francais litterature livre du professeur

March 27, 2018 | Author: Nicoletta Pavlou | Category: Literary Realism, Novels, Portrait, Chivalry, Spain


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1reLivre du professeur 1 re L ES S Français Sous la direction de Geneviève Winter Littérature Anne Cassou-Noguès Marie-Aude de Langenhagen Illustration de couverture : © Selçuk Demirel Réf. 602.0006 - ISBN : 978-2-7495-3035 2 www.editions-breal.fr Français Nouveau programme Littérature 1 re L ES S Français Littérature Guide pédagogique à l’attention du professeur sous la direction de Geneviève Winter Anne Cassou-Noguès Marie-Aude de Langenhagen Éditions Bréal 27-29, avenue de Saint-Mandé - 75 012 Paris . La nuit remue. figures d’une émancipation ? Manuel de l’élève pp. 1972. Manuel de l’élève pp. 141-147 ……………………………………………………… 47 • Parcours 2 : Forme. Dieu et le doute. Albert Cohen. 227-239……………………………………………………… 87 Bilans de parcours chapitre 4 ……………………………………………………… 93 . 91-101 ……………………………………………………… 30 • Parcours 3 : Rejouer et déjouer le théâtre : Beckett. En attendant Godot (1952) : Manuel de l’élève pp. contrainte et invention Manuel de l’élève pp.Sommaire Chapitre 1 Le personnage de roman. 196-205 ……………………………………………………… 75 • Parcours 2 : L’homme. 151-161 ……………………………………………………… 55 • Parcours 3 : Henri Michaux. du xviie siècle à nos jours ………… 3 • Parcours 1 : Le héros de roman et ses métamorphoses Manuel de l’élève pp. 105-119 ……………………………………………………… 36 Bilans de parcours chapitre 2……………………………………………………… 41 Chapitre 3 Écriture poétique et quête du sens ……………… 47 • Parcours 1 : Le travail du poète Manuel de l’élève pp. un humanisme de la compassion Manuel de l’élève pp. 165-173 ……………………………………………………… 62 Bilans de parcours chapitre 3 ……………………………………………………… 69 Chapitre 4 La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du xvie siècle à nos jours ………… 75 • Parcours 1 : L’homme à la rencontre de l’autre Manuel de l’élève pp. 33-43 ………………………………………………………… 9 • Parcours 3 : Du personnage à l’anti-héros : Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline Manuel de l’élève pp. 209-223 ……………………………………………………… 81 • Parcours 3 : Ô vous. 21-29 ………………………………………………………… 3 • Parcours 2 : Les personnages féminins. 1935 Manuel de l’élève pp. 47-53 ………………………………………………………… 15 Bilans de parcours chapitre 1 ……………………………………………………… 19 Chapitre 2 Le théâtre : texte et représentation ……………… 23 • Parcours 1 : L’illusion théâtrale : évolution des codes et des conventions manuel de l’élève pp. 75-87 ……………………………………………………… 23 • Parcours 2 : L’horizon de la représentation Manuel de l’élève pp. frères humains. 339-347 ……………………………………………………… 124 Bilans de parcours chapitre 6 ……………………………………………………… 128 . 273-281 ……………………………………………………… 103 • Parcours 3 : Politique et religion : de la réflexion au réel Manuel de l’élève pp.Chapitre 5 Vers un espace culturel européen : Renaissance et humanisme ………… 99 • Parcours 1 : Le roman de la sagesse humaniste : Gargantua (1534) de Rabelais Manuel de l’élève pp. 327-335 ……………………………………………………… 121 • Parcours 3 : Transposer un thème obsédant : les variations de Marguerite Duras Manuel de l’élève p. 310-323 ……………………………………………………… 115 • Parcours 2 : Parodies et pastiches Manuel de l’élève p. 285-293 ……………………………………………………… 107 Bilans de parcours chapitre 5 ……………………………………………………… 111 Chapitre 6 Du modèle aux réécritures. 261-269 ……………………………………………………… 99 • Parcours 2 : Figures de l’homme Manuel de l’élève pp. du xviie siècle à nos jours ………… 115 • Parcours 1 : Mythe et réécriture : les frères ennemis Manuel de l’élève p. au premier chef Rastignac et Vautrin dans Le Père Goriot (texte 4  : Rastignac et Vautrin. La veine combattante trouve son terrain d’expression au XVIIIe siècle sous la forme burlesque du cheminement chaotique du picaro. Dans ce portrait. qui se livre à l’oisiveté et fait volontiers bonne chère. il lit ad libitum et vit dans un rêve. du xviie siècle à nos jours • 3 . toujours susceptible d’être remise en question : le héros se déconstruit à mesure que le genre s’autonomise et digère les autres genres. D’un côté le désordre de l’imaginaire contre l’ordre du réel . du xviie siècle à nos jours Parcours 1 Le héros de roman et ses métamorphoses Manuel de l’élève pp. dès son origine. pacifié et propice à l’amour. le personnage gravit peu à peu les échelons de la société pour reconquérir sa dignité perdue . Vautrin est le futur de Rastignac. en s’affranchissant des modèles.Chapitre 1 Le personnage de roman. nouvelle Arcadie recréée par Honoré d’Urfé (texte 2. jeunesse et âge moyen. Le schéma du modèle de Cervantès est inversé  : Don Quichotte était un idéaliste maladroit et rêveur dans un monde qui ne le comprenait pas (il triomphait malgré lui. lui dont les apparences ascétiques sont loin des canons physiques du chevalier traditionnel et dont la mise rappelle bien plus la cotte mal taillée que l’armure du chevalier. qui se heurte aux contingences et à ses limites. modèle du héros bucolique). tout droit issu du roman populaire –. le berger réussit à épouser sa bergère comme le picaro réussit à s’élever dans la société ou parvient à ses fins en vivant d’expédients. Ainsi. Dès lors. il est peu à peu dissous par l’ogre romanesque. La conquête de sa propre existence par lui-même fait du personnage un héros en construction qui doit faire la preuve de sa qualité supérieure. le troisième âge trouvant à se réaliser dans le personnage du père Goriot. le picaro ou l’héroïsme burlesque). ce personnage en quête ambitieuse de triomphe social est incarné par les personnages des romans de Balzac. le héros devenu simple personnage du peuple (le picaro ou le berger) suit la pente ascendante du roman en quête de légitimité : comme lui. présenté d’emblée en négatif par rapport à l’idéal du chevalier courtois. Au lieu d’agir de manière raisonnée. Pour ce faire. Céladon. le problème de la crédibilité de son héros. qui consiste à se lancer sur les chemins du monde et à se mettre à l’épreuve du hasard en s’édifiant soi-même au gré des contingences. Au XIXe siècle. qui ne combat plus mais garde ses troupeaux. elle permet de rétablir un ordre jusquelà usurpé chez le picaro (un ordre fondé sur l’intelligence et la capacité d’adaptation supplante un autre ordre. trouve à se dire dans deux déclinaisons qui exploitent une de ces deux caractéristiques au détriment de l’autre en créant des types. 21-29 PROBLÉMATIQUE Du héros au personnage du classicisme au Nouveau Roman (le portrait) Ce parcours entend montrer comment le héros romanesque perd au fil de l’évolution du genre son statut héroïque pour devenir un «  personnage  » apparemment simple et vraisemblable mais complexe dans sa relation avec l’auteurnarrateur. l’étudiant et le brigand  : personnages et «  types  »). par des hasards de circonstances) . à la fois combattant et parfait amant. celui de l’idéal chevaleresque. pratique. l’éducation du picaro. Ce premier texte montre combien le roman pose. le picaro est un homme intelligent et astucieux dans un monde fait de naïfs et de pédants incultes (texte 3 : Gil Blas. dans cet extrait.Le personnage de roman. toutes les valeurs du héros traditionnel sont ironiquement inversées pour disqualifier Don Quichotte. La seule morale est celle. Don Quichotte représente le point de basculement entre un héroïsme déjà dépassé (l’héroïsme chevaleresque d’Amadis de Gaule) et un nouvel héroïsme moins idéalisé. Rastignac et Vautrin représentent aussi les deux âges de la vie. fondé sur des privilèges indus). qui triomphe de tous les obstacles qui se dressent sur son chemin non plus l’épée à la main mais à l’aide de sa malice et de son intelligence. et les deux descriptions qui se suivent dans cet extrait montrent déjà que les personnages ont tous deux Chapitre 1 . S’ils répondent à des «  types  » romanesques bien établis au XIXe siècle – l’étudiant ambitieux et idéaliste et le brigand mystérieux et habile. de l’autre l’ordre de l’intelligence qui rétablit l’équilibre au sein d’un déséquilibre social. La vertu civilisatrice du héros est inversée au profit d’un autre ordre de compréhension du monde chez Don Quichotte (l’imaginaire se superpose au réel et le parasite) . qui n’a pas de nom véritablement établi – par absence d’ascendance prestigieuse –. Symboliquement. La veine courtoise s’illustre au XVIIe siècle à travers le personnage du berger amoureux. prend à revers celle du chevalier (passage obligé de l’apprentissage de la chevalerie et de ses valeurs) : il n’y a point de culture ou de morale à apprendre des précepteurs tous plus ignorants les uns que les autres. anti-modèle et anti-héros). l’idéal du héros chevaleresque. il faut évidemment remonter aux sources du romanesque avec Don Quichotte (texte 1 : Don Quichotte. nourri par une philosophie de vie pratique résolument optimiste. tout occupé à conquérir sa belle réticente dans un Forez idéalisé. héros des chansons de geste. l’éthique féodale est en crise car : 1. Incapable de déterminer le sens de l’action et de prendre en mains son destin. Héritage d’une littérature belliqueuse et épique qui exalte les vertus guerrières (Amadis de Gaule) et les mœurs du Moyen Âge. Mais au tournant des deux siècles.Exaltation de la force. 22) La mise en question du héros courtois Miguel de Cervantès. de Mateo Aleman (1599-1604). Les Nobles sont obligés de servir l’État. roman picaresque et Don Quichotte (1605-1615). entre en crise au moment de la parution de Don Quichotte. esthétique et culturel La crise de la puissance et de la conscience espagnoles : vers le crépuscule de l’Espagne La vie de Cervantès lui permit d’être au carrefour de l’histoire : il fut à cheval entre le XVIe et le XVIIe siècles et connut donc la gloire mais aussi les premiers signes du déclin de l’empire espagnol. 2. physique : combattre comme activité héroïque par excellence. Les valeurs féodales sont sur le déclin au profit des valeurs mercantiles. Philippe est contraint d’abandonner une partie de l’Autriche. il ne retient de son expérience qu’une exaltation naïve devant le ballet des sons et lumières des échanges armés. Cervantès naît sous le règne de Charles Quint (1517-1556). Vautrin est affable et charismatique. L’Espagne est à la fin du XVIe siècle une des grandes puissances européennes. le personnage romanesque est symbolisé par le narrateur-personnage de L’Étranger (texte 6 : L’Étranger. et qui a été un modèle incontesté en Europe jusqu’au début du XVIIe siècle. On assiste au triomphe de l’argent. épouvanté par le sang qui coule. . confiné sur ses terres mais à qui son statut social interdit de cultiver lui-même ses terres et laboureur enrichi qui fait fortune. Le XVIIe siècle espagnol  est marqué par 3 grands moments : . Le déclin et la décadence commencent avec le règne du fils de Charles Quint. le personnage a définitivement abandonné ses prérogatives héroïques et devient spectateur impuissant de ce qui lui arrive (il décrit simplement ce qu’il voit). se jouer des contingences matérielles pour le picaro) à l’impuissance devant la réalisation de ses idéaux (Rastignac pauvre et Vautrin brigand . . du monde et de toute sensibilité. Le triomphe d’une littérature baroque De nouvelles formes littéraires apparaissent. La voie est ainsi ouverte à la mise à mort du héros qui passe progressivement de l’activité burlesque et sentimentale (courtiser pour le berger amoureux. 4 • Chapitre 1 . fait triompher l’Espagne à Lépante (1571) mais l’invincible Armada est vaincue en 1588 par l’Angleterre. Symboliquement. à l’extérieur de lui-même. le pouvoir de la noblesse cède face à un roi qui s’affirme absolu. l’Espagne entre dans une période de crise. de la vaillance militaire. Le déclin se fait plus franc avec Philippe III (1598-1621) : au tournant des XVIe et XVIIe siècles. est un roman du pessimisme. qui ne fait qu’effleurer la mort de sa mère comme s’il était déjà mort lui-même. lui qui a perdu sa conscience. un « empire sur lequel le soleil ne se couchait pas ». L’absence d’héroïsme du personnage romanesque culmine avec Fabrice del Dongo (texte  5  : Fabrice del Dongo. LES TEXTES DU PARCOURS Texte 1 (manuel de l’élève p.Le personnage de roman. le champ de bataille  : incapable de comprendre les enjeux stratégiques du combat. Don Quichotte de la Manche (1605-1615) Le passage dans l’économie générale de l’œuvre L’extrait proposé constitue l’incipit du roman de Cervantès.Magnanimité : la magnanimité guerrière renvoie au courage dans les combats et à la défense de l’honneur. la caricature de l’hidalgo famélique  renvoie à l’image d’un hobereau de village. personnage « fort peu héros »). héritée de l’Espagne. chambre d’échos des guerres qui ont mis à mal les idéaux. le personnage est réduit à une peau de chagrin victime de la « machine infernale » de l’existence qu’il ne comprend plus et qui ne le comprend plus (qui ne le contient plus  : il en est exclu). du xviie siècle à nos jours Contexte historique. Guzmàn de Alfarache. La crise des valeurs héroïques L’éthique féodale.des aspects qui dérogent à la loi que constitue le modèle héroïque  : Rastignac est noble mais désargenté. il est écarté du domaine épique. comme un enfant émerveillé par un feu d’artifice sans pour autant être artificier. différente de la culture de la Renaissance. En marge du monde. témoin en est l’endormissement symbolique du personnage – sans nom – à la fin de l’extrait. qui rêve de renouer avec les idéaux chevaleresques épiques en s’engageant comme soldat. L’Espagne est la première nation européenne (politique de conquêtes donc empire. son identité et presque toute étincelle de vie. qui marque l’apogée de la puissance espagnole. mais sombre et inquiétant. Philippe II (1556-1596) qu’on appelle pourtant le siècle d’or espagnol : son règne sera fait de défaites et de victoires. la littérature se fait novatrice. du négoce. Le début du XVIIe siècle est marqué par le triomphe d’une nouvelle culture. Contexte esthétique et littéraire Alors que la société espagnole refuse la modernité. le personnage absurde et la mort de l’héroïsme). richesse économique et extension géographique). La noblesse ne sait pas s’emparer de ce nouvel outil qu’est l’argent. mais qui se révèle bien incapable de prendre part efficacement aux combats. de l’investissement. Fabrice spectateur émerveillé mais hors de la vie) pour terminer par une mise à mort symbolique de toute action possible. Les fondements de cette éthique féodale sont : . Le roman du XXe siècle. où des héros désenchantés se heurtent à l’absurde de l’existence : de Roquentin dans La Nausée aux personnages évanescents du Nouveau Roman. En littérature.invention du roman moderne. Séduction des romans sur imagination débile de DQ : « pensée que jamais fou ait pu concevoir ». Dimension parodique du portrait du héros. « le plus clair de son temps ». « tête pleine ». Incertitude sur le nom « on ne sait pas très bien ». Costume (« lance. Usage immodéré de la lecture Rhétorique de l’hyperbole : «  ses nuits et ses jours  ». III. Le personnage apparaît dès le seuil du texte comme ridicule. archaïsante. Ce genre narratif affirme sa singularité par rapport aux trois figures emblématiques de la littérature romanesque : le chevalier. tournois. Un costume misérable. C. Des bergers y font l’éloge de la vie retirée et simple et s’ébattent dans une nature artificielle. Un héros sans envergure a. b. Le récit se présente comme véridique. Parodier le roman de chevalerie A. c. La Galatée (1585). 2/ l’action se déroule dans un passé lointain et dans un cadre géographique et historique assez vague. Le héros est à l’opposé du héros traditionnel qui appartient à une grande famille. 1508). qui est un genre nouveau. « du soir jusqu’au matin et du matin jusqu’au soir ». on trouve le roman picaresque. Proposition de lecture analytique I. idéal chevaleresque («  service de sa patrie  »  . Le héros s’oppose aux flamboyants chevaliers. batailles. costume. Folie du héros. Ironie du narrateur qui se moque d’un héros plongé dans la lecture à ses «  heures d’oisiveté. Lectures de DQ ont « desséch[é] » sa cervelle donc chaque objet qui s’offre à sa vue porte la trace de ses lectures. b. Physique atypique. Son modèle  est le chant de Polyphème dans les Métamorphoses d’Ovide. Ce type de roman présente une configuration assez simple : 1/ il se présente comme la traduction d’un ouvrage dans une langue exotique. Un catalogue des codes du roman de chevalerie a. 3/ les personnages s’expriment dans une langue surannée. bestiaire (levrette et rosse »). Maigre et âgé.. Passion vécue sous le signe de l’excès : récurrence de l’hyperbole : « s’acheta autant de romans qu’il en put trouver »). Le texte qui consacrera le genre est Guzman de Alfarache (1599 et 1604) de Mateo Aleman. B. blessures  »). Don Quichotte incarne sous l’angle parodique la figure dégradée d’un héros de romans de chevalerie. . Un héros oisif a. Un fervent admirateur de romans de chevalerie. écrit en des temps reculés par un auteur mythique. C. « De l’horrible danger de la lecture » (Voltaire) L’incipit condamne la fascination dangereuse que peuvent exercer les œuvres d’imagination. bouclier »). L’oisiveté du héros. défis. signe d’une distance prise par l’auteur à l’égard de modèles littéraires antérieurs. Le héros a lu sa vie. Une passion « extravagante ». Costume de «  drap fin  » et « pantoufles ». ethos chevaleresque (« s’exposant aux hasards et aux dangers »). Tous les topoï du roman de chevalerie sont présents. Le roman picaresque À l’opposé de ces romans idéalistes. aventures («  querelles. du xviie siècle à nos jours • 5 . Le roman sentimental et pastoral Le roman pastoral  se caractérise par l’évocation d’amours champêtres (amour platonique) présentés dans le décor d’une nature idéalisée.triomphe de la comedia nueva  : Lope de Vega puis Calderon. La lecture apparaît comme «  ravissement  » et extase  : cette lecture exclusive se fait au détriment du quotidien. 4/ récurrence des combats singuliers. Confusion entre la réalité et la fiction (« crut si fort à ce tissu d’inventions… »). Quelques traits réalistes : « sec Chapitre 1 . d. « Quichada ou Quesada »). Un incipit à valeur programmatique : éloge de la liberté créatrice A. b. c. Peu de verbes de mouvements et de description d’actions (sauf dans le dernier paragraphe). 5/ les actes héroïques sont accomplis dans le but de séduire une dame qui s’abandonne secrètement au héros. Les personnages sont de rang inférieur ou sont des marginaux aux aventures peu honnêtes et peu glorieuses. présentée de manière réaliste. Congédier les modèles Une illusion de réalisme. Le premier roman pastoral espagnol est La Diane de Montemayor (1559) . II. Appétit insatiable pour tout ce qui est écrit. Imprégnation mentale et obsession Endoctrinement romanesque. Lecture obsessionnelle qui corrompt son jugement. Combats. Imitation a. B.Le personnage de roman. La production romanesque à l’époque de Cervantès Les romans de chevalerie Le livre de chevalerie connaît un essor prodigieux à partir de 1510 (Amadis de Gaule.nueva poesia : Gongora : poésie nommé « cultista » (cultéranisme) C’est ce que l’histoire littéraire a nommé le «  baroque ». Folie du héros (« son cerveau se dessécha  »). Lecture conduit le personnage à vouloir imiter les romans de chevalerie. Effets néfastes de la lecture : 3 étapes dans le processus de perversion de l’imagination. b. imitation de la geste chevaleresque. Ce roman propose l’autobiographie d’un être vil. quête de la gloire. le berger et le picaro et va mêler les codes de cette littérature idéaliste et réaliste. affrontements avec des êtres fabuleux. L’absence de nom. Cervantès sera auteur d’un roman pastoral. L’incipit est aussi une parodie d’incipit de roman réaliste et par conséquent induit une réflexion sur la fiction et ses pouvoirs. La passion des livres. A. c’est-à-dire le plus clair de son temps ». Caractérisation du passage Le passage se caractérise par un traitement burlesque : en effet. garant de l’authenticité des faits. «  réparant […] toutes sortes d’injustices »). Les lettres plutôt que les armes (champ lexical de la lecture). vêtus d’une armure rutilante. En 1849. l’être stendhalien fait preuve d’une force de caractère exemplaire. conduisent les artistes à se tourner vers le réel et à renoncer au romantisme. qui l’invite. On peut se référer au discours ante-mortem de Julien dénonçant.   Texte 5 (manuel de l’élève p. ce que tu sens. Il représente en effet une scène de la vie quotidienne des paysans. en réponse à l’acte d’accusation. Prise de distance par rapport au héros. Autonomie de la fiction : « dans un village de la Manche. Miner le réalisme : « un village de la Manche » : indétermination spatiale . II). un discours en haine du monde qui s’exprime dans la bouche du héros réaliste.Le personnage de roman. mais il ne peut être enrôlé officiellement. animé par l’ambition. au « gentilhomme » qu’il regarde et juge comme un objet étrange. Nouvelle différence avec le héros romantique : alors que le héros romantique a la nostalgie de l’épopée napoléonienne et se réfugie dans la déploration (voir Alfred de Musset. à cause de sa naissance ou de ses origines sociales (rappelons que Julien est le fils d’un scieur. La Chartreuse de Parme. Axiologie négative du vocabulaire «  tissu d’inventions  ». Détails dérisoires et totalement superflu sur les menus du héros. B. Duranty crée même une revue intitulée Réalisme (novembre 1856-mai 1857) pour défendre les artistes réalistes. Alors que chez le héros romantique. le héros stendhalien est un être en conflit avec la société. l’initiation tourne court : Fabrice n’a absolument rien d’héroïque et devra l’être ailleurs que sur le champ de bataille. «  extravagante  ». . En cela. Mais très vite. Fabrice ne vit pas un amour heureux avec Clélia) car l’écart entre le héros et celle qu’il aime est trop grand. en cours d’assises. tout comme le romantique combattif. La première phrase peut vouloir dire : 1/ « je ne peux pas me rappeler » : cela ôte toute importance au nom de l’endroit 2/ le lieu doit demeurer secret : il n’a pas d’importance et donc le message au lecteur est que le roman doit demeurer libre du référent. Confessions d’un enfant du siècle. les battants entendent agir pour changer leur condition et optent pour des projets ambitieux (on pourra comparer Julien au personnage théâtral d’Antony. tableau de Courbet dont le mot d’ordre était « Fais ce que tu vois. Cependant. du xviie siècle à nos jours raient entraver sa réussite. « maigre de visage »… et indices sur repas du héros (structure énumérative). Cette position sociale initiale voue les héros au malheur ou au mieux au mépris. la déception suscitée par l’éviction du gouvernement d’un poète lyrique comme Lamartine. Contexte esthétique et culturel Le roman stendhalien figure une transition essentielle entre romantisme et réalisme. se lance à l’assaut de la société pour y briller. passion placée plus haut que tout. à vaincre les obstacles qui pour6 • Chapitre 1 . qui méprise les choses intellectuelles). Le narrateur refuse d’assumer sa fonction (notamment informative) de narrateur « je ne veux pas me rappeler le nom ». Il est un marginal. Ironie et intrusion de l’auteur. Comme le héros romantique. C. b. dans la pièce éponyme d’Alexandre Dumas. 1839 Le passage dans l’économie générale de l’œuvre Fabrice del Dongo est apparu au début du roman comme un jeune aristocrate naïf et idéaliste. les castes sociales et se souvenir que l’idole du héros stendhalien est Napoléon. Pas de lieu. Cela conduit à un second point de convergence entre le héros stendhalien et le héros romantique : la foi en l’amour. 1836. le héros stendhalien par exemple du Rouge et le Noir se rapproche de la figure de l’« enfant bâtard » dont parle Marthe Robert dans Roman des origines. même si les codes et conduites sociales sont jugés médiocres et méprisables. le héros réaliste son rêve en conquérant. ce que tu voudras ». C’est moins. Il arrive malgré tout à trouver un cheval et à se jeter dans la bataille de Waterloo. qui entend s’instruire pour faire oublier qu’il n’a pas de père). fait scandale. Refuser le déterminisme d’un incipit a. Cependant. son ancienne maîtresse. qui part à l’assaut d’une société pour s’y faire une place. Il souhaite se battre avec l’armée de Napoléon. en de permanents défis. qu’une aspiration forte à s’imposer socialement. Le roman n’est pas une copie du réel. Cet amour est toujours impossible (Julien n’épousera ni Mathilde de la Mole. sans chercher à lui donner un sens symbolique. à l’inverse du héros romantique. tout comme celui du héros romantique. Un réalisme subjectif Le réalisme L’essor des sciences et des sciences sociales en particulier au XIXe siècle. le sort du héros réaliste est souvent malheureux  : Julien meurt guillotiné pour avoir tiré sur Mme de Rênal. Ainsi Fabrice del Dongo incarne cet archétype réaliste du héros romanesque conquérant.de corps ». On qualifie alors son œuvre de réaliste. terme très vite repris pour qualifier certaines œuvres littéraires. l’exclusion sociale engendrait souffrance et ressentiment. «  il crut bon et nécessaire ». qui rêve d’imprimer sa marque au monde. dont je ne veux pas me rappeler le nom ». L’absence d’indices. Du héros romantique au héros réaliste À l’image du héros romantique. indétermination temporelle « il n’y a pas longtemps ». elle donne énergie et soif de conquête au héros stendhalien. À l’inverse du romantique mélancolique (figure de l’«  enfant trouvé » selon Marthe Robert) qui se retire d’une société qui ne le comprend pas. chap. b. 26) Portrait du personnage en héros improbable Stendhal. le sentiment de la virtu et de ce que le héros se doit à lui-même. pas de nom. Le réalisme connaît un nouveau temps fort en 1857 : le procès intenté au roman de Flaubert. origine du roman. ni Mme de Rênal . L’Après-dînée à Ornans. le héros réaliste. pas de famille. il se rend sur le champ de bataille de Waterloo pour faire son baptême du feu et son initiation chevaleresque. La désinvolture du narrateur a. Alors âgé de 17 ans. Éclatement du regard : « il s’aperçut ». de la mort et non de la grandeur d’âme et de la valeur. Cette représentation ne peut toutefois pas faire abstraction de la personnalité de l’écrivain. Trahit un aristocrate peu habitué aux champs de bataille. Balzac et le réalisme français. L’intrusion du narrateur Le narrateur porte un jugement sur son personnage « notre héros ». Fabrice ne parvient pas à saisir correctement les détails de la scène  : «  il avait beau regarder » : modalisation qui dit l’échec. mais les effets de réel sont suggérés par de petites notations. Maspéro. telle qu’elle est. L’abrutissement sonore. Pas d’ampleur épique. tout sanglant. La boucherie héroïque « Une boucherie héroïque » au sens où Voltaire entend ce terme. 1857). Fabrice est « scandalisé de ce bruit qui lui faisait mal aux oreilles ».Madame Bovary. « n’y comprenait rien du tout ». « il remarqua »). ce sera toujours une représentation… L’homme n’étant pas une machine ne peut pas rendre les objets machinalement  » (Champfleury. Cette voix très mordante du narrateur souligne le ridicule du personnage de Fabrice. Récurrence de l’évocation du sang (« cadavres. Fabrice est ridicule car il ne parle pas comme les autres soldats. volontiers associé à la grossièreté. Le champ de bataille est vu à travers le regard brouillé et limité de Fabrice. Paris. 1969). Chaos et confusion Un regard brouillé. « Pardi ». Un héros improbable A. le réalisme stendhalien est moins total. l’expression « les habits rouges » n’a aucun sens pour lui. Absence de vision globale. L’épisode du cheval. « il jurait » : homme trivial et grossier. le sang »). Une scène épique sans majesté A. Un réalisme cru. bien française ». Une figure de l’étranger. qui appartient au vocabulaire châtié alors que Fabrice est sur un champ de bataille. Notations impressionnistes. Démythification de l’héroïsme. B. « scandalisé ». boue  »). Désacralisation du héros qui est totalement hermétique aux valeurs guerrières. Détail météorologique trivial qui désacralise le combat. C. bêta » : on souligne son ignorance en matière militaire. de « petits faits vrais » qui participent à la construction de l’effet de réel (sur l’opposition entre Balzac et Stendhal. mais plus pointilliste. qui baignent dans la boue (« terre labourée ». sans chercher à l’embellir. La spécificité du réalisme stendhalien Précisons simplement qu’à l’inverse d’un Balzac et du projet de la Comédie humaine. On peut définir le réalisme comme un mouvement artistique qui tente de rendre compte de manière exhaustive de la réalité. Le champ de bataille est le lieu du sang. C. Le regard est perpétuellement ironique.Le personnage de roman. d’ensemble. terme péjoratif. Axiologie négative du vocabulaire : « fort peu héros en ce moment ». Un soldat incapable. III. suscite réflexions et débats. II. Grossièreté des hommes. Fabrice est horrifié par l’agonie de la bête (« ce qui lui sembla horrible. Mais Fabrice ne dit rien des morts humains qui jonchent le sol ! Effets de décalage : 1/ Décalage lexical  : usage de «  gourmande  ». La focalisation interne. Le jeune homme fait preuve d’une inefficacité totale et d’une sensiblerie inutile et inopérante. Des hommes sans grandeur Désacralisation du maréchal Ney : « gros ». le roman ne vise pas à l’exhaustivité et à l’encyclopédie. Réalisme cru avec la description des « entrailles » du cheval mourant. S’apitoie sur le sort des soldats agonisants ou du cheval mourant mais est totalement incapable de remédier à la situation. on hésite encore sur la place à donner au corps et sur la possibilité de substituer la sensation au sentiment. Fabrice est dénigré par les autres soldats « blanc-bec. Fabrice spectateur Pas homme d’action. « ne comprenait pas » (noter la récurrence de la négation) . L’ironie du narrateur Le narrateur porte un regard amusé et distancié. « Notre héros. même si qualifié ensuite de « brave des braves ». En effet. Caractérisation du passage La scène est d’une très grande méchanceté pour Fabrice  : en effet. Fabrice sensible Sensiblerie de Fabrice face au spectacle du champ de bataille. incapable de se comporter en guerrier et incapable de saisir les enjeux de la bataille. fort humain… » : attitude en complet décalage : ce n’est pas le moment d’avoir pitié. Proposition de lecture analytique I. Sont des corps souffrants. Absence totale d’idéalisation du combat et des corps héroïques. le champ de bataille n’a absolument rien d’héroïque. « avait beau ». il ne connaît pas le « Maréchal » . Chapitre 1 . Un narrateur impitoyable A. Il ne doit pas trahir son origine italienne : «  le conseil de ne point parler  ». De plus. B. voir Georg Lukacs. du regard porté sur le monde  : « La reproduction de la nature par l’homme ne sera jamais une reproduction. du xviie siècle à nos jours • 7 . Fabrice imbécile Fabrice est ignorant de tout et de tous les codes militaires. « il n’y comprenait rien du tout » . B. le récit de bataille n’excède jamais à la grandeur épique : vu à travers le regard de Fabrice. y compris parmi les artistes qualifiés de « réalistes ». « blanc-bec » : on ne les voit pas combattre mais parler. le narrateur ne cesse de moquer son héros. si l’on s’accorde pour proscrire les envolées lyriques et les débordements d’imagination de la génération romantique. En effet. une imitation. Fabrice ne parle pas la langue militaire. Lexique du regard et non de l’action (absence verbes de mouvement). ce fut un cheval tout sanglant… ». «  une petite phrase bien correcte. Le Réalisme. Van Dyck fixent les canons du portrait d’apparat . • Carlos Fuentes.Le personnage de roman. . des fleurs ou des coquilles. Paris. ou des sujets agréables comme les poètes  . éd. Antonio Munoz Molina. 1979. Stendhal et le comique. Europe. Il faut pour cela passer d’une seule figure à la représentation de 8 • Chapitre 1 . Nature et société chez Stendhal.  il faut traiter l’histoire et la fable . • Michel CROUZET. Paris. moins solennels. Stendhal et les problèmes du roman. Genève. 2007. dans sa préface au recueil des Conférences de l’Académie de peinture et de sculpture publié en 1667. Il s’agit d’une œuvre imposante de 289 cm sur 205 cm. Le portrait redevient un genre autonome quand triomphe le style «gothique international» qui renoue avec la tradition antique des bustes et médailles. Portrait équestre du duc de Lerma. originale en 1976. » Rappels historiques Le portrait peint ou sculpté a connu une grande fortune dans l’Antiquité. De Don Quichotte à Dom Juan ou la quête de l’Absolu. 3-16.portraits collectifs : Rembrandt excelle dans la représentation de groupes. Paris. musée du Prado. il faut par des compositions allégoriques. Au XVIIe siècle. Don Quichotte » Hors-Série n°1. Droz. L’Herne.  il faut représenter de grandes actions comme les Historiens. pp. L’Harmattan. Paris. Celui qui peint des animaux vivants est plus estimable que ceux qui ne représentent que les choses mortes et sans mouvement . fr. rééd. Presses Universitaires Septentrion. 2006. le portrait tend à laisser entrevoir le reflet d’une âme. représentés dans les bâtiments publics et les palais. il est certain que celui qui se rend l’imitateur de Dieu en peignant des figures humaines. Don Quichotte. Jean-Marc Pelorson. n’a pas encore atteint cette haute perfection de l’Art et ne peut prétendre à l’honneur que reçoivent les plus savants. juillet-août 2010. • Daniel SANGSUE. le portrait devient un genre à la mode. Fayard. Pierre Brunel. Cervantès ou la critique de la lecture. mais il s’agit d’un genre très codifié. Mensonge romantique et vérité romanesque. Pierre-Paul Rubens.2/ Décalage dans le comportement  : Fabrice exprime une joie enfantine (ponctuation expressive. 2003. Ouvrages critiques sur Stendhal et La Chartreuse de Parme • Hans BOLL-JOHANSEN. et comme la figure de l’homme est le plus parfait ouvrage de Dieu sur la terre. Ellug. On représente souvent au Moyen Âge les figures des donateurs mais elle n’ont pas d’autonomie : elles sont incluses dans un ensemble plus vaste dans lequel elles occupent une place secondaire. Paris.portraits intimes : ils sont conçus comme un moyen d’introspection et sont par conséquent plus intimes. 1603. d’une intériorité. Paris. indications BIBLIOGRAPHIques Ouvrages critiques sur Don Quichotte • Alain Amar Hanania. articles de Jean Canavaggio. 1954. • René GIRARD. 1999. « Les grands héros de la littérature. janvier-fév. du livre au mythe. religieux. « Le temps du Quichotte ». • Le Magazine Littéraire. Quatre siècles d’errance. • Pierre Vilar. Carlos Fuentes. lexique puéril « le feu ») face à un spectacle d’horreur.… . est beaucoup plus excellent que tous les autres (…) Un peintre qui ne fait que des portraits. 1985. écrit : « Celui qui fait parfaitement des paysages est au dessus d’un autre qui ne fait que des fruits. savoir couvrir sous le voile de la fable les vertus des grands hommes et les mystères les plus relevés. • Georges Blin. ce qu’on appellera un peu plus tard « la peinture d’histoire ». Félibien. Hachette. Corti.portraits d’apparat : Rubens. médecins. Il faut distinguer différents genres de portraits : . n° 121122. Paris. souvent allégorique. Pendant la Renaissance. 1956. • Jean Canavaggio. 2005. En France. Stendhal et le roman : essai sur la structure du roman stendhalien. PROLONGEMENT ICONOGRAPHIQUE Le portrait d’apparat au XVIIe siècle La hiérarchie des genres La théorie de la hiérarchie des genres a été pour la première fois formalisée au XVe siècle par les humanistes italiens (Alberti : Traité sur l’Architecture) qui placent au premier rang la peinture des hauts faits des personnages illustres. du xviie siècle à nos jours plusieurs ensemble .   et montant encore plus haut. naïveté du regard. Il est placé au centre et son geste du bras lui permet de se saisir de l’espace. b. Parcours 2 Les personnages féminins. Cette inflexibilité morale. Le fond majestueux a pour but de rehausser la valeur de l’homme. titre militaire. En conclusion. La palette de Rubens est ici lumineuse : blanc. de Clèves pour qui elle n’a aucune inclination. Rubens est chargé des portraits de la famille royale espagnole… Une telle position ne peut que réduire la liberté d’expression des peintres. toute dévouée à se soumettre à son devoir d’épouse (voir l’extrait). mais elle leur donne les moyens matériels de se consacrer à leur art. B. b. Le duc est peint de face. Un homme de haut rang Le duc porte un costume d’apparat qu’il pourrait revêtir à la Cour : il reflète son prestige. La position dans l’espace. Le bras du duc conquiert le tableau. Description A. comme Mme de La Fayette avec La Princesse de Clèves (texte 1). a désormais bien du mal à le rester dans un univers d’oppression où les vices la menacent de toute part. dans une position qui rappelle la statuaire équestre européenne. Les nobles en ont d’ailleurs conscience puisqu’ils emploient eux-mêmes les artistes : Van Dyck devient peintre de cour de Charles Ier en 1632. Les couleurs. Ainsi. récitées par les femmes pendant qu’elles tissaient).I. Dans ce bref roman ou cette longue nouvelle. et sociologique importante. du même auteur – est en butte à une éducation morale stricte qui lui laisse peu de possibilités pour vivre une existence libre  : les principes inculqués par sa mère sont devenus chez elle une seconde nature aussi accepte-t-elle avec abnégation d’épouser M. Interprétation A. comme cet homme qui défie le spectateur du regard conquiert les territoires. le portrait d’apparat nous donne à voir les grands de ce monde et ont en ce sens une portée politique. 33-43 PROBLÉMATIQUE Ce parcours entend montrer l’évolution d’un type de personnage particulier. qui fait du personnage féminin un modèle de vertu. le personnage principal – idéalisé à grand renfort de superlatifs. comme Mlle de Montpensier dans la nouvelle La Princesse de Montpensier. historique. Il est richement vêtu. corollaire de celle des femmes dans la société : il permet ainsi de mieux comprendre – par une figure qui cristallise un certain nombre d’enjeux propres à chaque époque – l’évolution des mœurs. souvent taxé de littérature en « bas bleu » au XIXe siècle (c’est-à-dire de femmes de lettres jugées pédantes et prétentieuses). Le duc a. En effet. Par la peinture de la religieuse folle préfigurant la perte de la raison qui risque de l’atteindre (voir l’extrait). Les romancières ont ainsi souvent été les premières à mettre en scène des héroïnes. Un guerrier vaillant Le tableau souligne les qualités de guerrier du duc de Lorna. c. Les attributs. Suzanne Simonin se fait la porte-parole de Diderot dénonçant le système des couvents qui. Le fond Le duc est représenté devant un champ de bataille. marque profondément la représentation romanesque des femmes jusqu’au XVIIIe siècle (voir par exemple La Nouvelle-Héloïse) et perdure encore longtemps après. B. du xviie siècle à nos jours • 9 . Un halo lumineux souligne le bras du conquérant. L’héroïne. Chapitre 1 . Sade et Diderot. alors que le roman est un genre à l’origine destiné à des femmes (chansons de toile au Moyen Âge.Le personnage de roman. Les lignes de force. figures d’une émancipation ? Manuel de l’élève pp. Le duc est muni de son bâton de maréchal. jusque dans des lieux pourtant réputés pour être des sanctuaires à l’abri de la corruption de la société : les couvents. Ce modèle de soumission est cependant mis à mal à la fin du XVIIIe siècle : Laclos. Champaigne est le peintre officiel Louis XIII et Richelieu. sa richesse et sa naissance. si elle est vertueuse. comme des colonnes. on peut s’interroger sur les liens entre art et pouvoir. de la morale et des idées au fil des siècles. les livre au désordre le plus total. dans La Religieuse (texte 2 ) remettent en cause le modèle vertueux de l’héroïne féminine en montrant la présence de vices chez les femmes tout autant que chez les hommes au point qu’elles en viennent à vouloir prendre le pouvoir sur eux par des moyens illégitimes et immoraux (Les Liaisons dangereuses). dont la présence et la représentation au sein du roman témoignent de l’évolution des mœurs et de la considération des femmes dans la société. dont il s’est éloigné pour le dominer. il est aussi un genre qui témoigne fidèlement de la progressive émancipation du personnage féminin. le personnage féminin. portant une fraise à godron et son cheval paraît aussi richement paré que son maître. loin de régler le problème des femmes qui ne peuvent être mariées en les vouant à la religion. or et rouge sang dominent dans le tableau. II. Les verticales dominent. En cela. Chateaubriand illustre un des préceptes du Génie du Christianisme  : la religion chrétienne est une religion du pardon qui sait. son prétendant. Emma ne trouve pas pour autant le bonheur. elle ne se résout pas à son sort comme la princesse de Clèves : le procès auquel a dû faire face Flaubert en 1857 met au premier plan des chefs d’accusation l’adultère. comme pour Emma. sa représentation sous le forme de la mendiante cruelle et oppressante. dans le malheur. elle se heurte bien vite à la cruelle réalité. le cheminement du personnage féminin accompagne la progressive émancipation des femmes dans la société au point de s’incarner dans l’intelligence d’Eugénie Grandet qui. de Prévost ou de Rousseau. le personnage féminin prend en charge une certaine dimension héroïque. se traduit par l’admiration d’Oswald. la progression de la représentation des personnages féminins dans les romans trace une courbe qui va de la contrainte à la libération. l’indépendance de l’héroïne. ruinée et désespérée. Ève ténébreuse et tentatrice (danger). . l’a empêchée de savoir qu’elle pouvait être relevée du vœu de chasteté fait à sa mère sur son lit de mort (voir l’extrait). du schéma de la culpabilisation qui les inféode à une loi extérieure. Son influence s’étend du domaine amoureux – auquel est souvent réduit le personnage féminin – au domaine intellectuel et politique. Révélant la fascination de l’auteur pour les figures hors normes cristallisant l’intérêt de tous lorsqu’elles apparaissent (on en trouve une illustration dans Un beau ténébreux dès 1945). mais le danger de l’inconnu et de l’inconnaissable. Comme le personnage masculin dans le Nouveau Roman. est tout autant une allégorie du désir féminin qui effraie l’homme dans une interprétation psychanalytique un peu réductrice. le nom. bien dotée. Cette libération peut conduire à l’extrémité de la mort. Quoi qu’il en soit. une force de conquête ou d’envoûtement. cet héroïsme de la conquête de l’indépendance qui est celle du roman de formation. mais qui sert non plus à dénoncer une injustice dangereuse mettant en péril l’équilibre psychique comme la société. trop naïve. Chez Mme de Staël. Vanessa est représentée dans ce passage sous la forme d’un portrait mêlant le modèle de la Vénus au bain (sensualité) et celui de la femme dangereuse et mystérieuse. Avec Atala (texte 3). Emma Bovary incarne à elle seule la transition entre le romantisme et la deuxième moitié du XIXe siècle  : bercée par des illusions romantiques d’amours idéalisés. force effrayante de séduction ambivalente ou d’animalité instinctive). Épouse infidèle. mais l’ignorance de la religion chrétienne qui peut offrir le salut à toute créature qui sait s’en instruire. dans une translation de sa figure. le personnage féminin. Si elle a déjà avalé le poison fatal qui la fait mourir en Juliette romantique et en héroïne de roman sentimental. Cette évolution témoigne d’une réhabilitation progressive de la femme dans le domaine romanesque. représentant les deux aspects du personnage féminin. qui va de pair avec une disparition de l’identité et de sa marque romanesque. mettant en péril leur intégrité mentale et physique. renvoyant aux abîmes de l’existence. apporter le réconfort d’un horizon meilleur. qui n’est plus seulement séduit par l’apparence de sa belle mais aussi et surtout par son génie. à un mari économe. Témoin en est Vanessa. autour duquel se greffe toute l’intrigue. Les personnages féminins deviennent ainsi plus complexes et prennent en charge la part d’ombre qui les affranchit du simple type de l’amante dévouée. politique. qui traque sa proie masculine. héritée des romans sentimentaux de Richardson. qu’une représentation plus générale de la peur de l’autre (physique comme psychologique via le soupçon de folie). De victime passive à agent actif de sa libération difficile. qui la mène vers la déconvenue. de la simplicité du combat dualiste (conserver sa morale dans un monde amoral) à la complexité d’enjeux devenus plus nombreux au fil de la reconquête active de son destin (idéal amoureux. naïve. bien au contraire : ses amants successifs se révèlent être soit trop fades (Léon). prend peu à peu son destin en mains au point de survivre à tout le monde en pratiquant une générosité discrète qui l’honore et la délivre de la prison de l’intérêt et de la cupidité. triste image de la condition féminine puisqu’Emma finira par se suicider. comme le veut la tradition romanesque. Dans Le Vice-Consul de Marguerite Duras (texte 7). souvent réduit à des initiales. soit des séducteurs bonimenteurs qui ne cher10 • Chapitre 1 . le personnage féminin est ainsi souvent réduit à une ombre inconsistante. l’héroïne féminine s’affranchit véritablement des codes établis avec Mme Bovary de Gustave Flaubert (texte 5). le secours du religieux vient déposer un baume sur les douleurs de son agonie et atténuer la tragédie dans une communion édificatrice cimentée par la foi et l’espérance de la rédemption. Les femmes de pouvoir et de conviction comme les femmes fatales peuplent alors les romans du XXe siècle. portée aux nues sur le modèle des poètes de l’Antiquité. Le roman du XXe siècle réhabilite alors quelque peu le personnage féminin. Au-delà de ce sous-genre romanesque. dont le roman ferait l’apologie. Le roman ne prend plus en charge seulement une morale (vertu aristocratique) ou un combat emblématique en faveur d’une catégorie de femme oppressée (la religieuse) : il fait du personnage féminin la figure de proue d’une libération progressive qui passe tout d’abord par la foi. prend en charge des symboles qui le dépassent. considérée par son père comme un héritage à confier.aux convoitises et aux châtiments des mères supérieures.Le personnage de roman. du xviie siècle à nos jours chent qu’à faire d’elle leur proie vite délaissée (Rodolphe). vertueuse. Atala pèche davantage par ignorance que par absence de foi : sa religion. qui délivre des tourments. Le début du XIXe siècle consacre alors la naissance d’une nouvelle figure féminine. passant de la sensibilité à la raison. La mendiante représente alors le danger de la régression quasi instinctive qui guide le mouvement de fuite de Charles Rossett. dans Le Rivage des Syrtes de Julien Gracq (texte 6). Il ne représente plus seulement l’ordre ou le désordre moral. ou rejoindre la sauvagerie primitive. Mal mariée. cet affranchissement est tout intellectuel (texte 4). Du carcan de la morale oppressante à la délivrance possible par la foi ou la culture. privé de son nom. Cet extrait symbolise ainsi le cheminement de l’héroïne. Objet essentiel du roman. Le personnage de roman. non plus que les autres  ». de l’équilibre. élévation  ». La mère. Un naturel tourné vers la vertu. Éloge de la quiétude et du mariage. La Princesse de Clèves. Triomphe de la raison sur la passion. Un être sublime La vertu comme difficulté. vertu. l’objet des regards et ne semble pas s’appartenir. ce qui signifie le sacrifice de son propre désir au profit de la paix intérieure et de la morale. Absence d’évocation de ses sentiments : récurrence de la négation «  ne l’avait pas touchée. Une éducation atypique. M. que les plaisirs sont éphémères (le mari de Catherine de Médicis meurt brutalement dans un tournoi). Sous ses airs policés. guide des bonnes mœurs. Itération (« tous les jours ») souligne la contamination possible et tentation omniprésente (Mlle de Chartres est sous le feu des regards : « la voyait ») : elle devient un objet de désir. Accumulation de termes dépréciatifs : « le peu de sincérité des hommes. B. Se méfier des hommes Lexique négatif pour peindre le cœur des hommes. Chapitre 1 . Absence totale d’intériorité. Proposition de lecture analytique I. impose son goût de la mesure. « lui faire comprendre »). Contexte esthétique et culturel Le renouveau du genre bref témoigne de deux mutations : une mutation esthétique tout d’abord : l’esthétique classique. Pour plaire au roi et obtenir ses faveurs. Une éducation austère et stricte A. Mme de Chartres donne à sa fille des conseils moraux austères sur la fidélité et le mariage. la nouvelle classique dessine une représentation beaucoup plus pessimiste de l’homme. Hommes de la cour sont représentés comme des galants et des séducteurs : « audacieux ». Accepte sans rien dire le mariage de raison qui se fait. que les amours terrestres sont vouées à être malheureuses… Que faire alors ? Se retirer du monde pour en fuir le bruit et la fureur et pour tourner son âme vers Dieu. Se méfier du monde Air de corruption. reçoit les conseils de sa mère en matière de vertu et de mariage. Quelle leçon à tirer de ce regard démystificateur porté sur la cour ? Que la vie n’est que vanité. de Clèves s’est violemment épris de Mlle de Chartres qu’il a vue à la cour et l’a demandée en mariage. qui a intégré et accepté les codes de ce comportement vertueux. La « dissimulation » est donc la clé de la réussite et les passions sont égoïstes. Le passage dans l’économie générale de l’œuvre L’extrait proposé se situe à la fin de la première partie de La Princesse de Clèves. Indifférence voire froideur de la princesse. Attention portée à l’éducation filiale. Représentation qui vaut mise en garde. d’apparences trompeuses. désormais faible et soumis aux passions (la décennie 1660-1670 est marquée par le triomphe des idées jansénistes : l’influence janséniste se lit dans La Princesse de Clèves : l’amour-propre règne en maître à la cour d’Henri II. 34) Amour. antithèse radicale du baroque. Danger de la « galanterie ». Exact opposé de la vertu : péril pour la femme car la met en danger sur la scène du monde (vocabulaire du danger : « exposait »). «  ne trouva pas que Mlle de Chartres eût changé de sentiment en changeant de nom ». elle apparaît comme la jeune fille parfaitement soumise. nul coup n’est trop bas. Figure idéalisée. C’est ce que suggère l’emploi de verbes de parole « lui contait ». une mutation éthique ensuite : contrairement au roman baroque qui exaltait la grandeur de l’homme. morale et mariage : le dilemme classique Mme de La Fayette. sa valeur guerrière et la force de sa volonté. la cour est un monde de faux-semblants. Le bonheur de la Princesse ? perte du « moi ». L’homme est désigné à travers le terme de « mari » : seule figure masculine qui soit acceptable. où pièges et intrigues tentent de faire chuter des rivaux. La sincérité des sentiments est voilée par l’ambition et le désir de briguer les places. 1678. trouble »). « extrême défiance » : vertu comme pente difficile.LES TEXTES DU PARCOURS Texte 1 (manuel de l’élève p. de la sobriété et du naturel dans la seconde moitié du XVIIe siècle . Sa morale passe par l’exemple à ne pas imiter. « combien il était difficile ». confidente et éducatrice Mère instructrice. La mère parle («  faisait souvent à sa fille des peintures de l’amour  ») de la passion alors que l’éducation traditionnelle voulait que l’on taise aux filles les séductions et les tourments de l’amour. Endossant le costume de l’éducatrice morale. B. les malheurs domestiques où plongent les engagements ». Mlle de Chartres est spectatrice de son propre destin comme toute femme de « devoirs ». Un être extraordinaire a. personnage principal du texte de Mme de la Fayette. M. C’est précisément ainsi que s’achève le récit de Mme de La Fayette : retirée dans les « grandes terres qu’elle avait vers les Pyrénées ». du xviie siècle à nos jours • 11 . Caractérisation du passage Mlle de Chartres. Axiologie au contraire positive pour peindre la vie vertueuse dans le mariage  : «  tranquillité. Lexique de l’application : « de grands soins ». Est l’objet du discours. Sincérité comme qualité essentielle de la princesse. Dialogue éducatif avec sa propre fille. leurs tromperies et leur infidélité. La passion comme tourment. Mme de Clèves s’emploie dans sa retraite à des « occupations plus saintes que celles des couvents les plus austères» afin que sa vie laisse des « exemples de vertu inimitables ». II. Rhétorique de l’hyperbole. de Clèves est l’exemple de l’être dévoré par la passion et qui souffre : lexique de l’agitation « passion violente et inquiète » et portrait en homme malheureux (« troublait sa joie ». C. Mlle de Chartres : l’incarnation de la vertu A. Ce passage préfigure la fin extraordinaire du roman et le renoncement de Mme de Clèves. 1857) ou Flaubert (Madame Bovary. Louis-Napoléon Bonaparte est soutenu par les royalistes. Singulier s’oppose à pluriel ou collectif «  les autres ». Le mouvement ouvrier est anéanti et les socialistes modérés que sont Lamartine et Ledru-Rollin se retirent. la Constitution confie l’exécutif à un président de la République élu au suffrage universel pour quatre ans et non rééligible. le président n’est pas rééligible  : Louis-Napoléon Bonaparte demande la révision de cet article mais il n’obtient pas la majorité requise. mais aussi par une partie de la bourgeoisie. et par les paysans. un gouvernement républicain provisoire est établi. Privation de bonheur et de tranquillité. 1857 Le passage dans l’économie générale de l’œuvre Emma Bovary a épousé Charles. sous le nom de Napoléon III. Respect témoigné par le maréchal de Saint-André. le prince-président devient « par la grâce de Dieu et la volonté nationale. qui fait sa cour « campagnarde » pendant les comices agricoles. liberté de réunions. Emma cède aux avances d’un hobereau sans finesse. on abolit le système de contraintes établi depuis 1835 et on rétablit les libertés de réunion et d’expression. le président montre son peu d’attachement à la constitution. la Deuxième République est officiellement proclamée le 4 mai. Parallèlement. Admiration pour la beauté et la vertu de Mme de Clèves. 1857). Un être admirable Admiration de la mère. le président de la République s’empare du pouvoir. Texte 5 (manuel de l’élève p. Il propose alors une loi visant à restaurer le suffrage universel. Admiration du mari. Les ultimes tentatives de Louis-Philippe de reprendre contrôle de la situation en nommant un nouveau ministre sont vouées à l’échec. La mainmise des conservateurs sur la jeune république s’affirme après les journées de juin 1848 : le 22 juin. Le 4 novembre 1848. mais le général Cavaignac réprime sévèrement l’insurrection. poursuit en justice des artistes comme Baudelaire (Les Fleurs du mal. Être rongé par la « jalousie ». et qui rallie à la cause napoléonienne une partie des électeurs républicains. Mlle de Chartres est supérieure par sa singularité à tous les gens de cour. Le 2 décembre 1852. À la suite du coup d’État du 2 décembre 1851. Parallèlement. « la cour ». qui crée un fossé entre le monde ouvrier et paysan d’une part et les bourgeois conservateurs de l’Assemblée d’autre part. La monarchie de Juillet se durcit à partir de 1840. qui connaissent son nom. qui s’oppose systématiquement à toutes les réformes souhaitées non seulement par le peuple. Après un nouveau soulèvement. Quelque temps après la naissance de sa fille. Les conservateurs ne vont pas tarder à découvrir que celui qu’ils ont élu n’est pas aussi docile qu’ils le croyaient. Contexte historique. on décide la fermeture des Ateliers nationaux qui étaient destinés à embaucher les chômeurs. le régime impérial traverse une période de crise. de Clèves. « les reines ». Sait que sa fille a parfaitement intégré ses discours moraux. 39) L’adultère ou la fausse liberté Gustave Flaubert. Clôture du texte sur le terme « devoirs ». sous le nom de Louis-Philippe Ier. selon cette dernière. du xviie siècle à nos jours Les premiers mois de la Deuxième République sont marqués par une véritable fraternisation autour des arbres de la liberté : on affirme les principes de liberté et d’égalité. prend le pouvoir. on élève des barricades aux cris de « la Liberté ou la mort  ». Sa faute et son erreur sont de s’être épris de sa femme. B. liberté de la presse.Supériorité absolue de la princesse (« jamais personne n’en a eu… »). Napoléon III doit faire face à une opposition grandissante. Elle fait la connaissance de notables locaux. Les banquets sont l’occasion pour les républicains de se réunir et de diffuser leurs idées. Admiration de la cour. Le Second Empire met ainsi fin à la Deuxième République. C’est donc lui qui est élu le 10 décembre. roi des Français (et non plus roi de France comme ses prédécesseurs  !). Pourtant. empereur des Français ». Le 13 mai 1849 a lieu l’élection de l’Assemblée législative : la majorité des députés est royaliste. avec lequel elle s’ennuie en menant une vie de province étriquée. 12 • Chapitre 1 . amateur de bonnes fortunes. Madame Bovary. ce qui ne fait nullement partie de ses obligations de gentilhomme. mouvement populaire de juillet 1830. Le 25 février. Rodolphe Boulanger. L’empereur jouit d’un pouvoir immense et il met en place un régime autoritaire qui n’hésite pas à recourir à la censure. à Paris. Inspire la vertu. Aussitôt.Le personnage de roman. manœuvre subtile. tandis que l’économie manifeste ses premiers signes de faiblesse. qui lui arrache des réformes une à une. Ce malaise envoie à l’Assemblée Constituante un tiers de représentants royalistes. ce qui implique la modernisation de l’outillage et la transformation des réseaux de communication qui doivent devenir plus performants (c’est sous le Second Empire que le réseau ferroviaire français se développe). Or. L’Assemblée vote alors un certain nombre de lois réactionnaires. b. quand l’homme fort du régime devient François Guizot. Incarnation parfaite des tourments amoureux contre lesquels Mme de Chartres met sa fille en garde. les villes se développent et se transforment : le baron Haussmann orchestre de spectaculaires travaux à Paris. Est une exception. Est épris de sa femme. le duc d’Orléans. c. cet enthousiasme initial ne fait pas taire l’agitation populaire et n’élimine pas les difficultés économiques (taux de chômage important. effondrement des cours de la Bourse…). À partir de 1866. Le Second Empire est le premier régime à se fixer des objectifs d’ordre économique. qu’elle cherche systématiquement à rencontrer. Il travaille à la relance du commerce et l’industrie. contrôle la presse et les théâtres. Le mécontentement ne cesse de grandir jusqu’en 1848. Tout est alors prêt pour le coup d’État. La France s’engage le 19 . aussi bien nés soient-ils. C’est à l’occasion d’un banquet républicain interdit que la foule manifeste à Paris le 22 février à la Madeleine. esthétique et culturel De la monarchie de Juillet à la Troisième République À la suite des « Trois Glorieuses ». illettrés. qui voient en lui un pantin facile à manipuler. Contre-portrait  de M. Opposition entre la princesse et les autres. d’aller voir au théâtre les acteurs de Paris ». À partir de 1879. ce qui pose les bases de l’inégalité des sexes. comme celui-ci. «  sur son cœur  ». Passion adultère. Ainsi. elle va même jusqu’à reconnaître qu’« [e]lle l’aimait bien ». d’une sensibilité très vive. Lexique de l’emportement (« cri. Une héroïne passionnée a. comme ces impressions agissent sur l’imagination sans être accompagnées d’ordinaire par le raisonnement. que hors le mariage. Vide existentiel. etc. Courage d’Emma  : prend le risque de perdre sa réputation  : «  tout le monde serait encore endormi » : conditionnel souligne le pari fait par Emma. C. les trompent. «  Je t’aime  !  ». mineure ou célibataire. Héroïne entière qui se donne et se dévoue entièrement à son amour interdit. La femme romantique veut aimer selon son cœur et refuser le mariage de raison et les codes sociaux. En effet. En effet. selon la volonté de Napoléon Bonaparte. La condition féminine est ainsi figée : les femmes. B. Elle pourrait être découverte et compromise (c’est ce que redoute Rodolphe à la fin de l’extrait). et une fois mariée. Il affirme. Sa constitution corporelle se rapproche de celle de l’enfant . l’expliquer ou la contester (« Jusqu’à quel point notre législateur a-t-il su concilier les libertés de la femme avec la puissance du mari ? C’est une question que nous n’avons pas à examiner ici »). Amoureuse. Je tousserai tant. Harmonie héroïne / nature. pire. La nature embellit Emma et exalte sa beauté : « les joues roses. elle ne le hait pas. à celle de son mari. Mémoires de deux jeunes mariées). du xviie siècle à nos jours • 13 . reléguées dans une position d’infériorité. de crainte. de plus. Ce n’est qu’à l’époque de la puberté que la différence des sexes se dessine d’une manière remarquable. Une constante au xixe siècle : la place des femmes Alors que le xixe siècle voit se succéder de nombreux régimes politiques.Le personnage de roman. Malgré des tentatives de restauration monarchique. Emma brûle d’amour pour Rodolphe. sont sommées d’accepter des maris qui ne les comprennent pas ou. «  bon quart d’heure pour les adieux  ». se laissant facilement impressionner par les divers sentiments de joie. Charles avoue n’avoir jamais été curieux « pendant qu’il habitait Rouen. Enthousiaste. Proposition de lecture analytique I. mais ils ne parviennent pas à communiquer.juillet 1870 dans une guerre contre la Prusse. il s’ensuit qu’elles sont moins durables et que la femme est plus sujette à l’inconstance. Brûlante de passion. haleter de convoitise ». le régime républicain tend à s’affermir. de douleur. n’est pas sans évoquer celui des héroïnes de Balzac ou de Flaubert. qu’elle perd en septembre. La loi s’appuie sur la vision que l’on a alors de la femme. Néanmoins. et je l’aurai. Une femme désespérée ? a. b. 6-7. Inquiète pour son amant («  Souffres-tu  ? Parle-moi  !  »). La France connaît alors une période de troubles marquée notamment par la proclamation de la Commune de Paris (18 mars-29 mai 1871). p. b. Situation type des drames ou récits romantiques. Ponctuation expressive. » Caractérisation du passage Dans l’extrait. Comportement atypique et imprévisible (« à l’improviste ») qui doit rester secret car subversif (« descendait à pas de loup le perron »). Le refus des normes sociales. L’article « Femme » (1872) du Grand Dictionnaire Universel du xixe siècle de Pierre Larousse présente la femme comme un être fragile. l’héroïne de Première neige n’a pas le pouvoir de faire installer elle-même un calorifère : elle doit s’en remettre à son mari (« Je veux un calorifère. le dictionnaire se contente de constater son incapacité. les violentent… Le Code civil de 1804 qui. Emma refuse de se conformer aux codes de conduite et se laisse dominer par sa « fantaisie ». Elle ne s’intéresse guère à la chasse et il y passe ses journées (« Il lui racontait invariablement sa chasse ») . c. essoufflée… ». est soumise à l’autorité de son père. c’est pourquoi elle est. Cf aussi ci-dessus le focus sur le réalisme pp. qu’il faudra bien qu’il se décide à en installer un »). « Le corps de la femme atteint un bien moins grand développement que celui de l’homme : c’est ce qui fait qu’elle est plus précoce et que ses fonctions vitales sont beaucoup plus rapides. se succèdent Jules Ferry et Gambetta qui mettent en place les grandes orientations politiques du régime et sont à l’origine des lois anticléricales (en particulier les lois sur l’enseignement qui bâtissent une école laïque). 24). celle-ci se marie pour ne pas déplaire à ses parents et son mariage arrangé la rend malheureuse. Brave face aux conventions sociales. tandis qu’Emma rêve de «  chalets suisses  » ou de « cottages anglais ». sans l’interroger. elle rêve d’aller «  passer une semaine ou deux à Paris  » et il trouve cela une « drôle […] d’idée[…] » ! Ce malentendu rappelle par certains aspects la relation d’Emma et de Charles Bovary. la place des femmes et la question du mariage évoluent peu. l’exaltation de l’héroïne est vite ternie par la réalité  : en effet. et exhalant de toute sa personne un frais parfum de sève ». Son mari n’est pas violent. pour ce qui est de la femme mariée. elle multiplie les subterfuges pour pouvoir rendre visite à son amant Rodolphe le plus fréquemment possible. la médiocrité du quotidien et de la condition humaine font de la voie de l’adultère un choix aporétique. c. Le sort de l’héroïne de Première neige. Amour transcende sa beauté : comparaison méliorative « comme une auréole de topazes ». Balzac. Un modèle d’amoureuse romantique a. stipule que la femme. et. La constitution de la femme pendant l’enfance diffère peu de celle de l’homme. dont la constitution « est proche de celle d’un enfant » et qui se laisse facilement impressionner. Le corps de l’héroïne et le paysage printanier fusionnent. la constitution de la Troisième République est finalement votée en 1875. aggrave le sort des femmes (cf. Dès lors. la femme est « presque en tout point l’égale de l’homme » (soulignons l’importance de l’adverbe) . Réitération de ses escapades. Et ici l’influence des climats est manifeste. Nulle mention de son mari (brille Chapitre 1 . nouvelle de Guy de Maupassant (voir le manuel du professeur Seconde. Madame Bovary incarne l’héroïne romantique par excellence. Une héroïne exaltée A. « en riant. Se réfugie derrière les conventions sociales pour justifier son détachement d’Emma. Paris. Ironie à l’égard des effusions romantiques du cœur : dénonciation des excès sont moqués « un bon quart d’heure pour les adieux ». b. Exaltation de la première réplique : effet de surprise soulève l’enthousiasme (« Te voilà ! te voilà ! » : répétition et ponctuation expressive soulignent la sincérité de la joie). Monde féérique. Ce monde va s’écrouler. Antagonisme entre la notation triviale et la situation . nulle mention de sa fille ou d’un entourage de proches. • Gérard Genette. Une femme mal mariée. Le Roman français au XVIIe siècle. 2 volumes. Temporalité accélérée et vitesse dans le début de l’extrait. « À propos du style de Flaubert ». Exemple rare d’une peinture qui correspond directement à un texte littéraire. du xviie siècle à nos jours porte des détails mortifères qui condamnent l’aventure à l’échec. c. 37) . ruinée et désespérée. 1981. b. trébuchait ». Monde irréaliste. Le Roman jusqu’à la Révolution. Le retour implacable de la routine a. naïve. «  essoufflée  »… Emma est dans l’intranquillité permanente. Ophrys. se fussent écartés d’eux-mêmes ». Des gestes tendres. À la ligne 17. 1979.Le personnage de roman. 1981. Anne-Louis Girodet. b. s’accrochait ». Isolement de l’héroïne. Figure du divertissement. In Contre Sainte-Beuve. Dimensions : 207 sur 267 cm. (voir reproduction dans le manuel de l’élève p. III. Paris. • Alain de Lattre. numéro spécial consacré à La Princesse de Montpensier et à La Princesse de Clèves. Colin. 1808 Présentation Le tableau est exposé au musée du Louvre. b. Paris. La lâcheté de Rodolphe a. A. 1987. Tableau exposé au salon de 1808. Paris. Sur La Princesse de Clèves • Jean Fabre. introduction de l’imparfait à valeur itérative (« s’habillait vite… »). Figures II. «  Vraisemblance et motivation dans La Princesse de Clèves ». Madame Bovary de Gustave Flaubert : étude et analyse . 1970. Un amoureux transi. B. b. Paris. Corti. d. Un passage miné par la déchéance Les indices dysphoriques abondent et annoncent la catastrophe : « la berge était glissante » . L’idéal des romans à l’épreuve de la réalité Un passage placé sous le signe de la dégradation. « comme si les murs. Dans l’extrait. • Marcel Proust. Univers proche de celui du conte de fée. qui la mène vers la déconvenue. Minard. Abondance des adverbes de temps qui disent la précipitation (« promptement. 1962. Ces indices minent la perfection du tableau amoureux. « L’art de l’analyse dans La Princesse de Clèves ». bientôt »). janvier 1990. Travaux de la Faculté des Lettres de Strasbourg. c. Un idéalisme niais : ironie du narrateur A. L’Amour comme fuite. Lâcheté de Rodolphe. 1958. réed. Mellotée. la ville. Gallimard. II. B. La dénonciation des illusions romantiques a. Une femme mal aimée. Que faire ? comment exister ? Absence de réponse dans un texte qui tourne en rond. Fin du cycle de l’amour avec la mise en garde brutale de Rodolphe. La répétition. « s’accrochait ». Flaubert. Une vision pessimiste de la condition féminine a. 1920 PROLONGEMENT ICONOGRAPHIQUE Les Funérailles d’Atala. la femme. PUF. PUF. • Littératures classiques. Emma fuit Bovary et sa famille. • Maurice Lever. L’excuse. Thème de la mise au tombeau d’Atala. INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES Sur le roman du XVIIe siècle • Henri Coulet. « courir ». Sur Flaubert et Madame Bovary • Collectif. « auréole de topazes » (pierres semi-précieuse seulement). enfonçait. usage systématique de la ponctuation expressive dans les répliques d’Emma. Verbes de mouvement (« suivre. « trébuchait ». Déséquilibre fondamental dans leur relation. « empêtrait ». Le Seuil. C. Imparfaits et passés simples qui disent l’action singulière. Une absence d’issue. 1983. La Bêtise d’Emma Bovary. « d’un air sérieux ». l’attirait à lui et il la prenait sur son cœur »). le décor 14 • Chapitre 1 . Parodie du paysage en harmonie avec le cœur du personnage (René comme modèle). Cet extrait symbolise ainsi le cheminement de l’héroïne.par son absence « était sorti dès avant l’aube ») . • Jean-Claude Lafay. « avait peur des bœufs ». « fronça le visage ». Paris. Le Réel et la critique dans Madame Bovary de Flaubert. • René Dumesnil. à son approche. Paris. c. La rupture. triste image de la condition féminine puisqu’Emma finira par se suicider. Posture de deuil : aux genoux d’Atala. Corps qui réunit les trois personnages. coiffure sévère : statue grecque (néo-classicisme). Ligne verticale du prêtre. siècle de la désillusion  : comme Céline le dit luimême à travers les paroles de Bardamu. la croix. Les Liaisons dangereuses. comme le laisse entendre son nom (« Barda-mu ». À gauche : Chactas.I. Ligne serpentine qui suggère le mouvement. Représentation de l’au-delà. 2e plan Les personnages. le sommet est le spirituel. Cercle. comme Michel Raimond) en prenant l’exemple de Bardamu dans Voyage au bout de la nuit (étude d’une œuvre intégrale). PARCOURS COMPLÉMENTAIRE Les femmes fortes • Plutarque. la pelle peut être mise en parallèle avec la croix dans le ciel. Passage du monde terrestre (symbolisé par Chactas (le rouge : amour. Cheveux dans le vent : romantisme. le père en haut. Pureté : blanc et lumière et ligne qui ressemblent à un croissant de lune : image de Diane (chasteté). Position des mains d’Atala qui symbolise le repos éternel. • Agrippa d’Aubigné. devenu une reconstruction orale mâtinée d’expressions vulgaires. 27 : portrait de Cléopâtre. anti-héros qui n’a plus ni illusion ni langage ambitieux et qui n’a pour horizon que la table rase (« tu l’as dit bouffi. Idée de quelque chose qui bouge (mort n’est pas une fin). Le triangle : la trinité. celle du langage. Il porte un pagne : est un indien. Le dialogue permet surtout de mettre en relief un nouveau type de personnage. à savoir son paquetage de soldat). c’est-à-dire « mû par son barda ». 889-952  : portrait de Catherine de Médicis en sorcière. Les Tragiques. Bardamu est le personnage passif par excellence. Cette crise du personnage se trouve confirmée par son statut de chair à canon engagé dans une guerre dont il dénonce Chapitre 1 .. Recueillement. carabin et anarchiste. Le motif central est celui du passage : la grotte. 4e plan Le feuillage. 1781 lettre 81. Bardamu voyage vers la mort : le roman est une allégorie de l’existence et de son non-sens puisqu’elle conduit inéluctablement à la nuit. que je suis anarchiste ! »). Il tient la partie noble du corps d’Atala (la tête). 47-53 PROBLÉMATIQUE Ce troisième et dernier parcours propose d’examiner le cas du personnage au XXe siècle et de sa fragilisation (d’aucuns diraient sa « crise ». Atala comme maillon central. Atala : linceul blanc. • Choderlos de Laclos. Fleurs : symboles de vie ? 5e plan Ciel et croix. II. Nature morte. Endroit clos et retiré. en transit. Représente la sagesse (avec barbe). Motif solaire d’Apollon. l’arche symbolise le passage entre deux mondes. Pas dans la lumière. croix. du xviie siècle à nos jours • 15 . III. Lignes Courbe du corps d’Atala. Vie d’Antoine. : portrait de Madame de Merteuil. Corps sculpté (statue grecque de nouveau : modèle d’Apollon). dégradation linguistique qui correspond à celle des idéaux (l’amour est devenu « l’infini mis à la portée des caniches »). son personnage est atteint de la « manie » de « foutre le camp de partout » (au sens propre comme au figuré). 3e plan Les parois.-C. Interprétation Tableau au message chrétien. Symbole de l’inhumation. L’objet du parcours sera de travailler sur des portraits de femmes exceptionnelles par leur force de caractère ou leur influence politique. Parcours 3  Du personnage à l’anti-héros : Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline Manuel de l’élève pp. fosse. Vies parallèles. I-IIe siècle après J. v. Âge et attitude de prière (tête baissée). 25. La pelle a la forme d’une croix : connotations de mort. Travail sur les lignes du tableau Centres d’attraction Les mains. Enfin. Expression apaisée. 1616.Le personnage de roman. Symbole de la résurrection de l’âme : montée de l’âme depuis le corps. La base est le matériel. Retarder le moment du départ du corps d’Atala. À droite : prêtre (moine orthodoxe). prostré dans l’univers intérieur. Triangles. On ne voit que le visage (corps occulté : marron sur marron). Motif de la résurrection. 5-26. Pilier. La croix. Végétation : symbole de vie. Sa trajectoire est emblématique de la destinée du personnage romanesque au XXe siècle. Le Ciel est symbolisé par le prêtre. En rouge. Grotte : protection. Partout et nulle part. Tête plus haute que les pieds : élévation (résurrection des corps). Le parcours permettra une approche transgénérique et sera centré sur l’étude de la rhétorique épidictique. Replié. Le personnage prend en charge les désillusions d’une génération meurtrie par la guerre : l’incipit du roman (texte 1 : Bardamu. héros de la désillusion) donne le ton de l’œuvre et campe le personnage dans une double déconstruction. Le regard s’engouffre dans le rétrécissement spatial créé par la perspective. Description par plans 1er plan La pelle et la végétation. passion) et corps exhibé) au monde céleste (Atala : corps en mouvement. La grotte : au centre. lumière. Triangle des personnages : le prêtre au sommet. Sa blancheur dit sa pureté ou plus encore la purification. «  Misères  ». Incarne la fermeté dans la foi. cynique et cruel. La fin du roman sonne le glas de cet itinéraire en forme de catabase : dans un bar sordide (texte 5 : la fin du héros et de son destin. le soldat illustre la position de tout être humain. soit un an après le Voyage au bout de la nuit. vivre. ressourcée aux racines de l’oralité. les intellectuels de droite au contraire appellent de leurs vœux une « révolution conservatrice » et un retour aux valeurs. exprimé par la longue prise de parole de son camarade Princhard (texte 2 : l’homme. Les penseurs de gauche virent dans le roman un pamphlet contre une société vieillissante et conservatrice . Bardamu n’est pas maître de son destin. à cette langue qui anime et crée le personnage. Aragon. il médite sur la mort en voyant l’écluse s’ouvrir et se refermer en ombre chinoise sur les « figures pâles et simples » des hommes. Cette comédie annonce le roman par la présence des thèmes de la guerre. avant d’apporter le manuscrit chez Denoël. celle d’un individu perdu dans un monde sans morale et sans règle. après 1931. vécues par certains comme le moment de la mort de la civilisation occidentale. Mais. Le Voyage paraît donc en pleine crise de la civilisation occidentale. soldat inutile face à l’absurdité de la guerre). La réduction des esclaves à des fourmis devient un moyen de montrer le peu de considération qu’on leur donne mais aussi leur réduction mécanique au statut d’animaux laborieux à la solde de colonialistes abusant de leur position dominatrice. du xviie siècle à nos jours Contexte historique et esthétique La crise des années 30 Le Voyage au bout de la nuit est publié en 1932. de l’expérience de la médecine. qui réfléchit sur la notion de « classe ». Mais le personnage célinien n’est pas qu’un être désenchanté  : le regard désabusé qu’il porte sur le monde sert aussi la dénonciation de ses vices et de ses dysfonctionnements. comédie en cinq actes intitulée L’Église. et qui est la marque de l’écrivain. la France et l’Europe plus généralement sont touchées à leur tour par la crise. c’est mener une guerre pour survivre sans bien trop savoir dans quel but. Le personnage rejoint là une de ses fonctions premières qui est de servir la morale. morts tout autant que vivants. pâle substitut de la grande faucheuse. De la genèse à la réception Sur la genèse et les conditions d’écriture du Voyage au bout de la nuit. Son itinéraire est loin d’être celui du héros des romans de formation : plus il est formé. L’année 1932 est celle de la chute du commerce extérieur français. Son retour à « Rancy » – un « Drancy » « rance » – (texte 4 : Bardamu. Les années folles avaient vu la parution de textes centrés sur un « moi » confiant dans le monde qui l’entoure et apte à opérer un retour sur soi. a constitué partiellement la genèse du roman. Ainsi. Un renouveau de la production romanesque Sur le plan littéraire. Céline avait conscience d’avoir fait une œuvre littéraire originale avec le Voyage : en effet. l’atmosphère était à l’euphorie : la paix revenue et le contexte économique favorable. Les revendications intellectuelles sont diverses  : les intellectuels de gauche aspirent au « grand soir » et à un renouveau total et absolu du monde occidental . La pièce est parue en 1933. il ne parvient pas à retenir la progression inexorable des événements. La littérature se fait aussi religieuse : des auteurs catholiques notamment veulent livrer des réflexions métaphysiques sur le destin du monde. Ainsi.l’inutilité et la vacuité : confronté à son non-sens. Bardamu voyage au pays des injustices : chaque étape de son parcours l’enfonce toujours plus dans la nuit et dresse face à lui des figures du néant et de l’aberration. personnage de l’errance et du marasme) est l’occasion d’une peinture désabusée de ses occupations réduites. Désormais. même dans un monde où toute échelle de valeur semble avoir disparu. pour « engraisser les sillons du laboureur ». en Afrique. la mort. moins il s’élève. Symboliquement. les années 1930 sont elles aussi un moment clé et rompent avec la production littéraire romanesque de l’après-guerre. Ce qui est sûr. les Français pouvaient dignement et joyeusement fêter la paix et le bonheur retrouvés. bref sans repères (Princhard a volé mais il est tout de même réintégré dans l’armée). Ainsi. La crise des années 1930 engendre un retour à une littérature plus grave et politique. la rixe qu’il observe de manière passive et la progression sonore du remorqueur (le héros est bien à la remorque des événements). des «  petits ». on a peu de certitudes. 16 • Chapitre 1 . absorbé par la médiocrité qui l’entoure («  les maisons vous possèdent. et un colonisateur raciste. le texte 3 («  Le personnage comme outil de dénonciation  : la colonisation  ») met en présence Bardamu. de la baisse de la production industrielle. c’est au langage (ce à quoi se réduit finalement le personnage) que Céline donne congé (« qu’on n’en parle plus »). est avant tout un «  anonyme  » qui rejoindra tôt ou tard le cortège des autres anonymes. Nizan ou . c’est qu’une pièce de théâtre. quand paraît le roman de Céline. il avait promis : « du pain pour un siècle entier de littérature ».Le personnage de roman. Juste après la guerre. la réception du texte fut houleuse. pourvoyeuse de nuit. il vit dans une banlieue sordide et peine à trouver un emploi. annonçant le décor qui sombre comme le roman qui se termine avec la vie de Bardamu. fondant une écriture nouvelle. De même qu’il ne peut savoir ce qu’ils pensent. tout comme le personnage romanesque. toutes pisseuses qu’elles sont »). Le cheminement du personnage est celui d’une dépossession progressive : la vie lui échappe comme luimême se sent étranger à son propre moi. les années 1930 sont perçues comme des années charnières. Évidemment. L’ombre de la guerre se profile à nouveau et les systèmes politiques totalitaires s’installent durablement en Europe. Aliéné au monde et désaliéné de lui-même. Le Voyage est bien un tableau de la misère de la classe ouvrière. le bout de la nuit). La crise économique se double d’une crise intellectuelle : la confiance dans le progrès s’émousse tout comme la foi en la raison. mais aussi une réflexion sur l’avenir de l’homme et sa place dans le monde. il fait écho aux interrogations récurrentes de la population sur le devenir de la société française. Ces années de l’entre-deux-guerres sont charnières. Le soldat. son inaction prenant sa source dans une nouvelle injustice : bardé de diplômes. pessimiste et peignant un monde en décomposition. mais L’Église a en réalité été écrite dès 1926. C’est la grande époque du roman d’analyse et d’introspection. 