FT_05

March 24, 2018 | Author: Max Verardi | Category: George S. Patton, Military Strategy, Communication, Information, French Indochina


Comments



Description

FT-05L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques 2 L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques SOMMAIRE PRÉAMBULE p. 6 I - ADAPTER SON COMMANDEMENT AUX CONDITIONS DE L’ENGAGEMENT ET A SES OBJECTIFS STRATÉGIQUES p. 8 11. LE CONTINUUM DES OPÉRATIONS IMPLIQUE DES CONDITIONS ÉVOLUTIVES DE L’EXERCICE DU COMMANDEMENT p. 8 12. INSCRIRE RÉSOLUMENT SA MISSION DANS UN CADRE QUI CONCERNE TOUS LES ACTEURS p. 10 121. La manœuvre est globale et les interlocuteurs des chefs tactiques ne sont pas tous militaires p. 10 122. La multinationalité des engagements devient la règle p. 12 123. Alors que l’engagement aéroterrestre est interarmes, il ne se conçoit cependant pas autrement que dans un cadre interarmées, y compris au niveau tactique p. 14 13. IL FAUT RESPECTER DEUX IMPÉRATIFS MAJEURS p. 15 131. Intégrer la responsabilité juridique des décisions de commandement p. 15 132. Communiquer en cours d’action, à son niveau de compétence ou de responsabilité p. 16 14. OPTIMISER ET DOMINER LES NOUVELLES TECHNOLOGIES p. 17 4 21. LE COMMANDEMENT COMPORTE DES ASPECTS IRRATIONNELS MAIS IL EST ÉGALEMENT UNE SCIENCE p. 20 22. SAVOIR DIFFÉRENCIER LES DEUX GRANDES TENDANCES DU COMMANDEMENT p. 21 221. Commander par ordre 222. Commander par objectif p. 22 p. 23 23. DONNER SON INTENTION : LE MEILLEUR MOYEN POUR LE CHEF DE RÉDUIRE L’INCERTITUDE EN FAVORISANT L’INITIATIVE DES ÉCHELONS SUBORDONNÉS p. 27 III - APPLIQUER ET COMBINER SIX PRINCIPES DE COMMANDEMENT 31. 32. 33. 34. 35. 36. SIMPLICITÉ UNICITÉ PERMANENCE ET CONTINUITÉ SUBSIDIARITÉ ET DÉCENTRALISATION DIALOGUE DE COMMANDEMENT PROXIMITÉ p. 35 p. 35 p. 36 p. 36 p. 38 p. 38 p. 40 p. 41 p. 41 p. 42 p. 43 p. 43 p. 44 p. 45 p. 46 p. 46 p. 47 p. 49 p. 50 IV - LES QUALITES DU CHEF 41. COURAGE, RESPONSABILITÉ ET CONFIANCE EN SOI 42. ÊTRE DOUE D’INTUITION 43. CAPACITÉ A GAGNER LA CONFIANCE 431. Des subordonnés 432. Des supérieurs 433. Des voisins et alliés 434. Des acteurs non-militaires 44. 45. 46. 47. SENS DE L’INTÉRET GENERAL PERSUASION ET CRÉDIBILITÉ DISCERNEMENT SÉRÉNITÉ CONCLUSION p. 52 L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques 5 II - COMMANDER EN DONNANT UN BUT A TRAVERS p. 20 L’INTENTION DU CHEF Cette évolution est décrite dans le document fondateur du corpus doctrinal de l’armée de Terre sur l’emploi des forces terrestres dans les conflits aujourd’hui et demain. Néanmoins. 2 et 3).L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques PRÉAMBULE L es conditions d’emploi de la force armée ont évolué. l’action militaire terrestre répond désormais aux trois finalités tactiques décrites dans le manuel de tactique générale (FT 02) : contraindre l’adversaire. 6 . Dans un contexte où la tactique a retrouvé son importance. le FT 01 (« gagner la bataille. l’action militaire ne représente désormais qu’une ligne d’opérations parmi d’autres. un choix entre l’efficacité tactique (la nécessaire audace) et la juste prise en compte des risques au combat (l’indispensable prudence). EMP 60 631 (méthode d’élaboration d’une décision opérationnelle). afin de disposer de principes de commandement opérationnel. contrôler le milieu et influencer les perceptions. Le commandement étant intemporel par essence. Dans les engagements les plus probables. 2 Livre vert « l’exercice du métier des armes dans l’armée de Terre ». ce document se focalise donc sur les mutations et constantes identifiées dans l’exercice du commandement en opérations. 903 et 904 (fonctionnement des PC des niveaux 1. le moment venu. conduire à la paix »). à l’instar de ce qui existe chez nos principaux alliés. il convient de ne pas perdre de vue la spécificité du commandement en opération qui intègre toujours. les fondements du commandement en opération sont indissociables de ceux du temps de paix et les uns interagissent sur les autres. Toutefois. C’est pourquoi. il ne s’agit pas ici de réécrire les documents existants1 ou de revisiter les fondements et principes du métier des armes dans l’armée de Terre qui ont déjà fait l’objet d’un document complet et fouillé2. mais d’exposer dans un document de doctrine l’exercice du commandement pour les chefs tactiques français en opérations. TTA 902. 1 TTA 956 (organisation du commandement). à leur échelon. d’une brigade. Il s’adresse donc à tout officier des forces terrestres exerçant un commandement en opération.L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques 7 Ce document générique ne vise pas l’exhaustivité. . chef de peloton ou de section. Ce document est destiné également à ceux de leurs subordonnés qui détiennent. Concrètement ce document balaie l’intégralité du spectre tactique depuis le commandant de division jusqu’aux plus bas échelons tactiques. à la tête d’un état major de force (EMF). d’un régiment ou d’une unité élémentaire. Il peut s’agir d’officiers assurant un commandement organique à vocation opérationnelle. une part de responsabilité significative. Il s’adresse à tous les chefs investis officiellement d’un commandement. La phase de stabilisation quant à elle. la stabilisation puis la normalisation.  Le succès de cette phase qui s’inscrit nécessairement dans la durée. La phase initiale d’intervention correspond à celle où le commandement repose le plus souvent sur des aspects militaires combattants. Elle est éminemment plus complexe. Cette phase qui met en présence des forces armées. Cela peut comporter pour le planificateur des facteurs de réflexion contradictoires.  La nature idéologique. et beaucoup plus difficile à appréhender pour ce chef qui n’est alors qu’un des nombreux acteurs présents sur le théâtre d’opérations. des situations ou des pics de violence pouvant aller jusqu’à des actes de guerre caractérisés. impose une réflexion en profondeur sur des modes de pensée et des références culturelles différentes des nôtres. inhérente aux cycles opérationnels en vigueur dans toutes les armées occidentales. cristallise les difficultés majeures. LE CONTINUUM DES OPÉRATIONS IMPLIQUE DES CONDITIONS ÉVOLUTIVES DE L’EXERCICE DU COMMANDEMENT. doit être planifiée à l’aune des phases de stabilisation et de normalisation qui suivent. Dans ce 8 . par l’empilement de contraintes souvent antagonistes. voire religieuse des conflits. Il reste que le passage d’une phase à l’autre est difficile à percevoir et que les phases de transition peuvent durer : l’intelligence des situations par le chef tactique s’avère donc une qualité essentielle. conventionnelles ou non. dans des proportions variées. toujours difficile à réaliser en raison de la rotation permanente des chefs et des unités. Les engagements opérationnels d’aujourd’hui sont très schématiquement caractérisés par trois grandes phases au sein d’un même continuum : l’intervention. pour le chef. ADAPTER SON COMMANDEMENT AUX CONDITIONS DE L’ENGAGEMENT ET À SES OBJECTIFS STRATÉGIQUES 11. repose sur la continuité et la permanence de l’action. à laquelle les mentalités occidentales sont peu ou pas préparées. simultanément à des situations plus calmes voire stables. car elle se caractérise. Chacune d’entre elles comporte.L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques I. souvent en zone urbaine. au fur et à mesure de son développement. c’est-à-dire repenser son action en fonction des acteurs déterminants. le chef voit décroitre sa liberté d’action. . En stabilisation. D’acteur majeur. alors que parallèlement il subit un accroissement des contraintes extérieures. la place des forces armées n’est plus première et le chef militaire n’agit le plus souvent qu’en appui des autres intervenants au profit desquels il peut être amené à fournir tout ou partie des moyens dont il dispose. notamment ceux de commandement. c’est-à-dire l’état final recherché. ne permet plus d’obtenir l’omniprésence d’une force sur un théâtre. au sein des populations. notamment la nécessaire adaptation du chef militaire au contexte dans lequel il agit et donne du sens. change fondamentalement la donne en termes de choix des modes d’action. Cette situation conduit donc le chef militaire à combiner les modes d’action et procédés présentant le meilleur rendement coût/efficacité. civils ou locaux.  Cette nouvelle forme de guerre. le contrôle du milieu nécessite sur le terrain un déploiement permanent d’effectifs importants alors que le format réduit des armées occidentales. quelle que soit cette phase. Cela impose pour le chef militaire. Le rôle et la place dévolus au chef en opération sont évolutifs en fonction de la phase considérée de l’opération . vise à contribuer in fine à l’accomplissement d’un objectif stratégique dont l’horizon se compte le plus souvent en années. les fondements du commandement demeurent. et donc d’exercice du commandement. En revanche. voire à être contraint à prendre des risques calculés. Il doit toujours faire preuve d’intelligence de situation. il devient un acteur en appui d’autres acteurs. il est primordial de conserver à l’esprit la finalité de l’opération. un effort intellectuel considérable pour intégrer dans son raisonnement le fait que son action locale de quelques mois. Dans le contexte de retour à la vie normale (phase de normalisation). L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques 9 contexte. que d’organisations internationales ou non-gouvernementales (cadre inter agences et international). mais encore rechercher une coordination optimale avec ceux-ci. La manœuvre est globale et les interlocuteurs des chefs tactiques ne sont pas tous militaires L’action militaire terrestre. se conçoit dans un cadre global de gestion des crises. diplomatie. initiée par le niveau stratégique et planifiée par le niveau opératif. civils et militaires s’avère impérative.L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques 12. à quelque niveau qu’il évolue. La recherche de la coordination avec eux est primordiale et nécessite du temps et de la persuasion. qui mêle politique. 121. doit donc inscrire son action dans un environnement le plus souvent interministériel ou inter agences (gouvernementales ou non). complète l’ancien schéma vertical des relations de commandement. liée à leur domaine d’intérêt. économie et information. Ces autres acteurs peuvent aussi bien provenir d’administrations françaises (cadre interministériel). De la qualité des relations personnelles entretenues par le chef militaire avec ses interlocuteurs civils présents sur le théâtre d’opérations dépend l’efficacité de la synergie recherchée. il est illusoire de croire que le militaire puisse imposer et donc piloter la coordination avec des personnes et des organismes ayant une vision différente. Il lui revient donc de bien se situer par rapport à ces acteurs tout en inscrivant son action. INSCRIRE RESOLUMENT SA MISSION DANS UN CADRE QUI CONCERNE TOUS LES ACTEURS Le chef militaire. en parfaite cohérence avec les lignes d’opérations non militaires. une relation permanente plus horizontale du chef avec son environnement. le chef militaire doit non seulement tenir compte de la présence et de l’action d’autres acteurs sur le théâtre d’opérations. Dans ce cadre. interallié. La force armée n’en demeure pas moins 10 . civilisation. dès le processus de planification. Aujourd’hui. défense. et toujours interarmées et interarmes. pouvant prendre la forme d’un réseau. la mise en cohérence et en synergie de tous les acteurs. Pour autant. Les actions de toute nature doivent donc s’inscrire dans une logique d’atteinte de l’objectif politique assigné à l’opération. Ainsi. Très jalousé par l’état-major. à la ville madame Guillaumat. C’est essentiellement pour répondre à cet élargissement du cadre de son action que de Lattre s’est très rapidement constitué un «cabinet civil» qu’il a soigneusement et constamment maintenu