Henry Brulard présente un cas d'humour «égotiste» qui. hiérarchies et évaluations dans l'&#156. Si le locuteur prête ici le discours à un autre que lui et se moque de cette façon de s'exprimer il y a ironie (c'est l'opinion de Patrick Bacry). PUF. s'opposant aux modèles de Rousseau et de Chateaubriand. trad. par opposition au satiriste. lorsqu'on dit d'une jolie fille «elle est sublime». PUF. et il y a alors humour (attitude de plaisanterie ou de conciliation). qui se juge plus fin et meilleur qu'autrui. 250 et suiv. mais compatit profondément avec l'objet de sa raillerie [&#133. Pour résumer. Stendhal autobiographe. «Le Promeneur». 1996. en même temps. Soit le locuteur assume lui-même son propos. malgré le décalage thème/propos. Ainsi. Lorsque Voltaire. pour un locuteur L.[viii] Pour l'humour il s'agirait au contraire. En fait. Genette. La figure inverse. décalage assumé par le locuteur lui-même. qu'il considère comme deux figures inverses. l'épitrope («exhortation à persévérer dans une conduite condamnable. en grande cérémonie. ne serait-ce qu'en raison des œuvres bâties sur ce principe – œuvres considérées depuis longtemps comme typiquement humoristiques: «C'est aussi [le procédé] des célèbres textes de Swift déjà mentionnés. c'est un été à San Francisco» (Mark Twain). comme le rappelle Genette. il est possible de le considérer comme humoristique: il y a bien décalage entre le thème et le propos. On peut par contre imaginer une situation à la Ambrose Bierceoù le locuteur dirait: «Hier j'ai décidé de tuer toute ma famille. Cela ne veut pas dire néanmoins que l'astéisme ne puisse jamais accueillir l'ironie: l'astéisme est seulement. Suivant Kerbrat il semble mettre l'astéisme du côté de l'ironie (mais d'une ironie sans moquerie) tandis que l'épitrope serait plutôt du côté de l'humour. une figure de décalage. c'est double peine.est évidente puisque le propos (qui fait mention d'un passe-temps) est non seulement en décalage avec le thème (la torture) mais est en plus mis au compte d'un énonciateur (le conseiller de la Tournelle) différent du locuteur. Ces phrases selon notre définition seraient donc tout aussi humoristiques que les citations de Vialatte et du pseudo-Bierce. pour le second. au départ.» En fait. Le locuteur prend à son compte la déclaration incongrue et c'est entre le locuteur et le sujet parlant que s'est déplacée la distinction (on peut imaginer qu'Ambrose Bierce n'appelle pas réellement au meurtre comme passe-temps). comme l'hyperbole.» (Péguy). qui. c'est le procédé de Voltaire.[xi] Le «paradoxisme» (évoqué aux pages 221-223) obéit à peu près au même principe puisqu'on joue sur une pensée établie en en empruntant le thème mais en en modifiant le propos: «Le pire hiver que j'aie connu. On peut imaginer un journaliste ami de Zola s'écriant à la sortie de L'Assommoir «Quoi? encore un chef-d'œuvre! N'était-ce pas assez des grandes œuvres délétères que vous avez déjà publiées?» Le reproche cache ici un compliment (le locuteur pense «chef-d'œuvre» et non «œuvre délétère») mais comme il y a mention des paroles d'un autre (représentant de la critique littéraire). en dehors même de la théorie avancée par Genette. Instructions aux domestiques et Modeste proposition. consiste à «déguiser un compliment en reproche ou en critique»: «Quoi? encore un nouveau chef-d'œuvre! N'était-ce pas assez de ceux que vous avez déjà publiés? Vous voulez donc tout à fait désespérer vos rivaux» (Fontanier). justement tenus pour des classiques de l'humour – noir. se moque. les sages du pays n'avaient pas trouvé un moyen plus efficace pour prévenir une ruine totale que de donner au peuple un bel auto-da-fé. «Le kantisme a les mains pures mais il n'a pas de mains. [x] tout autant que de Swift: Les maîtres et maîtresses querellent communément les domestiques de ce qu'ils ne ferment pas les portes après eux. ou du moins regrettable pour le locuteur») est aussi ambivalente. l'astéisme et l'épitrope. le plus court et le plus aisé est de ne faire ni l'un ni l'autre. en passant. Il est étrange que Genette ne range pas cette forme dans la catégorie de l'humour puisqu'elle semble illustrer sa théorie de l'antiphrase axiologique: on ne nie pas ici le fait (il a écrit un chef-d'œuvre) mais l'enthousiasme qui devrait s'ensuivre. Cela fait toujours passer une heure ou deux». Dans le premier exemple l'absurdité semble assumée par le locuteur. Ce qui n'est pas le cas du deuxième exemple où . mais ni les maîtres ni les maîtresses ne réfléchissent qu'il faut ouvrir ces portes avant de pouvoir les fermer. il était décidé par l'université de Coïmbre que le spectacle de quelques