49) Une figure dérisoire de la folie meurtrière : le soldat I. Dénonciation de l’immobilisme social Négation du mouvement. Revendication dérisoire d’appartenance politique.Un café. Dimension sociale du discours « mignons du Roi Misère ». «  accepter tous les sacrifices ». Réflexion topique sur la paresse et le caractère tire-au-flanc des habitants. C. une figure exploitée. Un monde figé. « nous ne changeons pas ». La haine de la guerre Discours violemment antimilitariste. Les soldats reçoivent moins d’honneurs que les bandits. bouffi »). Métaphore de la chair à canon (« toutes les viandes la Patrie » .L’entrée en scène de l’oralité.Des étudiants eux-mêmes caricaturaux. Remarque anodine sur les « gens de Paris ». Un incipit déroutant A. . B. mais cette revendication sans aucune solennité n’est pas un engagement mais un parti-pris dérisoire : « Tu l’as dit. L’absurdité du monde. réalisateur sur la guerre de 1914-1918 de La Chambre des officiers. L’ombre de la guerre plane : retour des mêmes querelles entre hommes. II. usage de « ça » . Le choix des extrêmes Des anti-héros désabusés. Triomphe de l’éternel retour. « long crime ».Dénigrement du modernisme. Texte 2 (manuel de l’élève p. Aujourd’hui. Valéry parle de son « génie » mais qu’il qualifie de « criminel ».Un langage familier. Nihilisme : « C’est pas une vie ». Aux soldats. La révolution par les mots L’originalité de l’extrait ne vient donc nullement d’un engagement ou d’un discours idéologique ou politique novateur. Un monde misérable. Idéaux sans valeur « soldats gratuits ». Récurrence de «  ça  » dès la première phrase. En effet. Discours contre les illusions du futurisme qui a illuminé le début du siècle.encore Bataille encensèrent le texte pour son caractère novateur en matière d’idées mais aussi évidemment de langue. La scène se déroule dans un café de la place de Clichy. D. C. Annonce la réflexion sur la misère sociale qui va être centrale dans le roman. Lexique familier voire grossier « crève. travaillerait. Claude Levi-Strauss parle à propos du Voyage des « pages les plus véridiques. Homme est rabaissé au statut d’animal. « Engraisser les sillons du laboureur anonyme »). Humanité vile. les plus implacables qui aient jamais été inspirées à un homme qui refuse d’accepter la guerre ». élision (« t’es ») . Le langage parlé est immédiatement présent. La critique des valeurs traditionnelles . « folie des massacres ». Ils parlent et refont le monde dans un café parisien «  assis. qui sont pourtant la lie de la société. Allégorie dit l’importance de cette idée. 48) La voix décalée d’un anti-héros I. L’exploitation des faibles . « Et ce n’est pas nouveau non plus » . les plus profondes. B. Le brouillage du discours Les deux étudiants qui parlent ne mettent pas en cohérence leurs paroles et leurs actions (critique des Parisiens mais se comportent de la même manière). Bardamu se revendique « anarchiste ». dit-on. Mais. C. Le seul changement par rapport au discours romanesque de l’époque se situe dans la recréation d’une langue orale et populaire qui donne le coup de grâce à la langue littéraire classique.Les signes d’oralité. Aspect caricatural du propos « Les gens de Paris ». Se qualifient de «  singes parlants ». Une vision extrêmement pessimiste de la condi- tion humaine A. «  Rien n’est changé en vérité » . le Voyage est considéré comme l’une des œuvres les plus fortes du XXe siècle. À l’inverse.Le personnage de roman. Le livre obtient le prix Renaudot néanmoins (même s’il manqua le Goncourt pour de scabreuses raisons). La probité morale du soldat est devenue absurde. Récurrence de la modalité négative pour parler du changement.Le pauvre. Jour de colère A. Une langue novatrice . Le pauvre est univerChapitre 1 .Discours anti-bourgeois. Queneau vante l’entrée en littérature de l’oral. ravis. Conflit long et coûteux en vies. dénigrement des « maîtres ». Une discussion de comptoir . du xviie siècle à nos jours • 17 . Manière de signifier pour le romancier dès le départ qu’il ne faut pas prendre le texte au sérieux ? Stratégie déroutante. Plusieurs tentatives d’adaptations cinématographiques ont à ce jour échoué mais le cinéaste François Dupeyron. pour rendre compte avec ironie du fatalisme commun à l’auteur et à son temps. . la patrie n’est pas reconnaissante. Absence du « ne » explétif . les bandits jouissent des honneurs du vice  . Cette oralité fabriquée du discours souligne et fait entendre la sincérité des personnages. cette langue est une pure construction  : elle sélectionne dans le langage populaire des clichés significatifs pour les détourner et tout ce qui produit des images provocantes. Le reniement des valeurs Indistinction des hommes. B. . à regarder les dames du café ». sur le texte… Deux lectures analytiques Texte 1 (manuel de l’élève p. surabondance du « que ». les soldats ne sont rien que de la chair à canon. Désacralisation de l’amour («  l’amour c’est l’infini mis à la portée des caniches  »  . Récurrence de l’adverbe « toujours ». Oisiveté. couillons ». . . comme celle de Rabelais à laquelle on l’a souvent comparée. Évocation de la génération des pères qui souligne la réitération. certains furent gênés et offensés par la brutalité et le climat impur du roman.Discussion entre deux étudiants. L’automutilation (p. Comment comprenez-vous l’usage des exclamations dans les encadrés ? Quelle est la figure de style utilisée dans les derniers encadrés ? Déterminez. Tardi refuse toute neutralité et revendique une subjectivité affirmée. 2. indignation . Violence signifiée par l’explosion. Pillage de leur vie. Registre ironique (décalage entre préface (ton polémique) et ici.La figure du paria. II. d’existence. Quel est le point de vue de Tardi sur la guerre ? Comment s’exprime-t-il ? 18 • Chapitre 1 . 3. pas de place pour les hommes qui sont pourtant ceux qui font la guerre : peu de prix de la vie humaine. puissance toujours supérieure ». en temps de guerre. les Belges. Objets. pauvres types . du xviie siècle à nos jours I. n’est pas un travail d’historien » ? Deux épisodes de la vie courante : l’automutilation . Absence de vie. Que remarquez-vous sur ces deux vignettes ? « on » : gens de l’extérieur. Noir et blanc : absence de vie. 53. Comment comprenez-vous la première phrase « C’était la guerre des tranchées. La société punit le pauvre d’être pauvre alors que c’est elle-même qui a généré cet état (« un larcin véniel. Semblent souligner une admiration pour les trouvailles technologiques en matière d’armes. 53-54) a. Étude de la « Préface » (du début… inhumaine […] Je ne m’intéresse qu’à l’homme… te moque pas  ». Une fausse logique. Sentiment d’une machine étatique qui déplace des pions. Parcours complémentaire Tardi. Termes très forts qui sont employés « entreprise à se foutre du monde » : langage familier voire grossier. 3. les pauvres gens de nos colonies joyeusement conviés à la fête »).Les mensonges d’État. b. Il réagit en tant qu’homme. Les deux premières pages de la bande dessinée (pages 9-10) 1. Les soldats : « pauvres » : compassion pour masse qui ne peut rien faire. Registres ironique Antiphrases. ils sont manipulateurs (« hommes manipulés . on l’a dépossédé de sa jeunesse » ). mon moment d’ égarement »). « Quelle mansuétude ! » . Registre polémique Vocabulaire violent. En quoi le choix du noir et blanc est-il pertinent ? Paysage de désolation. 1. Engagement du locuteur dans cette préface : vocabulaire évaluatif (« manipulés et embourbés . . Princhard fait mine d’adopter le discours de l’armée (« quelle mansuétude ! ») : cette duplicité mime celle des grands de ce monde. le registre de la BD.sellement récupéré : en temps de paix. Quelle image de l’homme nous est donnée ? Com- . Discours hypocrite « ce qu’ils appellent. « un héros avec moi ! ». Quelle image de l’homme est donnée dans cette préface ? Deux camps : les dirigeants // les soldats. Hyperboles comme figure récurrente : « merveilles  ». cri d’agonie . énormes canons . […] attire immanquablement sur son auteur l’opprobre formel »). une trouvaille . Quelle pratique est relatée dans cet épisode de guerre ? La mutilation volontaire. il est l’objet de l’opprobre public (il a violé les lois et met en péril la société) . La force de la parole A. il est sollicité pour servir une société qui l’a banni. pauvres gens de nos colonies . ces ennemis… Voir aussi manuel de l’élève p. Récurrence du pronom indéfini « on ». Dimension persuasive du discours. Ponctuation expressive qui dit la colère «  Où ironsnous ? » « à l’oublier ! » Engagement du locuteur  : pronom personnel de la première personne  . Décrivez et commentez le paysage représenté sur la première page. verbes modalisateurs «  je vous l’assure ». Casterman. Conséquence néfastes sur l’homme : engendre la souffrance. Commentez l’usage du « on ». B. Noter absence d’hommes sur les vignettes. Ne sont pas des acteurs mais des marionnettes formées pour utiliser ces armes. 1993 Critique de la guerre. Hypocrisie des institutions qui condamnent ou pardonnent en fonction non du droit et de la justice mais en fonction de leurs intérêts. à partir de ces réponses. les barrières éventrées : semblent former des croix de tombes. outils mécaniques triomphent dans l’imag. une admiration feinte. 2. Nulle objectivité n’est requise.Le personnage de roman. superlatifs. Ils arment mais ne connaissent rien à la réalité des combats. C’était la guerre des tranchées. Les dirigeants sont caractérisés par leur inhumanité (« moyens d’extermination sophistiqués ») . industrialisation de la mort . . Noter que très peu d’hommes sont représentés. Enrôler le destinataire  : fonction phatique du langage « me comprenez-vous ? » et omniprésence de la deuxième personne. ingéniosité permanente . Un discours hypocrite à l’image du discours de la République. « et cela pour deux raisons… » : adopte facticement le raisonnement de l’armée pour mieux en faire ressortir l’absurdité. 1994 [réd en 2010 dans la collection « Tel Gallimard »). 1997. Ton très neutre. du xviie siècle à nos jours • 19 . bien élevé. • Texte 3. Seuil. Gil Blas est un personnage intelligent. • Philippe Muray. idéal. légèreté narrative. arriviste. Fictions du politique. Beaujour (dir. Gil Blas est un arriviste animé de désirs peu élevés et d’appétits matériels dont seul l’intérêt personnel compte. 92. 30-31 Vers la problématique Peu à peu. Dans le texte de Cervantès (texte 1). Absence de réflexion. le héros pense avoir toutes les caractéristiques du héros de chevalerie  : équipage. inhumanité (pas de compassion pour l’homme). Allia. C’est davantage un portrait moral de Céladon qui peut être établi : il est ce berger amoureux tout entier dévoué à son amour. 4. dont les qualités sont moins morales que pratiques  : homme de débrouillardise. ébloui par la vivacité de Gil Blas décide de l’envoyer à l’université de Salamanque. le personnage de Camus (texte 6) est définitivement dépouillé de toute qualité héroïque : incapable d’affronter la mort de sa mère. p. • Texte 2. Parcours complémentaire Les fables du deuil. Céline. il est capable de donner une image sociale de lui-même flatteuse. coll. La machine broie l’homme. beau parleur. roublard. Céline. il est une conscience vide et creuse qui subit les événements du monde. il est un personnage sans héroïsme et courage militaires. C’est le seul trait qui le définit vraiment. Le témoignage de guerre ou l’écriture impossible Voir infra chap. Voir lecture analytique p. • Enregistrement sonore du roman par Denis Podalydès en 2003. Chaque étape de sa formation est perçue Chapitre 1 . d’autant plus efficace que détachement apparent. Cahier Céline. le héros au fil des textes du parcours perd son identité héroïque. qu’il entend conquérir. Michel Thélia et M. L’extrait de Balzac manifeste les métamorphoses du héros. de sa culture aristocratique et de ses pures intentions : en effet. 1981.Le personnage de roman. qui. Le héros parfait est le personnage de Céladon dans le texte 2 : noble. Ainsi. devant être assisté et secondé. Alors que Gil Blas est de basse naissance et que sa condition sociale ne semble pas le favoriser. le lexique du sentiment domine dans l’extrait. De son physique on ne sait rien. L’Art de Céline et son temps.  alors que le personnage d’Astrée est paré de toutes les grâces. Paris. l’âme haute et généreuse. Objectivité. C’est davantage la stupidité qui le caractérise.mentez les illustrations choisies pour illustrer le récit de cet épisode. sourd aux subtilités stratégiques. c. Astrée. mais le texte parodie ce modèle de héros de chevalerie pour montrer un personnage qui semble anachronique et désuet dans une Espagne qui se modernise. Quelles conséquences de la guerre se trouvent dénoncées dans cet épisode ? Déshumanisation. mécanisation des hommes : agissent par simple réflexe. « Univers historique ». Paris. L’Herne. • Dominique de Roux. Pas de pathos : ton très neutre. 60-62) a. Silence imposé aux troupes : les supérieurs et leurs décisions priment. Le portrait de Céladon est difficile à établir. 2. • Yves Pagès. Bilans de parcours chapitre 1 BILAN DE PARCOURS 1 Manuel de l’élève pp. Le Seuil. 2006. absence d’esprit critique. b. Dégoût d’autant plus fort. Paris. costume. Les Belges. Lecture • Texte 1. mécanisation des hommes. La stupidité de l’oncle oblige à la présence d’un maître. il apparaît en homme conquérant car il sait tirer profit de toutes les situations. Dans le texte de Stendhal (texte 5). Indications bibliographiques • Michel Bounan.). Commentez l’absence de bulles dans le récit de cet épisode. II. le cœur inaccessible à l’amour et la pitié. Le héros précieux est donc celui qui est soumis à son aimée : il ne conquiert pas mais espère être toléré par la femme aimée. Le texte 3 est un texte charnière : il marque l’apparition en littérature de la figure du picaro : le héros se voit dépouillé de sa haute naissance. 4. Rastignac est d’extraction noble mais pauvre tandis que Vautrin est un homme à la naissance mystérieuse. Astrée asservit Céladon. Fabrice est l’antithèse du héros de roman de chevalerie : incapable de combattre. Elle le rend esclave de sa beauté et de son cœur. Enfin. Commentez le ton des cadres page 60. il s’éprend d’une jeune fille. ces ennemis (p. Désespoir total. Dans le texte de Diderot. Ils veulent être maîtres de leur destin et réduire l’écart creusé par une société figée entre leurs ambitions ou leurs aspirations et la possibilité de les réaliser. Dans le texte de Chateaubriand. ce qui le rend proche du lecteur. les intrusions du narrateur et le fameux point de vue interne et limité de Fabrice dans la description de Waterloo… BILAN DE PARCOURS 2 Manuel de l’élève pp. • Les deux personnages sont des héros romantiques dans leur volonté manifeste de conquérir le monde. ils incarnent le pouvoir d’une nouvelle classe sociale sans héritage matériel et sans influence qui sont prêts à tout pour réussir. Rastignac est fin et racé tandis que Vautrin est plus trapu et épais. Peu à peu aussi. Problématique Les caractéristiques de l’écriture romanesque évoluent 20 • Chapitre 1 . Rastignac deviendra une figure éclatante de la haute société parisienne. c’est sa vertu. 6. quand le personnage est encore un «  héros  ». On reconnaît là le goût de Balzac pour la physiognomonie et les théories qui associent des traits physiques à des constantes de la personnalité. La femme est celle qui ne doit pas s’instruire. son absence de sentiment ou de réaction face à une situation grave le dénotent. le personnage est beaucoup plus nuancé. Dans le texte 1. Ainsi. Lexique. pas vivre tout simplement. la rhétorique hyperbolique est courante. Dans le texte de Chateaubriand.Le personnage de roman. aux échecs et aux contradictions d’un homme ordinaire. Il reste sympathique car il est jeune et paraît encore plein d’illusions et d’appétit de réussite. • Texte 5.comme un moyen de gravir les échelons de la société. Peu à peu. du xviie siècle à nos jours pour modifier le statut du personnage. À partir du texte de Mme de Staël. En effet. C’est par l’éducation que le personne se fait. Voir lecture analytique p. plus opaque pour le lecteur. Mais ce sont aussi des personnages réalistes : ils sont représentatifs de métamorphoses de la société . Sa caractéristique est d’être indifférent. les notations à propos du personnage se font plus triviales (physique moins parfait. mais aussi et surtout pour son . Cette synthèse offre aussi l’occasion de faire avec les élèves l’inventaire des ressources dont se dote le roman pour représenter des personnages complexes ambigus : ressources narratologiques qui permettent de le situer dans une syntaxe narrative et un habile jeu sur le temps : on notera l’intérêt que représente le point de vue ironique du narrateur dans le portrait de Don Quichotte. dans la mesure où il va au bout de son destin : le picaro réussira et atteindra la sagesse. le récit rétrospectif de Gil Blas. plus affable mais non moins redoutable tant il sait envelopper ses actions mystérieuses sinon douteuses d’une apparence respectable. • Texte 4. Pourtant il continue à faire rêver. Vautrin un tempérament de jouisseur et une soif de pouvoir qui le conduit au cynisme et au crime comme le laisse entendre l’allusion du narrateur omniscient à « l’épouvantable profondeur de son caractère ». Son intériorité est délaissée au profit de notations davantage centrées sur son comportement : il est moins cet être à la réflexion parfaite que celui qui agit ou du moins veut agir. le femme s’émancipe et se libère. la société reste une entrave au désir de la femme : elle ne peut choisir un époux selon son cœur car des conventions l’en empêchent. Rastignac a certes un idéal qu’il veut atteindre par l’opportunisme. non affecté par le monde : ses répliques très brèves. Rastignac relève plus du vautour qui guette les proies à dépouiller. ce qui donne sa valeur à un personnage féminin. Dans le texte de Mme de La Fayette. Vautrin est plus rond. Elle permet de peindre un portrait flatteur du personnage et de manifester toute sa grandeur. la voix du roman résonne davantage (discours direct) pour faire entendre sa médiocrité ou son inexistence. Sa naïveté le rend attachant. Fabrice Del Dongo connaîtra la gloire et l’amour avant de se retirer dans un monastère. 44-45 1. La voix du personnage est atone et sèche et dit la vacuité du protagoniste. naissance moins remarquable) mais aussi plus rares ou énigmatiques  : le héros est moins transparent. Il est un novice en matière militaire. De plus. certes pour sa beauté. Son idéalisation romanesque s’éteint peu à peu pour faire place à la complexité. elle ne peut exister qu’à travers sa fonction d’épouse : c’est l’homme qui lui donne sa qualité. Fabrice est l’image même du personnage ignorant et naïf qui ne sait pas nommer les gens. la religieuse se révolte contre ce statut de femme soumise : elle apparaît comme la victime d’une société qui la définit comme éternelle mineure et l’enferme dans une existence totalement insipide et creuse. Ces traces de médiocrité modifient sa fonction  : il n’est plus un exemple mais un double. la femme apparaît comme soumise aux lois et contraintes sociales. Vautrin manipulera les êtres jusqu’à la mort. Vers la problématique Alors que le héros se définit par deux ou trois caractéristiques récurrentes qui sculptent sa statue et créent son aura. aux ambivalences. la femme est encore soumise à la figure tutélaire de la mère (comme dans les deux textes précédents) et à l’autorité religieuse (le missionnaire) et se trouve face à un dilemme encore insoluble  : choisir entre la vertu (vécue comme contrainte) ou le triomphe de son désir. Corinne est portée en triomphe et admirée de tous. Ce sont des personnages emblématiques mais la médiocrité ne les épargne pas. Atala reste victime de sa soumission et est impuissante à se libérer (suicide final). sa moralité irréprochable : elle ne doit pas entacher l’honneur de son époux. • Texte 6. Mme de Clèves se soumet au désir de son mari et l’épouse sans éprouver pour lui de sentiment. comme le souligne Albert Camus dans L’Homme révolté. du xviie siècle à nos jours • 21 . La vie de couvent est la cible des critiques de Diderot car elle est un concentré de toutes les oppressions faites aux femmes : interdiction de libre-circulation. cette qualité féminine avait été peu vantée dans le roman. le couvent apparaît comme un outil au service d’une société cruelle aux femmes. Voir lecture analytique p. • Texte 5. Atala incarne l’inquiétude romantique et les idées exprimées par Chateaubriand dans le Génie du christianisme. Voir lecture analytique p. Elle est enfin l’objet des regards pour une raison méritoire. On n’a que quelques notations fragmentaires et éclatées. la pure héroïne et la femme fatale. Elle rend esclave malgré elle. C’est le corps féminin ici qui est tout-puissant. Atala incarne la figure du martyre. l’épouse vertueuse et la courtisane. valorisation de la moralité. Le portrait est plus une esquisse. Elle est une énigme absolue pour l’homme. Incarné par des personnages féminins. le texte de Marguerite Duras met en scène une figure très énigmatique. À travers les textes de Gracq et de Duras se lit en filigrane toute l’interrogation freudienne du début du XXe siècle sur le corps et le désir féminin (réflexion sur l’hystérie…). La bonzesse échappe au portrait. Femme mal mariée à Charles Bovary. c’est la femme qui soumet l’homme par son charme mystérieux. Dans le texte de Gracq. Le rejet du monde de Mme de Clèves est à la mesure du pessimisme classique. refus de l’accès à l’éducation… Le couvent et les religieuses ne sont pas des âmes bonnes et aimantes mais au contraire des femmes méchantes et obtuses. Madame Bovary tente de faire éclater tous les carcans qui l’oppressent. dangereux pour les corps et les âmes (vision bien peu traditionnelle du couvent). cette réflexion implicite arrache l’image de la femme aux clichés qui opposent la sainte et la fée. bourrage de crâne. Duras refuse ainsi de réduire la femme à un corps. Elle est un être brut. Suzanne Simonin donne une voix au féminisme authentique de Diderot.Le personnage de roman. ne peuvent servir l’ambition des hommes. existentielle. Dans l’extrait de Flaubert. Vanessa donne un visage au monde onirique de Gracq et l’aliénation tragique de la femme qui est au cœur de l’œuvre de Marguerite Duras se reflète de façon absolutisante dans le personnage de la mendiante errante. Jusqu’à présent. Même si ses amours dominent l’intrigue romanesque. une femme dont le pouvoir de séduction pourrait garantir le triomphe. Enfin. Vers la problématique. 11. Elle sait qu’elle ne peut être parjure mais qu’elle ne peut pas non plus renoncer à son désir et à sa passion. • Texte 7. Corinne est maîtresse de son destin. Suzanne est bien une figure atypique en ce qu’elle ne voit pas le couvent comme un lieu de protection. Corinne est l’objet du désir (elle est admirable de par son corps) mais est aussi exceptionnelle car ce triomphe couronne son Chapitre 1 . Elle attire et laisse l’homme impuissant devant sa beauté. celui-ci est le premier à la ramener à son devoir d’épouse. Elle est celle qui inspire l’admiration et invite l’homme à s’élever. le personnage féminin traduit la pensée de l’auteur. d’apaisement et de retraite spirituelle (ce qui est le cas chez Mme de Clèves) mais au contraire le lieu archétypal de toutes les violences faites aux femmes par des femmes. intelligence. elle s’ennuie et doit subir la vie médiocre de province que lui impose son époux. 13. pour trouver sa place dans la vision romantique du monde. Elle est l’inquiétante étrangeté. Avec la perte d’importance de la religion et l’évolution du code civil. C’est ici l’homme qui est ébloui et qui se retrouve soumis à la femme. Chateaubriand unit idéal romantique et chrétien. ce qui explique qu’elle fasse peur. la femme n’est plus une éternelle mineure. • Texte 4. donc son esprit. 2. la femme acquiert peu à peu son autonomie financière. par manque d’argent. même si Emma prend un amant. • Texte 3. une femme d’esprit. Emma ne parvient pas à exister pour elle-même et par elle-même. Vanessa apparaît comme une beauté énigmatique et fatale.esprit. Lecture • Texte 1. Vanessa échappe aux stéréotypes de la femme fatale car elle n’est pas une beauté parfaite et en plus elle ne joue pas de son pouvoir de séduction puisqu’elle ne se sait pas observée. Il devient son esclave. L’étrangeté du personnage représente symboliquement l’énigme qu’est la femme pour l’homme (cf écrits freudiens). Atala est une victime de sa foi mais aussi de son désir. Vanessa devient un objet de désir. Encadrée par des figures tutélaires jusqu’au début du XXe siècle (le père. la mère ou le mari). Le couvent est perçu comme un monde violent. En fait. L’évolution de la société a permis l’émancipation féminine. dont le corps et l’âme font peur. identitaire. Son désir est à nouveau brimé par les conventions sociales : en effet. • Texte 2. Le triomphe de Corinne est présenté du point de vue d’Oswald pour renverser les rapports de force. • Texte 6. mais reste néanmoins souvent encore en littérature un objet étrange. Rodolphe. Corinne idéalise le combat de son auteur. La bonzesse est une incarnation de l’inquiétante étrangeté. Elle incarne donc la parfaite héroïne tragique. qui intrigue. En prétendant les protéger. Synthèse Ce parcours donne une idée juste de la façon dont le traitement du personnage permet au romancier de définir de façon convaincante pour le lecteur une vision du monde originale. elle élimine du jeu social les femmes de naissance obscure qui. BILAN DE PARCOURS 3 Manuel de l’élève pp. 54-55 Vers la problématique Céline démolit tous les codes et topoï du roman traditionnel. Tout d’abord, Bardamu n’a rien du héros traditionnel de roman. D’habitude, doté de qualités morales et physiques, d’un idéal à défendre et souvent épris d’une femme aimable, le héros traditionnel est idéalisé et magnifié. Bardamu présente les caractéristiques exactement inverses : c’est un personnage passif, souvent lâche, nihiliste et dégoûté par le monde qui l’entoure. De même, sur le plan de la langue, Céline déconstruit les conventions langagières traditionnelles. Le roman était habituellement le lieu d’une écriture littéraire, travaillée et ciselée. Si la langue orale et populaire pouvait être présente, c’était en tant qu’idiolecte, signe de l’appartenance sociale des protagonistes (cf Zola et L’Assommoir par exemple). Chez Céline, le narrateur lui-même use d’une langue orale et parlée. L’écrit et l’oral ne font plus qu’un. Bardamu parle cette langue si novatrice, signe de la désacralisation du héros. Les éléments récurrents de l’écriture de Céline sont  : surabondance du « que », vocabulaire familier ou grossier, « ça » au lieu de « cela », élision, absence du « ne » explétif… Lecture • Texte 1. Voir lecture analytique, page 17. • Texte 2. Voir lecture analytique page 17. Bien que le récit soit, tout au long du roman, pris en charge par Bardamu, c’est à Princhard qu’il confie le soin de tenir le discours de la révolte. L’opinion personnelle de Bardamu,  qui reste totalement silencieux et muet, tel une conscience passive, est absente de cet extrait. Même si son horreur de la guerre est constamment présente, elle ne s’exprime jamais de façon directe et passe toujours par le détour de l’observation  : l’identité de ce personnage tient essentiellement à sa fonction de témoin. • Texte 3. La violence de la scène tient évidemment à la description des mauvais traitements physiques subis par les personnages noirs : le boy, les employés qui « trimardent », les femmes mais aussi à la satisfaction manifestée par les colons. L’inhumanité totale du Directeur qui ne pense qu’à son bien-être et traite les indigènes comme des bêtes de somme de la façon la plus naturelle apparaît comme le révélateur d’un système cynique qui fonctionne sans se poser de questions. De plus, la violence naît de l’absence totale de réaction ou de commentaire de Bardamu : il reste un spectateur totalement passif, muet, silencieux et non une voix révoltée. Bardamu constate la barbarie totale des colons et la pérennité séculaire de systèmes économiques qui fondent leur profit sur l’exploitation de l’homme par l’homme. totalement hermétique à la souffrance d’autrui. La colonisation apparaît, ce qui n’était pas évident pour tous en 1932, comme le prolongement du système esclavagiste. 22 • Chapitre 1 - Le personnage de roman, du xviie siècle à nos jours Le jeu bestial des rapports de domination et le refus de considérer les opprimés comme des hommes apparaît sans que nulle compassion ne transpire du passage, dans leur assimilation fataliste à des fourmis. • Texte 4. La banlieue représente pour Bardamu un havre de paix (« envie de souffler un peu »). À nouveau, alors que le personnage a décidé de s’installer en banlieue, il devient spectateur de sa vie et de son destin : il est l’objet des regards et des questionnements ; objet des médisances et surtout spectateur de la vie sociale. Il regarde les tramways arriver et se vider et ne peut que formuler un constat amer : tous ces jeunes pleins d’enthousiasme ouvriront un jour les yeux pour percevoir la misère de leur existence. À la fin de l’extrait, ce sont les objets qui deviennent sujets des phrases : toute trace d’humanité a disparu. • Texte 5. Le héros apparaît comme désinvolte et sans prestige. Il n’y a aucune solennité ni dans l’incipit ni dans l’excipit. L’excipit rappelle le titre même du roman car il se déroule à l’aube, au bout de la nuit. Il marque la fin du voyage de Bardamu à travers l’Enfer de la vie. Il marque la fin de l’épisode consacré à la mort de Robinson, la fin du « drame ». Il marque enfin la fin du souffle de la parole : Bardamu n’a plus rien à dire, plutôt à ajouter sur la misère du monde qui l’entoure. Problématique. Bardamu est un anti-héros et un symbole négatif de la condition humaine car il n’est pas, il n’existe pas mais traverse la vie. Il est spectateur, du début à la fin du livre, de sa vie et de son destin. La qualité essentielle de Bardamu est de regarder, d’observer, de vivre des scènes en spectateur plus qu’en acteur. Cela révèle l’impuissance totale de l’homme face au monde qui l’entoure. Voir aussi « Vers la problématique », partie « lexique ». L’absence d’épaisseur de ce personnage renvoie au rôle que Céline attribue au roman : « Écrire, pour lui, c’est transposer l’expérience en faisant en sorte qu’elle puisse avoir le dehors d’une fiction et être perçue comme récit d’une expérience (Henri Godard, « Notice » introductive à l’édition du Voyage au bout de la nuit dans la « Bibliothèque de la Pléiade »). Cette vision « dialectique » du roman, précise Jean-Philippe Miraux dans une étude sur Le Personnage de roman (Nathan, collection 128, 1997, p.88), influence le statut du personnage : « Le personnage célinien, dont la réalisation est influencée par les notions de point de vue sur le mode du monologue intérieur et sur le plurivocalisme, devient en définitive un personnage philosophique dont le parcours initiatique (on a pu voir dans le Voyage une réécriture du Candide de Voltaire) met au jour une vision du monde qui s’oriente toujours vers un noircissement de l’homme, de la société et l’appréhension métaphysique de l’univers. » Chapitre 2 Le théâtre : texte et représentation PROBLÉMATIQUE D’ENSEMBLE PARCOURS 1 Le travail de la classe de première a un double objectif : - Enrichir la culture des élèves, en prenant appui sur la connaissance des genres acquise en classe de seconde, pour leur faire découvrir l’évolution et la métamorphose des formes et des cadres hérités jusqu’au XXe siècle. On travaillera ainsi sur l’effacement progressif des frontières, sur l’intégration des enjeux de la tragédie, après son déclin au XVIIIe siècle, à d’autres genres. - Leur montrer comment le texte de théâtre ne peut être lu sans la perception par le lecteur d’une dimension lacunaire du texte qui, entre les répliques et les didascalies donne carrière à la représentation, c’est-à-dire à la mise en scène dont il conviendra de rappeler qu’à l’époque classique, quand elle ne portait pas encore ce nom, elle précédait l’impression et la publication du texte lui-même : le choix d’un espace scénique, d’une scénographie, le choix des acteurs les partis-pris d’interprétation ont toujours existé, même si la place du metteur en scène s’est imposée avec plus de force depuis la fin du XIXe siècle. Pour aborder la question une étude des textes présentés en page Éclairages sera extrêmement utile : on pourra ainsi partir des propos tenus (page 71) par le metteur en scène François Rancillac pour poser les questions essentielles Le manuel propose trois parcours, assortis d’une riche iconographie, qui permettront au professeur d’aborder ces questions avant de choisir les œuvres analysées en résonance avec au moins une représentation à laquelle la classe aura assisté ou dont elle aura vu la captation filmée. Quand les ressources le permettent (voir bibliographie), une comparaison à partir de l’iconographie proposée par le manuel ou avec une autre captation sera fort utile. Le parcours 1 montre comment la question de l’imitation vraisemblable du réel qui orientait les règles du théâtre classique fondées sur la mimesis, c’est-à-dire sur l’héritage codifié d’Aristote et des Tragiques grecs, a été historiquement posée. Plus thématique, le deuxième parcours interroge, à travers un ensemble d’extraits du XVIIIe au XXe siècle, les différents niveaux du texte dont le sens n’existe pleinement qu’à partir du moment où la représentation s’en empare et opère des choix de mise en scène et d’interprétation. L’illusion théâtrale : évolution des codes et des conventions Manuel de l’élève pp. 75-87 Pour aborder ce parcours historique, il conviendra de lire et de commenter avec la classe les pages d’histoire littéraire placées en début de chapitre. Elles donnent des repères sur l’évolution dans le temps du rapport mimétique que le théâtre entretient avec ce qu’il représente. On pourra d’abord commenter quelques extraits brefs de la Poétique d’Aristote pour montrer ce qui fondait l’essence du théâtre a été progressivement contesté et comment l’écriture théâtrale s’est libérée de plus en plus de l’illusion mimétique pour proposer au XXe siècle une réalité scénique recomposée et complexe qui joue des codes de la théâtralité et de son pouvoir d’illusion. On peut faire appel dans ce but à un texte d’Eugène Ionesco centré sur cette problématique dans Notes et contre-notes intitulé « Expérience de théâtre ». À l’intérieur de ce parcours, il sera judicieux : - de proposer la lecture analytique des textes de Maeterlinck, Ionesco, Genet et Duras ; - de nourrir la réflexion et le débat, en définissant l’enjeu que représente l’illusion théâtrale à partir des textes de Victor Hugo, Claudel et Artaud, avant de formuler la problématique du parcours : « quel rapport le théâtre entretient avec le réel ? » On pourra ainsi faire dégager par la classe la nature de la mimesis au théâtre et son évolution historique à travers quelques étapes fondamentales : on souhaite que les élèves aient assimilé ces trois «moments» de rupture ou d’avancée esthétique : le romantisme contre le classicisme, le symbolisme et ses conséquences, les principes visionnaires d’Artaud. Dans le texte 1, « la révolte romantique contre les règles », on visera le repérage des caractéristiques de l’esthétique classique, déjà abordées en seconde, qui font l’objet de l’attaque hugolienne. Puis on mettra en évidence les caractéristiques du « réel » que, selon Hugo, le drame romantique doit tenter de représenter sur la scène, en insistant notamment sur les notions de « grotesque » et de « sublime » et sur la possibilité de leur mixité, en empruntant quelques exemples au drame romantique dont l’excès et les contrastes minent l’illusion mimétique. Le texte 2, « l’effacement symboliste de l’illusion réaliste », initiera les élèves à un théâtre méconnu, dans lequel il est néanmoins facile de mettre en lumière la nature « indéterminée » de l’action, de l’intrigue et des personnages. On insistera sur la place occupée par le silence et le mystère pour montrer comment le « réel » représenté est une Chapitre 2 - Le théâtre : texte et représentation • 23 construction poétique et mentale qui met à jour des forces profondes (un « théâtre de l’âme », selon Maeterlinck). Le texte 3, « la célébration distanciée de l’illusion théâtrale », constitue après celui de Hugo un deuxième exemple de texte « théorique », un nouvel extrait de « préface », destiné au lecteur/spectateur mais aussi à l’éventuel metteur en scène de la pièce. Il met en place un avant-spectacle : l’entrée de l’Annoncier, qui rappelle le prologue shakespearien, sur le proscenium (c’est-à-dire en dehors de l’aire de jeu proprement dite, aire de l’illusion). On en profitera pour parler de la notion de « quatrième mur », celui qui se dresse entre les spectateurs et le spectacle, en montrant comment il peut être rompu. On repèrera dans ce texte le rapport particulier que la scène entend entretenir avec l’illusion et avec la représentation. Ce sera l’occasion de montrer comment deux dramaturges aussi différents que Claudel et Brecht, qui l’a théorisée, ont affirmé le choix très prégnant au XXe siècle et aujourd’hui de la distanciation. Les indications données par Claudel rappellent les effets de distanciation brechtiens. Polémique comme celui de Hugo, mais dans un tout autre registre, le texte 4, « le théâtre créateur de son propre monde », apparaît comme un « manifeste » dans lequel Artaud insiste sur la nature spécifique des outils propres au théâtre, qu’il distingue de la « littérature ». Il définit notamment la nature singulière du langage théâtral qui remet en question la place du texte écrit, la notion même d’écriture dramatique. Le théâtre retrouve un caractère sacré, en rapport avec des forces premières, insondables, inconscientes. Dans le texte 5, « théâtre de l’absurde et déconstruction des codes », l’analyse s’attachera à montrer de quelle façon les « ficelles » dramatiques traditionnelles – liées ici à la notion d’exposition – sont reprises et parodiées pour mettre en évidence l’artificialité de l’écriture théâtrale et s’en moquer. On pourra renvoyer à la didascalie initiale de La Puce à l’oreille (1907) de Georges Feydeau comme modèle de cette parodie. Le texte 6, « La réinvention de l’illusion théâtrale », permet d’aborder la complexité de la dramaturgie : l’espace, la co-présence de la mort et de la vie, le rapport au surnaturel, la combinaison de la tragédie incarnée par le personnage de Kadidja qui en appelle aux forces du mal et du prosaïsme historique et politique représenté par les actes de vengeance des Arabes contre les Blancs. On insistera notamment sur le rôle joué par les paravents et ce qu’ils permettent de représenter. Genet invente une façon proprement théâtrale de représenter des événements réels en opérant un déplacement métaphorique et symbolique de la violence. Le texte 7, « Le théâtre, lieu d’expérimentation », est révélateur de l’interaction entre le renouvellement de l’écriture dramatique et l’influence de mises en scène indifférentes à la notion d’illusion théâtrale. On insistera ainsi sur le dispositif narratif mis en place : présence-absence de la mère proche d’une figure, d’une image issue du souvenir, récit en distance par ses deux enfants de leur histoire commune… À l’intérieur d’un tel dispositif, on verra comment la langue (poétique, elliptique) occupe une place particulière en remettant en question la notion de dialogue – ce qui est une 24 • Chapitre 2 - Le théâtre : texte et représentation grande caractéristique de l’écriture théâtrale au XXe siècle (faire échapper le langage dramatique au seul dialogue). L’arrêt sur image : Bob Wilson et Les Fables de La Fontaine, vise à montrer la précision de l’image scénique construite par Bob Wilson pour insister sur son caractère onirique et surnaturel (ou surréel). Puis on mettra l’image en rapport avec les textes d’Antonin Artaud et ce qu’ils disent du langage scénique. Texte 1 (manuel de l’élève p. 76) La révolte romantique contre les règles Victor Hugo, Préface de Cromwell, 1827 Éléments pour une analyse informelle du texte Ce texte militant dont le ton est celui du pamphlet invite les élèves à revenir sur les acquis de seconde concernant la dramaturgie classique mais en les examinant sous l’angle critique. On relèvera les formules employées par Hugo qui renvoient directement aux règles classiques (exemple : les « fils d’araignée » des « milices de Lilliput »), pour montrer comment le drame romantique se construit contre l’esthétique classique et revendique une volonté de « tout représenter », de représenter la vie dans tous ses aspects, d’où le mélange des genres, grotesque et sublime. Alors que l’esthétique classique régulait ce qui pouvait être représenté, l’esthétique romantique réclame une liberté absolue. Pour une étude analytique, on pourra construire le commentaire en deux temps, en tentant de toujours garder en tête le caractère polémique du texte (qui constitue sa tonalité ou son registre principal et doit être pris en compte sur l’ensemble du commentaire d’un point de vue stylistique) : - l’attaque polémique contre le classicisme : a. La fin des règles « conventionnelles » / b. le théâtre classique ou le règne de l’abstraction ; - la revendication d’un retour au réel comme fondement du drame romantique : a. tout ce qui est dans la nature est dans l’art / b. le mélange des genres : le terrible et le bouffon, le sublime et le grotesque. En face d’un théâtre classique dans lequel l’illusion du réel repose, selon son jeune pourfendeur, sur un code « laborieusement » (ligne 8) constitué à la suite de querelles de chapelles – des « labyrinthes scolastiques et de « problèmes mesquins » (lignes 8-9), Hugo construit l’image idéale d’un réel romantique qui au lieu « d’enchaîner » (ligne 12) la vie et ses drames, restitue la double dimension de l’homme, « la bête humaine » et « son âme » (ligne 21) à travers « l’ harmonie des contraires », l’alliance du sublime et du grotesque. Texte 2 (manuel de l’élève p. 77) L’effacement symboliste de l’illusion réaliste Maurice Maeterlinck, La Mort de Tintagiles, 1894 Éléments pour une analyse informelle du texte Dans ce texte, il s’agit de mettre en évidence le caractère « symboliste » de l’action et du dialogue pour voir ravive leur frayeur. des voix sœurs. mis en scène par Grüber à la MC 93 en novembre dernier. et plus encore la fin de ce même acte III où les trois frère et sœurs. on peut trouver ce texte de Meyerhold sur la diction. (…) Avec lui on a vraiment la sensation de descendre au fond du problème. Babel (Actes Sud. le dialogue est directement lié à cette action (combattre le danger qui apparaît derrière la porte). La personne de Dieu est inconnaissable. Mais leurs corps n’ont pas de relief et leurs mouvements ralentis semblent lointains. haïku –. Et que la radicalité du spectacle de Régy continuera d’alimenter sa réputation de metteur en scène abscons. « Le mur argenté. On songe à un quatuor d’opéra. conçu par le scénographe Gilles Aillaud pour Le Pôle de Nabokov. Et lorsqu’elle parle avec Bellangère (Virginie Anton). Il faut décoder ses mots et ses phrases – énigme. tout près du rêve de Maeterlinck. 130 pp. On peut d’emblée remarquer l’héritage romantique : l’action est représentée sur la scène. Maeterlinck parvient à créer un véritable suspens (voilà qui pourrait constituer la première partie de la lecture analytique de l’extrait). qui sert de toile de fond au décor de Daniel Jeanneteau pour La Mort de Tintagiles.Une froide ciselure des mots est nécessaire: aucune intonation vibrante (trémolos). Maeterlinck n’entend pas forcément pantins ou poupées. le petit frère. Deux sœurs. au début et à la fin de sa vie. Absence totale de tension et de couleurs sombres. Claude Régy ne les a pas dirigés comme des automates aux gestes hiératiques. La pièce fait partie d’une trilogie. les yeux pleins de larmes. les mots doivent tomber comme des gouttes d’eau dans un puits profond : on entend le bruit net de la goutte sans la vibration du son dans l’espace. les didascalies de type narratif (lignes 25 à 33) sont abondantes. Ou plutôt. une projection de formes symboliques ou un être qui aurait les allures de la vie sans avoir la vie ». obscures silhouettes dont on ne distingue pas les visages et à peine les chevelures. Trois petits drames pour marionnettes dont l’un. plus Aglovale (Christophe Lichtenauer). à la lisière entre brume et nuit. Intérieur. suivie d’un dossier dramaturgique élaboré par Claude Régy.comment il met en place une nouvelle forme de dramaturgie. Paradoxalement. Kantor. Sur la scène où chacun arpente le vide en solitaire. Il est à la recherche d’un théâtre où « l’absence de l’homme (lui) semble indispensable ». un miracle se produit. Il imagine de remplacer l’acteur par « une ombre. les faire entendre entre sensation et vision. Mais dans le même temps. La voix de Valérie Dréville (Ygraine) est exactement cela : « Des gouttes d’eau dans un puits profond. Dans la nouvelle édition de la pièce1. publiée par Maeterlinck en 1894.) » Dans la pénombre du TGP. Maeterlinck. Ce sont ces nombres dont la nature est insensible maintenant au commun que Maeterlinck a fixés en phrases lapidaires. se tiennent étroitement embrassés ». Le décor du spectacle est tout entier dans l’ombre. Il travailla plusieurs mois sur La Mort de Tintagiles (après lui. Dans la tour du château habite la reine. avait déjà été mis en scène par Claude Régy en 1986. C’est un ordre de communication ésotérique. Éléments complémentaires On pourra utilement faire appel au dossier dramaturgique extrêmement riche annexé à une édition récente du texte dans la coll. les moments de paroxysme ou de rapprochement physique n’en sont que plus frappants  : le premier cri de Tintagiles (Yann Boudaud) à l’acte III. (. à la lisière de l’au-delà. La Mort de Tintagiles ressemble à un conte pour enfants. mais qui serre le cœur. rappelle un autre rideau métallique. le metteur en scène russe Meyerhold avait bien compris comment les conceptions de Maeterlinck pouvaient contribuer à révolutionner le jeu des acteurs. les quatre autres dans le château construit «au plus profond d’un cirque de ténèbres». il se réduit à un jeu de lumières. Le retour de Tintagiles. y revint par deux fois). Aglovale. un reflet. cette action représentée prend un caractère énigmatique car le danger est suggéré (il est de l’autre côté de la porte. parlait volontiers 1  Maurice Maeterlinck. la terrible grand-mère dévoreuse d’âmes. sont en effet des ombres. et le rapprochement n’est pas fortuit. pour Grüber et Régy. dit la sagesse du Talmud. mais ses voies s’expriment par nombres et par chiffres. qu’aucune émotion ne vient troubler.” (Antonin Artaud). Pour qui veut la recevoir. Par « marionnettes ». Et les acteurs. oracle. même si les deux spectacles s’aventurent dans des régions semblables. Le premier se déroule dehors au crépuscule. l’ambition de Maeterlinck est de faire du théâtre le lieu de l’irreprésentable. 2. de l’expression de forces surnaturelles. Actes Sud/Babel.. On peut déjà prévoir que la plupart de ceux qui n’ont pas aimé Le Pôle n’aimeront guère plus La Mort de Tintagiles. mais un moyen d’approcher la vérité du théâtre. Dès le début du siècle. hors scène) et tout prend un caractère surréel ou fantastique (deuxième partie de la lecture analytique). à propos de ses petites pièces. Les cinq actes – cinq tableaux plutôt – sont baignés d’angoisse. Les sept personnages de La Mort de Tintagiles pénètrent eux aussi en zone interdite. » Une mise en perspective de ce point de vue avec une critique de ce spectacle (René Solis dans Libération du 07/02/1997) éclairera particulièrement bien la façon dont ce théâtre porte un coup définitif à la tradition de l’illusion mimétique. « tous les quatre. Simple coïncidence. » Chaque syllabe se détache avec une effarante netteté. Ygraine et Bellangère. 1997) et notamment au commentaire formulé par le metteur en scène Claude Régy lorsqu’il a monté cette œuvre au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis en mars 1997 et qu’il cite Antonin Artaud : « C’est peut-être ça le grand art de Maeterlinck : “Il a su nous rendre sensibles (…) les lois occultes des phénomènes de la vie. n’est pas l’objet d’une fascination plus ou moins morbide. qu’il lie à une interrogation sur la mort (on dépasse alors le cadre du drame romantique). Une mort qui. Un explosif ciselé en plein rationalisme matérialiste.. La Mort de Tintagiles. leurs voix semblent s’entrelacer. Les quatre hommes perdus dans les limbes glacées du Pôle avaient atteint le point de non retour. Chapitre 2 . La Mort de Tintagiles se révèle pourtant une expérience aussi simple que poignante.Le théâtre : texte et représentation • 25 . «1.Le son doit toujours avoir un support. vivent sur une île avec leur vieux serviteur. aucune voix larmoyante. Les deux plus beaux spectacles de la saison se placent sous le signe de la mort. On peut évoquer Bertolt Brecht (que tout oppose idéologiquement à Claudel) et la mise en place dans les années 1920 de sa théorie du théâtre « épique ». la Bouchère ! La Bouchère. Fragile. comme ça. de contradiction et de discontinuité – l’opposé des principes de resserrement et de continuité qui garantissent l’efficacité dramatique et. Il inscrit volontairement son spectacle dans une fête (« mardi gras ») populaire et joyeuse et propose un prologue (pris en charge par le personnage de L’Annoncier) d’une évidente tonalité comique. les bras écartés. Même la tragédie 1. comme en français du Moyen Âge. – N’aie pas peur. Pas d’autre musique que quelques coups espacés de grosse caisse. des présupposés d’une représentation naturaliste. On pourra employer le cinéma. – Ce n’est pas des requins. mais quelqu’un m’a dit qu’il avait vu des requins. Le Soulier de Satin. Mademoiselle. Cela ne ternit pas la beauté de Tintagiles. le spectacle souffre parfois de baisses de rythme (le cinquième acte d’Ygraine. n’était pas tout à fait au niveau du premier). Elle privilégie tout particulièrement les effets de montage. comme le propose Irène Bonnaud.16 à la fin : l’auteur « rêve » le début de son texte mis en scène.fr/fr/documentation/ archives_saisons_passees/les_saisons_passees/saison_2008_2009/accueil-f-279-3. d’hétérogénéité. Dona Sept-Épées et la Bouchère à la nage. comme ça. plus largement. On voit bien comment ces indications insistent sur l’effet d’illusion partagée et non sur l’effet de réel ou de vraisemblance : la construction du spectacle théâtral est donnée à voir au public (mise en place du décor. Nous proposons ici un extrait du chapitre « Évolution des lieux et des espaces » de l’essai Qu’est-ce que le théâtre ? de Christian Biet et Christophe Triau publié en 2006. – Ce n’est pas tant que je sois fatiguée. » Texte 3 (manuel de l’élève p. Or Brecht. je les ai vus ! Ce sont des pourpoises2 qui s’amusent. sous la pleine lune. se définit en opposition avec la conception « dramatique » de la mise en scène. Elles n’ont pas le droit de s’amuser ? Ce n’est pas amusant peut-être d’être une jolie pourpoise ? Elle fait sauter de l’eau à grand bruit avec ses pieds.). On proposera aux élèves de mettre en relation cette « proposition » de mise en scène donnée par l’auteur dans son Prologue avec une des scènes de la pièce : la scène X de la Quatrième Journée. de la scénographie. s’il y en a un qui veut te faire du mal je te défendrai contre eux. La Bouchère. je sais bien que je n’ai pas autre chose à faire que d’aller avec vous. Les cinq mouvements (dont celui ouvert par le ballet vocal des trois servantes. Il n’y a pas de danger de se fatiguer. Dona Sept-Épées. mais dans leurs contradictions et comme discutables. qu’ils y viennent. Oh ! 26 • Chapitre 2 . etc. superposition des scènes. elle s’emploie donc à rompre le principe du « quatrième mur » et à créer des effets de distanciation. Voici le début de la scène : « En pleine mer. – Si tu es fatiguée. La question du brechtisme est ici abordée dans une perspective historique fort pertinente qui permet de rappeler comment le théâtre (même avant Brecht) a su jouer de la distanciation de l’illusion : « Et la notion de théâtre épique – élaborée à partir des années 1920 par Bertolt Brecht – peut être ici d’un grand secours. comme s’il fallait le temps aux solistes de se réaccorder. Car la « dramaturgie non aristotélicienne ». – Oh ! ce n’est pas le cœur qui me manque ! Partout où vous allez. La jeune héroïne Dona Sept-Épées et sa suivante et amie. revendique un théâtre assumé dans sa dimension de narration (alors que la forme dramatique du théâtre se veut représentation purement « en actes » : l’allemand epische pourrait d’ailleurs être également traduit. qu’il oppose au théâtre dramatique. Porpoise en anglais. par « narratif »). signifie « marsouin ». n’invente évidemment pas la nature potentiellement épique du théâtre. de rupture et d’interruption. On pourra enrichir l’analyse en se reportant à la mise en scène d’Olivier Py et au dossier pédagogique s’y rapportant.theatre-odeon. À l’idéal de captation du spectateur par l’illusion elle oppose la volonté de faire de celui-ci un observateur lucide et détendu (dans la « position du fumeur ») . 78) La célébration distanciée de l’illusion théâtrale Paul Claudel.d’« opéras » et Claude Régy a suivi la ligne musicale. Anne Klippstiehl et Laure Deratte) sont entrecoupés de silences et de noirs. les fils de garce ! Elle rit aux éclats. On ne sort que la bouche et le nez et quand on enfonce une grande respiration vous retire en l’air aussitôt. caractère ouvertement artisanal et bancal des différents fonds de scène. en croix. le soir de la première. qui joue de la distanciation puisqu’ici c’est le jeu de l’acteur (et non le personnage) qui est gêné par les musiciens. Cette notion. Carine Baillod.1 à 15 : l’auteur donne des « directions scéniques » d’ordre général en vue d’aider à l’éventuelle mise en scène de sa pièce. il n’y a qu’à se mettre sur le dos. Un tout petit mouvement. didascalies lues sur des papiers tenus en main par les acteurs ou les régisseurs. du texte et de la représentation. La Bouchère. – En avant ! Courage. – Oh ! j’ai peur qu’ils me sautent dessus ! Dona Sept-Épées. en réalité. Dona Sept-Épées. nagent en pleine mer. à télécharger sur le site du théâtre de l’Odéon : http://www.Le théâtre : texte et représentation j’ai peur qu’il y ait un requin qui vienne me tirer en bas par les pieds ! Dona Sept-Épées. selon Brecht. avec les pieds et la moitié des mains. pour faire apparaître le monde et les événements représentés non pas sous le signe du naturelle et de l’immuabilité caractérielle et sentimentale. ici. - l.htm Ce texte peut également être l’occasion d’aborder la question de la distanciation. . La Bouchère. 1929 Éléments pour une analyse informelle du texte Cet avant-propos est construit en deux parties : - l. est à peine saisissable. est également souvent caractérisée par la discontinuité (temporelle. à Nancy en 1971. c’est un fait que tout le théâtre dit « dramatique ». qu’elle en acquiert une étrangeté radicale. d’une grande perfection plastique. est incapable de représenter comment ces individus sont avant tout pris. 2011) (voir sur le site http://vincentmacaignefriche2266. Le Regard du sourd ? Ancien danseur. sont le langage de ce théâtre qui bannit à peu près complètement le discours articulé. et surtout par l’horizon politique (…) et théorique qui la sous-tend : c’est essentiellement parce que le système dramatique. des traits épiques. dans une sorte de perpetuum mobile. « L’image.com). de registre…) – sans parler de l’usage. et non de textes mis en scène. il est utilisé en fonction de l’énergie physique qu’il diffuse. ne serait-ce qu’avec la présence d’un chœur. imposait une théâtralité ostensiblement narrative (ainsi la frontalité des monologues dramatiques comiques. leur caractère rituel et/ou codé a toujours participé d’une conception non dramatique du théâtre – elles seront d’ailleurs revendiquées comme modèles par Brecht (en particulier le jeu de l’acteur chinois Mei Lei Fang. le mouvement. modifiant subtilement le sens même du temps chez le spectateur. qui contribue à fixer ce que nous appelons ici le théâtre épique. au XXe siècle. On peut également mettre la réflexion d’Artaud en rapport avec le travail des metteurs en scène Bob Wilson (voir arrêt sur image) ou François Tanguy (Le Théâtre du Radeau). pour lui faire apparaître le réel comme transformable et non comme immuable. une cérémonie. permanence et métamorphose. et de la durée vécue. Le théâtre médiéval. » Qu’est-ce que le théâtre ? Gallimard. dans des systèmes économiques et politiques plus larges qu’il importe d’imposer une forme théâtrale pouvant représenter une sphère plus vaste tout en désaliénant le spectateur dans sa relation à la représentation. mais un mélange organique de mouvements. Cris ou psalmodies. L’influence d’Artaud fut décisive dans l’histoire du théâtre. tel qu’il s’élabore théoriquement et textuellement du XVIIe au XXe siècle.grecque. de sons et d’images qui doivent mettre le spectateur dans un état de transe et de révélation. 1938 Éléments pour une analyse informelle du texte Antonin Artaud veut dans son manifeste pour un « Théâtre de la cruauté » rendre au théâtre son autonomie. mais n’apparaît sur la scène que dans les années 1960. 255-257 Texte 4 (manuel de l’élève p. Paradiso (Festival d’Avignon 2008. Il l’inscrit dans une temporalité si différente. comme le préconise déjà Artaud. Parmi les metteurs en scène contemporains dont le travail porte la trace de cette réflexion. dont la définition par Aristote a servi de fondement aux théoriciens du théâtre dramatique. Quant aux dramaturgies orientales. leur nature de spectacle-parcours. Il s’agit avant tout d’expériences scéniques. lenteur et répétition. et qui cependant s’écoulent. le libé- rer de la littérature et définir son langage propre. contenait. telle qu’elle s’incarne par exemple dans l’œuvre de Shakespeare.le jeune Français Vincent Macaigne avec Requiem 3 (Théâtre des Bouffes du Nord. significativement. qui inspirera au dramaturge allemand nombre de ses réflexions sur l’acteur épique et sur la distanciation). La dramaturgie élisabéthaine. d’abord en dehors de la France (notamment aux Etats-Unis). nous l’avons vu. et non pour dire ou pour montrer. Enfin. Comme on le voit avec ce texte. Le spectacle par lequel il se révèle au public français. l’univers wilsonien est peuplé de figures Chapitre 2 . et du temps stylisé du théâtre. Le Regard du sourd enchevêtre des images hiératiques et secrètes sept heures durant ! Quant au mot. Minutes comme figées. se distingue par sa systématicité. p. citons : . ou leur utilisation de scènes simultanées…). dès qu’on l’aborde du point de vue des conditions matérielles de sa représentation. Le Théâtre et son double. qui s’adresse non pas à l’intelligence (la tête) mais à la sensibilité (le corps). spectacles disponibles en dvd chez ARTE Video. puis en France à partir des années 1970-80. . Folio. en ce qu’il ne s’attache qu’aux conflits entre individus. il fournit une musique primordiale qui s’ajoute à l’utilisation de compositions instrumentales dont les potentialités répétitives et hallucinatoires jouent un rôle essentiel. La révolution brechtienne ne sort donc pas de nulle part. vu en tournée en 1935.Le théâtre : texte et représentation • 27 . et ne joue jamais sur une production continue de l’illusion et de la tension empathique : le théâtre occidental ne s’est en fait jamais départi concrètement des traits épiques propres à la monstration scénique. le théâtre n’est plus considéré comme une construction littéraire. ne s’intitule-t-il pas. Plus largement encore. (…) Mais la démarche brechtienne. mais avant tout comme un spectacle conçu comme un rituel. de personnages allégoriques comme « Le Temps » (Le Conte d’hiver) pour indiquer narrativement une saute temporelle de plusieurs années. même si la dramaturgie du texte d’efforçait de les dissimuler. Le théâtre oriental (en particulier le théâtre balinais. n’est pas le texte. Des figures étirent des gestes d’une telle lenteur que le mouvement. masqué) lui sert de modèle. Purgatorio. L’influence des arts plastiques et de l’émergence de la performance dans les années 1960 joue un rôle moteur dans cette relecture des textes théoriques d’Antonin Artaud. se révèle. dans certains cas. Wilson travaille avec prédilection sur le geste. 80) Le théâtre créateur de son propre monde Antonin Artaud. un coureur traverse et retraverse le plateau. fonctionner sur des principes finalement narratifs en ce que la théâtralité de l’époque prend ostensiblement en compte. ou le régime de représentation symbolique des mystères. Ou bien. 2011) et Au moins j’aurai laissé un beau cadavre d’après Hamlet (Festival d’Avignon. quoique bien réel. qui. parfois indéchiffrables. le spectateur.l’Italien Romeo Castellucci avec notamment Inferno. 2009) . qu’il soit de l’ordre du batelage forain ou qu’il s’agisse des mystères. selon lui. - Bob Wilson fait appel à une mémoire enfouie pour déployer des rituels obsédants. L’artifice. avec laquelle il joue sur divers modes. Destruction and Detroit. Mme Smith donne des informations sans utilité dramatique. d’une ampoule électrique de trois mètres de diamètre… » Jean-Jacques Roubine. Les Cantates. Écrivains de Plateau 2. Ces textes existent à égalité avec les autres éléments du spectacle. Une ouverture en forme de parodie de l’exposition a. parfois portés.lafonderie. Un espace de comédie bourgeoise b. coprésence de la mort et de la vie.Le théâtre : texte et représentation 3. comédiens. créé dans le cadre du Festival d’automne. Les indices de la visée parodique 2. mannequins ou acteurs. Proposition de plan pour une lecture analytique : 1.démesurément agrandies. Texte 6 (manuel de l’élève p. Coda. Artaud eût aimé cette utilisation. 2005.fr . du rythme. cfm/76620_saison_athenee_2009-2010. Une exposition en forme de présentation : l’illusion mimétique en question b. 1997. Les Paravents. Une parodie qui invite à une théâtralité fondée sur le jeu a. lumière. Dans cette scène d’ouverture. qui informent et renseignent (scénographie. de la diction. image de l’absurdité du monde. costumes. la musique en particulier. 81) Théâtre de l’absurde et déconstruction des codes Eugène Ionesco.athenee-theatre. musique…). montré et utilisé. Ces éléments scéniques mettent d’emblée en évidence un choix interprétatif et esthétique : le spectateur repère des signes qui construisent son horizon d’attente et sa perception du spectacle (et qui peuvent tout aussi bien s’accorder ou s’opposer aux indications fournies par le texte). un entretien du metteur en scène Jean-Luc Lagarce avec le critique Jean-Pierre Han à propos de sa mise en scène de La Cantatrice chauve : http://www. emprunté aussi bien à la poésie qu’au théâtre ou au roman.le nouveau spectacle : Onzième. Tous les signes du vraisemblable nous sont donnés mais ils sont vides : le dramaturge pousse l’artifice jusqu’à l’extrême pour en montrer la possible absurdité. La Cantatrice chauve. François Tanguy et le Théâtre du Radeau. parfois submergés par elle (Orphéon. Dunod. p. Une parole musicale Travail complémentaire : du principe de l’exposition à sa mise en question On pourra à l’occasion de l’étude de ce texte choisir un texte d’exposition classique (Molière ou Feydeau) pour le confronter à des écritures qui jouent avec cet élément dramaturgique ou le renouvellent : - le début d’Ubu roi (1896) d’Alfred Jarry - le début de La Bonne Âme de Setchouan (1939-1940) de Bertolt Brecht - le début d’Antigone (1944) de Jean Anouilh - le début de Oh les beaux jours (1963) de Beckett - le début de Pour un oui ou pour un non (1982) de Nathalie Sarraute.html Ce texte peut permettre d’aborder la question de l’exposition scénique pour montrer comment la mise en scène joue avec les éléments de l’exposition fournis par le texte. Texte 5 (manuel de l’élève p. Le site du théâtre de l’Athénée propose. 2001. L’effet d’artificialité est encore augmenté par la manière factice dont elle s’adresse à son mari. Smith c. Une ouverture en forme de parodie de comédie bourgeoise a. 1950 Éléments pour la lecture du texte La lecture et l’analyse de ce texte nécessitent de revenir sur la question dramaturgique de l’exposition. des informations qui ne construisent ni action. À voir : . dans Death. dans un dossier de presse à télécharger en ligne. Introduction aux grandes théories du théâtre. Des personnages de comédie bourgeoise c. souvent à peine audible.153 Dans les spectacles de François Tanguy et du Théâtre du Radeau. La présence de M. L’artificialité dénoncée c.com/athenee/fiche_saison. On pourra montrer comment le principe de l’exposition repose sur le redoublement de la notion d’exposition dramatique par celle d’exposition scénique : lorsqu’on assiste à une représentation et que la pièce commence. stylisation des gestes. ni situation : elles imitent grossièrement le principe de l’exposition mais vidé de son sens. 1961 Éléments pour la lecture de la scène L’analyse de cet extrait mettra avant tout en évidence les effets de collage et de formalisation proposés par Genet : mélange de tragique et de prosaïque. Les Solitaires Intempestifs.le site de la compagnie : http://www. au théâtre de Gennevilliers en novembre 2011. la scène propose au spectateur un ensemble de signes non textuels qui ont eux aussi une fonction d’exposition. le texte apparaît comme un matériau poétique. La jubilation de l’ennui b. L’absence d’intérêt dramatique ou la banalité sur scène 28 • Chapitre 2 . 2005). ni histoire. . « représentation » non réaliste des gestes de violence via le recours au dessin sur les paravents… Le dramaturge propose de cette façon une reconstruction poétique du matériel historique et redonne au théâtre sa fonction sacrée en en faisant le lieu de la magie et du rituel (héritage de la réflexion d’Artaud). Nous renvoyons pour la description et l’analyse de ces spectacles aux pages 894 à 903 de Qu’est-ce que le théâtre ? et à l’ouvrage de Bruno Taeckels. 82) La réinvention de l’illusion théâtrale Jean Genet. html Chapitre 2 . Une fête. on pourra soumettre aux élèves avec intérêt le texte de présentation proposé par Frédéric Fisbach (en 2001) à l’occasion de sa mise en scène des Paravents au Théâtre National de la Colline : « Les Paravents m’a souvent accompagné. j’ai lu et relu la pièce. Une œuvre d’art est politique en ce qu’elle offre aux regards. face à ce jeu de théâtre. » Texte 7 (manuel de l’élève p. très maquillés. très fardés (même les soldats). Le fond et les côtés de la scène seront constitués par de hautes planches inégales. reprise au Théâtre de Malakoff en 2011. Le jeu Sera extrêmement précis. lieu d’expérimentation Marguerite Duras. Sur la scène coexistent plusieurs espaces et plusieurs temporalités. accompagne l’action poétique qui se déploie sur des scènes. on voit comment le théâtre devient le lieu où s’inventent de nouvelles formes. à des langues… Au cours d’un séjour de plusieurs mois au Japon.ina. créée en 2010. le dégoût…) et parvient à donner à voir et à entendre la violence d’une situation politique et sociale clairement identifiable. 2002. mais elle propose de mettre en scène la distance du récit et du souvenir. clos d’une très haute palissade de planches. Violences. (…) Les personnages Si possible. où le texte. dans un théâtre en plein air. comme on dit. 2006 - Jon Fosse. enfin le travail outré et musical du vociférateur qui prend en charge tout le texte.fr. 1977 Éléments pour l’exploitation de cette scène Marguerite Duras tente de mêler les genres pour créer un objet scénique qui dépasse les conventions de l’écriture dramatique traditionnelle. Quarante ans après le choc esthétique et le scandale provoqués par la pièce. La réécriture pour le théâtre de son roman Un barrage contre le Pacifique ne s’apparente pas à une simple mise en dialogues du texte romanesque. Maquillages excessifs. Éditions Théâtrales. le raffinement d’une scène précieuse. apparaîtront et sortiront les paravents et les comédiens. La Maison des morts (version scénique). sans jamais que les mots du politiques soient prononcés. On y voit les répétitions de la pièce lors de sa création au théâtre de l’Odéon en 1966. ensuite. Pas de gestes inutiles. Pour asseoir le public. à différentes hauteurs. où je n’avais pas emporté suffisamment de livres. Une sorte de terre-plein rectangulaire. quelquefois. Mon histoire avec cette pièce est liée à l’étranger. dans la mise en scène de Roger Blin. qui sépare les mots et les images . Sans compter l’imagination des metteurs en scène. Très serré. pourront sortir de droite et de gauche. et le dialogue entre le royaume des morts et le royaume des vivants. Sur une mise en scène : voir celle de Jeanne Champagne. Cette forme traditionnelle semblait répondre à toutes mes attentes de spectateur. Les Paravents est une pièce monstrueuse avec ses quatre-vingt-seize personnages. je découvrais avec fascination le Nô et surtout une forme de théâtre de marionnettes. La jubilation d’abord. une fête. une vision du monde. avec les témoignages notamment de JeanLouis Barrault et de Madeleine Renaud. Voir le dossier pédagogique téléchargeable sur le site du théâtre : http://www. le survol d’un territoire en geurre. Variations sur la mort.élimine tout réalisme. grave. dit ou chanté. Le mieux serait de prévoir une grande variété de nez postiches (…). Se confrontant aux objets dessinés en trompe-l’œil sur chaque paravent. Aucun visage ne devra garder cette beauté conventionnelle des traits dont on joue trop au théâtre comme au cinéma. joue de la représentation qui lui est proposée. d’un rêve ou d’une vision du théâtre. Mentons postiches aussi. Chaque geste devra être visible. Elle porte en elle-même l’impossibilité de sa repréesntation… […] Les Paravents m’apparaît comme une proposition pour un « théâtre total ». et c’est bien cette dimension poétique qui ravive le politique. il devra toujours y avoir sur la scène un ou plusieurs objets réels. le Bunraku. contrastant avec le réalisme des costumes. la mise en jeu de plans successifs. Il crée chez le spectateur des émotions vraies quoique proprement théâtrales (la terreur. comme l’écrit Genet. » Un document vidéo est disponible sur le site de l’INA : http://www. des gradins en ce qu’on veut. L’Éden Cinéma.Le théâtre : texte et représentation • 29 . Les Paravents est un poème pour la scène. Elle cherche ainsi à représenter le travail de la mémoire en mêlant narration et action. destinée aux vivants comme à tous nos morts.html. Tout cela harmonisé habilement avec les couleurs des costumes. Par les espaces aménagés entre les planches de droite et de gauche. L’Arche. des écrans. pour Genet.theatre71. des paravents. ils seront masqués. Actes-Sud Papiers. Sinon. Avec cet extrait. Elles seront disposées de telle façon – mais des dessins vont être joints à ce texte – que des plates-formes.com/l-eden-cinema. 1991 - Philippe Minyana.fr/fictions-et-animations/theatre/video/ CPF07010488/derriere-les-paravents. la simultanéité de certaines scènes. On pourra sur cette question proposer un groupement de texte autour de l’écriture théâtrale contemporaine : - Didier-Georges Gabily. De sorte qu’on possédera un jeu très varié de scènes. de nos jours les comédiens ont dix mille ressources avec les nouvelles matières plastiques… Les Arabes porteront une perruque d’étoupe noire très bouclée. et noires. habitée par la grâce silencieuse des marionnettes et de leurs manipulateurs . 84) Le théâtre. Les Paravents est aussi une comédie. On pourra mettre cette scène en relation avec le texte de Genet qui ouvre sa pièce et qu’il a destiné aux metteurs en scène : « Quelques indications : Voici comment cette pièce doit être montée . de niveaux et de surfaces différents. Leur teint sera basané. J’allais aussi beaucoup au théâtre. Le spectateur va de la scène au conteur. à l’esprit et au talent du spectateur. Les Paravents sont porteurs. à des lieux. prendra appui sur les connaissances du genre théâtral acquises en seconde (comédie et tragédie) pour approfondir la connaissance du langage dramatique. il s’agira de proposer une étude comparée de ces différents supports. On insistera finalement sur le plaisir que son omniscience réserve au spectateur : il est le seul en effet à comprendre en totalité ce qui se joue vraiment). dans les différentes propositions. même si finalement les sentiments ne remettent pas en cause l’ordre social. qui est préservé. Le public. dans la suite de l’acte. Orgon lalui accorde d’autant plus volontiers qu’il vient d’apprendre que Dorante a eu la même idée et qu’il a pris la place de son valet Bourguignon. Contexte esthétique et culturel Le Jeu de l’amour et du hasard est joué pour la première fois au Théâtre Italien le 23 janvier 1730. On mettra en évidence la composition rythmique de cette tirade (jeux sur les reprises et variations. s’ils aspirent à vivre leurs amours dans une certaine liberté tout en restant attachés aux privilèges liés à la noblesse de leur condition ne . les deux jeunes gens s’éprennent l’un de l’autre mais la différence sociale leur semble un obstacle insurmontable. D’une part. jeux d’illusion. composition en «  verset  » qui rompt souvent l’unité syntaxique au profit d’une unité rythmique…). qui se poursuit durant tout le troisième acte pour Dorante. un siècle de contestation aussi où l’on remet en question nombre de certitudes des siècles passés. Le Jeu de l’amour et du hasard (1730) Le passage dans l’économie générale de l’œuvre Silvia demande l’autorisation à son père. Dorante ose avouer ses sentiments. il faut savoir que ne connaissant pas l’identité véritable de l’autre. Le professeur s’attachera à montrer comment la perception de la situation dramatique conditionne la compréhension de l’œuvre. tandis que Silvia s’interdit encore d’aimer. thème déjà traité par Molière dans Don Juan qui met dans la bouche de l’aristocrate père du héros libertin. 92) Le langage dramatique : dialogue et situation Marivaux. Pour saisir les véritables enjeux de l’échange entre Silvia (déguisée en Lisette) et Dorante (déguisé en Bourguignon). On s’interrogera ensuite sur l’intérêt dramatique d’une telle composition. qu’elle doit épouser. dans le livre de l’élève. D’autre part. Orgon. jeux sur les temps verbaux. Dans le texte 1. Dès qu’ils se voient. pièges du langage. construites selon un principe de quiproquos et de reconnaissances successives. il s’agira d’étudier la spécificité du langage dramatique : dialogue et situation. Leur dialogue n’est dès lors qu’un stratagème (plus ou moins conscient) pour dire sans dire et mettre les sentiments de l’autre à l’épreuve. À la scène 9 de l’acte II (dont nous n’étudions ici qu’un extrait). Hésitations. découvre les joies du libertinage. labilité des sentiments. Le texte 3 met en évidence le rôle prééminent de la voix du comédien dans le surgissement du sens à l’intérieur du texte et la musicalité de la parole dramatique. plus thématique. En signalant les obstacles internes au personnage – difficulté de parler. le « mot du chapitre : dramaturgie » (page 124) pour définir cette problématique de lecture  : Molière qui s’exprime à une époque où les œuvres théâtrales n’étaient imprimées qu’après avoir été représentées avec succès y montre bien que le manuscrit d’une pièce est un texte « troué » qui fait directement appel à l’intelligence du lecteur. C’est donc pour elle la fin de l’épreuve. Le texte 2 permet de comprendre comment l’action trouve sa place dans l’articulation de l’espace dramatique et de l’espace scénique. de se déguiser et de prendre la place de sa suivante. Dans les textes 4 et 5 et l’arrêt sur image. Il s’agit de mettre en évidence quelques caractéristiques du texte de théâtre pour montrer de quelle façon l’horizon de la représentation y est inscrit et comment le lecteur doit se faire spectateur pour saisir tous les enjeux du texte dramatique. un siècle de réflexion intense où l’on cherche à préciser la place de l’homme dans le monde. elle reconnaît ses sentiments et son père lui avoue la vérité. Puis il confrontera. afin de pouvoir observer Dorante. 91-101 ments donnés par le texte de Racine se retrouvent. dans chaque cas. À la conquête des Lumières Le siècle de Marivaux est marqué par une double tendance. se plaît dans la complexité des intrigues amoureuses.Le théâtre : texte et représentation LES TEXTES DU PARCOURS Texte 1 (manuel de l’élève p. tels sont les thèmes de la plupart des pièces de Marivaux. la formule «  La naissance n’est rien où la vertu n’est pas. Ici. c’est le siècle des Lumières. de la citation de Molière qui accompagne.  » Dorante et Silvia. brimé par le rigorisme de la fin du règne de Louis XIV.Parcours 2 L’horizon de la représentation Manuel de l’élève pp. se pose le problème de la mésalliance et est abordée la question centrale (cf. le XVIIIe siècle apparaît comme le siècle du plaisir. L’élève pourra d’abord identifier comment certains élé30 • Chapitre 2 . les deux personnages ne peuvent s’avouer leur amour : ni à eux-mêmes ni à l’autre. la façon dont ces mêmes éléments sont « interprétés » en se posant la question : « Qu’y a-t-il de plus par rapport au texte initial ? » PROBLÉMATIQUE Ce parcours. par exemple. Finalement. On pourra partir. On montrera comment la compréhension de l’espace (et sa construction imaginaire par le lecteur) est nécessaire à la lecture de ces scènes de dénouement. Le père se réjouit des quiproquos que ces déguisements pourront engendrer. Lisette. sur la scène par l’intermédiaire de l’acteur. difficulté de se souvenir… – la parole dramatique permet de déplacer la notion de psychologie. le monologue de Figaro) des rapports entre le mérite et la naissance. aspiration à l’égalité des hommes. mais Dorante ignore que Silvia l’aime (« tu ne me hais. Ils défendent donc l’idéal bourgeois du mariage. L’époque des Lumières Au XVIIIe siècle. II. on croit au progrès. lié au fait que tous les personnages sans exception jouent un rôle. Lisette »). Le renouveau de la comédie Le genre de la comédie connaît une nette évolution au cours du XVIIIe siècle. Le spectateur en revanche comprend l’amour de Silvia  : outre le fait qu’il sait lire entre les lignes. on exalte la raison humaine et la capacité de l’homme à améliorer ses conditions d’existence. son valet. dans cette comédie nouvelle. La question de l’amour. voire du jeu dangereux auquel Dorante et Silvia se sont prêtés (« quand tu l’aurais [mon cœur]. mais les amoureux eux-mêmes. On note une gradation : il s’enhardit progressivement dans ses déclarations. le but de la comédie évolue. ne sont plus les pères. Ils évoquent leurs maîtres (« Ta maîtresse »). qui vise à faire changer le monde (revendication de la liberté d'expression. et je ferais si bien que je ne le saurais pas moi-même »). que de sourire avec eux lorsqu’ils ont enfin compris leurs sentiments. a. sa suivante. Pourtant. d’une sincérité et d’une fidélité qu’ils jugent gages d’un mariage heureux. à l’autorité du roi. Elle se laisse nommer ainsi (« Ah. Être écrivain au XVIIIe siècle n'est donc pas facile : si certains sont reçus par les grands monarques européens. La souffrance Mais l’indifférence apparente de Lisette-Silvia et les Chapitre 2 . C’est dans ces travestissements que réside la dimension spectaculaire de la pièce. il bénéficie des apartés. mais il n’en a pas l’attitude. qui en constitue toujours le dénouement. le frère de Silvia). B. L’ouverture au monde Une importante réflexion sur l’autre se met en place  : les nombreux récits de voyages (Tahiti. Dorante et Silvia travestissent leur identité Dorante se fait passer pour Bourguignon. marqués par des ridicules excessifs. ou tout au moins mentent aux autres (c’est le cas d’Orgon et de Mario. Silvia se fait passer pour Lisette. la littérature correspond à la politique : à un siècle de contestation répond une littérature de contestation. de jugement sur l’ordre social établi (roi. Enfin. ni ne m’aimeras  »). Il ne dément pas quand Silvia lui lance : « J’amuserai la passion de Bourguignon ! ». Ce foisonnement de cercles mondains et intellectuels atténue les différences sociales : une aristocratie de la pensée commence à prévaloir. alors qu’en réalité ce sont eux les maîtres. Proposition de lecture analytique I. de réflexion se développe. la construction des phrases. Silvia connaît l’amour de Dorante. plus subtil. L’intérêt aussi pour les régimes politiques étrangers (notamment l’Angleterre avec les Lettres sur le Parlement de Voltaire) conduit à une réflexion critique sur le système monarchique et absolutiste français. le vocabulaire de la passion révèlent également l’éducation des deux jeunes gens. ma chère Lisette ». clergé…). pas de coup de théâtre. Canada) invite à réfléchir sur la place et la valeur de la culture occidentale (Qui est le barbare ? l’homme civilisé ou le « sauvage » ?) La question du bonheur est aussi posée : la société a-t-elle rendu l’homme meilleur ou pire ? C’est la suprématie de la culture occidentale qui est mise en question. L’écrivain s’engage. tu ne le saurais pas. Bref. ni ne m’aimes. L’essor des sciences et de la culture L’essor intellectuel au siècle des Lumières se fait dans les salons. Il s’agit désormais moins de rire des personnages. Il se demande donc si les deux jeunes gens finiront par s’avouer leur amour ou si ce dernier sera victime des préjugés moraux et sociaux. Ils sont toutefois rattrapés par le naturel  : Dorante hésite entre vouvoiement et tutoiement (« Laissez-moi du moins le plaisir de te voir ! ») . qui vise à critiquer – pour le faire changer – l'ordre social établi. que des personnages aux prises avec les difficultés de leur temps : argent et rang social deviennent des thèmes majeurs.Le théâtre : texte et représentation • 31 . Ainsi. Enfin. signe qu’ils tentent d’adopter le niveau de langue de leurs domestiques («  tu te plaignais de moi quand tu es entré »). les obstacles au mariage. Une situation complexe A. Dans ces cercles. aux bonnes mœurs. De plus. de « corriger les vices des hommes » en les « expos[ant] à la risée de tout le monde » (Préface du Tartuffe). La position du spectateur Le spectateur est informé de la vérité : il n’y aura pas d’effet de surprise. deux formes de comique se font concurrence : un comique proche de la commedia dell’arte qui mêle lazzi et bons mots et qui est surtout porté par les deux valets . le couple maître-valet est utilisé pour interroger l’ordre social établi. La question de l’identité. Ils sont au contraire à la recherche d’une transparence du sentiment. Une littérature d'idées. « une passion ». qui ne cessent de s’interroger sur leurs sentiments. les auteurs n’en demeurent pas moins l’objet de persécutions politiques : sont punis de mort les auteurs ou éditeurs qui portent atteinte à la religion. L’aveu d’amour Dorante est sincère quant aux sentiments qu’il éprouve (« J’agis de bonne foi ») : « j’avais envie de te voir ». « Si tu savais. Quand et comment chacun des deux jeunes gens va-t-il révéler à l’autre la vérité ? b. un comique de situation. B. Orgon a le nom des pères de la comédie moliéresque. Une littérature critique La littérature des Lumières est une littérature de combat. ils se tutoient. qui trahissent le trouble de la jeune femme (« J’ai à tout moment besoin d’oublier que je l’écoute »). On met moins en scène des types comiques. les cercles. Dorante : aimer et souffrir A. Dans Le Jeu de l’amour et du hasard. « le plaisir de te voir ». les clubs.sont pas les héritiers de la transgression donjuanesque et n’annoncent en rien les libertins que seront la marquise de Merteuil ou le vicomte de Valmont. exaltation du mérite plus que de la naissance…). il y a un double suspens. la comédie s’ancre dans son temps . les masques vont tomber. à la fois victime et manipulateur. arrivé en position d’accusateur et de juge impatient de dévoiler l’infidélité supposée de sa femme va voir confondu son propre projet d’adultère. avide d’exercer son antique droit de cuissage sur la soubrette de sa femme. à propos de tes adieux ») . mais elle ne peut avouer son amour à un valet. Tout l’intérêt de la scène repose sur le renversement de la situation du comte qui.expression d’un malaise  : « Tu me railles. A. et deux espaces invisibles pour les personnages et les spectateurs : le premier pavillon dans lequel pénètrent à tour de rôle le comte. Elle congédie Dorante (« Adieu ») mais aussitôt elle le rappelle (« Mais. « hélas ! ». La dynamique de la scène repose sur la stratégie d’étourdissement du comte qui. je ne sais ce que je dis » (juxtaposition de propositions brèves qui montre que Dorante est perdu) . L’organisation de l’espace des didascalies à la scène représentée Les didascalies signalent la présence dans le jardin de deux pavillons (scène 14. Silvia : aimer et mentir Silvia aime Dorante/Bourguignon. interruptions à plusieurs reprises. je te le demande à genoux »). Le Mariage de Figaro (1784) Le passage dans l’économie générale de l’œuvre Cet ensemble de scènes. . On ne peut comprendre cet effet qu’en assimilant la notion de double énonciation.Le théâtre : texte et représentation Texte 2 (manuel de l’élève p. 93) Le texte et l’action : espace dramatique / espace scénique Beaumarchais. à des révélations d’identité. Le traitement particulier de l’espace La problématique de l’espace dans cette scène apparaîtra mieux par l’analyse d’une mise en scène captée en vidéo ou à partir de photographies que par une explication de textes traditionnelle.elle se moque de lui : « Le beau motif qu’il me fournit là ! » (troisième personne méprisante. Elle hésite même à reconnaître elle-même ce qu’elle ressent («  J’ai besoin à tout moment d’oublier que je l’écoute »). tâche de me croire »)… b. « Que le ciel m’en préserve ! » (exclamative qui traduit l’indignation). B. tu as raison. seul remède possible à sa souffrance. je te l’ai assez dit. pour résister aux intentions de son maître trouvent ici un aboutissement en forme de mouvement endiablé. à de vrais mensonges. puis scène 19 pour le second). je t’en assure  »). . Puis. où l’on a assisté à de faux aveux. tu prends le bon parti »). L’espace est donc divisé en trois : un espace visible mais obscur. il n’est pas si curieux que le mien. s’attendant à humilier . à de multiples déguisements. La froideur Elle cherche d’abord à repousser Dorante : . « Désespère ». Fanchette et Marceline « qu’on ne voit pas encore » et Marceline. elles sont sociales et morales.réticences morales et sociales rendent cet amour impossible et suscitent le malheur de Dorante : . Les ruses qu’a déployées Figaro. particulièrement expressives. elle affirme « sans difficulté » qu’elle n’aime pas Dorante mais elle refuse de le répéter (« Oh. . On pourra par exemple rechercher des documents sur la mise en scène de Jean-François Sivadier (2001) ou sur celle. 