en marge de son état-major. remplacé par Bondoux lorsque Pleven. majeur certes. et Monique Villemin. Ce cabinet est dirigé part Ludovic Tron. ce cabinet civil héritera du sobriquet moqueur de «Société des gens de Lattre». parmi d’autres sur le théâtre. On y trouve Jacques Monod. il perd la primauté et la liberté d’action qui étaient les siennes lors de la phase d’intervention et devient alors un facilitateur plus qu’un acteur. D’emblée.Cette manœuvre globale. ministre des Finances l’appellera pour diriger son cabinet. S’agissant des compétences. A ce titre. futur académicien et Joseph Kessel. du fait des contraintes de l’époque où il fallait remettre en route tout l’appareil administratif au fur et à mesure de la Libération des départements et par le principe du respect des intérêts nationaux au sein d’une coalition. . futur prix Nobel et directeur de l’institut Pasteur. future épouse de Deferre. Worms. il y impose une mixité hommes femmes. Raoul de Lamazière. auditeur au conseil d’Etat. épouse du premier ministre des Armées du général de Gaulle et le docteur Solange Troisier. L’élément féminin y est représenté par Edmonde Charles Roux. perceptible notamment au cours de la phase de stabilisation et inhérente à celle de la normalisation amène le chef militaire à jouer sur toutes les lignes d’opération dont il dispose pour contribuer à l’atteinte de l’objectif opératif ou stratégique. de la richesse et de la diversité des moyens qu’elle met en œuvre. écrivain. et de la disponibilité de ses personnels. ans le contexte de la Libération. inspecteur des finances. il les recherche hors du domaine militaire et non inhibées par un respect formel de la hiérarchie. André Chamson. interne des hôpitaux à 23 ans ! D L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques 11 le point de passage obligé de tous ces organismes compte tenu de sa position centrale sur le terrain. les attributions du général commandant la 1re Armée dépassent le cadre strictement tactique de son engagement et empiètent sur le domaine politique et administratif. aggravées par le décalage technologique pouvant exister dans le domaine de la numérisation. à qui cette citation est très souvent. la légitimité et la légalité nécessaires à justifier l’action militaire. attribuée. c’est-à-dire la connaissance mutuelle des langues et des cultures .L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques 122. ce caractère multinational des engagements constitue un autre défi à relever : l’interopérabilité multinationale. ce qui rend ce caractère multinational quasi inéluctable. à tort. 12 . d’autre part. 3 Et non pas Foch. les aspects relationnels du commandement revêtent une grande importance. Il devra aussi appréhender la manœuvre qu’il doit concevoir avec le réalisme qui convient  : une manœuvre multinationale sera conçue au niveau des unités nationales4. Pour le chef militaire. » SARRAIL À Salonique en 19163. c’est-à-dire la compatibilité de leurs doctrines et de leurs procédures. elle concerne la capacité des différents contingents nationaux à opérer ensemble. Ce constat impose donc au chef une grande ouverture d’esprit pour aborder une culture différente de la sienne. afin de mettre en œuvre les décisions de la communauté internationale en matière de sécurité collective. Celle des équipements vient enfin en corollaire de l’ensemble. Aujourd’hui. 4 Si la brigade est multi nationale et les GTIA «mono-nationaux». le niveau de conception de la manœuvre devra être limité au niveau bataillonnaire . j’admire beaucoup moins Napoléon. Elle peut s’entendre comme la prise en compte des atouts et des limites d’alliés que l’on n’a pas toujours choisis. L’organisation des Nations Unies confère dans la majorité des cas. toute conception de manœuvre à quelque échelon que l’on se place revient à faire agir. il s’agit de la capacité des hommes à se comprendre entre eux. les échelons immédiatement subordonnés. l’engagement des forces se conçoit le plus souvent dans un cadre multinational. en les coordonnant. le cadre multinational des engagements engendre donc les difficultés évoquées supra. La multinationalité des engagements devient la règle «  Depuis que j’ai commandé une coalition. Là encore. Celle-ci revêt un double aspect  : d’une part. Source de légitimité incontestable.  » E Général BRADLEY Histoire d’un soldat. n 1944. le chef doit y ajouter une certaine dose de diplomatie5. Donc. Seuls les Polonais étaient intégrés à l’échelon du C. les jugements se trouvent compliqués par un amour ardent. notamment la capacité à convaincre. il était à même de juger des effets de la multinationalité . l’état-major combiné et interallié sous le commandement d’Eisenhower. Bien que cette fidélité soit fort développée chez le citoyen ordinaire.Ce caractère multinational induit la nécessité de rechercher en permanence l’interopérabilité maximale entre les différents contingents nationaux constitutifs de la force. France). en prise directe sur SHAEF. tout en conservant à l’esprit le réalisme qui convient et en préservant les intérêts nationaux respectifs. où les soldats de plusieurs pays se réunissent en une lutte commune pour la vie. Page 12) 5 Les qualités du chef. Le jugement de Bradley n’en a que plus de poids. L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques 13 .A. on le cultive encore plus soigneusement chez le soldat de métier qui consacre sa vie à la défense du drapeau qu’il salue chaque jour. à ses qualités professionnelles.5). Gallimard. Bradley s’est vu confier le commandement du 12e groupe d’armées américain pour l’intégralité de la campagne jusqu’à la capitulation allemande. sont développées dans le chapitre 4 du présent document (§ 4. on ne peut l’ignorer. «  Même dans un état-major allié. quel que soit le soin que l’on apporte à en faire abstraction pour le bien de l’action commune. encore celle-ci était-elle toute relative puisque jusqu’au niveau armée inclus. UK. parfois jaloux de sa patrie. il s’agissait de forces purement nationales (US. A ce titre. (Paris 1952. Canada. Cela. l’action militaire s’inscrit systématiquement dans un cadre interarmées. l’action tactique de la composante terrestre s’inscrit dans un cadre opératif où la coordination des différentes composantes est une impérieuse nécessité. Pour ce faire. après transfert d’autorité au commandant de la force sur le théâtre. milieu fréquent des engagements actuels accentue l’impératif d’interarmisation. il doit avoir une vision plus large que son seul niveau tactique et évaluer la plus-value ou les contraintes que les autres armées sont susceptibles d’imprimer à sa manœuvre. Le commandement est donc par nature interarmées. Ceci impose donc au chef tactique d’avoir en permanence le souci de cette intégration interarmées.L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques 123. La zone habitée. Le plus souvent à dominante terrestre. En outre. y compris au niveau tactique L’action aéroterrestre est par essence interarmes. laquelle peut intervenir jusqu’aux plus bas échelons sous ses ordres (cas de l’appui aérien). notamment dans le domaine des appuis et du contrôle de l’espace aérien. du fait de la décentralisation du combat jusqu’aux plus petits échelons. Les moyens militaires de ces composantes dès lors qu’ils sont planifiés pour être engagés restent toujours sous commandement opérationnel du chef d’état-major des armées. Le changement de posture entre la phase d’intervention ou de déploiement initial et la phase de stabilisation voit les actions de coercition céder le pas à celles de contrôle du milieu. il ne se conçoit cependant pas autrement que dans un cadre interarmées. 14 . La culture interarmes et interarmées que le chef doit s’être forgé tout au long de sa carrière constitue un préalable indispensable à la maîtrise de l’outil militaire. Alors que l’engagement aéroterrestre est interarmes. L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques 15 13. dans une opération dont la légalité nationale ou internationale est établie. Ce phénomène concerne tous les chefs tactiques. Il a fallu toute la résistance de l’Exécutif français pour qu’ils n’y fussent pas déférés. même au titre de simples témoins. de La Haye. La loi 2005-270 du 24 mars 2005 portant statut général des militaires fixe le périmètre des responsabilités du chef au combat. IL FAUT RESPECTER DEUX IMPERATIFS MAJEURS . Cela s’inscrit aussi bien dans le cadre du respect du droit des conflits armés que dans celui de l’application des règles juridiques nationales. tout chef en opération exerçant une responsabilité de commandement de niveau 1 à 3. engage le chef militaire dès les échelons tactiques. Dans son action le chef doit se conformer à l’esprit et à la lettre du droit des conflits armés. souvent mise sur le compte de la judiciarisation des engagements militaires. à l’issue du retrait serbe. En particulier. Intégrer la responsabilité juridique des décisions de commandement Aujourd’hui la responsabilité juridique.I.131. Dans ce cadre. L’ été 1995 en Bosnie Herzégovine. puis de ne pas les avoir ordonnées ni conduites après le déclenchement de l’action serbe. ces officiers généraux ont été explicitement menacés de comparution devant le T. il précise que le chef militaire ne peut être juridiquement mis en cause sur les conséquences de ses décisions à partir du moment où les diligences normales de ses responsabilités ou de celles de son état-major ont été correctement accomplies. il a été reproché à des généraux français de ne pas avoir planifié des contre mesures militaires. alors que les circonstances avaient commencé à fausser le jeu normal du commandement et l’exercice des responsabilités au sein de la FORPRONU. se voit adjoindre un conseiller juridique (ou LEGAD en jargon OTAN). lorsqu’un charnier y a été découvert. et pour l’aider. quand bien même ces chefs sont investis d’une autorité réglementaire. avec sur le théâtre des règles d’engagement correspondantes. du code de la défense ainsi qu’à ceux des règles d’engagement qui lui ont été prescrites. Aussi. alors que les indices d’une offensive serbe sur la ville de Srebrenica étaient probants.P. Communiquer en cours d’action. plus approprié en guise de relai pour la relation dans la durée avec les media. influe directement sur la compréhension des crises et leur traitement : par exemple. communique sur son niveau et sa mission. Il est parfois nécessaire de faire communiquer les plus petits échelons de commandement et a contrario. La légitimité et l’efficacité de l’action de la force ne suffisent plus. dès que le chef atteint un niveau de commandement complexe. le chef doit trouver un équilibre entre une communication personnelle directe. notamment stratégique ou politique. elles créent un besoin avide d’informations où l’instant présent le dispute au sensationnel. à l’exception de toute autre considération de niveau supérieur. Dans un contexte où le ressenti risque de supplanter le réel. En outre. mais sans pour autant se laisser inhiber par elles. parfois nécessaire. il faut y ajouter la perception qu’en ont non seulement les populations locales. mais aussi la Force engagée. à partir de celui du GTIA. nationales et internationales. à son niveau de compétence ou de responsabilité Si les technologies de l’information actuelles contribuent à accélérer le temps de diffusion de la connaissance. En la matière. une situation où l’émotion et la compassion immédiate prennent le pas sur la raison. Il s’agit donc pour le chef d’estimer lucidement ses réelles marges de manœuvre de manière certes à intégrer ces contraintes. C’est dans cet esprit que tout chef même au plus petit échelon doit connaître les règles de base en matière de communication et provoquer le cas échéant la diffusion d’éléments de langage par le niveau supérieur. 