personnes brûlées à petit feu. le meilleur moyen donc. est un secret infaillible pour empêcher la terre de trembler. L'astéisme classique. et que fermer et ouvrir les portes. Après le tremblement de terre qui avait détruit les trois quarts de Lisbonne. Ici l'humour (noir) est évident. ne veut pas choisir (il emploie «caustique» au lieu d'ironique ou d'humoristique) semble tout de même à la fin mettre l'épitrope du côté de l'humour. nous sommes dans un cas d'ironie. Aux pages 202 et 206 Genette évoque deux autres figures. dont le locuteur. Aucune charge ici contre un énonciateur potentiel. le premier étant plutôt rose. sauf à exclure l'absurde de l'humour. parce qu'il commence de s'affranchir de l'antiphrase en contrefaisant. est celle de «combien». mais c'est aussi tuer l'humour: à partir du moment où l'on . reprends-en». il décide de leur rendre la pareille. ou peut-être plus large. Il étudie ainsi des cas de nonsense lexical (le «Je ne suis pas Anglais. Genette lui-même n'y songe pas une seconde et consacre au nonsense une dizaine de fragments. Reste à savoir si cette figure est vraiment du côté de l'humour.» Genette s'attarde souvent à montrer que telle proposition perçue d'abord comme absurde ne l'est pas toujours complètement. s'il ne l'est pas toujours en effet». mais toujours du moins propre. absolu ou relatif. Suggérer qu'une situation n'est pas totalement absurde. Ce serait enlever ce qui en constitue peut-être la forme la plus pure (parce que complètement gratuite).Alphonse Allais) ou tout simplement sémantique («Depuis que j'ai coupé ma barbe. mais à ce compte-là il y a aussi pseudo-simulation dans l'ironie. C'est le marquis de Bièvre répondant à Louis XV qui lui demande de faire un mot à son sujet: «Sire. vous n'êtes pas un sujet». Dominique Noguez l'appelle après Fontanier «syllepse»[xii]: «prendre un mot tout à la fois dans deux sens différents. au contraire» de Beckett). 196) Le seul problème est que lorsque l'on «s'évade» vers l'absurde on contrefait également et par définition la réalité. L'ambiguïté. sur l'ambiguïté. L'absurde L'absurde ou nonsense est peut-être la partie de l'humour qui répond le moins bien à la définition de Genette. Dans ce proverbe africain d'Alexandre Vialatte«Puisque tu aimes ta maman.peut être dégagée des réflexions de la page 218 sur quelques histoires drôles: «On demande à Jean XXIII combien de personnes travaillent au Vatican: «À peu près la moitié». La raison de ces perpétuelles tentatives de «réalisation» (au sens de «rendre réel») de l'absurde tient peut-être à sa difficile conciliation avec une théorie qui fait de la seule proposition ironique une négation de la réalité. et finalement d'éviter l'affront». Nous pouvons placer à l'intérieur de cette catégorie ce que Genette appelle. Une autre figure. Sa méthode consiste le plus souvent à prendre un exemple et à examiner quel mécanisme il met en jeu. et de «travailler» («être employé» ou «mériter son salaire»). elle. Cette figure que Genette ne nomme pas. non la réalité […] mais son appréciation […]. je ne reconnais plus personne» . Thème et propos paraissent au départ incongrus mais le décalage est vite annulé: le lecteur ou l'auditeur n'avait pas pris en fait le thème (travailler) dans le sens qui convenait (mériter son salaire). C'est Jean XXIII dans l'anecdote rapportée par Genette. le «nonsense par excès d'évidence»: «Être végétarien n'a jamais empêché d'être cocu. grammatical (emploi absolu d'«environs» dans «les environs de Paris sont les plus beaux environs du monde» . l'un primitif ou censé tel. puisqu'on feint de prendre pour réel ce qui n'est tout simplement pas possible. dont le cas typique est ce que l'anglais appelle nonsense.Léon-Paul Fargue). Impossible de sortir de ce nœud si l'on s'en tient à la théorie héritée de Bergson. plus problématique et basée. Certes il y a pseudo-simulation (la «feintise» dont parle Genette). 4. l'ambiguïté sur le sens d'«aimer» (un aliment ou quelqu'un) ne crée pas l'humour mais le renforce (l'humour naît plutôt de la présence de la mère au titre d'aliment). quoi qu'il en dise lui-même: Le cas de l'humour est plus subtil. Ainsi de la phrase de Fargue citée plus haut: «puisque personne ne le reconnaît. c'est tenter de sauver l'antiphrase axiologique. Noguez l'étend à toutes les ambiguïtés de sens et pas seulement à l'opposition propre/figuré. et l'autre figuré ou censé tel. page 216. et parce que cette feintise-là peut s'évader progressivement vers des formes de moins en moins «satiriques» et de plus en plus ludiques. répond-il».