32 • Chapitre 2 . s’est transformé en «  grand seigneur méchant homme  ». En effet. Un aveu timide. exclamative qui traduit la raillerie) . Les réticences sont ailleurs. « donne-moi du secours contre moi-même. dans le cadre d’une juste mise en scène. le second pavillon d’où surgit en toute fin la comtesse. ses propos trahissent ses sentiments. Antonio et Bartholo et duquel ils font sortir Chérubin. ou que la tête me tourne ». il m’est nécessaire. Un aveu déguisé Pourtant. son fidèle et ingénieux Figaro. d’Antoine Vitez (1989). III. l’amoureux transi de la jeune Rosine. elle répond : « Rien ». au détriment du fiancé. quand Dorante lui demande  : «  Qu’ai-je donc de si affreux ? ».elle le congédie (« Adieu. C’est par l’utilisation de l’espace qu’au terme d’un incroyable jeu de dupes. « il faut que je parte.une proposition inversée  : l’extrait s’achève alors que Dorante se propose de se mettre à genoux devant Silvia (dans la position d’une demande en mariage) pour la supplier de le persuader qu’elle ne l’aime pas («  accable mon cœur de cette certitude-là ». Elle reconnaît ainsi être séduite par l’homme. . celui du jardin éclairé par les flambeaux. a. « accable ». ajoutera-t-on. ce dénouement accélère avant de le résoudre tous les éléments du conflit qui tourne autour du toutpuissant comte Almaviva  : dans Le Mariage de Figaro. Le regard du spectateur comme celui des personnages qui participent à la scène est donc constamment sollicité par de nouvelles sorties qui constituent autant de surprises. la mélancolique comtesse déçue par cet époux inconstant. « l’état où je me trouve » (malaise moral ou sentimental qui a une emprise physique sur le personnage).elle refuse d’entendre le discours amoureux : « Venons à ce que tu voulais me dire  »  . plus ancienne.expression d’une détresse  : «  que je souffre  !  » (hyperbole qui souligne le malheur). le caractère pathétique de certains moments – comme la déclaration de Dorante agenouillé – doivent donc être revus et corrigés par la perception du spectateur omniscient : le désarroi exprimé par les deux personnages n’émeut pas le spectateur mais le fait sourire. peut être présenté aux élèves comme l’exemple même d’un texte qui n’atteint la plénitude de son sens que dans l’espace de la représentation et. enrichi par de multiples intrigues secondaires. particulièrement fameux à cause de l’extraordinaire énergie qu’il déploie pour dénouer l’intrigue de la «  Folle journée  ». La souffrance authentique que le texte semble prêter aux personnages. Un discours plein de contradictions. Elle commence par reconnaître son malaise (« Oh. De même. un souvenir d’enfance qui n’est pas explicitement lié aux autres scènes. Ce n’est pas l’intime de l’auteur qui est au cœur de la pièce mais « l’intime de chacun de nous ». un temps pour le personnage à l’origine de l’action. qui a longtemps travaillé avec Lagarce. Dire ou ne pas dire Chapitre 2 . même s’il a. Antoine répond aux reproches de Louis qui se juge mal aimé. Contexte esthétique et culturel Entre intimité et universalité Le théâtre de Lagarce est fortement autobiographique. Almaviva tente de montrer que rien n’échappe à sa toute-puissance. que la sortie de la comtesse. Mais. II. D’autre part. Ainsi. Suzanne sort d’ellemême et ensuite est saisie par le comte . Juste la fin du monde (1999). grâce à une reconnaissance de vaudeville. évoque «  cette part extraordinaire qu’il laisse à chacun de se projeter dans des méandres où l’on se retrouve avec soi ». de même que les souvenirs reviennent parfois par vagues. à son frère et à sa sœur – est placé sous le signe du fantastique : les vivants sont en effet convoqués par un mort. le thème de l’absence et du retour est récurrent dans l’œuvre de Jean-Luc Lagarce. Une autre mécanique de mouvement peut être mise en évidence à la scène 18 lorsque les personnages se jettent les uns après les autres aux pieds du comte. Dans les scènes 14 et 16. Louis. dans la scène 19. François Berreur. il ne regarde pas immédiatement qui il tire à sa suite : le comte sort « sans regarder ». tirés par le bras . l’écriture de la pièce exhibe sa théâtralité par une langue recherchée. elle reste cachée derrière son éventail. Dans Juste la fin du monde. la pièce ne se réduit pas à une œuvre autobiographique. La structure surprend également. l’auteur est malade du sida et sait qu’il va mourir. Cette mécanique des entrées et des sorties que certaines mises en scène comme celle de Sivadier accélère jusqu’à un effet de tourbillon dans lequel le comte se trouve pris laisse la place à des effets variés jusqu’à l’effet de surprise final produit par l’arrivée plus lente et majestueuse de la comtesse. Il serait donc extrêmement réducteur de faire de Juste la fin du monde une pièce sur la séropositivité. retardé la mécanique des pièges qui se referment sur lui en abusant de sa force et de son autorité avec des succès divers. le personnage principal. Son humiliation devant ses proches et ses serviteurs n’en est que plus forte : alors qu’il se déchaîne -« hors de lui ». De l’espace aux personnages et à la signification du dénouement Cette mécanique des entrées et des sorties en mobilisant l’attention du comte effaré traduit le renversement progressif des rapports de force. 96) Le texte et la voix : la musicalité de la parole Jean-Luc Lagarce. dans la scène 18. dans la scène 17. Elles s’organisent autour d’un intermède central. l’essentiel du propos – le retour de Louis dans sa famille pour annoncer sa mort prochaine à sa mère. la brutalité du renversement de situation recouvre implicitement une forte charge polémique. Or. C’est le cynisme et l’orgueil de caste que l’allégresse dévastatrice de ce dénouement condamne. sortie du deuxième pavillon dont l’utilité symbolique se révèle alors. autoréflexive.en opposant des « non ! » répétés aux demandes de pardon des autres personnages qui se jettent à ses pieds. Lorsqu’à la scène 18. Suzanne sort sur les instances du comte. alors que Jean-Luc Lagarce n’est pas malade et que le virus du sida n’a pas encore été identifié. Louis est mort quand il se souvient de ce retour dans sa famille. à l’époque où il écrit la pièce. Toutefois. Texte 3 (manuel de l’élève p. D’une part. lui impose le silence et le ridiculise.une épouse coupable à l’endroit même où il envisageait de la tromper avec une autre subit une série de révélations en forme de déconvenues : celles que lui infligent toute une série d’apparitions issues de deux espaces différents. en désordre. Chérubin et Fanchette sortent de force. quand le comte fait sortir lui-même ou demande que l’on fasse sortir successivement trois personnages qu’il ne s’attendait pas à voir. Le titre surprend le lecteur  : il commence comme un détail insignifiant et se termine en cataclysme. revient dans sa famille pour annoncer sa mort prochaine (« annoncer / dire / seulement dire / ma mort prochaine et irrémédiable »). la comtesse sort d’elle-même du deuxième pavillon. Comme il l’a fait tout au long de la pièce. Elles disent…. il n’a pu. 3 Le passage dans l’économie générale de l’œuvre Juste la fin du monde est une pièce aussi étrange que puissante. Dans la scène 3 de la partie II. qui ne renvoie pas de manière unilatérale à la réalité.Le théâtre : texte et représentation • 33 . obliger Figaro à renoncer à sa fiancée Suzanne pour épouser Marceline. la pièce vise l’universel. Par ailleurs. Vagues souvenirs de l’année de la peste a été écrit dans les années 80. Si le comique l’emporte en illustrant le proverbe «  tel est pris qui croyait prendre  ». les scènes ne sont pas toujours bien articulées. De ce fait. En outre l’espace se trouve encore démultiplié puisqu’à l’intérieur de l’espace visible se créent des espaces éphémères dont la visibilité n’est pas immédiate pour tout le monde. La reconnaissance se fait donc en deux temps (un temps pour les personnages et le spectateur. On pourra également comparer utilement cette scène au sublime finale conçu par Mozart dans sa transposition pour l’opéra de la pièce de Beaumarchais : on y retrouve le rythme effréné de la pièce tandis que le propos des personnages et celui de l’auteur sont commentés ironiquement par l’orchestre et que l’apparition de la Comtesse transforme l’octuor vocal qui clôt l’ouvrage en un hymne au pardon. sa surprise est décuplée par un jeu de scène répétitif : lorsque lui-même ou un autre personnage en fait sortir un autre du pavillon. Bartholo « se retourne et s’écrie ». est une adaptation de L’Odyssée. En effet. à plusieurs reprises. Marceline sort sur les instances de Bartholo  . Antonio « se retourne et s’écrie ». Les scènes s’organisent selon des entrées et des sorties successives  : un personnage entre et revient accompagné d’un nouvel arrivant dont on découvre l’identité. entrée au répertoire de la Comédie Française en 2008 et inscrite au programme de l’agrégation de lettres en 2011-2012. Sa première mise en scène. ce qui multiplie les effets de surprise. « le sida n’est pas un sujet » : en revanche. à force d’être contenue. Cette musicalité de la langue arrache la parole d’Antoine à la banalité du quotidien. « ce que je veux dire » (mais le dit-il vraiment ?). à une quête d’identité douloureuse. Il accuse en réalité son frère de lui faire des reproches infondés. le rapport à l’âge adulte. ou plutôt sur les non-dits. La difficulté de se souvenir a.répétitions avec variation  : «  qu’on ne t’aime pas. les tirades sont de véritables explosions. « Tu me persuadais ») et à un demi-aveu au dernier vers (« coupable de ne pas y croire en silence »). sont des sujets dignes d’être traités. pour échapper au biographique et atteindre l’universel. / coupable aussi de n’être pas assez malheureux. b. par divers effets de répétition. L’enjeu de cette confronta- . l’un et l’autre dans la solitude. que le personnage reprend constamment sa pensée pour mieux la dire. aux reproches muets de Louis qui estime ne pas avoir été assez aimé. de ne pas donner ou prendre de nouvelles. De ce fait.répétitions : « mais coupable encore. jamais.Juste la fin du monde est une pièce sur le non-dit. Le malheur d’Antoine. La phrase se déroule par expansions successives : . celui de la difficulté de parler juste. Cette affirmation suggère que Louis n’a jamais été capable d’exprimer sa différence et son malaise. « (comme une chose qui me dépassait) ». « Tu es enfant ». Le malheur de Louis. Le premier élément qui rend la relation difficile entre les deux frères. c’est qu’elle est ancienne : « à aucun moment de ma vie ». A. l’émancipation. / tu ne manquais de rien et tu ne subissais rien de ce que l’on appelle le malheur ») comme si la parole. / coupable de n’y pas croire en silence ». sans que je puisse l’expliquer. De plus. dans une sorte de litanie qui se nourrit d’elle-même. Elle ne cesse d’exhiber ses hésitations : « je ne sais pas pourquoi. Le refus de dire est une manière de dramatiser la situation : ce qui est passé sous silence apparaît trop important pour qu’on en parle. La récurrence des mots-clés dans la première phrase – dire.Finalement. La parole d’Antoine est tortueuse. mais il ne parvient pas non plus à évoquer sa différence. / sans que je comprenne vraiment. Antoine parle beaucoup.Ce non-dit répond à un autre non-dit : en effet. La tirade en forme de mélopée dissimule des nondits. . répété deux fois) et de la culpabilité d’en être rendu responsable («  coupable  ». C’est ce que permet de supposer l’alternance d’unités courtes et longues. la difficulté d’une relation fraternelle : celle-ci est fondée sur un amour qui ne peut se dire entre deux êtres confrontés. b. A. (« ce que je veux dire. Phèdre / Antoine Vitez L’intérêt de la confrontation Pour un amateur de théâtre qui connaît le texte presque par cœur. Le rythme de la parole Cette parole définitive semble surgir d’un très lointain passé. II. La difficulté de la relation familiale La tirade d’Antoine manifeste sur le mode poétique. « mal » : chacun des termes est mis en valeur par sa position dans des phrases proches du verset. / je pensais ». a. l’auteur recourt à une langue très poétique.interruptions : « – c’est ta manière de conclure si tu es attaqué – ». Antoine n’est plus sûr de ce qu’ils ont vécu  : «  je n’en ai pas la preuve ». difficilement. Antoine ne comprend pas pourquoi Louis s’estime mal aimé (« tu ne manquais de rien et tu ne subissais rien de ce que l’on appelle le malheur »). aimer – puis l’apparition de la formule « je pensais ». suppression d’éléments de sens (« Comment veux-tu ? Tu sais très bien »). Malheur et culpabilité 34 • Chapitre 2 . Il se nourrit du malheur de son frère (« malheureux ». La musicalité du texte Pour échapper à un réalisme trop évident. suggèrent. Dans cette esthétique dominée par le silence. « malheur ». Textes 4 et 5 (manuel de l’élève pp. entendre. / que personne. « aussi loin que je puisse remonter en arrière ». « tu ne pourrais le nier si tu voulais te souvenir avec moi ». 97-99) Interprétation du texte et interprétation du personnage . Louis n’annonce pas sa mort prochaine comme il en avait l’ambition.Le théâtre : texte et représentation Le point commun entre les deux frères est donc le malheur ou le sentiment du malheur. / de ne l’être qu’en me forçant. Le non-dit donne lieu dans la pièce a une véritable poétique : Juste la fin du monde réunit différentes formes d’ellipses : aphérèses. Plan de lecture analytique I. mais il ne dit pas vraiment ce qu’il a à dire. ne t’aima » . la mémoire fait parfois défaut.) b. B. « je pense. La scansion de ces formules qui se répètent et se relancent fait progresser le texte. B. / qu’on ne t’aimait pas. l’entrée de Phèdre à l’acte III de la tragédie de Racine et les propos qu’elle tient constituent à la fois une émotion familière et une interrogation à laquelle les nombreuses interprétations célèbres dont on se souvient ne donnent pas une réponse définitive. répété trois fois). C. . . répondent les reproches non formulés d’Antoine et de Suzanne qui lui en veulent de les avoir laissé tomber. son homosexualité. L’accusation se limite à l’emploi de la deuxième personne (« Tu dis qu’on ne t’aime pas ». cet art de l’ellipse suggère que. explosait par instants.Racine. Réciproquement. Champ lexical de la souffrance (« souffres ». comme l’affirme Lagarce. . phrases nominales. je pense ». La difficulté de s’exprimer a. Ainsi le caractère anaphorique du texte crée non seulement un langage poétique (déréalisé en quelque sorte) mais en même temps un enjeu dramatique fort. Les différentes expansions Le texte est composé de cinq phrases à l’intérieur desquelles la parole est segmentée. Les Solitaires intempestifs. 1993. 2007. Vitez est sans doute celui qui se détache le plus de tous les éléments de contexte qui surdéterminent le genre. dont les répliques en forme de distiques ou de quatrains s’adressent beaucoup plus à un ailleurs – son ancêtre le Soleil. un peu plus âgée sans être une femme mûre donne à voir toute la déréliction d’un personnage dont le corps se défait et qui avance sans héroïsme particulier ni faiblesse excessive vers sa mort annoncée. 1999. Paris. d’une dureté qui montre sous un jour ambigu et préfigure son rôle d’accélérateur dans la « catastrophe » tragique.Le théâtre : texte et représentation • 35 . et dont le corps semble écrasé physiquement par la tenue vestimentaire qui connote sa condition de reine. mise en scène Jean Liermier. de dépossession de soi (lignes 30-39). • Éric Négrel. ce qui ne pouvait qu’accentuer la transgression propre à cette passion et rendre exemplaire son impossibilité. Marivaux à l’épreuve de la scène. parfois hiératiques dans leur obsession amoureuse. • Juste la fin du monde et Nous les héros.tion est de montrer aux élèves comment le metteur en scène se saisit de possibilités offertes par le texte et de ce qu’il ne dit pas pour proposer sa propre interprétation. « elle parle d’une voix suraiguë » (ligne 5). SCEREN-CRDP. n° 969-970. Marguerite Jamois dans la mise en scène de Gaston Baty. Parallèlement. 1975) Il conviendra d’abord de faire repérer dans le texte racinien les éléments sur lesquels Vitez prend appui pour construire sa propre interprétation. Ouvrages critiques • Michel Deguy. édition de M. dans une robe d’intérieur et un état d’égarement extrêmes et les comparer à celles de deux mises en scène plus récentes (page 101 du livre de l’élève) qui adoptent une solution moyenne  : la Phèdre de Luc Bondy. Dominique Blanc. Du texte de Racine à la « réécriture » d’Antoine Vitez (Studio d’Ivry. ce que le texte de Racine ne suggère pas : Œnone y apparaît dans sa fonction de nourrice aimant passionnément sa maîtresse. Une préciosité nouvelle : Marivaux et le marivaudage. Gallimard. Dans la mise en scène de Patrice Chéreau (2003). il laisse une large place à l’interprétation du metteur en scène. Marie Bell puis Maria Casarès avaient incarné des héroïnes plus âgées que le jeune Hippolyte. 1981. les règles et les finalités de la tragédie classique. Gallimard.lagarce. très «  royales  ». 2007. La Machine matrimoniale ou Marivaux. et s’organise typographiquement comme un monologue. 2004 • www. 1993. « Connaissance d’une œuvre ». • Frédéric Deloffre. Bréal.net Chapitre 2 . Slatkine. dont les genoux se dérobent. Films et sites internet • Le Jeu de l’amour et du hasard. dans une perspective morale proche de l’esprit du théâtre classique. alors très jeune. sur le mode incantatoire et onirique. Abdellatif Kechiche. qui semble faire de cet état physique la cause des visions et du trouble de Phèdre : « Elle est au comble de la faiblesse » (ligne 4). Des trois metteurs en scène. 2007 (un ouvrage collectif consacré à deux pièces de Jean-Luc Lagarce. 2009 • La Fausse suivante. qui attribuait le rôle de Phèdre à une femme déjà mûre – après Sarah Bernhardt. Le Jeu de l’amour et du hasard. Benoît Jacquot. « elle marche en tous sens » (ligne 8). la nature où elle imagine Hippolyte à la chasse – qu’à la nourrice inquiète qui la presse de questions. l’égarement de Phèdre. incarnée par Valérie Dréville en 1998 est encore une jeune femme . janvier-février 2010 (un numéro entièrement consacré à Jean-Luc Lagarce). 2000 • L’Esquive. Si le texte suggère fortement. 1999. BIBLIOGRAPHIE Éditions des textes • Lagarce. Vitez donne plus de crédit à une passion qui cesse d’être «  contre nature  » et surtout il laisse plus de place à la possibilité d’une réciprocité. Théâtre complet. que le metteur en scène présente comme une sorte de transe. Vitez émet l’hypothèse qu’Œnone sait déjà ce que Phèdre va lui dire et fait preuve à l’égard de sa maîtresse d’une forme de méchanceté (ligne 10). Publications de la Sorbonne. le relâchement du corps sous l’effet de la passion que retient principalement Vitez. son égare- ment est très visible mais il ne dépasse pas certaines limites. • Patrice Pavis. Le Roman de Jean-Luc Lagarce. Pour interpréter le texte racinien. C’est surtout cet égarement physique. Gillot. volume 1. 1986. Cet état conditionne son invocation à la nature et au soleil. • Europe. • Marivaux. Juste la fin du monde. le poète sait pour eux et anticipe et distribue dans le texte de la récitation les mots annonciateurs ». Bibliothèque de la Pléiade. • Jean-Pierre Thibaudat. Mais Vitez – et on pourra commenter sa formule – estime que dans la poésie tragique « même si les personnages ne savent rien. Racine montre une Phèdre à bout de forces. Son interprétation est parfaitement cohérente : elle est contraire à une tradition encore très vivace en 1975. l’Antiquité. En choisissant de faire de sa Phèdre une très jeune femme. Les Solitaires intempestifs. Cette émancipation en forme de réappropriation passe par la production d’un texte tout à fait original : il ne s’agit pas à proprement parler de notes de mise en scène qui sont toujours plus techniques et qui décrivent avec plus de précision les mouvements et les choix interprétatifs mais d’une sorte de réécriture poétique qui adopte un style imagé. Les Solitaires intempestifs. On pourra travailler sur les photos de plateau (agence Enguerand) de cette mise ne scène de 1975 où l’on voit Nada Strancar. sa tenue reste aristocratique et son rapport avec Hippolyte reste marqué par sa situation de pouvoir. • Lire un classique du XXe siècle  : Jean-Luc Lagarce. Vitez se le réapproprie en recourant à sa propre écriture. destiné aux élèves passant l’option théâtre au bac). puisque tout se passe comme si rien n’était arrivé. bien différente de la comédie moliéresque du siècle précédent. Cela permet de mettre en évidence les caractéristiques d’une nouvelle comédie. on s’interrogera sur la cruauté de Pozzo  : faut-il y croire ? faut-il en rire ? Texte 3 : Comment finit un acte sans action. Le film permet de s’interroger sur les rapports entre fiction et réalité  : 1/ les élèves se reconnaissent souvent dans les personnages fictifs du film  . ironiquement. elle. 2000 Parcours 3 Rejouer et déjouer le théâtre : Pour prolonger le travail sur Marivaux. Abdellatif Kechiche. Pour finir. les gags. qui met entre autres en scène Sara Forestier. S’interroger sur le rire provoqué par un tel moment clownesque : est-il gratuit (purement théâtral) ou exprimet-il autre chose ? Texte 6 : Estragon et Vladimir : des clowns métaphysiques ? Il conviendra de mettre en évidence le doute systématique porté par les protagonistes sur ce qu’ils viennent de vivre. En attendant Godot (1952) : avec les élèves sur le film de Benoît Jacquot avec Isabelle Manuel de l’élève pp. Les protagonistes créent des situations et il est impossible de savoir s’ils vivent vraiment ce qui leur arrive ou s’ils jouent. On mettra en évidence les effets de « métathéâtralité » pour voir comment Pozzo « gonfle » l’intérêt de son discours. On peut s’interroger sur la valeur de ce doute : s’agit-il simplement de déstabiliser le spectateur (rien de ce qui arrive n’a d’importance) ou de questionner la nature même de l’existence (lecture existentialiste) ? Texte 7 : L’absence de dénouement ou le retour du même.Le théâtre : texte et représentation PROBLÉMATIQUE Cette étude intégrale de En attendant Godot devra mettre en évidence la singularité de la « théâtralité » beckettienne et montrer de quelle façon elle joue avec les codes d’écriture préexistants pour proposer « un nouveau théâtre ». Texte 5 Jouer à jouer. plus ou moins consciemment. est profondément blessée). 105-119 Huppert. en les mettant relation avec la notion de jeu clownesque. Cet extrait est un parfait exemple du jeu qu’opère Beckett avec l’illusion de la représentation. Le début est particulièrement intéressant. Ce texte devra être étudié en résonance avec le texte . Cette fin du premier acte remet en question tous les événements de l’acte. On y voit les comédiens se maquiller. On pourra insister sur l’effet initial (la tombée soudaine de la nuit) qui met en évidence la théâtralité affichée du texte (l’artifice de la scène est mis en avant). Benoît Jacquot. Texte 4 : Combler le vide  : le dialogue en forme de « petit galop ». 2004 Ce film. on relèvera les effets comiques. on peut travailler Beckett. Texte 1 : « Rien à faire » : ouverture ou provocation. est une fiction. c’est la solitude des deux protagonistes et le lien indéfectible qui semble les lier. Finalement. Sandrine Kiberlain et Pierre Arditi. Texte 2 : Pozzo : la parole donnée en spectacle. la comtesse. Des collégiens d’une banlieue défavorisée jouent sous le regard de leur professeur une pièce de Marivaux. aux personnages de Marivaux dans la difficulté d’éprouver et d’exprimer des sentiments amoureux… 36 • Chapitre 2 . Le travail portera ici sur la forme prise ici par le dialogue  : on verra comment il est justifié par une situation (parler pour occuper le vide) mais exprime quelque chose de plus large (une conscience globale de l’humanité et du caractère profondément dérisoire de la condition humaine). ce qui s’entend ici. se préparer… cela prête à confusion : cette préparation est-elle celle des comédiens véritables (mais alors pourquoi se préparer sous le regard de la caméra ?) ou alors celles des personnages qui vont jouer un rôle (cela va du travestissement au simple mensonge) ? On peut également travailler sur le dénouement  : il s’agit d’un dénouement ambigu (les secrets sont révélés mais les mariages sont empêchés et si Lelio est déçu. On étudiera cet extrait en fonction de la notion dramaturgique d’exposition. 2/ les personnages s’identifient. Beckett s’amuse de cet artifice). L’Esquive.PROLONGEMENT ICONOGRAPHIQUE La Fausse suivante. se met en scène lui-même pour se donner de l’importance (il fait l’acteur et. Il conviendra de s’interroger sur la valeur des silences et de l’immobilité finale. Par ailleurs. pour voir comment le texte joue avec elle. ce faisant. Contexte d’émergence d’un « nouveau théâtre » Abandon du réalisme Le théâtre ne vise plus une reproduction exacte et vraisemblable du réel. Pour Artaud. D’autres metteurs en scène après lui. Propos sur l’art En effet le film et la photographie se répandent. ce qui ruine le rêve de réalisme d’autres arts tels que la peinture et le théâtre. aujourd’hui encore très difficiles à monter. André Antoine est le premier à pouvoir se prévaloir du titre de metteur en scène. qu’il puisse exercer son sens critique. Or. c’est-à-dire jusqu’à André Antoine. tous les arts repensent le concept de mimesis : « Nous savons tout que l’art n’est pas la vérité. un acteur. l’auteur doit occuper une place prépondérante. on a un refus de la mimèsis). L’avènement du metteur en scène Jusque à la fin du XIXe siècle. qui vont exercer sur elle une influence durable (le Théâtre du Soleil et Ariane Mnouchkine portent toujours la marque de cette influence décisive). élabore un théâtre de caractère didactique. lumières…) comme un ensemble d’instruments participant à la création d’une œuvre cohérente. costumes. Il publie en 1938 un texte théorique majeur pour le théâtre du XXe siècle. un jeu stylisé. un régisseur. tels que ceux qu’a imposé le théâtre romantique au prix de batailles célèbres. l’abandon du théâtre psychologique. de personnages cohérents et d’une langue correcte. Il s’agit de proposer des interprétations différentes du rôle de Lucky  : qu’a voulu dire Becket avec ce personnage – et a-t-il voulu dire quelque chose en particulier ? Contexte historique et esthétique En attendant Godot s’inscrit dans ce qu’on appelle le « nouveau théâtre ». il ne doit pas s’identifier aux personnages ni croire réelle la scène représentée. On peut lire l’abondance des didascalies dans ses pièces comme le signe de cette rivalité entre auteurs dramatiques et metteurs en scène. Il réclame  : le primat de la mise en scène. La rupture des années cinquante Le théâtre philosophique Ce théâtre. de rejeter tout ce qui n’est pas nécessaire à la compréhension de l’intrigue et de concentrer l’action représentée dans un espace restreint et un temps limité proche de celui de la représentation . ils semblent susceptibles de produire des copies fidèles de la réalité. on parlait de mise en scène pour «  l’exécution extérieure de l’œuvre dramatique ». ce qui rompt avec toute illusion réaliste .la vraisemblance : qui impose au dramaturge de donner à ses personnages unité et cohérence. le théâtre doit être un « Théâtre de la cruauté  ». deviennent de plus en plus accessibles. n’ont jamais atteint un certain nombre d’impératifs  : nécessité d’une composition logique. Pour des auteurs engagés comme Sartre et Camus. va prendre son essor aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale. parce qu’il est le premier à avoir pensé toutes les pratiques de la scène (décors. Le Théâtre et son double. Beckett s’insurge contre cette inversion de la hiérarchie traditionnelle : pour lui. le théâtre balinais qui fascine Antonin Artaud. Les théoriciens d’un « nouveau théâtre » Antonin Artaud Cet artiste maudit. On assiste à une véritable révoChapitre 2 . il intervenait directement auprès des metteurs en scène pour contrôler la représentation de ses œuvres. renforcé par un maquillage et des costumes symboliques (là encore. Le théâtre doit amener le spectateur à s’interroger sur son existence et avoir une attitude critique vis-à-vis de l’ordre social qui le détermine. au lieu même où régnait auparavant le texte de théâtre. On pourra s’interroger sur cette apparente immobilité de l’action. rappelle sans cesse le caractère fictif des événements représentés. à dimension politique. qui commente le drame. le théâtre se révèle le genre idéal pour réfléchir à l’attitude de l’homme confronté à l’épreuve du choix de la servitude ou de la liberté. Le « nouveau théâtre » : théâtre de l’absurde et théâtre de l’angoisse Le «  Nouveau Théâtre  » pousse jusqu’à son terme la logique de l’absurde et fait table rase de la dramaturgie antérieure. Bertold Brecht Brecht (auteur allemand). présentent un certain nombre de points communs : la présence d’un récitant. et. » Picasso. Au XXe siècle. Les théâtres orientaux. les différents bouleversements esthétiques survenus au fil des siècles. du moins la vérité qu’il nous est donné de pouvoir comprendre. Finalement. aussi différents que l’Opéra de Pékin. vraiment magique – pour leur forme. l’auteur… Fondateur du Théâtre Libre.la bienséance : qui proscrit tout ce qui pourrait heurter la sensibilité du spectateur. comme Georges Pitoëff (1884-1939). qui apparaît dans les années 1950. hérités du théâtre classique : . leurs émanations sensibles et non plus seulement pour leur sens». N’importe qui pouvait s’en charger. Gaston Baty (1885-1952) ou encore Louis Jouvet (1887-1951) contribuent à placer la mise en scène au cœur du spectacle théâtral. De plus. en faisant éclater le langage traditionnel et en créant un nouveau langage. victime de schizophrénie. l’utilisation des mots « dans un sens incantatoire. il définit la distanciation théâtrale (à l’opposé de l’illusion classique) : afin que le spectateur soit dynamique.3 (fin de l’acte I) pour mettre en évidence les effets de répétition. né du sentiment de l’absurdité du monde. Une découverte majeure : le théâtre oriental La scène occidentale découvre le théâtre oriental ou plutôt les théâtres orientaux. on continue à respecter deux grands principes. a participé au surréalisme. . le Nô ou le Kabuki japonais. Arrêt sur image : Lucky. L’art est un mensonge qui nous fait comprendre la vérité.Le théâtre : texte et représentation • 37 . Avant 1950 : un théâtre traditionnel Jusque dans les années 1950. Dans Le Petit Organon pour le théâtre (1949). la représentation. Le nom. Il faut attendre Beckett et En attendant Godot en 1953 pour que le succès de cette pièce rejaillisse sur les autres auteurs. La précarité des personnages est soulignée par différents procédés. Maintenant il est trop tard »). Crise du langage Les dramaturges des années 1950 s’en prennent au beau langage  : ils se moquent de la littérarité héritée du classicisme qui prévaut encore dans la plupart des pièces de l’époque. / Soir. Le silence constitue une menace permanente sur une parole rendue insignifiante par l’usage. sans relation de cause à effet. Le spectateur ne connaît le nom que d’un des deux personnages. essaie d’enlever sa chaussure ». La pièce fait scandale et c’est ce qui fait une part de son succès. Beckett n’a jusqu’alors écrit qu’une seule pièce. 106) « Rien à faire » : ouverture ou provocation ? Place dans l’économie de l’œuvre et caractérisation Il s’agit de l’ouverture de la pièce. la durée. La scène met fin à une séparation (« Alors. Théâtre de l’immanence Les dramaturges de l’absurde opposent à un théâtre de la transcendance un théâtre de l’immanence. alors pas d’architecture. Anti-héros À l’apparente incohérence de structure correspond la dissolution du sujet. dont on ignore la cause. Le lien. » Ionesco. b. comme Ionesco (La Cantatrice chauve. toi »). 1949) ou Adamov (La Grande et la Petite Manœuvre. d. Caractéristiques : « Pas d’intrigue. Informations vagues données dans les didascalies («  Route à la campagne. Proposition de lecture analytique I. b. Le statut social. Vladimir. Elle est publiée en 1952 aux Éditions de Minuit. auteur entre autres de romans. assis sur une pierre. te revoilà. Seules de petites salles de la rive gauche. De la genèse à la réception La pièce est rédigée entre octobre 1948 et janvier 1949. Les deux personnages ont un passé commun (« On portait beau alors.lution dramaturgique : il ne s’agit plus de plaire au public mais de susciter en lui un sentiment d’angoisse. B. social ou politique. Ils conçoivent un théâtre de l’attente. Ainsi le dénouement des pièces de Beckett et des premières œuvres d’Adamov n’est-il que le terme (provisoire) d’une lente dégradation physique et morale des personnages.Le théâtre : texte et représentation première pièce et l’écriture romanesque. Ce renouvellement passe au départ inaperçu. textes 3 et 7) b. Notes et Contre-notes (1962) a. Imprécision renforcée par l’emploi de déictiques sans référent (« ESTRAGON (sans geste) : Par là »). Ils stigmatisent la sclérose du langage. C.  »). c. prennent le risque de monter les pièces de ces nouveaux dramaturges. un enchaînement fortuit.… c. « VLADIMIR (froissé. qui montre des individus confrontés à leur propre finitude. sois raisonnable »). à Paris. un decrescrendo inachevé et susceptible de se reproduire à l’identique ou presque (cf. 1949). qui n’a pas eu lieu (« La main dans la main on se serait jeté en bas de la tour Eiffel. à Paris. inéluctable. ils n’ont pas non plus le pouvoir de délivrer un message moral. L’intrigue Aucune intrigue n’est envisagée. Le cadre spatio-temporel a. Le seul acte d’importance qui est évoqué est un suicide. La première représentation d’En attendant Godot a lieu le 5 janvier 1953 dans le petit Théâtre de Babylone. en grande partie immotivée. Les personnages manquent singulièrement d’unité de caractère et d’épaisseur psychologique. au néant. Les personnages a. Leurs actions soulignent la pauvreté de leur apparence («  Estragon. Le rejet de l’illusion théâtrale interdit à toute « action » de leur donner un pouvoir : ils ne peuvent modifier le cours des choses. pas d’énigmes à résoudre. froidement) : Peut-on savoir où monsieur a passé la nuit ? / ESTRAGON : Dans un fossé »). « Il [Vladimir] se boutonne »). une petite salle d’art et d’essai de la rive gauche. des personnages sans identité (ils deviennent à tout instant le contraire d’eux-mêmes) […] : simplement une suite sans suite. de ce qu’on appelle communément la scène d’exposition. Deux lectures analytiques Texte 1 (manuel de l’élève p. avec arbre. En attendant Godot est donc le remède que Samuel Beckett tente de trouver à l’insatisfaction que lui a procuré cette 38 • Chapitre 2 . qui ne fut d’ailleurs jamais jouée de son vivant. Les pièces de ce « nouveau théâtre » donnent l’impression de ne suivre aucune progression logique. qui se parle à lui-même (« en me disant. qui compromet toute communication pertinente et féconde entre les individus. quand et comment ils se sont rencontrés. Ils n’ont apparemment pas de domicile fixe (didascalie initiale. Eleuthéria. Les actions sont triviales (« Rien à faire »). par un Samuel Beckett encore peu connu. parmi les premiers »). Ton lapidaire qui intime au metteur en scène d’obéir : le décor et l’éclairage doivent traduire exactement ce que le lecteur peut imaginer à partir de sa lecture. . février 1953). Le refus d’informer A. Le début de l’acte I de En attendant Godot remet clairement en cause ces deux fonctions. Or la scène d’exposition doit remplir une double fonction : informer et instruire. attente anxieuse d’une mort proche. pas de caractères. mais de l’inconnu insoluble. Anouilh qualifie la pièce de sketch «  des Pensées de Pascal par les Fratellini  » (Arts. Ils évoquent leur souffrance physique (multiples occurrences de la locution « avoir mal »). Déconstruction de la fable L’incohérence du monde est représentée par l’incohérence de la fable. Vladimir. mais on ne sait pas où. Les deux personnages se font concurrence pour savoir lequel des deux souffre le plus (« ESTRAGON : Mal ! Il me demande si j’ai mal ! / VLADIMIR (avec emportement) : Il n’y a jamais que toi qui souffres ! »). Le soir va de pair avec le dénouement. Au cours du dénouement. À la fin de l’acte I. La séparation. Des propos redondants a. La fin de la journée Le changement d’éclairage («  Le soleil se couche. B. La dimension comique a. D’autres propositions pour en finir a. « revenir ». Reprise des mêmes répliques (avec une adresse au public ?).Ainsi. / VLADIMIR : Moi aussi ») . Un dénouement ? A. L’hypothèse de la mort et du suicide est envisagée à plusieurs reprises par les deux protagonistes (« Tu ne serais plus qu’un petit tas d’ossements à l’heure qu’il est  ».champ lexical du déplacement  : «  vais  ». on y va ? / VLADIMIR : Allons-y. Il les dépose près de la rampe  ») // texte 7 («  Estragon se réveille. les mentions du passé sont ici trop vagues pour créer une quelconque trame narrative (« J’ai longtemps résisté à cette pensée ». L’inanité de l’existence. Le mélange des registres A. Texte 7 (manuel de l’élève p. Estragon propose qu’ils se pendent (« Et si on se pendait ? »). Alors que les scènes d’exposition classiques comportent souvent un récit qui permet au lecteur comme au spectateur de faire fonctionner son imagination. Comique de gestes. Ils ne bougent pas »). rappelle l’unité de temps du théâtre classique. puis résiste. B. III. « Allons ». Estragon a une troisième proposition : la séparation (« Si on se quittait ? »). B. « allons ». . la douleur…). on ne sait pas s’il demande de l’aide pour enlever ses chaussures ou s’il s’agit d’un véritable cri d’alarme. «  irons  ». Les références au présent sont tout aussi vagues (« à quoi bon se décourager à présent »). Le non-sens du dialogue figure l’absurdité de l’existence. le spectateur et le lecteur n’ont que peu d’informations. Le suicide. Ce désir de partir peut évoquer à la fois la sortie de scène des comédiens et le désir d’en finir du public. Il s’agit davantage d’attirer l’attention sur l’absence d’information que de donner des informations. (Il le tire. la lune se lève  »). b. L’absence de récit. Parler pour ne rien dire Le dialogue. se déchausse. Omniprésence de la souffrance. Le même aboutissement : texte 3 (« ESTRAGON : Alors. La concurrence du geste et de la parole. se lève. Mais aucune de ces propositions n’aboutit. Comique de mots. Le piétinement A.Le théâtre : texte et représentation • 39 . Estragon s’acharne sur sa chaussure abîmée. Finalement le dénouement ne dénoue rien. Des propos ambigus Certaines répliques sont ambiguës  : quand Estragon demande « Aide-moi  !  ». b. Partir a. Les répliques et les didascalies expriment exactement la même chose («  VLADIMIR  : […] (Estragon s’acharne sur sa chaussure.futur simple qui exprime une certitude : « irons » . b. « je reprenais le combat »). Une volonté clairement exprimée. 116) L’absence de dénouement ou le retour du même Proposition de lecture analytique I. Ils ne peuvent pas savoir ce qui les attend. « On se pendra demain »). Ils ne bougent pas ») // texte 7 (« VLADIMIR : Alors.exclamative qui traduit la détermination  : «  allonsnous en loin d’ici ! » . Des variations significatives a. les dépose devant la rampe. «  on se serait jeté en bas de la tour Eiffel »). on y va ? / ESTRAGON : Allons-y. Les mêmes problèmes  : faut-il encore attendre Godot ? comment se pendre ? d.) Qu’est-ce que tu fais ? / ESTRAGON : Je me déchausse »). c. II. La répétition. semble tourner à vide. «  ESTRAGON : Tu as eu mal ? / VLADIMIR : Il me demande si j’ai eu mal »). Le dénouement comme une variante de la fin de l’acte I (texte 3) a. qui indique la fin de la journée. b. b. C. va vers Vladimir »). c. La même atmosphère : texte 3 (« La lune se lève ») // texte 7 (« la lune se lève ») b. II. c. Ils s’arrêtent  »). « Lève-toi que je t’embrasse ») qui contrastent avec la situation sociale des deux personnages. Les deux personnages semblent d’accord pour partir (« ESTRAGON : Moi. La dimension tragique a. Mondanités (« Je suis content de te revoir ». Les mêmes gestes : texte 3 (« Estragon se lève et va vers Vladimir. Une mise en abyme. Reprise d’une interrogative directe sous une forme indirecte (« VLADIMIR : Tu as mal ? / ESTRAGON  : Mal  ! Il me demande si j’ai mal  !  »  . les chaussures à la main. c’est Vladimir qui propose et Estragon qui est réticent (« VLADIMIR  : […] Viens. Estragon cède d’abord. Comique de répétition. Cette forme de comique est d’autant plus frappante qu’elle entre en contraste avec le propos (réflexion sur le temps qui passe. Pendant toute la scène. je m’en vais. C. c’est l’inverse  : Estragon propose («  allons-nous en loin d’ici ! ») et se montre le plus dynamique (« Il entraîne VlaChapitre 2 . b. Réflexion sur la mort. ses deux chaussures à la main. Des propos vagues a. geste trivial. A. Une inversion des rôles. qui n’informe pas. « venu ». B. Vladimir semble hésiter d’abord en raison des difficultés matérielles (absence de cordes) mais finit par montrer son intérêt pour cette proposition (« Faisvoir quand même ». Deux clowns… a. recensés à l’adresse suivante : www. Accentue la confusion entre les deux personnages : ils n’ont plus d’identité propre. Phèdre. M.1975. s’empare des codes de l’écriture dramatique pour les transformer. Dialogue de sourds à propos de l’arbre.-P. jeux de mots (« Relève » vs. Comprendre les mécanismes du « nouveau théâtre » • Racine. L’impossibilité de trouver une échappatoire est ainsi d’autant plus soulignée que les répliques sont plus brèves : le dialogue est plus rapide. • Jean-Pierre Ryngaert. Attente du salut. L. Lire « En attendant Godot » de Beckett. Fin de partie. III. Comique de mots. c. « C’est vrai ». sont soumis à Godot (« Vladimir : Il faut revenir demain. Raimbourg. « C’est trop court ». Jeu avec la corde qui se casse. Le dialogue souligne que toute proposition conduit inévitablement à l’échec. comédiens remarquables G. • Geneviève Serreau. L’inévitable échec. Théâtre aujourd’hui.1991. Paris.fr/theatre/pratiques/texteetreprésentation/sitogodot Signalons que : . répétitions de fragments de dialogue qui semblent désormais perdre leur sens pour n’être plus qu’un refrain. On peut retenir trois mises en scène majeures du vivant de Beckett :  . changements de sujet de conversation : « ESTRAGON : […] Si on le laissait tomber ? / VLADIMIR : Il nous punirait […] Seul l’arbre vit » . La Cantatrice chauve. « En attendant Godot ». Théâtre de l’Odéon à Paris. mise en scène de Luc Bondy… Parcours complémentaire Les scènes d’exposition. En attendant Godot. Blin. Vladimir se montre systématiquement négatif face aux propositions d’Estragon («  Pas loin ». « Études littéraires ».Le théâtre : texte et représentation ments. • Alain Satgé. mise en scène de Alain Timar . souligné par le contraste entre le désir des deux hommes de se suicider et l’apparence d’Estragon qui a le pantalon autour des chevilles. Éditions de Minuit. Indications bibliographiques • Samuel Beckett. b.on peut également trouver sur Daily Motion l’ensemble de la pièce filmée en 1989 par Walter Asmus (qui assista Beckett pour sa mise en scène berlinoise de la pièce en 1975). la pièce a été jouée à plusieurs reprises : . • Beckett. Bouquet / Ellipse blanche sur laquelle les personnages vêtus de noir se détachent. rééd. Dunod. On peut établir les règles de l’exposition avec Phèdre. la didascalie initiale (1956) Il s’agit à travers ce groupement de textes de montrer comment le nouveau théâtre. Wilson.…). regarde dedans. mise en scène par les objets (corde qui se casse. b. Une dramatisation. mise en scène de Joël Jouanneau . Samuel Beckett. de même. La persistance du mélange des registres A. 1994. 1 (1677) • Hugo.education. mise en scène de Philippe Adrien . On montrera notamment l’insignifiance ou l’absence des dialogues.educnet. Le dialogue est également difficile à comprendre pour les spectateurs car les pronoms sont employés sans référent (« on y va »). Polanski et J. Latour/ Insistance sur les maladies (Vladimir et sa prostate. La route conduit inévitablement vers la déchéance.-F. Estragon en prend conscience (« C’est vrai ». Hernani. répliques de plus en plus brèves : « Non ». L’incompréhension. texte 5. / Estragon : Pour quoi faire ? / Vladimir : Attendre Godot »). Festival d’Avignon. Théâtre de Babylone : mise en scène Roger Blin.1993. Lucky et la maladie de Parkinson…) . La soumission. Gallimard. . Comique de gestes. comédiens remarquables R. Théâtre des Amandiers de Nanterre. Estragon et Vladimir. … tristes a.le site de l’INA propose des extraits de différentes mises en scène . • L’Univers scénique de Samuel Beckett. J. B. Avignon. Cour d’honneur : mise en scène Otomar Krejca. l’espoir plus rapidement étouffé. 1999.dimir vers l’arbre »). I. P. n° 3. Histoire du « nouveau théâtre ». Depuis la mort de Beckett. y passe la main. 1952 (réédition 2001). avec Rufus. Théâtre Schiller : mise en scène Samuel Beckett/ Beckett souligne l’importance des effets de symétrie : « répétition et contraste ».1978. 1 (1830) • Ionesco. le secoue.1999. Jorris.1953. b.1995. CNDP. « On ne peut pas ». « enlève »). Voir parcours 2. le remet »). « Idées ». Gestes de Vladimir avec son chapeau (« Vladimir enlève son chapeau – celui de Lucky –. I. R. Théâtre de la Tempête de Vincennes. Berlin. Les personnages ne se comprennent pas (ambiguïtés de certaines répliques : « Qu’est-ce que tu as ? » . voir comment le théâtre romantique cherche à les bouleverser et étudier ensuite leur évolution dans ce qu’on a parfois appelé le théâtre de l’absurde. Balmer. incarné ici par Ionesco et Beckett. Les personnages tragiques sont soumis à un destin qui les domine et qu’ils ne comprennent pas. 1981. 1966.…). la mécanique des gestes… . répété trois fois). Prolongement iconographique L’objet d’étude invite à prendre en compte la représentation théâtrale. Internet donne accès à de nombreux docu40 • Chapitre 2 . PUF. scène 1 (1950). 1993.…). arrêts. qui arrache le spectateur au réel pour lui proposer une expérience sensible. Maeterlinck construit cette scène sur un danger invisible. puis sa disparition sont marquées par l’évanouissement puis le réveil de l’enfant (Tintagiles) dans un long cri. • Texte 6. • Texte 4. le changement que subit la notion de mimesis de l’époque classique à l’époque contemporaine. En outre. lecture ou affichage des didascalies pour chaque nouveau « tableau ». La parole n’est plus dialogue. Le symbolisme (texte 2) s’appuie sur cette libération pour réinventer le nature de la réalité montrée sur scène : le théâtre construit son propre monde fictionnel et n’est plus seulement soumis à l’illusion mimétique. Lexique Le travail de repérage qui demandera un certain temps aux élèves leur permettra de distinguer comment s’organise dans les didascalies la production d’un effet conçu en fonction d’a priori définis dans les textes théoriques proposés par le parcours. Cette « activité » du spectateur. Comme l’indique la didascalie des lignes 24-25 (« on ne parlera plus que sur un ton violent. (Questionner). L’utilisation de cet objet qui n’est qu’inutile et symbolique crée un artifice qui médiatise pour le spectateur la représentation du réel historique. il devient actif dans la construction imaginaire du récit représenté. Artaud met en place l’idée d’un théâtre primitif.26) (Interpréter). (Questionner). loin d’apparaître comme sérieuse et cérébrale. (Questionner). Lecture • Texte 1. sublime et grotesque). (Interpréter). du « réel ». Hugo défend l’idée d’un genre dramatique libéré des règles classiques. Genet ritualise la violence pour la mettre en scène. Cet aspect scénique est doublé d’un travail particulier sur la langue et le silence : répétitions. Hugo veut remettre le théâtre en liberté : à chacun d’inventer ses propres règles (texte 1). Cette première scène parodie l’exposition traditionnelle et son caractère artificiel.4) afin de donner à voir « l’homme » (l. silences. mais elle est une matière organique mise au même niveau que le corps et les images. • Texte 3. En voulant montrer comment les règles classiques ont conduit à une artificialité qui ne permet plus de rendre compte du « réel » et de sa vérité humaine. (Interpréter). • Texte 5. La violence de cette scène est créée par le langage et la situation : la description des différents crimes commis se fait sous la forme d’un défilé de plus en plus rapide. le drame romantique doit briser « tous ces fils d’araignée » (l. terrible et bouffon.11) qu’a tissés l’époque classique et qui ont conduit à une stricte répartition des genres et ont coupé le théâtre de la vie telle qu’elle est.27) tel qu’il est vraiment. après l’analyse du lexique. (Interpréter). • Texte 2. c’est-àdire dans ses contradictions et sa dualité (à la fois corps et âme.Bilans de parcours chapitre 2 Bilan de parcours 1 Manuel de l’élève pp. on attend d’eux les réponses suivantes : le drame romantique remet en question les cadres définis par l’époque classique pour donner l’illusion du vrai. mais il voit l’artifice se mettre en place. il s’agit bien d’une « anti-pièce ». cris créent un dialogue musical. On retrouve ici la tradition du théâtre de tréteaux et du théâtre élisabéthain. Ionesco s’amuse du code de l’exposition aussi bien dans les didascalies que le dialogue. pour en faire le lieu de « l’abstraction » (l. (Questionner). (Questionner). mais assourdi »). Le drame doit représenter le « réel » qui consiste d’abord pour Hugo dans « l’harmonie des contraires » (l. lié à l’action. capable d’exprimer les questionnements humains (« métaphysiques ») sans passer par le discours. Selon lui. Le paravent sert la mise en place de cette cérémonie macabre et violente. rituel.11). qui constituent eux aussi ce nouveau langage dramatique. La parodie détruit l’illusion théâtrale traditionnelle. L’apparition du danger. Les « directions scéniques » données par Claudel insistent sur la pauvreté des moyens utilisés pour mettre son texte en scène et en image : quelques éléments de décor mis en place à vue par les techniciens et les acteurs eux-mêmes. est présentée comme joyeuse. Cette libération ne fait que s’accentuer au cours du XXe siècle en prenant des formes différentes : le théâtre montre sa propre artificialité et en joue pour définir un langage et une réalité scénique autonomes (textes 3 à 7). Toutes les informations sont données. 88-89 1. Artaud cherche à libérer le théâtre du texte en définissant son langage propre : « à michemin entre le geste et la pensée » (l. mais conçu également comme une véritable partition musicale. Le spectateur devient Chapitre 2 . mais elles ne s’inscrivent dans aucune action et ne construisent aucune intrigue.Le théâtre : texte et représentation • 41 . La scène devient le lieu d’une certaine forme de fantastique. (Questionner). Le spectateur n’est plus entraîné dans une illusion de vrai. Vers la problématique Une fois acquis par les élèves. elles sont souvent contradictoires et vides de sens. ressenti comme de plus en plus menaçant par les protagonistes. (Interpréter). En ce sens. C’est en jouant de l’articulation entre le hors-scène et sa répercussion sur les personnages enfermés dans un lieu clos que Maerterlinck crée une impression d’étrangeté et de mystère. suspensions. 2. (Interpréter). La parole est musicale (travail du rythme. figure montrée sur la scène. L’acteur et le metteur en scène ont donc une triple responsabilité : . qui se traduit par des exclamatives. Théâtre du Rond-Point. 2006 • Texte 7.) • Jean-Luc Vincent. 3. ne cherche plus à provoquer chez le spectateur une simple identification (illusion mimétique : je m’identifie car ce que je vois est semblable à la vie même et au réel qui m’entoure). Apprendre 28.faire comprendre l’intrigue . une posture…). rire) ne dépendent plus d’une éventuelle identification. Lexique a. accumulation de phrases nominales.celles qui donnent des indications sur les émotions des personnages . Trois questions de dramaturgie. Mémoires improvisés (Gallimard) • Antoine Vitez. à produire un effet d’identification (hérité de la théorie aristotélicienne).créer une œuvre d’art nouvelle. mais elle provoque le spectateur en le rendant actif. jouent de continuels passages de l’identification à la distanciation. la surprise du comte qui comprend son erreur s’exprime dans une exclamative puis une interrogative : elle peut aussi s’exprimer par un changement de lumière qui accompagne la révélation de la vérité). On pourra compléter ce parcours par la lecture de L’Illusion comique de Corneille (voir l’étude proposée dans la collection Connaissance d’une œuvre n° 92. sous l’impulsion du drame symboliste et avec l’émergence de la notion de mise en scène. Introduction aux grandes théories du théâtre.L. Actes Sud Papiers. Éléments pour une histoire du texte de théâtre. liés à des émotions particulière (voir lectures analytiques). Paris. à partir du texte théâtral (le comédien et le metteur en scène ne sont pas seulement au service du texte théâtral. son intonation… Le second fait apparaître trois types de didascalies : . mais ils naissent grâce à une construction d’ordre poétique et « magique » (chez Maeterlinck.celles qui donnent des indications sur leurs mouvements. lié à la prise en charge par le texte de sa représentation. « la Bibliothèque Gallimard ». b. lié à la notion de vraisemblable ou à celle de vérité réaliste. Dunod. les dramaturgies du XXe siècle. 6 et 7). L’action est ici récit : elle consiste tout entière dans le fait de raconter l’histoire de la mère. Bibliographie Ouvrages généraux : • Joseph Danan. que l’acteur peut exprimer de différentes façons. la représentation. à la fois présente et absente. Théâtre de la Colline. 2004. • Joseph Danan. etc. (Questionner). 2003). Dunod. Écrits sur le théâtre (P. Les signes de ponctuation indiquent des changements d’intonation. • Christian Biet et Christophe Triau. Gallimard. les sentiments suscités (terreur et pitié. 1990 • Jean-Pierre Ryngaert. va aussi se traduire par un rire. textes 5. Le lexique des émotions dans les répliques et les didascalies Le premier tableau permet de distinguer les répliques qui indiquent un mouvement précis et celles qui indiquent une émotion.actif dans la reconstruction par le théâtre d’une réalité politique et historique. Introduction à l’analyse du théâtre. ils sont aussi créateurs). • Les collections « Apprendre » et « Mettre en scène » chez Actes-Sud-Papiers. Des ouvrages courts d’entretiens ou de réflexion sur des metteurs en scène précis ou des questions théoriques. Dunod. 1997. Gallimard.celles qui donnent des indications sur l’énonciation . chez Genet). 102-103 1.) et donne à entendre par la voix des enfants le ressassement du souvenir par la mère. ils engagent un jeu particulier (le mépris de Silvia dans le texte 1. chez Artaud. mais aussi une mise en scène particulière (dans la scène 19 du texte 2. et Jean-Pierre Ryngaert. Synthèse et problématique L’analyse des différents textes du parcours et leur mise en perspective historique montrent de quelle façon l’écriture dramatique a fait évoluer la notion d’illusion en interrogeant toujours différemment la place et le rôle du spectateur : d’abord considéré comme devant être convaincu par l’illusion de vérité construite par le texte et sa représentation. Qu’est-ce que la dramaturgie ?. par son corps. Théâtre de l’Athénée… Bilan de parcours 2 Manuel de l’élève pp.19) par les personnages narrateurs avant d’être entrainé dans cette reconstruction en direct du souvenir et de la mémoire. répétitions. Du texte à la représentation 1. 2010. le spectateur est désormais pris en compte dans l’élaboration de l’illusion théâtrale. • Jean-Jacques Roubine. . Folio. En outre. La mise en évidence de l’artifice (texte 3. Il n’y a donc pas à proprement parler de dialogue au sens traditionnel. Le spectateur est pris à partie (l. (Interpréter). selon des modalités différentes. Vers la problématique Si les dramaturgies classique et romantique cherchaient.faire ressentir au spectateur les émotions . 1991 42 • Chapitre 2 . Qu’est-ce que le théâtre ?. Par conséquent.O.Le théâtre : texte et représentation Ressources en ligne Utiliser en priorité les sites des théâtres qui proposent des dossiers pédagogiques téléchargeables : Théâtre de l’Odéon. Sur les questions portant sur les rapports entre texte et mise en scène • Paul Claudel. Bréal. alors que les deux comédiennes qui incarnent Phèdre dans les mises en scène de L. quand L. souffrance dans la parole même. Bondy donne une énergie débordante à son personnage. Vitez insiste sur le fait que Phèdre est un personnage de tragédie. que son débit est heurté. mais il va de soi que Vitez est un metteur en scène du XXe siècle qui lit la tragédie du XVIIe avec un regard moderne. les éléments matériels tels que les costumes et les décors. On peut se demander si tous ces éléments concourent toujours à un sens unique. Cela impose un ton au comédien et l’on peut imaginer qu’il cherche ses mots. ou pour n’en accepter qu’une partie tandis que le texte demeure « ouvert ». ou encore les éléments humains. On comprend dès lors la souffrance de celui qui parle. vivacité. qui se mue en colère contre Hippolyte. D’autres éléments peuvent devenir prépondérants. les éléments immatériels tels que la musique et la lumière. pour les critiquer. parce qu’une faible lumière. Le texte d’Antoine Vitez et les photos proposent plusieurs profils différents du personnage de Phèdre. dans le cadre d’une mise en scène. Vers la problématique Les quatre étapes du parcours montrent parfaitement qu’en jouant sur la double énonciation propre au théâtre.celles qui insistent sur le malheur (de Louis et d’Antoine) et sur la culpabilité (d’Antoine) . De plus. facile à manipuler.celles qui insistent sur la difficulté de s’exprimer. Elles exigent une lecture très dynamique du lecteur qui doit imaginer les différents espaces et s’appuyer sur sa connaissance de l’intrigue. Attention toutefois. l’existence d’un espace caché qui renvoie à l’espace dramatique créé par la fable.dans le refus de Silvia de s’avouer et d’avouer ses sentiments pour Dorante. Lecture • Texte 1. C’est cette cohérence qui fait sens. qu’il hésite. morte avant d’avoir vécu les passions auxquelles elle rêve dans son journal. Parce qu’une larme ou un rire sont plus efficaces pour susciter une émotion qu’un point d’exclamation sur une feuille de papier blanc. Beaumarchais ne lui apporte quasiment pas d’aide : les didascalies sont très peu nombreuses ! • Texte 3. Chéreau sont des femmes accomplies et mûrissantes. Le monologue progresse selon une dynamique tortueuse  : de nombreux termes ou expressions sont repris (voir lecture analytique). Toutefois. Il ne faut pas oublier cependant que le comédien. Par exemple Vitez insiste sur la jeunesse de son héroïne qui n’a sans doute jamais connu l’amour et demeure indifférente aux exigences de sa condition. Cette prévalence des émotions arrache totalement le personnage à la syntaxe traditionnelle du théâtre classique : la passion envahit tout. Ces scènes sont difficilement compréhensibles à la simple lecture. Vitez cite Maïakovski. une musique peu harmonieuse sont plus à même de rendre compte aisément d’une atmosphère angoissante que des points de suspension. C’est le metteur en scène qui a la charge d’organiser ces différents éléments de manière cohérente. Qu’il s’agisse de la situation où le spectateur est le seul à connaître l’identité réelle des personnages (texte 1). 2. Il n’est pas un outil au service d’un texte programmateur. il ne reste aucune place pour la raison et la conscience morale à laquelle le texte de Racine accorde une grande part.2.Le théâtre : texte et représentation • 43 . On peut distinguer deux groupes de reprises : . au même titre que l’espace. Vitez s’appuie sur le texte de Racine. on a tendance à penser que le texte théâtral prend tout son sens lors de la représentation. • Texte 2. le spectateur doit se situer par rapport à ces choix pour y adhérer. la parole poétique n’est plus au centre. le comédien et le metteur en scène ont une marge de liberté conséquente. Bondy et P. la représentation envoie au spectateur tout un réseau de signes révélateurs d’une lecture personnelle du texte partagée par le metteur en scène et les comédiens. Ils accentuent la confusion du comte  : ce personnage puissant dont la parole est toujours performative subit la démonstration par les faits de son impuissance ce qui l’étourdit et le conduit à commettre erreur sur erreur : les didascalies soulignent son énervement croissant à chaque fois qu’il se trompe sur l’identité d’un des personnages qui l’entourent. et en ce sens il lui est fidèle. la reconnaissance des personnages mise en scène par des entrées et des sorties répétées donnent toute sa force au renversement final de la situation. malheureuse. Vitez insiste sur la faiblesse. Le problème posé par les fausses identités prises par les personnages se manifeste : . dirigé par le metteur en scène.…). Celui-ci est-il toujours identique au sens du texte dramatique ? Chapitre 2 . est libre de son interprétation. du travail sur l’espace qui accélère la résolution du conflit (texte 2). La réécriture de Vitez oriente la construction du personnage vers la représentation d’un être à la limite du délire dont la passion pathologique a brisé le corps et libéré une sorte d’énergie errante  : les élèves relèveront facilement cette vision d’une jeune femme accablée aux pommettes roses. Chéreau en fait une femme abandonnée. • Textes 4 et 5. implicitement comparée aux héroïnes russes consumées par la tuberculose . de la recréation poétique du texte par la voix du comédien qui en restitue la musicalité (texte 3) ou de la construction du personnage par le metteur en scène (textes 4 et 5 et arrêt sur image). alors que le costume contemporain de la Phèdre de P. Vers la problématique La représentation est une œuvre à part entière dans laquelle le texte théâtral n’est qu’un élément. Pour que le texte théâtral prenne tout son sens. Le jeu sur la ponctuation (voir en particulier les exclamatives et les points de suspension) impose des conditions de représentation précises (malaise. on pourrait penser aussi à Marie Bashkirseff.dans les hésitations sur le niveau de langue (hésitation entre tutoiement et vouvoiement pour Dorante) . la représentation fait des choix. La division en trois de l’espace scénique. qu’elle se répète. Ainsi. qui soulignent la menace grandissante du vide. didascalie initiale) et floues (où est la route de campagne sur laquelle se tiennent les deux personnages  ? où mène-t-elle  ? depuis combien de jours sont-ils là ?…). De plus. que Pozzo ignore systématiquement. . elles sont de moins en moins nombreuses et elles indiquent des sentiments extrêmes que le lecteur/spectateur n’est pas toujours en mesure de comprendre (voir texte 4. Quant aux didascalies indiquant des sentiments (celles qui donnent le plus d’indications sur les relations entre les personnages et qui guident le comédien dans son interprétation du rôle). Désespoir de Phèdre. On constate que la plupart des didascalies sont récurrentes ce qui donne l’impression que la pièce ne progresse pas. mais il souffre de le croire à sens unique . Il y a dans la pièce de Beckett un traitement du temps très différent de celui que l’on observe dans le théâtre classique (crise et accélération) ou dans le vaudeville (mécanique rapide). Texte 3 Rien de programmé par le texte. En général. L’auteur se refuse à donner au lecteur/ spectateur les informations traditionnelles que donnent les didascalies et qui aident à la compréhension de la pièce.Le théâtre : texte et représentation l’impression que les personnages ne jouent pas pour un public. De même. ce procédé oscille entre comique (comique de répétition) et tragique (il apparaît que Lucky ne peut échapper à la cruauté de Pozzo). jeu de cache-cache entre les personnages // séries de révélations pour le comte. Lexique a. Les didascalies « silence » et « un temps » sont très nombreuses. Tous les verbes relevés sont pronominaux. les indications sur la situation d’énonciation (didascalies de lieu ou de temps par exemple) sont à la fois précises (voir texte 3. exprimer le vide 1. Les questions que le spectateur se pose portent en germe les différentes représentations possibles. Or les didascalies de En attendant Godot sèment le doute plus qu’elles n’offrent des indications.les indications scéniques sont relativement peu nombreuses : au metteur en scène de compléter les informations données par le texte. 32). Souffrance d’Antoine qui ose enfin parler à son frère. Bilan de parcours 3 Manuel de l’élève pp. remettant en question ce que le texte dit et proposant des réponses à ce qu’il ne dit pas. contraint d’imaginer la part du sens « qui manque » et à laquelle chaque mise en scène donne corps de façon différente. Synthèse On peut tirer plusieurs conclusions du tableau ci-dessus : . 2. Beckett semble nous interdire toute interprétation de ce qui paraît de plus en plus absurde. en suscitant son ennui. trompé et humilié. Dorante avoue son amour.Espace scénique Espace dramatique Texte 1 Intonations (ponctuation expressive) qui disent le malaise et les hésitations de Silvia. Ce mécanisme fait du dialogue un dialogue de sourds qui ne parvient pas à faire sens.… Problématique On attend des élèves qu’ils définissent la lecture du texte de théâtre comme une véritable enquête. Voir lecture analytique (p. Silvia n’est pas prête à cet aveu. Beckett met les spectateurs dans une position similaire à celle des personnages. Vers la problématique Beckett utilise les didascalies de manière troublante. Les personnages de Marivaux sont-ils manipulés ou manipulateurs ? Comment représenter le comte d’abord « hors de lui » puis réduit à l’humilité ? qu’est-ce qui domine chez Antoine. Les indications de lieux sont très peu nombreuses et tout à fait inefficaces pour situer l’action dans un espace géographique précis. « angoissé »). sur les gestes et les émotions des personnages qui guident le comédien et le metteur en scène dans leurs interprétations. b. Attendre Godot. sa lassitude. . 120-121 1. Lecture • Texte 1. Texte 4 Phèdre se montre pour la première fois. 3. Il s’agit de provoquer le spectateur. Les personnages semblent tournés vers eux : ces verbes donnent 44 • Chapitre 2 . de la douleur ou de la jalousie ? Phèdre est-elle une enfant perdue ou une femme qui abuse de son pouvoir ? La singularité du texte théâtral tient à cette obligation du lecteur. Texte 2 Entrées et sorties des personnages. On note enfin la prolifération des didascalies indiquant « un temps » ou « silence ». elles sont destinées aux comédiens et donnent des indications de jeu qui permettent également au lecteur de mieux comprendre la pièce qu’il lit. Les répliques s’enchaînent mécaniquement avec la récurrence de la réplique de Vladimir (« Vous voulez vous en débarrasser ?). 2. les didascalies indiquant des gestes sont précises mais les gestes effectués par les comédiens ou imaginés par le lecteur ne sont pas signifiants (pourquoi Estragon se déchausset-il  ?). Du texte à la scène : des didascalies récurrentes 1.il y a un système d’échos entre l’espace scénique et l’espace dramatique : sortie de Phèdre // début de l’aveu . • Texte 2. Colère du comte. Il peut ainsi imaginer la mise en scène puisqu’il possède des indications sur la situation d’énonciation. comique de situation (quatre hommes par terre au milieu d’une route de campagne). RAS 7 E. • Texte 7. testent différentes manière de se suicider. se reboutonne.Le théâtre : texte et représentation • 45 . V. Synthèse On peut tirer plusieurs conclusions du tableau ci-dessous : . tempo du dialogue. RAS.mélange des registres  : comique et tragique se font sans cesse concurrence. tempo du dialogue. RAS 3 E. qui le plus souvent parlent pour ne rien dire) pour « parvenir aux grandes » : réflexion sur l’homme. de faire sens. RAS. Ce dialogue produit des effets inattendus : il suscite à la fois le sourire du lecteur/spectateur (comique de situation  : tout le dialogue porte sur la difficulté à dialoguer). L’action ne progresse pas. Situent le cadre spatio-temporel de manière ambiguë. Cette scène apparaît comme une reprise du texte 3. • Texte 6. tempo du dialogue (multiplication des notations : « Un temps » . tente d’enlever ses chaussures. Gestes . passée et avenir. On croit un instant que les personnages vont se séparer ou partir mais il n’en est rien. Elles indiquent les gestes mécaniques qu’effectuent Vladimir et Estragon. Gestes .refus d’une interprétation équivoque : toute signification univoque est contredite aussitôt qu’énoncée. . et V. ils se retrouvent tous deux au sol et ils frappent Pozzo qu’ils avaient d’abord essayé de relever. référence à une conscience supérieure). qui réalisent des actions sans aucun intérêt.refus de la progression dramatique : aucune intrigue. Cadre spatio-temporel. et V. enlève ses chaussures. puis ils renoncent à leur départ. Actions des personnages Fonction des didascalies Progression de l’action Texte 1 E. comique de répétition (toute tentative pour se relever aboutit à une nouvelle chute). la frontière entre rêve et réalité paraît très nette. gestes. Mais il ne permet pas vraiment de comprendre la nature de cette relation (contradictions. RAS 2 Pozzo se met en scène.La scène introduit un effet de théâtre dans le théâtre : Pozzo se met en scène devant les autres et devant les spectateurs. Vers la problématique Beckett ébranle et renouvelle les codes du genre théâtral : . On relève plusieurs formes de comique dans cette scène  : comique de gestes (chutes des différents personnages). • Texte 4. tempo du dialogue. regardent la lune. son angoisse (peur du vide et appels à l’aide réitérés de Vladimir. . qui pouvait faire croire au spectateur que la situation allait évoluer. lorsqu’il se réveille. . Cette frontière se trouble quand Vladimir se demande s’il n’a pas rêvé ce qu’il croit avoir vécu éveillé (et à quoi le spectateur a assisté lui aussi). L’angoisse du vide s’exprime de manière musicale dans ce dialogue grâce à un conflit entre des répliques brèves qui s’enchaînent rapidement et des silences. sa surprise (accélération soudaine du dialogue grâce à des répliques très brèves). « angoissé » . références à la mort). répétitions. gradation jusqu’à la fin de la pièce). indiquent gestes et sentiments. entraîne E. Indiquent les gestes. . 33. mais finalement elle n’aboutit à rien. Estragon dormait et. ridicules…) et peu nombreuses. rapport au temps.refus de la construction du personnage comme héros : personnages contradictoires et affaiblis.les didascalies montrent la menace grandissante du vide qui pèse sur les personnages (va de pair avec l’angoisse de la mort) et sur la pièce. . de ce fait. Problématique Beckett met en scène de « petites choses » (personnages faibles. à la pièce. se réveille. • Texte 3. p. les autres regardent. il évoque ses rêves. Vladimir supplie Estragon de l’aider à se relever. propositions avortées…). contrarie son attente : elle ne change rien à la situation initiale. Dans un premier temps. se rendort . • Texte 5. 4 RAS Tempo du dialogue. L’arrivée de Pozzo et Lucky.les actions scéniques sont insignifiantes (gestes quotidiens. RAS 6 E.il n’y a pas d’action dramatique à proprement parler et donc pas de progression. Voir lecture analytique. sa manière de représenter le réel. elle se contredit : dans la première partie de la scène. et son rapport au spectateur. La scène pourrait mettre fin au duo de Vladimir et d’Estragon (par le suicide ou la séparation) et. V. Le dialogue de Vladimir et Estragon dans cette scène porte sur leur relation. puis il renonce et c’est Estragon qui le supplie de se relever . se rhabillent. Chapitre 2 . mais surtout sur le théâtre. Gestes . finalement. aussi bien moralement que physiquement. Cela donne lieu à une réflexion sur la perception de la réalité (question de la subjectivité. RAS 5 Tous les personnages tombent par terre. le regarde. mais elles donnent peu d’indications sur les sentiments et sur le cadre. V. . en résonance avec les mouvements esthétiques de son temps. approfondit le travail suggéré par le manuel : en seconde. au-delà de l’émotion suscitée par le jeu et la musique du poème. Pour Ponge. indifférentes au sens. face à cette épreuve du vide. Jaccottet suppose un sens qui nous échappe toujours. le dépassement du sens premier fait entrer le texte dans une dimension presque surnaturelle qui l’arrache à toute fonction descriptive et ornementale. Philippe Jaccottet vit l’écriture poétique comme une expérience périlleuse. L’horizon de sa recherche est celui de Mallarmé. son exploration et sa détermination d’un sens. Le parcours 2 convie les élèves à une découverte chronologique de différentes écritures poétiques conditionnées par le recours à des formes fixes ou à des contraintes. Dans le texte 1. conformément à l’esprit du programme. les associations produites par la langue grâce à la synesthésie. un principe de correspondance entre les sons et les couleurs.Écriture poétique et quête du sens • 47 . Ces deux attitudes sont. « Art poétique » de Rimbaud. La forme devient sens et ouvre le sens dans le cas de Ronsard. tout est jeu et construction de la langue. que la poésie tente de saisir par approximations. sous différents angles et avec des voix et des voies diverses. mais la forme à laquelle il aboutit constitue un monde à part entière. et sa volonté de laisser surgir une profusion d’images gratuites. On pourra opposer les trois textes écrits au XXe siècle aux premiers. se trouve constamment en quête du sens : le parcours 1 explore d’abord le travail du poète qui répond à sa propre interrogation sur le monde dans des poèmes qu’on peut lire comme autant de déclinaisons d’un art poétique plus ou moins ambitieux. fondée sur la remémoration. Quant à Rimbaud. tandis que la forme du poème incarne finalement ce monde inlassablement rêvé. Le poète démiurge prend appui sur l’humour et la distance critique pour atteindre le fantastique. par son écriture. c’est la radicalité du surréalisme. il y a un « aller-retour du sens » entre le monde et le poème : le poème tente de dire le monde. Enfin. qui se fixe dans l’éternité de sa forme pour pallier l’absence de sens. 141-147 Problématique L’analyse successive des poèmes a pour but de montrer comment le travail sur la forme aboutit à la production du sens. les hésiChapitre 3 . en affrontant le risque du vide . il adopte lui aussi une recherche double  : sa poésie ouvre des possibles infinis. « L’huître » apparaît comme la mise en abyme du travail du poète et s’apparente à un art poétique. Les trois poètes estiment que le sens naît d’un travail sur la langue. l’écriture poétique oscille constamment entre deux attitudes et se situe entre deux pôles : tantôt elle aspire à une ouverture vers l’être qu’elle n’atteint jamais. Dans ce registre. tantôt. Parmi les tâtonnements et les silences de l’écriture. dans le cas d’Henri Michaux et de Philippe Jaccottet. Dans le texte 4. tentatives. dans la mesure où son exploration est infinie. Francis Ponge quête le sens à travers la précision extrême de la langue obtenue par un travail minutieux : il s’agit pour lui de produire un équivalent linguistique de la matérialité des objets. pour donner forme à ce sur quoi on n’a pas prise. qu’on pourra aborder de façon complémentaire. de Raymond Queneau ou de Francis Ponge. Mais en réalité. Par ce travail minutieux sur la langue. à une réalité autre. et. en quelque sorte. il n’y a pas de sens préétabli. Les trois parcours proposés en première orientent la réflexion des élèves vers la notion de recherche. On pourra ainsi montrer comment. qu’ils rejettent.Chapitre 3 Écriture poétique et quête du sens PROBLÉMATIQUE D’ENSEMBLE Les trois parcours présentés dans ce chapitre se proposent de guider l’élève dans une démarche progressive qui. Il leur permet de découvrir comment l’écriture poétique traduit la quête toujours recommencée. réinvente le monde. qui en inventant son propre langage. Ils sont centrés sur le rôle et la fonction du poète. le choix de La Nuit remue (première partie) de Michaux invite les élèves à comprendre comment « le poète [se trouve] souvent aux avant-postes de la littérature et de la culture  » (I0 du 21 juillet 2010). Dans le texte 3. ouvrent dans la forme dense du sonnet – le dernier écrit par Rimbaud – où se multiplient les échos sonores. Baudelaire hésite entre deux formes de tension : celle qui le pousse vers un « Idéal » proche du divin et celle qui situe l’Idéal dans le poème lui-même. Parcours 1 Le travail du poète Manuel de l’élève pp. d’un sens qui se refuse. la singularité d’univers poétiques intégrés aux deux grands moments que furent le romantisme et le surréalisme. Queneau ouvre les possibilités du langage qui crée le sens. combinées dans la quête des deux grands poètes de la modernité : Baudelaire et Rimbaud. en tant qu’elles produisent un sens qui leur est consubstantiel. la poésie se donne pour finalité elle-même. efforts. dans sa recherche. ils ont appris à découvrir. À partir de 1866. Il travaille à la relance du commerce et l’industrie. chaque vers sonne comme la réitération d’une tentative première et impossible : celle de retenir (de « recueillir ». on exploitera le premier texte des « Éclairages » (page 136 du manuel de l’élève). Poésies. qu’elle perd en septembre. de la musique. empereur des Français ». La France connaît alors une période de troubles marquée notamment par la proclamation de la Commune . en utilisant des majuscules allégoriques et des symboles comme dans la pointe : « l’Oméga ». Le 2 décembre 1852. Il conviendra d’examiner précisément avec les élèves comment naissent les images : par proximité de sonorités . La langue poétique est utilisée pour son pouvoir d’évocation. qui s’insurge contre tous les modèles pour « trouver une langue ». en font naître de nouvelles : le poète crée un monde (imaginaire) complètement indépendant du monde réel qui ne naît que du langage. jeu sur les registres. Contexte esthétique et culturel Un « poète maudit » Rimbaud est l’un des poètes que Verlaine qualifie de « poète maudit ». C’est la contrainte formelle – sonnet. C’est un poète qui commence à être connu. Rimbaud semble ainsi une incarnation de la révolte. allitérations par exemple dans « lances des glaciers ». par la poésie. qui renonce à la poésie à vingt ans pour finir son existence dans le désert du Harar… Le Second Empire À la suite du coup d’État du 2 décembre 1851. anges. dirait Bonnefoy) ce qui passe. le président de la République s’empare du pouvoir. mort à vingt-quatre ans après avoir écrit Les Chants de Maldoror. contrôle la presse et les théâtres. mais de les créer par la magie du langage. poursuit en justice des artistes comme Baudelaire (Les Fleurs du mal. La parole du poète se confond avec la voix d’un « je » qui s’efforce de rappeler à la vie ce qui menace de disparaître. la parole poétique semble. On peut toutefois préciser que « Voyelles » appartient à ce que l’on pourrait appeler le « dossier Verlaine ». Le lyrisme naît de cette voix singulière. le régime impérial traverse une période de crise. Ce sont les premiers poèmes en français de Rimbaud. lesquelles. les correspondances entre les éléments de la réalité comme chez Baudelaire. alchimie. au-dessus du réel. liberté de réunions. On notera la capacité d’invention verbale de Rimbaud qui crée un grand nombre de néologismes fondés sur une racine latine et instaure une primauté du son par rapport au sens. Le poète maudit fait de son existence une « saison en enfer » : cette métaphore de la damnation. « Voyelles » et « Alchimie du verbe ». tant par les faits divers – sa liaison avec Verlaine se termine à coup de révolver – que par ses écrits. et non pour transmettre un message ou une signification précise. point de suspension). il ne s’agit plus seulement de percevoir. date de rédaction du Bateau ivre. Napoléon III doit faire face à une opposition grandissante. ce que traduit la métaphore de l’alchimie dont le grand œuvre était de transformer le plomb en or. la poésie selon Queneau a pour but de revenir à un contact authentique et ludique avec la langue et la forme. La vie et l’œuvre des poètes maudits constituent de véritables provocations morales et esthétiques à l’égard des valeurs établies. traduit une révolte contre la société et l’idéal bourgeois qui prévaut sous le Second Empire.Écriture poétique et quête du sens par l’absence de datation de certains poèmes ou la multiplicité de dates sur d’autres – et un classement thématique. une «  bête à concours  » selon son professeur Izambard. le prince-président devient « par la grâce de Dieu et la volonté nationale. jouer sur l’hermétisme en multipliant les références au divin – mystère. vert /« viride » qui fait naître « vibrement » et lui fait écho par association. LES TEXTES DU PARCOURS Texte 1 et 2 (manuel de l’élève p. C’est le jeune homme qui envoie des lettres admiratives à Théodore Banville en lui affirmant «  Je serai Parnassien  !  ». Pour initier les élèves dans le poème à la notion de poète voyant. qui a écrit auparavant avec brio des vers latins pour lesquels il a obtenu des récompenses ! Rimbaud n’a pas souhaité publier ces poèmes sous forme de recueil et les éditeurs hésitent parfois entre un classement chronologique – rendu difficile 48 • Chapitre 3 .tations (blancs. Le Second Empire met ainsi fin à la deuxième République. « À la Musique » est par exemple une satire de la bourgeoisie. 142-143) Arthur Rimbaud. qui lui arrache des réformes une à une. « candeur » « vapeurs ». ce qui implique la modernisation de l’outillage et la transformation des réseaux de communication qui doivent devenir plus performants (c’est sous le Second Empire que le réseau ferroviaire français se développe). Parallèlement. Ainsi. liberté de la presse. Dans le texte 5. 1857) ou Flaubert (Madame Bovary. à laquelle Baudelaire recourt également. Le passage dans l’économie générale de l’œuvre Poésies réunit des poèmes écrits entre la fin de l’année 1869 et septembre 1871. 1870-1871 Problématique Dans ce sonnet. comme le comte de Lautréamont – Isidore Ducasse –. images – qui produit le sens en jouant avec les mots. Le Second Empire est le premier régime à se fixer des objectifs d’ordre économique. 