16 .L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques 132. Le poids des médias. par qui. contribue à exposer voire surexposer la force militaire et son chef. et le recours à un spécialiste de la communication. la maîtrise des techniques de communication opérationnelle est une nécessité absolue. confrontés aux diktats de l’urgence et de «l’audimat». le chef doit savoir communiquer luimême quand il le faut. et à la mettre en œuvre selon les directives que celui-ci lui aura préalablement données. sur quoi et par quel média ou relai» il doit communiquer. lorsqu’il en a l’autorisation. il convient de retenir comme règle absolue que chacun. où. Si le contrôle total de l’information est un leurre. le chef militaire doit avoir en permanence l’intuition : «quand. Pour autant. il dispose généralement d’un officier «communication» qui l’aide à concevoir la communication du chef. La haute technologie instille tous les conflits quelle qu’en soit la nature. dissymétrique ou asymétrique. inhérente à tout progrès technologique. La numérisation s’accompagne de la nécessité d’adapter les méthodes. L’intelligence de situation du chef. tandis que la connaissance précise et pointue de la situation amie doit au contraire favoriser la subsidiarité. entretenu tout au long du cursus. et l’accès aujourd’hui généralisé aux nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). elle constitue une aide à la décision pour le chef. OPTIMISER ET DOMINER LES NOUVELLES TECHNOLOGIES . La NEB permet une meilleure visualisation de la situation et un meilleur partage de l’information. et un positionnement particulier du chef par rapport à cet outil. le pion virtuellement «absent» de la situation tactique de référence. Le principal défi à relever est celui de la résistance au changement. La numérisation doit donc permettre de prendre la décision au bon moment. Ce risque d’entrisme est à proscrire formellement. La numérisation raccourcit considérablement le cycle du processus décisionnel. De même. Les progrès majeurs à en attendre se feront essentiellement sentir en termes de normes d’engagement et d’emploi des appuis et du soutien. sans se laisser paralyser par l’attente d’une information que l’on voudrait toujours plus complète. Il doit néanmoins bien mesurer les limites de la numérisation. La NEB constitue pour l’action militaire une révolution comparable à celle d’internet dans le fonctionnement et la vie des sociétés. Ainsi. Toutefois. avec le risque d’être soumis à des tirs fratricides. Outil de l’état-major. son intuition et sa capacité à faire des choix demeurent au cœur du processus décisionnel. ce qui suppose un effort soutenu de formation. ainsi que L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques 17 14. symétrique.La numérisation de l’espace de bataille (NEB). la visualisation du dispositif subordonné présente des risques comme celui de l’interventionnisme jusqu’aux plus bas échelons. risque d’être réellement oublié. Elle doit favoriser le dialogue de commandement dans l’élaboration des ordres. donnent à l’exercice du commandement une nouvelle forme. La numérisation implique à la fois une formation spécifique et continue de l’état-major. une connaissance précise et juste du dispositif ami (subordonnés et voisins). mais a contrario renforce l’importance et la nécessité du dialogue de commandement6. parmi d’autres. Ainsi.6). il doit savoir estimer quand et où sa présence physique. à l’instar de l’expérience alliée en Afghanistan. et tout en tirant le maximum de rendement de son système d’aide au commandement. que le succès repose sur 60 % de procédures. L’adversaire irrégulier adapte sans cesse ses tactiques.5. sans tout attendre de la technologie laquelle ne constitue qu’une réponse partielle au problème posé. c’est-à-dire du commandement. la clé du succès ne reposera pas uniquement sur la technologie. techniques et procédures en se servant de toutes les opportunités offertes par les technologies d’aujourd’hui. 30 % de technologie et . C’est pourquoi contre un adversaire irrégulier. 6 Cet état de fait est explicité au chapitre 3.L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques celle des bilans logistiques remontant automatiquement ne remplacent pas pour autant la perception par le chef de l’aptitude du subordonné à remplir sa mission (moral. En conséquence. On perçoit bien avec cet exemple emblématique toute l’importance des ordres donnés. il conviendra d’adapter ses propres modes opératoires et procédures. compréhension de la mission). dans la lutte contre les engins explosifs improvisés. Le chef militaire doit savoir tirer profit de l’outil numérique. 18 .. aux modes d’action et techniques aléatoires. on peut dire. 10 % de chance.. Face à un ennemi insaisissable. S’appuyant sur son expérience et son intelligence de situation. sans en subir le diktat. la maîtrise de l’information induite par la numérisation l’aidera à décider mieux et plus vite. la NEB devient un multiplicateur d’efficacité en opération. Ainsi. Elle ne supprime pas. L’accès à la haute technologie n’est pas l’apanage des forces militaires « conventionnelles ». (développé aux § 3. et 3. et même sa voix s’avèrent indispensables. les armées occidentales sont victimes de la lourdeur de leurs procédures de développement et d’acquisition des équipements. Dans cette course à la sophistication technique. à la nécessité de comprendre et de maîtriser l’environnement.Le caractère des opérations. L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques 19 En conclusion à cette présentation de l’impact du contexte d’engagement sur le commandement : . à son niveau. Ces nouvelles contraintes élargissent le champ d’action du chef militaire. notamment leur nature. Un des objectifs du chef sera de prendre en compte. la prise en compte de facteurs d’environnements multiples ainsi que la prégnance croissante du droit amènent une complexité croissante du contexte opérationnel. cette complexité pour la transformer en ordres simples pour ses subordonnés. leur durée. Cet environnement impacte directement le style de commandement du chef en opérations  : il impose une juste compréhension de l’esprit et de la lettre des ordres. reprenant l’acception américaine des termes. la contingence de la situation se présente au chef sous toutes ses formes imaginables  : en effet. LE COMMANDEMENT COMPORTE DES ASPECTS IRRATIONNELS MAIS IL EST EGALEMENT UNE SCIENCE La doctrine de l’OTAN sur le « commandement » fait apparaitre deux notions complémentaires : « command » et « control » (C2). l’exercice de l’autorité. des méthodes et de la technologie. la rude exigence des faits que le chef ne peut ni ignorer. relève de la science du commandement. le processus décisionnel. A ce titre.L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques II. Les réalités – mission. ennemi. le commandement est donc à la fois un art. des systèmes et des organisations. le « command » se limite à l’élaboration et la diffusion des ordres. que leur fonctionnement et les équipements liés. son intuition et in fine l’expression de son intention. des structures. Le « control » décrit tout ce qui relève du fonctionnement des systèmes de commandement pour accomplir la mission. dans le respect de l’intention du chef. Cette notion recouvre les prérogatives et les attributions de commandement du chef. bref le caractère unique et personnel du commandement. l’exercice du commandement ne subit qu’une seule loi . C’est ainsi que « command » constitue la partie la plus importante du C2. recouvrant tant les systèmes de PC. tandis que le « control » correspond à la conduite et à la coordination. car centré sur la personnalité du chef. et également une science car s’appuyant sur des méthodes. population – imposeront toujours leur loi. De manière quasi universelle. La notion de « command » qui fait appel à l’intelligence et à l’intuition du chef relève de l’art du commandement. tandis que le « control » qui s’appuie sur des organisations. 20 . COMMANDER EN DONNANT UN BUT À TRAVERS L’INTENTION DU CHEF 21. milieu. Au sein de l’OTAN. ni négliger sous peine que son commandement ne devienne alors pure divagation. L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques 21 . F 22. face au nord –est en direction du Rhin. Dans le premier. les deux termes. Patton. si le but à atteindre et les moyens à mettre en œuvre sont précisés. dans 48 heures. lorsque mon B2 m’a fait part des premiers indices d’une contre attaque allemande. la 3e armée débouche. Mais. commandant la 3e armée y prend la parole pour déclarer  : « Mon armée sera en mesure de prendre l’offensive sous 48 heures pour débloquer la 101e Airborne à Bastogne. Patton reprend : « Ike. commandement par ordre et par objectif ont été conservés. SAVOIR DIFFERENCIER LES DEUX GRANDES TENDANCES DU COMMANDEMENT L’histoire militaire fait apparaître que tous les chefs se sont référés à deux styles génériques de commandement : le commandement directif (par ordre. Dès qu’au terme de cette réunion. également appelé «detailed command» par les Anglo-Saxons ou «Führung Mittels Befehls» par les Allemands) et le commandement par objectif 7 («mission command» pour les AngloSaxons.ace à la gravité de la situation générée par la brusque offensive allemande dans les Ardennes le 16 décembre 1944 et à la surprise qu’elle a occasionnée. les modalités d’exécution le sont également. j’ai mis tout mon état-major sur la planification fine de plusieurs contre attaques. soit une préparation minutieuse. engager en Sarre. une telle manœuvre correspond pour la 3e armée à un mouvement de rocade de 90° avec une réorientation totale de toutes ses pénétrantes logistiques. Le second au contraire laisse une marge de manœuvre plus importante aux échelons subordonnés qui doivent s’imprégner de l’idée de 7 Bien qu’ils soient susceptibles d’entretenir une ambiguïté quant à la notion d’ordre. » Eisenhower ne cache pas son agacement face à ce qu’il considère comme une nouvelle forme de fanfaronnade de son bouillant subordonné  : en effet. cela fait 72 heures que. Ce travail est achevé. sans cisailler aucun itinéraire. je rentre à mon PC. » C’est rigoureusement ce qui s’est passé. car validés antérieurement par l’armée de Terre. le général Eisenhower convoque ses commandants d’armées au PC de BRADLEY le surlendemain. j’y donne mes ordres et. «Führen mit Auftrag» pour l’armée allemande). Réunissant les officiers disponibles à Hanoï le 19 décembre 1951. En effet. Pour autant. L’initiative des subordonnés. Commander par ordre peut s’avérer également nécessaire lorsque la réussite d’une opération repose sur son secret. L a prise en main du corps expéditionnaire français en Indochine par le général de Lattre en décembre 1951 alors que la situation militaire frisait la catastrophe est un remarquable exemple d’efficacité du commandement par ordre par un chef doué d’une personnalité exceptionnelle et d’un extraordinaire charisme. Commander par ordre Le commandement par ordre affirme que la victoire est le fruit de la volonté du chef. Par essence déterministe. C’est tout. Jamais guerre n’aura été plus noble. c’est la civilisation toute entière que nous défendons au Tonkin. ce style de commandement s’appuie sur une centralisation poussée et liée à un haut degré de discipline formelle. Il s’agit de tendances. même du plus petit poste. Je vous garantis. » 22 . ce style de commandement peut s’appliquer lors d’engagements particulièrement difficiles ou «bloqués» quel que soit le niveau de coercition. mais aussi la fierté de cette guerre. 