[xiii] (p. souligne Genette. Cela ne veut pas dire que la syllepse soit absente de l'humour mais elle n'en serait pas l'origine.Péguy ironise sur une philosophie dont la soi-disant pureté pousse à l'inaction («le kantisme a les mains pures» peut être mis au compte d'un défenseur de la pensée kantienne). Noguez lui-même est très prudent et semble concéder que l'on puisse la ranger plutôt dans la catégorie du mot d'esprit. qui. il reste les lions. [i] Henri Bergson. elle aussi. 135.» La forme de la maxime. P. [iii] Sigmund Freud. Cette forte concentration s'explique par le fait que l'humour. l'attention «d'un des plus grands esprits de ce temps». La banalité formelle c'est la présence au sein même du discours de cette référence à la norme. coll. que Genette effleure sans jamais la théoriser.F. 1969. (Alphonse Allais) mais pas seulement. Le Rire. nous confie M.donne une explication logique à la phrase de Fargue. «Quadrige». de Marie Bonaparte et du Dr M. [ii] Le face management est une notion qui sert à décrire toutes les mesures que prend le locuteur dans une situation de dialogue pour sauver sa face aux yeux de son interlocuteur et sauver la face de ce dernier (ou la lui faire perdre. de la recette. Genette souligne. de l'importance de la banalité formelle dans les énoncés absurdes. L'absurde n'est pas un cas isolé aux limites de l'humour. À propos de «Être végétarien n'a jamais empêché d'être cocu». Nathan. se fonder sur quelques données objectives. qui pousse le plus loin possible le décalage thème/propos. L'intérêt n'est pas de réduire ce décalage: son caractère net permet d'éviter toute confusion avec les autres formes de comique et de poser les bases d'une réflexion générale sur l'humour. du conseil. certes. et qui ne peut provoquer davantage d'hilarité. Il a attiré sur lui. il en est une forme presque pure. Quand le sable est passé. dès le départ. Le Mot d'esprit et ses rapports à l'inconscient. On pourrait reprendre cette analyse à propos de beaucoup d'exemples cités par Genette. aurait mieux à faire que de donner un regard à de Gaulle. parfois. . qui peut lui aussi. tout comme l'ironie. et dans une situation «normale» un locuteur donné fera toujours son possible pour se rehausser aux yeux des autres et pour leur éviter l'humiliation ou la gêne. l'ironie. il n'y a plus de décalage et donc plus d'objet comique. du lieu commun sont en effet des formes privilégiées de l'humour Pour la chasse aux lions: vous achetez un tamis et vous allez dans le désert. Plus intéressante est la question. Gallimard [1930].. «ça va déjà mieux que l'année prochaine»: […] la substitution la plus pertinente est évidemment celle qui dérive notre légende du non moins banal «Ça va déjà mieux que l'année dernière». Maurice Blanchot. «Idées». feint de tenir un discours normal. Le face management est un aspect fondamental du discours oral. Là vous passez tout le désert au tamis. (François Mauriac)[xiv] «A bien de la chance».[xv] La légende emprunte sa forme et son thème au lieu commun mais en change le propos (substitution – absurde – de «l'année prochaine» à «l'année dernière»). autant d'expressions communes qui accentuent le décalage avec le thème (le grand personnage historique qu'est de Gaulle). p. «aurait mieux à faire». trad. p. «donner un regard». fr. Maurice Nadeau. les utilise: Le général de Gaulle a bien de la chance. mais lui-même ne le fait qu'à propos de la légende d'un dessin de Pessin. qu'il s'agit d'une «maxime» puis ajoute: «len'a jamais accentue le trait en feignant d'objecter à une croyance la contradiction d'une immémoriale expérience déceptive. 97.U. dans un contexte d'agression). Notons que l'adjectif «insoutenable» ne signifie pas seulement «moralement condamnable» – c'est le cas de l'humour swiftien – mais aussi «logiquement intenable» – et c'est alors le cas du nonsense. [xv] Genette. [viii] Ducrot. article « Torture ». Le Livre de Poche. p. Le Dire et le dit. 219. ce dont parle un énoncé et propos pour désigner ce qu'on en dit. Éditions de Minuit. Bernard Gendrel et Patrick Moran . p. p. [vii] Patrick Bacry. [x] Voltaire. p. 213. Belin. 26. de manière générale. 1984. 220. 211. [xiii] Genette. [xi] Swift. Les figures de style. « biblio/essais». ibid. VI. J'emploierai thème pour désigner. ibid. [v] J'emprunte la distinction thème/propos sans la réduire pour autant au niveau phrastique. Dictionnaire philosophique portatif. Candide. L'arc-en-ciel des humours. [xii] Dominique Noguez. 196. [vi] L'hyperbole joue alors le rôle de marqueur d'ironie. [ix] Voltaire. p. [xiv] Bloc-Notes du 10 juillet 1959. collection « Sujets ». Instructions aux domestiques.[iv] Oswald Ducrot. p. ibid.
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