1857). ensemble de quatorze poèmes confiés à Verlaine et recopiés à la main par ce dernier. jeux de mots. L’empereur jouit d’un pouvoir immense et il met en place un régime autoritaire qui n’hésite pas à recourir à la censure. Transporté dans un monde « au-delà ». parenthèses. les villes se développent et se transforment : le baron Haussmann orchestre de spectaculaires travaux à Paris. qui quitte Charleville pour le Paris des poètes et qui arrive dans la capitale au moment de la Commune. les sons évoquent des images. La France s’engage le 19 juillet 1870 dans une guerre contre la Prusse. C’est un brillant élève. sous le nom de Napoléon III. clairon. par association. avant Mallarmé. tandis que l’économie manifeste ses premiers signes de faiblesse. le grand maudit – et le suprême Savant ! – Car il arrive à l’inconnu ! Puisqu’il a cultivé son âme. elle fait naître un univers radicalement autre. mais il faut être fort. puis poète révolté et critique à l’égard de ceux qui furent ses « maîtres ». Rimbaud propose ici une nouvelle forme d’écriture. des apparences singulières . I rouge. Certaines images naissent par contraste  : ainsi les «  Golfes d’ombre  » s’opposent aux «  candeurs des vapeurs  ». Composition. dans le recueil des Poètes maudits publié par Verlaine. certaines images semblent en appeler d’autres  : «  glaciers  » annonce « frissons » bien que ce dernier terme suggère dans le vers davantage un mouvement qu’une sensation de froid. Les sons se revêtent de couleurs. Paradis artificiels. Les souffrances sont énormes. Il s’agit d’arriver à l’Inconnu par le dérèglement de tous les sens. arrivent les équivoques. Rimbaud y affirme son engagement radical pour une poésie nouvelle. successivement. b. qui exige un nouveau regard de lecteur. Pour souligner le caractère arbitraire des associations proposées. » Baudelaire. il épuise en lui tous les poisons. Chapitre 3 . d’abord fervent admirateur du Parnasse. O bleu. il les a vues ! Qu’il crève dans son bondissement par les choses inouïes et innommables  : viendront d’autres horribles travailleurs . a. à découvrir une quelconque vérité) et surtout détachée des exaltations romantiques du moi (désormais la poésie ne doit plus être « subjective ». quasi incantatoire. Juxtaposition. le poète associe une couleur de manière totalement arbitraire (« A noir. pour n’en garder que les quintessences. Des rapprochements. « L’alchimie » rimbaldienne  Si le poème peut paraître obscur au premier abord. À nouvel objectif. déjà riche. Le Poète se fait voyant par un long. nouvelle langue. une version imprimée. se faire voyant. Des oppositions. où il devient entre tous le grand malade. il finirait par perdre l’intelligence de ses propres visions. U vert. Pour accéder à «  l’inconnu  ». La parataxe du premier vers. Puis.Écriture poétique et quête du sens • 49 . il renonce à toute logique. C’est la voix du poète qui fait émerger les images. Cette période est suffisamment longue pour que l’on puisse suivre l’évolution du poète. Ce sonnet irrégulier semble être le dernier qu’ait écrit Rimbaud. plus qu’aucun ! Il arrive à l’inconnu. se plaisant à jouer avec les règles. La voix du poète n’est pas soumise à un quelconque réel. Toutes les formes d’amour. Le poème devient rapidement célèbre et suscite de nombreuses interprétations (Rimbaud se serait inspiré des abécédaires de son enfance) et débats (s’agit-il d’une recherche sérieuse ou d’une fumisterie ?). 1860. la constitution de la Troisième République est finalement votée en 1875. et je travaille à me rendre voyant […]. E blanc. L’association des voyelles à une couleur s’inscrit dans la lignée des synesthésies baudelairiennes : «  Les objets extérieurs prennent lentement. la seconde à Paul Demeny deux jours plus tard. et je me suis reconnu poète. une version manuscrite recopiée par Verlaine (« Les Voyelles »).de Paris (18 mars-29 mai 1871). les méprises et les transpositions d’idées. Les deux « Lettres du Voyant » constituent de véritables arts poétiques qui permettent de mesurer l’évolution du poète. et enfin poète résolument moderne. voyelles »). E blanc. Dès lors. de souffrance. lecteur assidu des romantiques et de Hugo en particulier. affolé. le grand criminel. immense et raisonné dérèglement de tous les sens. et quand. le régime républicain tend à s’affermir. Du bon élève au « voyant » Les Poésies de Rimbaud rassemblent des poèmes écrits entre la fin de l’année 1869 et 1871. I rouge. mais il déroge à la règle qu’il s’est lui-même fixée (enjambement de « Golfes d’ombre »). Caractérisation du passage Il existe plusieurs versions de ce poème : une version autographe. Un jeu d’association arbitraire a. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi. il cherche lui-même. pour suggérer de nouvelles images. Rimbaud recourt à la juxtaposition (lettre → mot en apposition → phrase). O bleu »). La première fut envoyée à Izambard le 13 mai 1871. b. U vert. il s’émancipe à l’égard de la versification. contraste d’autant plus remarquable que l’assonance en nasales invite au rapprochement entre « candeurs » et « ombre ». de toute la force surhumaine. être né poète. Pourquoi ? je veux être poète. » La même idée est reprise dans la seconde (voir page 136 du livre de l’élève) : « Je dis qu’il faut être voyant. c. Le poème est composé d’une seule et même phrase et progresse par juxtaposition d’images. préférant la juxtaposition à la progression. Proposition de lecture analytique I. des associations de sens ou de sons. c’est qu’il refuse la linéarité et l’expression progressive du sens. de folie  . et les couleurs contiennent une musique. Rimbaud doit inventer une langue : il mêle des termes appartenant à tous les niveaux de langue. A. On peut noter que le poète refuse les règles strictes : Rimbaud consacre un distique à chaque voyelle. On lit dans la première : « Maintenant je m’encrapule le plus possible. ils commenceront par les horizons où l’autre s’est affaissé ! » Ces deux lettres affirment la nécessité d’un renversement des principes littéraires. Au contraire. est à cet égard remarquable (« A noir. Il s’agit d’utiliser les lettres de l’alphabet pour suggérer un univers nouveau. On peut voir aussi un rapprochement entre la forme de la lettre A et le « corset velu des mouches ». B. Les associations d’images L’arbitraire n’exclut pourtant pas certains principes de composition. mais « objective »). ils se déforment et se transforment. comme entre la forme du « O » et celle du « Clairon » : les associations peuvent se faire à des niveaux très divers. Malgré des tentatives de restauration monarchique. détachée de toute mimesis (elle ne cherche plus à expliciter le monde. À chaque lettre. comme si le poème embrassait tout l’univers. c’est essayer de les pénétrer. Les poèmes suivent un mouvement de l’extérieur. cette démarche poétique. b. abondance de majuscules («  Clairon  ». S’il partage l’admiration des surréalistes pour des poètes comme Rimbaud ou Lautréamont. monde clos sur lui-même. L’image surréaliste a l’ambition de rapprocher des réalités les plus distinctes possibles  : Ponge prétend au contraire abattre ces ponts factices qui empêchent de saisir chaque réalité dans sa spécificité. On peut reconnaître le parcours du «  voyant  »  : «  le grand malade. Les associations de sons a. mise en évidence du dernier vers précédé d’un tiret. II. Cela explique pour une part l’indifférence du Parti pris des choses à l’Histoire. L’alliance de sentiments et de sensations. L’univers tout entier Le refus de la progression linéaire donne une impression de synthèse. mis en valeur à la rime. à des textes plus longs. immense et raisonné dérèglement de tous les sens  ») Par exemple. Elle va de textes courts. est évidemment très éloignée des théories romantiques sur la fureur poétique et rejette l’automatisme surréaliste. Rimbaud modifie l’ordre des voyelles. le grand criminel. souple et malléable. Patiente et modeste. puisque je n’ai pas réussi à parler moi-même. ce poème renvoie. clos sur eux-mêmes.Écriture poétique et quête du sens est métaphorisé de façon très concrète et humoristique. Il résout cette crise du langage en prenant le parti des choses (« Il s’agit pour moi de faire parler les choses. « Anges ». leur réalité concrète que doit traduire le poème. Le passage dans l’économie générale de l’œuvre Le recueil a été publié en 1942. Le « compte tenu des mots » Prendre le parti des choses. Des synesthésies. Il se heurte à l’incapacité du langage à exprimer ses pensées. parmi lesquels «  L’Huître  ». Les assonances et les allitérations comme principe d’engendrement. c’est-à-dire à me justifier moi-même par définitions et par proverbes  »). Paulhan me semblent excellents et m’ont fait découvrir dans le recueil plus peut-être que ce que chaque poème comporte  ». Contexte esthétique et culturel Une écriture en marge des courants littéraires L’écriture de Francis Ponge semble se déployer en marge des courants littéraires. s’il condamne. Bibliothèque de la Pléiade. C’est son mentor. libérées des aléas de l’actualité. et trouve sa place dans Le Parti pris des choses. Le « parti pris des choses » Après avoir écrit son premier recueil. 144) Francis Ponge. il n’a pas en revanche organisé le recueil. 895). « Mondes ». est soigneusement réfléchie. Mais «  l’huître  » est aussi une métaphore du poème. Le caractère inouï des images vient aussi des personnifications qui permettent d’allier sensations et sentiments. si Francis Ponge a bien écrit tous les poèmes. « L’Huître ». Une des particularités de ce recueil tient au fait que. de manière à terminer par le «  O  »  : son poème va ainsi de l’alpha à l’oméga. Le Parti pris des choses. et ce d’une manière extrêmement précise. Il ne souhaite pas en effet magnifier le réel par la beauté de l’image poétique mais en cerner la rude réalité. « Ses ») : solennité particulière. qui annoncent la suite de l’œuvre de Ponge. Le Parti pris des choses. Des harmonies imitatives. De même. il se détache pourtant très tôt de ce courant qui l’a tenté à ses débuts. mais les poèmes ont tous été écrits entre 1924 et 1939. 1942 Problématique À un premier niveau. d’autant que les images peuvent rappeler le Jugement dernier. « ivresses »). Mais cette quête du sens explore toutes les ressources du langage. p. La dernière strophe a une dimension mystique. jettre à Jean Tardieu. b. Ponge connaît pendant un temps une crise de l’expression. comme eux. Trois derniers vers isolés. L’assonance en [è] aux vers 7 et 8 peut faire entendre le « rire » évoqué au vers 7. qui ne rencontre aucun succès. « sang craché ». même si on peut aussi y voir le désir de formuler des définitions générales. Rimbaud recourt aux synesthésies dans les images qu’il fait naître (cf. vers l’intérieur. Texte 3 (manuel de l’élève p. Cela ne signifie pas pour autant que l’homme est totalement absent de son œuvre : le « gymnaste » par exemple est considéré comme une matière en mouvement. qui s’en est chargé avec l’accord de l’auteur qui écrit : « Le choix et l’arrangement de J. Jean Paulhan. de glisser du concret à l’abstrait (« puanteurs cruelles ». de la surface. la Lettre du Voyant : «  un long. le lyrisme romantique. La construction du recueil. fondée sur un travail ingrat. La clé pour aller s’enfoncer dans les . comme l’indique le titre du recueil. b. il part de l’absence de couleurs (« noir ») à l’extrémité du spectre visible (« violet »). partant des images nouvelles. « Oméga ». Les trois premières strophes évoquent la décadence et la débauche (« puanteurs ». qui place « L’Escargot » au centre. à la pauvreté d’une langue dénaturée par son usage quotidien. citée dans les Œuvres complètes de Ponge. tactiles et visuelles (« vibrements divins des mers »). Vers un univers mystique et absolu a. et le travail du poète 50 • Chapitre 3 . récurrence des trois sons [vi] et [r] qui suggèrent le « cycle » et surtout conduisent à la création de l’adjectif « virides ». de l’origine à la fin. aux « choses  » : c’est leur matérialité même. « ivresses pénitentes »…). C. le grand maudit – et le suprême Savant ». Au vers 9. Il se fera donc le porte-parole d’un monde muet que l’homme a – faussement – le sentiment de dominer. À la manière de Baudelaire et de ses « correspondances ». Correspondances a. Les échos sonores créent une musique qui conduit le poète à composer des mots nouveaux. B. sensations olfactives et sonores (« Qui bombinent autour des puanteurs cruelles »).C. Les paysages de la voyance A. allitération en [c] qui traduit la violence de la procédure : « curieux ». Voici certaines de ses remarques : « [Le poème] se divise sur la page en trois paragraphes. dont l’axiologie est négative. Le «  parti l’huître pris des choses » : à la découverte de Ponge lui-même affirme que la structure de son poème est signifiante. Le second. A. radicalement neuves. ne peut percevoir. » Cité in Philippe Sollers. d’art poétique. on l’a dit. Ainsi. […] Eh bien. « enveloppe »).jeu sur des expressions toutes faites («  à boire et à manger ») . b. allitération en [tre] («  huître  ». Entretiens avec Francis Ponge. . accumulation de verbes d’action : « tenir ». . c. « opiniâtre »). « s’y coupent ». le seul fait d’agencer un mot de coefficient positif comme « brillant » et un mot de coefficient négatif comme « blanchâtre » nous fait sortir du lieu commun. ses commentaires qui se mêlent à la description poétique. est affecté d’un coefficient négatif. « s’y reprendre ». Ponge ici remet en cause l’imagerie romantique du poète inspiré. son étymologie… Il s’agit pour le poète de motiver le lien entre le mot (sa graphie. B. dernier poème du recueil). évidemment. péjoratif. La perle Paragraphe plus court parce que la perle est « rare » et qu’elle occupe moins de place dans la coquille que le mollusque. bien sûr. « firmament ». L’extérieur a. « visqueux et verdâtre ». comme beaucoup de mots se terminant en « âtre ». « mare »). «  blanchâtre  ». Le travail qui donne accès à la perle est un travail laborieux (emploi du modalisateur « peut » . c’est une attention particulière au langage. « à boire et à manger ». que l’homme. « flue et reflue ». Fluidité du « monde » intérieur exprimée par la fluidité d’une seule et même longue phrase et par la récurrence du rythme binaire (« à boire et à manger ». il faut donc la prendre en compte. L’huître comme un microcosme (« cieux ». beaucoup plus court. Mais l’ouverture de l’huître peut aussi être la métaphore de la lecture. et le troisième. Francis Ponge commente luimême son poème. Le lecteur au travail. Et en même temps. L’intérieur a. Le travail de l’artisan a. chaque poème tient à la fois de la définition et de l’objet d’art. il est à la fois science et littérature. Proposition de lecture analytique I. dont l’axiologie est positive) . Premier paragraphe consacré à l’extérieur de l’huître (« apparence ». Le Seuil. b. A. «  blanchâtre  ». « cassent ». Définition par approximation : comparaison avec le « galet » (cf. « gosier ») qui invite à lire le poème comme un art poétique.J’emploie des expressions très courantes «  tout un monde ». Alliance de sensations agréables et désagréables (« nacre » vs « visqueux et verdâtre » . le point de départ du poète peut être aussi bien les sensations produites par la chose décrite que sa définition (l’un des outils de Ponge est le Littré en quatre volumes). qui se trouve à l’intérieur de mon texte. Le poète au travail. « s’y cassent » . Caractérisation du passage Poser la question des droits… Au cours d’entretiens radiophoniques avec Philippe Sollers au printemps 1967. il s’agit de la formule au sens d’un bref énoncé […] J’entre ici évidemment dans le… dans la signification profonde. est associé à « brillamment ». « coups »).Écriture poétique et quête du sens • 51 . elle est « adéquate à l’objet ». du point de vue du volume […] que l’huître elle-même.jeu sur l’axiologie des mots  («  blanchâtre  ». Pour cela. La forme fait sens. Le « compte tenu des mots » : un art poétique Champ lexical de la parole dans le dernier paragraphe (« formule ». Mais les poèmes en prose qui composent Le Parti pris des choses invitent également le lecteur à en faire une lecture allégorique : les interventions du locuteur. « coupent ». Le mot « huître » est disséminé dans le paragraphe : récurrence de l’accent circonflexe.«  Brillamment  » est affecté d’un coefficient positif (comme valeur morale […] ou esthétique) […] Au contraire. la perle qu’on y trouve parfois  . souvent aveuglé par des passions qu’il ne maîtrise pas. « dentelle » vs « noirâtre »). Le lecteur ne peut avoir accès à la perle qu’au terme d’un travail exigeant (« plusieurs fois »). Le premier décrit l’huître close et la façon de l’ouvrir. Comment re-nourrir l’homme ? Tout d’abord. II. « Re-nourrir l’homme » «  Notre raison d’être est de nous retourner décidément vers le monde (parti pris des choses) pour y re-nourrir l’homme » (Pour un Malherbe. . C. sa prononciation) et la chose. le troisième parce que la perle est proportionnellement beaucoup moins importante. « se servir ».jeu sur la polysémie (« formule ») .profondeurs des choses. l’intérieur de l’huître. essai publié en 1965).attention à la matière visuelle des mots (récurrence des accents circonflexes) Chapitre 3 . tendent à rapprocher la définition d’une fable morale. b.Qu’est-ce qu’une formule  ? C’est une petite forme. beaucoup plus court et qui ne fait que deux lignes. Lien entre l’intérieur et l’extérieur établi par la répétition de « monde ». B. en lui offrant d’éprouver des sensations inouïes. Deuxième paragraphe consacré à l’intérieur de l’huître (« À l’intérieur »). et doit pouvoir donner au lecteur accès tant à « l’épaisseur des choses » qu’à « l’épaisseur des mots ». 1970. les jeux de mots et les termes polysémiques qui adjoignent des considérations morales à la description. « à l’odeur et à la vue »). il faut être attentif à la spécificité de ce dont on parle : nulle règle préconçue ne peut être admise dans cette entreprise ! Ainsi. mais je les emploie en leur redonnant toute leur force. Redonner « force » aux mots et aux expressions Le poème met en évidence plusieurs procédés pour redonner toute leur force aux mots : . intitulée « Paroles dans l’air » (éd. On pourra également établir un rapprochement avec un poème d’Yves Bonnefoy. Il se déclare également fasciné par un autre poète majeur. Contexte historique et culturel En effet. reste fidèle au vers tout en déplaçant. une importante activité de critique et de traducteur. Ils sont contemporains d’un moment essentiel du parcours créateur du poète vaudois : son installation dans le village de Grignan dans la Drôme où il découvre la beauté d’un paysage à la fois lumineux et austère. Philippe Jaccottet. parue en 1957 à Lausanne. » Le poète peut donc. Des sensations mêlées : visuelles et tactiles (« apparence plus rugueuse »). originale Gallimard p. en prose. pélican et l’albatros. les grands thèmes traditionnels. Jaccottet. La variété formelle ne se sépare pas d’un certain classicisme. Dans le poème qui nous occupe. Le poème dans l’économie générale de l’œuvre Les poèmes qui composent L’Ignorant ont été écrits entre 1952 et 1956 et publiés en recueil en 1957. et rapproche son inquiétude des allégories précédentes de Musset et Baudelaire. Comme L’Ignorant. « l’appauvri ». visuelles et olfactives (« à l’odeur et à la vue »)… B. « l’ignorant ». Il date de L’Effraie (1953). est resté proche toute sa vie du poète lyrique vaudois Gustave Roud (1897-1976) dont les poèmes. On pourra aborder ce poème en le confrontant avec le texte liminaire de Cahier de verdure. Jaccottet qui est. mais qui se méfie des astuces techniques et de la grandiloquence qui le gênent quelque peu chez René Char. Celle-ci illustre d’ailleurs de ses dessins une des premières œuvres en prose de Philippe Jaccottet. proposé dans les «  Éclairages  ». par exemple. L’alexandrin régulier domine encore mais l’influence de l’écriture fragmentaire qui ira en s’accentuant est déjà perceptible. Des sensations contrastées : « brillamment blanchâtre ». Texte 4 (manuel de l’élève p. ici. 1957 Problématique Face à un monde dont le sens lui échappe et qui semble déserté par les dieux.attention à la matière sonore des mots (allitérations et assonances). 37) est lié à sa capacité de traduire l’originalité propre à la poésie de Jaccottet : . avec une prudence et une délicatesse qui expliquent le titre du recueil. être assimilé à l’effraie. de longueur très inégale. L’hermétisme de certains créateurs comme Saint-John Perse. Le choix de ce poème qui ouvre la deuxième section du recueil. « ronds blancs » vs « noirâtre » . c’est clairement le poète qui interroge en sourdine et le monde et sa propre écriture : le poème est caractéristique du « lyrisme réflexif » qui. in Les Planches courbes p. qui rejette tout volonté d’hermétisme et poursuit. en compagnie de sa femme. « firmament […] de nacre » vs « visqueux et verdâtre »… b. qu’il ne rencontre qu’une seule fois. 145) Philippe Jaccottet. L’Ignorant. L’Ignorant. ce recueil se situe dans une période où la poésie cesse de vouloir transformer le monde. se montre sévère pour ses premiers écrits. « Le Travail du poète ». «  Dans le leurre des mots ». Au moment où il écrit L’Ignorant. dont l’œuvre entrera prochainement dans la Bibliothèque de la Pléiade. 77-78 jusqu’à « Aujourd’hui dans les ruines de la parole ». traitent avec un rayonnement secret. Philippe Jaccottet aborde les thèmes traditionnels de la poésie lyrique – la nature. Ce terme qui désigne un oiseau rapace nocturne. la mort. La Promenade sous les arbres. à la fragilité et à l’évanescence des choses et des êtres dont la poésie peut faire briller un instant l’éclat.un travail très conscient des ressources techniques de la poésie qui. l’amour –. ce premier recueil tire son nom d’un poème isolé dans le recueil. Mise en évidence du dernier segment de la dernière phrase : qu’on peut lire comme une critique discrète de l’orgueil du poète. On pourra donc orienter la quête du sens en creusant ce que signifie chez Jaccottet le terme « appauvri » : ce terme connote la fonction du poète que l’on pourrait presque qualifier de « dialectique  » car il exprime conjointement la nostalgie d’un sens perdu et la capacité à s’approcher au plus près d’une vérité et d’un bonheur éphémères. avec Michaux. On note la récurrence des tournures . met un nom sur l’angoisse métaphysique du poète. influencé par Hölderlin et sa vision d’un monde déserté par le sacré. Comme beaucoup de poètes. sa véritable entrée en 52 • Chapitre 3 . Pierre Reverdy ou René Char tend à réduire l’audience de la poésie à un cercle de lecteurs plus restreint qu’à l’époque des grands déferlements surréalistes. L’objet comme sources de sensations inouïes a. auteur de Gravitations (1925) et d’Oublieuse mémoire (1948). Thèmes et motifs du poème « Le Travail du poète » On peut retrouver l’ensemble de ces motifs en proposant une lecture de l’ensemble du recueil qui comporte vingt-sept poèmes. souvent en prose. Le reflux très net du surréalisme après la Deuxième Guerre mondiale laisse la place non à des courants mais à des recherches individuelles. selon Jean-Michel Maulpoix habite la poésie contemporaine. l’enfance. et qui est sensible comme lui. parallèlement à la création poétique. La description comme un discours moral Non seulement le poème peut apparaître comme un art poétique mais il peut aussi apparaître comme une maxime morale. Jules Supervielle. en inquiétant légèrement les mètres et les formes traditionnels. le poète qui a suscité le plus de thèses et de travaux critiques. qui le fait connaître à Paris après sa formation littéraire et ses débuts à Lausanne. « Re-nourrir l’homme » A.. le peintre Anne-Marie Haestler. III.Écriture poétique et quête du sens poésie. dans ce premier recueil. est reconnu depuis longtemps tout en restant en retrait. II. il est proche de poètes comme Yves Bonnefoy et André du Bouchet qu’on considère aujourd’hui comme les poètes de la présence. Il écrit alors « Toute poésie est une voix donnée à la mort. 9-19) qui révèle « le monde » et permet au poète de sauver « ce qui scintille et va s’éteindre ». qui définit l’univers poétique de Philippe Jaccottet. 146) Raymond Queneau. passe par un travail sensuel et virtuose sur la langue. moins je possède et moins je règne. un « roman en vers ». Il exprime l’angoisse et l’inquiétude de tous en affirmant en sourdine les pouvoirs de la poésie qui. il écrit des poèmes. la nuit et l’ombre (v. charnel et affectueux. Le poète est constamment en train de rectifier. Texte 5 (manuel de l’élève p. ses études de philosophie et une vocation littéraire en quête d’affirmation. invoquée comme une « dame » (v.l’effacement : c’est dans ce recueil qu’apparaît le vers fameux « l’effacement soit ma façon de resplendir ». être dits avant d’être écrits » et tous ses écrits intègrent la force première de la langue parlée dont il repère le modèle dans l’œuvre de Céline. à treize ans.les contrastés de la lumière et de la nuit : régulièrement invoquée. le poète est chez lui premier.l’ignorance consentie sinon volontaire. Chêne et Chien (1937) qui se prête. Né avec le XXe siècle. rapproche cette posture de celle de Montaigne qui affirme : « Je parle enquérant et ignorant. 21-22). du rapport vivant. des romans et des poèmes tout en subissant durement le choc de la Première Guerre mondiale qui assombrit sa jeunesse. 29-21) échappent au temps et. révèlent l’inconnu. Mais tandis qu’il creuse cette veine. Jean Starobinski. 10-15). Il écrit ainsi dans une note de La Semaison : « Le poème nous ramène à notre centre. présentée comme une démarche. Queneau fonde toute sa création sur le rapport avec les mots dont il rappelle la vocation première. Dans le recueil comme dans le poème. notamment Jacques Prévert. Breton et ses amis. la rencontre avec le surréalisme libère en lui une capacité de création qui va se tourner vers le travail sur la langue. celle d’un homme et d’un écrivain polymorphe et polygraphe qui ne s’inféode à aucune école avant de créer avec l’OuLiPo le lieu de toutes les inventions. « La Chair chaude des mots ». Bien qu’il ait – et avec lui l’OuLiPo – rejeté ce passé et cette technique « qui n’a jamais produit soit que des élucubrations d’une répugnante banalité. Le « je » qui s’exprime ne traduit pas seulement les émotions personnelles du poète. Il s’agira donc de montrer comment cet art poétique original prolonge et radicalise le combat des romantiques contre le carcan des formes fixes tout en exploitant justement le sonnet. malgré l’angoisse. Le poème dans l’économie générale de l’œuvre Si le talent d’encyclopédiste. se présente directement comme un art poétique. . immortalisé par les célèbres Exercices de style (1947) mais la légèreté voulue du propos cache une inquiétude et une angoisse existentielle profonde. en prose comme en poésie. Queneau subit le choc surréaliste. au moment où la mécanique surréaliste l’agace. Le Chien à la mandoline est une de ses dernières œuvres à adopter la facture apparemment traditionnelle du recueil. soit que des « textes » affligés dès leur naissance des tics du milieu qui les pondit. contemporain du fameux «  Si tu t’imagines ». une forme de connaissance qui se nourrit de ses propres incertitudes. entretenu par l’écrivain avec les mots. 1958 Problématique Ce poème. C’est peu après sa rupture avec Breton. » . . du lyrisme traditionnel. qui. » . dans un rythme binaire qui traduit une constante de cette poésie où se côtoient «  l’évidence du simple et l’éclat de l’obscur » selon le mot de Jean-Claude Mathieu.   . rencontre. Fin 1924.Écriture poétique et quête du sens • 53 . à une question métaphysique. Infatigable inventeur. dans une proximité avec les mots qui a pour conséquence le refus du verbiage. véritablement « récupéré » dans un registre humoristique et familier. C’est de cet effacement que naît le « chant » dont la possibilité est inlassablement interrogée par le poète. d’inventeur verbal de Raymond Queneau (1903-1979) s’est épanoui dans ses romans et ses écrits théoriques. Mais il ne se situe pas comme Char ou même Bonnefoy dans une perspective directement métaphysique ou sous l’influence de Heidegger : il ne se considère pas comme le « berger de l’Être ». du bavardage. de nuancer sa perception sensible du monde. en détournant les codes de l’épopée. à partir de 1927.la fonction du poète.la fonction réflexive de l’écriture particulièrement illustrée par ce poème. exprimé en ces termes dans le roman Odile (1937): Chapitre 3 . Yves Tanguy et Marcel Duhamel et découvre l’écriture automatique. Queneau cherche avant tout à exploiter les ressources de la langue classique pour la mieux la bouleverser en lui restituant sa vigueur créative. ». que le déclic s’opère : il conçoit l’idée d’une littérature fondée sur l’opposition qu’il sent entre la langue parlée et la langue écrite qui s’exprime dans son premier « roman-poème » Le Chiendent (1933) qui paraît un an après le Voyage au bout de la nuit de Céline (1932). son «  travail  » qui est de «  veiller  comme un berger » et de recueillir les bribes de sens qu’il peut s’approprier. Le Chien à la mandoline. mis en musique par Joseph Kosma et chanté par Juliette Gréco devint très populaire. à une écriture en octosyllabes et à une division en chants. des modalités restrictives. du conditionnel. La quête du sens. Tout en refusant d’adopter le ton noble de la tradition lyrique. . Queneau s’est trouvé soumis à toute une série d’influences : c’est un bon élève et un écrivain précoce qui a déjà écrit.la permanence du motif de la mort et de l’absence qui semble interdire la quête du sens et en même temps en aiguise la recherche car « elle est l’aliment de la lumière inépuisable ». recueille fugacement mais dans un éclat intemporel le sens de la vie. la lumière est appelée. Le jeu sur le langage qui est à l’origine d’une œuvre immense et virtuose part en effet. « La Chair chaude des mots » s’inscrit avec humour dans un aspect fondamental de son esthétique : le refus de l’inspiration et de l’abandon à l’inconscient. à notre souci central. extrait de L’Instant fatal (1952). » L’ignorance apparaît comme une posture dynamique : « Plus je vieillis et plus je croîs en ignorance/ Plus j’ai vécu. (« juste » « assez » v. Cette relation se veut sensuelle et concrète. interrogatives (v.dubitatives. La dimension philosophique naît du lyrisme et ne le précède pas. loin de se contenter de chanter. chez cet écrivain. 1978. coll. Frémond. 2006. coll. « Parcours de lecture ». 2001. 2009. coll. Le peintre s’est représenté dans son atelier. Le Parti pris des choses suivi de Proêmes de Francis Ponge. • Bernard Veck. Poésie/Gallimard. 1994 Autres recueils de Philippe Jaccottet • Poésie. et dotée d’un diadème décoré d’un œil. Points-essais. est repliée sur elle-même : elle pourrait représenter le caractère ferme mais introverti du personnage. Le Parti pris des choses. Poésie Gallimard. on pourra faire appel à : www. coll. vêtue à l’antique. est très légèrement tournée. le deuxième est dissimulé par cette première toile. • Arthur Rimbaud. 1971. 1967. Œuvres complètes. Le poème : quelques approches possibles : . ce qui rend sa posture plus dynamique. 1999. qui tient un portefeuille et qui porte une bague. « Folioplus classiques ». • extraits de l’Entretien de Francis Ponge avec Philippe Sollers (Seuil) pages sur «  L’huître  » : www. On n’en voit qu’un fragment.Jeu sur la forme classique du sonnet . « le cycle des saisons » in Le Parti pris des choses.fr/ education/ressources/ens-brancusi/ BIBLIOGRAPHIE Éditions des textes • Francis Ponge. Rimbaud ou l’éclatant désastre. on distingue un tableau tourné contre le mur. on peut repérer dans cet autoportrait toutes les étapes de la création artistique : le peintre commence par des esquisses (rangées dans le portefeuille). édition de L. Poésies. L’interprétation 1. coll. Pourtant. Gallimard. 1650 De même que l’on a étudié comment le poète pouvait lui-même appréhender son art.« Le vrai poète n’est jamais “inspiré” : il se situe précisément au-dessus de ce plus et de ce moins. « Pochothèque ». 2003 • Christine Bénévent. coll. Cette œuvre de 98 cm sur 74 est exposée au musée du Louvre. la main droite (le peintre est donc sans doute droitier et s’observe dans un miroir). Œuvres complètes. . Lire « Le Parti pris des choses » de Ponge.doc PROLONGEMENT ICONOGRAPHIQUE Nicolas Poussin. coll. Dunod. • Arthur Rimbaud. Le premier tableau est caché par le corps de Poussin. il est malade et il vient de perdre plusieurs êtres proches : cela explique la tristesse qui émane de son visage. chez Ponge. 1991. Gallimard-Poésie. Champ Vallon. de face. Gallimard • À la lumière d’hiver. Dans la partie supérieure de la toile. José Corti. 1984. 1994 • Et. venue de la gauche du tableau accentue les traits du visage. Guyaux. il a 56 ans. l’évidence du simple et l’éclat de l’obscur. II. coll.Reprise d’un combat ancien contre le mythe de l’inspiration et de la fureur poétique Pour commenter l’arrêt sur image (manuel de l’élève p. Poésie et À la lumière d’hiver. mise en valeur. Bréal. 2009. « Philippe Jaccottet » in Onze études sur la poésie moderne. 1997. puis il passe un apprêt de . On ne voit qu’une seule main. Gallimard. Le Parti pris des choses. Beugnot. 2. • Danièle Leclair. « Découverte ». 1946-1967. « Bibliothèque de la Pléiade ». Gallimard. Les différentes étapes de la création On peut être surpris par l’absence de matériel de peinture sur le tableau : pas de palette ni de pinceaux. De plus. • Francis Ponge. édition de B. Sa tête. L’arrière-plan Il est composé de différents tableaux. L’élément central : le peintre Il se présente en buste. néanmoins : prose et poésie. l’heure de la fuite. identiques pour lui. Folio. Gallimard. « Foliothèque ».centrepompidou. Ouvrages critiques • Jean-Pierre Richard. datant de 1650. édition de P. Dignité et discrétion Lorsque le peintre fait son autoportrait. la main du peintre. Gallimard. que sont la technique et l’inspiration. • Arthur Rimbaud. Forestier. qui représente une dame blonde. édition de É. Rimbaud.Écriture poétique et quête du sens Textes complémentaires • Sur la création. NRF. 2. 147). Œuvres complètes. Le Livre de Poche.Jeu sur l’intertextualité : reprenant sous la forme du sonnet le titre donné par Verlaine au poème qui célèbre la beauté de l’impair. « Bibliothèque de la Pléiade ». La lumière rasante. tome 1. de trois quarts. • Jean-Charles Gateau. la bague qui orne la main du peintre apparaît moins comme un signe de richesse que comme le symbole de la pureté et de la force de Poussin. réédition 1990 • Airs. I. « Les Essais ».vd. Philippe Jaccottet. coll. au centre de la composition. le poème se présente comme une série de conseils en forme d’art poétique. 54 • Chapitre 3 .ch/ docs/792/Ponge_analyse_Ponge. • Pierre Brunel. « Foliothèque ». » Le contexte historique et culturel On pourra se reporter à ce qui concerne Francis Ponge dont Queneau est le contemporain et l’ami. 1964. 1995. Seuil. Autoportrait. édition de A. Il faut toutefois rappeler que l’autoportrait pose un problème technique spécifique : comment peindre et poser en même temps ? Nous étudierons un des autoportraits de Nicolas Poussin (1594-1665). commentaire. Description 1. Gallimard.gymnyon. Brunel. Bertrand Lacoste. on peut étudier un autoportrait qui permet au peintre d’exprimer la manière dont il envisage l’art pictural. 2000. • Alain Borer. Poésies d’Arthur Rimbaud. • Jean-Claude Mathieu. Le décalage entre les deux tableaux crée une fine ligne qui souligne les yeux du peintre. 1999. Ouvrages critiques • Sophie Bogaert. « Connaissance d’une œuvre ». Dans cette perspective. nuancée ou corrigée par les choix formels. on se trouve à la frontière entre la poésie de commande et le lyrisme personnel. qu’il choisisse la solitude ou qu’il soit exclu de la société. déplacée. dès le xviie siècle. tantôt comme le fruit d’un travail acharné. allons voir…  ». en particulier l’opposition entre les deux quatrains et les deux tercets. Poésies (1887). se charge-t-il d’une signification particulière : son retour obsédant au vocatif. Dans le texte 1. on pourra dégager l’impression paradoxale de vérité propre à ce sonnet et la relier à une réflexion sur la poésie comme expression de l’universel. ici la mode du sonnet. Il conviendra aussi d’insister sur la dimension argumentative du texte en soulignant l’importance du système d’énonciation. Parcours 2 Forme. « Vœu » • Du Bellay. « Brise marine » Ce parcours complémentaire vise à proposer une vision diachronique du poète au travail et une réflexion sur la manière dont il envisage sa place dans le monde. liée à la peur de la perte de l’inspiration. où est maintenant ce mépris de Fortune ? » • La Fontaine. sur les conditions tragiques d’écriture du poème. Le diadème orné d’un œil que porte la jeune femme blonde en fait une allégorie de la peinture. Dans le texte 2. l’autoportrait de Nicolas Poussin permet à l’artiste de faire une réflexion sur soi mais aussi sur son art. il conviendra d’attirer l’attention des élèves sur le rapport paradoxalement fécond entre une forme extrêmement codifiée et l’expression d’une forte subjectivité qui donne au lyrisme – qui désigne alors seulement l’accompagnement musical – un accent personnel. esthétique surtout. « Monsieur Prud’homme ». L’étude du texte 4. Le poète se représente comme un être solitaire. de Queneau). « Nuit de mai » • Hugo. Ce texte permet de travailler sur la forme du sonnet régulier. l’image de la fleur renvoyant à la caducité de la beauté. «  Harmonie du soir  » devrait permettre de tordre le cou à quelques idées reçues Chapitre 3 . «  La Cigale et la fourmi » • Musset. fuyante. PARCOURS COMPLÉMENTAIRE • Ronsard. Le texte 3. la déploration de la fuite du temps. la critique du conformisme bourgeois (qu’on trouve chez Flaubert dans le roman) à travers la forme « noble » d’un sonnet en alexandrins. qui se trouve ici en écart par rapport à la norme : rimes provoquant des effets comiques. On pourra confronter l’aisance avec laquelle le poète se joue de l’exercice littéraire avec la tradition véhiculée par Marot. Les Fables. oppositions burlesques entre noblesse du rythme et prosaïsme. Villon y ajoute des éléments fantasmatiques qui lui sont propres et dont la morbidité tient sans doute à sa connaissance – que nous ne pouvons partager – de la ville médiévale et des bas-fonds de la société. 151-161 PROBLÉMATIQUE Alors que le premier parcours est tourné du côté du poète et de ses choix. prophétique. Le poète assigne des fonctions variées à la poésie : politique. dans le registre de la satire ou sous l’angle de l’art poétique (voir dans le parcours 1. Les Châtiments (1853). Les Amours (1555). « La ballade des pendus ». nombre important de diérèses destinées à ridiculiser le sérieux et la gravité du personnage… Ici la poésie se met au service d’une argumentation. « Je vous envoie un bouquet ». 1 (1668). éphémère. «  Las. l’adresse formulée à un « frère « chrétien » à une époque où la foi ne se discute pas. Le Chien à la mandoline. Ainsi le refrain en forme de prière qui fait pourtant partie des contraintes d’un genre populaire apparemment superficiel ou convenu. crée un pathétique qui contraste avec le naturalisme lié à la description du supplice et de ses effets. Cette « épitaphe » est un premier exemple de détournement des formes héritées puisque Villon associe deux regitres apparemment antinomiques. I. On travaillera sur le lien entre la solennité de la forme et la gravité ridicule du personnage. qu’il se sente inadapté à la vie sociale ou supérieur aux autres hommes. Baudelaire. Poésies nouvelles (1835-1841). Les Regrets (1558). Ronsard. et d’un type de lyrisme totalement formalisé autour de thèmes récurrents comme le carpe diem. à la volonté du commanditaire.couleur neutre sur la toile (tableau de droite) avant de peindre son sujet à proprement parler (tableau de gauche). mis à la mode par Pétrarque. instable. donne un bon exemple de la manière dont la fortune des formes régulières comme le sonnet a été assurée par toute une série de détournements et de réécritures qui sur le mode parodique. il entrepose enfin sa toile avant l’exposition (tableau retourné au fond). « France. De cette omniprésence de la forme. Ce sera l’occasion d’un travail d’histoire littéraire qui mettra en évidence la fécondité de la contrainte qu’elle soit liée au goût du temps. cette nouvelle approche explore la façon dont le créateur se saisit des formes héritées et des contraintes qu’elles supposent pour les intégrer à sa propre quête du sens dans un discours poétique dont la signification est alternativement amplifiée. Ainsi. le discours galant. L’écriture est souvent associée à une forme de souffrance. Deux traditions s’opposent quant à l’inspiration : elle apparaît tantôt comme un don divin. ou à un credo esthétique : dans le cas de Ronsard. les trois éléments sont présents. contrainte et invention Manuel de l’élève pp. et sur celle du dernier vers qui donne son sens à l’ensemble du texte. à l’heure où tu te prosternes » • Mallarmé. Verlaine. admirateur de Villon. et la singularité du dernier vers qui vient souvent donner au poème un sens en forme de chute.Écriture poétique et quête du sens • 55 . On pourra comparer ce poème avec « Mignonne. ostensoir). notamment par l’intermédiaire des musées historiques de Bâle et de Berne qui possèdent de très vastes ensembles très bien conservés. Le motif de la «  danse macabre » fondé sur l’idée de l’effacement des rôles et des hiérarchies sociale devant la mort est très prégnant dans la peinture du XVe siècle. Je n’ai jamais appris à écrire ou les incipit. nullement dramatiques. On pourra exploiter les ressources de l’iconographie. renvoyant à deux significations opposées : les larmes de regret et le sentiment de libération éprouvé lorsque les liens du souvenir se dénouent : l’image (concrète) est le seul point de rencontre entre les deux abstractions. « Je me souviens » est ainsi un texte hors genre dit à « démarreur » dont on pourra rapprocher le principe d’écriture de l’ouvrage d’Aragon. LES TEXTES DU PARCOURS Texte 1 (manuel de l’élève p. 152) François Villon. exercice inspiré par la psychanalyse. à travers notamment de vastes ensembles qui détaillent la réunion dans cette sinistre farandole de tous les grands de ce monde. le pantoum produit un effet hypnotique qui semble inscrire dans l’éternité un moment mystique appelé à se figer dans la perfection du poème et à refléter une image de l’Idéal. un énoncé performatif . Georges Pérec fait de cet exercice une contrainte en s’imposant de ne choisir parmi ces faits insignifiants que ceux qui appartiennent à la mémoire collective des années 1960 et non à son expérience per56 • Chapitre 3 . le prosaïque. 6/4 et le fonctionnement sur quatre rimes pour montrer le caractère obsédant de ce rythme. On travaillera sur le rythme du décasyllabe 4/6. du joyeux anarchisme des « inventaires » de Jacques Prévert. Le texte lui-même est provoqué par une double contrainte  : à celle qui suppose que chaque phrase commence par la formule « je me souviens » s’ajoute celle de l’anamnèse. Par sa mélodie répétitive et obsédante. » Le texte 6 conclut logiquement le parcours en montrant comment. en même temps.la prière sur le mode litanique. comme si je me souvenais du temps lui-même et seulement du temps (…) ». . Elle nous introduit dans une logique de l’image et du symbole qui n’est pas la logique ordinaire et qui préfigure la poésie surréaliste.le recours à la prosopopée . La poésie d’une telle forme qui emprunte son sujet au quotidien le plus prosaïque naît d’une musique intérieure : derrière cette « belle absente » qui n’est pas ici la lettre « e » comme dans La Disparition mais l’effusion personnelle.sur l’esthétique baudelairienne qui se nourrit de diverses influences mais emprunte aussi à de très nombreux modèles sur un mode très technique.La « ballade » sous sa forme de grande ballade renvoie à la chanson populaire mais surtout à la danse dont le sème est contenu dans le terme « baller ». la pluie dont il est question dans le texte est une pluie « métaphorique ». Villon semble associer en jouant sur les contrastes une danse morbide.la mise en hypotypose d’un spectacle terrifiant . le poète est rompu à la versification. mise à la mode par Hugo (voir manuel de l’élève p. mais en même temps. entre l’écriture et le blanc. Apollinaire. Le poème dans son contexte : une variation sur les motifs de la danse macabre et du Memento mori. On peut travailler sur la dialectique de l’abstrait et du concret recouverte par cette page : le langage devient figuration concrète. Dans le texte 5. le quotidien. « Il pleut ». chez Pérec comme chez les Oulipiens – aussi bien en prose qu’en poésie – le sens naît d’une contrainte choisie de façon aléatoire (ou fondée sur des règles mathématiques). On pourra commenter avec les élèves. archaïque. une réflexion de Paul Claudel dans Réflexions sur la poésie : « Le rapport entre la parole et le silence.Écriture poétique et quête du sens sonnelle. Lauréat du concours général pour sa production de vers latins. Avec ses répétitions et ses refrains. Du poème à l’argumentation  : des outils rhétoriques : . Elle se rattache à l’univers des fêtes de cour et des jeux poétiques. détourne la modernité. « Ballade des pendus ». en relation avec les sources figuratives de l’écriture.L’« épitaphe » un petit poème. et la conception de la beauté et de la poésie chez Baudelaire. sous l’angle de l’analogie. comme le livre est celui de la prose. qui fait travailler la mémoire exclusivement sur de micro-souvenirs liés à des perceptions fugaces et quotidiennes.l’appel à la sympathie par la communion dans l’horreur . essentiellement visuelles et sonores. Plusieurs formes héritées s’y croisent : . On pourra en rapprocher l’humour et l’ironie. ce poème : «  Épitaphe en forme de ballade que fit Villon pour lui et ses compagnons. celle des cadavres qui se balancent au bout de la corde et l’harmonie musicale d’une danse de cour dans une inversion carnavalesque des valeurs parfaitement ancrée dans l’imaginaire du XVe siècle. reposoir. et c’est pourquoi la page est son domaine propre. c’est la quête du sens à travers la correspondance quasi totale entre le fond et la forme. Cette conception de la poésie est à la fois extrêmement moderne et. Roland Barthes souligne d’ailleurs que « l’anamnèse ne retrouve que des traits insignifiants. même si elle cesse d’être chantée à la fin du XIVe siècle. le poème à démarreur véhicule la nostalgie du monde de l’enfance. est la ressource particulière de la poésie. 1462 Jeu sur des thèmes morbides ou œuvre personnelle : C’est Clément Marot qui intitula. qu’il conviendra d’étudier. travaille avec un dictionnaire de rimes : il n’est donc pas interdit de se demander si la quête mystique du beau dans ce poème n’est pas non la cause mais la conséquence de l’emploi à la rime de trois termes isométriques du lexique religieux (encensoir. par le biais des correspondances. On pourra interroger le rapport entre la forme exotique du pantoum. bien après sa composition. caractéristiques de l’Oulipo. écrit depuis l’antiquité sur les tombeaux dont l’auteur et le destinataire sont mal définis et qui hésite souvent entre le registre élégiaque et la satyre. 156). s’attendant à être pendu avec eux ». cette forme est avant tout musicale. à propos de ce texte. 17). Il présente un schéma de rimes originales dans le sizain qui en fait un sonnet irrégulier (cdcdee). Cassandre. Dédiés à une femme. Ces poètes – ou plutôt ces Poëtes. Las ! voyez comme en peu d’espace. et plusieurs autres jeunes filles. art poétique de Du Bellay). Ce poète devient à la mode en France quand le poète Maurice Scève croit découvrir le tombeau de la jeune femme en 1533. ce qui invite Ronsard à changer de style pour la chanter : il la peint dans un cadre plus intime. » Platon. l’ode.Texte 2 (manuel de l’élève p. Elle exprime une philosophie que l’on pourrait qualifier d’épicurienne. Elle est composée de quatorze vers (deux quatrains – rimes croisées ou embrassées – et un sizain). elle a dessus la place Las ! las ses beautez laissé cheoir ! Ô vrayment marastre Nature. Mignonne. L’année suivante. Puis qu’une telle fleur ne dure Que du matin jusques au soir ! Donc. allons voir si la rose Qui ce matin avoit desclose Sa robe de pourpre au Soleil. au latin ou à l’italien. persuadé que l’art suffit pour faire de lui un bon poète. mais supprimé en 1578 quand apparaît « Quand vous serez bien vieille ». lui inspire des odes et des poèmes de toute sorte et. Continuation des Amours. jeux lexicaux et syntaxiques. « Je vous envoie un bouquet ». 8) ou Virgile notamment. du poète d’autre part. Marie n’est pas du même rang social que Cassandre. fait l’éducation de leurs descendants. 245b Des Amours à la Continuation des Amours Ronsard publie Les Amours en 1552. 154) Pierre de Ronsard. si vous me croyez. parmi lesquelles ses sœurs. premier recueil entièrement composé de sonnets. sujette à variations. choisit un lexique moins recherché et des tours de phrase plus simples. parmi lesquels Ronsard et Du Bellay. Cueillez. Le sonnet est une forme fixe. La Pléiade La Pléiade – auparavant nommée « La Brigade » – réunit sept poètes. ils sont très influencés par Pétrarque. les sonnets de Pétrarque sont traduits et. aussi bien dans les thèmes (soumission de l’amant à une femme belle et cruelle. vraisemblablement né en Sicile au XIIIe siècle. métaphores récurrentes comme celles de la chasse…). plus familier. Phèdre. I. avec une majuscule et un tréma pour faire plus grec – rejettent les formes poétiques médiévales comme la ballade et leur préfèrent des formes empruntées au grec. Quelques années plus tard. 11. célébrant d’innombrables hauts faits des anciens.Écriture poétique et quête du sens • 57 . par Horace (l’expression se trouve dans une de ses Odes. Mignonne. Il développe le thème du Carpe diem. Mais quiconque approche des portes de la poésie sans que les Muses lui aient soufflé le délire. Il développe d’ailleurs toute une réflexion sur l’inconstance dans cette nouvelle série de poèmes. Elle a une haute idée de la France et de la langue française d’une part. Ronsard et ses Amours contribuent à imposer ces deux schémas comme la norme. 1555 Le passage dans l’économie générale de l’œuvre Ce sonnet est le trente-cinquième de la Continuation des Amours. La Continuation des Amours paraît en 1555. Quand il s’empare d’une âme tendre et pure. « petit son »). est la forme que choisit Pétrarque au XIVe siècle pour chanter ses amours avec Laure. grâce à l’imprimerie. cueillez vostre jeunesse : Comme à ceste fleur la vieillesse Fera ternir vostre beauté Chapitre 3 . Tandis que vostre âge fleuronne En sa plus verte nouveauté. le sonnet est souvent composé de décasyllabes – alors que l’alexandrin prévaudra ensuite. jeune paysanne de Bourgueil. Ronsard développe cette idée à plusieurs reprises. Marot commence à écrire des sonnets en français. à mesure que les rimes se font plus discrètes. Pour eux. largement développé dès l’Antiquité. Contexte esthétique et culturel La naissance du sonnet Le sonnet (de l’italien sonnetto. mignonne. comme dans « Mignonne. allons voir si la rose » (Ode. I. primauté des sentiments sur le désir charnel…) que dans la forme (sonnet. l’hymne ou encore le sonnet. C’est Marot introduit le schéma de rimes le plus courant en France pour le sizain : ccdeed. Ils revendiquent un meilleur statut et appuient leur demande de reconnaissance sur un mythe platonicien. L’esthétique de la Pléiade repose sur un équilibre entre imitation des anciens et innovation langagière (cf. il l’éveille. l’alternance de rimes masculines et de rimes féminines ne s’impose que progressivement. « Il y a une troisième espèce de possession et de délire. Ronsard remet donc en cause l’un des fondements du pétrarquisme  : la fidélité de l’amant malgré la cruauté de la femme aimée. A point perdu ceste vesprée Les plis de sa robe pourprée. et la poésie du bon sens est éclipsée par la poésie de l’inspiration. Et son teint au vostre pareil. Défense et illustration de la langue française. elle est rejointe par Marie Dupin. À sa création. Peletier du Mans propose un autre schéma promis à un brillant avenir : ccdede. la transporte. De plus. largement diffusés. celui qui vient des Muses. Du Bellay publie L’Olive. En 1548. Caractérisation du passage « Je vous envoie un bouquet » est un sonnet composé de décasyllabes. Il est repris en 1572 dans le Second livre des Amours. celui-là reste loin de la perfection. la poésie ne doit pas être considérée comme un savoir-faire mais comme un don divin. Si Cassandre n’est pas oubliée. mais le participe « épanies » peut être employé pour des fleurs comme pour une femme. La certitude de la mort. Contexte esthétique et culturel Baudelaire. Apparaît ensuite le pronom « nous ». déduction : Marie doit aimer pendant qu’il est encore temps.le poème parle de la beauté féminine dans le deuxième quatrain. en mage dont la parole est Vérité. Un raisonnement logique Le poème est composé de manière à séduire Marie : la composition du sonnet se met au service d’une démonstration : . le poète (« Je ».le poème parle de fleurs dans le premier quatrain (« bouquet ».la comparaison est explicitée dans le second quatrain : « Cela vous soit un exemple certain ». « fleuries ». Le poème. Les Fleurs du mal. Son peintre de prédilection est d’ailleurs le peintre romantique par excellence. b. . « Harmonie du soir ».champ lexical de la brièveté  : «  demain  ». insistance sur la fragilité des fleurs. « En peu de temps ». Le poète souffre. « cueillies ». v. 1-2 .Écriture poétique et quête du sens tion plus réduite (« nous parlons » = le poète et Marie). A.premier quatrain : don d’un bouquet. Texte 4 (manuel de l’élève p. « serons étendus sous la lame ». b. . mis en valeur à la fin du premier quatrain . en début de vers . 14. en fin de vers . Baudelaire est clairement l’héritier d’une tradition romantique qui met le poète au centre du monde littéraire. Pour lui. mis en valeur en fin de vers et en position de sujet). être poète est à la fois une malédiction et une « Bénédiction ». puisqu’il décrit le romantisme essentiellement comme la modernité. « cherront » . quelle que soit sa beauté ! . en début de vers : tous les termes sont placés à des positions stratégiques. symboliste. 1857 Le passage dans l’économie générale de l’œuvre On se reportera au manuel de l’élève p. Une entreprise de séduction Ronsard reprend donc une réflexion épicurienne portée par la métaphore des fleurs. v. qu’il va faire néanmoins évoluer. à nouveau une image concrète. dont l’œuvre transcende les catégories et étiquettes littéraires établies. qui s’accompagne des souffrances que le poète se prodigue à lui-même. . Au début du poème. 156) Charles Baudelaire. d’une souffrance qu’il doit endurer dans son « étude du beau » et sa quête obsessionnelle de la perfection. « ma main ».on passe du subjonctif passé qui exprime un irréel (« Chutes à terre elles fussent demain ») à l’indicatif qui exprime une certitude (« cherront ». Entre réflexion philosophique et conversation amoureuse a. décadent ? . Ronsard souligne que la fuite du temps est rapide : . II. Un don a. 9). En effet. Des fleurs. forme de séduction conventionnelle. Le poète évoque une conversation intime avec Marie («  des amours desquelles nous parlons ») : il ne s’agit pas seulement pour lui de mener une réflexion épicurienne sur le temps qui passe.recourt à des monosyllabes qui accélèrent le rythme du vers (« Le temps s’en va. Eugène Delacroix. le véritable don est le poème qui accompagne ces fleurs. Le poète des Fleurs du Mal reprend une partie de cette tradition romantique. « nous ». mis en valeur en début de vers . En effet. 3-4. « périront » . soulignée par l’assonance en [u] . « flétries » : ces deux participes passés occupent la même place que les deux participes passés qui désignaient les fleurs dans le premier quatrain).deuxième quatrain  : les fleurs comme preuve du caractère éphémère de la beauté de la destinatrice du don. B. v. Marie. v. le milieu du XIXe siècle n’est plus tout à fait celui du romantisme et pas encore pleinement ni celui du réalisme. « fleurs épanies ». Chercher le beau est une condamnation. « fleurs »). « périront »). Le sonnet s’ouvre sur l’offre d’un bouquet (champ lexical des fleurs : « bouquet ». Évocation d’une intimité. Le poète insiste sur la signification de ce don en soulignant son implication (« Je ».champ lexical de la mort : « Chutes à terre ». L’obsession de la mort a. Tout le sonnet conduit à cette pointe. . Parnassien. un auteur à la croisée des chemins Baudelaire est un auteur inclassable. mais d’évoquer la relation qu’il entretient avec la jeune femme. le temps s’en va. . « vos beautés ») sont dissociés. « Et tôt ». ni celui du symbolisme. . voire de la société. Une existence éphémère. mais il la met au service d’une entreprise de séduction. Hugo a transformé le poète en prophète. qui semble d’abord avoir un sens universel et désigner l’homme en général («  nous nous en allons  ») mais qui a ensuite une accep58 • Chapitre 3 . 139 et aux éléments fournis par le livre du maître des classe de seconde.sizain : généralisation – l’homme est mortel. « ma main ») et Marie (« vous ». C. « comme fleurs ». v.Proposition de lecture analytique I. avec des métaphores qui lui permettent d’employer un vocabulaire floral pour décrire une femme (« fleuries ». B. Le poète tisse progressivement des liens entre lui et la femme aimée. La mort est un aboutissement nécessaire pour l’homme – et pour la femme. La beauté féminine associée aux fleurs La comparaison entre la femme et les fleurs se fait en plusieurs temps : . 9-13 . image concrète. L’inadaptation est donc le lot du poète et le malheur empreint sa condition. Toutefois. « fleurs »). Carpe diem A. ma dame ». Le second romantisme On peut parler à propos de Baudelaire de «  second romantisme  ». b. et à l’image des romantiques. « tout soudain ». De plus. ». utilisation de l’accompli (« s’est noyé ») qui suggère le caractère irrémédiable de la mort . c’est Constantin Guys. on le rapproche essentiellement du fait des «  Correspondances  ». avec qui il fonde en 1848 un très éphémère journal dont le frontispice est l’œuvre de Courbet. et tient « la vie parisienne [pour] féconde en sujets poétiques et merveilleux.  » La ville exerce un « enchantement » au sens fort du terme. le procès de 1857 des Fleurs du Mal mentionne l’accusation de réalisme. Vers répété deux fois : « Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige » : allitération en [s] qui souligne le mot « sang » . Pour Baudelaire. la moitié de l’art. et sa peinture de mœurs s’inscrit résolument dans le présent. Le poète de la modernité  Le thème urbain C’est dans les écrits sur l’art et dans les poèmes que va se constituer la thématique urbaine et moderne qui constitue un des apports décisifs de Baudelaire à la poésie française. l’imagination.Écriture poétique et quête du sens • 59 . définie comme « le transitoire.Des Parnassiens. Les Décadents de la fin du siècle se réclameront aussi de lui. En outre. Un paysage sombre a. quatre sens sont convoqués : le toucher et l’ouïe (« vibrant »). essentiellement illustrateur pour les journaux. au fur et à mesure de l’affirmation de ses convictions en art. visible dans son admiration pour Théophile Gautier. dont la beauté est associée à la mélancolie. A. La dramatisation de la mort du soleil. Mais le poète va prendre peu à peu ses distances avec le mouvement. il est l’ami proche de Champfleury. de la surprise. Opposition entre le « passé lumineux » et le « néant vaste et noir » du présent. « Harmonie du soir » Baudelaire peint dans ce poème un paysage sombre mais harmonieux. dont Baudelaire découvre l’œuvre qu’il consacre immédiatement comme une sorte d’illustration à ses propres recherches sur la modernité. les synesthésies. C’est une véritable transfiguration qui définit le travail poétique. dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable. et le monde urbain fait ainsi son entrée dans sa poésie. Caractérisation du passage Ce poème est d’inspiration romantique. apôtre du réalisme. qui est un travail. à une époque où le terme est quasi insultant et équivaut à l’immoralité en art et au culte des bas-fonds. et nous avons déjà signalé le rôle que les images doivent jouer dans cette opération. à qui sont dédiées ses « fleurs maladives ». le fugitif. organe officiel du mouvement. voir le manuel de l’élève). dont le héros des Esseintes admire les « chants clamés pendant les nuits de sabbat » du poète des Fleurs du Mal. Un système d’opposition. afin de « peindre la noire majesté de la plus inquiétante des capitales  ». la discrétion du lyrisme. tout comme du métal on tente de faire de l’or. le contingent. Le paysage est d’autant plus sombre que l’ombre ressort par contraste. plusieurs poèmes des Fleurs du mal paraissent dans le Parnasse contemporain. de fleurs poussées sur un terreau horrible. à transformer la boue en or. En effet. Proposition de lecture analytique I. dont Baudelaire cherche à mettre en valeur l’héroïsme. et le thème urbain est l’exemple le plus marquant de transformation de la boue en or. Guys esquisse les figures contemporaines et croque la vie élégante du second empire. peintre porte-drapeau du mouvement réaliste. » En 1861. deux thèmes caractéristiques de la poésie romantique apparaissent ici : le soleil couchant. présente souvent à travers la rencontre d’  «  êtres singuliers. Des Symbolistes. B. le travail poétique se définit comme une opération quasi alchimique. Mais celui qui va s’imposer comme le « Peintre de la vie moderne ». qui consiste à tirer des « fleurs » du mal. Baudelaire congédie aussi avec cette conception l’idée de l’inspiration romantique qui visite le poète habité. graveur de vues de Paris célébré dans le Salon de 1859. b. Le dialogue entre les arts Des préoccupations du poète apparaissent communes à celles des peintres : la thématique de la ville va ainsi prendre une importance grandissante. « poète impeccable ». Cette errance est une exploration du présent. « Correspondances » Les sensations se mêlent et créent des synesthésies. Par ailleurs. avec l’aquafortiste Charles Méryon. Le Salon de 1846 affirme l’existence d’un « héroïsme de la vie moderne ». dans le premier quatrain. Méryon choisit d’interrompre sa carrière d’officier de marine. Baudelaire se rapproche par le culte de la forme. » « Tu m’as donné la boue et j’en ai fait de l’or » (projet d’épilogue de l’édition de 1861 des Fleurs du Mal). de son goût du morbide et de l’artificiel. Il s’agit de «  rechercher quel peut être le côté épique de la vie moderne » et de compléter la « comédie humaine » du monde moderne. La forme du pantoum a été introduite par Victor Hugo dans Les Orientales (pour les règles de cette forme fixe. les couleurs et les sons se répondent. J-K Huysmans lui rend un hommage appuyé dans son roman A Rebours (1884). Le poète se doit d’établir une traduction possible du langage secret de la nature. pour que Baudelaire formalise sa pensée sur la modernité. l’odorat et la vue (« encensoir »).… inscrivent clairement ce poème dans la modernité baudelairienne. Par exemple. la religion qui donne au paysage une solennité particulière. poème dans lequel Baudelaire décrit la « ténébreuse et profonde unité » d’un monde au sein duquel «  les parfums. Il faut attendre cependant Le Peintre de vie moderne et les réflexions sur Constantin Guys. Baudelaire ajoute la section des « Tableaux parisiens » aux Fleurs du Mal. Toutefois. et une quête du choc. décrépits et charmants. Sur une terre aride doit naître l’abondance. participe passé « noyé » mis en valeur à l’hémistiche. Des relations complexes avec le réalisme Les relations de Baudelaire avec le réalisme sont loin d’être faciles à trancher : à ses débuts. Par exemple. et notamment de la glorification de la « reine des facultés ». Chapitre 3 . comme la lumière à l’ombre. La poésie comme un « ostensoir ». par le biais d’une allégorie. au présent de l’indicatif. Assonances et allitérations. a. Par ailleurs. Il circule selon un schéma tout tracé. Le champ lexical de la religion est très présent dans le texte : donne une dimension solennelle au poème («  encensoir  ». Ouvrages critiques • Véronique Anglard. mis en valeur à la rime et souligné par l’exclamative . La poésie a la même fonction : rendre présent ce qui s’absente (« vestige ». « Bibliothèque de la Pléiade ». qui trône au centre de la toile. L’effacement du « je » lyrique. mécène privé de Botticelli. « afflige ». La poésie comme cérémonie du souvenir a. doublement mis en valeur (par la répétition en apposition. b. Le rythme des vers 10 et 13 tend à mettre en évidence le hiatus « qui hait » par le déplacement de la césure : le verbe résonne comme un cri inharmonieux dans l’« harmonie du soir ». Le tableau traite de l’amour. PUR. « Classique ». édition de J. Un lyrisme discret Ce paysage reflète les sentiments du « je » lyrique. Ce cœur pourrait être celui du poète. qui renforcent le chiasme et traduit de manière expressive la musique évoquée par le vers (« Valse mélancolique et langoureux vertige ! »). de façon topique pour l’époque. D. Le poète ne se montre quasiment pas dans le poème. Les exclamatives. par l’inversion de l’ordre normal de la comparaison – comparé abstrait. Folio. • Claudine Nédélec (sous la direction de). Le Livre de poche. a une axiologie positive. Œuvres complètes. II. Les Amours et les Folastries (1552-1560). se dessine comme le point de fuite principal du tableau. « souvenir »). a été peint en 1481 ou 1482. Personnifications qui suggèrent une projection du poète sur le paysage. a été commandé au peintre par Lorenzo di Francesco de Médicis. Préserver le souvenir. Dernier vers d’autant plus expressif qu’il rompt avec la règle du pantoum. • Ronsard. 1993. Il n’y a donc que deux rimes dans tout le poème ([ige] et [oir]) ce qui crée une impression d’unité et d’harmonie. à l’occasion de son mariage. aujourd’hui exposé au musée des Offices à Florence. coll. Lectures des Amours de Ronsard. « Un cœur ». coll. coll. b. b. «  reposoir ». « Foliothèque ». Le paysage chargé de sentiments. La pluralité des récits A. « ostensoir » : tous les trois mis en valeur à la rime). B. à hauteur du regard. C. Le regard du spectateur est donc guidé par les personnages du tableau. le geste de Cupidon qui va tirer une flèche invite le spectateur à regarder à gauche de Vénus. artiste représentatif du Quattrocento. La poésie parvient à préserver le souvenir : « luit ». coll. coll. De part et d’autre de ce protagoniste central se déploient deux récits. « moi »). car la toile est peuplée d’un foisonnement de personnages : le spectateur a besoin d’un guide pour son regard. tome I. tome I. Gendre. allitération en [v] et assonance en nasale. Verbe «  luit  » mis en valeur à l’hémistiche. Les Fleurs du Mal. 1993. . qui peuvent ainsi s’exprimer indirectement. cousin de Laurent de Médicis. • Ronsard. PROLONGEMENT ICONOGRAPHIQUE Botticelli.Écriture poétique et quête du sens noir ». I.  Ménager et M. Une présence masquée a. coll. La tête penchée et le geste de la main droite de Vénus invitent le regard à se porter dans la direction des trois Grâces. B.C. Mise en valeur du thème du « souvenir ». Œuvres complètes. Il trace une ligne verticale qui scinde l’espace de la toile en deux parties symétriques. Deux effets : . « triste et beau »). «  Bibliothèque de la Pléiade ».confère une certaine universalité au poème.met en évidence les rares interventions du poète. Le pantoum. Le Printemps. même masqué. Les marques de la première et de la deuxième personne n’apparaissent que dans le dernier vers (« Ton ». collection « Foliothèque ». Il était destiné à être accroché au-dessus d’un banc attenant à la chambre nuptiale. Gallimard. • Véronique Denizot. BIBLIOGRAPHIE Éditions des textes • Baudelaire. Attention à l’article indéfini « un » dans « un cœur ». Bréal. Simonin. 1997. Le personnage de Vénus. Le lecteur peut également projeter ses sentiments sur le paysage décrit. 1998. Les Amours de Ronsard. Gallimard. 1481-1482 Le Printemps de Sandro Botticelli. soutenu par l’assonance en [i] qui crée un écho avec « souvenir ». Paris. présence d’une absence. 1995. Ce tableau imposant (204 cm sur 314 cm). comparant concret). Un paysage-état d’âme A. Elles traduisent également la présence du poète puisqu’elles chargent les vers d’une émotion. édition de A. La lecture du tableau (composition et direction du regard) Le Printemps est un tableau dont la lecture au premier abord peut paraître difficile. Céard. Les Fleurs du Mal de Charles Baudelaire. Une occurrence de la première personne. c. Pichois. Réintroduit le « passé lumineux  » dans le présent. « De la musique avant toute chose » L’harmonie réside surtout dans la musicalité des vers : a. b. « Didact français ». d’autant qu’il s’oppose à «  néant vaste et 60 • Chapitre 3 . « Connaissance d’une œuvre ». • Claude Launay. Vénus . Certains vers sont répétés. 2002. Par exemple dans les vers 4 et 7. édition de C. Champ lexical des sentiments pour caractériser des éléments du paysage (« mélancolique ». Le « reposoir » et l’« ostensoir » ont tous les deux pour but de mettre en valeur l’hostie. selon les règles du pantoum  : les vers 2 et 4 d’un quatrain constituent les vers 1 et 3 du quatrain suivant. Gallimard. C’est elle qui personnifie le printemps. symboles des feux de l’amour. Chapitre 3 . opposition entre la couleur diaphane de son teint. Elle résout la contradiction entre un retour aux divinités antiques et païennes et une civilisation profondément christianisée en moralisant la mythologie. se trouve l’unique personnage masculin du tableau. Sa métamorphose est une nouvelle incarnation du printemps (robe de fleurs . Les trois Grâces La scène de gauche marque une rupture avec la verticalité et le triomphe de la courbe. heureuse de l’amour conjugal. reconnaissable à son casque et à son caducée. Elle est en effet représentée avec ses attributs traditionnels : la myrte. Ce tableau est un bon exemple d’une invitation à une lecture participative de l’œuvre. dégagés de la matérialité du corps. qui signifie la pureté. c’est-à-dire de l’amour spiritualisé. indice de pureté. du corporel au spirituel. D. qu’ils sont évanescents. maternité. une représentation sensuelle. Cette lecture chrétienne s’inscrit dans une tradition platonicienne : Platon prône l’élévation. Alors que Zéphyr est en train de s’accoupler avec Chloris. La leçon morale contenue dans le tableau est une apologie de l’amour conjugal. excentrée. Signification des différents récits A. Elle incarne donc l’amour mais pas le désir. Le tableau apparaît donc comme une apologie de l’amour conjugal. la fécondité . elles aussi dotées de perles et de saphirs.Vénus est mise en valeur par sa position centrale mais légèrement en retrait. se lit donc un trajet ascensionnel qui élève de la bassesse de la corporéité à la sagesse de la spiritualité. suivantes de Vénus. le mariage est l’un des sept sacrements de la religion chrétienne. On retrouve ici une caractéristique de la Renaissance italienne  : faire usage de la mythologie à des fins morales. fécondité. Cupidon.Écriture poétique et quête du sens • 61 . en y voyant des messages chrétiens cachés antérieurs à la révélation. De droite à gauche se dessine donc. Le tableau peut se lire de droite à gauche comme une élévation du désir charnel à un désir spirituel. jets de fleurs. Elle ramène pudiquement son manteau rouge sur son sexe et son ventre est arrondi ce qui suggère qu’elle est peut-être enceinte. À leur gauche. elle se métamorphose en Flore. celui des amours de Zéphyr et Chloris. chrétiennes. Il est par ailleurs extrêmement représentatif du Quattrocento qui va inspirer la Renaissance française. Il se dessine comme un personnage à l’écart (ligne verticale. C. périphérique par rapport à l’univers féminin exprimé par des courbes). les agrumes (pommes d’or du jardin des Hespérides). père supposé de Cupidon et fils de Maia – mai – faisait en effet fuir le mauvais temps grâce à son caducée. Ce sont les trois Grâces. une robe blanche. la purification du terrestre. Une apologie de l’amour conjugal Vénus porte le voile des femmes mariées du Quattrocento. ornée de flammes. qui donne une impression de profondeur. symboles de la douceur féminine. Les couleurs du tableau la font également ressortir aux yeux du spectateur : couleur rouge de son drapé. Elle vante les vertus de l’amour conjugal : pureté. et un collier de perles. Selon les humanistes. germination). La leçon chrétienne Or. Elle met en scène un épisode mythologique connu de tous au XVe siècle. chasteté… Ces vertus sont reprises dans les attributs des Grâces. II. de son visage et l’obscurité du bosquet de myrte qui se trouve derrière elle. de l’arrondi. B. Vénus n’incarne pas ici la déesse du désir débridé mais la déesse de l’amour raisonnable. ce dieu. bonnes semences. ils connotent l’idée de légèreté et donnent l’impression que les personnages n’ont pas de poids. On peut noter que les contours des drapés des différents protagonistes du tableau restent flous. qui dansent. ventre arrondi qui évoque la maternité. Zéphyr et Chloris La scène ne se passe pas en même temps que la scène de gauche (les lignes de fuite ne vont pas dans le même sens ce qui indique que le vent n’est pas le même des deux côtés du tableau). dont la couleur bleue rappelle la couleur du manteau de la Vierge. Mercure. Parcours 3 Henri Michaux, La nuit remue, 1935 Manuel de l’élève pp. 165-173 Le choix de ce recueil En choisissant d’organiser ce parcours autour de cinq poèmes empruntés à la première section de La nuit remue, nous invitons les classes à une double démarche : Il sera d’abord intéressant dans le cadre de la lecture cursive d’inciter à la découverte d’un poète qui, au-delà de ses obscurités et de ses provocations, exprime une souffrance, une révolte et un sens de la dérision en résonance avec ce que peut vivre un lycéen : Michaux est avant tout celui qui dit « non », non au monde, non à lui-même, non au métier ou à la fonction de poète (voir page 137 du livre de l’élève) et à la notion même d’« œuvre ». Par ailleurs, comme l’a remarqué Raymond Bellour (voir infra, bibliographie), l’un des meilleurs connaisseurs de cette poésie, dont nous reprendrons plusieurs fois les analyses, la littérature est avant tout une « opération de survie » dans une existence que la perte de la croyance religieuse a confrontée très tôt au vide. Michaux qui a multiplié les expériences comme médecin, comme matelot, sans jamais en faire un métier ou un mode d’existence, écrit, peint, parfois sous influence des hallucinogènes, dans un mouvement frénétique qui ne sacralise nullement l’écriture. Comme il a pu le dire, écrire n’est pas un but idéal mais le moyen de « guérir » du sentiment de vide : « Je veux combler ce vide pour connaître celui qui ne peut être comblé. » C’est donc une quête métaphysique du sens, inlassable autant qu’impossible, que traduit cette poésie. On pourra ensuite se demander, à travers ces cinq poèmes et d’autres, comment dans le mouvement de cette écriture poétique la forme précède le sens. Dans une œuvre extraordinairement mobile, le poète déplace, réitère, recompose ses mots à la recherche d’un sens (qui se dérobe) et qui donnerait une issue créatrice à l’expression de la souffrance. Dans ce but, le parcours met en évidence les formes inattendues adoptées par Michaux pour exprimer son refus de lui-même et du monde, son aspiration à un « rien » qui le rendrait à une forme d’authenticité, sans doute dérisoire mais presque rédemptrice, ouverte sur la plénitude. Contexte historique et culturel : le rejet et le reflux du surréalisme Contemporain des grands poètes surréalistes, Michaux, après une crise mystique à l’adolescence, des voyages parfois comme matelot et des emplois divers, publie ses premiers textes à Bruxelles grâce à la revue de Franz Hellens Le Disque vert. Lorsqu’il quitte son pays natal pour Paris, il rencontre Breton, Éluard, Aragon et Roger Vitrac. S’il s’intéresse aux mécanismes de l’inconscient et se renseigne sur les récits de rêves, il demeure à distance des surréalistes et se rapproche d’un grand poète voyageur, Jules Supervielle, dont l’univers est totalement étranger au mouvement. C’est Jean Paulhan qui l’introduira chez Gallimard, 62 • Chapitre 3 - Écriture poétique et quête du sens tandis que son indépendance par rapport au surréalisme se manifeste dans l’article éponyme qu’il publie dans Le Disque vert en 1925. S’il reste proche des cercles parisiens de l’art et de la poésie, qui le reconnaissent et rendent compte de ses travaux, sa vie de voyageur, son expérience solitaire d’écriture sous l’influence des stupéfiants le maintiennent à l’écart des grands courants du XXe siècle. La nuit remue dans l’œuvre d’Henri Michaux Le principe d’organisation ou de non-organisation du recueil Avant d’aborder l’étude successive des poèmes, il est important d’interroger avec les élèves la notion de « recueil » et de se poser quelques questions sur le principe d’organisation de La nuit remue. Contrairement à une tradition qui conduit des poètes comme Baudelaire à réintégrer des poèmes publiés en revues à l’architecture savante d’un recueil, elle-même porteuse de signification, Michaux, au moment où il publie avec La nuit remue un premier grand ensemble poétique chez Gallimard, dans la prestigieuse collection Blanche, refuse de placer cette réorganisation de poèmes antérieurs sous le signe de l’unité. Les œuvres précédentes qui lui ont valu la notoriété, comme Un barbare en Asie et Un certain Plume (voir livre de l’élève page 165), étaient déjà influencées par l’écriture fragmentaire. Dans le cas de La nuit remue, la composition est complexe puisque l’ouvrage connaît deux publications, d’abord en 1935 puis en 1937 dans une édition revue et corrigée. Dès 1935, l’ensemble comporte deux sections : la première est intitulée « La nuit remue  » comme le recueil lui-même. La seconde reprend mais, pas dans leur intégralité, les poèmes publiés en 1929 sous le titre Mes propriétés. Elle est suivie d’une postface. Dans un « prière d’insérer » rédigé en 1935, Michaux présentant le recueil en ces termes, précise et caractérise cette absence volontaire d’architecture : « Ce livre n’a pas d’unité extérieure. Il ne répond pas à un genre connu. Il contient récits, poèmes, poèmes en prose, confessions, mots inventés, descriptions d’animaux imaginaires, notes etc., dont l’ensemble ne constitue pas un recueil mais plutôt un journal. Tel jour s’est exprimé impétueusement en imaginations extravagantes, tel autre, ou tel mois, sèchement en un court poème en prose d’analyse de soi. Ainsi tout au long de trois ans. Les dates manquent. Mais les continuels changements d’humeur marquent à leur façon le travail et le passage inégal du Temps. » Ce refus de toute unité formelle aboutit à un texte en forme « d’épopée du sujet souffrant » qui se développe à travers toutes sortes de formes – prose, poésie, vers libres – et dont l’hétérogénéité revendique « un effet de chaos ». Comparant ce premier grand recueil à celui qui le suivra, Plume (1938), lui-même recomposé à partir du précédent Un certain Plume, Raymond Bellour présente La nuit remue comme le livre « des états, des lieux, des processus » variés qui disent le refus de soi-même et du monde, l’hostilité du corps, les épreuves de l’aventure extérieure et intérieure. Il note aussi que « des effets d’auto-organisation visent à sus- citer, de livre en livre, de véritables dominantes »1. Ainsi, les deux parties du recueil adoptent-elles un mouvement semblable, commençant chacun par une série de textes en prose, elle-même suivie de poèmes, puis d’un retour discret à une présentation en prose, comme dans un désir farouche de ne pas laisser sa parole s’enfermer dans une contrainte étouffante, lui qui avait écrit dans Qui je fus : « Les genres littéraires sont des ennemis qui ne vous ratent pas, si vous les avez ratés au premier coup. » Il sera particulièrement pertinent de faire précéder l’étude des textes de la lecture commentée du texte proposé en pages «  Éclairages  » (page 137) dans lequel Michaux met en question la notion de « travail du poète » qui oriente notre premier parcours. Problématique d’ensemble C’est une de ces dominantes secrètes que tente de dégager l’étude des cinq poèmes proposés : elle « parcourt » les différents modes d’intervention du moi sur le monde et sur lui-même que le poète évoque dans un jeu sur les systèmes d’énonciation : dans le texte 1 « Déchéance », c’est la perte de soi à travers trois états successifs qui apparaît, démultipliée à travers plusieurs récits à la première personne. Le texte 2 recouvre, comme le suggère son titre ironique, «  L’Âge héroïque  », une parodie de la forme épique et du mythe héroïque  : il utilise des instances énonciatives différentes du premier poème et utilise la 3e personne du singulier pour exprimer un combat intérieur qui se solde par un échec très violent avant de le mettre à distance par l’humour. Le texte 3, « Contre », avec son titre en suspens, se présente comme un anathème lancé contre les autres, l’extérieur. Dans ce but, le poète brandit la 2e personne du pluriel dans une apostrophe « contre » tout ce qu’il ne nomme pas. Il semble alors trouver temporairement son identité en opposant son « moi » au destinataire collectif que constitue ce « vous » et qui s’apparente à ce qu’il appelle ailleurs « l’espace du dehors », le monde des apparences, la société, la culture héritée, tandis que l’imprécation aboutit, dans la chute du poème, à une fragmentation puis à un éclatement du moi. Dans le texte 4 : « Nous autres », la radicalité du refus adopte cette fois-ci, la 1re personne du pluriel pour exprimer la plainte d’un moi divisé, d’un sujet double et contradictoire ; ce « nous » n’est pas celui des exclus en référence à la société, mais un « je » multiple. Au terme – tout à fait provisoire du parcours –, le texte 5, « Icebergs », traduit par l’effacement presque total du système d’énonciation au début du poème, au bénéfice de versets composés de phrases nominales, l’identification du poète à la pétrification des icebergs, images du silence, de l’éternité. Mais la discrète invocation qui suit débouche sur une certaine sérénité et, à l’intérieur même du vide, sur la promesse d’un « ailleurs » lumineux. La place des poèmes retenus dans la première section du recueil La réunion de ces cinq poèmes qui se trouvent assez 1  Henri Michaux, Œuvres complètes, tome I, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, « Notice » de Raymond Bellour, p. 1169. proches dans la première section du recueil  (respectivement en position 18, 24, 26, 27, et 31) n’exclut évidemment d’autres regroupements possibles. On peut noter par exemple que « Déchéance » forme un diptyque avec le premier poème intitulé « Vers la sérénité » en évoquant de possibles « royaumes », que « l’Âge héroïque » et « Contre » encadrent un des poèmes-clefs du recueil, en prose, « L’éther », un récit construit autour d’une des premières expériences des drogues hallucinogènes que connut le poète, et que « Icebergs » à la toute fin de cette section précède le dernier poème (qui est aussi le second à porter le titre « Vers la sérénité »). Dans une série d’apparitions-disparitions dont la théâtralisation a été souvent soulignée, les différents textes mettent en scène une série de figures dans laquelle le « je » prévaut : on le trouve dans seize textes sur les trente-deux que compte la section qui nous intéresse. Mais ce choix énonciatif qui fait du recueil « un livre du Moi » s’accompagne de la présence d’un nombre important de «  ils  » plus ou moins bien déterminés : ce référent renvoie à des personnages, des héros, des animaux, des populations. Par deux fois, le poète fait intervenir un « nous » (dans notre sélection le texte 4) ou un « vous » sous la forme d’une adresse parfois couplée avec le je (dans notre sélection le texte 3), ou à travers une très discrète invocation (dans notre sélection, texte 5). Le parcours proposé donne donc une représentation de tous les modes d’intervention du poète dans cette confrontation du moi avec lui-même et avec le monde. Texte 1 (manuel de l’élève p. 166) La dépossession de soi : une aventure « Déchéance »  Ce poème a été publié pour la première fois dans la revue Les Cahiers du Sud en 1931. Il est alors précédé par une phrase en exergue qui sera supprimée au moment du passage en recueil et semble s’appliquer à toute cette section : « le cadavre bouge toujours, c’est encore moi et re moi et re et re. » Proposition de lecture analytique I. Un motif récurrent : le « royaume » La lecture cursive du poème « Vers la sérénité  », qui précède immédiatement «  Déchéance  », constitue la meilleure entrée possible dans l’univers de Michaux. Le poète y présente, au présent de l’indicatif, les deux « étages » d’un royaume montré dans les vers initiaux comme un lieu idéal, très proche de l’éther baudelairien décrit dans « Élévation » (voir manuel de l’élève seconde, chapitre 3, page 190). Mais là s’arrête la ressemblance puisque ce « royaume » est constitué de « cendre » et apparaît comme le lieu d’une quête inaboutie qui débouche « sur l’éternel regret ». C’est au-dessus de ce « royaume élevé » que se situe le « royaume élu, le royaume du fin pelage », une sorte de lieu heureux mais impalpable à cause de sa mobilité. Chapitre 3 - Écriture poétique et quête du sens • 63 Dans Lire Michaux (p. 204), Raymond Bellour, après avoir rapproché cette image ambivalente du royaume qui pourrait évoquer le royaume de Belgique dont le poète est citoyen, mais aussi l’utopie contenue dans l’épisode final du Voyage en Grande Garabagne, précise la portée symbolique de ce motif récurrent dans La Nuit remue : « […] cette image du royaume, sortie droit de l’enfance et forte de son inscription sociale et historique, devient chez Michaux l’expression d’une métamorphose continue du travail d’écriture. Le royaume, tout royaume, immense ou ténu, immense et ténu, c’est l’œuvre, ouverte et fermée, territoire qui ne l’est pas vraiment, mais malgré tout, en devient un, pour le meilleur et pour le pire. Tout royaume est ainsi d’un côté ce qu’il faut rejeter, de l’autre ce qu’on ne peut qu’acquérir. » II. De l’aventure rêvée au récit d’une dépossession Un récit poétique à la 1re personne du singulier Entre la fin du poème « Vers la sérénité » et le début de « Déchéance », la chute dans le Temps s’est produite que connote le « J’avais autrefois », variante mélancolique du biblique « In illo tempore », qui renvoie au temps mythique et immémorial des origines. Mais les éléments de ce récit paraissent si improbables, si difficiles à rassembler que le poète semble choisir d’en proposer trois versions. La prosodie et la métrique du texte, en vers libres, donnent une tonalité parfois incantatoire parfois oratoire au poème rythmé par la récurrence des « je ». Trois « scénarios mythiques » Le lecteur semble donc invité à choisir entre l’un de ces trois scénarios, formellement présentés de façon parallèle sur un balancement « autrefois » / « maintenant ». À travers trois états différents du sujet, se précise, se réécrit, se corrige une expérience où la possession miraculeuse d’un espace immense – « un royaume tellement grand qu’il faisait le tour presque complet de la Terre », « l’agglomérat de formidables pays  » (récit 1), un œuf pondu de façon magique « d’où sort la Chine « (récit 2), « un caveau » en forme de caverne d’Ali-Baba, rempli de trésors – est reléguée dans le passé. Entre cette possession hors du temps et le présent de la dépossession, la réduction de l’espace ou de l’objet se manifeste par une figure antithétique et dérisoire, respectivement « un lopin de terre, un tout petit lopin sur une tête d’aiguille », (récit 1), « un œuf » si petit qu’une fourmi «  le range parmi les siens  » (récit 2), tandis que « les richesses inépuisables » du caveau qu’un rythme ternaire présente comme un trésor de guerre, sont réduites en poussière. Dans les trois cas apparaît une incompatibilité entre « l’espace du dedans » et « l’espace du dehors ». La possession de « royaumes » est un cadeau empoisonné que le sujet ressent presque comme une agression. III. De la déchéance à la dépossession du sujet Le «  je  »  récurrent qui décline les trois étapes de déchéance n’est pas un « je » individuel ; dans l’ellipse qui sépare « autrefois » de « maintenant » ou de « hier », l’intervention du sujet sur le monde semble s’être heurtée à celle silencieuse et inexpliquée d’une instance supérieure 64 • Chapitre 3 - Écriture poétique et quête du sens qui lui a confisqué sa possibilité d’action, pour se l’arroger et le réduire à la passivité. Dans le premier récit, l’immensité même de ce royaume provoque un prurit  : «  il gêne  » et le «  je  » tente de le réduire avec une sorte de joie. Dans un système circulaire, le sujet travaille en tout cas à la perte de son royaume sans échapper à la nostalgie. Dans le deuxième récit, l’identité du « je » qui affirme « je pondais gros » semble avoir éclaté, ce qui provoque un sentiment de rage face à son impuissance. Il devient spectateur de sa propre déchéance, « confondu » avec l’espèce animale, privé de sa voix humaine puisqu’il ne saurait « chicaner une pauvre fourmi ». Dans le troisième récit, l’impuissance et l’inutilité des trésors contenus dans le caveau incitent le personnage à dégoupiller sur le mode dérisoire des explosifs qui « sautent » sans faire plus de bruit que les élytres d’un grillon. Tout cela ne semble plus provoquer chez le sujet qu’une indifférence vaguement teintée de nostalgie : le «  je  » consent à son impuissance, il ne paye pas ses ouvriers et voit ses trésors s’écouler en poussière. Dans une opposition permanente entre le « je » du passé placé sous l’angle de «  l’avoir  » triomphant, et le «  je  » du présent réduit à « l’être » d’une misérable créature qui se «  gratte  » (récit 1), qui «  avale l’affront en silence  » (récit 2) ou qui déclare « je possède un caveau » (récit 3) avant d’avouer que les richesses de cet antre se sont réduites en poussière, c’est bien un processus de diffraction, d’explosion de l’identité du sujet qui est à l’œuvre. Tantôt démiurge, tantôt insecte, le sujet n’est jamais présenté à taille humaine. Les trois récits, avec leurs reprises structurelles et leurs variantes, présentent toujours la dépossession comme une expérience ambivalente : la perte est un affront qui vient de l’extérieur (récit 2), mais le sujet y contribue, violemment (récit 3) ou presque par distraction comme on se débarrasse de ce qui vous gêne (récit 1). Conclusion : de l’aventure rêvée à la perte douloureuse de soi, du sentiment d’appartenance à celui de la déréliction, du consentement fataliste à la déchéance à la révolte dérisoire contre « l’affront subi », la quête impossible de l’identité se décline par une sorte de diffraction, de démultiplication de l’expérience. Les trois variations sur un même scénario, en enfermant une expérience intérieure dans le cadre d’un récit d’aventure en soulignent la charge d’angoisse : c’est par trois fois l’aventure de Sisyphe que semble vivre le « je » mis en scène par le poète à travers des lieux et des états. L’opposition « interne » entre un sujet qui déchoit, du côté de la honte et du dénuement, et un sujet qui, avant, intervenait, luttait, fût-ce dans le sens de cette dépossession (« je voulus », « j’y parvins », « je voulus ») renvoie à l’unité et à l’identité impossibles du sujet en proie à ses contradictions qui se cherche et se refuse à la fois. À titre d’élargissement, il sera intéressant de faire lire à la classe un certain nombre de poèmes plus tardifs où le thème de la déchéance se combine avec celui de la renaissance l’issue avait peu d’importance. 