221. J’interdis. que désormais vous serez commander. aucun style ne se référant exclusivement à l’une ou l’autre. ayant compris l’intention du chef. messieurs les militaires et messieurs les civils. n’est pas toujours suffisante pour affronter des situations changeantes. surtout s’il y a mise en difficulté des troupes amies et de la manœuvre en cours. il leur tient le langage suivant : « notre combat est désintéressé. L’ère des flottements est révolue. il convient de ne pas assimiler cette forme de commandement à une caricature arbitraire. Les relations de commandement y sont strictement verticales. français et vietnamiens. ou lorsque l’urgence de la situation impose des délais contraints de conception. quelles que soient les circonstances invoquées. dans lesquels une réaction rapide nécessite une centralisation des décisions de commandement immédiates et exécutoires.L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques manœuvre du chef pour atteindre l’objectif assigné. Je vous apporte la guerre. le moindre repli. Le recours à cette forme de commandement vise à favoriser la nécessaire capacité d’adaptation de la manœuvre en cours . repose sur l’initiative accordée aux subordonnés. autorise l’évacuation d’un poste isolé à la frontière chinoise de la valeur d’une section de partisans. le général Boyer de la Tour. 222. Plon. présent. Paris 1979. hors de sa zone et au profit d’une unité d’une autre nation. note  : «  le fluide est passé  ! Cet homme est un véritable magicien  ! Je l’ai vu dans les regards. leur discipline intellectuelle et leur réactivité pour atteindre le but fixé par l’échelon supérieur. les lieutenants et les capitaines que je suis venu. Il y déclare notamment : « c’est pour vous. Le soir même. commandant supérieur au Tonkin. il est mis dans un avion pour la France et relevé par le général de Linarès. une scène analogue se reproduit à Haïphong. Sachez que je n’ai pas le temps de faire la justice. le général vient de transformer le corps expéditionnaire.à l’évolution L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques 23 .à travers le dispositif et le mode d’action retenu . seulement des exemples  ». Commander par objectif Le commandement par objectif. s’appuyant toujours sur une idée de manœuvre clairement exprimée par le chef. Général Gras (Histoire de la guerre d’Indochine. pages 368.Le lendemain. » En dépit de ces mises en garde. vous qui supportez le poids de cette guerre et jouez un rôle si important. 369) Enfin. pour accomplir des tâches préalablement précisées. le recours au commandement par ordre devient également généralement la règle lorsqu’une unité est placée sous contrôle tactique (TACON) généralement dans un cadre multinational. Le général Salan. ce type de commandement préserve en permanence la liberté d’action de tous les échelons de commandement. acquise par une expression claire de l’idée de manœuvre permettant la convergence des actions des subordonnés. L’application de ces principes aux relations de commandement s’appuie sur la confiance réciproque entre chef et subordonné. garante de la prise d’initiative. • une discipline intellectuelle rigoureuse de la part du subordonné lorsqu’il les exécute. la cohérence d’ensemble de la manœuvre est assurée.qu’il aura à exécuter ou les procédés qu’il aura à employer pour remplir sa mission avec succès. Elle se concrétise par : • la prise de responsabilité du chef lorsqu’il s’exprime par ses ordres . par l’application judicieuse des principes de la guerre alors appliqués aux relations de commandement : • la liberté d’action. son efficacité repose sur quatre éléments complémentaires : l’idée de manœuvre. En outre. visant l’adaptation des moyens à la mission fixée par le biais d’un véritable dialogue de commandement . Qui plus est. mais conditionnée par la prise de responsabilité du chef à tous les échelons . lorsque le chef indique d’emblée au subordonné le but à atteindre (son effet majeur). 24 . la responsabilité relative des subordonnés. facteurs qui feront l’objet d’un développement dans le paragraphe suivant. comme les idées de manœuvre des échelons successifs s’emboitent logiquement les unes dans les autres. a) La liberté d’action génère l’esprit d’initiative. En effet. mais en le laissant lui-même définir les tâches – successives ou simultanées .L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques permanente de la situation. • l’économie des forces. leur esprit d’initiative et la qualité des ordres. • la concentration des efforts. complétée par un plan de manœuvre. de la façon la plus simple possible. tout en demeurant strictement dans le sens de l’effet à obtenir par le chef. pour que ce type de commandement fonctionne tout au long de la chaîne hiérarchique. le chef s’engage clairement. L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques 25 Il est par ailleurs flagrant que le commandement par objectif favorise la réactivité des échelons subordonnés en cas d’apparition d’une menace inopinée ou d’une brusque évolution de situation  : lorsque l’échelon supérieur avait conçu sa manœuvre sous la forme d’une intention. la guerre étant par essence contingente. Le subordonné est alors en mesure de réévaluer sa mission et de conduire son action de sa propre initiative. ainsi que celles qu’il est en mesure de prendre à court terme. puisque simultanément au compte rendu d’évolution de la situation. il importe que la formulation des intentions successives et la description des modes d’action considérés soient exprimées sans aucune ambiguïté. le subordonné indique à son chef les mesures prises d’emblée à son niveau. Enfin. un tel type de commandement impose par lui-même un véritable dialogue de commandement.b) L’économie des forces est optimisée à travers le dialogue de commandement. toujours en conformité avec le but poursuivi. Cette intelligence de situation présuppose chez le subordonné une aptitude particulière à savoir prendre ses responsabilités. le subordonné est en effet en mesure d’estimer – et de demander à bon escient – les renforcements. la menace en question a très bien pu ne pas être envisagée. Ici également. L’interaction entre les différents échelons hiérarchiques s’en trouve également mise en valeur. . c) La concentration des efforts s’obtient par la convergence collective et volontariste des actions. Par ailleurs. les demandes de renseignement ou les modifications de zones d’action qu’il juge indispensables pour la réussite de son action. dépassant le cadre parfois un peu formel du «back brief» : s’étant imprégné de la place que sa manœuvre occupait dans celle de l’échelon supérieur. il le place en position favorable pour toute saisie d’opportunité. notamment par le fait que dans ce cadre un type de communication en réseau est préférentiel à un système strictement vertical. tandis que la zone de responsabilité de la dite brigade peut couvrir la superficie de plusieurs départements métropolitains. tandis que dans le cas contraire le commandement par objectif primera. et ne se retranche pas derrière le flou de la formulation de ses ordres à l’instar de Gamelin en 1940. dans cet environnement. la multiplication des acteurs en cause et le recours le plus souvent à une manœuvre indirecte – facteurs caractéristiques de la manœuvre globale – incitent également à recourir à ce mode de commandement  . Enfin. le commandement par objectif aboutit toujours à une manœuvre plus souple car. 26 . c’est mettre l’accent sur la discipline intellectuelle. Cette forme «d’initiative par le bas» par laquelle l’échelon au contact est jugé le mieux à même d’estimer la situation locale et ses répercussions se révèle tout à fait adaptée au juste emploi de l’application de la force. favorisant systématiquement l’initiative du subordonné. La comparaison entre les deux formes de commandement n’est pas tant liée à la phase de l’opération jouée (intervention ou stabilisation) qu’à la dimension du cadre espace – temps dont le chef dispose pour conduire sa manœuvre : à un cadre espace-temps restreint pourra éventuellement correspondre un commandement par ordre. A ce titre.L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques cherche à convaincre ses subordonnés et son état-major. C’est le cas notamment pour les opérations de stabilisation conduites par un échelon de brigade dans lesquelles le cadre temps de l’ordre d’opération s’exprime sur une échelle de plusieurs mois. En outre. En d’autres termes. tendre vers le commandement par objectif. le commandement du chef à l’échelon de la grande unité relève plus de la coordination d’actions décentralisées dans l’espace et dans le temps que du commandement direct d’une action unique et centralisée. en attente d’une information qu’on voudrait toujours plus exhaustive. L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques 27 . dans le cadre d’une coalition multinationale. le commandement par ordre pourra primer. Pour éviter cette déviance comme pour atténuer le degré d’incertitude. Dans l’absolu. Pour autant. Une déviance à éviter consisterait d’ailleurs à continuellement retarder la prise de décision. mais complémentaires. traduit en français sous le titre « Les généraux allemands parlent » Paris 1948. c’est toujours la personnalité du chef qui lui fera opter pour telle ou telle forme de commandement. dans les situations de crise aiguë qui nécessitent la centralisation de la décision. indépendamment du contexte. Enfin.Ces deux formes de commandement ne sont jamais exclusives. l’acquisition et le traitement de l’information ne suppriment jamais complètement le degré d’incertitude dans lequel se trouve le chef. et peut permettre au chef de mesurer la part du risque qu’il est prêt à accepter. bref le chef doit anticiper. c’est la forme de commandement retenue par le commandeur qui déterminera celle de ses subordonnés. A contrario. 8 Titre de l’ouvrage de Liddell Hart. Stock. comme le disait dans son langage imagé Liddell Hart « regarder de l’autre côté de la colline8 ». devra toujours avoir un temps d’avance et. le commandement par objectif présente le meilleur ratio avantages sur inconvénients. Par ailleurs. les systèmes d’information à disposition des armées occidentales atténuent ce qu’il est convenu d’appeler « le brouillard de la guerre ». le chef. pour sa prise de décision. En privilégier une ne revient en aucun cas à exclure l’autre. 23. DONNER SON INTENTION : LE MEILLEUR MOYEN POUR LE CHEF DE REDUIRE L’INCERTITUDE EN FAVORISANT L’INITIATIVE DES ECHELONS SUBORDONNES Aujourd’hui. on ne le savait pas ! …Voyez vous. on voit si on peut le faire avec ce qu’on a. Il en résulte l’effet pervers suivant  : une moins bonne information des plus bas échelons par rapport aux plus hauts. Les renseignements sur l’ennemi ? On ne sait jamais rien… Le soir de la Marne. Cette approche privilégie donc la délégation d’exécution aux échelons en mesure d’acquérir. mais quand on devait s’en servir. consiste à doter les plus hauts échelons de commandement de moyens considérables de collecte et de traitement de l’information. On voit ce qu’on veut faire. on ne sait qu’après. ceux qui étaient vrais. afin de réduire ce degré d’incertitude. deux approches sont possibles. ce qu’il faut. c’est inutile.L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques Pour autant. en vue de bien se faire comprendre. je ne comprenais pas ! L’Histoire ?. A posteriori. et puis on le fait. les chefs et leurs états-majors sont prêts et entraînés à appréhender l’incertitude comme facteur inhérent à la conduite de la guerre.. Page 121) 28 . Dans cette option. La seconde se focalise sur l’action et les effets à obtenir sur le terrain. de traiter et d’exploiter l’information de manière appropriée et efficace (« actionable information »). Je n’en ai jamais fait état. On fait ce qu’on veut quand on sait ce qu’on veut. ce qui ne supprime en rien l’incertitude pour les échelons d’exécution.. c’est savoir ce que l’on veut. La première par le haut et info centrée.Grasset. accentuant le trait à son habitude. » L Rapporté par le Cdt Bugnet en écoutant le maréchal Foch (Paris 1929. on ne fait plus état que des renseignements dont on sait qu’ils furent exacts  . explique qu’il a toujours décidé dans l’incertitude des intentions de l’ennemi et que. s’il avait dû attendre d’avoir en main tous les renseignements. ils sont presque tous faux . c’est ne pas attendre le renseignement. e maréchal Foch. quand on m’a dit que les Allemands n’étaient plus là. il n’aurait jamais rien décidé : « Les renseignements ? Mais. mise en œuvre en France. Leclerc insiste sur le «but». . clef de voute de tout ordre d’opération quel que soit le niveau considéré9. connaissent le But : celui pour lequel on y court par tous les moyens. tout en imposant comme limites à l’initiative des subordonnés les indispensables mesures de coordination qui leur sont nécessaires. E n critiquant les manœuvres annuelles de l’armée d’AFN en 1947 dont il était l’Inspecteur. par tous les itinéraires en passant où ils peuvent. » Général LECLERC cité par Général COMPAGNON. la mission échoue. Il faut que les chefs. simplicité dans l’énoncé de vos missions. L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques 29 L’intention irrigue l’idée de manœuvre.1. Donc. le But. puis reprendre la progression sur telle direction. le But. tout cela est un ordre mal donné. L’idée de manœuvre fixe l’objectif commun sous la forme d’un effet à obtenir dans un cadre espace temps défini. votre intention est le But. et pour cela. l’indispensable idée de manœuvre du chef Elle repose sur la notion d’effet majeur. même si les armées alliées finissent par l’adopter plus ou moins (commander’s intent). c’est-à-dire l’intention du chef. il faut qu’ils connaissent l’Intention de leur supérieur et le But final qu’il se propose d’atteindre. Page 138) 9 En outre. le phasage de l’action considérée et le rôle dévolu à chacun. (Ce que je crois. fondement de son idée de manœuvre : « Chaque fois que le But final n’est pas nettement fixé. la notion de responsabilité personnelle du chef dans l’expression de ses ordres sera explicitée au § IV. à tous les échelons. Dire à un chef de détachement ou de groupement : faire effort sur tel axe en vue d’enlever tel mouvement de terrain. Pour cela : 1.rechercher la liaison avec les unités zaïroises et l’aérodrome. que dans l’intention suivante du colonel Erulin. à Kolwezi. . mais également le phasage pour y parvenir dans un cadre espace-temps fixé. C’est par ce biais qu’il appréhende s’il est chargé ou non de l’effort ce qui lui donne d’emblée une indication sur la marge d’initiative qui sera la sienne ainsi que les renforcements qu’il est susceptible de demander.soit partie sur ZS A partie sur ZS B.» 30 . commandant le 2e REP. 3 compagnies) sur la ZS A. C’ est ainsi. mettre à terre la deuxième vague : . 2. Mettre à terre la première vague (PC réduit.L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques  La nécessaire prise de responsabilité (contrôlée) des subordonnés Dans le cadre de cette idée de manœuvre qui non seulement indique le but recherché par le chef. ses capitaines pouvaient parfaitement saisir le but que leur colonel poursuivait ainsi que leur place et rôle dans l’opération : « Sauter au plus près des quartiers européens afin de bénéficier de la surprise pour s’emparer des premiers objectifs. Dès maîtrise de la situation dans les quartiers européens : . en cas de difficultés pour pénétrer dans l’ancienne ville. 3. c’est pourquoi il faut s’assurer de la compréhension par les subordonnés de l’esprit de la mission (pratique du « backbrief » anglo-saxon). gagner au plus vite les premiers objectifs sans se laisser retarder par le nettoyage des quartiers résidentiels. En fonction de l’évolution de la situation. Ce contrôle par l’échelon supérieur fait partie du jeu normal des relations de subordination et ne constitue nullement une marque de défiance. le subordonné peut alors prendre en compte la part relative d’action qui lui revient pour réaliser sa mission. en cas de contrôle de la situation en ancienne ville. .entreprendre le nettoyage des cités indigènes.soit en totalité sur la ZS A. Accepter cette notion d’initiative constitue pour le chef une certaine prise de risque.  » LE MIRE Histoire militaire de la guerre d’Algérie. celui qui a l’action en main commandera  . pour atteindre les buts définis par le commandement qui aidera au mieux. organisera l’action amorcée et l’alimentera plutôt que de la freiner. La hiérarchie n’est plus faite pour ordonner des décisions planifiées et asservir des responsabilités. Albin Michel page 203) L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques 31  L’importance d’insuffler l’esprit d’initiative aux échelons subordonnés . les échelons subordonnés doivent pouvoir décider des modalités d’exécution de leur mission à leur échelon. La guerre est faite d’occasions qu’il faut prévoir autant qu’il se peut et prévenir. Tactique nouvelle. commandant le 9e RCP explique son style de commandement : « Pas de limitation : une flèche. engagé dans la bataille du barrage. mais pour susciter les initiatives et leur donner l’ampleur des efforts qu’elles méritent dans les délais les plus brefs afin de leur octroyer l’efficacité dans une souplesse de manœuvre jamais conçue jusqu’à ce jour. même parfois. les autres viendront à sa rescousse et selon ce qu’il aura prévu  . les blessures d’amour propre seront pansées autour d’un pot qui fêtera la réussite des uns et des autres. (Paris 1982. probablement celle de demain. E n 1958. dans l’esprit de l’intention de leur chef. le lendemain. ils doivent saisir toute opportunité de nature à atteindre l’objectif recherché. En outre.Pénétrés de l’idée de manœuvre de leur chef. L’action commande et non les états-majors. Le renseignement sera la raison de la discipline. mais surtout qu’il ne faut pas perdre. Pas d’objectifs terrain : un ennemi à détruire. le colonel Buchoud. au détriment de la hiérarchie. Le mieux placé. le 60e RI. outre l’intention du chef : • la situation amie. chargés de la couverture du barrage et d’une première interception. il doit se concentrer sur les plus importantes. A u printemps 1958. 3) En arrière du barrage. le 153e RIM et le 26e RIM. six régiments blindés sont chargés de la «herse»  : les 31e et 18e Dragons. dans un cadre espace-temps fixé . les 1er et 2e REC. par leur dispositif. la simplicité de l’expression des ordres et leur concision doit toujours être recherchées. • les missions des subordonnés rédigées sous forme d’effets à obtenir. qui doivent être émis à temps Si dans le commandement par objectifs. c’est-à-dire leur périmètre d’initiative. le 152e RIM et le 6e Spahis marocains occupent toute la profondeur du terrain et constituent. Celles-ci seront traduites en plans ou en ordres. la situation ennemie pour ce qu’on en connait . Cet effort de simplicité doit toujours être recherché. le 1er Spahis marocains. • les moyens qui leur sont alloués pour remplir leur mission (exemple : renforcement de feux) . 2) Sur le barrage. sont placés quatre régiments  : le 3e REI . Dans la forme. une véritable toile d’araignée dans les fils de laquelle les bandes rebelles doivent se prendre. les secteurs tenus par le 3e RTS. même lorsque la procédure en vigueur impose des cadres d’ordres tendant vers l’exhaustivité comme dans l’OTAN. • les mesures de coordination. indispensables pour donner aux subordonnés le cadre de leur action. 32 . le chef prend moins de décisions. la 1re demi-brigade de Chasseurs. Cette simplicité sera d’autant plus facile à atteindre que l’idée de manœuvre du chef est limpide est claire. notamment les voisins . le 151e RIM. en Algérie. qui devront comprendre. le 1er Hussards. lors ce qui a été appelé la «bataille du barrage» les moyens de la Zone Est Constantinois se trouvaient déployés dans l’échelonnement suivant : «1) En avant du barrage.L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques  Faire un effort sur la qualité et la simplicité des ordres. 10 LE MIRE op cit. 4/8e RA. 18e Dragons. Il s’agit du nord au sud des 1er REP. chef de corps est en train de mettre en place. en bouclage sur l’axe Souk Ahrras – Gambetta et faire rechercher renseignements par poste Calleja. En outre. Annulation opération précédemment prévue. En fait. En fait.» Mis à part la formule. TERTIO : Disposerai pour 6 h30 ensemble de mon régiment entre Zaroura et Dréa pour ratissage soit vers ouest. cinq régiments de parachutistes sont placés sur les grands axes d’infiltration de l’adversaire. l’appui aérien (T6.4) Se superposant à ce dispositif. passe de sa propre initiative à l’exécution d’une autre manœuvre avant d’en rendre compte et suggère – assez cavalièrement – à son général de s’intégrer dans le dispositif que lui. SEXTO : Ai donné ordres à tous éléments 152e RIM. Vous demande prévenir 60e RI. soit vers est. Sud à un élément du 152e RIM également actionné par vos soins. 9e RCP. 14e RCP. QUARTO : Cette action sera complétée vers le sud par mon groupement du 152e RIM. avec Vanuxem. Corsairs. ce genre de comportement passait très bien. trois détachements d’hélicoptères sont disponibles à Guelma. voire B 26) étant assuré à partir des bases de Bône et de Tébessa. L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques 33 . adjoint du général Vanuxem. dès lors que les ordres étaient clairs et l’intention en cohérence avec la situation. page 203. chef de corps du 9e RCP cite10 le message qu’il a lui-même expédié le 23 avril 1958 au général Vanuxem  à la suite de renseignements recueillis sur le terrain infirmant ceux précédemment obtenus. toute formelle «vous demande» on a ici affaire à un ordre complet. le colonel Buchoud annule la manœuvre initiale et en cours. L’action de ces cinq régiments d’intervention est coordonnée par le colonel Craplet. Tébessa et Bir el Ater. SECUNDO : Je lance immédiatement mon escadron et une compagnie du 152e RIM actuellement à mes ordres en bouclage entre Souk Ahrras et Dréa. STOP et FIN. en chasse libre. QUINTO : Ces actions seront utilement prolongées au nord et au sud. Nord pourrait être confié à 60e RI et actionné par vos soins. » Le colonel Buchoud. 8e RPC et du 3e RPC. «PRIMO  : Vous demande placer un escadron du 18e Dragons dès que possible. Le commandement par objectif permet d’accorder dans l’absolu la primeur de l’esprit sur la lettre. il diminue d’autant la part d’incertitude. dans les décisions de ses subordonnés. gage de simplicité et de concision dans l’expression des ordres. Par ailleurs. engagements les plus probables à court et moyen termes. Les opérations de stabilisation. C’est ainsi que les intentions successives des différents échelons de commandement s’imbriquent les unes dans les autres à la manière des poupées russes de façon parfaitement cohérente. il est assuré que ceux-ci concevront leur propre manœuvre dans le respect absolu de l’esprit de la sienne. privilégient l’approche indirecte et recourent à l’application d’une manœuvre globale.L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques Dès lors que le chef s’exprime sous la forme d’une intention parfaitement claire et ciselée. voire de méprise. 34 . Il cultive par ce biais l’initiative des subordonnés et semble particulièrement adapté à la stabilisation sans en occulter le recours en phase d’intervention. le mode d’action choisi et la mission qui lui revient. en préconisait cinq ». • préserver la liberté d’action du chef en lui faisant concentrer ses efforts sur son seul niveau de responsabilité. pour sa part. APPLIQUER ET COMBINER SIX PRINCIPES DE COMMANDEMENT . et celles « en râteau » qui surchargent le chef responsable. Une telle rationalisation des délais est obtenue par l’information des subordonnés en temps réel des décisions intermédiaires définitivement arrêtées  : ainsi. Ce recours à la simplicité doit également s’observer dans les structures de commandement elles mêmes. Il convient de se poser la question du nombre « raisonnable » d’unités que l’on peut réellement commander en situation opérationnelle. parfois aussi la tentation de céder aux effets de mode passagère.Les six principes décrits ci-dessous et concrétisés par le recours à l’intention du chef et à son « effet majeur » concourent tous à : • renforcer la cohérence dans la conception. sans être contraint d’attendre la diffusion de l’ordre complet. L’organisation du commandement doit ainsi permettre la juste mesure entre des structures trop étroites qui multiplient les intermédiaires entre le chef et l’exécutant. la conduite et le contrôle de l’exécution de la mission reçue de chaque échelon de commandement . • conforter chaque échelon subordonné qui ne rend compte généralement qu’à un seul et unique chef . lesquelles doivent bannir les effectifs pléthoriques et la redondance des fonctions. 