168) Le déchirement de l’être : une épopée « L’Âge héroïque » Des lieux aux personnages. ce poème fait donc intervenir des personnages. de noms onomatopéiques et isométriques « Barabo » et « Poumapi ».1. l’arme noble est remplacée par le croche-pied et le corps-à-corps devient une sinistre empoignade : on « arrache » (lignes 1. il substitue à l’exercice très codé du duel un échange en forme de « jeu » (l. Et quand les deux combattants essayent vainement de « s’étrangler ». qui contrastent avec des formulations plus classiques. dans l’épopée antique. Cet ancrage héroïque a pour effet de situer le récit dans le temps mythique des origines. Il conviendra aussi de ne pas oublier que le combat singulier se déroule. L’énonciateur qui ne semble pas totalement omniscient. tout en demeurant dans la forme du récit.Écriture poétique et quête du sens • 65 . les blessures ne sont pas infligées par l’épée. « fesse ». Il introduit. sorte de clown maladroit. on « s’étrangle ». on « fauche » (ligne 8). l’action décrite par le fait de « s’effondrer » ou de « s’étrangler » peut être envisagée grammaticalement comme « réfléchie » ou « réciproque » . qu’il est tentant d’identifier aux deux forces qui se combattent dans le poète ou bien à deux des différents « états » qui se succèdent en lui. ils tomChapitre 3 . bâti sur le modèle de celui qui oppose. l. déplace le conflit dans un autre « lieu » de refus de soi. Le but n’est pas la mort mais la mutilation de deux corps en fusion qui rapidement n’en font qu’un  : aucun des deux belligérants ne conserve durablement l’avantage et lorsque Barabo (lignes 23-26) plonge sur Poumapi. 12. en tête de phrase. de la dépossession au combat Alors que le poème « Déchéance » adopte la forme du conte ou de la fable. dans L’Iliade. 18). Tout se passe comme si de « riposte » en « surprises » respectivement éprouvées par les deux personnages (ligne 6. celui « du dedans ». le duel des chefs. « L’Âge héroïque ». nomade qui renvoie à la figure d’Abel. en s’effondrant sur Poumapi. 6 parcours 1. « nombril ». il «  s’effondre ». Des combattants improbables et clownesques Après avoir présenté son personnage comme un « géant ». L’usage de la forme pronominale produit d’ailleurs dans ces vers un effet ambigu : en effet. exploré de façon déterminante par le recueil. deux noms interchangeables. deux frères ennemis. le poète emprunte à l’épopée le motif séculaire du corps à corps qui souligne à la fois la grandeur de l’affrontement. C’est ce que suggère la disposition typographique du texte  : chaque étape de la lutte étant matérialisée par un passage à la ligne. comme dans les récits héroïques. Le combat commence par le hasard d’un coup bas (« une oreille arrachée. le lecteur assiste à une sorte de partie de ping-pong dont les balles seraient Barabo et Poumapi. d’autres sur le mode « franc » (ligne 13). en jouant ». Achille et Hector.Texte 2 (manuel de l’élève p. Le combat ne correspond à aucune règle définie. la violence du combat et son aspect dérisoire. On notera que l’ampleur des phrases situe le poème dans une expansion qui n’est pas celle du verset mais se trouve particulièrement bien rythmée par le retour. Cette fois-ci. des rebondissements. mais la lutte dont l’issue est largement prévisible demeure « grotesque » et se conclut par l’évanouissement des protagonistes.6) trivial et se situe en dehors de toute ambition héroïque et de tout rituel  : les personnages appartiennent à l’univers du cirque et des jongleurs et se rapprochent d’autres figures essentielles chez Michaux. par cette aspiration au rien et au vide. 9). certains coups sont donnés « par surprise » (lignes 6. sédentaire. à la 3e personne du singulier. en l’absence de victoire collective de l’un ou l’autre camp. «  mâchoire  » – qui apparaissent sous forme d’inventaire comme sur une planche anatomique. la consonne sourde « p » de Poumapi faisant écho à sa sœur sonore « b ». qui correspond à la figure de Caïn. le mouvement ambivalent de quête et de refus de l’identité et d’agression contre soi-même adopte la forme d’un récit au passé simple. Il y en en effet à l’intérieur même de Michaux deux espaces qui se rejettent : celui «  du dehors  ». on démet un bras. propre aux personnages de Michaux. détourne une scène convenue de l’épopée. l’issue du combat n’a guère de sens. sous le regard des dieux qui en déterminent l’issue. Dans cet échange souvent maladroit. «  abdomen  ». Un combat mécanique. II. les coups portés ne sont pas destinés à abattre l’adversaire et n’atteignent pas les zones du corps traditionnellement visées dans un combat singulier mais les parties les moins nobles – « orteils ». dans la reprise d’un autre scénario mythique (voir chap. un coup rendu « par distraction ») et se poursuit mécaniquement. Dans une vision du monde où le combat constitue le mode essentiel de relation entre le sujet et son environnement. en reprenant le topos du combat singulier. on brise. Dans ce registre. le rapport de force compte peu : peu importe ce qui frappe. La lutte d’un couple gémellaire en forme d’automutilation En effet. avant qu’au Moyen Âge il n’apparaisse comme le jugement de Dieu qui prend parti dans le conflit  : sous la plume d’un Michaux confronté au silence et au refus de toute transcendance. Cet affrontement sans ordalie oppose. souligne avec une certaine malice la « grande cruauté » de Poumapi mais semble parfois indifférent. page 315). le poète s’empresse de démythifier le motif du combat singulier en le représentant comme un jeu dont les protagonistes deviennent des personnages enfantins comparables à de sales gosses. Comme les deux histoires d’Emme qui le précèdent dans le recueil. Il inscrit la quête de sens et d’identité du moi divisé dans une parodie burlesque du registre épique. composés de trois syllabes onomatopéiques et jouant sur deux allitérations voisines. celui du corps. Barabo lui brise les jambes mais se blesse aussi lui-même. mais la narration. «  pied  ». Éléments pour une lecture analytique I. comme le personnage de Plume. mécanique. ligne 19). Leurs «  personnalités  » semblent aussi interchangeables que leurs noms.Le troisième état que l’on trouve à l’œuvre correspond au « langage de l’exorcisme proprement dit ». par son hésitation entre le réel et le fantastique imprégné de merveilleux enfantin. ou de « Déchéance » : il se situe entre prose et poésie. C’est particulièrement sensible dans la chute du texte : l’expression « le cœur [au sens de courage] des deux frères faillit » appartient au registre épique avant que le texte ne dilue dans l’indifférence l’énergie déployée. Raymond Bellour que ces quatre modes d’expression. et joue sur le choc des registres. Le combat héroïque se dilue dans la banalité répétitive du quotidien. Conclusion  : cette fiction qui s’annule elle-même en 66 • Chapitre 3 . «  l’état poétique soutenu  » qui se caractérise par le passage au verset se rapproche d’un lyrisme non pas plus traditionnel mais plus noble. Barabo de même. il échoue mais Barabo qui lui avait « pareillement » démis l’épaule. qui fait « celui qui est à l’aise qui a des appuis partout  ». il adopte la forme de l’« exorcisme par ruse ». le poète opère un «  travail d’exorcisme par ruse » sur la tension permanente entre les aspirations contrastées qui le minent. de la puissance et de la faiblesse. se nourrit d’invention verbale. Dans ce corps à corps sans issue où se dit encore une fois la fragmentation douloureuse du moi. l’éclatement du moi : un anathème « Nous autres ». n’en tire aucun bénéfice : le même adverbe « pareillement » revient désigner leur épuisement tandis qu’ils tentent « vainement » de s’étrangler après que Poumapi a constaté que « les forces lui manquaient pour serrer efficacement ». de soi à soi.Écriture poétique et quête du sens moquant son appartenance au registre épique constitue un des moyens utilisés par Michaux pour donner des arguments à la poésie du refus. L’ironie met à distance la violence et la cruauté de ce qui se noue en lui et que son corps éprouve. À propos de l’usage des prépositions chez Michaux. les récits de voyage par exemple. C’est celui de « Vers la sérénité » par exemple. se pose des questions et en pose. Tout ce que le récit pourrait affirmer est d’ailleurs aussitôt miné voire annihilé par le sens des adverbes qui saturent le texte : tous modalisent l’événement pour en signaler la vanité et placer toutes les étapes du combat dans un même principe d’équivalence négative. détectés a posteriori. sous la forme vengeresse de l’imprécation adressée au panthéon culturel convenu d’une civilisation aliénante pour quiconque en refuse les codes. ces deux personnages dont la dualité tient à quelques syllabes. Les états du langage chez Henri Michaux définis par Philippe Jaccottet Les poèmes du parcours donnent un exemple intéressant de l’invention par Michaux d’un langage poétique adapté à son univers. Philippe Jaccottet a ainsi repéré et caractérisé (voir infra « Bibliographie ») dans cette poésie de Michaux. C’est celui de « Contre » et de « Nous autres ». c’est le Michaux du verbe libre et de l’élan rimbaldien que dévoilent les deux poèmes suivants. .Enfin. Rien n’aboutit : Poumapi avait « presque gagné » (ligne 22) . « du temps sériel au temps dilaté ». celui des mots Des personnages sans épaisseur ni réalité Réduits aux gestes qui les opposent. III. Le récit s’y module assez souvent sur le mode du fantastique ou de l’imaginaire. quatre «  états du langage  »  corrélés à quatre modes d’expression : . doute. Jean-Pierre . c’est celui d’ « Icebergs ». ces personnages n’existent que par des affects contrastés qui soulignent le caractère improbable de leur identité. originelle. Poumapi ne veut « rien marquer » (ligne  6) de sa surprise . selon Raymond Bellour. Il s’exprime souvent par le biais du vers libre. 169-171) « Contre ! ».bent l’un sur l’autre et l’image finale est celle des deux personnages couchés corps-à-corps « exténués ». « au moment où » ne renvoient à aucun début de récit affirmé. c’est par l’invocation que le poète fait entendre sa voix. dont nous suggérons une lecture comparée. à des membres désarticulés qui souffrent et les font souffrir. L’emploi de ces formules pronominales peu avant l’évanouissement du couple gémellaire est fortement symbolique : les deux personnages ne sont que les deux faces d’un être divisé qui martyrise son corps et refuse son être. Un combat dérisoire. Le combat par les mots : une litanie dérisoire Le combat des frères ennemis dit la lutte immémoriale. . l’intensité de l’affrontement. la fascination du néant : une confidence Après le récit à la 1re personne qui fait parler un sujet qui affirme. après la fiction qui dit la souffrance sur le mode de l’évocation. Michaux passe régulièrement de la tonalité héroïque à sa dégradation burlesque comme pour corriger et revoir à la baisse. Chacun semble mû par un pur instinct de conservation qui se retourne en cruauté mais aucun des traits prêtés aux protagonistes n’esquisse une figure cohérente. Rien ne les décrit au-delà du gigantisme de Barabo. l’irréalité enfantine du jeu : Barabo « dissimula son sentiment » (ligne 10). La présence de Poumapi se manifeste par une plainte : « ce fut dur ! oh ! ce fut dur ». Tout est dans l’illusion. Textes 3 et 4 (manuel de l’élève p.Le deuxième renvoie à une prose plus libre et à l’univers semi-onirique des « expériences possibles ». Dans « L’Âge héroïque ». à sa suite. nie.Le premier désigne la prose des «  expériences réelles ». Il correspond notamment aux premiers écrits de Michaux. . Il convient évidemment de rappeler. Dans « Contre ». Mais ce combat sans origine se clôt sur la proclamation de sa répétitivité dans un «  aujourd’hui »  qui nous fait passer. Jouant constamment sur l’effet lexical d’attente trompée. L’absence de vainqueur affirme la permanence de ce combat : les nombreuses indications de temps – « alors ». plus ample. comme le précise Jaccottet et. Un barbare en Asie ou Ecuador. sempiternelle. et la feinte. se combinent et se chevauchent constamment. dans une dialectique de la nullité et de la plénitude. la volonté destructrice du poète qui éprouve comme une jouissance la traduction d’une ancienne souffrance en révolte violente contre les apparences et les fausses valeurs. se chargent d’un sens très puissant. par la métonymie qui transforme la voix du poète en « braiement d’âne et par l’association d’images triviales avec les monuments emblématiques des civilisations occidentale et orientale (vers 6) qui seront évoqués de façon plus radicale. voir bibliographie) écrit que la préposition est chez lui : « Omniprésente. dans les deux dernières strophes. on pourra étudier la métaphore filée. on passe à un présent qui est tantôt de vérité générale (v. ses reprises. 27) et ceux qui s’arrêtent devant les portes de la « Ville-qui-compte ». Éléments pour une lecture comparée des deux poèmes I. l’apparition de l’impératif (v. comme le poète. tantôt d’énonciation (v. le système de la prose l’emportait. le poète concrétise son nihilisme. Michaux chante l’expérience du vide et la promesse d’une plénitude en forme de renaissance qui ne sera vécue que par d’autres.Le « nous autres » qui donne son titre au poème suivant renvoie évidemment à l’image diffractée de lui-même que le poète transmet au lecteur mais certainement aussi à tous les révoltés radicaux. avant l’apparition d’un « nous » tout aussi énigmatique. cette voix devient collective dans un « nous » qui semble réunir tous ceux qui sont. par deux fois. Les deux strophes suivantes. semelle inusable pour qui n’avance pas  »  : en assimilant l’idée de foi à une marche immobile. . ses digressions : l’équilibre du vers est miné par les répétitions qui créent des rythmes binaires en produisant un effet d’accélération haletante dans la formulation de l’anathème. La rage – éprouvée physiquement – de celui qui prophétise la construction d’un mur pour «  contrer  » la civilisation. d’une recherche infinie. p. Les points de convergence entre les deux poèmes Une continuité énonciative . La reprise de « vous » sous l’accent souligne la pression exercée sur les destinataires  . l’unité apparente est réalisée par la présence d’une seule phrase. Michaux se situe ici dans la filiation de Rimbaud et de Lautréamont. le mot « contre » devient (vers 17). surgissant à l’intérieur d’une strophe parfaitement explicite.La variété de ces strophes – longueur et nombre de vers – organise l’aspect décousu du poème. « dire ») se présentent comme un « credo » qui fait écho à la « foi » immobile du texte précédent. de réagir à son environnement comme à ses démons intérieurs. Puis. C’est le cas dans «  Contre  » de «  Foi. Entre confession et déploration. la répétition de « Je vous construirai » face à l’antithèse « loques » et au rythme binaire « sans plan et sans ciments » rend-elle pathétique et dérisoire ce combat contre l’ordre établi. Au vain espoir de trouver Chapitre 3 . Ce travail sur la première strophe peut être poursuivi dans les suivantes. Puis le rythme s’accélère et les trois dernières comportent deux ou trois phrases dans un système de relance. ces deux poèmes se caractérisent par une irrégularité elle-même systématique : . 1-3) confirme la scission entre les conquérants du monde réel (v.C’est donc l’absolu du refus qui s’affirme ici. d’une déprise.Écriture poétique et quête du sens • 67 . . d’une indirection. 45. le titre fait l’ellipse du syntagme nominal qu’il est censé introduire. d’un lieu autre. Ainsi. 15) tandis que l’alternance avec le passé composé (v. De même dans la dernière strophe « l’image de la poulie gémissante » situe le poème dans la filiation du Bateau ivre de Rimbaud et du vers fameux : « Ô que ma quille éclate ! Ô que j’aille à la mer ! ». 6-13): elle convoque les éléments d’un bestiaire familier pour présenter l’expérience du vide comme une accumulation d’expériences.Dans «  Contre  ». Des thèmes et des motifs complémentaires Au futur de l’imprécation. qui compare le vide à un animal et se développe dans la deuxième strophe (v. Par ailleurs.On pourra également travailler avec les élèves dans les deux poèmes sur les métaphores. inattendues mais rares chez Michaux qui. 6-13). .Ce sont les strophes. qui commencent chacune par un infinitif à valeur injonctive (« prendre le vide ». La disposition est à peine différente dans « Nous autres » – On pourra prendre l’exemple de la première strophe de « Contre » pour montrer comment le rythme de l’invocation suit les variations de la voix du poète. dans un texte vengeur. un «  vous  » d’abord énigmatique puis progressivement élucidé. réfractaires aux habitudes apprises et aux valeurs acquises. répond dans le texte 4 un constat amer : la première strophe prend acte d’une aliénation définitive qui interdit à ce moi collectif ou à ce peuple de révoltés d’aller jusqu’au bout de sa sédition et d’en recueillir les fruits. d’un lieu mien. où l’on a l’impression que le « je » tente de se constituer contre ce avec quoi il lutte sur le mode prophétique. du futur prophétique qui oriente le poète vers l’action et la conquête d’un avoir. hétérométriques constituées de vers non rimés. . La régularité d’une prosodie et d’une métrique… irrégulières Alors que dans les deux premiers textes du parcours.Martin (Le Magazine littéraire.Dans « Nous autres ». dans la strophe suivante comme le symbole d’un « ordre multimillénaire » que le poème entreprend de détruire. Et ce d’autant plus que. un nouveau combat. dans le texte 3. en vue de montrer comment la protestation enfle jusqu’à l’image finale. 23) introduit une relation de proximité entre le poète et les destinataires de son anathème et fait glisser l’énonciation d’un « je » vers un « vous ». un verbe à la 1re personne du singulier. d’un incirconscrit. Dans les deux premières strophes. d’une fable du sujet. au cri de colère proférant. III. d’une intranquillité. d’une incomplétude. se manifeste concrètement par des marques d’oralité et l’image de « l’écumante évidence ». l’équilibre syntaxique est brisé par la distribution hétérogène des compléments. » Dans « Nous autres ». Le chaos des images . grammaticalement identifiable à une préposition. dans la suite du poème. Le titre et le traitement de ce mot-clef réaffirment donc le statut de la notion de lutte dans le recueil : une manière d’être au monde. Indicatrice d’un mouvement. apparemment classique. qui constituent des unités de sens progressivement de plus en plus longues. le poème déroule un système d’énonciation à la fois simple et complexe par rapport à ceux que nous avons déjà observés dans le parcours. il organise chaque verset en phrase nominale. elle-même contenue dans un rythme binaire laudatif « combien hauts. .l’infini à travers la blessure. C’est à partir de compléments dans le verset 1 puis d’une série d’appositions que le thème se développe ensuite. après quatre poèmes en vers libres. « Icebergs » est à la fois un poème des lieux – comme « une forêt. « Solitaires ». le lac. à travers l’espace de la page des peuplades cauchemardesques et des . on pourra rapprocher ces deux poèmes d’autres textes célèbres qui font entendre dans toute sa force la voix de Michaux révolté. Par le rythme et l’invention verbale. la destruction du corps – fin du texte 3 – correspond symétriquement. partagé par le poète. dans une reprise du futur prophétique – dernière strophe du texte 4 . Texte 5 (manuel de l’élève p. il se distingue du vers libre. Et après la chambre. . ce qui exclut le verbe. différentes étapes ont confronté le sujet à toute une série d’êtres vivants qu’il interpelle ou raconte. etc. Ce rapprochement progressif n’autorise cependant l’intervention du « je » et du présent d’énonciation qu’à l’extrême fin du poème avec un nouveau rythme binaire. il est voisin de « Clown » in Peintures (1939) dans lequel s’esquisse la promesse de la rédemption et la possible conversion de la déchéance en renaissance.On passe cependant de l’apostrophe indéterminée qui situe les icebergs dans un éloignement hiératique à un rapport de communication quand s’esquisse au deuxième verset la présence d’un locuteur dans la troisième phrase : celui-ci s’adresse à la « Terre » à la 2e personne et à travers l’expression «  tes bords  ».Formellement. par le sens et la tonalité.Écriture poétique et quête du sens effet. celle de la cathédrale (ligne 4). « Icebergs  » précède immédiatement le second poème intitulé « Vers la sérénité » qui clôt cette première section. sans ceinture ». Elle est humanisée par son consentement. la mer. en devenant le thème principal de chaque unité de sens. « comme je vous vois / comme vous m’êtes familiers ». III. fondée sur les variations du rythme. Conclusion : Dans cette nuit qui remue. 172) « Icebergs ». Il est structuré en quatre unités visuelles en forme de versets dans une organisation en paragraphes équilibrée et scandée par la reprise anaphorique et incantatoire du mot « icebergs » au début de chaque paragraphe ou verset. le village ». cette formule qui situe bien ce qui rapproche le poète et l’iceberg.Cette familiarité est provoquée de façon paradoxale par une ouverture. personnages improbables. et l’omniprésence de la mort. animaux. à la présence du sacré. écrit Raymond Bellour. des « augustes Bouddhas » (ligne 9). Forme et situation particulière du poème dans le recueil . viennent s’ajouter les métaphores du lieu sacré. En 68 • Chapitre 3 . mais il appartient clairement à ce que Jaccottet appelle «  l’état poétique soutenu  ». . redoublé par le chiasme « je vous/vous me ».À partir de ce mot-refrain. est certainement celui qui se rapproche le plus du « poème en prose » tel qu’il s’est constitué depuis Aloysius Bertrand  : sa syntaxe et sa typographie sont prosaïques. les icebergs et leur environnement sont dotés d’attributs corporels. combien purs ». Une énonciation en forme d’évacuation du sujet . on l’a dit avec le premier poème de la section intitulé « Vers la sérénité ». On est proche de la conception baudelairienne puis mallarméenne de la beauté pétrifiée dans une immobilité marmoréenne. le poète s’exclut lui-même de la « Ville-qui-compte » : elle fut l’objet d’une quête douloureuse mais ne saurait être le lieu d’un accomplissement. Dans le cadre de lectures en réseau. Entre la déchéance du sujet privé de son « royaume de cendre » et cet épilogue. « Contre » se rapproche du « Grand Combat » in Qui je fus (1927) . repérable dans les comparants qui définissent les icebergs. le texte. Il se définit par une unité de sens et de composition ainsi que par une harmonie sonore. des phares « scintillants » et de la glaciation « incontemplée ». « Phares » et « Morts ». destinataires de ses imprécations. tandis que l’emploi du verbe « voir » suggère une sorte d’épiphanie symbolique du poète surgissant en face du bloc glacé pour affirmer sa proximité avec lui  dans une relation de «  parenté  » établie par la solitude et la liberté par rapport « aux pays bouchés ». la disparition du sujet : une invocation Éléments pour une lecture analytique I. au risque de la solitude et de la déréliction. la patrie. La sérénité glacée de l’iceberg s’épanouit dans le climat de « nuits enchanteresses » (ligne 3).« Déchéance » faisait couple. Au réseau sémantique de la hauteur et de la lumière qui s’attache à l’image de l’hyperboréal.Le rapport avec les icebergs n’est plus celui du combat mais de la contemplation et de la quête : personnifiés par l’usage de majuscules allégoriques en «  Bouddhas  ». il figure cet « ailleurs » qui offrirait au poète la possibilité de réaliser une de ses obsessions. « La sérénité terrible des âmes refusées » On empruntera à Georges Bernanos dont l’inquiétude métaphysique est pourtant très éloignée de celle de Michaux. Le passage de l’apostrophe solennelle à la familiarité revendiquée sur laquelle s’achève le poème place ici la poésie du refus dans un registre ambivalent que confirment les images. les allitérations et les assonances.la certitude revendiquée de l’exclusion : déchu de la possession de ses différents royaumes. et le poème où tout s’abolit dans l’invocation ultime d’un royaume inaccessible. celui qui est à la fois mobile et pétrifié à l’instar des icebergs. plus faciles à déplacer que ceux du poète qui trop souvent souffre de sa carapace maladroite  : les âmes des matelots morts « s’accoudent » (ligne 3). rare dans La nuit remue. « sans garde-fou. . donc le sujet. vierge de tout regard. II. le pays. les icebergs constituent « le dos » du Nord Atlantique et les bords de la Terre sont enfantés par le « froid ». se confondre avec les éléments de l’univers. une jetée. • Le Magazine littéraire n° 364. 48. qui peut évoluer (création de mots). dans l’Entretien des Muses. une voix. qui donne à sentir et à ressentir. allitérations ou autres… 3. Gallimard «  collection « Tel ». Il existe une poésie ornementale dans laquelle sons et images sont destinés à amplifier un sens. Synthèse On peut tirer plusieurs conclusions du tableau de la page suivante : . Façonner le langage Le tableau met en évidence plusieurs façons de créer des néologismes : à partir de racines latines. • Raymond Bellour. des images diverses qui passent dans le poème discrètement. édition de référence (on trouve également ce recueil dans en édition de poche Gallimard /Poésie et en « Bibliothèque Gallimard » La nuit remue.en faisant entendre des mots : par les jeux rythmiques. en utilisant des suffixes et des préfixes inhabituels sur des racines existantes. Le lexique des sensations Le tableau invite à prendre conscience de la très grande richesse du vocabulaire des sensations dans les poèmes du corpus. Lecture • Textes 1 et 2. sans aucun poids (pas de narration ni de description détaillée). Vers la problématique La poésie donne un sens nouveau aux mots : . qui associe des sons – la poésie trouve grâce aux mots sa dimension musicale –. la contemplation des icebergs débouche sur un renversement en forme d’allégorie de la poésie : l’image de la stérilité glacée des icebergs se transforme par le pouvoir des mots en une ouverture sur l’absolu de la beauté dont témoigne.en favorisant des associations nouvelles : elle rapproche des domaines différents par le biais des images. Voir lecture analytique. p. L’expression « la chair chaude des mots » permet de considérer le langage comme une matière vivante. c’est ce que fait le poète.Écriture poétique et quête du sens • 69 . « L’Espace aux ombres ». Gallimard. avoir un rapport de familiarité avec eux. Ce sonnet fonde son écriture poétique sur la pluralité de sens des mots qui permet de susciter des images nouvelles. Derrière ces deux types de rapport avec les mots se glissent deux conceptions de la poésie. 148-149 1. avril 1998 numéro spécial Henri Michaux. des thèmes dont la signification. les assonances. Ainsi « vibrement » pour « vibration ». On pourra remarquer également l’importance et le nombre des mots qui renvoient de façon détournée à l’expérience sensorielle (métonymie. le poète. de la libre association et du récit de rêves chez les surréalistes (nettement moins sensibles. notamment celle de la vue et du son. • Texte 5. 50. connue et évidente. une lumière. par concaténations de différents termes. l’aspiration à la fusion avec les éléments et le retour au « rien » certes échoue. « Bibliothèque de la Pléiade ».combats fantastiques.… . timidement mais authentiquement. métaphore. Mais sur les marges du royaume perdu. Chapitre 3 . • Texte 4. s’inscrit dans de nombreuses variations. à la quête du sens). avec un commentaire pédagogique). On constate que c’est le champ lexical de la vue – couleurs et lumière – qui domine. avec humilité. ou « strideur » alors qu’existent également « stridulation » pour « strident ». • Texte 3. évolutive. Le poète tire une puissance créatrice inattendue de sa fragilité  : il recueille. n’hésite pas à mêler les différents niveaux de langue. L’allitération en [ch] rappelle aussi que la poésie est un art musical. Ce sonnet oppose deux types de rapports avec les mots : on peut les considérer comme vivants. antonomase). 2011 • Philippe Jaccottet. le rapport entre le poète et les mots est fondamental : la poésie est avant tout un art de la parole. 1968. indications Bibliographiques : • Henri Michaux.quel qu’il soit. Vers la problématique Le langage constitue la substance du travail poétique : c’est une matière vivante. Voir lecture analytique. des formes et qui est capable de susciter des images. un topos. quant à eux. Lexique a. Bilans de parcours chapitre 3 Bilan de parcours 1 Manuel de l’élève pp. Gallimard. Lire Michaux. Œuvres complètes. p. 2. b. une femme… Cette beauté est fugitive et risque de se perdre si le poète ne se montre pas vigilant (les champs lexicaux de la brièveté et de la disparition hantent le texte). ou on peut les vénérer comme des morts. À cette conception s’oppose une poésie d’invention et de création pure  : qu’elle naisse du travail pur sur les mots chez Ponge et Queneau. comme si la poésie avait pour but de donner à voir. La mission du poète consiste à « veiller » afin d’éviter la disparition de la beauté du monde. le poète dévoile souvent sa vérité par des moyens détournés et complexes  : des images. 3 Motiver le lien entre le mot (graphie. La forme de la ballade crée le pathétique notamment par la présence du . pourquoi le sonnet s’est-il imposé au détriment d’autres formes Qu’apporte-il à la quête du sens  ? Quel enjeu esthétique représente-t-il  ? Il faudra faire un sort particulier au calligramme. les élèves pourront dégager un certain nombre de constantes. léger ou grave. Le temps n’est pas seulement ressenti par le vocabulaire dans ces poèmes mais également : . Lexique a. voire de conjurer la mort inévitable. un retour au poème de manière à commenter la rime de manière cohérente par rapport à l’ensemble du texte. Par une allégorie. . Si les êtres et les choses passent. populaire et médiévale pour la ballade. Rimes et connotations Le tableau invite l’élève à étudier la typologie des rimes – pauvre. texte écrit dont les lettres sont disposées en forme de dessin introduit par Apollinaire. dans un poème en prose. mais qui est récent et ne comporte pas suffisamment de contraintes pour être considéré comme une forme fixe. à la rime ou à l’hémistiche par exemple). bien sûr. Par l’accumulation d’images. Ces deux aspects sont indissociables. dans un sonnet. en isométrie là aussi. des allégories. Un thème classique de la poésie : le temps Plusieurs poèmes du corpus font de la poésie un moyen de lutter contre le temps qui passe. Toutes ces recherches supposent. ce qui peut être une base pour l’entretien consécutif à l’épreuve orale du baccalauréat. 162-163 1. éventuellement léonine  – et à s’interroger sur l’effet produit par l’association de deux termes à la rime. prononciation) et la chose. Chez Villon. b.par la forme fixe : elle instaure une stabilité. dans un poème en vers. 2 idem Sous la forme d’un récit autobiographique. . mais toujours attentif à la nature des mots. Les formes fixes en poésie À travers cette enquête. visuelle… On peut apprécier un poème que l’on ne comprend pas. il s’agit d’en considérer la matière. . Les images dans la « Ballade des pendus » s’enchaînent de manière à suggérer l’omniprésence de la mort. Ils pourront s’interroger sur l’origine des formes poétiques (étrangère et liée à la Renaissance pour le sonnet. Familiarité.il s’agit de saisir l’insaisissable : inventer un monde nouveau. et comparer les formes fixes rencontrées dans le parcours avec d’autres qui ont disparu ou se sont usées. Cela oblige le lecteur à s’arrêter sur les mots au lieu de les traverser de manière insouciante. sonore. Avant le sens du poème. Problématique Le travail poétique est double : . 70 • Chapitre 3 . avec des sonorités récurrentes et peu harmonieuses. 4 5 Sous la forme d’un récit entrecoupé d’images fugitives. Bilan de parcours 2 Ce questionnaire invite par ailleurs l’élève à constituer une anthologie associant lectures analytiques et lectures cursives. La signification naît de la forme du poème. chez Ronsard. Les cadavres sont décrits sans aucune euphémisation. on notera aussi le caractère isométrique des mots placés à la rime. . selon un rythme particulier (qui fait entendre certains mots davantage que d’autres)… 2. avec une grande violence. Enfin chez Baudelaire un jeu savant d’images qui permet au lecteur de se représenter le tournoiement de la fleur et l’effet qu’elle provoque. savante exotique pour le pantoum). autant de moyen d’instaurer une continuité là où le temps impose un passage fugace.par le rythme : il permet la mémorisation – la mémoire étant un moyen de conjurer l’oubli donc de lutter contre la mort . dans un poème versifié. Manuel de l’élève pp. légèreté. faire voir ou entendre ce que l’on ne sait pas voir ou entendre . suffisante. Le sens ne se donne pas aisément. sur leur évolution et sur leur détournement .Texte Quel rapport entre le poète et les mots ? Comment le poète dévoile-t-il sa vérité ? 1 Le poète crée des mots nouveaux et des associations visuelles et sonores. Par des images. Donner à entendre le mot pour la première fois.établir un rapport original au langage.par le jeu des temps verbaux . chez Verlaine l’introduction de termes du langage bas.Écriture poétique et quête du sens Vers la problématique La forme du poème est indissociable de sa signification. Lecture • Texte 1. dans un poème en prose. la poésie demeure. elle permet de s’inscrire dans une histoire. riche. Il faut considérer non pas tant le sens des mots que leur association selon une disposition particulière (qui met certains termes en valeur. c. l’association de la rime à une allitération en « f ». refrain : « Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre  !  ». mise en valeur du dernier vers par la rupture avec la règle.en faisant entendre des mots : par les jeux rythmiques. Conserva tisme de la bourgeoisie Forme ancienne pour classe sociale conservatrice qui refuse le changement. allitérations ou autres… Le recours aux formes fixes oblige le poète à obéir à des règles qui peuvent apparaître comme des contraintes mais qui favorisent des rapprochements inattendus. n’hésite pas à mêler les différents niveaux de langue… . Contraste entre la forme noble du sonnet et le prosaïsme du personnage 3 4 Pantoum  2e et 4e vers de chaque quatrain = 1er et 3e vers de la strophe suivante . La forme fixe devient ici le symbole du conformisme bourgeois.en favorisant des associations nouvelles : elle rapproche des domaines différents par le biais des images. p. Répétition introduit notion de durée. On note l’humour présent dans le dernier vers. La fragilité de l’assemblage souligne la fugacité du temps qui passe. l’emploi d’une forme fixe inscrit chaque poème dans une histoire et invite à lire ce poème au regard d’autres poèmes. Chapitre 3 . On ne parle plus seulement des pendus mais des hommes en général. un refrain. Cela met en valeur les quatre derniers vers. De plus. p. 6 Poème à « démar reur » Chaque strophe commence par « Je me souviens » Nostalgie Le démarreur appelle le souvenir. qui est ici consacré aux « pantoufles » de Monsieur Prudhomme. la pointe). susceptibles de surprendre le poète lui-même. le retour de la formule « je me souviens » permet d’associer des éléments apparemment incompatibles appartenant à des registres et à des mondes différents. 1er vers = dernier. 58. • Texte 5. répétition qui lutte contre la fugacité du temps qui passe. chaque sonnet se lit avec la mémoire des autres sonnets : la nouveauté naît aussi de la confrontation avec une histoire. qui donne une dimension morale à la mort et à la souffrance envisagées dans leur réalité physique à l’intérieur de chaque strophe. Voir lecture analytique. symboles de la sa bêtise. Accentue la dimension satirique (cf. La poéticité du texte réside en grande partie dans le principe de répétition inhérent au système du «  démarreur  » et dans le refus de construire un sens cohérent et linéaire. La pluie symbolise le temps qui passe. les assonances. Mise en valeur de la déclaration dans le dernier vers. 57. Généralisation du propos. Carpe diem Mise en rapport de l’image de la fleur (quatrains) et du discours philosophique (tercets). La typographie rend compte de manière concrète de l’écoulement des gouttes d’eau mais elle a aussi le mérite de rendre la lecture plus difficile et donc d’obliger le lecteur à lire plus attentivement au lieu de traverser les mots pour en venir directement au sens. la mémoire qui s’efface et la nostalgie. L’argumentation semble incarner une forme de sagesse populaire étayée sur la foi chrétienne 2 Sonnet Deux quatrains. ce qui crée aussi une forme de poésie. Par ailleurs. Synthèse On peut tirer plusieurs conclusions du tableau ci-dessous : Texte Quelle forme fixe ? Quelle contrainte formelle ? Quel thème ? Quel lien entre le fond et la forme ? Quel effet sur le sens du poème ? 1 Ballade Trois dizains un quintil . dans lesquels Verlaine expose avec ironie la manière dont Monsieur Prudhomme considère les poètes. alternance rimes féminines. deux sizains . Caractère inéluctable de la mort Refrain donne dimension pathétique au poème. la célèbre pointe du sonnet. il n’est pourtant pas tout à fait traditionnel dans la mesure où l’on n’a pas une opposition entre les deux quatrains et le sizain (on a même un enjambement du vers 8 sur le vers 9). 3. Fait ressentir le paysage état-d’âme . • Texte 6. • Texte 2. La disposition des lettres sur le papier donne sens à cette réflexion sur le temps  : les lettres semblent perdues. unies dans un assemblage fragile qu’un rien pourrait balayer. une pointe. Si ce sonnet est bien composé de deux quatrains (rimes embrassées. rimes masculines) et d’un sizain (rimes suivies et rimes embrassées). destinés à mourir. Souvenir Harmonie musicale pour un paysage en apparence harmonieux. 5 Calligramme Forme du poème = forme de l’objet Nostalgie Chaque lettre est comme une goutte de pluie qui coule le long d’un support. • Texte 3.Écriture poétique et quête du sens • 71 . • Texte 4. Vers la problématique La poésie donne un sens nouveau aux mots : . Ainsi. de son manque d’audace et d’ouverture aux autres. Voir lecture analytique. elle est contrainte productive. mais d’une sorte de disparition magique. Le classement permettra de dégager les notions clés et leur fréquence de réemploi dans les textes du parcours b.Écriture poétique et quête du sens . l’opération peut apparaître comme magique mais elle naît ici de la parole révoltée du « je » qui « contre » tous les acquis d’un «  ordre multimillénaire dans lequel il ne se retrouve pas ». ces mots symbolisent le processus de dissolution de l’être. Dans les deux cas. . puis du fatalisme teinté de dérision : autant de déclinai- . celle de vivre l’expérience du « rien » comme une purification et le lieu d’une renaissance. risibles (fadaise. enfin à une présence contemplative (texte 5). Vers la problématique  C’est par le biais de la métamorphose – repérable dans le système d’énonciation qui démultiplie ce « je » – que se manifeste l’inquiétude existentielle d’un être miné par son angoisse. 12) pour désigner la réduction du patrimoine culturel de l’humanité comme le Parthénon. Problématique La contrainte formelle permet au poète d’explorer le langage et le monde. le poète n’établit pas de distinction bien nette entre le corps des animaux et celui des hommes. 2. D’ « autrefois » à « maintenant ». Elle peut aider à la composition du poème et surtout elle en nourrit le sens qu’elle rend plus perceptible. v. Questionner et interpréter • Texte 1 : Il conviendra de faire relever les jeux d’antithèses dans les trois scénarios (voir les éléments pour une lecture méthodique. son mal de vivre s’exprimant comme une démangeaison page 166. de déformation. de pourrissement voire d’avilissement. en « poussière de sable ». cette caverne d’Ali-Baba dont les « richesses » se diluent comme de la poussière qui glisse entre les doigts. malgré tout une chance. À noter aussi que parmi tous les personnages qui peuplent La nuit remue. Indéterminé (texte 1). le mot poussière apparaît (p. en forme de mutilation – en forme de dépouillement. le poète est amené à faire de nouvelles associations qui peuvent le surprendre lui-même. il ne s’agit donc pas d’une allusion à la parole biblique « quia pulvis es et in pulverem reverteris ». son animalité et le sentiment de ses limites et de ses ridicules. à une voix rageuse (texte 3) à un « nous » conscient de ses refus et de ses échecs qui prend le vide entre ses mains (texte 4). puis de la rage. « L’Âge héroïque » (voir éléments pour une lecture analytique de ce texte. incapable d’aisance et d’adresse. Il est présent dans des poèmes de dates et de formes variées. 72 • Chapitre 3 . Or ce sont ces deux éléments qui donnent au discours poétique son intensité et par extension amplifient le sens dont l’écriture propre à chaque poète est porteuse. Et dans ce bestiaire qui le rapproche de Supervielle. page 65). pisseuse ». Dans le texte 1. Le sujet à l’épreuve Le lexique du corps blessé est omniprésent dans le texte 2. le sujet est condamné à aller jusqu’au bout de la déchéance et de la déréliction des mots. Le sujet a. une possibilité de conversion de cette déchéance en renaissance : accéder au vide pour Michaux. parfois volontairement.il existe des thèmes récurrents en poésie : le temps qui passe en est un. . Pour répondre à la contrainte. ligne 33) pour désigner la réduction en poussière des trésors du caveau. les termes qui évoquent le «  je  » de l’énoncé ou d’autres personnages comme des êtres de parole présentent leurs discours comme nuls. un corps souffrant et désarticulé. 174-175 1.par ailleurs. le poète corrige sa perception de la dépossession tandis que son angoisse existentielle s’exprime d’abord sous le régime de la nostalgie. galimatias). gênant comme un appendice inutile qu’on traîne comme une « carcasse […].on notera la prévalence des mots comme « loques » ou « vermine » qui connotent la notion d’usure. associée à l’image du « résidu ».à la blessure – violente. l’homme est plutôt maltraité. La contrainte et la forme fixe imposent au poète de donner aux mots une certaine place dans le vers et dans le poème. Bilan de parcours 3 Manuel de l’élève pp. c’est peut-être accéder à un état supérieur – voir « Icebergs » – où la conscience de soi et la conscience du monde ne font qu’un. pour retrouver. de déchéance physique. de pétrification. Le lexique de la dissolution de l’être 1 et 2 : Les modes de disparition évoqués sont alternativement liés : .la forme fixe n’est pas seulement contrainte. Le mot « poussière » apparaît d’abord dans « Déchéance » à l’extrême fin du poème (p. Le corps est lieu agressé et humilié : « j’avale l’affront » (ligne 20) et agressif comme dans «  Contre  »  : la ville de «  loques  » semble naître de la rage d’un âne qui hennit faisant souffler ses naseaux avec une « évidence écumante » et qui vient « braire au nez » de la civilisation. 170. Il y a donc toujours un lien entre la forme et le fond. Les contraintes sont souvent des contraintes de rythme et de structure. Lecture. On y renverra les élèves pour leur montrer que le corps est toujours présenté comme douloureux. qui le font résonner de manière unique. gêneuse. dérisoires. . assimilé à un géant grotesque (texte 2).à la désintégration par évanouissement de façon quasiment magique. ligne 7. 167. page 63). il signale la perte du royaume qui par rétrécissement devient un « lopin de terre » que le poète utilise pour se gratter. mais souvent sous un angle comique. Dans «  Contre  ».. peut-être par la poésie. Lexique a. à l’issue d’une ascèse humiliante et éprouvante. on pourra demander aux élèves de s’interroger. • Texte 5 : Le texte est saturé par un réseau de métaphores qui identifient les «  icebergs  » à un monument sacré. qu’aucun code ne régit. Face à cette liturgie du beau. non ça n’est pas pour nous. il faudra montrer comment la poésie contemporaine exploite le détournement et le dérèglement des formes héritées pour amplifier. son écriture et sa quête de sens. qui semble situer la parole dans le registre du sacré. sur la représentation respective des deux espaces. en associant dans la rage. en feignant de restituer les feintes et la surprise du combat. Chapitre 3 . du « dedans » et du « dehors » dans l’œuvre de Michaux et notamment le recueil dans lequel il a formalisé cette antithèse. le «  nous  » prophétique qui exprimait la certitude de la lucidité future. la déroute corporelle du corps humain. «  entrer. • Texte 4  : Dans le prolongement du texte précédent. Vers la problématique Dans un lyrisme nouveau qui se joue des codes du langage poétique. le parachèvement/ Non. qui s’attaque collectivement à tout ce qui constitue la civilisation. plus oratoire. les images d’un monde géométrique et ordonné qu’il refuse. le lexique présente le combat à mains nues. les icebergs recouvrent à la fois le silence glacé contre lequel s’échoue le poète et le langage de la douce lumière auquel aboutissent. la douleur et la nostalgie du « royaume ». une « cathédrale sans dieu » (voir supra pour les exemples).sons de l’infinie misère de l’homme face au silence du monde et à celui de Dieu.Écriture poétique et quête du sens • 73 . comme une vilaine mêlée entre pantins désarticulées. condamnés à une beauté stérile. des idées reçues et du pouvoir des apparences qui s’exprime. devient «  nous autres  » pour constater que la lucidité de ce sujet collectif assume le caractère bancal de son existence. chanter.  » et le rythme ternaire final. d’autres images et métaphores situent la relation entre le poète et ce décor sacré dans un registre intime développé par l’image de la familiarité. Les icebergs apparaissent alors. Le « nous » qui apparaît après l’appel aux « frères damnés » (v. triompher  ». comme l’allégorie de la poésie : apparemment inaccessibles. Mais derrière cette accumulation de refus c’est l’aspiration à une communion humaine débarrassée des mensonges. par exemple le traitement de l’aphorisme par René Char. la souffrance). retournant en anathème l’éloge convenu des civilisations et appelant le « néant » sur tous les vivants. au terme de notre parcours. • Texte 3 : Comme le précisent les éléments pour une lecture analytique. plus solennel. sans doute le poète. de l’intimité. 3. Celui-ci est symbolisé par les vers 20-25 qui indiquent que le voyage est terminé. avec quelques échappées du côté du langage noble (le cœur. • Texte 2 : Alors que le texte semble adopte la forme convenue du récit épique avec le déplacement du point de vue d’un combattant à l’autre. porteurs de mort. à la fin de leur séquence de travail sur le sens du titre La nuit remue. 23) reste très ambigu : renvoie-t-il à l’humanité tout entière ou au peuple des exclus ? Il sera intéressant de montrer aux élèves qu’aucune réponse définitive n’est possible. 5-6/30 avec un parallélisme entre le rythme binaire initial « Le triomphe. Enfin. tandis que les figures les plus vivantes de La nuit remue sont les animaux et les humains réduits à l’état de pantins. La violence est décuplée par le fait qu’on assiste davantage à l’auto-mutilation d’un être fusionnel qu’à un véritable duel. Il vient « braire au nez » des œuvres artistiques et de ceux qui les ont conçues et célébrées. démultiplier la voie du poète et la quête du sens : on pourra comparer la variété des inventions chez Michaux à celles d’autres poètes. Synthèse Pour que la synthèse prenne tout son sens. le poète détourne l’utilisation traditionnelle des formes poétiques et des systèmes énonciatifs pour dire le chaos du monde et la misère de l’homme. «  je  » désigne le sujet. Le poète revient au passé composé pour dire la dureté de l’épreuve avant que le « nous » ne redevienne prophétique pour interdire à ce sujet lucide l’entrée dans la Ville (un avatar du royaume) On notera l’effet circulaire qui enferme le poème dans la double négation du « triomphe » (v. son consentement au vide et à l’inachèvement. . Le scepticisme de Montaigne ou. et s’en indigner. Et enfin on peut tâcher de montrer le danger qu’il y a à prendre au pied de la lettre une opinion si évidemment imbécile que l’intention ne peut qu’en être différente. bon nombre des élèves penser que le texte constitue une véritable apologie de l’esclavage. place les aventures qu’il situe en Amérique. à travers la littérature.Chapitre 4 La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du xvie siècle à nos jours Parcours 1 L’homme à la rencontre de l’autre Manuel de l’élève pp. dans le texte 4. expliquer à quel point il serait impensable qu’un texte de cet ordre. doit être replacé dans le projet général de Candide. C’est ainsi que. Chateaubriand fait ici preuve d’une capacité à remettre en question la prééminence de sa propre culture qui fait honneur à son discernement. et d’un point de vue social. Ne reculant pas devant ce qu’on pourrait trouver d’un pathétique facile si le style n’en était si riche et si dense. il réussit à comprendre le sens symbolique que peut avoir l’anthropophagie chez les peuples qui la pratiquent : rendre d’une certaine manière hommage à l’ennemi que l’on mange en s’assimilant ses vertus par la consommation de sa chair. C’est ensuite seulement qu’il faut repérer les indices d’ironie. mais il lui revient d’avoir donné à cette valeur. il nous place face à une situation archétypique : une mère dont l’enfant meurt . du point de vue des mœurs. Dans le texte 1. Chapitre 4 . tout en étant leurs semblables. le texte 2 est un des passages les plus célèbres condamnant l’esclavage. c’est peut-être avant tout que ce qui lui est arrivé est la norme dans ce pays . Le texte 3. Il n’est pas pour autant dupe des bons sentiments : on peut remarquer que c’est sa propre mère qui a vendu le petit Noir pour dix écus. 196-205 PROBLÉMATIQUE Cet ensemble de textes tente de cerner. et que le pauvre homme ne semble pas animé d’un esprit de révolte que justifierait pourtant amplement l’iniquité de sa situation. son expression définitive. et la lecture de ce texte doit nous interroger sur notre capacité à détecter et à apprécier une argumentation exprimée dans un contexte qui n’est pas le nôtre. C’est donc une excellente occasion de montrer à quel point. qui est de se moquer de l’optimisme béat. Passant par-dessus le XVIIe siècle. Aussi bien du point de vue quasi métaphysique. le fait que ceci se déroule de l’autre côté du monde ne saurait rien changer à la compassion qu’on ne peut qu’éprouver pour ce deuil. la conception que les hommes se font d’eux-mêmes lorsqu’ils se trouvent confrontés à d’autres hommes qui. moins riche en problématiques de cet ordre. c’est sous l’angle d’une sensibilité et d’une humanité partagées que Chateaubriand. Bien avant même que les cultures amérindiennes soient quasi anéanties en Amérique du Nord tout au long du XIXe siècle par l’expansion de la culture européenne. À l’aube du romantisme. quelle que soit la complication introduite pour le lecteur moderne par son usage immodéré des citations latines.La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du xvie siècle à nos jours • 75 . même si son information proprement anthropologique est limitée. et même si c’est peut-être au nom de la douteuse théorie du « bon sauvage » de Rousseau. lors d’une première lecture. et sans même de vigueur polémique pour lui donner une valeur stylistique ajoutée. malgré les apparences. qui semble un successeur direct du passage de Montesquieu. figure dans un manuel de littérature d’aujourd’hui. et à quel point donc notre conception de l’homme s’élabore dans la littérature depuis plusieurs siècles. Fidèle à sa méthode constante. Ce qui est abominable dans le sort de l’esclave. la faute directe de cette mort est imputée aux Blancs qui ont repoussé les Indiens loin de leurs terres ancestrales. les opinions largement répandues à son époque. Le XVIe siècle a vu l’expansion des expéditions européennes en Afrique et dans l’Amérique récemment découverte. La fin du texte introduit certaines des phrases les plus belles qui aient été écrites au sujet des guerres de religion qui déchirent alors l’Europe. il prend à rebrousse-poil. notre sensibilité et celles de Montesquieu sont proches. c’est aussi que ces mauvais traitements s’accompagnent d’une pseudo-évangélisation (Voltaire ne manque jamais une occasion de critiquer les religions établies). Voltaire met à nu tout ce qui ne va pas. s’il exprimait naïvement ce qu’il dit exprimer. son relativisme culturel était peut-être moins rare qu’on ne pense chez les hommes cultivés de son temps. pour parler plus précisément. On peut à la limite. Il faut être attentif au fait qu’aujourd’hui le refus de l’esclavage est une évidence. leur donnent toutes les apparences d’une complète étrangeté. en appuyant son analyse sur des réflexions de bon sens. Il est souhaitable de laisser. De manière peut-être plus inattendue. en fournissant au besoin les indications culturelles nécessaires (en montrant par exemple l’absurdité qu’il y a à appeler les Égyptiens « les meilleurs philosophes du monde » quand on sait qu’en plusieurs millénaires de civilisation brillante ils ont produit moins de réflexion philosophique que les Athéniens en quelques décennies). en contextualisant le texte au deuxième degré. Montaigne est un spectateur attentif et engagé non pas tant des relations qui se construisent entre différents peuples que des représentations auxquelles donnent lieu ces rencontres inégales. . peut apparaître.volonté d’expliquer rationnellement le monde : déclin de la métaphysique. chapitre XIX. L’essor des sciences L’essor intellectuel au XVIIIe siècle se fait dans les salons. Certes. Au chap. Une littérature critique La littérature du XVIIIe siècle. qui dans les dernières lettres qu’ils échangeront. » Cet optimisme affiché va être immédiatement démenti par la rencontre avec un être malheureux. Pourtant la flagrante indignation de Céline (surtout lorsqu’on sait. Candide.Le texte 5 enfin. vol en ballon.La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du xvie siècle à nos jours . Les Lettres persanes ou L’Ingénu répondent à cette question : qui est le barbare ? Le mythe du bon sauvage se construit dans les récits avant de se structurer théoriquement sous la plume de Jean-Jacques Rousseau dans le Discours sur l’origine de l’inégalité : l’homme naturel serait bon car il n’aurait pas été dénaturé par une société perverse et corrompue. L’esclave ou l’autre arraché à son humanité Voltaire. sous certains aspects comme une littérature de combat. on voit en revanche en grand péril l’espoir d’une humanité partagée telle qu’elle se construisait peu à peu aux siècles précédents. située au nord du Brésil. un genre à la fois narratif et argumentatif s’esquisse… Il nourrit une réflexion sur l’autre et l’altérité et conduit à poser la question de la relativité des valeurs et celle de la supposée suprématie de la culture occidentale. Les auteurs de fictions revendiquent indirectement plus de liberté d’expression pour eux-mêmes. donnent une voix aux aspirations d’une population illettrée qui demande plus d’égalité et de fraternité entre les hommes. les cercles. Une littérature d’idées. à permettre à chaque homme d’accéder à l’universel. Ce paradoxe peut être résolu si on fait l’hypothèse que. L’ouverture au monde Le cosmopolitisme du temps se traduit par la rédaction de nombreux récits de voyages : de l’Italie célébrée par le président de Brosses au récit fameux de Bougainville entre autres sur son voyage à Tahiti. XIX. pour se faire bien voir de leur patron. se déclareront certains « d’avoir servi l’humanité. se montre capable d’une grande compassion et d’une grande empathie lorsqu’il est face à des individus opprimés. Ainsi. fidèle à sa vocation de médecin peutêtre. ses errements ultérieurs) laisse subsister l’espoir que la littérature contribue. améliorer la vie de l’homme (point de vue physiologique et social). le lecteur suit les pérégrinations d’un jeune héros naïf – Candide (l’adjectif signifiant également «  blanc  ») – nourri de la pensée optimiste. paratonnerre. les clubs. 199. La littérature y correspond à la politique : à un siècle de contestation politique répond le déploiement d’une littérature de contestation.essor des sciences : science naturelles. LES TEXTES DU PARCOURS Texte 3. On ne peut plus parler ici de « bon sauvage » tant le Noir victime de la transaction est plus ébahi qu’autre chose . il exprime des idées odieuses lorsqu’il raisonne sur des généralités et. Manuel de l’élève p. Dans ce conte philosophique. télégraphe… . médecine… . on croit en la raison humaine et on désire. par des démonstrations de cet ordre. théorie de l’évolution… La foi en le progrès est immense. un esclave noir au Surinam (ancienne colonie hollandaise d’Amérique du Sud. » III. L’effet comique est obtenu ici non au détriment du Noir maltraité. à l’autorité du roi. qui peu d’années après donnera les preuves d’un antisémitisme et d’un racisme frénétiques. même si elle reste policée et marquée par l’élégance et la tradition de l’honnêteté héritée du siècle précédent. encore appelée Guyane néerlandaise). être écrivain au XVIIIe siècle n’est pas une condition facile. à l’apogée de la période coloniale française. Elle habite toute l’entreprise de Diderot et d’Alembert. nous en montre par une scène aussi tragique que truculente les excès. Le passage dans l’économie générale de l’œuvre Candide (1759) est sans doute l’un des contes voltairiens les plus connus. sans cesser d’être le même écrivain. Il est évidemment surprenant de trouver cette dénonciation sous la plume de Céline. au Canada. commis par ceux qui n’y voyaient qu’une occasion de faire du profit appuyée sur un franc mépris des indigènes. magnétisme. ou aux bonnes mœurs peuvent être punis de mort. II. précisément. mais par la description des manières de faire des Européens et des indigènes qu’ils emploient (lesquels. I. La question du bonheur découle de ces interrogations : la société a-t-elle rendu l’homme meilleur ou pire ? À la curiosité du touriste s’ajoute l’intérêt pour les régimes politiques étrangers qui anime la verve de Voltaire dans les Lettres anglaises. Contexte esthétique et culturel Le siècle des Lumières : Le XVIIIe siècle est placé sous le signe du mouvement. Candide et Cacambo ont quitté le paradis de l’Eldorado. Et tend à atténuer les différences sociales : une aristocratie de la pensée plus que de la naissance s’impose. se montrent encore plus racistes que les Blancs). les grands penseurs peuvent être reçus par les monarques européens (Catherine II de Russie recevra Diderot et Voltaire à sa cour)… mais ils encourent aussi de perpétuelles persécutions politiques : les auteurs ou éditeurs qui portent atteinte à la religion. de réflexion émerge et vise à critiquer l’ordre social afin de le faire changer. grâce à l’accroissement des connaissances. avec l’idée qu’ils vont désormais être heureux : « Nous sommes au bout de nos peines et au commencement de notre félicité. 1759. Cette ouverture dans le domaine de l’esprit invite à la recherche encyclopédique et au désir de répertorier toutes les formes de savoirs et tous les types d’objets du monde. Au XVIIIe siècle. 76 • Chapitre 4 .applications concrètes de la science : électricité. Les conversions forcées Les Noirs sont convertis de force. Candide et Cacambo sont ramenés brutalement à la réalité. Esclaves réduits au statut de marchandise. À partir des éléments de la description du « nègre ». L’esclave utilise la plupart du temps un « nous » qui souligne le caractère artificiel de la situation  : ce «  nous  ». Voltaire privilégie la forme de l’argumentation indirecte. Les Blancs et Noirs devraient constituer une grande famille d’après les dires des « fétiches ». c’est-àdire un court récit allégorique à visée morale – conçu pour transmettre des idées et une leçon morale. Conclusion provisoire : la manipulation des Noirs par les Blancs. Dans Candide. Les cibles de Voltaire A. en forme de parcours initiatique qui transporte le pseudo-héros de continent en continent.« étendu par terre » : position d’infériorité. il invite le lecteur à prendre conscience de l’omniprésence sur terre de la doctrine optimiste défendue notamment par Leibniz – caricaturé sous les traits de Pangloss – et de la niaiserie qu’elle représente.situation pathétique : l’esclave est réduit au statut d’objet et son corps est mutilé : des détails précis sont donnés. cousins issus de germain ». Négation de l’altérité.« moitié de son habit. l’étranger. singes.La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du xvie siècle à nos jours • 77 . fait parler le malheureux supplicié comme un avocat dans un prétoire.dimension polémique du système d’énonciation : les pronoms personnels dans le début du dialogue entre Candide et le nègre : le « je » pour désigner le nègre. Critique de l’hypocrisie de l’Eglise : décalage entre la réalité et le discours de l’Église. En s’inspirant de la structure du conte traditionnel – qui mêle fantaisie et féérie sur le modèle des Mille et une nuits. Or. Caractérisation du passage Dans cette « odyssée » à rebours. fortune ». On ne saurait pourtant parler unilatéralement de dénonciation car si Voltaire défend une position fermement anti-esclavagiste. plus subtile.comparaison de l’homme avec des animaux : « chiens. Chapitre 4 . A. Conclusion provisoire : L’Église est accusée de conversions forcées et taxée d’hypocrisie. L’autre. par exemple. On pourrait s’attendre à trouver dans ce texte un ton véhément et registre polémique . ce n’est pas le cas. Il relève du genre de l’apologue. heureux. B. L’attaque anticléricale a. b.« il manquait … » : mutilation physique. narratif. Ce passage. dans un inventaire des régimes politiques et des malheurs du monde avant d’aboutir à une morale du repli et du désenchantement. Il souligne le refus opposé par les envahisseurs à la liberté de conscience de l’Autre. c’est-à-dire un caleçon de toile bleue » : moitié de moitié d’habit : pauvreté extrême. honneur. dénuement. mis à la mode par la traduction de Galland –. n’apparaît qu’au début et à la fin du passage. b. Le conte philosophique est donc un moyen plaisant et agréable de faire réfléchir le lecteur et de l’inviter à s’interroger sur les grandes questions sociétales. On peut observer que le « nous » occupe fréquemment la position grammaticale de complément d’objet (« on nous coupe. L’effet produit suggère un décalage entre la réalité des faits (état horrible du nègre) et l’opinion / illusion de la mère. Un discours mensonger Champ lexical de la famille : « enfants. on nous donne » : l’esclave n’a pas la liberté de ses actes.Le conte philosophique Le conte philosophique est une forme littéraire apparue au XVIIIe siècle. . L’esclavage Le Noir dans le texte est un esclave. La manipulation mentale  : étude du discours de la mère. Plan de lecture analytique I. Les moyens de la critique S’il y a « dénonciation ». Tortures et humiliations physiques : la description et les paroles de l’esclave . oppression…) tout en cédant à la vogue de l’exotisme. inégalité. II. réduit au statut d’objet manipulé). Dénonciation des mauvais traitements infligés aux esclaves. aborde un des sujets qui constituent pour Voltaire une cause à défendre. Les fétiches mentent. il n’en est rien. . Les Blancs sont parvenus à dépouiller les autochtones de tout sens critique. en leur assénant le discours traditionnel du colon qui se présente comme un bienfaiteur voire un missionnaire devant ceux qu’il vient spolier de leurs ressources et de leur identité. Conclusion provisoire  : l’esclavage avilit la personne humaine. possède évidemment une visée argumentative  : celle de dénoncer le système esclavagiste.». On les oblige à abandonner leur religion et donc une part de leur identité. c’est d’abord en écrivain qu’il s’exprime dans un élan soutenu par «  le plaisir du texte  ». le chap. Après être passés par l’Eldorado. consacré à la rencontre avec le nègre du Surinam. . des autochtones par les Européens est d’un double ordre : physique et mentale. Elle emploie des termes connotés de façon positive : « bénir. a Bilan de cette partie I : le texte reproche au système colonial et à l’Église la négation de l’autre dans son intégrité physique et morale. dit «  de majesté  » ou «  de modestie ». parents. Il préfère raconter pour mieux dénoncer en impliquant affectivement son lecteur dans le scénario mis en place. Voltaire dénonce le sort inhumain réservé aux esclaves qui sont exploités par les Européens dans les colonies. Cette fiction qui prend la forme d’un conte propose une critique virulente de la société et du pouvoir et en fustige les travers (intolérance. le conte philosophique échappe à la censure et peut véhiculer un tableau acerbe et polémique de la société. or. XIX. est systématiquement exploité.. Ils dissimulent et cautionnent un système inacceptable. C’est en fait Voltaire qui a inventé le genre. perroquets . à la réalité du mal  : l’exploitation cruelle de l’homme par l’homme. elle est implicite. Le pathétique . . on peut déduire les attaques de Voltaire contre l’esclavage : a.. jeu sur Surinam / Jérusalem : Christ entrant en larmes à Jérusalem. la littérature reflète des préoccupations spirituelles : des auteurs catholiques notamment veulent livrer des réflexions métaphysiques sur le destin du monde. ton optimisme ». les intellectuels de droite au contraire appellent de leurs vœux une « révolution conservatrice » et un retour aux valeurs.l’interjection « hélas ». Les revendications intellectuelles sont diverses : les intellectuels de gauche aspirent au « grand soir » et à un renouveau total et absolu du monde occidental . il fait écho aux interrogations récurrentes de la population sur le devenir de la société française. C’est la grande époque du roman d’analyse et d’introspection. La crise économique se double d’une crise intellectuelle : la confiance dans l’idée de Progrès s’émousse tout comme la foi en la raison. Louis-Ferdinand Céline. vécues par certains comme le moment de la mort de la civilisation occidentale.la mise en hypotypose : les larmes de Candide soulignent la situation « horrible » du nègre. en Bangola-Bragamance et découvre l’humiliation permanente que les colons font subir aux indigènes. . l’atmosphère était à l’euphorie : la paix revenue et le contexte économique favorable. l’injustice de l’inégalité sociale et le racisme qui sous-tend la politique coloniale. rage ». pessimiste et peignant un monde en décomposition. Ainsi. le nom est drôle et il évoque avec sa consonance néerlandaise la « dent dure ». Conclusion provisoire  : la situation parfaitement artificielle est dramatisée pour émouvoir le lecteur. Ainsi. Ferdinand Bardamu embarque pour l’Afrique et débarque à FortGono. les années 1930 sont perçues comme des années-charnières. « Fétiches » : objet des cultes des primitifs.Adresse directe : « Pangloss. des « petits ». L’année 1932 est celle de la chute du commerce extérieur français. la France et l’Europe plus généralement sont touchées à leur tour par la crise. Ces années de l’entre-deux-guerres sont charnières. exploitation et humiliation. Le négociant est connu mais aussi fameux pour sa cruauté. 1942. 203. En effet. b.le recours aux tournures exclamatives : « Ô Pangloss ! » : cette tonalité expressive soulignée par la ponctuation connote l’émotion. quand paraît le roman de Céline. Le passage dans l’économie générale de l’œuvre À sa publication. la tristesse ressentie par Candide. qui réfléchit sur la notion de « classe ». Références détournées : jeu culturel pour lecteur savant. raciste et malhonnête. 41-44) .. et découvre notamment. Les années folles avaient vu la parution de textes centrés sur un «  moi  » confiant dans le monde qui l’entoure et apte à opérer un retour sur soi. la cruauté. Saint Luc (XIX. le Voyage au bout de la nuit fait scandale : la langue orale utilisée ainsi que la violente critique des mœurs et politiques occidentales donnent immédiatement le ton du roman. B. Sur le plan littéraire. mais aussi une réflexion sur l’avenir de l’homme et sa place dans le monde. Voyage au bout de la nuit. en exerçant son métier de médecin.La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du xvie siècle à nos jours . . . Manuel de l’élève p. Le Voyage paraît donc en pleine crise de la civilisation occidentale. Candide occupe dans le texte la place du lecteur tandis que le nègre parle au nom des anti-esclavagistes qui ont commencé à s’exprimer. Celui-ci tient un comptoir. les Français pouvaient dignement et joyeusement fêter la paix et le bonheur retrouvés. L’humour et ironie a. qui situe le discours du nègre et de Candide dans le registre de la lamentation. Cela montre que les esclaves noirs ne sont pas complètement convertis : ils prennent les prêtres pour des objets et n’ont pas compris le sens du dogme inculqué. la méchanceté de l’exploitant. a Bilan de cette partie II : la critique implicite de l’esclavage ne passe pas par l’envolée polémique mais par un discours plus subtil qui joue sur différents registres : le pathétique. nous savons maintenant que nous sommes mortelles » (La Crise de l’esprit. L’ombre de la guerre se profile à nouveau et les systèmes politiques totalitaires éclosent.Termes dépréciatifs : « abomination. qui a connu le traumatisme de la guerre 1914-18. Polémique Le registre polémique apparaît à la fin du texte (à partir de « Ô Pangloss ») . « ton » : dépréciatif en raison de sa valeur exclusive. après 1931. Caractérisation du passage Le texte de Céline est une virulente dénonciation du colonialisme et donne à voir une image pitoyable et sordide de l’homme. le colon qui tient le comptoir s’avère un homme sans cœur. comme le souligne un texte fameux de Paul Valéry. un « petit » de ce monde. Voyage au bout de la nuit relate les pérégrinations de Bardamu. qui affirme : « Nous autres civilisations. capitale du pays : Bardamu rend visite à un collègue de la Compagnie qui l’a embauché. Humour Jeu sur l’onomastique : Vanderdendur. La crise des années 1930 engendre un retour à une littérature plus grave et politique. Mais. les horreurs de la pauvreté. . Candide emploie le registre polémique pour condamner l’optimisme.les hyperboles : « mille fois moins malheureux » / « d’une manière plus horrible » : atrocité de la situation. Paternalisme et racisme. En réaction aux idéologies marxiste et plus généralement matérialiste. le comique et l’ironique. Contexte esthétique et culturel Le Voyage au bout de la nuit est publié en 1932. in Variétés 1). de la baisse de la production industrielle. Texte 3. C. Après avoir quitté le champ de bataille de la Grande Guerre. Le passage étudié se déroule à Fort-Gono. daté de 1919. tandis que la 78 • Chapitre 4 . Les esclaves appellent les prêtres « les fétiches » : confusion entre objet et personne. Le Voyage est bien un tableau de la misère de la classe ouvrière. Juste après la guerre. en Angleterre notamment. les années 1930 sont elles aussi un moment clé et rompent avec la production romanesque de l’après-guerre. Ironie Antiphrase : « fameux négociant » / « s’ils disent vrai ». ce qui suggère qu’il leur accorde une existence et un intérêt (dernier paragraphe du texte). Il n’emploie pas un langage courant. b. Naïveté des indigènes. 1998. À l’inverse. b. Récurrence de la modalité négative (« n’osait pas bouger ». b. Racisme et mépris encore plus grand pour se faire bien voir du patron. Peinture des plus faibles. Bréal. Une dénonciation indirecte mais efficace A. Usage de termes grossiers («  couillon. 1985-1997. valeur dépréciative qui dit le mépris. 1989. Des Noirs complices Cruauté encore plus grande des Noirs qui travaillent au comptoir. « L’instinct »). l’auteur nous fait entendre tout le dégoût que la politique colonialiste lui inspire. Bardamu n’intervient pas et ne fait rien pour mettre un terme à la cruauté de la scène. La nudité souligne leur pureté et leur non-corruption pour les mœurs sociales cruelles. b. Qui est Bardamu ? un double du lecteur ? une image de l’homme qui cautionne par son silence et sa passivité les agissements des colons ? c. morpion  ») et d’exclamations qui font entendre la véhémence du propos. Voltaire Foundation. b. reprit ») qui disent sa position dominante. attitude de soumission (« n’osait toujours pas relever la tête ») B. le boutiquier organise la scène et utilise la ruse en véritable metteur en scène (verbes d’action). Le travail bafoué par la parole mensongère. contemplait »). Position de supériorité du colon.famille noire venue vendre son caoutchouc apparaît totalement démunie et misérable. c. « Connaissance d’une œuvre ». La nudité de la famille noire dit son dépouillement total. Oxford. pour signifier qu’il considère l’indigène comme un sous-homme. Simple fonction phatique pour vérifier que les indigènes comprennent bien ce qui est dit. par l’ironie et un humour noir. Gallimard. En effet. absence de parole) : renvoi à une forme de pureté et de simplicité naïve qui s’oppose radicalement à la cruauté et au cynisme des colons. toi dis morpion ? »). « il le lui noua autour du cou d’autorité. Il demeure un spectateur muet et passif. L’effet comique de la scène ne se fait pas au détriment de la famille malmenée et ridiculisée. Silence persistant. Lexique de la peur. Absence de gestes de la famille noire. Chapitre 4 . • J. Les seuls qui rient sont les employés noirs qui travaillent au comptoir et les colons. Timidité de la famille. abondance du discours direct pour laisser entendre la voix des colons. La simplicité syntaxique marque que le colon pense que les capacités de compréhension de l’interlocuteur sont limitées. Complicité du narrateur. La famille est présentée comme une image de l’innocence absolue (nudité. Un narrateur à la fois complice et distant a. Le Remède dans le mal. B. Mène et compose la scène. « n’avait encore jamais vu »). «  Le Fusil à deux coups de Voltaire  ». Une illusion de politesse. Insistance sur la pénibilité du labeur de la famille (intervention du présent de vérité générale : discours sur la condition laborieuse des travailleurs). II. La cruauté des Blancs A. • (sous la direction de) R. Une famille pétrifiée / un employeur mis en scène. Candide. c. Usage de verbes d’action (« entraîna. La langue du mépris a. Questions adressées à la famille (« Tu le trouves pas beau. Silence / parole. B. Pomeau. Grâce à la parole. Analyse de la structure syntaxique des questions  : absence d’une inversion sujet / verbe et «  tag  » final. Analyse de l’adjectif « timide » : sens étymologique qui renvoie à « celui qui craint ». « Agitant devant les yeux d’un des tout petits Noirs enfants ». Voltaire par lui-même. Commentaire de « celui-là » : « iste  » en latin. Le groupe des Blancs. Ton faussement gentil. La question pourrait être une marque d’intérêt mais reste sans réponse. Violence et brutalité du comportement du boutiquier à l’égard de la famille (« reprit l’argent d’autorité » / « lui chiffonna dans le creux de la main un grand mouchoir très vert qu’il avait été cueillir finement dans une cachette du comptoir » . À l’inverse.La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du xvie siècle à nos jours • 79 . Paris. Une légère prise de distance  ? Peut-être Bardamu est-il néanmoins une forme – certes embryonnaire – de conscience critique. Plan de lecture analytique I. Le déni de toute intelligence. Pomeau. Paris. Il insiste sur la pénibilité du travail accompli par les indigènes (« c’est long à suinter… ») et leur accorde un regard. La sympathie du lecteur va à cette famille humiliée. 