31. SIMPLICITÉ Outre la simplicité des ordres évoquée supra. « Napoléon. cette estimation n’a guère évoluée depuis lors. L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques 35 III. ce principe s’applique également au processus de leur élaboration qui doit revêtir la forme d’une lutte permanente contre le temps perdu. le subordonné connait au fur et à mesure de leur élaboration l’effet majeur arrêté. en tant «qu’adjoint au général en Chef». b. Je demande qu’une lettre de service lui soit délivrée. comme ad latus. mais de grade moins élevé que le titulaire. le désignant comme mon remplaçant éventuel. 11 Suppléant. toute autorité doit disposer d’un ad latus11 .N. Plon. (Paris 1932. 33. la continuité et la permanence du commandement s’expriment de la façon suivante : a. ministre de la Guerre le 24 septembre 1914 : « Le général Galliéni se trouve actuellement désigné comme mon successeur éventuel.). dès le 6 octobre.L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques 32. Concrètement. 36 . Mais. Tome 1. à chaque niveau de responsabilité ne correspond qu’un seul niveau de commandement . c. décrite supra. à chaque cadre espace-temps défini d’une manœuvre correspond un échelon de commandement unique .» Joffre Mémoires. le principe de l’intention développé supra garantit la cohérence du commandement par une référence unique : l’intention du niveau supérieur et in fine «l’état final recherché». mais le Nord où. perdrait de sa pertinence s’il ne s’appuyait pas sur un principe complémentaire : continuité et permanence. je prendrai le général auprès de moi. Foch n’a jamais rejoint le GQG. pages 446 et 447) En fait. pour me décharger d’une partie de la tâche tous les jours plus lourde qui m’incombe et je nommerai son successeur dans le commandement de la 9e armée. PERMANENCE ET CONTINUITÉ Le principe d’unicité de commandement s’appuyant sur l’intention clairement exprimée du chef. Dans le cas où le gouvernement accepterait cette proposition. parmi les commandants d’armée. il a commandé ce qui allait devenir le groupe d’armées du Nord (G.A. Foch a affirmé une supériorité incontestable. Millerand. UNICITÉ L’unicité du commandement s’observe sous trois aspects : a. au point de vue du caractère et des conceptions militaires. Télégramme adressé par le général Joffre à M. en réalité. le général Bradley explique que les mesures de relève qu’il a été amené à prendre visaient en fait à consolider la notion de responsabilité des commandeurs concernés : « Il y eut des moments. Page 74) c. le commandement est exercé avec la même rigueur quelle que soit la phase de la manœuvre considérée ou sa durée. chaque chef doit toujours assurer une responsabilité totale pour chacun des individus constituant son unité. celui-ci peut faire l’objet d’une mesure de relève dès lors que sa responsabilité directe est avérée . en Europe. Si ses sous ordres commettent des fautes à l’attaque. non parce qu’ils n’avaient pas les qualités de chef. en cas d’échec flagrant. mais parce qu’ils refusaient à être trop durs vis-à-vis de leurs subordonnés. quelle que soit la durée de l’exercice du commandement du chef en cause. Néanmoins. tant de facteurs peuvent affecter le déroulement de chaque bataille  ? Et pourtant. . demeure un juste compromis entre l’impératif de succès de la mission et la contrainte de l’usure dans la fonction. Histoire d’un soldat. Bien des commandants de division ont échoué. un homme unique. Gallimard. Comment en effet. honnêtement.C ommandant de groupe d’armées en 1944/45. L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques 37 b. le maintien à leur poste dans la durée des autorités assurant des responsabilités importantes. rendre responsable d’un échec. il doit les relever ou se voir relever lui-même. où je dus relever des commandants de grandes unités de leurs fonctions parce qu’ils n’avaient pas réussi à avancer assez vite. quand. Et il est possible que certains d’entre eux aient été victimes des circonstances. » Général BRADLEY. (Paris 1952. b. Cette aptitude au dialogue dirigé ou ciblé ne doit pas être confondue 12 Le chef ne se soucie pas des détails. il faut rechercher l’efficacité optimale en recourant à l’initiative des échelons subordonnés . u moment de l’offensive sur Strasbourg par les Vosges. Rouvillois a emprunté un col situé à 20 kilomètres au nord de celui envisagé (col de la Petite Pierre). ce qui n’enlève d’ailleurs rien de sa responsabilité à l’égard des ordres donnés. certes. interarmées. Cela est vrai tant dans les dimensions verticales qu’horizontales (interarmes. plus libre ou plus aisé. La manœuvre de débordement réussit pleinement grâce à l’initiative qu’il a prise dans le cadre de la marge donnée par Leclerc pour atteindre son but. 38 . elle lui a ouvert la route de Strasbourg que le sous groupement Rouvillois a atteint le premier. SUBSIDIARITÉ ET DÉCENTRALISATION Les principes précédents (unicité et permanence/continuité) ne peuvent trouver leur plénitude que si chaque niveau de commandement bénéficie de la liberté d’action indispensable à la bonne exécution de sa mission. commandant un des sous-groupements de la division. A cet effet : a. A 35. DIALOGUE DE COMMANDEMENT Un dialogue aussi bien interne qu’externe à toute chaîne de commandement s’avère indispensable. de déborder le col de Saverne par le nord pour en atteindre les arrières par un axe traversant les Vosges. En plaine. internationales. en novembre 1944. itinéraire identifié. il convient de moduler cette initiative par un contrôle à base de comptes rendus systématiques des actions entreprises . c. mais le chef évite à tout prix de s’immiscer dans la conduite de l’échelon subordonné (de minimis non curat praetor)12. mais susceptible d’être remplacé par un autre se découvrant en cours de progression.L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques 34. voire interministérielles) de leur fonctionnement. Leclerc donne l’ordre à Rouvillois. des cornets acoustiques défectueux essayant de soutenir une discussion technique très complexe. Page 60) b. rendus naturellement le plus court possible. n août septembre 1914. en moins d’un mois de campagne. et partant. le lieutenant-colonel Hentsch.Les effets recherchés du dialogue de commandement sont les suivants : a. Outre des décisions malencontreuses de von Moltke. l’armée impériale allemande est passée du Capitole à la Roche tarpéienne  : victorieuse aux frontières. le chef d’étatmajor allemand. horizontalement. confiné dans son étatmajor à Luxembourg. et ses commandants d’armée. dépêché en catastrophe en inspection avec pleins pouvoirs dans les états-majors d’armées  : c’est ce mauvais fonctionnement des états-majors allemands qu’explique. verticalement. donc de prendre de la hauteur puis d’imposer une décision mûrement argumentée et exécutable. la raison principale réside dans l’absence totale de contact physique et de dialogue entre lui-même. Presses de la Cité. Corelli Barnett. Une conversation difficile. Il s’agit au contraire pour le chef d’élargir le champ de ses paramètres décisionnels. Moltke ne chercha jamais. Restaient des télégrammes chiffrés et des messages par radio. garantir la cohérence indispensable dans les différents travaux que chaque échelon mène à son niveau par le biais de cellules spécialisées . Il lui fallait l’accepter comme telle : il ne pouvait pas le discuter avec ses commandants d’armées. chroniqueur militaire britannique : «Une fois de plus.» E Corelli Barnett Le sort des armes. Même la décision cruciale de retraite a été prise par un de ses subordonnés. elle était défaite et contrainte à la retraite quinze jours plus tard. L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques 39 avec un commandement collégial forcément improductif. . Moltke et ses grands subordonnés ressemblaient à des sourds. une solidarité entre les acteurs concernés . à la vérité. (Paris 1964. Moltke se trouve devant ce qui paraissait être une victoire décisive. loin du front. assurer en amont des actions une unité de vues entre les différents échelons de commandement. par une mauvaise ligne téléphonique ne pouvait remplacer le contact direct des esprits et des personnalités que. A cet effet : a. b. Il laisse alors le PC principal aux ordres de l’un de ses adjoints qui continue à commander et à conduire les autres actions. notamment dans les moments critiques. Ces six principes peuvent se réduire à une seule acception  : sens du concret. occasionnellement aux niveaux supérieurs) . ou inopinée. 40 . quel que soit le niveau considéré. tout en assurant la préservation des intérêts nationaux. il veille à disposer d’un poste de commandement tactique (pris en principe sur la substance du CO actif). PROXIMITÉ Quel que soit le mode de commandement utilisé. c. mais qui doivent être cultivées en permanence et associées aux qualités morales naturelles. par un commandement à la voix. il fait sentir sa présence. La durée d’activation d’un tel PC est toujours limitée dans le temps (cette solution est parfaitement adaptée au niveau brigade. périodiquement. il importe que le chef ait depuis son poste de commandement la vision réelle de la situation sur le terrain. de manière à pouvoir commander une action d’effort particulier. et prendre les mesures de coordination / coopération / interopérabilité nécessaires. s’assurer de la cohérence de ces actions avec la manœuvre opérative ou stratégique d’ensemble. en permanence. Cette démarche est systématique au niveau du groupement tactique interarmes et occasionnelle aux niveaux supérieurs . dans un contexte multinational. 36. en se concentrant sur celleci. garantir auprès de nos partenaires la compréhension du pourquoi des actions entreprises.L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques c. aptitudes foncières du chef qui ne sont certes pas innées. il se rend physiquement sur le lieu de l’action pour se rendre compte par lui-même de la situation réelle et vérifier en cela si la perception qu’en a son centre opération (CO) ou son PC est conforme à la réalité. 41. la solidité et la fermeté de ses convictions. A l’aptitude au commandement entendue principalement comme la capacité naturelle à s’imposer aux autres.La complexité liée à l’environnement actuel des opérations nécessite pour le chef militaire tactique des qualités particulières. Celles qui sont décrites ci-après s’avèrent cardinales. le chef en situation opérationnelle doit être capable de répondre à un certain nombre de critères. il convient d’ajouter pour le chef la clairvoyance. En tout état de cause. LES QUALITÉS DU CHEF . Elles ne sont pas pour autant exhaustives. le chef. si le chef prend la plupart du temps ses décisions en s’appuyant sur les réflexions et les propositions de son état-major. L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques 41 IV. mais surtout envers et contre tout se tenir à cette solution jusqu’à son aboutissement. doivent être développées lors du passage en organisme de formation. Outre les qualités foncières. quelle que soit l’origine de la conception de son ordre. COURAGE. même si elles apparaissent plus ou moins innées. qu’il puise en lui la force d’âme pour décider certes. Certaines. engage systématiquement sa propre responsabilité et non pas celle de son état-major. RESPONSABILITÉ ET CONFIANCE EN SOI Au courage physique inhérent au métier militaire. En l’occurrence. liées à l’homme et à l’éthique. le chef constitue toujours un exemple pour ses subordonnés. c’est ici que réside le vrai courage intellectuel. En outre. il importe pour celui-ci. Dans ces circonstances. C’est à l’évidence dans la solitude que s’exprime le courage du chef. qu’il se doit de respecter et qui dépassent le cadre de cette étude. il peut arriver que son intuition l’amène à prendre le contre-pied de celles-ci. en l’exprimant. Lorsque la situation est critique. il convient d’ajouter un large éventail de qualités. et que tous les regards des subordonnés convergent vers le chef. au milieu de sa solitude. qui peuvent parfois aller jusqu’à le conduire à s’écarter quelque peu de la lettre de sa mission pour mieux en respecter l’esprit. des discussions avec ceux qui peuvent savoir. le chef doit conserver sa liberté de jugement pour décider. il ouvre toutes grandes les antennes radio de son intuition. Revue militaire d’information 1962/2. A ce titre. mais surtout en suivant l’inclination personnelle que lui donne son intuition. Ce travail préalable. Mais il ne s’agit là que de «boites à outils» au service de l’état-major. il écoute. il cherche. Ce faisant. commence la phase d’élaboration. C’est avec eux. et ce. longtemps présenté comme l’anti de Lattre par excellence «fonctionnait» d’une manière analogue. qui accompagne toute la carrière. certainement en prenant en compte les propositions de son état-major. avant même d’être investi de ses premières responsabilités à la tête d’une unité élémentaire. commence par explorer le possible. Son souci. l’intuition ne se développe et ne s’entretient que par un lent travail continu de réflexion personnelle. le général de Lattre. la légitimité reconnue de tout chef est fonction de la pertinence avérée de son intuition. il l’a préparée par un choix attentif des hommes qui l’entourent. loin de viser une solution théorique d’ensemble. » Gal BEAUFRE Le général de Lattre. sous des dehors superbes. vise à emmagasiner puis appréhender un certain nombre d’exemples de situation permettant en temps de crise de réagir très vite et d’éviter des erreurs déjà commises. Là. En revanche. «En présence d’un problème. c’est l’information directe. L e général Beaufre qui a longtemps fait partie du premier cercle de l’entourage du général de Lattre décrit dans un article de la RMI la méthode toute personnelle et toute d’intuition qu’avait de Lattre pour appréhender les affaires. ÊTRE DOUÉ D’INTUITION Certes.L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques 42. il tâtonne car. 42 . Après cette phase d’exploration du possible. sa méthode est vraiment personnelle : cette élaboration. cet homme est modeste et doute de son jugement jusqu’à ce qu’une révélation intérieure lui ait indiqué la voie. à son niveau. il s’informe scrupuleusement. Qualité intrinsèque de la personnalité humaine et complément indissociable de la compétence. Il est à noter que Juin. Il fait cela comme tout. existent et sont mises en œuvre des méthodes de raisonnement en vue d’élaborer une décision opérationnelle ainsi que des instruments d’aide à la décision. avec passion. D’abord. qu’il va peu à peu mûrir sa décision. collectivement. «sur le tas». mais par des conversations. surtout pas par des dossiers évidemment. . 431. terrifié. Un officier s’approche d’un chef de service : mon colonel. exemple du général Duchêne. c’était incroyable. L’aborder devenait pour ses officiers un supplice auquel ils ne se risquaient qu’à la dernière extrémité. constitue. je n’y retournerai pas. CAPACITÉ À GAGNER LA CONFIANCE . tournant ostensiblement le dos à son général et n’ouvrant jamais la bouche. sans raison. «Le fonds commun des reproches que l’on faisait au général Duchêne portait sur son fâcheux caractère. le reste de l’entourage. Son chef d’étatmajor. L’officier qui m’a renseigné me dépeignait les mornes repas à la table du général : lui renfrogné et grondeur. un coude sur la table. tout de suite les gros mots à la bouche. relevé du commandement de la 6e armée après la déroute du 27 mai 1918 sur le Chemin des Dames. même désarroi. Des subordonnés De la même façon. mais bien au contraire comme une étape légitime et incontournable du processus itératif d’élaboration des ordres. que fait-on pour cette affaire ? Ce qu’on fait ? Je m’en fous ! Allez le demander au général ! J’ai voulu le savoir ce matin. ses voisins et alliés ainsi que ses partenaires non militaires. Dans les bureaux. du fait des conséquences de son mauvais caractère sur son entourage immédiat. mais il parait qu’à la lettre. est primordiale. induite par le «backbrief» anglo-saxon. Elle repose sur la certitude que ceux-ci ont parfaitement saisie et intégrée l’esprit de la mission. Une humeur de dogue. il convient de créer. Pour sûr. qu’ils se sont ralliés à son bien-fondé et qu’ils sont convaincus d’avoir toute latitude pour choisir les modalités de son exécution. On croira difficilement de telles choses. il m’a dit que je l’emm. gagner et entretenir un climat de confiance envers les subordonnés. un orage de rebuffades. obligé de subir ses sursauts de colère le boudait pendant plusieurs jours quand il avait vraiment dépassé la mesure. que de ses supérieurs. C’est pourquoi la notion de contrôle. et ne doit pas être considérée comme un signe de défiance. un grondement perpétuel.  L’ L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques 43 43. l’exemple type du chef qui inhibe son état-major par le manque total de confiance que celui-ci ressent à son égard. le chef d’état-major. tant vis-à-vis de ses subordonnés.Le chef doit s’attacher à instaurer et entretenir un climat de confiance et de compréhension mutuels.. n’ayant plus le goût à un travail dont l’effort risquait de ne pas être récompensé.L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques  Le résultat ? Un état-major aigri. Vis-à-vis de l’échelon supérieur. (Paris 1920. Page 170) 432. à leur niveau. une facilité de compréhension. n’en critique pas moins dans ses carnets publiés post mortem l’absence de concertation et la centralisation excessive que ce dernier manifestait à l’égard de ses commandants d’armée par manque de confiance. Et. Ces hommes. c’est-à-dire l’esprit de la mission. toujours en bisbille. qui s’accordaient si bien avec sa magnifique prestance et son beau visage mâle et fier de soldat. dépendra directement la marge d’initiative dont on bénéficiera.G Secteur 1. un don de clarté. n’osant prendre ses responsabilités. et que l’on y adhère. toujours tremblants à l’idée d’une algarade brutale. un talent enfin. Des supérieurs L’application efficace d’un style de commandement par objectif repose sur la compréhension mutuelle et la confiance. les futurs commandants de groupe d’armées ont ouvertement et officiellement. découragés. Foch et Castelnau. présenté les mêmes doléances. il s’agit de lui montrer que l’on a parfaitement compris son intention. Des relations que l’on entretiendra avec les échelons supérieurs. L e général de Langle de Cary. Edition française illustrée. toujours d’une parfaite loyauté envers Joffre. Tome 2.» Cité par Pierrefeu GQ. pour les rares moments où ce chef irascible consentait à se modérer. tombant sur eux comme une vétille. commandant la 4e armée en 1914.  44 . dont la plupart étaient de valeur. (Paris 1935. il est hautement souhaitable de savoir exactement dans quel esprit le voisin concerné compte accomplir la mission qu’il a reçue et inversement. Payot. sans consulter ses commandants d’Armées. Nous ne savions rien des intentions du général en chef. prennent un relief tout particulier dans un contexte multinational. cultures et doctrines militaires. » Général de Langle de Cary Souvenirs de commandement. Lanrezac décide la retraite immédiate. Placé dans un rapport de force défavorable et percevant très nettement la menace d’enroulement de son dispositif par l’armée von Klück. Compte tenu des différentes langues. mais je crois préférable la méthode qui est fondée sur la collaboration et la confiance. conformément aux ordres de Joffre. à hauteur de la Sambre de Charleroi. sans même les mettre au courant.  L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques 45 . La plupart des commandants d’armée – moi entre autres – nous ne connaissions que la zone de concentration de nos armées. Il n’a pas été soumis à l’examen et à l’appréciation du conseil supérieur de la Guerre. qui approuve. autrement que par les instructions et les ordres qu’il leur envoie. Des voisins et alliés Les relations qu’un chef entretient avec ses voisins pour l’accomplissement de ses missions. L e 23 août 1914. attaque l’armée de Bülow. C’est sa méthode d’agir avec le seul concours de son entourage intime. Page 171) 433. Je ne critique pas. C’est l’échec le jour même. bien qu’il en désapprouve à la fois le principe et l’opportunité. Il en rend compte au GQG. conscient que ce repli de l’aile gauche va entraîner celui de la totalité de l’armée française. commandant la 5e armée. Lanrezac. Elle ne diminue en rien l’autorité du chef suprême auquel seul appartient la décision. « Le plan d’opérations est l’œuvre entière du général Joffre et de son Etat-major. Cette mésentente aboutissant à un défaut de liaison entre les deux armées de l’aile gauche alliée sera l’une des causes de la brutale relève de Lanrezac du commandement de la 5e armée le 3 septembre. ce faisant. a. SENS DE L’INTÉRÊT GÉNÉRAL Cette qualité est à considérer dans sa pleine acception sous son double aspect intellectuel et moral. se trouve donc découverte par ce repli. il convient de placer ce type de relation sous le signe du partenariat.F. et surtout de ne rien imposer. et donc. Lanrezac a omis de prévenir French. commandant le corps de cavalerie. Le 24 août. déployée à la gauche de la 5e armée. Le « leadership » réel et officialisé dans la gestion globale des crises reste aujourd’hui une question non résolue.E. mais également inscrire la sienne dans la continuité 46 . dans la mesure où le processus de règlement des crises est aujourd’hui devenu global. French dont les relations avec Lanrezac étaient très fraiches depuis le début de la campagne a mis cet échec sur le fait du repli de la 5e armée qu’il ignorait. au niveau intellectuel. le chef doit très rapidement s’approprier l’action en cours. en vue de préserver l’esprit de la mission. Elle engage le chef aussi bien vis-à-vis de ses subordonnés que de ses supérieurs. Joffre ayant besoin d’une aile gauche soudée pour conduire ce qui deviendra la bataille de la Marne. l’efficacité de l’action commune repose en grande partie sur la qualité des relations entretenues. et dans tous les cas. 44. Il faudra toute l’habileté tactique du général Sordet. échaudé par l’attitude de son voisin de droite. L’armée britannique. Pour autant. pour permettre à French de rompre temporairement le contact et se replier.L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques  Mais. elle est vivement attaquée par von Klück et défaite à Mons. Des acteurs non-militaires Nouer et entretenir des relations soutenues avec les autres acteurs présents sur le théâtre d’opérations est indispensable. échappe au contrôle du seul militaire. French prendra systématiquement 24 heures d’avance sur lui dans sa manœuvre de retraite. 434. commandant la B. Désormais. Mais. ce qui donne lieu au déploiement d’un corps expéditionnaire pour «accompagner» l’opération. et toujours contre-productif à moyen et long terme . il s’agit de l’honnêteté foncière qui consiste à servir l’institution et non pas se servir de ses prébendes . alors que la population espagnole était déjà fort remontée contre la présence française. notamment les richesses des établissements religieux. se rapprochant du sens commun. s’y conduisent en pays conquis.b. . soutenue et entretenue par Londres. Pour être reconnu. 