1955. Un humour grinçant. Bardamu appartient au groupe des colons comme le suggère l’expression de la première phrase : « nous trinquâmes »). C’est la première fois que la famille se rend dans une boutique. Un échange déséquilibré a. Il en a assimilé les clichés racistes « moins dessalés ». question de l’habiller ». III. Les insultes plutôt que les mots. b. La parole comme arme de domination. Le spectacle de l’humiliation A. le colon réussit à anéantir tous ces efforts en un échange honteux et malhonnête. Insultes méprisantes et faux paternalisme du colon donnent une image déplorable du colonialisme. Un être violent et insultant a. La famille ressemble à une statue inanimée dans une paralysie qui exprime la position d’infériorité (renforcée par l’impuissance du groupe face à un seul colon). Absence de parole de la famille noire. L’originalité de la page réside dans sa tonalité. abondance à l’inverse des verbes de perception (« regardait. Méconnaissance des codes comportementaux. Paris. coll. Starobinski. Voltaire en son temps. c. Une scène pathétique plus que comique a. Description physique et morale des indigènes a. Le Seuil. Une scène pathétique. BIBLIOGRAPHIE Ouvrages critiques sur Candide de Voltaire • Duchêne. C. • R. Pagès. L’étude de documents iconographiques permet de voir que la publicité à ses débuts s’est fortement saisie de ses clichés racistes. ❐❐ Gobineau. fréquents dans un monde colonial. Cette publicité bon-enfant banalise la représentation colonialiste et raciste du Noir. Folio. 23 mai 1931. Sur l’image. Au premier plan. Ils portent des casques coloniaux. Essai sur l’inégalité des races humaines (1853-1855). Seuil. • Dominique de Roux. dont le siège est à Paris mais les distributeurs en Algérie ou au Maroc. on distingue deux plans. On peut travailler également sur ce thème à partir de l’Olympia d’Édouard Manet. « Univers historique ». Céline. Paris. PARCOURS COMPLÉMENTAIRE « Les représentations de l’altérité » PROLONGEMENT ICONOGRAPHIQUE « Le gaz aux colonies ». Fictions du politique. Allia. passage du manuel de l’élève. Pour l’étude du tableau. 36. 80 • Chapitre 4 . ❐❐ Didier Daeninckx. Cahier Céline. manuel de 2de. • P. Ce parcours complémentaire. Les Blancs. Michel Thélia et M. Paris. Bounan. Au second plan : sur le seuil d’une tente. L’Herne. Voyage au bout de la nuit. cf ci-dessus. 92. p. 1998. ❐❐ Céline. deux hommes vêtus de blanc se parlent. et plus spécifiquement du Noir dans la littérature. première partie. Le Seuil. on pourra renvoyer au Candido de Sciascia (1977)  : nouveau Candide dans l’Italie d’après 1943. 2006. coll.. chap. appelé à être perpétuellement sous la tutelle de l’Occidental. Interprétation Les Noirs travaillent manuellement tandis que les Blancs pensent. les colons. Céline.La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du xvie siècle à nos jours . nez épaté. L’Art de Céline et son temps. mêlant textes et images. Description La place accordée à l’image et au texte est équivalente. Images : ❐❐ Publicités Banania  ❐❐ « Le gaz aux colonies ». Candide. Beaujour (dir. La publicité est révélatrice ❐❐ Voltaire. Cannibale. d’une bonne conscience civilisatrice (le Noir est représenté comme un sauvage à dompter). Muray. ont apporté confort et modernité avec leur chaudière. chapitre XVI. XIX. 1981. Il est une véritable caricature : cheveux crépus. un homme noir fait la cuisine. p.). vise à soumettre à l’étude les représentations de l’étranger. lèvres lippues. La chaudière présentée est pleine de qualités : elle est simple et sécurisée. Ouvrages critiques sur le Voyage au bout de la nuit • M.En guise de lecture complémentaire. pour véhiculer l’image d’un Noir simplet. Les textes proposés mettent en évidence une représentation stéréotypée de l’autre  : elle repose sur des clichés. 1997. Publicité en noir et blanc pour une chaudière à gaz. Paris. sourire qui dévoile des dents bien blanches. racistes. 1994 [rééd en 2010 dans la collection « Tel Gallimard »). cf le Guide du professeur. et ont des dossiers à la main. bonasse. L’Illustration. Le texte qui accompagne l’image dit que le gaz est traité par une entreprise de «  générateurs de gaz d’air  ». 1932. 1759. • Y. en particulier. L’Exégèse des lieux communs dont l’extrait constitue l’introduction est un des textes les moins polémiques de Bloy. Les aspects du raisonnement qui se rapprochent le plus de la logique mathématique. Le manuel fournit un passage de la plus célèbre oraison funèbre de Bossuet. tout en étant mathématiquement inattaquable. de la relation que les hommes devraient selon lui entretenir avec la divinité. à tort. par exemple. ou pas toujours. On est presque à la fin du traité. Plus d’un siècle s’écoule encore avant le texte 4. pour exprimer jusqu’à une vérité divine que les locuteurs ne supposent pas. et que. et plus généralement du fait religieux. et à l’insignifiance des différences qui existent entre les hommes. Pascal a lui-même contribué à l’essor de la pensée scientifique en s’occupant. de mathématiques ou de dynamique des fluides. Replacée dans une pensée moderne (post-russellienne. Particulièrement intéressant est le rapport entre les deux parties de l’extrait. mais infiniment plus convaincante qu’une simple apologétique vide d’objections. Non que Voltaire soit athée : il est plutôt déiste. La foi traditionnelle conserve pourtant des adeptes d’autant plus vigoureux qu’ils sont moins écoutés. dans la bourgeoisie qui se dit ellemême « voltairienne ». Le christianisme a cessé d’être religion officielle. même à ceux des auditeurs qui sont le plus engagés dans une vie de mondanités que la mort ne prévient pas. dans une démarche dialectique certes oratoire. Il y a là aussi. non «  falsifiables ». Dieu et le doute. s’appuyant en particulier sur les règles logiques telles que les définit (malgré la foi catholique de ses auteurs) la Logique de Port-Royal et telles qu’elles trouvent à s’exprimer dans la pensée scientifique alors en expansion. présente un contexte historique où la prééminence automatique du christianisme commence à être mise à mal. Manuel de l’élève pp. ce qui ne retire rien à la vigueur grinçante de sa démonstration. à l’écouter pas pensants du tout). 209-223 PROBLÉMATIQUE Ce parcours aborde une question qui est. à la manière de signes non perçus. un siècle plus tard. c’est-à-dire l’affaire Calas. mais revient sans cesse (Voltaire n’est pas un contemplatif) à la condition humaine.La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du xvie siècle à nos jours • 81 . situe cette universalité même dans le cadre plus vaste de l’infini accessible à Dieu seul. loin du secours de la religion – ce qui bien sûr. n’a pas été le cas de la défunte. dans le texte 5. question autour de laquelle se sont cristallisés bien des doutes et bien des luttes. à la fois logiquement serrée et présentée de manière vivante. sans doute parce qu’elle se situe dans un paradigme où on estime au moins plausible l’existence de Dieu et les concepts associés d’infinité et d’éternité. comme Bloy. On pourra réfléchir sur le fait que. XXIII. Le texte 1 est un classique  : le pari pascalien est si connu qu’il est devenu proverbial. du moins récurrente dans la culture –et donc dans la littérature – occidentale : celle de Dieu. cette hypothèse encourt le reproche d’avoir parmi ses présupposés des concepts non déterminables. où une exécution a été ordonnée pour des motifs proches du fanatisme. était moins galvaudé à l’époque qu’il ne l’est aujourd’hui. celle d’Henriette d’Angleterre (texte 2). car c’est bien le cœur de la démarche de Pascal ici : argumenter sur le terrain des adversaires de la religion. et représentait une audace de pensée et d’expression qui capitalise sur tout ce que l’humanisme a construit depuis deux siècles au moins . la tolérance. sont souvent omis dans les recueils de textes. non pas les simples mondains qui optent pour le scepticisme par désir de relâchement des mœurs ou par trop d’attachement aux affaires du monde. On doit rappeler l’occasion qui a donné lieu à ce texte. tout autant que l’humanisme de La Peste. Albert Camus enfin. puisqu’il s’agit d’en faire l’éloge. rapport fondé avant tout sur une valeur au fond bien peu divine. qui figure dans le titre du chap. c’est prendre un bien grand risque que de pouvoir être pris par elle au dépourvu. plutôt que d’en dénoncer le creux et l’insignifiance. et le chap. l’hypothèse du pari nécessaire ne parvient toutefois que très mal aujourd’hui à persuader. et le christianisme n’est pour lui qu’une variante. avec une sorte de solennité. le chapitre adressé aux hommes et celui qui s’adresse à Dieu. et il va tâcher de montrer que leur insignifiance même contient des évidences qui vont au-delà de leur sens courant. et que c’est surtout par le sarcasme que s’exprime ici son mépris des bourgeois bien-pensants (ou. c’est-à-dire ceux qui revendiquent une liberté de penser en dehors des dogmes du christianisme. semble avoir en partie dépassé dans La Chute le sentiment de « l’absurde » qui a marqué ses premières œuvres. sinon centrale.Parcours 2 L’homme. limitée dans l’espace et le temps. qui a pour mérite de situer le problème dans les termes où il se présentait au cœur du XVIIe siècle : le recours au pathétique est là pour rappeler. puisque le vocabulaire y est dans l’ensemble mesuré. et l’on s’est élevé du cas particulier aux valeurs universelles : le mot même. par exemple). par contraste. Cela ne retire rien à la force de l’argumentation de Pascal. dû à Léon Bloy. Tout est signe. et fait aussi allusion à la nécessité où il se trouve de gagner sa vie en écrivant. donc non opératoires. ou disons un des moins violemment polémiques. sans doute. c’est-à-dire le respect de l’autre dans sa différence. et a été mis à mal. dans une optique chrétienne. XXII. à la manière dont un texte sacré peut accueillir à la fois une lecture factuelle et une lecture symbolique . Il use ici d’un raisonnement paradoxal pour mettre à mal le conformisme : il va chercher à les lire littéralement les expressions toutes faites que commente le livre. Observons toutefois que le texte est rarement donné dans sa continuité. si on les compare à ce qui les rapproche. mais ne pointe pas toujours dans la direction qu’on croit. mais les authentiques libertins. Dans ce qui est son dernier roman achevé (mais qui aurait dû être le début de sa maturité d’écrivain s’il n’avait perdu la vie dans un accident). fût-ce sur des sujets bien minces. puisque la parole est également donnée à l’adversaire supposé. un humour au second degré  : Bloy n’est pas absolument dupe de son propos. Le texte 3. il se montre lui aussi grinçant : l’homme a en quelque sorte pris Chapitre 4 . par le scepticisme et par le scientisme qui caractérisent plus spécialement la seconde moitié du XIXe siècle. Tout comme certaines vérités mathématiques relèvent de l’intuition. Depuis la Chute. la coutume et l’amour-propre (L. Des classements plus objectifs ont vu le jour : grâce à des témoignages relatifs à l’état des papiers de Pascal à sa mort. 117) de l’homme s’opposent. C’est l’avènement du règne de l’amour-propre et de l’égoïsme.Pascal. Pascal avait-il l’intention de développer certaines pensées ou comptait-il les laisser à l’état d’ébauche ou de fragment ? Nous l’ignorons. Ainsi. les amène à reconnaître les gains à retirer d’un pari en faveur de l’existence de Dieu. Plan de lecture analytique I. des classements différents (édition Lafuma. par exemple. mais tout se passe comme si les hommes ne pouvaient assumer cette position neuve qui les place au centre du monde (bien que. Contexte esthétique et culturel Les écrits pascaliens ont été rédigés dans un contexte culturel historiquement éloigné et peu connu des élèves. Par quoi l’on retrouve un absurde plus inquiétant que celui. Manuel de l’élève p. Ainsi. qui préfère l’ordre de la 2e copie). On trouve en filigrane ici l’idée de La Boétie selon lesquelles il n’y a de meilleur maître que celui qu’on se donne pour ne pas être tenté par les vertiges de la liberté. Il faut garder en tête que Pascal est certes l’auteur des Pensées mais aussi des Provinciales. qui faisait l’arrière-plan de L’Étranger. s’adressant aux libertins. Clamence. Pascal pense l’homme dans une histoire dont le péché originel est le point névralgique. posthume 1670. censés se situer à la pointe de la pensée. 25). 1951  . édition Sellier. deux « natures  » (L. La prégnance de la doctrine de l’évêque d’Hippone dans les Pensées – qui propose une vision très sombre de la condition humaine – est évidente.le pouvoir au détriment de Dieu. l’état post-lapsaire dans lequel la volonté humaine est impuissante (l’homme veut et ne peut pas) et sous l’emprise des passions. Le pouvoir religieux est un acteur essentiel de la scène du monde. qui devront y être initiés. ne sont pas en mesure de l’avouer. mais l’humanité a préféré faire triompher l’amour de soi (amor sui) au détriment de l’amour de Dieu (amor Dei). De là. QUELQUES TEXTES DU PARCOURS Texte 1. heureux et jouit pleinement de son libre-arbitre . à travers un raisonnement logique implacable. édition Le Guern. vain et « creux » (L. Deux copies des papiers effectuées par les proches sont à la base des classements les plus sérieux. La foi à l’aune de la raison : statistiques et conviction . en 1897. Pensées. Le passage dans l’économie générale de l’œuvre Les Pensées sont une œuvre inachevée. la curiosité et l’orgueil (L. S’adressant aux libertins. un classement par thèmes efficace mais qui ne tient aucun compte des volontés de l’auteur. sont débattues (cf 5e Provinciale sur la casuistique). b. «  Le XVIIe siècle est le siècle de saint Augustin  » avait affirmé Jean Dagen. trop métaphysique peut-être. parallèlement. Les libertins érudits qui revendiquent une vision du monde personnelle. le texte. 71) et berné par ces « puissances trompeuses » que sont l’imagination. le cœur humain est donc gravement perverti : Dieu avait créé l’homme pour qu’il s’aime lui-même de manière limitée et qu’il aime Dieu de manière infinie. 1977 : édition à partir de la première copie . Dieu doit être découvert par le « cœur ». Une chose est sûre : les Pensées devaient être un traité apologétique. Pascal les engage à parier sur l’existence de Dieu et. 1976. aux incroyants afin de les amener à se convertir : les Pensées ont en cela une visée apologétique. L’humanité n’est donc plus qu’une masse de perdition. s’ils le sont. Caractérisation du passage Le texte proposé est le célèbre fragment du «  pari  ». la nature de l’homme a radicalement et irrémédiablement changé : deux « états ». la seconde partie devait compter 34 liasses mais nul plan d’organisation n’a été laissé par Pascal. L’état prélapsaire dans lequel l’homme est innocent. destinataires des Pensées. ouvrage dans lequel des questions aussi complexes que celle de la casuistique. Depuis la Faute. pour laquelle Pascal a laissé une table des matières . et les polémiques théologiques font rage depuis que la Réforme a ébranlé la citadelle du pouvoir papal à Rome. à l’image de l’homme augustinien. se complaisent dans la nostalgie mal avouée de systèmes périmés qui étaient du moins rassurants. Réfuter les arguments des libertins contre Dieu a. Dieu peut aussi relever d’un sentiment non-rationnel. resté fragmentaire. C’est celui d’une époque où l’existence de Dieu n’est jamais publiquement remise en cause. on sait que les pensées pascaliennes se répartissaient dans une première partie de l’apologie en 27 liasses (ou chapitres). 139). émancipée par rapport aux dogmes religieux ne sont pas tous athées et. publiée à titre posthume en 1670 par les proches de Pascal et les Messieurs de Port-Royal. ne présente pas de classement sûr des « pensées ». raille ici les « intellectuels » qui. Dieu est une vérité du « cœur ». l’homme pascalien.La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du xvie siècle à nos jours . L’homme déchu est dominé par la sensualité. Parallélisme établi entre l’évidence mathématique et l’évidence de la foi. c’est-à-dire qu’il ne peut être démon- 82 • Chapitre 4 . Différents classements ont été successivement proposés. Le texte pascalien est imprégné de la doctrine de saint Augustin. 210. l’en aient aussitôt chassé). n’est qu’un puits de concupiscences. L’art de convaincre A. L’influence de la pensée de saint Augustin (354-430) a été déterminante dans la construction du discours anthropologique pascalien. qui porte irrémédiablement la trace et le poids du péché originel. la physique moderne tout autant que les grands mouvement historiques du XXe siècle et que la psychanalyse. qui transforme l’échec de sa vie en amère victoire dans sa position de « juge-pénitent ». Brunschvicg propose. comparés au vide de sens qui entoure l’homme contemporain. b. Rigueur du locuteur : n’hésite pas à répéter des mots quitte à ne pas éviter l’écueil de la lourdeur. Exemples tirés des sciences. Paragraphe 1 : Pascal s’implique directement et personnellement (phénomène assez rare dans les fragments des Pensées)  : souligne l’importance du fragment pour l’auteur. ainsi. Le libertin doit se sentir concerné. La première caractéristique de l’oraison funèbre est la déploration. puisque l’oraison funèbre est prononcée à l’occasion d’un deuil. Lexique de l’intérêt : dire aux libertins le gain qu’ils peuvent retirer du pari. Néanmoins. l’oraison funèbre est un discours nécrologique qui peut donner prétexte à une prise de position sur des faits ou problèmes d’actualité. Parier sur Dieu. Invitation à la participation du destinataire : « nous » inclusif (le libertin est « embarqué ») et questions oratoires. Oraison funèbre de Henriette d’Angleterre. c. Manuel de l’élève p. L’orateur se fait alors l’organe de la douleur publique. résonne dans l’oraison un véritable cri de douleur. Pascal reconnaît et affirme la puissance du « cœur » qui fournit les premiers principes. Cf fragment 101 (Le Guern). Usage du faux-dialogue. 80). La nécessité du pari a. c’est-à-dire des discours solennels prononcés pour honorer la mémoire de quelque défunt illustre. Contexte esthétique et culturel L’éloquence sacrée La prédication au XVIIe siècle est avant tout un exercice rhétorique totalement théâtralisé où se déploie de l’éloquence devant une assemblée de privilégiés au premier rang desquels siège le roi. Être chrétien. on gagne l’infini à la place du fini. 212. La condamnation du monde : sortir des vains plaisirs de l’existence a. Celui qui prêche se doit non seulement de convaincre son auditoire mais aussi de le séduire en se soumettant aux codes de l’époque. L’art de persuader A. Ce caractère parfois laborieux de la langue inscrit le discours du côté de la sincérité. Dieu est généreux. discours souvent tenus au milieu des obsèques. une oraison funèbre peut faire allusion par exemple à la question des devoirs des rois. la différence essentielle avec le sermon est la place accordée à l’éloge de la défunte mais aussi à la déploration.Jacques Bénigne Bossuet. Texte 2. Choix argumentatif suscite l’intérêt du libertin. B. Modalisateurs  : adverbes et verbes modalisateurs  : engagement du locuteur. Interpellation directe du libertin : apostrophes. 1670. La condamnation des concupiscences. Le prédicateur peut prononcer des « sermons » : le sens du terme « sermon » est différent de celui que nous connaissons aujourd’hui. d. durant une heure environ.tré  » mais sa présence peut être sentie. il désigne une conférence donnée en plein après-midi. principes intuitifs (notions primitives de temps. Ces deux éléments séparent donc l’oraison funèbre du sermon mais un point les rassemble  : la volonté d’instruire les fidèles. de nombre) certes indémontrables mais bien établis. qui a pour objectif de prêcher un enseignement tiré des textes sacrés (aujourd’hui le terme – synonyme d’homélie – renvoie aux 6-7 minutes durant lesquelles le prêtre commente le texte de l’Évangile qui vient d’être lu) afin que l’auditeur en tire une leçon pratique (réformer son comportement et son cœur). Elle a été prononcée un an après l’oraison pour Henriette de Chapitre 4 . L’oraison est l’occasion de donner des conseils de vie chrétienne afin de moraliser l’auditeur. Un mystère de la volonté divine : l’heure de notre mort . b. L’implication du destinataire a. c. Les bénéfices de Dieu. Cette oraison ressemble davantage à un sermon puisque c’est l’élément doctrinal qui soutient toute l’économie du discours (cf le Sermon sur la mort). B. c. « vous ». c’est être bon et droit. L’appel à la vertu (dernier paragraphe du texte). Au XVIIe siècle. c’est hasarder la possibilité d’un gain total pour une perte nulle. La seconde est que l’oraison a pour vocation de faire l’éloge du défunt. d’espace. c. C. c’est refuser la vanité du monde et sortir des affres de l’apparence pour atteindre la profondeur. de mouvement. de la politique à instaurer face aux protestants… Caractérisation du passage C’est l’oraison funèbre la plus célèbre de Bossuet. b. Si on gagne. Le prédicateur peut aussi être amené à rédiger des oraisons funèbres. Le cœur contient les intuitions premières qui nous relient au vrai en dépit de notre impuissance à les prouver. «  Nous connaissons la vérité non seulement par la raison mais encore par le cœur ». d. Le passage dans l’économie générale de l’œuvre L’Oraison funèbre de Henriette d’Angleterre a été prononcée à l’occasion du décès prématuré (à 26 ans) d’Henriette. fille exilée en France du roi d’Angleterre Charles Ier. impératifs. II. L’implication du locuteur a. Bossuet a en effet été vivement touché par la mort de la princesse . Ainsi. L’art de persuader sert l’art de convaincre. Avoir des biens : ce qui motive les hommes. Pascal entend emmener le libertin sur le terrain de la raison pour lui montrer que Dieu ne choque en rien la raison. « il faut ». Enfin. Parier sur son existence ne demande aucune mise (l. Insistance et martèlement : « je vous dis que » . b. Rigueur du raisonnement marquée par l’abondance des connecteurs logiques. Être chrétien. Ce sont là des notions « qu’on ne peut définir sans les obscurcir ». La gratuité du gain. Usage du modèle mathématique  : probabilité et hasard. facilite sa compréhension du discours et permet de donner un tour concret à une réflexion abstraite.La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du xvie siècle à nos jours • 83 . b. La main de Dieu a frappé (« éclat de tonnerre ». B. Refus de la « grandeur ». champ lexical de la douleur. donc. Paris. III. tours symétriques. Un Dieu vengeur et omnipotent a. B. 71). • Mesnard Jean. « Foliothèque ». Cette mort a suscité une émotion très vive à la cour. Pascal et saint Augustin. Caractéristique de la stratégie oratoire de Bossuet. Gradation de l’ordre de l’esprit à l’ordre du cœur (Pascal). de Gigord. Classiques Garnier. Les orateurs sacrés à la cour de Louis XIV. Pensées de Pascal. 59) : art de mourir comme souci des discours moralistes et chrétiens au XVIIe siècle. vertu. Albin Michel. Qualités physiques et morales a. 75). coll. âgée de 26 ans.La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du xvie siècle à nos jours . L’art de la prédication A. • Hurel Augustin. 1996. Interpeller et embarquer le destinataire a. mais aussi parce qu’elle était aimée de tous. « Connaissance d’une œuvre ». Pédagogie de la peur (l. Bossuet réécrit un motif biblique. • Sellier Philippe. Jeunesse.France. Les références bibliques Les citations bibliques récurrentes fonctionnent comme arguments d’autorité. • Tourrette Éric. b. Il ne faut pas aimer les apparences et s’étourdir de biens. Sur les Oraisons funèbres de Bossuet • Calvet Jean-Antoine. 22). 2008. grandeur et misère de l’homme. introduction de l’édition des Oraisons funèbres de Bossuet. épouse de Monsieur. l. Fragilité et fugacité de l’existence. Paris. «  La substance de l’éloquence sacrée d’après le XVIIe siècle français». BIBLIOGRAPHIE Ouvrages critiques sur les Pensées de Pascal • Brun Jean. Voltaire raconte que « l’auditoire éclata en sanglots » pendant le discours de Bossuet. 84 • Chapitre 4 . coll. XVIIe siècle. Modestie et humilité de la princesse face à la mort et aux décrets de Dieu. L’homme ne doit pas se laisser « enchanter » par « l’amour du monde » (l. et très appréciée par Louis XIV. « Que sais-je ? ». Le Péché et la peur. La critique du divertissement (sens étymologique de divertirse : se détourner de ») : Bossuet exhorte l’auditoire à consacrer son existence et ses pensées à Dieu. C’est la vocation première du genre de l’oraison funèbre. Rhétorique de l’hyperbole On pourra analyser les procédés de la rhétorique épidictique : adjectifs mélioratifs. Caractère soudain et brutal de la mort d’Henriette d’Angleterre (l. Lecture analytique I. la mère d’Henriette d’Angleterre. b. Les fausses splendeurs du monde a. B. Paraphrase et citations sont le signe de l’innutrition biblique du prédicateur. La cour vient d’assister à la disparition brutale d’Henriette d’Angleterre. évocation d’une situation douloureuse. c. Paris. frère du roi. C. beauté. Une mort exemplaire Analyse du segment de phrase «  excepté le cœur de cette princesse » (l. 1955. celui des fleuves de Babylone (Psaume 136)  : la vie terrestre est caractérisée par l’«  inconstance des choses humaines » (l. b. Panégyrique de la princesse. Paris. • Susini Laurent. La Littérature religieuse de saint François de Sales à Fenelon. pas seulement à cause de sa proximité avec le roi dans l’ordre dynastique. Qualités exceptionnelles. • Delumeau Jean. Un discours moralisateur A. Interrogations oratoires. C. 1998. Fayard. La culpabilisation en Occident. de la « gloire » (signe d’un amour-propre dominant). Paris. coll. Paris. L’éloge de la défunte A. La finitude caractérise chacun d’entre nous (l. 9-10). 1983. • Truchet Jacques. la princesse brille au milieu des plus grands. Folio. • Truchet Jacques. Paris. en pleine jeunesse. Paris. 54). usage de la période. PUF. structures comparatives. 48). Il faut craindre Dieu (cf ses Sermons du Carême du Louvre. 1874. C. Didier et Cie. 1938. rythmes binaires et ternaires. II. 1995. L’homme mortel. Pensées. par exemple). 56). 1992. Gradation : on passe de qualités intellectuelles à des qualités morales. non à la curiosité ou à la « fausse sagesse ». Le registre pathétique Le discours doit susciter les larmes : Bossuet a recours à tous les effets pathétiques classiques : ponctuation expressive. La Philosophie de Pascal. Impératifs (« représentez-vous ») : appel à la visualisation. Susciter l’admiration. b. Bréal. 1965. chose rare dans une cour. qui sont les plus importantes pour un chrétien. Pascal. Misère de l’homme a. Desclée de Brouwer. Égalité de tous devant la mort (l. c. Apostrophe directe au destinataire « Messieurs ». parallélismes. au décor des cabinets de curiosités. Évocation suggestive du monde et de ses plaisirs. la lumière vient de la gauche. Quatre réseaux thématiques Le crâne est renversé sur le côté droit : le regard du spectateur est invité à se tourner vers la droite du tableau dans un premier temps. Comment le regard se tourne-t-il vers le coin droit du tableau ? C’est un des problèmes posés par le tableau : le regard semble se briser. le bonheur. à gauche. il pourrait évoquer les cabinets de curiosités. le cordon de rideau blanc peut également faire penser à l’agencement. Marseille. C. Situé au centre du tableau. Évocation du plaisir sensuel : référence à l’un des cinq sens : l’ouïe. le temps Troisième réseau thématique du tableau : angle droit constitué par un sablier et une chandelle éteinte et presque totalement consumée. amené à l’autre angle du tableau. d. Un espace pictural saturé : le foisonnement des objets Nous sommes en présence d’un tableau qui ne se compose que d’objets inanimés et non vivants. La figure centrale du crâne Le crâne est l’objet qui attire l’œil au premier abord. sur le théâtre du monde. À droite de cette partition. des rubans bleus qui semblent soyeux et il semble se dessiner très vaguement un nœud qui apparaît dans les tons rouges. Cette lumière de trois quarts a tendance à augmenter le volume de l’objet éclairé. Tous ces éléments symbolisent ce que recherche l’homme quand il évolue sur la scène mondaine et peuvent être regroupés autour d’un même thème : celui de la coquetterie. Aux lignes obliques qui engendrent une impression de mouvement bancal et d’instabilité s’opposent la ligne verticale / droite tirée par le sablier et la chandelle. Un équilibre précaire Les objets saturent l’espace pictural. s’arrêter dans le fond gauche du tableau. En effet. son archet. il donne l’impression d’un homme auquel on a tordu le cou. Reste à étudier l’autre ligne diagonale du tableau. juste derrière les plumes et des feuilles de laurier : symbole du triomphe. en haut. Impression de stabilité. Plaisir mondain très goûté au XVIIe siècle : notamment à la Cour et dans les salons. a. comme si elle entrait par une fenêtre. provenant de la croiséé de la fenêtre. La partition est bien mise en valeur car elle est dans la lumière. et il est presque disproportionné par rapport aux autres. la partition de la viole est comme prête à tomber elle aussi. Introduction Ce tableau a été peint vers 1640 et est exposé au musée des Beaux-Arts de Marseille. ce qui rompt l’équilibre des lignes obliques du tableau. des savoirs et des plaisirs humains semble miné. il est le point de fuite de la toile: si on trace les deux diagonales. Musée des Beaux-Arts.La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du xvie siècle à nos jours • 85 . sa fuite. b. les deux lignes de fuite du tableau. on aperçoit un reflet sur le verre du sablier. Étude I. de la gloire. on voit une viole sur laquelle est posé. Le temps ne flanche pas . A. rougeâtres. le savoir humain. Rien dans la composition de la toile n’invite le regard du spectateur à se diriger vers la droite. C’est une nature morte qui met en scène le thème de la vanité de l’existence humaine. L’équilibre est précaire : le crâne est renversé sur le côté droit. C’est la seule intrusion du monde extérieur dans le tableau. Le temps semble mieux résister que les occupations humaines. ie la science. qui demeure donc plongée dans une quasi-obscurité. Relire le tableau dans une perspective religieuse : derrière cette expression. la musique Le crâne est posé sur une partition musicale. qui rappellent le blanc des dents du crâne . B. d’instabilité. Objets qui symbolisent le temps et plus précisément son écoulement. Le crâne attire l’œil également car c’est l’objet le plus volumineux de la peinture. c. descendant. ces objets attirent l’œil car ils dessinent non plus une ligne oblique (axe : viole/rubans) mais une ligne totalement verticale. vers 1640. elles convergent vers le crâne. Mais l’impression de foisonnement est atténuée par un sentiment inverse de déséquilibre. ce triomphe des arts.PROLONGEMENT ICONOGRAPHIQUE Simon Renard de Saint-André. Le bout de chandelle ressort par le jeu des couleurs : la toile de fond du tableau est constituée par un rideau d’épais velours marron : effet de clair-obscur entre le marron foncé du tableau et le blanc de la chandelle. Il s’agit d’attributs qui servent à bien paraître sur la scène. elle-même déposée au bord de la table. La viole et l’archet tracent une ligne verticale qui invite le regard à se déplacer en biais : le regard est conduit. Aucune figure humaine ne peuple l’espace pictural. le regard du spectateur se dirige finalement sur l’angle bas-gauche du tableau. Le cordon du rideau indique également un mouvement tombant. Cependant. les coquillages C’est l’angle le plus énigmatique mais aussi le plus lumineux : composé de deux coquillages. Par effet de mimétisme/ de symétrie. Le sablier est. quant à lui. de la parure mondaine. on peut identifier avec certitude certains objets : des plumes blanches. Cette hypertrophie du crâne provient de la façon dont il est éclairé. Les couleurs le mettent également en valeur : les dents blanches arrêtent l’œil et créent un effet désagréable en raison du sourire : antithèse entre côté tragique du crâne qui symbolise la mort et le sourire qui dit la gaieté. mis en valeur par des effets lumineux : il est dans l’axe éclairé par la lumière. L’angle de vision donne l’impression qu’il va tomber . les actions humaines passent. cette incarnation foisonnante des occupations terrestres se cache une Chapitre 4 . Cependant. d’organisation. Même remarque peut être faite pour l’archet de la viole. comme en équilibre. Thème topique de la fuite du temps. Ce foisonnement. Vanité. Posé sur un riche rideau de velours vert. Si on regarde bien. la coquetterie Le regard est ici dirigé vers le coin le plus obscur du tableau : la lumière de biais n’est pas assez forte pour éclairer cette partie de la scène. Dans cette perspective chrétienne. Le tableau marque d’ailleurs cette rupture. La leçon chrétienne est la suivante : quittez le monde pour vivre dans la prière. Le temps suspendu Cette nature morte présente des objets. La chandelle est éteinte : le temps s’est arrêté dans la mort. L’impression de pessimisme qui se dégage du tableau doit être nuancée. L’espoir de la résurrection Le tableau comporte des symboles religieux. les objets sont ainsi coupés de tout contexte. La mort de l’homme est ici présentée sous la forme d’un crâne. Fables. Maximes. les plaisirs du monde marquent le temps de la jeunesse et de l’insouciance . ❐❐ Bossuet. résurrection et laissent espérer un avenir plus radieux dans l’autre monde. la condition humaine au XVIIe siècle » ❐❐ La Rochefoucauld. Ils semblent suspendus dans le temps. veiller à replacer ce tableau dans son contexte. Cependant. incarné par les parures mondaines qui visent à faire triompher le paraître.free. Le parcours permettrait également de travailler sur différents genres argumentatifs (l’apologue. cette cassure du mouvement et de la vie. 2) La peinture évoque la vanité. le XVIIe siècle. Dans un dernier temps. B. Le divertissement. Le crâne qui trône en majesté dans l’espace pictural n’est que le symbole d’une étape douloureuse qui vise à être dépassée. 1670. Ce sont les feuilles de laurier et les coquillages que l’on aperçoit dans la partie gauche du tableau. puis le regard se déplace vers les symboles du temps et de sa fuite : temps de la vieillesse où l’homme médite sur la mort. Tous ces désirs ne sont rien face à la mort et au temps. Le tableau peut être lu comme une dénonciation des activités terrestres : l’homme ne s’occupe qu’à des futilités. pour finir. II. On a vu que le tableau se lisait en diagonale : d’abord . PARCOURS COMPLÉMENTAIRE Grandeur et misère de l’homme. V. symbole de la mort. fr. 86 • Chapitre 4 . Condamnation des voluptés terrestres Nous sommes en présence d’une nature morte. Les feuilles de laurier se trouvent au beau milieu des riches parures que nous avons identifiées. Il cède au désir voluptueux. tout est vanité » (ÉccléI. Cette nature morte a pour thème essentiel la vanité d’une existence qui s’attache aux biens et aux plaisirs de ce monde. Ces éléments sont mis en valeur car placés dans la zone lumineuse du tableau. figés pour l’éternité. Oraison funèbre d’Henriette d’Angleterre. La viole et l’archet sont silencieux et immobiles.La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du xvie siècle à nos jours . On remarquera. maxime 215. le regard bute sur le crâne : choc brutal qui signifie la violence du passage d’un monde à l’autre puis glisse in fine vers les coquillages qui symbolisent le monde céleste et la vie éternelle. cette époque peint un homme rongé par ses passions. dans une perspective chrétienne. A. il cède à l’orgueil. Instruments et objets symbolisent l’existence de l’homme et ses occupations sur terre. Caractérisée par un pessimisme anthropologique. le dialogue argumentatif et l’essai). incarné par les coquillages.lanini. 1668. le caractère éphémère de l’existence humaine. hérité d’Augustin.jpg ines. L’espoir est symbolisé par la couleur verte de la nappe de velours qui recouvre la table et la pureté de la vie dans l’autre monde est symbolisée par la couleur blanche du nœud de rideau. La présence du crâne. 1670. Après l’épreuve de la mort. fr/Jardinvanitesfichiers/image015. le discours. 4. La mort est toujours pensée. avec un message implicite : « croyez et espérez ! ». Insistance à travers le sablier. ❐❐ Pascal. On notera également que la toile ne présente aucune impression de profondeur : pas de premier ni d’arrière plan : les objets sont envisagés hors du cadre temporel et hors du cadre spatial. au désir de bien paraître sur la scène du monde (libido dominandi). c’est la fin de la création. très pessimiste qui rappelle à l’homme son essence dérisoire et mortelle. à la curiosité (libido sciendi). C. aux plaisirs des sens (libido sentiendi) incarné par les instruments de musique. Ces activités ne sont que des divertissements pour nous empêcher de penser à notre « mortelle condition ». C’est un tableau très noir. en regard de la résurrection et de l’éternité. Le Misanthrope. L’impression de déséquilibre dans lequel se trouvent placés le crâne. On gagne son paradis en menant une vie terrestre dans la retraite et à l’écart des plaisirs du monde. 139. la mort n’est qu’une étape vers l’autre monde. le livre de musique et l’archet vient renforcer l’idée de précarité de la condition de l’homme. Ils sont symboles de la siaste. rappelle que ses activités sont futiles face à la mort. « Vanité des vanités. ❐❐ La Fontaine. C’est donc une œuvre religieuse qui peut être lu comme une apologie de la foi chrétienne. se régénère.leçon religieuse sur la fuite du temps et plus précisément sur la vanité des occupations huma http://karine. la maxime. la viole. capable de grandeur. l’homme. Cette dimension transcendante redonne espoir à l’homme. mais néanmoins. des éléments dont on ignore le passé et qui n’ont pas d’avenir. où la religion a un poids écrasant. Ce parcours complémentaire aurait pour objectif de travailler sur la conception de l’homme dans la seconde moitié XVIIe siècle. XI. Le tableau ne montre aucune intrusion du monde extérieur. 1665. Ils ont été comme pétrifiés par la mort. la chandelle et le crâne sur le caractère éphémère et fini de l’existence humaine. I. ❐❐ Molière. 1666. « L’Homme et son image ». que le trajet du regard auquel invite le tableau constitue le récit archétypal de l’existence humaine. ie d’une peinture qui renvoie à un langage codé. auprès de son Créateur. c’est l’arrêt des plaisirs de l’ouïe . pour certains. ils seront anéantis par l’arrêt brutal de la vie. le crâne peut revivre dans la béatitude de la vie éternelle . alors que le temps la détruit inexorablement. il cède au désir de savoir. Cohen nous empêche de demeurer émotionnellement neutres. c’est-à-dire la condamnation universelle à la mort. Le mot « mort » prend ici la place obsédante que prenaient Chapitre 4 . recours à une pensée magique. Les trois brefs chapitres qui constituent le texte 6 marquent paradoxalement la (relative) confiance que place l’écrivain dans la force des mots : en répétant (chap. celui qui a émancipé les juifs à la Révolution et qui a proclamé l’égalité de tous les hommes. mais il permet de faire sentir aussi efficacement que possible la violence de termes et de ton qu’il avait sans doute empruntée. On n’est. plans de vengeance indistincts. et en trouve plutôt trop que pas assez  : hérédité. des armes et des lois ». où le pardon s’impose. mais pas au nom de valeurs abstraites : plutôt parce que c’est le seul choix possible une fois que l’on a identifié la communauté de destinée qui unit tous les hommes lorsqu’on regarde leur vie avec assez de hauteur. XXIII foi tout de même dans la destinée de ce pays où Cohen a trouvé ses amis. Le texte 4 vient préciser la situation de l’homme Albert Cohen par rapport à son pays : juifs grecs immigrés à Marseille. marque à la fois l’extrême littérarité du projet. C’est à une technique argumentative usuelle qu’a recours le texte 5 . On peut observer une certaine animosité à l’encontre à la fois de ce qu’on pourrait appeler une littérature « bourgeoise » et du monde dans lequel elle évolue.La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du xvie siècle à nos jours • 87 . et lui laisse le loisir. Avoir achevé sa confrontation avec cet énorme roman libère pour ainsi dire sa parole. dernier chap. mais seule réaction que. Il articule cette tentative de compréhension factuelle avec un niveau qu’on peut dire « moral ». dans l’obligation morale de se situer par rapport à ce discours-là. il eut alors à sa disposition . Le texte 8 enfin. en nous conviant à assister comme de l’intérieur aux réactions psychologiques de l’enfant face aux insultes du camelot. mais la petite souffrance que lui a causée l’insulte du camelot est comme un signe. dont les motivations sont au contraire analysées à plusieurs reprises. et son ambition de se situer concrètement par rapport au réel : son propre vécu en tant qu’homme. Le texte 2 présente. Dans le chap. celle d’Albert Cohen a perdu des membres dans des camps d’extermination durant la guerre. un humanisme de la compassion Manuel de l’élève pp. n’étant pas naïf. Le mouvement est double : désenchantement dans le chap. 227 PROBLÉMATIQUE L’œuvre complète abordée ici par une série d’extraits se situe presque à la fin de la vie d’Albert Cohen. avec une sorte de candeur assumée. le sens se réduit finalement à un objet sonore. et peut-être le remède qui peut lui être apporté.Parcours 3 Ô vous. faiblesse psychologique si répandue qui nous fait jouir du malheur d’autrui. une prémonition de la catastrophe qui accablera son peuple. ses parents. le camelot ayant brisé le naïf rêve patriotique de l’enfant. Le texte 1. par la recherche d’expressivité et d’images que fait Cohen quasi à chaque phrase. et à travers eux s’ouvre une dimension collective . de revenir sur les faits qu’il a vécus. vue à travers la position juive spécifique. 1972. il faut observer que le livre à aucun moment ne profère de parole haineuse ni véritablement violente contre le camelot. à l’ouverture du livre. mais au chap. il en démontre la puissance. et aussi la gloire littéraire. plus développée que les images mentales (LVI) ou les gestes (LVIII) qui constituent les autres réactions de l’enfant. influence du milieu. Le texte 7 élargit la perspective aux autres personnes indirectement impliquées dans l’insulte  : les parents du petit Albert voient gâchée leur joie d’offrir une belle fête d’anniversaire à leur fils. désarmé face aux mots. ont idéalisé leur pays d’accueil. qui ne laisse rien subsister. Le texte 3 développe le projet du livre : Cohen va chercher à comprendre quelles ont pu être les motivations de la tirade haineuse du camelot. et face à quoi la solidarité entre les hommes devrait primer. et qui a publié peu d’années auparavant la somme que constitue Belle du seigneur. mère des arts. qui selon Cohen est une des voies par où l’on peut accéder à l’universel. car c’est dans les mots qu’est l’agression initiale. l’auteur sous-tend d’ironie tout le passage. qui n’est pas dans le feu de cette action. X. LVII) jusqu’à l’écœurement les insultes auxquelles il a été confronté. et à travers eux l’enfant. et la relation de ce vécu avec la condition humaine tout entière. pauvreté. tout en lui fournissant pour ce faire un matériau supplémentaire sous la forme de la réaction certes maladroite et vouée à l’échec de l’enfant. avec le procédé classique de l’adresse directe (par personnalisation) à la France. il nous contraint en tant que lecteurs à subir nous-mêmes cette violence. et au-delà de cette cicatrice familiale. et la réaction qu’il eut sur le moment. et aussi pour en souligner l’absurdité en tant que langage : la violence s’auto-détruit. plus que septuagénaire lorsqu’il rédige ce livre. Albert Cohen. l’emploi du discours direct ne signifie évidemment pas que les mots du camelot sont reproduits à l’identique. La répétition obsédante de «  sale Juif  » est autant formulée par l’enfant de dix ans que par le vieillard qui écrit. La destinée de l’écrivain se lit en filigrane dans le serment que se fait l’enfant de rétablir plus tard la justice et l’harmonie – même si. une sorte de ressentiment avec lequel le livre va se confronter. pas très loin du vers de du Bellay « France. au soir de sa vie. la violence. comme la plupart des familles juives. non pas tant en guise d’exorcisme que pour en assener le côté odieux jusqu’au dégoût. du livre. l’auteur prend soin de relativiser son propre malheur. frères humains. ouvre une nouvelle fois le thème de la souffrance vers celui du destin commun à tous  : la mort. et il place le lecteur. et sur leur relation avec les grands maux du XXe siècle. mais en train de lire tranquillement. c’est la blessure de la shoah qui demeure ouverte . en deux brefs chapitres. et nous oblige à constater que l’enfant a réagi comme le ferait tout enfant dans cette situation : tentative de déni. XXII. le fait central autour duquel s’articule la mémoire dans tout le livre : l’agression verbale antisémite dont l’auteur fut victime en pleine rue à l’âge de dix ans. tendant un index accusateur vers le méchant souhait ». chap. valeur illusoire. il n’y aurait pas eu. il propose. français d’origine alsacienne et de confession juive. L’Union Générale. en 1882. qui a changé. bras inertes et jambes apathiques […] ». bios. par Paul Eugène Bontoux. ce qui implique l’utilisation du passé ou du présent de narration. chap. Enfin. entraînant avec elle plusieurs entreprises. Une autobiographie respecte le pacte autobiographique. LXIX. qui peine parfois à rendre compte de l’exactitude des sentiments… Cohen assigne une fonction beaucoup plus générale à son œuvre.les insultes dans d’autres passages. ou encore La Croix. vis-àvis de soi et des autres. antisémite. Cohen n’entreprend pas de raconter sa vie. si le personnage se nomme parfois « Albert » (p. et le camelot. justifier des choix. rappelle qu’il s’agit aussi d’un texte militant. Alfred Dreyfus. p. frères humains est un texte difficile à cerner. Le récit des événements vécus est rétrospectif. de l’amour-propre. c’est savoir que l’offenseur est mon frère en la mort. S’il s’apparente à l’autobiographie. mais il veut également parler de l’homme. ce récit à bien une dimension autobiographique mais il échappe aux limites définitoires du genre. l’identification de ce narrateurpersonnage à l’auteur est parfois plus difficile à établir. de restaurer une communauté humaine. Mais l’auteur. Elle a par là une dimension argumentative. futur). journal d’Édouard Drumont. graphein. frères humains en 1970 donnait au propos une dimension engagée. 171 de l’édition Folio). Il leva le bras. Si l’identité entre ces deux dernières instances est facilement traduite par le « je ». du moins d’une universelle tolérance pour tous nos « frères humains ». De plus. II. texte 6). Un texte engagé Commençons par rappeler très sommairement les principales fonctions d’un texte autobiographique. Dans Ô vous. Ainsi. envisageant de construire « un fugace mémorial ». C’est donc dans l’absence d’espoir individuel que devrait se fonder la construction. C’est cette constante de la condition humaine qui lui permet d’établir un lien entre lui-même. et l’on doit mesurer la valeur d’un tel geste de la part d’un écrivain de confession juive en 1945. banquier juif. devant les fours allemands et en l’an de grâce mil neuf cent quarante-trois. Il s’agit d’abord de parler de soi. sinon d’un espoir en l’amour de l’humanité. du langage. Cohen suggère l’indicible violence de l’extermination en exposant toute la souffrance suscitée par un acte négligeable au regard de l’Histoire. ses innombrables pareils d’Allemagne et d’ailleurs. C’est cette conscience que tout homme est condamné et non l’amour. dans son entreprise. ces amoncellements d’assassinés. frères humains. Une autobiographie. Un récit autobiographique Il convient d’abord de rappeler la définition de l’autobiographie telle que l’a établie Philippe Lejeune. « vie » . Tout d’abord. Le parallèle est explicite dans le récit  («  Sans le camelot et ses pareils en méchanceté. texte 3).La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du xvie siècle à nos jours . On comprend donc que ce texte dépasse la dimension nécessairement personnelle et intime de l’autobiographie pour envisager la question de l’homme. qui s’inscrit dans l’Histoire du XXe siècle. est le récit qu’une personne fait elle-même de sa vie passée. enfant juif humilié. le narrateur (celui qui raconte) et le personnage (celui qui agit). 14). d’apprendre à mieux se connaître. Ainsi. ce qu’il a vécu avec les temps de l’énonciation (présent d’énonciation. Contexte historique et esthétique Ô vous. la condamnation à mort (il a d’ailleurs un temps envisagé d’intituler son texte «  Ô frères en la mort  »). De l’histoire à l’Histoire L’antisémitisme sous la Troisième République L’antisémitisme avant la Première Guerre mondiale (1870-1914) L’antisémitisme est très populaire à la fin du XIXe siècle : plusieurs journaux n’hésitent pas à s’affirmer explicitement antisémites comme La Libre parole. la publication de ses avant-textes à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Il s’attache en effet à parler de lui. L’autobiographe. Il souhaite que sa lecture puisse prévenir d’autres crimes contre l’humanité (« Mais il n’importe si je parviens à ramener les haïsseurs à la bonté. On comprend également que la publication des avanttextes de ce récit en 1945 et de Ô vous. l’autobiographie a une fonction esthétique. entre le vieillard et l’enfant de dix ans. Enfin. l’instance narrative tend à se dédoubler  : la distinction entre l’écrivain et l’homme. Le scandale de Panama ou l’affaire Dreyfus sont également des temps forts de l’antisémitisme français. p. un futur agonisant ». la société fait faillite. se heurte alors au problème de la mémoire. qui lui permet de pardonner (« Pardonner de véritable pardon. comme l’indique son étymologie (autos. du dénominateur commun entre tous les hommes. dans une revue engagée. conduit parfois le récit à recourir à la troisième personne en lieu et place du « je » autobiographique (« Je revois le geste piteux de l’enfant devant le mur qui demandait sa mort. il confère à son récit une dimension pratique. En effet. et clôt presque le texte. est accusé à tort d’avoir trahi la France 88 • Chapitre 4 . Plusieurs événements nourrissent l’antisémitisme. à les convaincre que les juifs sont aussi des humains et même des prochains ». De plus. « écriture »). 204). Il s’agit ensuite de parler pour soi : l’autobiographie sert à expliquer. le pacte autobiographique n’est pourtant pas toujours respecté. Or. le krach de l’Union Générale en 1882 attise la méfiance à l’égard des juifs de France et nourrit le cliché selon lequel ils seraient avides. « soi-même » . il ne souhaite faire que le récit d’un « souvenir d’enfance ». à la suite d’investissements hasardeux et de manipulations boursières téméraires. défend en effet les grands intérêts catholiques et s’oppose à Rothschild. c’està-dire une identité entre l’auteur (celui qui signe). banque créée en 1878. de se faire connaître. passé composé. peut commenter ce qu’il raconte. qui prétend être le journal catholique le plus anti-juif de France. c’est l’argent (antithèse  : «  fort aimée mais peu payée  ». en juillet et en août 1945. A. b. Un apparent débordement d’amour. Outre ces avant-textes. surtout après la nuit de Cristal. « sécurité ». Une version abrégée de ce texte est ensuite publiée dans la revue Esprit en septembre 1945. ce qui ne fait qu’attiser les tensions. Champ lexical de l’amour très important dans le paragraphe consacré à la bourgeoisie (« adorent ». la description du « secret autel à la France » qui apparaît au chap. l’homme (« cet homme qui me regarde dans cette glace que je regarde ») et l’enfant. L’antisémitisme dans l’entre-deux-guerres Les Juifs ayant participé à l’Union sacrée qui a permis la victoire. issu d’une famille juive. Ce climat n’empêche pas les Juifs d’Europe de l’Est. liée à des convictions religieuses mais surtout au nationalisme et au racisme. frères humains est à cet égard déroutante. Un texte inclassable Un incipit renseigne généralement le lecteur sur le genre et le ton de l’ouvrage qu’il va lire. n’existe pas. depuis Londres. existe également. Chapitre 4 . « confortablement »). Un amour subordonné à une autre valeur. jeux de mots : « une riche grand-mère bourrue et par conséquent proclamée cœur d’or ». Les bourgeois « sourient » (répétition du verbe « sourire  » un très grand nombre de fois) pour exprimer un amour qui. La première page de Ô vous. « raconter ». ce qui compromet toute étude génétique de ses textes. l’antisémitisme s’apaise un temps : il n’est plus revendiqué que par une extrême-droite virulente et anti-bolchévik. Après la publication des Valeureux en 1970. le krach de 1929. B. « bonne et rentée famille ») et son corolaire. « chérissent ».La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du xvie siècle à nos jours • 89 . liée à un fort sentiment antiparlementaire. ouvrage qu’il confie aux éditions Gallimard en décembre 1970 et qui sera publié en mai 1972. Gallimard lui conseille. il reprend ce texte pour composer Ô vous. caractéristique de l’écriture autobiographique (« je veux ce soir te raconter et me raconter  ». La mort mystérieuse de Stavisky entraîne la chute du gouvernement Chautemps et une émeute en février 1934 au cours de laquelle on entend de nombreux slogans antisémites. « s’attendrissent ». ravivent ce sentiment de haine dans les années 1930. Négation (« Mais il ne s’agit ni du jour […] »). le confort (champ lexical du confort : « confort ». de soi pour soi. L’adresse aux «  antisémites  » au contraire donne une portée générale et engagée au récit. Le sourire comme symbole de l’hypocrisie. un récit autobiographique en deux parties intitulé « Jour de mes dix ans ». C. La méfiance à l’égard de l’amour Sur un plan thématique au contraire. L’affaire Dreyfus divise la France et Zola prend parti en faveur des dreyfusards en publiant son célèbre « J’accuse ». de revenir au titre initial. Mise à distance des codes de l’autobiographie a. Toutefois. «  du jour où j’eus dix ans »). l’immigration allemande accélérée par l’accession au pouvoir d’Hitler. Prise de distance ironique à l’égard d’autres autobiographies. A. L’auteur hésite sur le titre de l’ouvrage. Emploi de la première personne. Le Front Populaire et l’arrivée au pouvoir de Léon Blum en 1936 marquent encore un pallier dans la recrudescence de l’antisémitisme et l’on n’hésite pas à affirmer dans les rangs de l’extrême-droite que Hitler est préférable à Blum. Le narrateur affirme vouloir raconter « une histoire […] vraie de [s]on enfance ». V du Livre de ma mère. il publie dans La France libre. poète qu’il admire. Un texte engagé. le titre Ô vous. nourri d’anticapitalisme. On peut ainsi sans hésiter souligner l’importance de ce souvenir du jour de ses dix ans pour l’auteur. Toutefois. « fort aimée ». L’instance narrative. De la genèse à la réception Albert Cohen a toujours pris soin de détruire ses brouillons. souffrance et recours I. dont les liens avec la police. « embrasse ».…). En réalité. l’argent. « plume »). L’antisémitisme est alors une valeur de droite. est un escroc notoire. où il réside alors. Registre satirique à l’égard des autobiographies bourgeoises qui se nourrissent de clichés : emploi de l’article indéfini (« quelque convenable amourette avec une fille de bonne et rentée famille ») et du pluriel (« aux vieilles générales tyranniques et sourdes »). Le récit remporte un franc succès dans des milieux très divers mais tout particulièrement dans les milieux catholiques. pour des raisons commerciales. frères humains. il a publié des avant-textes de Ô vous. l’amour est second dans la hiérarchie des valeurs bourgeoises. La hiérarchie des valeurs bourgeoises a. XXI avait déjà été faite au chap.en livrant des documents secrets aux Allemands. Un récit dans l’intimité. l’antisémitisme de gauche. d’affluer en France. 228 La mémoire. en réalité. c. Pacte de sincérité. Distinction entre l’auteur (champ lexical de l’écriture : « Page blanche ». Deux lectures analytiques Texte 1. b. la presse. L’affaire Stavisky entraîne une nouvelle poussée d’antisémitisme. Manuel de l’élève p. le texte présente une plus grande unité. Stavisky. b. avant d’envisager un titre qui traduise plus explicitement son projet : «  Ô frères en la mort  ». la justice et un certain nombre de membres du gouvernement sont brutalement mis au jour. la crise économique et le chômage qui en résultent. chassés par le nazisme. frères humains. Les enjeux a. Une autobiographie ? a. frères humains. Toutefois. qui suggère un récit intime. b. Il traduit une grande méfiance à l’égard de l’amour sous toutes ses formes. il convient de rappeler que certains passages de ce récit apparaissaient déjà dans Le Livre de ma mère : ainsi. Ce qui vient d’abord. « message dentaire d’amour du prochain »). En effet. Adresse à la « page blanche » et à la « fidèle plume d’or ». II. Il emprunte d’abord à Villon. Le sourire se déforme en une grimace (« squelette de bouche ». « stabilité ». Une certitude. L’amour – après la Deuxième Guerre mondiale ? – n’apparaît plus comme un sentiment viable. il peut pleurer de compassion. Manuel de l’élève p.L’amour est donc une illusion dans le milieu bourgeois. B. Préserver le souvenir L’écriture permet tout d’abord d’entretenir une mémoire. Ils ne sont désignés que par le pronom « ils ». Ça ne souffre pas. Un dénominateur commun : la mort Le seul point commun entre l’auteur et ses « juives douleurs » et les haïsseurs. l’idée centrale du récit selon laquelle l’humanité est caractérisée par une condamnation à mort. III. tournures de phrases maladroites (répétitions). commentaires explicites  : «  ce qui était peu convaincant et n’arrangeait rien  »  . Ô tristesse de cet homme dans la glace que je regarde »). Papa et Maman sont gentils […] ». L’amour est-il encore possible ? a. B. « tristesse ».… B. « douleur ». « Un youpin par terre »). Il se moque des réactions qu’il a eues le jour de ses dix ans (modalisateurs  : «  ridiculement ». rythme ternaire qui mime les formules magiques employées : « ferait que le malheur ne serait pas arrivé. « je l’aime »). L’amour le plus pur. La compassion Registre pathétique. je le sais. Mise en perspective. solitude vs « mon trésor de Maman ». « gestes magiques »). Émouvoir le lecteur L’écriture permet également d’émouvoir le lecteur. « agonie » : le champ lexical de la mort qualifie aussi bien l’auteur que les antisémites). « ciment sale ». «  saigne  ».La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du xvie siècle à nos jours . Même si le message reste implicite. II. b. I. si l’enfant avait l’espoir de s’exprimer « du haut d’une montagne ». première personne qui invite à l’identification du lecteur au personnage. 233. l’amour pour un bébé innocent (champ lexical de l’amour : « j’aime ». Refus de nommer l’ennemi. « Je les connais  »  . Prendre de la hauteur Enfin. Fait entendre la voix de l’enfant. l’écrivain prend de la hauteur. b. va même jusqu’à employer un ton amer (« Pauvre petit imbécile » : phrase nominale. employé deux fois. B. -  précision des sensations : « ciment froid ». Les coupables ne sont pas nommés. sans appel). c’est la mort à venir (« enterre ». Albert Cohen écrivain se démarque de l’enfant qu’il a été (« Albert de dix ans »). Cohen va ensuite plus loin en faisant peser un doute sur l’amour dans sa version la plus pure. champ lexical du malheur («  consolation  ». Même l’amour pour un bébé est sujet à caution car l’enfant pourrait devenir antisémite et haineux. Distance entre l’auteur et le personnage. Salomonus ou Glix ». « ô mon chéri ».…). L’auteur exprime explicitement sa certitude que l’écriture ne peut accomplir la vengeance rêvée lorsqu’il était enfant (champ lexical de la certitude : « je sais ». de mise à distance. Moquerie. il envisage la métamorphose de ce bébé en un homme haïssable (radicalité de la métamorphose  : de « sourire édenté » à « adulte à canines » ou « haïsseur qui ne me sourira plus »). La métamorphose. La conviction que l’écriture ne peut accomplir sa mission a. «  folie  ». « raconterais ») pour se venger est condamné au même titre que les autres réactions enfantines : appel à l’amour (« aimez-vous les uns les autres ») ou paroles et gestes magiques (« un mot puissant. qui permet d’émouvoir le lecteur. de préserver le souvenir : pour lui et pour les autres. Récurrence du « ô » lyrique qui prend en charge la déploration (« Ô rictus faussement souriant de mes juives douleurs. Il utilise son recul pour mettre en relation l’acte raciste dont il a été victime à dix ans avec l’holocauste («  mon petit camp de concentration ». Le projet de devenir écrivain (champ lexical de la parole : « dirais ». jeunesse vs sentiment d’être « las et vieux ». « baiser ». alors même qu’il se moque parfois amèrement de ses réactions d’enfant. futur de certitude  : «  pleureront  ». est déjà présente. C. «  trouveront »). Un regard critique à l’égard des réactions de l’enfant a. a. b. Ô frères en la mort A. Un récit paradoxal A. Texte 5. seul sentiment possible entre les hommes. D’« enfantines bêtises ». L’efficacité de l’écriture A. Vocabulaire enfantin. Registre pathétique : -  insistance sur la jeunesse de l’enfant («  dix ans  » répété plusieurs fois) - motif des larmes (« sanglotais-je ». «  enfantines bêtises  »  . XXVII. Une enfance bafouée La lecture analytique ne porte que sur le chap. les youpins ») : pas de stigmatisation. 90 • Chapitre 4 . Leur voix même est intégrée au discours du narrateur (« Aucune importance. « mourrez ». Si le lecteur ne va pas « pleur[er] de remords ». Registre réaliste : -  discours direct : « Oh. Pourtant. alors même qu’il affirme que l’écriture ne pourra pas le venger. En effet. ferait que le camelot ne m’aurait pas chassé et que je serais maintenant content à la maison »). Albert Cohen entreprend d’écrire. b. L’auteur remplace l’amour par la compassion. « me mouchant à tire-larigot ») - jeux de contraste : « ce cabinet de gare » vs la « maison ». les villageois et les habitants de Guernica. C’est un symbole récurrent dans l’œuvre de Picasso. peintre cubiste espagnol qui a passé une large partie de sa vie en France. - L’homme à terre. il n’y a aucune issue à l’horreur. Dès lors. Quelques figures animales - Le taureau. jour de marché. Elle lève son regard vers ciel. couleurs de deuil. Il s’agit d’une scène pathétique. La première arme spécifique au peintre pour dénoncer la guerre est la gamme des couleurs. Il est décapité. Guernica. B. Une vision fondamentalement pessimiste Mais. convergent vers cette lumière. Il symbolise plutôt le peuple. foyer de la résistance républicaine. Ses épaules sont basses comme si elle était accablée. En guise de conclusion. La déconstruction spatiale Ce sont des formes plates et simplifiées qui sont utilisées : elles sont plus frappantes et rendent universelles la dénonciation de la guerre. Tous expriment la souffrance et offrent à la vue des corps disloqués. L’enfant qu’elle semble tenir dans ses bras a les yeux fermés. l’enlèvement d’Europe par Jupiter par exemple). c’est un symbole de puissance sexuelle (cf. c. on ne repère aucune ligne de force. Une femme à gauche est peinte bouche ouverte. comme s’il était mort. De plus. or. Entre pessimisme et espoir A. aucun point de fuite. le blanc et le gris qui dominent. en position de supplication. Cette toile de 349 cm sur 776 cm est aujourd’hui exposée au musée de la Reine Sophie à Madrid. Elle a été dictée par l’atroce bombardement de Guernica. Les protagonistes : expressionnisme et symbolisme On note un mélange de figures animales et humaines. On remarque des flammes qui symbolisent l’enfer. Ce symbole de paix et de liberté est blessé à mort. au Pays Basque. envoyée par l’Allemagne. Représente-t-elle une transcendance salvatrice ? Annonce-t-elle la victoire des républicains sur les troupes fascistes ? B. Selon la mythologie. on passe du taureau (symbole de la violence) à l’homme encerclé par les flammes. Chapitre 4 . C’est un instrument de guerre pour l’attaque et la défense contre l’ennemi […] j’exprime clairement mon horreur de la caste militaire qui a fait sombrer l’Espagne dans un océan de douleur et de mort ». comme symbole de la protestation contre le fascisme. On peut s’arrêter sur certains détails. b. - Le cheval. la Luftwaffe bombarde cette petite ville basque. Trois moyens picturaux sont employés pour montrer l’horreur de la guerre : couleur.Prolongement iconographique Pablo Picasso. elle semble hurler. Elle semble un peu à part. Guernica reste symbole de la révolte contre l’horreur du fascisme et de la guerre. La délivrance à venir On peut noter des signes d’optimisme. La ville est entièrement détruite : cinq mille personnes trouvent la mort. couleurs sombres. ses membres sont éparpillés. expressionnisme. 1937 Guernica est une œuvre de Pablo Picasso. Une vision apocalyptique A. tous les regards. Le tableau est commandé par l’État espagnol pour l’Exposition internationale de 1937. a. Picasso avait demandé que son tableau ne regagne l’Espagne que quand elle serait délivrée et le tableau n’est exposé en Espagne que depuis la mort de Franco. À côté de lui. symbole du chaos. - La colombe. une lame brisée  : il n’a rien pu contre les bombes. - La femme à la lumière. décide en accord avec forces franquistes de lancer l’opération Guernica le 26 avril 1937 : lundi. La lumière semble une lueur d’espoir . on peut laisser la parole au peintre : « Non. I. L’homme qui en sort a les bras vers le ciel. Il permet de pallier l’impossibilité de peindre tous les gens sur le marché au moment du bombardement. L’espace est hétérogène et fragmenté.La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du xvie siècle à nos jours • 91 . dans la partie droite du tableau. Un chef d’état major de la légion Condor. - L’homme en enfer. Il incarne la brutalité. Quelques figures humaines - La femme à l’enfant. si on lit le tableau de gauche à droite. la peinture n’est pas faite pour décorer les appartements. ce qui dit son impuissance. ternes. Le mélange des hommes et des bêtes Il semble que soit remise en cause la notion même d’humanité face à de tels actes de barbarie. Des couleurs de deuil Ce sont le noir. C. De plus. II. les regards qui se tournent vers le haut pourraient regarder vers la lampe comme figuration des bombes qui tombent. - La femme accablée. pendant la Guerre d’Espagne qui opposait républicains et fascistes. Elle symbolise la conscience de l’humanité pétrifiée à la vue de ce spectacle d’horreur. composition. Surprise et pétrification se lisent sur son visage. En effet la modernité des armes entraîne une horreur accrue et la mobilisation générale donne lieu à une très abondante littérature de témoignage. romans et l’on a une vision impressionniste. mythobiographe. déjà présent chez Homère. 1998. coll. 1934. « 128 ». sur la légitimité du témoignage autobiographique quand on se pose la question de l’homme. journaux intimes. 92 • Chapitre 4 . ❐❐ Primo Levi. Les témoignages sur la Première Guerre mondiale marquent un premier changement. 1997. 2004. 1975 (repris dans la collection « Points »). lettre 118. ❐❐ Guillaume Apollinaire. Lettres à Lou. ❐❐ Jean Géhenno. « Et brusquement […] puis nous ne vîmes plus rien ». mais il se charge d’une nouvelle force au XXe siècle. « Je façonnais […] ses mouvements plus intimes ». ❐❐ Robert Antelme. Seuil. Ellug. Bibliothèque de la Pléiade. coll. 1993. SEDES. « Poétique ». Ô vous. « Folio plus classiques ». Gallimard. On lit carnets. 1996. Civilisations. • Véronique Duprey. Le témoignage de guerre ou l’écriture impossible ❐❐ Georges Duhamel. • Albert Cohen. • Jean-Philippe Miraux. on peut s’interroger sur la manière dont on passe du récit à l’argumentation. raide ». • Philippe Lejeune. coll. coll. « Les Ateliers de l’imaginaire ». lettres. frères humains. Le Pacte autobiographique. « On devient très moche […] il s’en va. Le récit de guerre est en effet un genre fort ancien. 1918. « Folio ». subjective de la guerre. Écriture de soi et sincérité. • Albert Cohen. La Deuxième Guerre mondiale pose un nouveau problème  : comment raconter l’horreur des camps ? par quels moyens affronter l’impensable. 1947. Albert Cohen. édition de Christel Peyrefitte et Bella Cohen. Parcours complémentaire Les fables du deuil. 1947. Si c’est un homme.Indications bibliographiques • Albert Cohen. « Pouvais-je leur parler […] devant la vérité ». Le Livre de ma mère. dire l’inimaginable ? Dans la perspective de ce groupement. coll. • Évelyne Lewy-Bertaut. Œuvres.La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du xvie siècle à nos jours . L’Autobiographie. 1915. Gallimard. Les Instances parentales dans l’œuvre d’Albert Cohen. sur les rapports entre l’expérience individuelle et la condition humaine. Journal d’un homme de quarante ans. édition de Franck Merger. Nathan. 2001. Il s’agit à travers ce groupement de textes de montrer comment l’écriture autobiographique peut prendre une dimension argumentative. On est bien loin de la littérature épique. Gallimard. L’Espèce humaine. Une clarification s’impose sur le sens à donner à ce terme  : l’humanisme de Montaigne n’est pas celui de Rabelais. Le système esclavagiste repose sur des présupposés idéologiques racistes qui nient l’humanité de ceux qu’on appelle alors des « nègres » et incitent au mépris des coutumes et à la haine de l’autre. 78) • Texte 4. a. la naïveté. a. . leurs lois justes. . Chapitre 4 . Les traits caractéristiques de l’humanisme de Montaigne sont : 1. l’antiphrase (l. Les procédés utilisés sont l’usage du discours direct. Il n’est plus un sujet humain. la ponctuation expressive. il se méfie du pédantisme et son usage de la citation est essentiellement argumentatif et critique. lecture analytique. Cette attitude conduit à une réflexion sur la relativité des coutumes et des mœurs. c’est celui qui croit à la barbarie. Son humanisme est donc à envisager plutôt dans le sens moderne du terme qui s’esquisse historiquement tout au long des textes du parcours. . a. Héritier des grands découvreurs des textes de l’Antiquité.La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du xvie siècle à nos jours • 93 . La dénonciation est plus efficace car la mère est vue comme une victime pitoyable du colonialisme. une des premières affirmations en Occident d’un rapport à l’autre fondé sur le relativisme culturel chez Montaigne et un souci premier : reconnaître des qualités et des défauts aux deux cultures : . la fausse logique (question finale du texte). la présentation de l’enfant comme le faible et l’innocent par excellence : l’axiologie positive de la présentation rend le texte émouvant. il peut être intéressant de compléter le parcours par une initiation à la notion d’ethnocentrisme et de lire aux élèves des extraits de Race et Histoire de Claude Levi-Stauss afin d’éviter toute lecture réductrice de la citation fameuse : « Le barbare. 2. Le registre ironique se repère à travers l’usage du conditionnel et de la structure hypothétique initiale . protégée contre les appétits de possession et de pouvoir du monde occidental. Associé depuis Rousseau à la représentation d’une humanité auto-suffisante. » Ces perceptions radicalement antagonistes révèlent deux représentations opposées par rapport à la question de l’altérité : 1/ l’ouverture au monde (caractéristique de l’époque humaniste ou du siècle des Lumières) qui manifeste une volonté de s’ouvrir à l’autre et manifeste une curiosité pour les autres civilisations et cultures.Le désir de s’émanciper par rapport à la tradition qui entraîne une authentique curiosité à l’égard de l’autre. Elle le donne à voir dans un effet d’hypotypose. Désigner l’autre La perception et la désignation de l’autre varient d’un texte à l’autre : 1/ soit le regard est bienveillant et la qualification de l’autre est sinon laudative du moins objective : on essaie de regarder et de comprendre l’autre. . 2/ le repli identitaire  : la peur de l’étranger et d’une contamination par l’autre domine (menace fantasmatique d’une perte d’une prétendue pureté). mais est réifié. • Texte 3. une méthode caractérisée par : . Il est celui dont il faut se méfier et même qu’il faut parfois exploiter au nom d’une prétendue supériorité culturelle. a. guerre idéologique. Lecture. b. l’esclavage mérite d’être condamné car cette exploitation de l’homme se justifie que par une exigence de profit économique. Son « humanisme » se situe du côté d’une recherche de la sagesse et la conquête d’un savoir encyclopédique l’intéresse peu. • Texte 5.les Occidentaux : violence. Le colonialisme est l’incarnation même de cette attitude de fermeture à l’autre  : ce dernier n’est pas envisagé en tant qu’homme mais exploité. Dans les deux cas. a. heureuse. de Ronsard ou de Du Bellay. p. b.le recours à l’argument d’expérience : le locuteur se présente en tant que témoin oculaire.Bilans de parcours chapitre 4 Bilan de parcours 1 Manuel de l’élève pp. • Texte 2. Cette prise de parole par la victime renforce l’effet pathétique car Voltaire donne la parole au faible. 2. Selon Montesquieu. La force de conviction du passage tient au récit vif et alerte qui rend la dénonciation concrète (cf.la recherche de modèles de pensée chez les Anciens (Platon.l’apologie de la tolérance (l. Aristocrate distancié. • Texte 1. qui ne maîtrise que moyennement le grec. 206-207 1. 74). 17 et 22 par exemple). Montaigne déplore en revanche une violence brutale à la guerre. Leurs qualités sont  : la pureté (état de nature non corrompu). il n’en partage pas totalement l’allégresse. La mère se dit coupable et responsable de la mort de son enfant alors que les colons le sont en fait.les «  cannibales  ». b. Properce) dont l’épicurisme est proche du sien. comme l’« étranger » (sens étymologique). Il faudra bien sûr rappeler aux élèves que la plupart des textes du parcours sont antérieurs à la déclaration des droits de l’Homme. 2/ Soit le regard est méprisant et dépréciatif  : l’autre est alors perçu comme une menace. l’exagération. refus de la tolérance. Lexique a. pas de prise de position directe : le narrateur témoin renforce le malaise du lecteur et l’implique dans sa vision 3. l’usage de l’apostrophe à la 2e personne du pluriel. L’efficacité argumentative est maximale : le libertin ne peut pas être en paix. b. Il est perçu comme une menace. p. Lexique Vers la problématique. Lecture. de désigner de manière arbitraire le bien et le mal. La disparition de la foi chrétienne a engendré le triomphe de la bêtise. L’homme étant un animal social. on dira que l’attitude bienveillante ou malveillante d’une société à l’égard de l’autre révèle deux conceptions radicalement différentes de l’homme. simplement un miroir de la condition humaine.le mythe du «  bon sauvage  » est ici détruit par le regard porté sur la famille noire par un Céline qui utilise le terme « sauvage « de façon récurrente comme une étiquette. un égal à connaître dont la culture est à découvrir. L’homme a également un devoir de solidarité des hommes les uns envers les autres (l. Tout le monde est fautif. La leçon morale est contenue dans le dernier paragraphe. Les autres Noirs qui se sont acoquinés avec les Blancs sont de véritables « collaborateurs  ». Soit l’homme est objet de haine et de rejet. les impératifs. la fiction . Le texte est bâti sur une très grande rigueur argumentative attestée par l’abondance des connecteurs logiques. À la place des grands prophètes parlent ainsi les stupides bourgeois. en malheureux colonisés et méchants colons. leur incapacité à penser. Le rire est ambigu car en même temps le lecteur ne peut s’empêcher de sourire ou de rire de manière sadique de la souffrance infligée à la famille et de son caractère ridicule. par formules toutes faites qu’il n’entend pas et ne comprend pas. a. • Texte 3. tout le monde est complice.le récit. b. a. 83. • Texte 4. il ne peut s’interdire un rapport avec tous ceux qui ne seraient pas de la même confession que lui. La nature et la culture se rejoignent dans une même médiocrité. • Texte 5. Pascal choisit cette stratégie pour montrer aux libertins que Dieu n’est pas incompatible avec la raison. l’homme a besoin de certitudes laïques. une figure menaçante de l’altérité dont il faudrait se protéger. réside une tentation totalitaire permanente. Voltaire dénonce l’incapacité humaine à accepter un point de vue différent du sien (« ceux qui ne pensent pas comme nous ». par les questions rhétoriques. Les moyens que Voltaire déploie pour persuader sont le rythme de ses phrases dont l’enchaînement paratactique est simplement interrompu par des recours au discours direct. corrompus. leur petitesse et l’infini pouvoir de Dieu. Soit l’homme est vu comme objet de curiosité. a.des tonalités variées : ironie. invite à une comparaison entre la grandeur morale de la princesse et la médiocrité de l’auditoire qui vit dans la certitude de sa toute-puissance terrestre (lignes 40-45). vicieux et cruels. 82. le narrateur de La Chute. constate dans cet extrait que la foi chrétienne a été remplacée au XXe siècle par un totalitarisme de la pensée. Ce rire fait du lecteur un raciste en puissance. l’autre n’est ni un modèle. 2. Cette stratégie est intéressante car elle rappelle que le mépris et la haine de l’autre ne sont jamais loin. La famille noire est donc ébahie et stupéfaite face au spectacle auquel elle assiste. Les nombreuses apostrophes impliquent le destinataire : Pascal veut faire en sorte qu’il se sente « embarqué ». au lyrisme et au discours direct. la condition humaine ne peut se passer de la tolérance car il y a un devoir de fraternité et surtout une obligation de sociabilité («  devoir de la vie civile  ») envers l’autre. la paix doit régner entre les hommes. l. Pour compléter. «  Vers la problématique  ». Il s’agit de provoquer un vertige qui permettra à l’homme de mesurer ce qui le sépare de Dieu et l’invitera à s’incliner devant sa puissance. 45). Synthèse Cf 1. humour.La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du xvie siècle à nos jours . Lexique. Bilan de parcours 2 Manuel de l’élève pp. L’auteur fait l’éloge ironique du lieu commun pour dénoncer l’inanité des bourgeois. En effet le bourgeois est celui qui parle par clichés. Selon Voltaire. entre exploiteurs et exploités. parfaitement insultante. En l’homme. Voir lecture analytique. le recours aux exemples concrets. Camus reproche aux 94 • Chapitre 4 . • Texte 2. silencieuse et totalement passive. Bossuet. c. ni un repoussoir. une épithète « homérique » à rebours. 95 : « aidions mutuellement »). p. Enfin. Voir lecture analytique. Céline montre qu’on ne divise pas les êtres en victimes et en coupables. « Dieu est mort » disait Nietzsche. 224-225 1. La mort d’Henriette d’Angleterre permet de rappeler à l’auditoire de Bossuet que la main de Dieu peut frapper à tout moment et qu’il faut donc immédiatement et sans retard travailler à son salut. • Texte 1. a. Les exemples sont tous liés à l’intolérance et à l’intransigeance. a. Dans la vision du monde qui surdétermine toute son œuvre. b. un péril. Ainsi. Vers la problématique Les moyens littéraires utilisés : . pathétique… . Les textes manifestent une attitude de plus en plus sceptique et critique à l’égard de l’existence de Dieu et de sa bonté. soutenu par une ponctuation expressive. Cette attitude correspond à la déchristianisation croissante de l’Occident. C’est sur la base de ce même constat que Clamence. Bossuet invite les hommes à craindre la main de Dieu et leur rappelle leur finitude. comme un frère. Il cherche à revivre l’événement au plus près en employant par exemple le discours direct. 2. b. l’homme est devenu la pâle image du prophète et ne pense que par clichés et stéréotypes. ce qui lui permet de distinguer son propos des lieux communs de l’enfance. il fait de ce récit une réponse à une promesse d’enfance (« C’est pour tenir ma promesse à l’enfant de dix ans que morosement j’écris ces pages sans espoir ». Pleinement responsable. Le substrat théologique permet donc de situer et de définir l’homme. Dieu est cet être tout puissant auquel l’être humain doit se mesurer pour sentir son infinie petitesse (textes 1 et 2). Lexique Vivre l’antisémitisme Le tableau permet d’établir le lien entre la violence verbale et la description caricaturale de l’autre propres à l’’antisémitisme et la souffrance des victimes. Dieu est là par le vide qu’il a laissé et que l’homme est incapable de combler. Cette confrontation directe du lecteur à l’antisémitisme oblige le lecteur à formuler lui-même une condamna- Chapitre 4 . 3.écrivains et intellectuels leur hypocrisie et leurs contradictions. futurs agonisants ». ligne 31  . En effet. Ce discours véhicule un certain nombre de clichés en particulier celui selon lequel les juifs. Quand la transcendance est postulée comme existante.La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du xvie siècle à nos jours • 95 . qui l’a traité de « youpin » et lui a lancé une série de lieux communs sur les juifs. Quand «  Dieu est mort  ». Dans tout le texte. Vers la problématique Bien que l’on ne cesse d’affirmer au XXe siècle que «  Dieu est mort  » selon la formule nietzschéenne. on continue à le définir par rapport à la représentation et à l’existence de Dieu. il suggère qu’écrire est une forme de « consolation ». En revanche. à dépasser la dimension individuelle pour lui donner une dimension universelle. Le métier de « camelot » qui consiste à « vendre » par la persuasion une marchandise de mauvaise qualité devient la métaphore parfaite de l’hypocrisie en forme de « rictus » des antisémites qui sont interpellés de façon récurrente et qualifiés à plusieurs reprises d’ « âmes tendres » à l’instar du bourreau nazi. La mort de Dieu effraie l’homme qui se sent obligé de construire d’autres systèmes de pensée pour compenser et réparer son absence. de l’empêcher de sombrer dans l’oubli (« mémorial ») . • Texte 2. il est effrayé par cette écrasante liberté. que l’écriture permettra également de fixer le souvenir. Il est donc l’Être qui permet à l’homme de se transcender. de s’exhausser. Mais il n’en reste pas là. 240-241 la propagande nazie l’a répandue qui se déploie derrière la représentation du « blond camelot » (texte 2. la question du vide idéologique est posée puisque l’homme peine à le combler et à assumer ses responsabilités au sein d’un monde déserté par la transcendance. Synthèse La littérature aborde la question de l’homme à travers ses croyances car jusqu’à la laïcisation de la société l’homme pense et se pense dans un monde habité par Dieu. avares et riches. Le mécanisme du souvenir L’auteur évoque au départ un « souvenir d’enfance ». 89. bon père de famille qui caresse tendrement son chat pendant le supplice de ses victimes (texte 1. p. le pardon n’est possible que si l’on prend conscience du dénominateur commun entre tous les hommes : la mort. ligne 25). l’interpellation directe du destinataire pour le réveiller et l’inviter à penser. Lecture 1. Dans le texte de Léon Bloy. Pour Camus. L’emploi du discours direct donne l’impression au lecteur d’être lui-même confronté à un acte d’antisémitisme. En effet pour lui. texte 5) . s’esquisse la définition du camelot (ligne 3) comme un « frère et un jumeau » et la métaphore du mensonge disparaît dans le dernier extrait qui accorde le pardon à ces « frères humains. dirigent les finances du monde – et sont donc responsables des difficultés financières de tous. clament les vertus de la liberté absolue. Dieu est le garant du devoir de fraternité et de solidarité entre les hommes. plus loin. Bilan de parcours 3 Manuel de l’élève pp. mais s’avèrent incapables de l’assumer : ils ont immédiatement besoin de constituer d’autres systèmes pour être rassurés. Mais dès le texte 3. Chez Voltaire. motif anodin et convenu qui renvoie à un topos de la littérature autobiographique. ligne 30  . Il cherche également à analyser l’événement. on peut penser que c’est aussi pour persuader le lecteur et se persuader de la nécessité du pardon (texte 8). puis il mentionne un «  souvenir d’enfance juive ». ligne 1) : sa parole pateline et son sourire « carnassier » recouvrent la cruauté d’un « bourreau » fort de sa blondeur et de sa toutepuissance qui assassine joyeusement l’identité d’un enfant. quand la transcendance est niée. enfin. Voir lecture analytique. la simplicité voire la familiarité du ton. présent d’énonciation et passé se mêlent car l’argumentation se nourrit du récit Vers la problématique L’écriture permet à Albert Cohen de revivre un épisode traumatisant de son enfance : à dix ans. il a été insulté par un camelot dans la rue. l’homme n’est plus que bassesse et médiocrité (textes 4 et 5). Il permet donc de mettre en évidence la dimension quotidienne et malheureusement banale. Même absent. L’auteur justifie son récit au fil du texte : dans la première page. ils mettent à mort Dieu. Les procédés de la dénonciation sont l’usage de l’ironie. Comme s’il était impossible de situer l’homme dans l’univers en dehors de ce repère. Une métaphore filée : c’est la métaphore du mensonge symbolisée par la figure de l’aryen tout-puissant telle que • Texte 1. la mort de Dieu a engendré une liberté dont l’homme ne sait que faire. texte 6. texte 7. et en particulier dans l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. il s’adresse indirectement aux institutions responsables  (lignes 38-40) : l’Église catholique qui a inventé l’Inquisition. ce qui donne une dimension tragique. • Texte 4. Mais le recul de l’analyse l’amène à resituer l’épisode dans l’Histoire. voire religieuse. Le lecteur éprouve à la fois de la compassion pour l’enfant et de la colère contre le bourreau. L’auteur s’adresse à tous les lecteurs. • Texte 3. qu’il fait éprouver au lecteur. C’est au nom de ce dénominateur que l’on peut formuler le pardon. identification à la honte de l’adulte par rapport à l’enfant qu’il a été. • Texte 6.apostrophe directe à la France . Voir lecture analytique. Or. il formule une réflexion générale sur la honte. y compris les antisémites. L’auteur pardonne au camelot parce qu’ils sont « frères en la mort ».