45. S’il est vrai que la campagne d’Espagne a pu être considérée comme le tombeau de la grande Armée. c. au niveau moral. autant une ambition fondée sur des qualités réelles et reconnues demeure légitime. PERSUASION ET CRÉDIBILITÉ Déjà perceptible à une époque où les armées étaient nationales et basées sur la conscription. les généraux. le chef devra s’assurer que le subordonné/«partenaire coalisé» voudra bien considérer l’ordre reçu comme parfaitement L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques 47 de son prédécesseur afin de respecter la cohérence dans la durée. à l’exception notable de l’action de pacification entreprise par Suchet en Aragon. saccageant et s’accaparant tout ce qu’ils pouvaient. pour des raisons autant politiques que dynastiques. notamment Junot. guérilla qu’il n’est jamais parvenu à réduire. pillant. Il est illusoire de vouloir s’affranchir des susceptibilités liées à la préservation des intérêts nationaux respectifs par le biais d’une seule discipline formelle fondée sur la diffusion d’ordres. fugace et éphémère par essence. Cette attitude bannit toute recherche de « coup médiatique ». E n 1808. l’impératif de persuader son subordonné est encore plus manifeste dans le contexte actuel de coalition. Napoléon décide de déposer le roi d’Espagne. autant l’arrivisme même sans être forcené relève du condamnable. Ce faisant. Napoléon s’est rapidement trouvé confronté à une véritable guérilla. c’est au comportement de reîtres prédateurs de ses généraux que le doit Napoléon. qu’il obtienne sa confiance. surtout quand il doit s’exercer sur des chefs d’une autre nation. Il n’existe pas pour lui d’autre manière de commander (…). cadrait difficilement avec son caractère ! « Le commandement unique. En d’autres termes. c’est l’homme chargé de l’exercer agissant. Il faut que celui qui les donne sache les faire accepter pleinement par celui à qui il s’adresse. en tant que commandant suprême inter allié en 1918 a toujours prôné la persuasion comme méthode unique de commandement. il est absolument impossible de réaliser l’unité de commandement autrement que par cette influence morale. ne peut pas s’imposer par un décret. Pages 15 à 24) 48 . l’aphorisme en fait de Sarrail. ce qui. Quand les armées se battent ensemble. d’une autre race. A quoi sert-il en effet de donner des ordres lorsque pour toutes sortes de raisons matérielles et morales. ce n’est pas la contrainte qui agit. » O In Recouly Le mémorial de Foch. (Paris 1929.L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques légitime. C’est pourquoi le commandement multinational recourra toujours à la persuasion grâce une conviction profonde que le chef saura faire partager. son adhésion. comme ils sont et non pas comme nous voudrions qu’ils fussent. il est vrai. surtout les étrangers. Le seul qui l’impose. Les éditions de France. cité supra. ils ne peuvent pas être exécutés  ? Il faut prendre les hommes. impératifs. des ordres secs. Il n’en demeure pas moins que Foch. sur ceux avec qui il doit collaborer (…) Mon idée revient en somme à ceci  : quand le commandement s’exerce sur des armées alliées. n prête à Foch. mais uniquement la persuasion. par son ascendant. catégoriques ne produiraient aucun résultat. aussi entières que possibles.46. Là se trouve la deuxième expression du discernement : un vrai chef ne se conforme pas par principe aux opinions des autres. L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques 49 Au-delà de cette capacité à persuader. Il ne tombe pas dans le piège de la focalisation. où le poids relatif d’une nation est directement lié au grade de son représentant le plus élevé. DISCERNEMENT Si tant il est vrai que le discernement est une disposition individuelle de l’esprit à juger clairement et sainement des choses. et ayant constaté l’échec de l’attaque. Il conserve et affiche souplement sa libre capacité de jugement. cette disposition d’esprit ne doit être confondue ni avec l’obstination ni avec l’isolement intellectuel. Il reste lucide. Ce fut le succès. préserve sa forme physique et morale. après avoir pris l’avis de tous les commandants de bataillon concernés qui. la crédibilité du chef doit être préservée par un juste équilibre entre le formalisme du grade détenu et la compétence reconnue13. sans préparation d’artillerie pour ménager l’effet de surprise. et ce parce qu’il dispose d’éléments d’appréciation objectifs qui lui sont propres.M. à l’assaut du mont Majo depuis le Garigliano le 13 mai 1944. le chef se doit d’abord de conserver ses propres capacités de réflexion. . délègue à bon escient.I. Ce caractère hiérarchiquement formel est accentué dans un cadre multinational notamment au sein de l’OTAN. qu’ayant lancé la 2e D. d’analyse et de jugement. Bien sûr. ne se laisse pas gagner par le surmenage. Juin relancera l’attaque le lendemain après une puissante préparation d’artillerie. quitte à s’opposer initialement à l’opinion commune ou majoritaire. relevant de la formation. filtre la quantité d’information dont il a besoin. tous. elle a fait l’objet d’un développement complet dans l’ouvrage cité dans le préambule. conserve en permanence le nécessaire recul par rapport à l’événement immédiat. 13 Cette qualité n’est pas mentionnée dans le présent document car. s’étaient exprimés en ce sens. Le discernement s’accorde en ce cas avec la capacité à convaincre. C’ est ainsi. SÉRÉNITÉ En complément de ces qualités. il se serait même exclamé : « ce mouvement de repli est impossible ! Franchet d’Espèrey se trompe ». y entre plus souvent que les autres. du 3e bureau. ayant conçu une nouvelle offensive qui devait avoir lieu sur le chemin des Dames entre Soissons et Reims. à son PC de Santa Arunca. « Pendant tout le mois d’avril (1944). il doit donc contribuer à réduire le stress ambiant et restituer dans la mesure du possible une attitude calme. et dans les situations de tension. Dès 7 heures du matin. sous les tentes et dans les roulottes. Ceux-ci peuvent alors donner le meilleur d’euxmêmes sans subir la pression provoquée par la situation opérationnelle. Lorsque les premiers comptes rendus de Franchet d’Espèrey lui sont parvenus. L’ équilibre des systèmes de commandement n’est que second par rapport à l’équilibre et à la sérénité que le chef doit dégager dans un « agenda » surchargé. Non seulement il se protège lui-même et conserve le discernement évoqué cidessus. le général Juin y était tout à fait parvenu lorsqu’il commandait le CEFI en 1943/44. puis chacun s’affaire de son côté. voire par les échelons supérieurs. l’état-major du général Juin travaille dans une ambiance calme et détendue. sereine et apaisée.  50 . Autant absorbeur d’angoisse que diffuseur de sérénité. Dans son style. un rapport réunit les chefs de bureau autour du « Patron ». le général Nivelle a refusé d’admettre que le retrait allemand du saillant de Péronne vers la Ligne Hindenburg. travaillant depuis longtemps pour le Général. E 47. Le commandant Pedron. Juin appelle tel ou tel dans sa roulotte pour lui demander un renseignement. mais il se rend crédible vis-à-vis de ses interlocuteurs et donne de la force à ses décisions. le chef doit s’efforcer de « tranquilliser » son entourage et ses subordonnés.L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques n 1917. il a un rôle privilégié. de manière à éviter la surchauffe. risquait de remettre en cause les effets qui en étaient attendus. interpréter sa pensée et la traduire par écrit. L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques 51 . officiers de liaison des différentes grandes unités sont très entourés. Mais. Le soir. le chef mettra en exergue à tel ou tel moment tout ou partie de ces qualités. celles-ci doivent constituer le «fond de sac» du caractère du chef. les camarades. (Paris 1988. du contexte et de l’environnement dans lesquels il agit. indépendamment de la phase de la manœuvre considérée et du mode de commandement choisi. A la popote. après le dîner. Il a donné comme consigne permanente : « Si rien de grave ne se produit. » Colonel Pujo Juin. l’humeur est joyeuse. c’est sa détente. maréchal de France. Juin organise un bridge. Albin Michel. et de sa personnalité propre. il importe que la formation morale et intellectuelle des futurs chefs mette l’accent sur ces qualités depuis la formation initiale jusqu’à l’enseignement militaire supérieur. Pour cela le caractère étant déterminé et non pas prédestiné. que l’on me laisse dormir. Page 187) En fonction de la situation à laquelle il est confronté. Il le comprend à demi-mot et sait mieux que tout autre. C’EST S’ADAPTER ABSOLUMENT AUX EXIGENCES CONTEMPORAINES DES ENGAGEMENTS SANS OUBLIER LES FONDAMENTAUX DE LA DISCIPLINE MILITAIRE C ertes les formes et les styles du commandement dans les combats terrestres ont subi des adaptations parallèles à l’évolution de l’art de la guerre. où les échelons tactiques bas conduisent l’essentiel des actions au contact avec l’adversaire. déterminé ou modéré selon les situations. C’est un style de commandement dans lequel le chef donne d’abord son intention pour laisser à ses subordonnés une marge d’initiative suffisante toujours sous contrôle. COMMANDER EN OPÉRATION AUJOURD’HUI. techniques et humaines de la manœuvre. non seulement au sommet mais à tous les niveaux de la chaîne hiérarchique. ce rôle du chef s’affirme majeur. lorsque les dispositifs sont très élargis et installés dans la durée. Pour autant. tel qu’ils sont présentés dans le FT01 au niveau tactique. En ce sens. décide et assume. Le chef demeure un entraîneur d’hommes. des mentalités et des cultures collectives guerrières ou militaires. il l’est aussi tout particulièrement en stabilisation.L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques EN CONCLUSION. Dans ce contexte où la manœuvre est globale et accroît l’importance de la coordination à tous les niveaux. lorsque règnent «les frictions et le brouillard de la guerre» quel que soit le niveau tactique. 52 . seul le chef oriente. Style adapté à des actions de coercition. non soumis aux aléas et vicissitudes des évolutions tactiques. le commandement reste donc intemporel. sur le terrain. Le contexte actuel et assez complexe des engagements terrestres. professionnel du métier des armes. amène donc à privilégier le commandement par objectif. » Maréchal Joffre Extrait de son discours de réception à l’Académie Française L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques 53 . les aspects formels de la discipline demeurent pérennes. au cours d’une épreuve morale terrible. qui les aidait. une faculté d’adaptation. qui les soutenait. en gardant dans le labeur le plus épuisant. entourant leurs chefs sur qui pesaient les plus grandes responsabilités d’une atmosphère de confiance saine et jeune. une lucidité de jugement. les principes de commandement et les qualités du chef décrits dans le présent document ne doivent jamais faire oublier que la discipline demeure une des vertus du soldat. « Jamais nous n’aurions pu faire ce que nous avons fait si les grands Etats-Majors de l’Armée ne se fussent pas maintenus comme des rocs au milieu de la tempête. Tout officier investi d’un commandement en opérations a ainsi le devoir d’en rappeler ou d’en fixer in situ les conditions particulières pour ses subordonnés. une habileté d’exécution d’où devait surgir la victoire. répandant autour d’eux la clarté et le sang froid.Enfin. ainsi que de s’en imposer pour lui-même les obligations. Si ce document insiste sur la discipline intellectuelle qui privilégie l’esprit à la lettre. L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques 54 . Officier Pilote : Colonel Pascal ZIEGLER .CDEF/DDo Maquettage : Mme Christine Villey Impression : Imprimerie BIALEC .54001 Nancy cedex L’exercice du commandement en opérations pour les chefs tactiques 55 .95 boulevard d’Austrasie .BP 10423 . Par les forces. pour les forces entre de Doctrine CDEF C d'Emploi des Forces .
Copyright © 2024 DOKUMEN.SITE Inc.