« ô » lyrique . les humains sont tous « frères en la mort ». de toute son existence et de son parcours d’écrivain à partir de cette « chute » de cette sortie du paradis perdu 6 R De la honte et de la douleur de l’enfant à la prise à témoin des Colère et compassion « générations chrétiennes » auquel l’adulte lègue l’horreur du traumatisme en vue de lui donner du sens 7 R/A Du sentiment de la malédiction vécue par un enfant et sa famille à la prise de conscience de la malédiction humaine Distanciation réflexive par rapport aux émotions suscitées par le récit. Compassion 96 • Chapitre 4 . identification à la détresse de fant qui a essayé d’acheter par un sourire la pitié du bourreau l’enfant. Cohen répète tous les termes qui appartiennent au champ lexical de la mortalité humaine. • Texte 7. • Texte 5. Le recours à l’apostrophe donne à ses mots l’accent d’une homélie et d’une prière adressées à tous les hommes. Les différents effets de répétition marquent la difficulté de formuler le pardon. devient une apostrophe adressée à tous les hommes. En effet Cohen ne recule pas devant le récit qui l’amène à revivre la violence de l’épisode. De plus. Le texte met en scène symboliquement le double pouvoir des mots.personnification de la France . on ne peut justifier ou minimiser un acte antisémite. Texte Analyse (A) ou Récit (R) ? Position de l’écrivain Réactions provoquées chez le lecteur 1 A Affirmation d’un pacte d’écriture : le narrateur fait confiance à sa « plume d’or » pour donner sens à un souvenir Curiosité 2 R Sentiment de honte de l’adulte par rapport à la lâcheté de l’en. De plus.rythme binaire récurrent. l’analyse l’amène à réfléchir au pardon.Colère et compassion biographique de Rousseau. En effet. sans être guidé par l’auteur. sur le mode de la démarche auto. 90. récit autobiographique et personnel. mais on peut admettre qu’il a été commis par un humain. à son propos puisque les trois religions du livre insistent sur la précarité de la vie humaine. Il emploie plusieurs procédés de l’éloge : . la langue de la raison. Le narrateur récapitule les traumatismes qu’il a subis. ils sont tous deux humains. les États qui ont encouragé les pogromes et bien sûr l’État allemand dans sa responsabilité collective. colère à l’égard du camelot. L’écrivain justifie son amour pour sa patrie d’adoption par son amour pour la langue française. Il met donc en parallèle une expérience personnelle et un des épisodes majeurs de l’Histoire du XXe siècle. admirateur de la France mythique de ses rêves. Pour que les hommes prennent conscience du lien indéfectible que représente l’égalité devant la mort et la souffrance de l’agonie.tion.La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du xvie siècle à nos jours . • Texte 8. p. Adhésion à la thèse esquissée par l’auteur ou refus. 5 R/A Réorganisation par l’adulte. Il les présente comme mineurs au regard des camps de concentration mais il établit une chaîne de causes à effets entre les actes d’antisémitisme ordinaires et l’organisation de la solution finale. et le désir de persuader le lecteur tout en se persuadant soi.Émotion. à la fois destructeurs (ce sont les mots écrits sur le mur qui blessent l’enfant) et réparateurs (c’est par l’écriture que l’auteur trouve la voie du pardon). qui n’est pas immédiat. 3 A Surgissement d’un sentiment de « pitié » de la part du narrateur adulte ouvert au pardon envers le camelot enfermé dans le déterminisme de la condition humaine 4 R/A Ironie de l’adulte à l’égard de lui-même car il est au fond resté Entre distance ironique et sympathie cet enfant naïf. Vers la problématique Le récit d’un « souvenir d’enfance juive ». ou qu’ils manifestent leur désir de persuader les destinataires de les rejoindre dans la défense de cette cause. « faux » . 244 Les rubriques de la section « Pour réussir son devoir » (Manuel de l’élève. texte 4 : « grandeur ».images qui aident le destinataire à comprendre des idées abstraites : texte 1 : « à river ses fers » . Quelques éléments de réponse à la question préalable. l’auteur glisse du récit autobiographique d’un souvenir d’enfance à un débat sur l’homme (quelle est l’origine de la méchanceté ? l’agression verbale est-elle une agression au même titre que le geste violent  ?…). . texte 2 : « ce que j’ai dit » . Nous traitons des sujets différents dans chacun des chapitres. « odieux » . texte 3 : « monstrueux ». Problématique Grâce à l’alternance constante du récit et de l’analyse. sont plus posés que les textes 1 et 3 qui sont des discours oraux.interrogatives qui invitent le lecteur à réfléchir : texte 4 : « Que voulions-nous ? » Ce relevé permet de noter que les texte 2 et 4. texte 3 : « messieurs » . texte 4 : « je voudrais parler d’une chose que je connais bien et qui me tient à cœur » .le texte suscite des réactions mêlées chez le lecteur. prononcés avec passion. Manuel de l’élève. . p. texte 2 : « noble et salutaire » . Il s’agit de ressentir plus que de comprendre.répétitions qui permettent aux idées de se graver dans Chapitre 4 . le lecteur se situe moins dans une démarche rationnelle qu’émotionnelle.Synthèse : On peut tirer plusieurs conclusions du tableau de synthèse en bas de page précédente : .exclamatives qui traduisent l’indignation : texte 1 : « comme un provisoire utile à ses intérêts ! » . Nous donnons ici quelques pistes pour montrer comment passer des indications fournies aux élèves à un corrigé.emploi de la première personne : texte 1 : « j’avais cru qu’un journal » . 250 et suiv. bilan de parcours 4 Manuel de l’élève. texte 3 : « un flambeau qui s’éteint ». discours écrits. p. 249. Colère et compassion semblent aller de pair même si l’auteur prône la victoire de la compassion.La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du xvie siècle à nos jours • 97 . texte 3 : « Le droit de suspension des journaux ! » Les procédés rhétoriques par lesquels les auteurs cherchent à agir sur le destinataire .apostrophes qui obligent le destinataire à réagir : texte 1 : « Messieurs » . En tous cas.emploi de modalisateurs : texte 1 : « criminels ». Les auteurs de ces discours montrent leur attachement à la liberté de la presse par différents procédés rhétoriques que l’on peut classer en deux catégories. texte 3 : « provisoire » et « provisoirement ». p. donnent des indications précises aux élèves sur le traitement de la question et des trois sujets d’écriture.le récit et l’analyse se mêlent très souvent . « incroyables » . la mémoire du destinataire : texte 2 : « liberté de la presse » .). Dans une leçon de tolérance l’auteur invite à la compassion et à la prise de conscience de l’existence d’un dénominateur commun à tous les hommes. texte 3 : « Je voterai » . Les procédés rhétoriques par lesquels les auteurs manifestent leur engagement : . selon qu’ils manifestent que la question leur tient particulièrement à cœur. . est donc avant tout une arme au service de l’argumentation. Le rire rabelaisien Rabelais choisit de s’attaquer à ses cibles en s’en moquant en les rendant ridicules (texte 2) : le rire. Le roman de Rabelais permet de donner tout d’abord accès à cette pensée de manière plus littéraire et plus fantaisiste grâce à la fiction. Cette organisation ne l’empêche pas d’établir un système d’oppositions et de symétries entre différents chapitres de manière à mettre en évidence les chapitres 39 et 40. 261-269 PROBLÉMATIQUE Les autres parcours du chapitre proposeront essentiellement des textes de type argumentatif. Rabelais y accorde une large place à la réflexion sur l’éducation : il oppose un enseignement scolastique qui écrase le géant sous le poids d’un savoir appris par cœur et non compris et assimilé. nombreux sont ceux qui se refusent à voir dans les romans de Rabelais qu’une joyeuse ivresse carnavalesque. De la genèse à la réception Pantagruel est publié pour la première fois en 1532 et remporte un vif succès. Rabelais semble se plaire à emprunter à différents genres afin de les dépasser. moine et médecin. Elle mêle tous les registres. Jeu sur les genres encore quand Rabelais fait appel à la fois à un genre érudit. des lettres (texte 4) – genre codifié par les humanistes. nous renvoyons au manuel de l’élève et en particulier à l’introduction du chapitre.…). enfance et formation. Pourtant Rabelais. C’est ce que Rabelais essaie de montrer dans le prologue de Gargantua (texte 1) en invitant ses lecteurs à ne pas s’en tenir à l’apparence de légèreté (« vous pensez trop facilement qu’on n’y traite que de moqueries.Chapitre 5 Vers un espace culturel européen : Renaissance et humanisme Parcours 1 Le roman de la sagesse humaniste : Gargantua (1534) de Rabelais Manuel de l’élève pp.Vers un espace culturel européen : Renaissance et humanisme • 99 . Il organise en effet Gargantua en trois temps : naissance prodigieuse. il copie la structure des romans de chevalerie qui connaissent un grand succès au début du XVIe siècle. Ainsi. avant d’aborder le mouvement humaniste par des textes complexes. malentendu qui peine à se dissiper. et souvent bien plus drôle. Érasme en particulier… Quels que soient les emprunts que fait Rabelais. À travers le personnage de Grandgousier. Ainsi. Contexte historique et esthétique Une œuvre humaniste Gargantua est une œuvre humaniste. et un enseignement humaniste qui fait sans cesse appel à l’esprit critique (textes 2 et 3). mais il s’agit en réalité d’œuvres d’un genre complexe. qui n’a pris la plume pour la première fois qu’à l’âge de quarante ou cinquante ans (sa date de naissance est Chapitre 5 . folâtreries et joyeux mensonges  ») mais à lire entre les lignes. jeux de mots. on peut noter que Rabelais insère dans son roman plusieurs fragments relevant d’autres genres  : des poèmes (à l’occasion de la description de l’abbaye de Thélème). mélange français et patois. pp. ce type de discours se mettant aisément au service du développement d’une pensée. il esquisse également une réflexion sur la politique et la justice : le roi en effet sait se montrer clément et respectueux de l’humanité jusque dans ses ennemis (textes 4 et 5). difficile à définir. et ne recule devant aucun effet sonore (allitérations. Pourtant. qui rappelle les principales caractéristiques de l’humanisme. recourt à la fois à des néologismes et à des archaïsmes. et à des éléments de folklore populaires – Gargantua existe dans les légendes folkloriques. assonances. Les diverses leçons humanistes apportées par Gargantua seront donc revues ensuite à travers d’autres textes. dont la langue en particulier surprend. de même que le thème de l’avalage… Enfin. Une œuvre inclassable On qualifie Gargantua et Pantagruel de romans. tel que l’épopée antique – on sait l’admiration des savants de la Renaissance pour l’Antiquité –. Pour développer ces différents points. si irrespectueux et libérateur soit-il. Enfin. exploits guerriers. il n’en reste pas moins que Gargantua est une œuvre singulière. qui soulignent le grand principe humaniste selon lequel l’homme n’est réellement homme que s’il sert la collectivité. Le parcours insistera également sur la nouvelle importance que prend le corps dans l’esprit humaniste (et en particulier dans l’œuvre de Rabelais) et sur le caractère ambigu de l’œuvre qui se présente à la fois comme une sorte de roman et comme une parodie de très nombreuses formes de discours. 258-259. Rabelais profite de la fiction romanesque pour avancer des thèses évangélistes et critiquer l’Église (texte 6). deux structures se superposent. Exercice physique. les viandes. n’exerce aucune activité sportive hors de son lit (énumération de verbes d’action. beaux jambons. - commenter ses leçons («  Lui-même les récitait par cœur et en tirait quelques conclusions pratiques sur la condition humaine »). modèle du savant de la Renaissance. 100 • Chapitre 5 . b. Il s’agit d’abord de séduire son lecteur. les fruits. Mais si Du Bellay sait «  ouvrir le livre  » et reconnaît que Rabelais sait mêler « profit avec douceur ». Une attitude de scientifique a. Deux lectures analytiques Textes 2 et 3 (manuel de l’élève p. A. Le corps. 260) et l’intensification de la répression contre les hérétiques rendent la censure plus pointilleuse : Rabelais ne peut plus s’en prendre ouvertement aux théologiens de la Sorbonne par exemple. s’ébattait et se vautrait ». b. à s’alimenter de manière équilibrée (« le pain. qui contraste avec le complément circonstanciel de lieu « sur son lit » . crachotait. B. éternuait et se mouchait abondamment  »). Un récit Rabelais choisit d’évoquer l’idéal humaniste. ce qui commence par une critique de l’obscurantisme. - lire des auteurs antiques (cf. y compris lorsqu’il s’agit de la Bible (« à haute et intelligible voix. Enfin. De plus. l’un allant de pair avec l’autre. Au contraire. Gargantua apprend avec Ponocrates à se contrôler (« Puis. III. b. enseigne à Gargantua l’art de cultiver le corps et l’esprit. De l’animal à l’homme a. Au contraire. Gargantua. ce qui peut être l’occasion d’initier les élèves au commentaire comparé. C’est la posture du scientifique. et avec une diction claire ». Il affirme de manière indirecte son évangélisme : il croit dans la nécessité de lire la Bible par soi-même. Il en reste au stade annal (énumération des excrétions : « il chiait. ce n’est pas auprès des savants humanistes qu’il espérait toucher. Gargantua continue d’apprendre !). guidé par Ponocrates doit : -  comprendre ce qu’il lit ou ce qu’on lui lit. le vin. « au moment opportun »). pour plus de sûreté. les poissons. soulignés par un adjectif hyperbolique : « belles tripes. L’affaire des « Placards » (voir manuel de l’élève p. Nombreux sont les lecteurs qui. dans un roman.Vers un espace culturel européen : Renaissance et humanisme . dans lequel Rabelais invite son lecteur à « ouvrir le livre et soigneusement pesé ce qui y est traité ». 263) Leçons d’éducation : d’une éducation absurde… à une éducation idéale Nous proposons ici une analyse comparée des textes 2 et 3. il ne se lave ni ne s’apprête. Au contraire les deux sont sans cesse mêlées (même lorsqu’il est «  aux lieux d’aisance  ». pissait. n’est pas satisfait : s’il a remporté du succès. « Je me suis retourné six ou sept fois dans mon lit avant de me lever »). Les « Sorbonagres » deviennent ainsi en 1542 les « sophistes » ! Cela n’empêche pas la Sorbonne de condamner Gargantua en 1543. Ponocrates invite son élève à observer ce qui l’entoure (« ils considéraient l’état du ciel ». il mange sans aucune contrainte (énumération de termes au pluriel. Pire. Il entreprend donc la rédaction de Gargantua dans l’espoir d’être reconnu par ses pairs. Avec les Sophistes.incertaine).… b. I. le sel. en pensant à autre chose (métaphore  : «  son âme était à la cuisine  »). Paresse. les herbes. le sport fait partie du programme éducatif de Ponocrates (« allaient se récréer au Jeu de Paume au Grand Baque ou dans une prairie . le prologue du roman. « ils parlaient des vertus. De cette façon. il n’a aucune hygiène. Gargantua éduqué par les Sorbonagres tend à ressembler à un animal. il convient toutefois de noter que dès leur parution. les jugent « simplement plaisants » (Essais. les légumes  »). à l’image de Montaigne. rotait. l’eau. adorné et parfumé »). peigné. très longue énumération dans le dernier paragraphe) au même titre que les textes religieux. de l’enfermement à l’indépendance A. sous l’égide des Sorbonagres. il prend soin de son corps (énumération : « habillé. ces deux romans suscitent l’incompréhension. Un roman comique A. 10). représentant de la culture humaniste. ou il répète mécaniquement (la quantité a plus d’importance que la qualité : hyperboles). les références littéraires sont faussées pour justifiées des pratiques injustifiables : le psaume 126 est tronqué pour servir de caution à un lever tardif. « en lui en expliquant les points les plus obscurs et difficiles »). Attention : on voit qu’ici Rabelais ne critique pas seulement l’éducation mais aussi la religion de son temps. il se retirait aux lieux d’aisance pour se purger de ses excréments naturels  »). Enfin. du mépris au respect Alors que les précepteurs Sorbonagres méprisent le corps. Au contraire. Gargantua connaît plusieurs rééditions. on ne dissocie pas l’étude de la vie courante. II. a. coiffé. De la paresse à l’exercice physique a. des propriétés efficaces et de la nature de tout ce qu’on leur servait à table ») et à en tirer des conclusions. apporter à table les livres en question »). II. Gargantua n’a jamais à exercer son esprit critique  : il écoute passivement («  il entendait vingt-six ou trente messes  »). Le rapport à la lecture On peut compléter cette analyse avec la lecture du texte 1. belles carbonades. Cela permet d’éliminer une forme d’arbitraire dans les horaires d’étude et d’introduire du naturel (« quand ils voulaient ». Gargantua. Ce nouveau roman – antérieur dans la chronologie fictionnelle à Pantagruel – connaît lui aussi un succès important. B. Ponocrates. «  s’étirait. ils jouaient à la balle ou à la paume »). Il s’attache à connaître les œuvres avec précision et non par ouï dire («  ils faisaient souvent. L’esprit. de capter son attention afin que son âme ne soit pas en la cuisine. belles grillades et force tartines »). Le mot d’ordre de l’abbaye peut apparaîmais selon leur bon vouloir et leur libre arbitre » : oppo. Qualité et quantité. parler cinq ou six langues et y composer tant en vers qu’en prose » . par rapport à un univers de règles. et fais ce que tu veux »). C’est elle qui permet d’éviter le risque - contourner la censure. on ne criti que pas impunément et ouvertement l’Église.(étude des commentateurs. si hardis. Importance du bas du corps. L’intérêt d’un récit à visée argumentative b. On note toutefois que les procédés comiques sont plus nombreux dans le texte 2 que dans le texte 3 : le rire a en effet essentiellement une portée satirique dans ces textes. plus agiles. « buvaient » . genèse et d’anarchie et de désordre que pourrait générer l’absence de réception de l’œuvre) règle. la grande - négations : anaphore de « nul ». « quand le désir poids de la contrainte). Les hommes pratiquent la chasse à cour. Elle est d’autant plus frappante que Gargantua est un futur roi ! Chapitre 5 . détournent cette noble inclination par laquelle dras » ils tendaient librement à la vertu. termes rend cette évocation pesante. Une utopie - les abbayes sont organisées autour d’un système de A. on peut mentionner : - le discours direct qui fait intervenir d’autres voix que celle du narrateur (texte 2) - la brièveté des paragraphes. « allaient ». La concorde. écrire » . Il doit lui-même appliquer les princi- alternance des pronoms singulier et pluriel : « l’un ou pes de l’humanisme. - activités intellectuelles : « lire. quand ils sont sence totale de règle : opprimés et asservis par une honteuse sujétion et par la - mot d’ordre en lettres capitales : « Fais ce que vou. I. Les revendications de Rabelais - respect de l’humanité.Vers un espace culturel européen : Renaissance et humanisme • 101 . Il y a donc assimiB. Au XVIe siècle.tre comme une allusion satirique à saint Augustin (« Aime sition entre un système de règles (accumulation de trois Dieu. C. Les critiques de Rabelais l’abbaye de Thélème Seule la première est explicite : les autres apparaissent à ceux qui savent lire entre les lignes. La dimension argumentative de l’utopie A. que les hommes puissent vivre librement en commun dans « de chevaliers si vaillants. si bien que tout ce qui lui est lié est excessif. Les procédés d’exagération sont multiples : énumérations. plus ou moins (cf. La liberté règles qui ne fait qu’éveiller la jalousie et les tensions et a. équilibre). Seuls les « gens libres. caractère désagréable - l’éducation dispensée est insuffisante  : la religion des règles multiples) et le système de Thélème (deux ter. maniant mieux les armes que ceux-là ». hyperboles. II. « libre ». « jouaient » . - les moines vivent dans le respect de Dieu. leur en venait ». Exagération. Un programme d’éducation varié lation de la naissance. qui savent « soigneuProposition de lecture analytique sement peser » ce qu’ils lisent. - travaux d’aiguilles (pour les femmes) : « plus doctes aux travaux d’aiguille ». Gargantua est un géant. - liberté d’agir et de penser (ce qui suppose une éducaTexte 7 (manuel de l’élève p. les autres disciplines. La multiplicité des activités. si adroits au combat l’abbaye. b. B. des statuts ou des règles.invite à la transgression («  Ces gens-là. - activités artistiques : « chanter. Deux figures de style apparaissent de manière récurrente dans le texte : - énumération : multiplicité des activités . « quand bon leur semblait ». Le registre comique Rabelais entend séduire son lecteur par le recourt au registre comique.… b. prières) prend le pas sur toutes mes. Noter que dans l’abbaye. primat de l’individu (noter l’importance du déterminant possessif et du pronom personnel « leur » dans la première phrase). bien nés et bien éduqués » ont - répétition d’une même construction : uniformité ryth. l’une d’entre eux ». d’autant plus que le « rire est le propre de l’homme ». gent l’individu. clus précède cet extrait dans le roman). Parmi les procédés d’animation du récit. - hyperbole : activités pratiquées à la perfection. vers le rejet et la viola- champ lexical de la liberté : « leur bon vouloir et leur tion du joug de servitude » : rythme binaire qui souligne le libre arbitre ». 268) tion approfondie). a.contrainte. « jouons ». Les limites de l’utopie nes « Buvons ». mais négli- rythme : « non selon des lois. La principale règle de vie des Thélémites est l’ab. Concordance entre la volonté de l’individu et celle - donner un caractère vivant et dynamique à la réflexion de la communauté (« faire tous ce qu’ils voyaient faire plai- laisser le soin au lecteur d’exercer son libre-arbitre sir à un seul ») : pour lire la critique. Les Thélémites « allons ». jouer d’instruments de musique. à l’éducation et à la a. Leçon utopique de vie en société : B. « liberté ». de la noblesse. « il » / « tous » - répétition des verbes conjugués à différentes personIII. plus vigoureux.à pied ou à cheval. A. qui souligne l’écart absente est la religion. La noblesse (c’est-à-dire la vertu) est nécessaire pour - activités physiques : « chasse à courre ou au vol » . activité réservée à la noblesse. vertu.droit d’entrer à l’abbaye de Thélème (une longue liste d’exmique à l’image de l’uniformité des volontés. D’autres philosophes antiques prennent les traits d’artistes de la Renaissance : Héraclite a ainsi le visage de Michel Ange. Rabelais l’humaniste. font clairement référence à la Renaissance (la perspective. La présence des femmes dans l’abbaye. 1532). Les hommes peuvent se défendre. la Renaissance est l’époque de la restauration des « bonnes lettres » de l’Antiquité grecque et latine. En effet. En effet. Interprétation A. L’Étude des lettres. Indications bibliographiques I. Elle est remarquable car : - il n’y a pas mixité dans les abbayes (Rabelais conçoit une anti-abbaye). et qui pointe son doigt vers le ciel. 70 m sur 4. II. D’autres éléments. Raphaël suggère l’importance du dialogue pour le savant (groupes de philosophes et de scientifiques qui échangent leurs connaissances de manière harmonieuse). de part et d’autre du point de fuite. le visage attribué à certains philosophes…). invite le lecteur à lever les yeux vers le ciel. de philosophie… Il s’agit donc d’accumuler des savoirs dans un esprit encyclopédique mais cela implique un esprit critique averti. l’Italie accueille des savants qui apportent avec eux des ouvrages antiques. que l’on découvre dans leur version originale (« Même les textes grecs se répandent en force. parmi lesquelles des sciences (géométrie. Hachette. 1993 • Daniel Ménager. PUF. on appréhende la culture antique comme un tout. considérant avec autant d’intérêt et de curiosité les ouvrages de médecine. qui pointe son doigt vers la terre. Raphaël rend ainsi hommage à son rival en train de peindre le plafond de la chapelle Sixtine ! On reconnaît les philosophes à leurs activités : Euclide dessine des figures géométriques entouré de ses élèves. d’architecture. et d’autre part l’importance des lignes verticales qui organisent l’œuvre.Vers un espace culturel européen : Renaissance et humanisme . de mathématiques. Les personnages Les personnages sont nombreux. Il s’agit de Platon. le sol. de poésie. malgré le parallélisme de construction de l’avant-dernier paragraphe. C. L’inégalité homme / femme. en revanche. B. astronomie) et de la philosophie. les costumes (toges des personnages). Bordas. grâce à l’œuvre des imprimeurs. Guillaume Budé. d’astronomie. Pas de remise en cause de l’amour courtois et de la vision de la femme comme bel objet (qui finit par se réaliser dans le mariage « il emmenait avec lui une des dames »). Deux d’entre eux sont Ouvrages critiques • Mikhaïl Bakhtine. -  Deuxième conséquence : un certain pessimisme de la part de Rabelais : rares sont les hommes vertueux. PUF. broder). b. au centre. La place des femmes a. 1996 • Madeleine Lazard. 1970 • Claude-Gilbert Dubois. est avachi sur les marches. être utiles. 1989 102 • Chapitre 5 . grâce aux enfilades de pièces et à l’ouverture sur le ciel à l’arrière-plan. « Tel ». fresque de la chambre de la Signature (Vatican). les femmes ne font que des activités d’agrément (champ lexical de la beauté : « si fraîches. B. les hommes et les femmes ne pratiquent pas les mêmes activités. 40 dans la Chambre de la signature en 1509-1510. donc l’utopie rabelaisienne ne remet pas en cause le principe fondamentalement inégalitaire de la société du XVIe siècle. B. philosophe cynique. Le décor On remarque d’une part le rôle de la perspective qui donne une impression d’espace. statues de dieux grecs). mis en évidence par leur position centrale. Description A. Il réalise cette vaste fresque de 7. Rabelais. Les femmes doivent être belles et faire des activités agréables (chanter. L’Imaginaire de la Renaissance. L’Œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance. En toutes lettres. et aussi à l’application de certains hommes savants qui font la chasse à toute espèce de livres ». que le choix des personnages représentés (philosophes antiques). La France du XVIe siècle. 1509-1510 Raffaello Sanzio (1483-1520) est chargé par le pape Jules II de la peinture des fresques de ses appartements au Vatican. L’École d’Athènes. Platon. Un savoir encyclopédique De même que Rabelais prône un enseignement varié. tant dans le décor (frise grecque sur la voûte. si jolies »). qui a ici les traits de Léonard de Vinci. Gallimard. Diogène. La dimension spirituelle La religion à proprement parler est absente du tableau mais la dimension spirituelle n’en est pas absente. Après la chute de Constantinople en 1453. 1985 • Arlette Jouanna. - il n’y a quasiment pas de femmes dans les romans de Rabelais. Raphaël représente sur sa fresque de très nombreuses disciplines. L’admiration de la Renaissance pour l’Antiquité Certains éléments évoquent l’Antiquité.-  Première conséquence : pas de possibilité d’étendre ce concept à un plus grand nombre. Pythagore écrit ses théorèmes…. et d’Aristote. Pourtant. Prolongement iconographique Raphaël. une existence réglée par des lois précises qui vise à préserver l’harmonie. « C’est une belle chose la destruction des mots… le langage sera parfait ». chap. c’est cet esprit critique. on peut étudier : • Cyrano de Bergerac. « À peine fut-il hors de présence […] je sortis en ville pour me promener ». L’art de convaincre Toutefois. sa liberté… Il est en effet. • G. 2003 Parcours complémentaire dans son fonctionnement. Le parcours a donc pour but de dévoiler les attentes et les idéaux essentiels des humanistes en ce qui concerne l’homme. souvent doté d’une architecture propre . dispensent un enseignement de qualité. par les Pères de l’Église : ces commentaires visent à renforcer la foi. Selon la structure traditionnelle du roman de chevalerie. QUELQUES TEXTES DU PARCOURS Utopie et contre-utopie Outre le texte 7. on s’intéresse au passage de l’utopie à la contre-utopie. L’homme de l’Humanisme doit être à la recherche d’un bonheur simple (texte 6). dialectique (art de bien raisonner). à leur création. Bréal. critiquer le monde tel qu’il est. musique (la musique avec ses mesures est en effet considérée comme une science) L’enseignement est dispensé dans des collèges ou des universités : on peut ainsi faire cours dans un cloître ! On ne travaille pas sur les textes sacrés mais sur des commentaires écrits sur la Bible. Proposition de lecture analytique I. c’est l’homme : son corps soudain réhabilité. les étudiants sont amenés à discuter une opinion (on peut ainsi organiser des disputes entre élèves ou entre les élèves et le maître : ce sont les « discussions publiques » auxquelles fait allusion Gargantua à la fin de sa lettre). Pantagruel (1532). B. Rabelais a consacré les premiers chapitres de son ouvrage à la naissance du géant avant d’en venir à sa jeunesse et en particulier à sa formation. L’homme de l’Humanisme est également un corps qui. mais c’est finalement le maître qui tranche. « En attendant … ce qui les étonna le moins ». 273-281 PROBLÉMATIQUE Même si le terme « humanisme » est apparu plus tard. Texte 2 (manuel de l’élève p. la lettre n’en reste Chapitre 5 . Gargantua »). on peut mettre en évidence les principales caractéristiques de l’utopie. Grâce à ce groupement. malgré cette familiarité. 1759. «  Connaissance d’une œuvre ». géométrie. pour les humanistes. Pantagruel est à Paris pour étudier quand il reçoit cette lettre de son père. VIII Le passage dans l’économie générale de l’œuvre Ce texte est un extrait du chapitre VIII de Pantagruel. Gargantua. On étudie également les fonctions de l’utopie  : proposer une cité idéale (ce qui suppose de croire dans le progrès de l’humanité : il n’est pas indifférent que l’utopie apparaisse à la Renaissance). difficilement accessible. astronomie. La scolastique ou l’enseignement au Moyen Âge Les arts libéraux sont composés de deux cycles : - le trivium : rhétorique (art de bien parler). est le reflet du fonctionnement du monde (texte 5). le reflet du monde lui-même. Après la lecture. Cet enseignement tend à se scléroser à l’époque de Rabelais mais il ne faut pas oublier que les universités. Une lettre qui vise à convaincre et à persuader A. livre II. qu’il pourra ensuite appliquer à ses réflexions tant religieuse (texte 3) que politique ou sociale (texte 4). son esprit critique qui doit être formé. en montrant les points communs et les différences entre les deux et en établissant des liens entre littérature et Histoire. 1948. ou libre-arbitre. chapitre 18. 275) Un homme instruit Rabelais. que l’on peut compléter par des lectures cursives. Voyage dans la lune. genre créé par Thomas More au XVIe siècle : un monde clos. premier roman de Rabelais.• Véronique Zaercher.Vers un espace culturel européen : Renaissance et humanisme • 103 . à cinq ou six ans »). Truffaut (adapté du roman du même nom) de 1966 avec Oskar Werner et Julie Christie : un exemple de contre-utopie. film de F. Candide. mais aussi de manière à développer son esprit critique (texte 2)  . il est évident que ce qui est placé au cœur de ce mouvement. Orwell. grammaire - le quadrivium : arithmétique. il porte des signes de la relation père-fils qui unit le scripteur et le destinataire : - tutoiement familier (« je veux que tu apprennes ») - référence à un passé commun («  je t’en ai donné le goût quand tu étais encore jeune. • Fahrenheit 451. 1657 • Voltaire. L’homme doit avant tout être instruit. 1984. Parcours 2 Figures de l’homme Manuel de l’élève pp. Contexte esthétique et culturel Voir aussi parcours 1. La lettre d’un père à son fils Même si le texte que nous étudions n’est qu’un fragment de la lettre de Gargantua à son fils (il manque en particulier l’adresse – « Très cher fils » – et la signature – « Ton père. Enfin. de la manière la plus complète possible (texte 1). aime-les comme toimême »). le plus long et le plus fameux du premier livre. «  je veux que tu saches par cœur ») ne doit pas être passif : le jeune élève doit savoir réexploiter ses connaissances dans le cadre des «  discussions publiques  ». tous les métaux cachés au ventre des abîmes. et les buissons des forêts.Vers un espace culturel européen : Renaissance et humanisme . La connaissance est indissociable de la vertu (maxime énoncée au présent de vérité générale et cautionnée par un argument d’autorité : « parce que. Il s’agit en effet d’obtenir une connaissance approfondie et non superficielle (« tous les métaux cachés au ventre des abîmes ») qui prenne en compte le macrocosme et le microcosme (« l’autre monde qu’est l’homme »). Rythme ternaire  («  aimer. Dépasser le programme traditionnel de l’enseignement moyenâgeux. Contexte esthétique et culturel Les Essais Les différentes strates de la rédaction des Essais Montaigne travaille pendant vingt ans sur ses Essais. guerrières et mondaines. c. grâce à un précepteur particulier. mère d’un petit garçon né en 1580. B. L’éducation d’un géant Toutefois. Un programme d’éducation humaniste A. b. L’exagération liée au gigantisme. a. rappel de son propre rôle dans l’éducation de son fils (« je t’en ai donné le goût »). Les allusions aux « assauts des malfaiteurs » préfigurent la guerre contre les Dipsodes. Ce chapitre est dédié à Charlotte-Diane de Foix. il met ses demandes en perspective en faisant référence au passé (« quand tu étais encore jeune. futur roi. b. Le programme est trop ambitieux pour être tout à fait réaliste : hyperboles récurrentes (« tous les oiseaux du ciel. « foi nourrie de charité ». Gargantua ne demande pas seulement à son fils d’apprendre les matières du trivium et du quadrivium mais aussi d’étudier le droit. Pen- 104 • Chapitre 5 . Essais (1580-1588). verbes modalisateurs (« je veux ». Le développement de l’argumentation. II. b. Pour forcer son fils à se sentir concerné. Texte 4 (manuel de l’élève p.…). arbustes. Il publie une première version de son œuvre en 1580. XXVI Le passage dans l’économie générale de l’œuvre Il s’agit là d’un extrait du chapitre XXVI du livre I des Essais. tous les arbres. La foi. De plus. Pour être plus savant a. Gargantua s’implique clairement dans son discours : première personne. Il suit pour l’essentiel les propositions d’Erasme. Antithèse entre « transitoire » et « éternellement » qui souligne la supériorité de Dieu sur les hommes. la médecine. «  en fréquentant les gens lettrés  »). des qualités viriles. Pour montrer à quel point le programme d’éducation qu’il propose lui tient à cœur. L’organisation des arguments. selon le sage Salomon. « Mais »). ce qui suppose d’apprendre le grec et l’hébreux. qui doit allier l’art de convaincre et l’art de persuader (même si Pascal n’avait pas encore instauré cette distinction !). Montaigne vend sa charge de conseiller au parlement de Bordeaux en 1571 et commence à écrire en 1572. Implication du locuteur. servir et craindre Dieu  ») qui insiste sur la soumission à Dieu. qui commencent par une annonce du thème qui va être développé (« Des arts libéraux ». a. Gargantua recourt fréquemment à la deuxième personne (« toi ». L’étude se fait par la lecture (« relis soigneusement les livres des médecins grecs ») et par l’observation (« de fréquentes dissections  ». récurrent dans le texte). les sciences naturelles. Le respect des hommes. L’art de persuader a. doit se mettre au service de la collectivité («  secourir nos amis dans toutes leurs difficultés causées par les assauts des malfaiteurs ». « tu ») et multiplie les injonctions (impératif : « continue ». Le savoir humaniste de Pantagruel. «  Sois serviable pour tes prochains. toutes les herbes de la terre. « En somme ». « bientôt »). livre I. Implication du destinataire. Une lettre qui annonce la suite du roman. qui comporte deux livres). Elle finit par les objectifs de ce programme d’éducation : science et moralité. malgré la dimension humaniste de la lettre. Les différents modes d’apprentissage. « Du droit civil  ». b. Aussitôt Pantagruel se met au travail. Une lettre qui accélère le rythme de la narration.…). futur injonctif  et tournure impersonnelle  : «  il te faudra ».  La lettre présente les différents arguments de manière très claire grâce au découpage en paragraphes. B. b.pas moins un genre rhétorique. l’art de la guerre (« apprendre la chevalerie et les armes ») et de lire la Bible dans sa langue originelle. Pour être plus sage a. et aux connecteurs logiques («  Puis  ». il ne s’agit pas d’un manifeste mais d’un extrait de roman. Sagesse n’entre pas en âme malveillante et que science sans conscience n’est que ruine de l’âme  »). « laisse » . L’argumentation se développe en envisageant d’abord ce qui est le plus attendu (le programme d’éducation déjà en place au Moyen Âge : l’apprentissage des langues et arts libéraux) pour aller vers ce qui est le plus original : la connaissance de la nature. C. 277) Un esprit formé à la critique Montaigne. « De l’institution des enfants ». c’est-à-dire d’un enfant de famille noble et se propose de lui donner. chap. à cinq ou six ans ») et à l’avenir (« il te faudra quitter la tranquillité et le repos de l’étude ». L’apprentissage par cœur (« Qu’il n’y ait pas d’étude scientifique que tu ne gardes présente en ta mémoire  ». la lecture de la Bible dans le texte et non à travers les commentaires des Pères de l’Église (« commence à lire l’Écriture sainte »). « apprends ». entre autres langues. de la médecine. Les différentes éditions du texte nous permettent de distinguer trois strates de rédaction : - 1571-1580 (date de la première édition. Montaigne y réfléchit à l’éducation d’un « enfant de maison ». les pierreries de tous les pays de l’Orient et du Midi »). Il expose les dangers d’un tel apprentissage. Les éditeurs aujourd’hui hésitent : doit-on s’appuyer sur l’édition de 1588. il a rencontré à Paris Marie de Gournay. a. ne s’assurer de rien » : cette pratique du doute. Le chapitre I. Montaigne écrit donc pour lui et non plus seulement pour l’ami disparu.dant ces huit années. le projet de Montaigne évolue selon plusieurs directions : - l’enjeu du projet change : il ne s’agit plus seulement de concevoir ses écrits comme des « grotesques » (peintures destinées à encadrer les fresques dans les palais) pour le discours De la servitude volontaire de La Boétie. Montaigne s’inspire de différents genres en vogue à la Renaissance sans jamais que Les Essais s’inscrivent dans aucun d’eux. sa pensée ne peut qu’évoluer. Montaigne se plaît à digresser (Marie-Madeleine Fragonard parle de dynamique « horizontale »). Le traitement des citations ajoute à la complexité de l’œuvre : elles sont rarement traduites et exigent une connaissance toute humaniste des langues anciennes et européennes. il vague  » (II. Montaigne continue à travailler sur son œuvre et prépare une nouvelle édition qui ne verra jamais le jour. Il n’est donc pas coupé du monde pendant la rédaction des Essais. Opposition entre un savoir hétérogène (accumulation des opinions d’autrui non assimilées) et un savoir homogène (les opinions d’autrui sont assimi- Chapitre 5 . homme qui n’est que « bigarrure ». les pièces empruntées d’autrui. tel sur le papier qu’à la bouche » (I. sur l’édition de 1595. il ne suit rien. de modifier. voire il ne cherche rien ». « Des fantaisies informes et irrésolues » (II. déterminante dans les Essais. la première édition des Essais a remporté un large succès. fort séduisante sur le plan esthétique. voire de contredire ses propres paroles (dynamique « verticale ») : l’homme est complexe. de corriger. - enfin. à savoir son jugement »). 12).Vers un espace culturel européen : Renaissance et humanisme • 105 . cautionnée par Montaigne. Montaigne la reprend explicitement à la fin du passage (« Savoir par cœur n’est pas savoir »). Elle fait écho à son scepticisme : il s’agit non pas d’« établir la vérité » mais de la « chercher ». ce n’est pas le cas au XVIe siècle. - 1588-1592 (mort de Montaigne). rédigé tardivement. charge délicate pendant cette période noire des guerres de religion (voir focus p. elles sont rarement attribuées à leur auteur. En 1588. il ne cesse de relire ce qu’il a lu. son style au genre épistolaire… Il s’approche également des genres autobiographiques comme les mémoires ou le journal. édition personnelle de Montaigne. qui se charge d’une édition posthume en 1595. En apprenant par cœur. une épreuve. - la philosophie ou la sagesse de Montaigne s’infléchit : les premiers écrits sont marqués par le stoïcisme de Sénèque et progressivement. LVI) «  Je ne fais qu’aller et venir  : mon jugement ne tire pas toujours avant. XXVI. p. L’appropriation. B. En effet. monde que l’observation et le voyage nous révèlent extrêmement varié. elles peuvent corroborer une thèse ou au contraire offrir un contrepoint à la pensée de Montaigne. mouvant. à la lecture de Sextus Empiricus. son goût pour l’insertion des citations aux recueils de lieux communs ou aux centons. Ce dernier texte a été publié et exploité par les calvinistes avant que Montaigne n’ait pu le publier et cela a en effet irrémédiablement changé son statut. afin de gagner en naturel et de permettre à sa prose d’exprimer au mieux son tempérament. - 1580-1588 (date de la deuxième édition et du troisième livre). Former le jugement A. ou sur une version établie au XXè siècle à partir du « manuscrit de Bordeaux ». son héritière spirituelle en quelque sorte. L’évolution de la langue rend toutefois difficile aujourd’hui la perception de cette simplicité… Plan de lecture analytique I. l’écrivain accorde une place de plus en plus importante à l’examen du «  moi  ». sa réflexion. une œuvre unique Une inscription générique problématique Il convient de rappeler que si aujourd’hui on désigne par « essai » une forme littéraire bien précise. on constate que Montaigne s’en sert à la fois pour exprimer le travail de son jugement. se justifie sur le plan éthique pour Montaigne. Il cultive un style simple et préfère la brièveté à la lourdeur des longues périodes cicéroniennes. son œuvre. 249) Montaigne. Répétition de «  rien  » à trois reprises  : « Qui suit un autre. Il ne trouve rien. « La profession des Pyrrhoniens est de branler. il flotte. choisit d’écrire en français. Le terme d’essai désigne alors un coup d’essai – ce qui implique de la part de Montaigne une certaine humilité – ou encore une expérience. Désormais. Montaigne est élu puis réélu maire de Bordeaux. montre l’importance de l’expérience personnelle de l’auteur dans la réflexion. il les transformera et confondra. douter et enquérir. XII)  : Montaigne évoque là l’une des grandes caractéristiques de son écriture qui procède selon une double dynamique. pour en faire un ouvrage tout sien. accumulation de négations dans la première phrase. Il emprunte par exemple sa liberté de ton et de composition aux commentaires humanistes. établie par Marie de Gournay à partir de documents dont on a aujourd’hui perdu la trace. permet à Montaigne de remettre en cause les idées reçues et de lutter contre le fanatisme. D’une part. Il convient de rappeler que pendant cette période. Le refus d’une certaine forme d’apprentissage a. annotée de sa main… Les Essais. Il justifie cet art de la digression en évoquant la nécessité de maintenir en éveil l’attention du lecteur qui ne doit pas se montrer « indigent » ! D’autre part. et du microcosme. Refus souligné par le rythme binaire (« et ne loge rien en sa tête par simple autorité et à crédit »). en se contentant d’accumuler dans sa mémoire les opinions des uns et des autres. Montaigne découvre le scepticisme de Pyrrhon. on ne retire aucun bénéfice. Pour insister sur l’idée. qui parle couramment latin. écrit désormais avec la conscience d’avoir un public. Si l’on étudie les occurrences du terme dans l’œuvre. « Un parler simple et naïf. elles peuvent être isolées ou au contraire assimilées au texte jusqu’à perdre parfois leur sens originel… Cette complexité. Montaigne refuse que son élève apprenne par cœur. Celui qui affirmait dans l’avis au lecteur de 1580 n’écrire que pour ses proches. b. Un processus de formation Il prône au contraire un processus d’appropriation de la pensée d’autrui en vue de former son propre jugement (« ainsi. que le résultat. Elle est à l’image du macrocosme. b. nous renvoyons à la bibliographie du parcours 1. « La vérité et la raison sont communes à un chacun et ne sont plus à qui les a dites premièrement. Gallimard. deux portraits De part et d’autre de cette étagère sont peints les deux portraits. « Foliothèque ». Magnien. Magnien-Simonin. Un texte persuasif Montaigne s’attache à rendre son texte persuasif. Holbein le Jeune. Reguig-Naya et A. Les Essais. de passage à Londres. qui dispose tout. Les événements et les « Essais ». «  qu’il oublie hardiment […] d’où il les tient. Une étagère Le centre du tableau est occupé par une étagère chargée d’objets. Commandé par Jean de Dinteville. Montaigne en mouvement. « un homme de parlement »…). Paris. Il s’agit donc d’un bénéfice moral et intellectuel (« meilleur et plus sage »). II. • Montaigne. Gallimard. « Folio Classique ». qui représente le quadrivium (sur la scolastique. Naya. 2007. Ouvrages critiques • Marie-Luce Demonet. trad. ou de « l’entendement ». I. et seigneur de Polisy. 1982. en italien . L’implication du destinataire a. Procédés d’insistance. la géométrie. Les Essais.Vers un espace culturel européen : Renaissance et humanisme . Balsamo. Montaigne. ce seront les siennes » . ce qui apparaît comme un argument d’autorité. Description A. sans tourner les yeux vers son livre »). b. Jean de Dinteville est mis en valeur. Folio. ce tableau aurait eu pour objet de sceller son amitié avec Georges de Selve. répétition de la même idée à plusieurs reprises… indications BIBLIOGRAPHIques Pour les ouvrages concernant Rabelais. ambassadeur de François Ier à Londres. Objectif. On pourrait s’étonner de cet usage dans un texte qui condamne l’apprentissage par cœur. • Jean Starobinski. Gallimard. 1949. • Alexandre Tarrête. La preuve par l’exemple a. « les pilleurs ». Montaigne et son temps. il fait référence à Épicharme. A. Montaigne insère plusieurs citations dans son texte (une de Dante. anaphore de l’adverbe négatif « sans » : « sans regarder au patron. Elles sont nombreuses et aident le lecteur à comprendre le raisonnement de manière à ce qu’il puisse s’approprier à son tour la pensée de Montaigne («  Les abeilles ». française.lées) : « ce ne seront plus les leurs. Montaigne insiste sur certains points : accumulation de cinq verbes pour faire l’éloge de l’entement (« qui approfite tout. Éditions des textes • Montaigne. Les Essais de Montaigne. on y trouve des objets qui évoquent l’astronomie. 1982. 1533 Les Ambassadeurs (1533) est une huile sur panneau de 207 sur 209. De plus. qui domine et qui règne »). Adresse directe. les citations illustrent son propos. « Tel ». B. Les Essais. 1985. 2009. non qu’il apprenne leurs préceptes » . De part et d’autre. Gallimard. une de Sénèque. qu’à qui les dit après ». « Études littéraires ». M. Il faut donc retenir l’idée et oublier la lettre ainsi que le modèle (métaphore  : «  Il faut qu’il emboive leurs humeurs. Ce n’est pas la pensée de Dante ou de Sénèque qui est première mais bien celle de Montaigne. Nizet. Contrairement à la première forme d’apprentissage. Ce double portrait frappe à première vue par le décentrement des personnages au profit d’une étagère chargée d’objets et par une étrange forme au sol (qu’on appelle communément « l’os de seiche »). D. 1968 • Géralde Nakam. Michel de Montaigne. l’appropriation est bénéfique (champ lexical du bénéfice  : «  gain  ». Un recours paradoxal aux citations. « Folio essais ». peinte par Holbein le jeune et aujourd’hui conservée à la National Gallery de Londres. 7). Elles interviennent comme naturellement dans la réflexion qui ne se présente en rien comme un commentaire de citation. Même s’ils semblent s’équilibrer. évêque de Lavour. Montaigne s’adresse directement à son lecteur par un « Vous » qui l’implique explicitement. 2007 PROLONGEMENT ICONOGRAPHIQUE Les Ambassadeurs. mais qu’il sache se les approprier » . édition de J. édition de E. Le but de ce travail d’assimilation est en effet la formation du « jugement ». • Hugi Friedrich. l’arithmétique et la musique. la richesse de sa tenue (hermine) et la fierté de sa posture (regard tourné franchement vers le 106 • Chapitre 5 . c. Une pensée personnelle. Au contraire. qui agit. «  Bibliothèque de la Pléiade ». Sa robe courte indique qu’il appartient au pouvoir politique . réed. C. En effet. 1993. Tarrête. PUF. «  acquêt  »). en latin : on observe là la culture du savant humaniste). On peut noter que ces objets manifestent une parfaite maîtrise du récent art de la perspective. noble français. Images. voir p. B. b. De manière à ce que le lecteur comprenne et retienne l’idée. 5 cm. Déçu par l’édit de Nantes (1598) comme le furent de nombreux protestants (qui ne le trouvaient pas suffisamment favorable à leur cause). Chapitre 5 . sut mener parallèlement sa carrière de soldat et celle d’homme de lettres. Après la conversion de Henri IV. B. a. il consacra son ardeur combattive à la rédaction de ses ouvrages. comme si c’était de là que venait leur puissance. Guerrier intrépide. dont l’horreur le marqua profondément. qui rappelle aussi bien celui de la chapelle Sixtine que celui de la cathédrale de Westminster. Au premier abord. Ce tableau est donc finalement une vanité qui nous invite à aller audelà des apparences et des biens matériels pour prendre conscience de notre condition de mortels. dans une position de retrait. Il fut plus tard impliqué dans tous les conflits contre les catholiques. Les deux hommes s’appuient sur l’étagère chargée des symboles de la connaissance.spectateur. est le premier livre. cet homme d’action. a en effet une action conciliatrice auprès du pape au sujet de l’annulation du mariage d’Henry VIII avec Catherine d’Aragon : François Ier espère ainsi éloigner Henry VIII et Charles Quint (dont Catherine d’Aragon est la tante). Agrippa d’Aubigné échappa de peu au massacre de la Saint-Barthélemy. Interprétation A. De plus. De plus. qui était aussi un lecteur insatiable. Tout d’abord. Pour le voir nettement apparaître. Son âge. et désœuvré par le retour de la paix. Remarquable pour l’effet de perspective est le pavage du sol. b. et notamment à alimenter la contestation protestante. dont une corde est cassée. 285-293 QUELQUES TEXTES DU PARCOURS Texte 4 (manuel de l’élève p. ce n’était qu’une belle apparence. la robe longue de Georges de Selve indique qu’il est du côté du pouvoir religieux. Il demeura à Genève jusqu’à sa mort. pourrait annoncer les guerres de religion à venir. où il s’établit sans pour autant renoncer à se mêler des affaires du royaume. La mention de l’âge des deux ambassadeurs pourrait alors être un rappel du temps qui passe et de l’inéluctabilité de la mort. Il s’agit en réalité d’une vanité qui montre le caractère éphémère et inessentiel d’une telle puissance. organisés en deux tableaux antithétiques  : le règne de la perversion et du vice (livres I à III) vs le règne de la justice divine (livres VI et VII). Le fond Les deux personnages se détachent sur une tenture verte. Le tableau allierait donc représentation du microcosme (l’homme) et du macrocosme (l’univers). et V. on aperçoit un crucifix accroché au mur. Théodore Agrippa d’Aubigné – huguenot intransigeant – reçut une éducation extrêmement soignée. l’Angleterre et la papauté – espoirs qui seront finalement déçus. 25 ans. il compte 1380 alexandrins. mais Dieu n’est pas encore intervenu pour rétablir la justice. qui informe sur une époque. et avait déjà joué un rôle non négligeable dans l’armée. II. Ce tableau commémore la présence de Dinteville à Londres et les espoirs d’un rapprochement entre la France. Un tableau circonstancié. « Misères ». placé à côté du livre de chants protestants. L’assassinat d’Henri IV (14 mai 1610) fragilisa sa situation sur le plan politique. Un tableau historique Ce tableau peut d’abord être lu comme un document historique. les livres IV.   C. en entrant au service de Henri de Navarre (futur Henri IV). L’humanisme. Une vanité Au sol. survenue le 9 mai 1630. Il est vêtu d’un manteau sombre qu’il tient refermé sur lui. « Feux ». ce tableau apparaît comme une commémoration de la puissance de deux hommes qui travaillent au destin de l’Europe. Le luth. et Dinteville en particulier. v. jambes écartées en position stable) sont autant d’éléments qui affirment sa puissance. 291) Allégorie d’une France déchirée Agrippa d’Aubigné. Au centre. décrivent la violence des massacres des guerres civiles. La violence est telle qu’elle préfigure l’Apocalypse. On note que son âge apparaît sur le poignard qu’il tient à la main : 29 ans. il évoque les tensions entre les différents pays d’Europe. Le pavage au sol pourrait par ailleurs représenter le macrocosme (le cercle central symbolise Dieu et les quatre cercles périphériques les quatre éléments). son béret est orné d’une broche représentant un crâne. De l’autre côté de l’étagère. Parcours 3 Politique et religion : de la réflexion au réel Manuel de l’élève pp. « l’os de seiche » se révèle finalement être un crâne déformé par anamorphose. il quitta la France pour Genève. qui décrit la France aux prises avec la guerre civile. le tableau évoque les convictions des humanistes de la Renaissance. À gauche. Contexte esthétique et culturel Théodore Agrippa d’Aubigné est né en Saintonge le 8 février 1552. sans jamais négliger l’une au profit de l’autre. apparaît sur le livre sur lequel il s’appuie. 97 à 130) Le passage dans l’économie générale de l’œuvre Les Tragiques comprennent sept livres. En 1572. « Fers ». après quoi il prit la succession de son père dans la carrière militaire. En 1620. il faut se placer dans l’axe du crucifix : tout s’effondre alors.Vers un espace culturel européen : Renaissance et humanisme • 107 . symbole d’harmonie. il resta en retrait par rapport aux affaires du royaume. La France. Toute sa vie. Jean d’Aubigné. était juriste. Son père. il se montra peu enclin à adopter des solutions de conciliation avec ses ennemis. Les Tragiques (I. Le combat du parti protestant contre les catholiques a. qui se manifeste notamment lors de la Saint-Barthélémy. Il n’agit que parce qu’il y est forcé : accumulation de participes passés qui retarde l’action (« pressé ». qui souligne « courroux ». C’est donc sa femme. « doux lait ». menant une politique qui attise les conflits. A. v. « le lait. v. Cette nouvelle religion séduit partout en Europe. peinte sous les traits d’une mère déchirée par ses enfants. qui souligne l’imminence de la mort. 28). de poings.l’affaiblissement de l’autorité royale. Une métamorphose sanglante. v. l’Angleterre et la très catholique Espagne. Le premier élément déclencheur des guerres de religion est l’affaiblissement de l’autorité royale. a abjuré sa foi à deux reprises et s’est fait catholique avant de monter sur le trône : « Paris vaut bien une messe ».v. « Elle veut le sauver ». de pieds ». Il a l’initiative du combat : « il brise le partage » . « le sein qui vous nourrit ». Termes mélioratifs : « juste colère ». « à force de coups / D’ongles. décrit de manière très concrète. la France. 32) et celle qui protège (« entre ses bras ». De plus. orgueilleux ». le protestantisme gagne du terrain malgré la répression organisée par François Ier. moine allemand. une PoésIe engagée Le premier vers introduit l’allégorie : le portrait de la mère martyrisée par ses fils est celui de la France. 15-20 : la violence du combat : v. le suc de sa poitrine ». v. les Guises (catholiques) et les Bourbons (protestants). v.Les guerres de religion La montée du protestantisme En 1519. 29 . Le poème s’ouvre sur une image maternelle qui évoque d’une certaine façon une vierge à l’enfant. avec enjambement et énumération. Proposition de lecture analytique I. 27 . Catherine de Médicis. II. En France. Il est proclamé par Henri IV. Elle hésite entre répression et conciliation. . La mère est à la fois celle qui nourrit (références au lait : « tétins nourriciers ». 34). récurrence du rythme binaire. 14) : « Vous avez.Vers un espace culturel européen : Renaissance et humanisme . dissémination du mot « cris » par l’allitération en [r] et l’assonance en [i] : les vers se font eux-mêmes « cris » . Une famille déchirée a. A. qui se trouve ainsi mis en valeur). incarnation du parti catholique. Il constitue une allégorie de la France déchirée par les guerres civiles. v. Il s’agit d’un corps à corps. ensanglanté / Le sein qui vous nourrit et qui vous a porté » (l’insertion de l’apostrophe retarde le participe passé. Un combat à mort On peut mettre en évidence les différentes étapes du combat : . qui souligne la progression. sanglants ». c’est lui aussi qui commet le crime final : « Viole » (mis en valeur en début de vers). 21-fin : l’accablement de la mère et sa malédiction : répétition de « douleur » . 11-14 : la riposte du cadet : « Mais son Jacob » . . qui assure la Régence. « fait dégât » . Elles se caractérisent par une violence extrême. « brise ». La culpabilité du frère aîné. 108 • Chapitre 5 . mise en évidence de « longtemps » par assonance en nasales. . les grandes familles nobles du pays profitent de cette vacance du pouvoir pour chercher à affirmer leur puissance : s’opposent les Montmorency. v. ses fils sont trop jeunes pour régner. b. protestant. dévastée par les guerres de religion. après l’affaire des Placards en 1534. Caractérisation du passage Cet extrait compte trente-quatre alexandrins. félons. « Je n’ai plus que du sang pour votre nourriture » (« sang » mis en valeur à l’hémistiche. une Image d’une rare vIolence La violence du combat décrit est à la fois physique et morale. le 24 août 1572. 1-10 : l’attaque du frère aîné : « Le plus fort. sujet des verbes d’action : « empoigne ». s’insurge contre les abus de l’Église et crée la religion protestante (Eglise Réformée). Agrippa d’Aubigné désigne clairement le fils aîné comme le responsable des combat. De plus. v. Une image maternelle. En effet quand Henri II meurt d’un accident en 1559.le rôle des puissances européennes. cet édit qui accorde la liberté de culte aux protestants n’apaise pas complètement les tensions. 19 : allitération en [f]. v. entrecoupés de brèves périodes d’apaisement. 33) . Les guerres de religion Les causes . Tout au long du XVIIe siècle. Luther. 18 : assonance en [ou]. placé à l’hémistiche . expression du combat (« mi-vivante. « déchirés. « voleur acharné ». les guerres de religion répercutent les conflits qui opposent les grandes puissances européennes en quête d’hégémonie. 4 . 8 . Huit confl its successifs Les guerres de religion durent de 1562 à 1598 : les conflits se succèdent. et par Henri II. 30 : allitération en [r] et diérèse sur « ruine ». Les bras de la mère ne sont plus un asile mais un « champ » de bataille (v. qui conduit à la mort de la mère et à l’annonce de la mort des deux fils. « qui vous nourrit et qui vous a porté ») . v.v. « le droit et la juste querelle ». v. 2 . les conflits se poursuivent.v. « ayant dompté »). 15 et 16 : anaphore de « Ni » en début de vers. On observe ainsi une gradation : violence de plus en plus grande. Henri de Navarre. qui met en place toute une législation anti-protestante. Toutefois. B. Le fils aîné Le fils cadet Termes dépréciatifs : « orgueilleux ». v. Le lait devient du sang (métamorphose du lait de la vie en sang de la mort) : « vivez de venin » (allitération en [v]. « l’asile de ses bras ». mi-morte ». champ lexical du corps : « tétins nourriciers ».v. Une paix fragile C’est l’édit de Nantes qui met fin aux guerres de religion. il est béni par son père à la place de son frère . Les « philosophes » émettent l’idée qu’il y aurait des lois naturelles. que le mystère de la foi est certes impénétrable par la raison. Essais (1580-1588). a. déséquilibrait nettement l’ouvrage dans sa version de 1580. Présentation partisane des guerres de religion. Elles ne représentent en réalité aucune valeur mais seulement les humeurs «  d’un peuple ou d’un prince  ». qui sont censées définir la «  justice ». La justice des États Les lois d’un pays. b. qui l’emporte : il achète à Esaü son droit d’aînesse . sont variables. la dimension tragique domine qui remet en cause le souffle épique. l’adjonction d’un troisième livre en 1588 en fait le centre des Essais tant par sa position que par sa thématique. par sa longueur. b. Elles varient avec le temps. La dimension épique. Ce chapitre. mort à l’horizon.Agrippa d’Aubigné souligne la culpabilité du «  fils aîné ». éternelles et immuables » qui pourrait exprimer le sérieux de cette position et qui en réalité trahit l’ironie de Montaigne. sans doute Marguerite de Navarre. Deux images  : « au-delà d’une rivière ». « la contrainte et la violence »). Les deux frères sont comparés respectivement à Esaü et à Jacob. Il fait l’objet de constants remaniements au fil des diverses éditions. Texte 5 (manuel de l’élève p. Une vision tragique. Cette comparaison suggèrerait la victoire ultime du peuple protestant. c. a. Il ne s’agit pas seulement de condamner les adversaires mais aussi de dénoncer les horreurs des guerres de religion. Dans le récit de la Genèse. dédié à une femme anonyme. La dimension tragique de l’allégorie Toutefois. b. hyperboles : « fait si furieux »). également condamnés. Sénèque. tel à moins »). En revanche. Elle s’adresse aux deux partis (« félons ». « Apologie de Raimond Sebond ». Plan de lecture analytique I. or une loi naturelle devrait susciter l’adhésion unanime de tous (« universalité de l’assentiment  ». 104.Vers un espace culturel européen : Renaissance et humanisme • 109 . que les éditeurs et les traducteurs ont aéré pour en faciliter la lecture. Pour répondre à la seconde accusation. 292) Le pouvoir relatif des lois Montaigne. grâce à sa mère. c’est finalement Jacob. mais tout homme particulier ». tel à quatre. - deuxième preuve : il n’existe aucune loi sur laquelle tous les hommes s’entendent. Caractérisation du passage Il convient de rappeler que le découpage en paragraphes n’est pas le fait de Montaigne. Montaigne répond à la première accusation qu’on ne peut démontrer l’existence de Dieu. « hier » vs « demain »). Raimond Sebond (Raymond Sebon) est un théologien catalan. B. B. Il pourrait laisser espérer la victoire des protestants dans un ultime retournement de situation. « autant de visages ». b. il s’attaque à la raison humaine. La relativité des lois A. Cette « Apologie  » se présente comme une réponse à deux accusations portées contre Raimond Sebond  : la première contre son projet même d’établir une théologie rationaliste. La victoire annoncée du parti protestant. scepticisme radical mais qui ne s’exerce que sur la raison humaine  : la vérité révélée et la parole de Dieu ne sont pas mises en doute. L’hypothèse des « philosophes ». que Montaigne a traduit avant de commencer la rédaction des Essais. de pieds » . La malédiction finale. Chapitre 5 . XII Le passage dans l’économie générale de l’œuvre Le texte proposé est un extrait du très long chapitre XII du livre II. On voit combien cette « Apologie » est donc paradoxale… Montaigne développe donc ici son scepticisme. Hyperboles qui soulignent la versatilité de ces derniers et par conséquent l’instabilité des lois : « autant de couleurs ». il est d’abord obligé de fuir mais il est finalement pardonné par Esaü. l’élu de Dieu. «  non seulement par un peuple. « sanglante géniture ». Les lois « naturelles » a. mais que les efforts pour percer ce mystère ne sont pas condamnables. Contexte esthétique et culturel Voir focus sur Les Essais p. Elles varient en fonction des pays. c. démontrant systématiquement sa faiblesse. Les Troyennes). Le chapitre ne se compose que d’un seul grand bloc. qui représente la religion catholique (le parti protestant ne s’est affirmé que beaucoup plus tard). Opposition entre le passé et le futur (imparfait « voyais » vs futur simple « sera » . «  commun accord  »). Un leurre. C’est donc le registre tragique qui domine : - situation malheureuse  : une mère déchirée par ses enfants - champ lexical de la douleur : v. mais par beaucoup ». Mais cette hypothèse se révèle fausse : - première preuve : les philosophes ne peuvent s’entendre entre eux pour définir ces lois naturelles (« tel fixe le nombre à trois. Montaigne insiste sur cette réfutation par le rythme binaire (« contredite et désavouée  ». « votre »). Le fils cadet est contraint à la lutte. universelles. grandissement des forces en présence (pluriels : « de coups / D’ongles. « vertu[…] » et la « vérité ». Le poème est ainsi traversé par un souffle épique : champ lexical du combat . « non seulement tout un peuple. Pas de futur. II. Leur hypothèse est développée par un rythme ternaire « solides. 15-16 - références à Dieu dans l’utilisation de la comparaison biblique La France représentée ici s’apparente aux héroïnes des tragédies antiques qui s’affligent sur les champs de bataille (cf. la seconde contre sa réalisation (les arguments du théologien sont jugés faibles et maladroits). « que ces montagnes bornent » (deux images que reprendra Pascal dans ses Pensées). de poings. la fin du texte est didactique. « Le texte rêve ».Le personnage qui lit le livre : Charles IX. Ce film s’attache à mettre en évidence la violence de la période avec une attention particulière portée sur les corps. Elles font appel au jugement critique du lecteur. 1968 • Agrippa d’Aubigné. Les questions rhétoriques visent à aiguiser son esprit critique. Un ton polémique.Pourquoi parle-t-elle avec l’accent italien ? . qui retrace la période des guerres de religion. . Éditions des textes • Agrippa d’Aubigné. Les Tragiques. nous proposons un questionnaire destiné aux élèves. Schrenck. Nous avons déjà évoqué les images qui aident le lecteur à mieux saisir un propos abstrait ou les jeux rythmiques. Nous proposons d’étudier le portrait de Catherine de Médicis (Virna Lisi) dans le film de Patrice Chéreau. livres II et III. Les Tragiques d’Agrippa d’Aubigné. 1995 Avec entre autres Daniel Auteuil (Navarre).Le personnage dans la cour : Navarre. mariée à Navarre. 1995. de qui parle-t-elle ? . « Poésie ». • Gisèle Mathieu-Castellani. « Que saisje ? ».À quoi voit-on que le livre que la reine confie à son fils est empoisonné ? . b. 1990 • Georges Livet.Commentez cette cérémonie. Fragonard.II.-M. un des frères de la reine Margot.Quelle est la « nuit terrible » à laquelle la reine fait référence ? .Montrez que la scène est composée de deux étapes successives. Gallimard. Lestringant. Les Tragiques. Le rythme ternaire (« solides. d’Alençon ? . 1962.Commentez le rôle de la musique. Un ton satirique. . 1991. • Frank Lestringant. Agrippa d’Aubigné. F. a. dont la détermination est affirmée par la première personne et par un verbe modalisateur («  Je ne veux pas avoir le jugement aussi flexible »). Films • La Reine Margot de Patrice Chéreau. Montaigne ne veut pas d’un « lecteur indigent » mais au contraire d’un lecteur dynamique. Avec quels moments coïncide-t-elle ? . Commentaires des « Tragiques ». Premier passage : La consultation des entrailles. Éditions interuniversitaires. Jean-Hugues Anglade (Charles IX).Qui est visé ? . . indications BIBLIOGRAPHIques Pour la bibliographie concernant Les Essais. Montaigne recourt à différents procédés. G. Isabelle Adjani (la reine Margot). film de Patrice Chéreau. mais nous pouvons nous arrêter plus longuement sur deux procédés. Bailbé. Le corps de Jézabel. 1991. La suite du texte est moqueuse. PUF. GF/ Flammarion. nous renvoyons au parcours 2. éternelles et immuables ») souligne la vanité du discours des « philosophes ».Vers un espace culturel européen : Renaissance et humanisme .Quelle est la réaction de la reine face à cette annonce ? . le duc d’Anjou. b. Les procédés de la persuasion Pour persuader son lecteur de la relativité des lois. Les Guerres de religion.Qu’annonce-t-on pour les trois fils de la reine. a. La Justice des Princes. B. Mont-de-Marsan.En quoi ressemble-t-elle à une sorcière ? . La variété des tons Elle souligne l’instabilité qu’évoque Montaigne et elle met une nouvelle fois en éveil l’attention du lecteur. 1 h 45 . Les questions rhétoriques Elles sont nombreuses dans l’extrait (« Que nous dira la philosophie […] ? » . Deuxième passage : Le livre empoisonné. Enfin. Un ton didactique. édition de J. Ce travail peut être prolongé par le visionnage de la scène de la Saint-Bathélémy (0 h 45).Le livre atteint-il sa cible ? Pourquoi ? . portant sur deux extraits. 1 h 13 . édition de F. qui réfléchit. PUF. « Qu’est-ce que cette chose vertueuse  »…). A.Les derniers mots de la reine sont « il est vivant ».Qu’est-ce que cette scène révèle de la reine ? 110 • Chapitre 5 . 1992 Ouvrages critiques • M. Elles reflètent le scepticisme de l’auteur. PROLONGEMENT ICONOGRAPHIQUE La Reine Margot. c.Le jeune homme : le duc d’Alençon. Lestringant. Charles IX. . Les termes « malchance » et « malchanceux » ont également une portée ironique. soutenue par le jeu des lumières et des couleurs. comme le montre la récurrence du rythme binaire et le présent de vérité générale. PUF. La dimension polémique est donnée par la seule phrase assertive du début. Elles permettent à Montaigne d’interroger sans affirmer. Pour mener cette étude. « Études littéraires ». La Reine Margot. l’importance de l’homme. dans le respect de l’homme et de Dieu – c’est son cas et il invite son fils Gargantua à agir de même – et un roi qui ne gouverne qu’en suivant son « libre arbitre » et « propre jugement ». b.l’importance de la culture antique (cf. incarne la modération et la fermeté à la fois.…). . en s’appuyant sur Platon. soit des noms inscrits dans la culture greco-latine antique. Il affirme qu’il faut privilégier la lecture sérieuse : il recourt à des formules impératives pour le faire comprendre (« il faut ouvrir le livre ». Le lexique du grossissement et de l’excès Cette première partie du travail a pour but de faire réfléchir les élèves sur les hyperboles et autres procédés d’amplification. p.Bilans de parcours chapitre 5 Bilan de parcours 1 Manuel de l’élève pp. Elle se réduit pour lui à des sons sans efficacité aucune auprès de Dieu : les paroles de la messe n’ont pas plus de sens que le son des cloches. • Textes 2 et 3. 101.la fiction invite à une lecture dynamique : au lecteur de trouver la moelle dans l’os ! Le lecteur peut être flatté par la confiance que lui accorde Rabelais… 3. les compare à des « singe » et surtout il conteste le rôle de la messe. Des noms propres symboliques On trouve deux catégories de noms propres dans les extraits du corpus. Vers la problématique L’univers gigantal et excessif imaginé par Rabelais met l’accent sur deux aspects de l’humanisme : . qui affirme sa foi et sa culture. que Mikhaïl Bakhtine lie à la culture populaire et au folklore. Il fait aussi apparaître l’importance du comique lié au bas du corps. mais aussi physique (il ne faut pas oublier que Rabelais est médecin). . • Texte 4. « il ne faut pas s’y arrêter [aux matières joyeuses que procure le sens littéral] »). Gargantua…). On note une nette évolution dans le rapport de l’homme à la religion : Gargantua revendique le droit de tout un chacun de prier avec ses propres mots. Vers la problématique Le choix de la fiction et de personnages insolites ajoute à la célébration par Rabelais de l’idéal humaniste une véritable force de conviction : . moral. Grandgousier. . . « vous ». sans la grâce divine et sans respect de la vie humaine – c’est le cas de Picrochole.la multiplicité des aventures permet à Rabelais d’aborder une grande variété de thèmes (religion. en particulier pour critiquer.Il envisage de nombreux thèmes humanistes.le gigantisme suscite un rire qui séduit le lecteur.il oppose. Le lexique a. • Texte 5. p. tout comme le dynamisme des aventures qui arrivent au géant invite le lecteur à poursuivre la lecture du roman jusqu’au bout. Voir lecture analytique. .il oppose les héros de l’antiquité – qui tirent leur gloire de la conquête de nouveaux territoires – aux rois chrétiens – qui s’enorgueillissent de bien administrer leur terre et de protéger leur peuple. à une lecture dynamique qui lui permet d’aller en profondeur. sur l’éducation. d’entretenir une relation individuelle avec Dieu et non une relation médiatisée par un moine oisif et des paroles apprises par cœur. Rabelais s’adresse directement à ses lecteurs dans ce prologue. 270-271 1. la religion. il invite le lecteur. une guerre jus- tifiée par une question d’«  honneur  » à une sédition qui ne repose que sur des causes superficielles que l’on pourrait régler autrement que par les armes. et les qualifie de « bons disciples. intellectuel.Rabelais recourt surtout aux procédés comiques pour critiquer. Synthèse On peut tirer plusieurs conclusions du tableau de la page suivante : . et quelques autres fous oisifs  ». Le discours de Gargantua est sujet à polémique. il propose à Toucquedillon un exemple de ce qu’est selon lui un bon gouvernement en faisant preuve de clémence à son égard.Il pratique souvent l’opposition entre ce qui est et ce qui devrait être (critique et célébration). le gouvernement. Il le fait de manière joyeuse : il recourt à un récit dynamique et emploie souvent le registre comique. 100. • Texte 6. . soit des noms inventés attribués aux personnages de fiction (Grandgousier. Il recourt à la deuxième personne. Il qualifie les moines de « mange-merde ». Voir lecture analytique. Ainsi. en qui il place une confiance toute humaniste. textes 2 et 3). Chapitre 5 . Outre ces références à la culture antique. Lecture • Texte 1. gouvernement) sans que son œuvre devienne un catalogue rébarbatif. considéré dans tous ses aspects. la place qu’elle prend dans l’éducation du géant. éducation. • Texte 7. Problématique Rabelais transmet de nombreux principes de l’idéal humaniste.Vers un espace culturel européen : Renaissance et humanisme • 111 .Grandgousier oppose un roi qui gouverne pour ses sujets. Le discours de Grandgousier repose sur une double opposition : . • Texte 6. Guerre de conquête. nourries de lectures. la lecture et l’observation sont fondamentales mais il s’agit de savoir questionner ce qu’on a lu ou observer. 112 • Chapitre 5 . relation personnelle entre chaque homme et Dieu. Accéder à la connaissance La liste de verbes proposés montre l’importance de l’exercice de la raison dans l’acquisition des connaissances : pour les humanistes. Les domaines de la connaissance Les humanistes élargissent le champ de la connaissance. roi au service du peuple. Pour cela. les sciences humaines. homme dans ses composantes morale et physique. Ainsi. comprendre la Nature aide à comprendre l’homme et inversement. exercer son esprit critique au lieu de vénérer la parole d’autrui apprise par cœur. • Texte 3. les matières techniques. 4 5 Évocation des causes de la guerre. Il souligne ainsi l’absurdité de la situation : les hommes soutiennent l’homme qui cherche à les abattre. Il s’agit donc de respecter l’homme dans tous ses aspects. de s’interroger.Vers un espace culturel européen : Renaissance et humanisme . et des réflexions générales. C’est ainsi qu’ils envisagent la culture antique comme un tout  : ils traduisent et commentent des discours scientifiques comme des discours philosophiques et Rabelais cite Galien comme Platon. b. pour se concentrer sur l’instant présent et savoir jouir de ce qu’on est à cet instant. p. Lecture. Religion.Effets comiques Principes et attitudes critiqués Comportements et principes célébrés Thèmes humanistes Texte 1 Comparaison avec le chien qui trouve son os. 282-283 1. comparaison des moines avec des singes. Éducation. 7 Bilan de parcours 2 Manuel de l’élève pp. - un domaine très vaste : les disciplines scientifiques et littéraires. absence de réflexion personnelle. orgueil du roi privé de la grâce divine. • Texte 2. a donné à l’homme la possibilité et la capacité de choisir. le monde. tout son pouvoir vient du peuple lui-même. guidé par Dieu. Modération. Éducation pluridisciplinaire. selon lui. 6 Comique de mots. Gargantua ne souhaite pas que son fils étudie l’astronomie car la raison y a peu de place… Vers la problématique Ce corpus permet de définir l’attitude du savant humaniste face à la connaissance : - une méthode  : s’en référer aux textes originaux de l’Antiquité. Rabelais compare l’harmonie qui règne dans le corps humain avec l’harmonie qui règne dans les cieux. sans passer par l’intermédiaire d’une traduction . Voir lecture analytique. Lecture réflexive. Il montre que le tyran n’est qu’un homme et que. exclamatives qui traduisent l’indignation et la colère…). mépris du corps. attitude scientifique. En revanche. Paresse. Fonctionnement des abbayes qui ne permettent pas une éducation de qualité (critique implicite). par conséquent. religion qui repose sur des rituels privés de sens. fondées sur l’expérience. Voir lecture analytique. un champ de réflexion et non comme aujourd’hui un texte démonstratif qui impose une thèse. Le lexique a. La Boétie met en accusation le détenteur du pouvoir – il ne nomme pas le roi. les arts sont au programme de l’éducation humaniste. Il recourt à un registre violemment polémique (vocabulaire dépréciatif. Excès. Lecture et réflexion personnelle. • Texte 4. 103. Moines au service du peuple et de Dieu . Montaigne propose à l’homme de « méditer et prendre en main [sa] vie ». observer la nature . petits ou grands. Un « essai » est donc une expérience. p. Il met ainsi en évidence l’importance du libre-arbitre : Dieu. L’homme est un «  microcosme  » construit à l’image du « macrocosme ». • Texte 5. Lecture et réflexion personnelle. Modération. Gouvernement. d’exercer son jugement. Lecture • Texte 1. il faut savoir se détacher de ses tracas et de ses affaires. Montaigne expose ici implicitement sa méthode de réflexion : elle est faite de va-et-vient entre des considérations personnelles. interrogatives rhétoriques qui exigent une réaction du lecteur. 2 et 3 Exagération et importance du bas du corps. emprunts et dette. soin du corps. Les principes qui régissent l’un et l’autre sont des principes de prêts. Gouvernement. Oisiveté des moines . agressivité. 104. avec le buveur… Lecture superficielle. La méthode d’Érasme consiste à analyser la Bible : il cite des passages et les commente de manière à en faire des arguments au service de sa démonstration. Mais cette émancipation suppose une bonne éducation et une capacité à prendre le temps de considérer en soi l’humanité. c. apprendre à lire les textes antiques et les textes sacrés dans leur langue d’origine afin de pouvoir comprendre ce qui l’entoure. rien ne justifie plus qu’il soit dominé par quelque autorité illégitime que ce soit. les protestants remettent en cause l’immaculée conception) et non sur l’existence de Dieu. Guerre et religion Le tableau fait apparaître une grande quantité de termes qui appartiennent au champ lexical de la guerre : parmi eux. il ne s’agit plus de se soumettre à des écrits que l’on ne comprend pas ou que l’on ne questionne pas. ils revendiquent la liberté dans tous les domaines. 294-295 1. Lexique a. Il faut se forger une opinion personnelle. la raison humaine est suffisam- - le libre-arbitre. Elles visent toutes à une amélioration de la condition humaine. L’homme ne doit pas être contraint. capable d’exercer son jugement. il occupe une place déterminante dans l’univers qu’il peut observer. Débats et querelles théologiques L’humanisme n’hésite pas à questionner l’ordre établi. Pourtant. après réflexion. De nombreuses controverses portent notamment sur le culte et l’Église (lecture de la Bible. Cette confiance accordée par les différents auteurs humanistes du corpus les conduit à une émancipation par rapport à la tradition. Il ne s’agit plus de se soumettre au roi si les mesures que prend celui-ci sont meurtrières ou simplement liberticides pour son peuple. Vers la problématique Les humanistes ont confiance en l’homme et en particulier en sa raison. de l’observation de la nature et de son entendement. la réflexion sont au centre des préoccupations humanistes - les aspirations des humanistes sont variées  : elles concernent aussi bien l’éducation. « macrocosme » Harmonie de l’homme et du monde 4 Éducation Il faut se nourrir des pensées d’autrui pour construire sa propre pensée Homme libre d’esprit Une meilleure éducation pour favoriser une plus grande réflexion 5 Homme Il faut savoir se pencher sur l’humain Homme tranquille et heureux Une vie meilleure 6 Tyrannie Il ne faut pas respecter le tyran qui nous tue Roi au service de son peuple et non peuple au service de son roi Un meilleur gouvernement Vers la problématique Ces textes insistent sur l’importance de la réflexion personnelle. l’homme est un « microcosme » à l’image du «  macrocosme  » qu’est l’univers. d’après l’étymologie. on constate qu’il y a un contraste entre la liberté revendiquée par les humanistes et les règles imposées par le fanatisme religieux. 3. Pour eux. Problématique Pour les humanistes. L’homme doit donc s’éduquer. Cela peut sembler paradoxal dans la mesure où. que le gouvernement. la religion. quelles qu’elles soient. l’entendement.Thème Thèse Idéal Attentes Texte 1 Libre-arbitre L’homme a la possibilité de choisir Homme libre L’homme doit prendre le risque d’exercer sa liberté 2 Éducation On ne peut être un bon roi qu’en étant cultivé Roi cultivé au service de son peuple Un meilleur gouvernement 3 Homme L’homme est un « microcosme » à l’image de la Nature. Le texte de Montaigne est également susceptible d’être utilisé ici. Cela entraîne des controverses. il n’est pas quantité négligeable  : doué de libre-arbitre. on en note qui sont particulièrement violents. « religion » a partie liée avec le « lien ». surtout si elle est bien éduquée. questionner et comprendre. Par conséquent. Bilan de parcours 3 Manuel de l’élève pp. Si l’on classe les mots selon qu’ils relèvent de la foi. Pour un penseur humaniste. La question du pouvoir Cette partie du questionnaire porte en particulier sur le texte de Machiavel et invite à prendre conscience du pragmatisme de ce penseur. Il ne s’agit plus d’obéir aux moines et à l’Église sans avoir pris la peine de lire par soi-même les textes sacrés. Synthèse On peut tirer plusieurs conclusions du tableau ci-dessus. aux lois.Vers un espace culturel européen : Renaissance et humanisme • 113 . b. il doit adhérer de son plein gré. Dès lors. Chapitre 5 . née de la confrontation de textes divers. du fanatisme religieux ou encore des positions humanistes. notamment dans le domaine religieux. afin de pouvoir se forger ses propres opinions. ment forte pour interroger tous les domaines. rôle et organisation des abbayes…) ou encore sur le dogme (par exemple. et surtout elles mettent en doute la capacité de l’homme à raison garder en toutes circonstances – or la confiance en l’homme était un des piliers de l’humanisme. catholiques et protestants se déchirent. Lecture • Texte 1. p. doux. fidèle. Problématique Dans les textes du parcours. Ainsi. en sa capacité à persuader l’autre par le raisonnement et non par la force. Vers la problématique Devant les réalités de la politique et du débat religieux. de les manipuler. religieux et droit  ». par des images et par des enjambements qui bouleversent le rythme de l’alexandrin. Ainsi Ronsard ne semble pas avoir perdu sa confiance en l’homme. • Texte 2. l’idéal humaniste semble ébranlé par le chaos de l’Histoire. Mais en réalité. fondement de l’humanisme. Voir lecture analytique. formule qui désigne la religion protestante. 5 × Il n’existe pas de loi universelle. « Ce monstre ». semant la violence en France et en Europe. Les guerres de religion qui ont la double particularité d’être des guerres civiles (même si les pays européens y prennent ensuite part) et d’être d’une très grande violence ont des conséquences inévitables sur l’humanisme : elles invitent à prendre parti (il est difficile de rester neutre et de se contenter de prôner la liberté). La difficulté pour ces auteurs. Ronsard donne à voir le chaos provoqué par les guerres de religion par des énumérations. Le poète exprime son angoisse en soulignant que la guerre renverse l’ordre établi. . Finalement. 109. Machiavel propose une image négative de la nature humaine dans ce texte. qui défend sa religion comme la seule et l’unique. la ferveur humaniste des écrivains adopte deux attitudes : elle déplore un état de fait – condamne la violence des guerres de religion par exemple – ou prône un idéal meilleur – une société apaisée par l’établissement de la liberté de religion. • Texte 5. • Texte 4. • Texte 3. est mis en accusation («  Ce monstre arme le fils contre son propre père ». More au contraire affirme sa confiance en l’homme. ce n’est pas la faute de l’homme. les hommes étant « scélérats ».Cette revendication va à l’encontre du fanatisme religieux. 4 × La religion catholique a entamé une guerre d’une violence inouïe. La liberté de religion résoudrait les problèmes de violence dans la société et permettrait le triomphe de la vraie religion. p. 107. est de garder leur foi dans l’homme et dans sa raison. Point de vue de l’auteur Réalité × × Les hommes sont scélérats. le prince doit donc l’être aussi. Voir lecture analytique. en sa capacité à respecter la différence de l’autre… More est donc un humaniste. les deux qualités que doit impérativement avoir le prince sont la force et la ruse. une société apaisée et pacifique est une société dans laquelle les hommes ont le droit d’agir librement. Mais si plus rien n’est de ce qui devrait être. Si le prince doit en effet être maître dans l’art de la dissimulation. « L’artisan par ce Texte Définissez les termes du débat en cochant la case correspondante Idéal 1 2 monstre a laissé sa boutique »). confrontés à de violents heurts. rompt les liens naturels et corrompt les habitudes. Le prince doit «  paraître  » posséder «  toutes les bonnes qualités » : il doit « paraître » « pitoyable. il doit être capable de les tromper. « l’art de dissimuler ». Mais la foi est également nécessaire  : toute affirmation d’athéisme est sévèrement punie. Cette liberté touche également le domaine religieux. 3 × La religion protestante a semé un chaos indescriptible dans la société. Pour More. plus les auteurs sont amenés à se confronter à une réalité de plus en plus violente. - les œuvres partisanes de certains auteurs rendent compte de l’opposition entre catholiques et protestants mais elles tombent d’accord pour dénoncer l’extrême violence des conflits religieux. Synthèse On peut tirer plusieurs conclusions du tableau ci-dessous : - plus on avance dans le siècle. Alors que Machiavel fonde sa politique sur sa méfiance à l’égard du genre humain. c’est parce que ceux qui l’entourent sont « corrompu[s] » et « scélérats ». ) Le passage dans l’économie générale de l’œuvre Polynice a réuni une armée argienne pour reprendre le trône de Thèbes à son frère Étéocle. des genres et des registres (les trois parcours).-C. extrait des Phéniciennes. La Thébaïde de Racine utilise. des compétences déjà acquises : notamment dans le domaine de l’intertextualité (parcours 1 essentiellement). p. Arrêt sur image. mais elle ouvre (comme le faisait le mythe) sur un questionnement plus large. À travers le texte 3. Le texte 5. On verra comment le registre épique est récupéré ici par Bauchau : il est à la fois reproduit et réactualisé grâce à la charge émotionnelle du narrateur (le combat et la mort des deux frères sont vécus et racontés par leur propre sœur). présent dans la légende avant d’apparaître dans la tragédie. 310-323 PROBLÉMATIQUE À partir du mythe des frères ennemis Étéocle et Polynice. La parole se fait plus personnelle. une déclamation du chœur extraite des Sept contre Thèbes il faut examiner de quelle façon l’affrontement des deux frères est remis dans le contexte plus large de la «  malédiction  » qui pèse sur la famille des Labdacides. le fragmentaire. comme le constate le messager. d’Eschyle. La présence de la mère qui annonce à ses fils qu’ils vont la tuer s’ils s’entretuent donne un caractère pathétique à la situation. qui aurait dû le lui rendre (les deux jumeaux du couple incestueux d’Œdipe Chapitre 6 . en revenant sur ses motifs obsédants et son propre travail. la précarité de l’action humaine face au destin qu’elle subit.Chapitre 6 Du modèle aux réécritures. 316) Étéocle et Polynice : la malédiction tragique Eschyle. Le registre épique nourrit le récit au présent délivré par le messager. caractéristiques de la tragédie classique dont son œuvre constitue l’apogée  : affrontement rhétorique. Le réalisme avec lequel le combat est décrit met en évidence son caractère brutal et sanguinolent et rend d’autant plus frappante sa vanité que. du xviie siècle à nos jours Problématique d’ensemble  Les trois parcours proposés visent à affermir chez les élèves en vue notamment de leurs propres progrès en écriture. plus de vingt siècles après Euripide. Le texte 2. On insistera sur le changement de genre (le roman) et de point de vue (Antigone raconte au présent). mettra en évidence les caractéristiques de la réécriture contemporaine : changement de genre (le poème. J. Les Sept contre Thèbes (Ve siècle av. de la variation et de la transposition (les trois parcours). centrée sur de petits événements quotidiens (ici un souvenir). ouvre de nouvelles voies à son écriture dans un dialogue permanent entre la forme et le sens. La relecture du mythe s’apparente aujourd’hui à une reconstruction de l’histoire originelle à partir de tous les fragments d’histoires et d’images qui nous restent. La lamentation nourrie propre au registre épique permet ici d’identifier comme modèle la vision profondément tragique du monde grec d’un Eschyle obsédé par le poids de la puissance divine. du xviie siècle à nos jours • 115 . extrait d’Ismène (1972). changement de point de vue (la parole personnelle d’un personnage souvent laissé à l’écart de cette histoire : Ismène). Dans le texte 1. le casque…) et l’éparpillement. d’Euripide. débat intérieur entre l’honneur et l’amour. La réécriture contemporaine transforme les figures mythiques en personnages plus proches de nous. 323. d’une portée existentielle (que reste-t-il d’une vie ?). LES TEXTES DU PARCOURS Texte 1 (manuel de l’élève p. se concentre sur le récit du combat et de la mort des deux frères. le monologue). il ne servira à rien : on voit apparaître ici un autre topos de la tragédie grecque. plus humains. Le texte 4 de Yannis Ritsos. on en étudiera les invariants (éléments narratifs et symboliques qui restent) et les changements opérés par les réécritures (en considérant les changements d’époque et les changements de point de vue). une autre version du mythe antique (Jocaste n’est pas morte) et le réécrit. Parcours 1 Mythe et réécriture : les frères ennemis Manuel de l’élève p. est à mettre en parallèle avec le texte d’Euripide puisque dans les deux cas. Le parcours 3 consacré à Marguerite Duras montre également comment un écrivain.Du modèle aux réécritures. dans la fidélité au modèle – Racine connaît parfaitement le grec- mais en fonction de critères esthétiques. questionnement politique. c’est du combat en lui-même qu’il s’agit. Spectacle autour d’Antigone de Bauchau On insistera dans l’étude de l’image sur la présence des «  traces  » (la sculpture. d’Henry Bauchau extrait d’Antigone (1972). Phèdre). en l’honneur du dieu Dionysos. 1  Aristote. fait par là même du théâtre l’un des lieux privilégiés de l’éducation du citoyen  » (Ch. Il mena donc la vie d’un poète didaskalos. Aristote définit la tragédie comme « l’imitation d’une action noble. Quoi qu’il en soit. J. de l’ivresse. depuis que Laïos a désobéi à Apollon. Iphigénie. les parties lyriques chantées par le chœur la parodos (chant d’entrée en scène) et le stasimon (chant sur place. Mauduit. Paris. La Poétique. On sait qu’il fut un dramaturge ayant pour ambition de mettre son théâtre au service de la cité. on retiendra les noms d’Eschyle. On sait aussi qu’Eschyle remporta à 13 reprises le concours des Grandes Dionysies. Caractérisation du passage Le passage est une lamentation du chœur. la tragédie semble s’être tenue éloignée des realia et des occupations de son temps : elle met en scène d’illustres héros mythiques. créée en 472 jusqu’à l’Orestie. devenu un acteur jouant l’histoire d’un personnage mythique. p. L’armée argienne se divise en sept groupes. en un temps où les dieux pouvaient prendre forme humaine et se mêler aux hommes. athéniens et étrangers venus de toute la Grèce. Ces fêtes des Grandes Dionysies avaient lieu au printemps et duraient plusieurs jours : les spectateurs. Pressentant l’affrontement fraternel comme inéluctable. Andromaque. en 458. dieu du vin.-C. «  instructeur des citoyens  ». en chantant et en dansant. fut réglé par une alternance entre parties parlées et parties chantées (ou lyriques). Si l’on s’interroge donc encore sur les origines du mot « tragédie ». au contraire. Il rappelle l’imprécation d’Œdipe  : Étéocle sait qu’il va mourir de la main de son propre frère et qu’il va le tuer s’il le combat. permettant au chœur et au récitant de ne plus chanter en leur nom. Ses origines sont obscures et discutées dès l’Antiquité. cadre dans lequel ses tragédies étaient représentées. Il pose donc les principes fondateurs de la tragédie. des sacrifices. On rappellera que le public contemporain d’Eschyle écoute pour le plaisir une histoire déjà connue de tous dans un but cathartique : le drame revécu collectivement permettant à la collectivité de se resserrer. inventé lui aussi pour honorer Dionysos dont les satyres étaient traditionnellement les compagnons. Ce cadre religieux. en revanche. par l’entremise de la pitié et de la crainte. lit Aristote dans le texte et en traduit même quelques chapitres. les règles. pour leur perte ou leur bonheur. membres de grandes familles anciennes. une fonction cathartique – celle de susciter la terreur et la pitié. 116 • Chapitre 6 . Selon une théorie. aussi bien pour ce qui est de la forme que de son but. une façon de prendre part aux manifestations officielles de la religion civique et nullement. que le tyran Pisistrate instaure des concours tragiques à Athènes. Mais sous cette forme située par convention dans la sphère mythique. C’est vers le milieu du VIe siècle av. au moment où s’épanouissait le régime démocratique athénien (Ve siècle avant Jésus-Christ). Racine leur empruntera des sujets pour plusieurs de ses tragédies (La Thébaïde. « Classique ».et de Jocaste s’étaient mis d’accord pour régner sur Thèbes à tour de rôle. l’épisode (équivalant grossièrement à notre « acte » moderne) et l’exodos (le dénouement et la sortie des acteurs) . de s’adonner à un loisir profane réservé à une élite. depuis les Perses. se superposaient donc des enjeux civiques et politiques : « Aller au théâtre est. PUF Clio 2010. coll. accomplit la purgation des passions1 ». Racine. On n’a conservé qu’un nombre très limité des textes d’Eschyle  :  sept drames en tout. Les pionniers de l’art tragique mirent au point des masques et des costumes. un rituel en l’honneur de Dionysos. par Aristote notamment dans sa Poétique. Le Livre de poche. et qui. Sophocle et Euripide. Les parties parlées étaient le prologue. Dans son contenu. malédiction) tragique qui pèse sur la famille d’Œdipe et d’annoncer le malheur à venir. du xviie siècle à nos jours . qui rappelle la malédiction qui pèse sur les Labdacides. et des concours de dithyrambe. Il a donc deux fonctions essentielles : une fonction narrative – celle de rappeler l’anankè (destin. mais utilisant des mètres différents. pour un Grec.Du modèle aux réécritures. on peut tenir pour certaine une origine religieuse. comme dans les sociétés occidentales modernes. La tragédie grecque Origines de la tragédie Athènes fut sans doute le berceau de la tragédie. de tragédies et de comédies qui occupaient à eux seuls cinq jours entiers. Culture Guides Grèce. dont le dernier est mené par Polynice. mais sous une identité d’emprunt . qui garantit aux poètes dramatiques une large audience. accord qu’Étéocle a violé). le dialogue entre le chœur et le récitant. entre les épisodes). conduite jusqu’à sa fin et ayant une certaine étendue […] C’est une imitation faite par des personnages en action et non par le moyen d’une narration. on s’accorde pour situer sa naissance en Grèce. les institutions de la cité démocratique sont transfigurées et questionnées. Parmi eux. On s’appuiera sur la forte valeur informative du passage associée à une dimension oratoire qui donne une allure solennelle et incantatoire au résumé de toute l’histoire des Labdacides.. 283). le chœur se lamente et fait appel aux dieux. du masque. Dans La Poétique. La plupart de ses préfaces font d’ailleurs référence aux préceptes du théoricien grec. écrites en vers. les pratiques. Des manifestations civiques et politiques À la finalité religieuse. 1990. Beaucoup de théoriciens classiques font référence à Aristote mais ne le connaissent qu’à travers des commentateurs . pouvaient y assister à des processions solennelles. la tragédie aurait pour origine le dithyrambe : un hymne que des chœurs interprétaient. Contexte esthétique et culturel Un poète citoyen Nous disposons de peu d’éléments d’information sur la vie d’Eschyle. D’autres considèrent le genre comme une évolution du drame satyrique. Plan de lecture analytique Le récit de la malédiction des Labdacides. au cours desquels les dramaturges rivalisent. Ouverture et fermeture sur la peur. Jocaste. Le passage dans l’économie générale de l’œuvre La Thébaïde (1664) est l’histoire d’un fratricide (« parricide » dans la langue racinienne) annoncé : dès les premières scènes de la pièce. . L’avenir est déjà écrit et n’attend plus que de se réaliser. Dans la plupart des théâtres. Même si les références à l’unité de lieu apparaissent déjà dans les textes antiques. « les époux en folie ! ». B. La chute d’Œdipe « le parricide » : Œdipe a tué son père au détour d’un chemin. Rôle et puissance des dieux dans le destin des humains. Réprobation et horreur du chœur devant les faits accomplis.La faute originelle des pères. B. Échos épiques (hyperboles. . on comprend définitivement que tout espoir de réconciliation est mort. constituent un décor unique. les frères ennemis ont les armes en main. À l’acte II. L’impossible infléchissement du cours des événements . tente de persuader ses fils de se réconcilier et de faire la paix. Laïos s’est rebellé contre les ordres divins.Les marionnettes humaines. Chant III.I. après avoir été victime des fautes de Laïos. À l’acte I naît cependant un espoir d’entente. 37-38 Chapitre 6 . Au début de l’acte III surgit un nouvel espoir d’entente. Incarnation même de ce « mortel […] entreprenant […] dont la prospérité s’est démesurément accrue ». mais il a désobéi. Futur programmatique « Quand ils seront morts »… Poids écrasant d’une nécessité (répétition de «  devait  » dans l’extrait). 1674. A. Ponctuation expressive. Art poétique. Mais Jocaste va voir ses espoirs déçus puisque la rencontre tourne à l’affrontement. Texte 3 (manuel de l’élève p. «  C’est le fer au poing qu’ils se partageraient ses biens ! »). On conserve donc le principe du décor simultané hérité du Moyen Âge : trois toiles peintes. Les hommes sont le sujet du discours et non les acteurs de la scène. «  à jamais frustrés de leur vaste champs ! » . . temps.Œdipe s’est cru invincible après sa victoire contre le Sphinx. ce qui interdit tout changement de décors. il a été mis en garde par Apollon. une au fond de la scène. C’est la divinité qui règle les destins humains. Dans notre extrait.La malédiction familiale. action « Qu’en un lieu en un jour un seul fait accompli Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli 2. Conséquences politiques de la faute des hommes. elle prend tout son sens au XVIIe siècle quand on considère les conditions de représentation. Évocation de l’Erinnye au début et à la fin du passage. grandissement…) . L’anankè tragique A. Sourd aux mises en garde de Tirésias. Pitié Le registre pathétique domine. rebelle à Apollon » : Laïos ne devait pas avoir d’enfants. Sujet de verbes d’action (« accomplisse »). «  Voici que s’achève le douloureux règlement des imprécations d’autrefois ». Plonge le cours de l’existence dans la « folie ». La faute a des conséquences sur toute la descendance de Laïos : « dure encore à la troisième génération ». . les autres sur les côtés. . Une faute individuelle rejaillit sur la communauté. De plus. Les unités : lieu. Œdipe a redoublé cette faute  : il a également cédé à l’hybris. la scène est dépourvue de rideaux. . Mais dans la longue scène de confrontation (acte IV. La faute de Laïos « la faute de Laïos. Contexte esthétique et culturel Les règles classiques Des règles gouvernent la création dramatique au XVIIe siècle. A. B. elles présentent des exigences différentes. 1664. v. Terreur . III. notamment lorsqu’il «  lança des imprécations amères » : malédiction contre ses propres fils. « honoré à la fois des dieux assis au foyer de Thèbes et de l’agora populeuse… ses hommes ? » : rappel de la victoire d’Œdipe sur le Sphinx.Du modèle aux réécritures.Champ  lexical de la souffrance  : «  mer de maux  ». tout ce qui va se passer est annoncé : Étéocle et Polynice vont se contenter de jouer ce qui est déjà écrit. Racine respecte dans chacune de ses pièces la règle de l’unité de 2  Boileau. Mise en danger de l’équilibre de la cité («  et j’ai peur que Thèbes ne succombe avec ses rois  »). nous apprenons qu’il est programmé. Crime répété car « par trois fois ». «  désastres  »  : hyperboles qui renforcent la douleur ressentie. La Thébaïde.Ponctuation expressive et hyperboles. pourtant. L’imprécation d’Œdipe contre ses fils Le rappel de la malédiction qui pèse sur la descendance d’Œdipe insiste sur le fait que. Cf histoire des Atrides avec la faute initiale d’Atrée et de Thyeste. Terreur et pitié A. II.Interjection en forme de déploration : « Hélas ! ». «  J’ai peur / je tremble maintenant ». L’unité de lieu. Grand déchiffreur d’énigmes. la mère de Polynice et d’Étéocle. .Violence du combat. scène 3).Le désastre politique. 318) La réécriture classique Jean Racine. « a osé ensemencer / le sillon sacré où il s’était formé » : amour incestueux avec sa mère Jocaste.Intime lien entre le passé et le présent. L’hybris punie . . champ lexical de l’affrontement. » Ces célèbres vers de Boileau nous invitent à considérer souvent les trois unités d’un seul bloc. du xviie siècle à nos jours • 117 . («  tous deux massacrés par un frère  »  .La puissance des dieux. Paris. durant lequel les menaces ont été ignorées. quand elles prennent naissance dès le début de la pièce et se poursuivent jusqu’au dénouement (ce qui exclut l’intervention tardive d’événements dus au hasard). et que tout s’y ressentent de cette tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir de la tragédie. Cet avertissement pose d’abord la différence entre le vrai et le vraisemblable. qui était d’abord associé au spectacle de la représentation de la mort et de ses souffrances. On limite en général les bienséances à la question de la représentation scénique de la violence. simple. elles ont encouragé les dramaturges. est plus efficace que le discours quand il s’agit de faire comprendre au spectateur qu’il faut renoncer aux vices. Pourtant.lieu. Préface de Bérénice). Les personnages doivent prendre des décisions dans l’urgence. il l’exploite à des fins dramaturgiques. Profil histoire littéraire. mais loin d’en être l’esclave. jouant sur le symbole et la litote. Les tragédies commencent le matin pour se terminer le soir. qui se voyaient interdire l’utilisation d’un langage cru et direct. loin de considérer l’unité de temps comme une contrainte matérielle. coupé du monde. au cours de laquelle aucun personnage ne meurt. La Poétique. mais elles ont pourtant eu un double avantage7. du xviie siècle à nos jours . les règles de bienséances font évoluer la notion de tragique. ce qui peut se produire conformément à la vraisemblance ou à la nécessité 5 ». L’unité de temps. Mais les bienséances ne concernent pas seulement la violence. associé au mouvement. Racine pratique l’unité d’action et choisit parfois des intrigues simples. du sensible. 118 • Chapitre 6 . D’une part. et qui s’intériorise. rapport à un public donné  : le dramaturge. cit. Les bienséances Tandis que la vraisemblance constitue une « exigence intellectuelle  6 » (accorder le caractère des personnages à l’idée que l’on s’en fait). les décisions à prendre repoussées. Nous suivrons donc la définition qu’en donne J. Le présent est d’abord présenté comme le résultat d’un long passé. En effet la vraisemblance se définit dans le 3  Aristote. de séduire. La vraisemblance L’exigence de vraisemblance remonte à Aristote : « Le rôle du poète est de dire non pas ce qui a réellement eu lieu mais ce à quoi on peut s’attendre. 1986. dans lequel nulle aide extérieure n’est possible. Le vraisemblable exclut aussi le vrai au nom de la nécessité. L’unité d’action. Les théoriciens s’interrogent sur le rapport entre les bienséances et l’instruction morale et se trouvent devant un dilemme : l’image. il ne faut pas qu’il y ait une trop grande distorsion entre la durée de la représentation et celle de l’intrigue. Le plus bel exemple de cette évolution est Bérénice. Aristote distingue l’intelligible. ce qui porterait préjudice au discours moral sous-jacent. ou […] les préjugés du public ». la représentation scénique de la mort. La Dramaturgie classique en France. dans cette perspective à la christianisation de certains comportements. des souffrances. On se moque bien souvent des bienséances aujourd’hui. à un travail stylistique subtil. la bienséance constitue une « exigence morale » : « elle demande que la pièce de théâtre ne choque pas les goûts. et la question de la catharsis La réflexion sur la mimèsis et la catharsis hante les traités théoriques de l’âge classique. Cette règle se justifie souvent en référence à la règle de vraisemblance : pour que le spectateur adhère à ce qui est représenté. Le temps presse. Il faut donc plutôt lier l’unité de temps à l’efficacité dramatique. » La dimension morale de la tragédie Aristote. Il convient donc de revenir brièvement à cette source. de la cohésion de l’intrigue. On assiste. à la multiplicité et au désordre. 5  Aristote. chapitre IX. Ne sont pas vraisemblables tous les incidents dus au hasard qui interviennent pour changer le cours de l’action. La Tragédie racinienne. dans lequel les personnages ne peuvent pas plus se retrouver que dans le labyrinthe de leur conscience. Elle consiste à exiger que l’intrigue se déroule sur une durée inférieure à vingt-quatre heures. la notion a suscité de nombreux débats. Dans le temps de la tragédie. les idées morales. immuable et transcendant. Nizet. il n’y a plus de temporisation possible. doit être en conformité avec les opinions et les connaissances de son public. Les personnages sont le plus souvent prisonniers de ce lieu unique. Racine montre le même respect vis-à-vis de l’unité de temps que vis-à-vis de l’unité de lieu. Il est vrai que cette question fait particulièrement débat dans les ouvrages théoriques et permet de distinguer très nettement les tragédies du début du XVIIe siècle des tragédies classiques. C’est également un lieu mystérieux. op. et trouve son origine dans les ouvrages aristotéliciens. souligne la brièveté du présent scénique pour la rendre plus efficace. des tortures. Tout ce qui a trait à la vie physique (et en particulier la vie sexuelle) et matérielle (les nobles doivent être libérés de ces contingences) est également considéré comme inconvenant et doit être banni de la scène théâtrale. mais l’image risque de fasciner. C’est un lieu souvent à part. que les passions y soient excitées. Le lieu unique dans lequel se déroule la tragédie contribue à l’oppression dont sont victimes les personnages. Même si Aristote prônait déjà « une action une et formant un tout  3». La Poétique. programmé depuis l’exposition. qui les menace sans cesse.Du modèle aux réécritures. s’il veut être vraisemblable. 7  Alain Couprie. que les acteurs en soient héroïques. ce qui n’exclut pas des moments d’hésitation. L’homme 6  Scherrer. nombreux sont ceux qui ont souligné l’invraisemblance d’une grande accumulation d’actions en une durée si courte (« Et quelle vraisemblance y a-t-il qu’il arrive en un jour une multitude de choses qui pourraient à peine arriver en plusieurs semaines ? ». sans réfléchir. Racine souligne lui-même le caractère innovant de ce choix dramaturgique dans la Préface : « Ce n’est point une nécessité qu’il y ait du sang et des morts dans une tragédie : il suffit que l’action en soit grande. L’intrigue se développe selon un cheminement continu. Racine. chapitre VII. De plus. Scherrer  4 : une pièce respecte l’unité d’action quand toutes les intrigues secondaires sont nécessaires à la compréhension de la pièce et influent sur l’action principale. 4  Jacques Scherrer. de me percer le sein »). purement cognitif.Rappel permanent des liens de sang. Myth and Culture in Aeschylus’ Seven Against Thebes. .L’affrontement direct. 1991.Définition du conflit tragique à l’époque classique. Cette résolution se fait au grand désespoir de Jocaste. susciteront le plaisir » 9. Tout d’abord. La progression du dialogue . Les Belles Lettres. B. II. La violence des gestes va prendre le pas sur la discussion : « L’injustice me plaît. lui aussi. Nulle malédiction n’est évoquée contrairement au texte d’Eschyle (responsabilité d’Apollon). Jocaste au début de la scène a foi dans les mots et le pouvoir du raisonnement. celui de la contemplation et de la reconnaissance. le spectateur éprouvera ces émotions sous une forme épurée. 1990. elle temporise et essaie de calmer la colère de Polynice. 1995. Pierre Magnien insiste. Polynice ne veut pas parler mais agir («  Il faut finir ainsi cette guerre inhumaine  » / « Moi-même à ce combat j’ai voulu t’appeler »). La responsabilité humaine est engagée. Mise en avant d’individualités : récurrence de la P1 sous forme tonique « moi-même ». leur mère. et ces émotions épurées. • Hutchinson G. NJ. dell’Ateneo. Pasquier. L’absence de déploration . Elle espère pouvoir faire changer d’avis son fils. qui sélectionne les perfections dispersées dans les êtres individuels. Edited with Introduction and Commentary. La Mimésis dans l’esthétique théâtrale. Septem against Thebes. loin d’engendrer un malaise. Déchirement et violence au sein d’une cellule familiale. classique.Le « dessein » des hommes. sur la dimension esthétique de la catharsis dans sa lecture de la Poétique d’Aristote  : «  La tragédie donne un plaisir au public en lui livrant un spectacle pénible parce qu’elle est mimèsis . hyperboles. La Tragédie grecque. décident d’y mettre un terme en un combat singulier. Confronté au théâtre à une histoire pénible ou effrayante. BIBLIOGRAPHIE Ouvrages critiques sur Eschyle et ouvrages généraux • Pierre Grimal. Paris. . Caractérisation du passage Le passage de la scène 3 de l’acte IV est une scène d’affrontement dans laquelle les deux frères ennemis.Le registre polémique remplace le pathétique. Englewood Cliffs. Combat au nom de la justice : enjeu politique de l’affrontement. Eschyle. couple rimique mère / frère ». 2/ vous devriez épargner au peuple de Thèbes des souffrances .L’invitation finale à l’action de Jocaste. la catharsis consiste moins en une purification des passions qu’en une abstraction des émotions par l’intellection. fruit du travail et de l’art du poète .L’impuissance des mots. Le livre de poche. Rome. Dans cette perspective. PUF. pourvu que je t’en chasse ». 1985. les deux frères ne dialoguent pas directement. «  Montre-toi  »). Étéocle reste silencieux durant cette première phase du dialogue.Du modèle aux réécritures. B. O.Convaincre et persuader. • Alain Moreau. C. Prentice Hall 1970. Même Jocaste n’est pas là en tant que pleureuse mais comme conscience qui voudrait infléchir la décision des fils par ses mots. Paris. « votre frère ». . coll. W. Ce processus suppose de la part du spectateur un plaisir esthétique. Le fer remplace le verbe.Des héros sublimes. 1985. Clarendon Press. […] Aristote avait en effet insisté sur l’étrange pouvoir de la représentation […] capable de nous faire prendre plaisir à des « images » « dont la vue nous est pénible dans la réalité ». The Seven against Thebes by Aeschylus : a Translation with Commentary.s’élève vers l’intelligible en partant des réalités sensibles. Ouvrages sur Les Sept contre Thèbes • Berman D.La fonction de Jocaste.. L’échange verbal entre les deux frères tourne à l’affrontement : deux répliques très brèves et cinglantes avec reprise lexicale («  injustement / injustice »). La décision des hommes . La Violence et le Chaos. 2007.Dieux sont absents. Sens du sacrifice et de l’honneur. . Oxford. 9  Introduction à La Poétique d’Aristote. le poète. Ses arguments sont : 1/ vous devriez être las de la guerre . 3/ la première qualité d’un roi est la vertu non la cruauté. 1970. qui tente de les dissuader. . On notera qu’Étéocle est alors évoqué par le biais de la 3e personne (« Je ne veux rien de lui que ce qu’il m’a promis »). Chapitre 6 . La Crainte et l’Angoisse dans le théâtre d’Eschyle. . Ed. De la parole à l’action ..Affirmation d’une volonté humaine. • Jacqueline de Romilly. Une scène d’agôn A. Polynice interpelle directement son frère par le biais d’apostrophes (« cruel ») et de l’utilisation de la 2e personne (« t’appeler  »  . Klincksieck. La colère des protagonistes dit leur force de décision et leur détermination. Paris. Répétition de « il faut » dans les répliques de Polynice. voir P. tégies persuasives fortes : questions rhétoriques. Plan de lecture analytique I. Le Théâtre antique. ponctuation expressive. L’infléchissement du tragique  : une réécriture classique A. « Que sais-je ». Grâce à la mimèsis.. • Dawson Ch. 1971. du xviie siècle à nos jours • 119 . Paris. Surgissement de la violence au sein des alliances . Paris. Jocaste joue le rôle d’intermédiaire  . par Michel Magnien. • Jacqueline de Romilly. passe du particulier au général et à l’exemplaire et révèle la beauté cachée dans le multiple et l’accidentel en manifestant le type intelligible dont plusieurs êtres sensibles constituent les exemplaires 8. M. cruels. Jocaste invite ses propres fils à la tuer (« Hâtez-vous donc. Étéocle et Polynice. Les Belles Lettres. Nécessité ne relève pas d’une fatalité divine mais du devoir qu’il doit accomplir au nom de Thèbes. À partir du vers 30. PUF. Paris. Elle use de stra8  Pour une analyse plus complète. interjections… . la femme fait peur (anatomie et physiologie mal maîtrisées). I.• Lupas L. • François Rabelais. Under the Sign of the Shield. p. les sabbats. « De Corneille à Racine : La Thébaïde de 1664 a 1697 ». • Arthur Miller. Ridicule accentué par le port d’un habit de femme. La Sorcière. musée du Prado. Petre Z. • Torrance I. Paris. La Guerre civile. Klincksieck. • Paul Bénichou. Semiotics and Aeschylus’ Septem against Thebes. • Jules Michelet. vieillesse. tête et corps velus  . p. début de la pièce « … Elisabeth Proctor ». Son physique reflète son mal intérieur... Signe d’un discours misogyne sur la femme  : à l’époque. « Elle dit… cérémonies […] Elle revêt… de vous »  Paysage avec la tentation de saint Antoine a. Gallimard. 539-554. • Nassichuk John. yeux exorbités . 1981. Papers on French seventeenth century literature. Ouvrages critiques sur Racine • Roland Barthes. Les Sorcières de Salem. 27 (52). Seven against Thebes. 2000. Rome. Londres. Duckworth Companions to Greek and Roman Tragedy. 1986. chapitre XI : « La communion de révolte. Paris. attribué à Georgi Dmitroff Platzi. Points essais. Madrid Le Sortilège d’amour (The Enchantress). PARCOURS COMPLÉMENTAIRE Variations autour du thème de la sorcière • Lucain. 27 (52). anonyme du xve siècle. 1994. Folio essais n° 99 • Georges Forestier. ouverture ICONOGRAPHIQUE Paysage avec la tentation de saint Antoine. Bildenden Kunst de Leipzig 120 • Chapitre 6 . Paris. il s’agira de mettre en évidence les métamorphoses de la figure légendaire et mythique de la sorcière. « Pharsale ». Papers on French seventeenth century literature. • Guellouz Suzanne. • ZEITLIN F.. Sur Racine. 2007. 2006 • Jacques Scherer. Paris. 15-27. la messe noire ». Problématique : dans ce groupement de textes. dents longues  et en partie édentée . doigts crochus . livre VI.Du modèle aux réécritures. Paris. La Dramaturgie classique en France. Description Sorcière (à gauche) comme monstre. « Hantise d’Œdipe dans la Thébaïde : quelques réflexions sur la modernité de Racine ».. Féminité travestie et dégradée. 1953. 1520-1527. Bucarest – Paris. p. Commentaire aux Sept contre Thèbes d’Eschyle. Papers on French seventeenth century literature. 2000. Aeschylus. du xviie siècle à nos jours Le Sortilège d’amour (The Enchantress) . 1995. 1999. Ses caractéristiques pourront être définies à travers les différents extraits afin de mettre en évidence une laïcisation de la figure de la sorcière et de voir comment la figure de la sorcière véhicule un discours sur la femme en général. b. Jean Racine. Œdipe en monarchie : tragédie et théorie juridique à l’âge classique. Interprétation La sorcière est une femme difforme et hideuse. v. 1546. Nizet. acte I. 22 (43). Signes de la monstruosité : cornes du diable sur tête . Ouvrages sur La Thébaïde • Biet Christian. • Dubu Jean. « “Le Chef d’œuvre” le plus tragique “de l’Antiquité”: l’Œdipe de Corneille et La Thébaïde de Racine ». Morales du grand siècle. chapitre 17  : « Au coing de la cheminée…Sibylle ». Le Tiers-Livre. Joachim Patinir. 1982. 29-43. nez crochu . costume et pose raffinés  (chaussons brodés). du xviie siècle à nos jours • 121 . possède. Méfiance à son égard. On pourra montrer comment la reconstruction oulipienne à partir d’éléments déjà écrits ouvre sur une véritable création poétique. Patrocle. miroir placé entre les époux. Mais s’il les dispose selon les mêmes critères. il ne semble pas y avoir de «  décalage  ». Achille autorise son compagnon à le remplacer et lui prête son armure pour qu’il aille combattre avec les Myrmidons. rien des topoï sur sorcière. Le Quart Livre (1552) Les passages dans les œuvres Homère Le chant XVI de L’Iliade est aussi appelé «  La Patroclée  ». Artisan scrupuleux.Vision radicalement différente de la sorcière. lascive. la symbolique religieuse du tableau de Van Eyck est détournée au profit des signes d’un matérialisme outrancier et vulgaire. les personnages et les situations décrits. Puis on se posera la question du décalage : où se situe-t-il ? Qu’est-ce qui est «  inapproprié  »  ? La noblesse du style s’oppose au caractère bouffon et grossier des combattants (des Andouilles). lit à baldaquin. de l’hommage amusé (voir les pages de G. en se représentant dans le miroir. homme sur seuil de la porte  : arrêté net comme si envoûté . Homère/Rabelais. c’est pour y introduire le décalage. le renversement des valeurs : ce qui était harmonie devient boursouflure grotesque. il conviendra de montrer comment le point de vue de l’artiste déplace le sens du motif en fonction des attentes sociales et de l’esthétique de son temps. cheveux blonds (pureté)  . On mettra en évidence la part de jeu. parchemins en lévitation (comme si enchantés)  . dans une époque de provocation iconoclaste et de dénigrement du conformisme bourgeois reprend tous les éléments du décor cossu – lustre. la sorcière sert à tenir un discours sur les dangers de la femme : pervertit le cœur des hommes car pouvoir de séduction. Interprétation Autre vision de la sorcière : femme envoûtante. Enfin on posera la question des raisons de cette réécriture et de ses effets : que cherche Rabelais ? faire rire ? pourquoi ? s’agit-il d’un rire gratuit et d’un pur plaisir intellectuel et littéraire ou d’un rire qui opère un renversement de valeurs signifiant (le Carnaval) ? Textes 3 et 4. chien aux pieds de la sorcière : lascivité . Achille s’est enfermé dans sa tente à la suite d’un différend avec Agamemnon (qui lui a volé sa captive Briséis). vocabulaire guerrier…) et l’organisation singulière du récit (le discours du héros suivi du combat. 328-329) Du modèle épique à sa réécriture bouffonne Homère. voit les nefs grecques menacées et décide de reprendre le combat. fleurs au sol et animaux  : maîtrise des savoirs naturels  : médecine  . Texte 5 et 6. on verra de quelle façon ces éléments caractéristiques se retrouvent chez Rabelais. puis on s’interrogera sur la nature de l’objet poétique ainsi créé : s’agit-il simplement d’un exercice ou bien d’un poème à part entière ? Arrêt sur image. Botero. il ne s’agit pas seulement d’une simple imitation. De nouveau. nature des images employées. Genette dans Palimpsestes). l’analyse stylistique précise des textes est indispensable pour saisir les fondements de la réécriture. LES TEXTES DU PARCOURS Textes 1 et 2 (manuel de l’élève p. qu’elle soit parodique ou sérieuse. il conviendra de mettre en évidence dans le texte d’Homère les caractéristiques épiques (utilisation des images. b. Femme fait peur : envoûte. belle (corps gracieux) . On examinera ensuite la façon dont Proust s’empare de ces caractéristiques stylistiques (ou de quelques-unes d’entre elles qu’il juge particulièrement importantes) pour faire de son sujet (l’affaire Lemoine) un sujet flaubertien. contrairement à la parodie. et pourtant. A priori. Poser la question de l’amusement ironique. L’Iliade  François Rabelais. cœur dans une boîte . déterminante dans les principes souvent mathématiques de l’écriture oulipienne. 335 Du célèbre Portrait des époux Arnolfini (1434) à la parodie de Botero en 1956. qui le terrassera en le prenant pour Achille. Jan Van Eyck célèbre pieusement comme le signe d’un ordre du monde favorable. L’analyse stylistique du texte de Flaubert portera notamment sur le point de vue porté sur les choses. Patrocle va abattre plusieurs ennemis dont Pyraechmès avant de rencontrer Hector. l’ascension sociale d’un riche marchand de ses amis et la sienne : il signe discrètement son œuvre. séductrice.Du modèle aux réécritures. sous le regard de Dieu. Parcours 2 Parodies et pastiches Manuel de l’élève p. Dans les textes 1 et 2. la caricature. Rabelais Le Quart Livre (1552) est un voyage allégorique et Chapitre 6 . Achille reprendra ensuite les armes pour venger la mort de son ami. Triomphe grâce à ses armes de l’homme. a. Triomphe des passions sur la raison. collectif puis singulier). console portant une coupe de fruits. p. animal domestique. 327-335 PROBLÉMATIQUE Dans ce parcours. vêtements et coiffures de fête. Il faudra alors dégager avec les élèves cette notion de « dégradation » du modèle initial qui se joue dans le rapport de la forme au sujet – ici le sujet ne correspond pas tout à fait à la forme – reprise héroï-comique. On s’interrogera ensuite sur la transformation opérée : n’y a-t-il pas dans le pastiche une condensation des caractéristiques d’un style ? En ce sens. l’ami intime d’Achille. À partir de là. Description Jeune femme . feu dans cheminée (attribut traditionnel de la sorcière). Signes de sorcellerie ? Poudre qui descend de son doigt (philtre) et petite fourche du diable . Parry (1928) insiste. Fils de Ménoetios et ami intime et cousin d’Achille. B.L’exhortation au courage par Patrocle : usage du discours direct. exaltation du courage des Grecs. Des chapitres 35 à 42.-C. . En effet. L’œuvre homérique sera donc une œuvre collective. Un récit épique A.Un chef de troupe. et de la muse Calliope…). « javelot »). art de persuader (apostrophes. des blessures (« atteignit à l’épaule droite »). II. le dieu de la poésie. ni sa patrie d’origine. fuite des ennemis.satirique à travers un monde terrible et inconnu. de nombreuses interrogations existent aussi sur son œuvre même. car cela permet à l’aède de composer au fur et à mesure qu’il chante grâce à l’existence de schémas préexistants . lui. car la complexité des poèmes homériques est telle qu’il est impensable qu’ils aient été créés par un seul individu. composés oralement. Puisque Homère. Chacune des escales aux pays imaginaires. .-C. les poèmes homériques auraient d’abord été transmis par tradition orale et récités par des aèdes (chanteurs) ou rhapsodes (ceux qui cousent ensemble les chants). On se souviendra d’ailleurs qu’Homère rend hommage aux aèdes et aux Muses qui les inspirent. Contextes esthétique et culturel Homère Une vie méconnue D’Homère. Patrocle. b. J. Rabelais et l’humanisme On se reportera au chapitre sur l’humanisme dans le manuel de l’élève pp. L’Iliade.Le récit du combat et la victoire d’Achille : discours narratif. J. Son nom même est l’objet de différentes interprétations : signifie-t-il « otage ». I. ce héros .Du modèle aux réécritures.256-298 Caractérisation des passages Le texte de Rabelais est une parodie du texte homérique. Une œuvre orale ? de l’oralité à l’écriture Si la vie d’Homère reste mystérieuse. ils sont attaqués par ces Andouilles. c’est sous le voile d’une fiction géographique que l’auteur du Quart Livre donne une portée universelle à sa satire. il ne vise qu’à décrire les travers sociaux. sur le fait que les poèmes homériques sont issus d’une tradition orale et collective. Ce sont eux qui transmettent à la postérité les hauts faits et qui les glorifient. évocation des armes (« cuirassés de leurs armes ». les aèdes / méritent les honneurs et le respect. VIIIe siècle av. religieux et les préjugés de son temps qui y sont ridiculisés et bafoués avec une ironie véhémente. Récit du triomphe de Patrocle  : verbes d’action. Sous couleur d’étudier les coutumes des îles jalonnant ce voyage en mer. Au chapitre 41. hyperboles mélioratives pour glorifier les héros courageux). pour cela. Plans de lecture analytique Homère. c’est qu’un tel système n’a de sens que dans une poésie orale et traditionnelle. courage… ». vaillant. Éloquence de Patrocle : apostrophe. impératifs. / aimant la race des chanteurs.Généalogie glorieuse. abondance des verbes d’action . La poésie homérique ne peut être que le résultat d’une élaboration collective et le produit d’une tradition qui s’impose au poète d’une manière contraignante. Pantagruel s’embarque sur un navire à la recherche de l’oracle qui révèle la Vérité . le modèle épique est désacralisé par Rabelais et repris sur un mode grotesque. Composition du passage . Orale. L’hypothèse la plus vraisemblable est qu’Homère a été la charnière de l’oral et de l’écrit. connaissant les techniques de la poésie orale mais ayant appris à écrire. Axiologie positive de la qualification : récurrence des termes renvoyant à la valeur « valeureux. En effet. seul et à son initiative. la navigation s’achève avant que l’on aborde l’île de la Dive Bouteille. Wolf (1795) défend l’idée que. On ne peut pas admettre que l’écriture ait été assez développée au VIIIe siècle pour transcrire un ouvrage aussi long mais il faudrait poser l’existence d’une tradition orale exceptionnellement fidèle puisque l’évolution linguistique du texte homérique semble s’être arrêtée très tôt et que les deux poèmes ne contiennent aucune description d’objets et aucune allusion à des pratiques sociales postérieure à 700.. traditionnelle. tuant leur chef…  »). Seul contre tous (singulier / pluriel) . Ils auraient été fixés par l’écriture à Athènes. en plein vie siècle (à l’époque du tyran Pisistrate) en liaison avec l’institution du festival des Panathénées où les deux poèmes homériques étaient traditionnellement récités. Thème épique a. chant XVI. recourt aux mêmes mots et aux mêmes groupes de mots . L’écriture épique Page dominée par le registre épique. Caractère exceptionnel de l’événement : Patrocle prend la tête. être aimés et célébrés de tous (chant VIII. Valeur de Patrocle sur le champ de bataille. grâce aux efforts d’une série d’érudits qui travaillèrent à la bibliothèque d’Alexandrie. A. il reste à expliquer quand et comment le texte des poèmes a été fixé par l’écriture. Un récit de bataille : motif traditionnel de l’épopée. Ils n’auraient pris leur forme définitive qu’au iiie siècle. rappel du service d’Achille et de la noblesse de la tâche. courage exemplaire (« le premier »). qui les inspire ». puisque certaines actions ou événements (scènes typiques) sont racontés avec les mêmes expressions qui se succèdent dans un ordre constant. vers 479 à 481 : De tous les hommes de la terre. chacun des récits dans le Quart Livre devient symbolique et comporte une leçon morale. Ils doivent. car c’est la Muse. « aveugle » ou encore « celui qui ajuste ensemble les vers » ? et ses dates de vie restent incertaines : il aurait vécu entre le Xe et le VIIe siècle av.Un guerrier intrépide. des Myrmidons pour les mener dans un combat périlleux. du xviie siècle à nos jours . . 122 • Chapitre 6 . en acceptant l’idée qu’Homère ait été un poète oral. Lexique du combat («  combattent. on ne sait que très peu de choses  : on ne connaît pas sa famille (il est parfois présenté comme le fils d’Apollon. Cependant. Pantagruel et ses amis rencontrent les Andouilles. quand il a à exprimer une même notion dans les mêmes conditions métriques. Stendhal-Grenoble III) de 2005 sur les rapports de la mort et du rire dans le QL. Sentiment d’une toutepuissance de Patrocle. n°4. Rabelais parodie le texte source : le motif épique du combat glorieux et exemplaire est devenu réaliste . Orateur qui bafouille (« Gradimars »). utilisation d’un langage trivial (« Par Dieu… »). « les Péoniens  ». Paris. « impétueuse vaillance »… - abondance des verbes d’action et parataxe (dernier paragraphe)  : ardeur au combat. en juin 2008. Articles en ligne • Christiane Deloince-Louette (U. comique de mots - style familier et scatologique « Baise-mon-cul » - contraste entre style épique (évocation de Marignan) et style familier («  raclait les Andouilles  ». 1988. verbes d’action. Ouvrages critiques sur Rabelais • Mikhaïl Bakhtine. La désacralisation du récit épique : la parodie A. «  Le combat dans le Quart-Livre. chaudrons… ») . François Rabelais. Pluriel. L’ennemi est présenté sous une forme quasi animale (« gros cervelas sauvage et farfelu »). Homère. Évocation d’éléments réalistes et triviaux (« poêles. «  taillait les boudins »). Patrocle. 1970. B. Le Quart Livre. Un combattant ridicule. • Gabriel Germain. Paris. L’ Iliade d’Homère. On notera la brièveté du discours adressé à ses troupes et la maladresse de l’orateur : répétition à trois reprises du mot « amis » en une phrase. «  resplendissants sous leurs armes ».Du modèle aux réécritures. I. PROLONGEMENT ICONOGRAPHIQUE Pieter Bruegel l’Ancien. « Écrivains de toujours. Paris. Sandra Provini). Un personnel épique Dimension surhumaine des personnages : ardeur surhumaine au combat (comparaison avec les guêpes) . Cf I. disponible depuis 2008 sur le site de Recherches & travaux. • Hélène Monsacré. 1er septembre 2010. «  Que sais-je ? ». Jacob Duvernet. L’héroïque (dir. des différents combattants… B. le registre épique est remplacé par le comique. coll. B. b.pluriel : « les Myrmidons ».B. BIBLIOGRAPHIE Ouvrages critiques sur Homère • Jean-Louis Backès. L’amplification On remarque les marques d’amplification propre au registre épique : . Le Seuil. Albin Michel. Irruption du loufoque sur le champ de bataille : « vingt-sept barriques de moutarde à terre »). du xviie siècle à nos jours • 123 . 1559. • Guy Demerson. 1984. comparaison triviale (« comme des mouches »). C. Paris. • TDC (Textes et Documents pour la Classe). paru dans la revue en ligne Camenae. 1552. . 1985. «  les Danaens » : effet de masse et de groupe. la femme et la souffrance dans la poésie d’Homère. Le combat. coll. Le burlesque Intrusion du quotidien dans un univers noble. Amplification épique. comique de situation et de caractère - combat désordonné (« pêle-mêle ») - pas de meneur de troupes (Gymnaste est battu) . L’évocation des armes.épithètes homériques laudatives «  Péléide aux pieds agiles » . Son arme porte le nom ridicule de « Baise-mon-cul ». parodie homophone et isométrique d’« Excalibur ») et il se caractérise par son absence de vaillance au combat («  elles le terrassaient méchamment »). dans le registre que Bakhtine désigne comme le « bas matériel » par opposition à la hauteur de l’univers héroïque. Foliothéque. Le registre parodique : le traitement burlesque a. Paris. usage de l’énumération. Chapitre 6 . Gallimard.hyperboles : « vaillant fils  ». Homère. admiration pour le chef et dévouement absolu. L’Œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance. CNPD. Une réécriture explicite du modèle homérique A. PUF. pelles. Gymnaste. Les Larmes d’Achille.comparaison laudative des Myrmidons avec des guêpes. II. Le héros. Composition similaire du passage L’exhortation aux combattants. un meneur d’hommes ridicule Un piètre orateur. 1958. Paris. Rabelais. Homère. 2006 • Jacqueline de Romilly. Le registre épique Thème du combat. . • Dorothée Lintner. Les Proverbes ou le Monde renversé.intervention d’un monstre volant : le Deus ex machina est parodié sous la forme d’un pourceau volant ! - mélange incongru des hommes et des animaux. - jeu sur sonorités : «  Gradimars / Mardi Gras  »  : pur jeu verbal. n° 999. un chef peu commun. Ce tableau se trouve au Staatliche Museum de Berlin. I. Description A. Une scène familière Scène fourmillante de personnages et d’animaux. Cadre campagnard réaliste. À gauche : une ferme, à droite, une chaumière et un four à pain, beaucoup d’animaux : porcs, cochons, volaille. Mais des incongruités : un balai en équilibre sur le toit de la maison ainsi que des galettes et des assiettes de bouillie ; un homme urine par la fenêtre de la maison, personnage à califourchon en haut d’une tour, deux hommes montrent leur derrière à la fenêtre, un autre jette une pièce d’or dans une rivière, un personnage se cogne la tête contre le mur, un renard est attablé en face d’une cigogne, un homme se confesse au diable, un œuf marche sur deux pattes, une femme étrangle un démon. Bilan : étrangeté. Impression de familiarité mais en fait monde de folie. Surnom du peintre : Pier den Fol, Pierre le drôle. Proche du monde de Rabelais, loufoque. B. Composition Composition asymétrique. Désordre : ni ordre, ni centre. Le monde envahit tout le tableau, peu d’espace libre. Idée d’un monde confus, brouillon. Très différent des peintures religieuses de l’époque. II. Interprétation A. Titre Proverbes. Nombreux proverbes sont illustrés : - enrager parce que le soleil se reflète dans l’eau (être envieux) - les ciseaux sont pendus dehors (coupeurs de bourse partout) - la cigogne reçoit le renard (fable d’Esope) - savoir prendre les poissons avec les mains (être habile) - se cogner la tête contre les murs - faire endosser le manteau bleu à son mari (le tromper) - la meilleure des femmes lia les diables au coussin (femme plus maligne que le diable). - donner des roses aux porcs (ne pas mériter les choses) Jeu verbal et pictural. Recherche du spectateur. Cf Rabelais, plaisir des mots. Leçon morale par l’aspect ludique : sens premier, sens figuré. Les travers humains sont illustrés. Aspect concret de l’argumentation. B. Second titre Le monde renversé. Pourquoi ? Folie, désordre. Monde cruel des humains. Monde des hommes apparaît comme insensé. Il faut au contraire aspirer à la sagesse. Vision pessimiste du monde : monde qui ne tourne pas rond. Parcours 3 Transposer un thème obsédant : les variations de Marguerite Duras Manuel de l’élève p. 339-347 PROBLÉMATIQUE Ce parcours invite les élèves à explorer les formes de la réécriture interne, c’est-à-dire l’exploitation par l’auteur lui-même de ses premiers écrits constamment revus et corrigés dont se dégagent des motifs obsédants : on les trouve déjà chez Flaubert, dans l’œuvre de Chateaubriand, des Mémoires de ma vie aux Mémoires d’outre-tombe et dans ses différentes préfaces, chez Baudelaire réécrivant certaines pièces des Fleurs du Mal dans les poèmes en prose du Spleen de Paris. On pourra intéresser la classe à ce phénomène chez les contemporains à travers, par exemple, l’obsession des années d’occupation chez Modiano ou celle de la guerre chez Claude Simon. L’intérêt principal de ce parcours durassien réside dans l’adéquation entre le principe même de la réécriture et l’idiosyncrasie du style de Marguerite Duras, entièrement fondé sur la mélopée et le ressassement, en un mot la reprise. Le texte 1, Un barrage contre le Pacifique, est à considérer comme le texte « source » par rapport aux passages qui suivent ou du moins comme la première réécriture (fictionnelle et romanesque) du matériau autobiographique. Il conviendra de mettre en évidence les caractéristiques formelles de cette écriture  : situation, personnages, point de vue, place du dialogue. Le texte 2, L’Éden Cinéma appelle une réflexion sur un changement de genre complexe : on passe au théâtre. Mais il ne s’agit pas d’une simple mise en dialogues du récit romanesque. Duras se propose de mettre en scène l’articulation du récit (le souvenir) et sa représentation dans une forme choisie expressément pour cela. Les voix sont devenues personnelles (celles de Suzanne et celle de Joseph) et opèrent une sélection (ellipse, focalisation…) dans la matière initiale, qui donne à entendre et à voir le travail de différentes mémoires d’un événement. Dans le texte 3, L’Amant, c’est sur la matière même du récit que s’effectue une réécriture en forme de correction : on mettra en évidence ce qui change par rapport à la scène décrite dans Un barrage  : il y a maintenant deux frères, le récit est fait à la 1re personne avec le recul du souvenir raconté. On peut voir finalement comment Duras joue précisément avec la distance de la réécriture, comment elle l’inscrit dans son texte (notamment par le jeu entre présent et passé). Avec le texte 4 L’Amant de la Chine du Nord, on aborde une forme singulière de réécriture à la fois romanesque et filmique (les dialogues très présents, et l’action décrite comme dans un scénario). Ce changement de genre se double d’un changement de point de vue très significatif : l’amant est un personnage noble et drôle, la mère n’est 124 • Chapitre 6 - Du modèle aux réécritures, du xviie siècle à nos jours plus un « monstre », le frère est à la fois effrayant et ridicule… L’ultime réécriture efface le caractère tragique du récit autobiographique dont le poids habite toute l’œuvre de Duras en ajoutant un certain humour, qui correspond peut-être à celui de la distance amusée par rapport à ce que l’on a déjà écrit. Arrêt sur image, p. 347. Christian Boltanski. En analysant l’image, on fera identifier et démonter le jeu de collage qui permet un travail sur le même et l’autre. On s’interrogera sur ce que peut signifier cette répétition/ variation montrée par le biais de la série photographique (interrogation sur l’identité, sur le passé, sur ce qui nous constitue). Contexte biographique  : une vie atypique, en marge des préjugés Marguerite Germaine Donnadieu naît le 4 avril 1914 à Gia Dinh près de Saïgon. Les parents de Marguerite Duras sont fonctionnaires de l’Instruction publique en Indochine. Marguerite perd son père en 1918 et est élevée avec ses deux frères par une mère qui va devenir une figure centrale et toute-puissante. La mère souffre de crises et est obligée de se battre pour faire vivre ses trois enfants. Elle traîne de plus une réputation sulfureuse et est l’objet d’une escroquerie qui va la miner : elle se voit, comme d’autres colons, attribuer des terres cultivables dans le golfe de Siam, mais ces terres s’avèrent insalubres et inondables. Malgré les ouvriers engagés pour construire un barrage, rien ne permet d’endiguer les flots et les terres sont inondées, les récoltes de riz perdues. Cet épisode dramatique conduit à la ruine de la famille et au détraquement psychologique de la mère. En 1929, Marguerite rentre au lycée de Saïgon. Cette même année, elle rencontre l’« amant » de Cholen. On a mis en doute la réalité de cet épisode : Duras elle-même a toujours tenu des propos ambigus sur cette relation. Néanmoins, on s’accorde aujourd’hui pour dire que cet amant a bien existé. Il prend dans les œuvres de Duras des visages forts différents et fait l’objet de métamorphoses littéraires multiples. Dans Un barrage contre le Pacifique, l’amant s’appelle Monsieur Jo et il est blanc  ; dans L’Amant et L’Amant de la Chine du Nord, il est asiatique. Cette relation durera deux ans (on dit que Duras aurait été poussée par sa mère et son frère aîné à user de son pouvoir de séduction sur ce riche héritier indigène). Finalement, contre la volonté de la mère de Duras, le mariage ne se fera pas : le préjugé ethnique, la différence d’âge mais plus que tout, l’inégalité des fortunes empêchent l’union. En 1933, Marguerite Donnadieu regagne la métropole et débarque à Marseille. Cette enfance et adolescence indochinoises seront retravaillées et transfigurées dans des nombreux ouvrages à dimension autobiographique de Duras. De retour en métropole, Marguerite Donnadieu s’inscrit à la Faculté de Droit et mène une vie émancipée à Paris. En 1939, elle épouse Robert Antelme et rencontre Dyonis Mascolo en 1942, dont elle aura son unique enfant, Jean, en 1947. Après avoir travaillé pour l’État, Marguerite Duras prend ses distances avec le pouvoir durant la guerre et s’engage dans la Résistance (1943) en intégrant des réseaux de résistants actifs. En 1944, elle échappe à une arrestation, mais son mari, Robert Antelme, sera déporté à Dachau. Elle rejoint le parti communiste auquel elle adhère en 1944 puis s’investit dans la lutte anti-coloniale. En 1968, elle participe au mouvement estudiantin et se définit comme une femme de gauche, militante féministe. Elle devient une figure emblématique de la vie culturelle et intellectuelle parisienne. Dès 1940, Marguerite Donnadieu est devenue l’auteure Marguerite Duras, du nom du village dans lequel est né son père. L’année 1950 voit la publication du roman, Un barrage contre le Pacifique. En 1958  paraît Moderato cantabile. Puis en 1984, L’Amant, qui reçoit le prix Goncourt. Elle est une artiste protéiforme. Pour le cinéma, en 1975, elle réalise India song (et réalisera 19 autres films) ; pour le théâtre, elle écrira Savannah Bay en 1983 pièce dans laquelle elle mettra en scène son actrice fétiche, Madeleine Renaud. Parallèlement à cette carrière d’écrivain, Duras est journaliste et connaît la notoriété de son vivant en tant qu’écrivain ; sa popularité vient aussi de ses engagements politiques courageux et forts mais aussi de son statut de bateleur médiatique. Elle meurt en 1996. Sa tombe se trouve au cimetière Montmartre, à côté de celles de Sartre et de Beauvoir. Pour d’autres éléments, voir p. 339 du manuel. Contexte esthétique L’écriture de Marguerite Duras est inclassable. On a beaucoup souligné l’influence exercée par la langue vietnamienne sur le « chant » et le rythme de Duras. La fréquence des monosyllabes, une ligne phrastique procédant par juxtaposition de segments autonomes, des mots isolés dans une syntaxe disloquée confèrent à l’écriture durassienne une musicalité qui lui est propre et la rend singulière. En 1950, dans Un barrage contre le Pacifique, Duras travaille le matériau biographique : elle met en scène dans le récit une femme qui bâtit des barrages pour dévier les flots de l’océan et éviter que ses champs de riz ne soient inondés. Cet événement, évidemment biographique, est travaillé sur un mode très impersonnel : Duras ne se laisse pas aller à l’épanchement intime mais au contraire donne au récit une dimension universelle et tragique (lutte d’un individu humain contre la démesure de la nature). En 1977, paraît L’Éden Cinéma, une courte pièce, montée pour la première fois en 1977, par la Compagnie Renaud-Barrault, dans une mise en scène de Claude Régy. L’Éden Cinéma reprend l’histoire d’Un barrage contre le Pacifique, L’intrigue se déroule toujours sur la plaine de Kam, dans le Haut Cambodge, toujours dans le bungalow colonial, péniblement construit sur cette concession sans valeur, payée par le travail acharné de la mère qui jouait chaque soir, pour 40 piastres, à L’ Éden cinéma. On retrouve aussi les personnages de Monsieur Jo, Suzanne et la mère. En 1984 et 1991, Marguerite Duras publie L’Amant puis L’Amant de la Chine du Nord, textes qui posent un problème de définition générique. Le texte fictionnel ne répond en effet pas aux critères traditionnels de l’autobiographie (Duras ne conçoit d’ailleurs pas que l’on puisse raconter sa vie) mais relève de l’autofiction (Doubrovski). L’autofiction se définit comme un récit de l’ordre de la fiction, alors même que le lien d’identité entre le personnage Chapitre 6 - Du modèle aux réécritures, du xviie siècle à nos jours • 125 et l’écrivain est confirmé. L’autofiction refuse de fabriquer narrativement un temps de vie linéaire et préfère une juxtaposition de moments qui ne sont pas classés chronologiquement. L’autofiction refuse de projeter une cohérence rétrospective. Elle ne juge pas sa relation et ne dresse pas de bilan. L’autofiction refuse de définir la personnalité. Le ou les personnages reste(nt) mystérieux. Ces autofictions durassiennes présentent des caractéristiques récurrentes  : la présence de l’«  ombre interne  » (partie de la mémoire dont il est impossible d’avoir une conscience claire), le choix d’une écriture « courante » (prosaïsme et fulgurance sont recherchés), la translation générique (faire d’un même texte l’objet de pratiques esthétiques différentes). Texte 1 (manuel de l’élève p. 340) Le roman fondateur Un barrage contre le Pacifique, 1950 Le passage dans l’économie générale de l’œuvre Une mère et ses deux enfants viennent d’acheter une propriété à l’État français. Cette acquisition s’avère être une escroquerie puisque les champs de riz ne cessent d’être inondés par les flots, ruinant tout espoir de récolte. Dans le passage étudié, désespérée et au bord de la faillite, la mère espère marier sa fille Suzanne avec Monsieur Jo, un riche héritier indigène qui vient danser chaque soir avec sa fille. Caractérisation du passage La situation du passage est profondément pathétique. En effet, on y voit une famille (une mère et un frère aîné) « marchander » la cession de la jeune sœur à un riche protecteur afin de sauver la famille de la faillite. Néanmoins, au lieu de verser dans le registre émotionnel, la scène s’inscrit plutôt sous le signe de la distance et de la froideur, comme si chaque personnage était une marionnette désenchantée. Plan de lecture analytique I. Une atmosphère vespérale A. L’absence de joie - Tristesse. Le lexique de la tristesse domine : « s’attrister » ; « raté-là » ; « s’assombrit »… La peine accable les cœurs. - Absence de mouvement. Statisme des personnages  : « ne dansait pas », « regardait », « se fut assis ». Verbes de perception plus que verbes de mouvement. Récurrence de la négation (« ne dansait pas », « n’en était pas sûre », « ça n’a rien à voir ». Scène figée. - Une lascivité perverse. Le couple formé par Suzanne et M. Jo n’est même pas l’image d’un couple heureux. Lascivité malsaine (« dansait avec Suzanne de façon plus libre que d’habitude »). B. L’ennui - La réitération. Faits et gestes sont devenus machinaux : « comme d’habitude », « tous les soirs », « tous les soirs à Ram »... Petite comédie qui ne prend jamais fin. - Les expédients pour oublier l’ennui. Évocation de deux expédients : le champagne pour la mère et la danse pour Joseph. Mais les deux expédients sont impuissants en cette soirée. Lassitude totale et absolue. - L’impuissance des actes. Opposition entre la volonté d’agir (M. Jo est invité de manière pressante à faire sa déclaration) et le triomphe malgré tout de la passivité (on regarde, on parle dans l’extrait, mais on n’agit pas). II. Des êtres désincarnés A. Une mère dépressive - Portrait très pathétique de la mère. Topos durassien. Cf L’Amant ou la vie même de Duras. Élément autobiographique. - Constat d’échec sur l’existence. La mère fait une sorte de bilan de sa vie : échec total (« je suis ce qu’il y a de plus raté »). Absurdité de l’existence « ça ne veut rien dire »). - Une victime tragique. La mère est présentée comme broyée par les éléments et les événements : les flots (« pour les barrages  ») et l’absence de fortune («  hypothèque de cinq hectares »). Seul recours : l’attente (« On en a marre d’attendre »). Victime impuissante qui est condamnée à être spectatrice de son destin. Cf Beckett, En attendant Godot (attente comme modalité de l’existence). B. Un frère grossier - Parole brutale. Le niveau de langue est familier (« on s’emmerde ») voire grossier ; indécence de la parole (« ce n’était pas sain d’avoir envie de coucher comme ça avec ma sœur »). Il gêne M. Jo par ses paroles franches et impolies (« on s’emmerde » ; « rougit jusqu’aux yeux »). - Réification de la jeune sœur. Le personnage manipulateur du frère transforme Suzanne en objet d’une négociation : « Tout ce qui compte, c’est que vous l’épousiez »). - Un personnage blasé. Joseph s’est lassé de la danse (« peut-être en avait-il assez de danser tous les soirs  ») ; de M. Jo et de sa fortune (« Il y a trop longtemps que ça dure »). Le frère est ainsi dominé par la « tristesse » et le « dégoût » (de soi ? de la vie ?). C. Un couple improbable et mal accordé - Un couple mal assorti. Différence d’âge, différence de condition sociale, différence de sentiments (« un sentiment très profond » // « aucun sentiment pour lui »). - Suzanne s’est absentée d’elle-même. Opposition entre les marques toniques de la première personne (« Moi je me passe… ») et la vacuité du cœur dite de manière hyperbolique (« aucun sentiment »). - Un homme sans âme. M. Jo est privé de paroles et de consistance (« Je m’excuse », « rougit jusqu’aux yeux »). Il ne forme pas un couple avec Suzanne. Le lecteur ne peut que se représenter que deux corps qui, par hasard, se fréquentent. III. Une écriture de la distance A. Absence de pathos - Neutralité du ton. Le refus de toute déploration se lit dans l’absence de ponctuation expressive ; le désespoir est contenu et fait surtout place à la lassitude. La neutralité est redoublée par l’importance en volume des paroles rapportées (les personnages ne livrent pas directement leurs sentiments). 126 • Chapitre 6 - Du modèle aux réécritures, du xviie siècle à nos jours 1981. Ne parvient pas à contrôler son fils aîné (« il est ivre »).La supériorité du Chinois. Marguerite Duras.Des personnages récurrents. 1999. . oralité (les points de suspension). Marguerite Duras. B. Une écriture clinique . • Cousseau Anne. L’intériorité des personnages n’est qu’effleurée..Modification du nombre et du statut des personnages. 1998.Dialogue entre les différents membres de la famille et le Chinois. . «  lutte chinoise ») . Chapitre 6 .Des êtres de surface. http://societeduras. La mère. Le personnage prend l’ascendant  : il se déplace. « cruauté ». L’absence de sentiments ressentis par Suzanne (« aucun sentiment ») interdit tout épanchement lyrique ou pathétique.Du modèle aux réécritures. même la jeune fille. juin 1990. volonté affichée de simplicité verbale. L’action relatée . . Phrases courtes. Une écriture et une parole brutes (une écriture cinématographique) . « Histoire des Idées et critique ». 1992. PROLONGEMENT ICONOGRAPHIQUE Deux photographies de Marguerite Duras : une contemporaine de L’Amant (Marguerite est âgée de 15 ou 16 ans) et l’autre de la rédaction du livre L’Amant (photographies visibles sur l’accueil du site internet de la société Marguerite Duras. B. .Portrait du frère par la mère : « cruel ».free. plus équilibré. usage des points de suspension qui dit l’hésitation de la mère. Le frère aîné apparaît ridicule et minable face à la prestance de l’amant.Une représentation dégradée d’elle-même. La parole se délie contrairement à ce que qu’indique le texte source.L’agôn verbal. n° 452. Tous les personnages parlent. Poétique de l’enfance chez Marguerite Duras.Langage grossier « vous êtes tellement… mal assortis » . Confession de la mère à propos du tempérament de son propre fils. . Pierre). La brutalité du frère . L’affrontement entre le Chinois et le frère aîné.Prégnance du dialogue. On n’assiste plus à une scène d’humiliation de l’amant mais à la mise en scène de la domination du Chinois sur la famille. Les ressemblances avec le texte source (texte 1) A. C. • Blot-Labarrère Christiane. mais aussi force des quelques mots évoquant l’intériorité des personnages (« raté ». « plaisir qu’il prend à faire mal »). coll. Mère de famille dépassée. Les divergences avec le texte source (texte 1) A. juxtaposées. non ? ») .Une écriture « courante » et prosaïque. • Le Magazine Littéraire.Impuissance de la mère.Pathétique de la scène : il est renforcé par cette neutralité. avril 2006. BIBLIOGRAPHIE du parcours • Adler Laure. Gallimard. maladresses ne sont pas évitées. L’atmosphère de la scène est plus légère : la jeune fille n’est pas ouvertement l’objet d’un marchandage. « intelligence du diable ». . « tristesse ».Tempo plus rapide. Présence de la sœur. . • Alazet Bernard.Une confession impudique. du xviie siècle à nos jours • 127 . Brièveté des phrases.Des cœurs mis à nu cependant. 345) Variation fictionnelle L’Amant de la Chine du Nord. n° 278. Sentiment de honte : on voit apparaître le lexique de l’analyse psychologique (« cruel ». une victime pathétique . organisé par sa propre famille dans un climat de grossièreté souligné par les manières des personnages présents. . 1991 I. «  ne dansait pas ». Genève. 2002. Droz. Texte 4 (manuel de l’élève p.Le registre comique. Marguerite Duras. Le portrait plus caricatural. Sentiment de culpabilité (« excusez-moi surtout ») . reçoit les excuses de la mère.fr/). Description 1/ Noir et blanc : jeu d’oppositions : noir du fond / blanc du visage . met en évidence la domination physique du Chinois  : «  J’ai fait du kung-fu  »  .Brièveté des phrases. agrammaticalité des phrases («  méchant peut-être. • Franciska Skutta. partie droite du visage lumineuse / partie gauche ombrée. Prégnance du dialogue.Brutalité du langage. Économie de la langue  : langage direct (dire franchement et crûment).Un cadre identique  : la soirée dansante («  dansent ensemble ») . Aspects de la narration dans les romans de Marguerite Duras. II. . B. Le lecteur est d’autant plus affecté par ce marchandage autour de la jeune sœur. « dégoût »). Paris. On se rappro- che d’une scène d’ivresse classique dans une soirée dansante. Paris. Debrecen (Kossuth Lajos Tudomanyegyetem).La présence du rire et l’absence de l’enjeu financier. Paris. La soirée dansante . Le frère cadet apparaît et les noms et prénoms sont modifiés (le Chinois. « c’est un enfant qui appelle les coups » C. Seuil.Violence physique : « pour la bagarre… je suis toujours partant… » . mène la conversation. de la mère. le corps trahit les êtres («  rougit jusqu’aux yeux  ». du frère aîné comme dans le Barrage. Presses de la Sorbonne Nouvelle. Mise à nu pudique. Photographie 1 I. . simplicité lexicale. couple formé par le Chinois et Suzanne. l’enfant. Des rapports de force inversés . La tentation du poétique. Dans le texte de Bauchau. et de telle façon que les particularités du visage. visage lisse). étaient atténués. regard anxieux. le chœur joue encore un rôle central dans l’écriture tragique. Interprétation Main devant visage : montre que vraie vie n’est pas dans la photographie mais dans l’écriture (main prête à se mettre en mouvement pour saisir l’être). Il est un « personnage » à part entière. Le cœur parle plus que les armes et le sang. lunettes grossissantes. du xviie siècle à nos jours . stylo. Ce qui est le plus important : ce que les mots disent et non la photographie. Mise en scène de soi comme écrivain. uniformément rajeunis ». le registre est davantage pathétique : l’accent est mis sur l’horreur de l’affrontement fratricide et l’absurdité qu’il incarne.Du modèle aux réécritures. candide / séductrice). ils étaient gommés. La brutalité des corps est remplacée par la force des mots. II. Description 1/ gros plan excessif : image de la vieillesse : rides. 2/ Main qui cache le visage : bagues. de nombreuses variations apparaissent. s’il en restait encore. Photographie 2 I.2/ Visage esthétisé : maquillage (rouge à lèvres) : dans le texte de L’Amant « les portraits étaient retouchés. Interprétation Visage coupé en deux comme image de la dualité de l’adolescente (femme / enfant . Portrait d’une ingénue libertine (les cernes) ou d’une jeune fille soumise aux rituels de l’éducation (cheveux retenus. • dans le texte de Racine. 128 • Chapitre 6 . 324-325 Vers la problématique De l’Antiquité à l’époque contemporaine. toujours. C’est la condition selon laquelle il va pouvoir rester universel et moderne. Le traitement du mythe des frères ennemis varie aussi en fonction de la variation des codes littéraires et esthétiques : • dans le texte fondateur d’Eschyle. L’adaptation à l’évolution des mentalités pour le mythe des frères ennemis se voit à travers différents indices : • l’accent est mis sur les vertus guerrières et la valeur au combat dans le texte d’Euripide (tonalité épique du passage) car le texte d’Euripide est écrit en période de guerre. ravagé. Il s’agit d’user du mythe pour appeler à la paix et souligner l’atrocité et le pouvoir de déstabilisation politique du conflit. II. • dans les deux textes du XXe siècle. Les visages étaient apprêtés de la même façon pour affronter l’éternité. Un mythe est réécrit et transformé pour s’adapter à l’évolution des mentalités et des codes esthétiques et littéraires. la mort des deux frères ennemis est modifiée : ce n’est plus le combat à mort qui met fin à la vie des deux frères mais un geste suicidaire d’Etéocle et de Polynice qui dit l’absurdité absolue de la violence et son caractère infernal et éternel. Visage détruit. le combat n’est pas montré mais évoqué par les mots (règle de la bienséance). Bilans de parcours chapitre 6 BILAN DE PARCOURS 1 Manuel de l’élève pp. Voir explication supra b. L’auteur s’amuse à se comparer avec des auteurs qui l’ont précédé et à détourner ou imiter le modèle. Le récit mythique est transformé en débat tragique en raison de la présence de Jocaste qui cherche à faire changer d’avis ses fils et les invite à la négociation. - déplacement des accents : de la sphère divine et politique à la sphère intime. la confrontation des deux frères se fait non sur un champ de bataille mais préalablement dans une antichambre dans laquelle seule une discussion est possible. a. La voix d’Antigone renforce le pathétique car nous assistons en même temps qu’elle à l’affrontement et à la mort de deux frères. déformation de vers. avec ses failles et ses défauts. Vers la problématique La réorientation du tragique se fait tout au long du parcours. Texte 3. cette réflexion est à réinscrire dans le contexte politique de l’époque (1674 : Louis XIV tente d’asseoir son autorité et de domestiquer la noblesse). Il reste de l’épopée un certain courage devant la mort et une grandeur d’action de Polynice et d’Étéocle. 336-337 Vers la problématique La réécriture peut être définie comme un jeu pour plusieurs raisons : - jeu avec des textes littéraires antérieurs  : reprise de vers. le récit mythique se libère des contraintes de l’écriture théâtrale. l’action prime sur la déploration. la composition du passage. Lecture Textes 1 et 2. C’est dire la fragilité et la misère de la condition humaine. C’est le thème universel de la rivalité qui est ici en jeu. Le tragique est infléchi par rapport au texte d’Eschyle car les hommes ne sont plus les jouets des dieux mais l’incarnation de la prétention. b. l’évocation poétique paraît la plus apte à émouvoir le lecteur. - jeu pour le lecteur car ce dernier doit reconnaître le ou les texte(s)-source(s). Les héros mythiques sont désacralisés et humanisés. De plus. quels sont ses devoirs envers son peuple.Du modèle aux réécritures. b. Voir supra. Évidemment. Lecture Questionner. le tragique renvoie à la malédiction divine et à la misérable condition des hommes face au pouvoir des dieux. • dans le texte de Racine. soumise à des forces supérieures qu’elle ne maîtrise pas. du xviie siècle à nos jours • 129 . L’efficacité argumentative est maximale. complexe. Le récit du combat qui renvoie au texte d’Euripide laisse bien plus de place au pathétique. la forme romanesque permet d’introduire le jugement d’Antigone sur le combat fratricide. Voir explication supra Les nombreuses apostrophes impliquent le destinataire : Pascal veut faire en sorte qu’il se sente « embarqué ». Pour dire l’horreur de l’affrontement fraternel. BILAN DE PARCOURS 2 Manuel de l’élève pp. Texte 4. L’affrontement est moins politique que personnel et intime. Polynice apparaît moins comme un héros que comme un homme sensible. a. Dans le texte racinien. c’est l’impuissance des mots et l’impossibilité de sortir du conflit par la raison. On trouve ici l’usage du monologue intérieur cher à la modernité. Que reste-t-il d’une vie ? que retient la postérité ? que laissons-nous après notre mort ? Texte 5. • dans le texte de Bauchau. b. Texte 1. 2. interpréter. les hommes sont prêts aux gestes les plus fous et les plus insensés. Modernisation de la forme - changement de point de vue. Le bien commun doit primer sur la gloire personnelle. de la vanité et de l’absurdité de la condition humaine puisque leur combat est inutile et n’aboutit à aucun règlement politique. Les trois exemples les plus évidents sont : Chapitre 6 . le tragique est infléchi car ce qui devient tragique. C’est l’absurdité même de la vie qui est ici questionnée. L’accent est mis dans le récit du messager sur la souffrance physique endurée par les deux frères : champ lexical de la douleur. Il est moins un héros qu’un individu. • dans le texte de Ritsos. plus proche de nous.• chez Euripide. a. Synthèse et problématique La modernisation des mythes peut se faire de différentes manières : - changement générique. Humanisation des destins. la bienséance impose un agôn verbal plus que physique. Dans les textes antiques. L’image de la condition humaine est celle d’hommes qui apparaissent comme des jouets ou des marionnettes aux mains des dieux. Texte 2. a. Dans les deux textes du XXe siècle. Face au vide des valeurs. le caractère emporté du frère. Le débat politique entre en jeu dans le texte racinien : il s’agit de savoir ce qu’est un bon roi (différent du tyran). 2. Les éléments du mythe qu’on retrouve : l’attrait de Polynice pour la guerre et le combat. est tragique l’absurdité même de l’existence et son absence de sens. a. Le combat est ainsi humanisé et rendu plus dramatique car ce ne sont plus les armes mais les frères eux-mêmes qui décident de mettre fin à leur affrontement (ils sont moins des héros que des hommes). b. Parfois la parodie tourne au pamphlet : c’est le cas de Patrick Rambaud lorsqu’il ridiculise dans Virginie Q. Dans le texte de Proust. En revanche.sur le fond car le poème créé par la greffe est cohérent et déploie. des traits stylistiques saillants qui vont être repérés puis soit imités.le grossissement des effets  visuels et sonores : mouvements de troupes qui « fondirent ». le brio de sa réécriture montre qu’il en est profondément imprégné. la réécriture s’affirme comme un mode de création à part entière car des métamorphoses conséquentes apparaissent. a. Lecture Texte 1. autobiographie (ou du moins autofiction). . Textes 5 et 6. la variation ou la parodie (changement de visée du texte)… Synthèse et problématique La réécriture est un exercice a priori scolaire qui permet en fait de forger son propre style : - on apprend des autres auteurs et on apprend à manier leur « parlure ».lecharisme du héros qui entraîne ses compagnons vers la victoire. BILAN DE PARCOURS 3 Manuel de l’élève pp. Exemple de transposition des personnes : « ouvriers ». L’écrivain se définit par rapport à l’auteur du texte source car toute réécriture suppose une mise à distance qui peut être faite de révérence discrète  ou d’ironie plus ou moins corrosive : Proust reprenant le style de Flaubert célèbre son modèle.par la forme car il se fonde sur la contrainte d’une écriture en vers (alexandrins) et sur des jeux de rimes .la force surhumaine du héros soulignée par les épithètes et comparaisons homériques. 348-349 Vers la problématique D’un texte à l’autre. Il en est de même pour certaines écritures iconoclastes comme La Négresse blonde de Georges Fourest. Exemple de transposition des objets décrits : « écales de noix » > une « orange » La transposition n’est pas neutre . sécheresse de l’écriture dans le texte 4… 2. théâtre. tout comme Georges Perec lorsqu’il rend hommage à Flaubert dans le premier chapitre des Choses. Le dépassement du texte modèle peut se faire de différentes manières : par l’amplification.. b. a. usage de mots sinon techniques du moins précieux ou rares. le poème de Marcel Bénabou relate un amour malheureux. Le vers qui reste inchangé est le vers 14. b. cris. Ces variations peuvent être de différents types : - variations fictionnelles  : modifications de l’histoire elle-même (scène de danse. usage abondant des comparaisons. l’aspect et les qualificatifs des personnages pour tomber dans le grotesque. au second degré. Il sert de support de lancement à l’écriture en lui fournissant des points d’ancrage. Le texte modèle est une source d’inspiration. Vers la problématique. Ce décalage permet de rendre hommage au modèle flaubertien et à la subtilité du regard ironique d’un auteur qui surmonte les pièges du réalisme. mais cette démolition des grands modèles littéraires relève aussi de l’exercice d’admiration : car les grands textes pleins de vigueur sont capables de résister à divers détournements tout en restant source d’inspiration. modification de personnages en présence (ce qui permet une redistribution de la parole dans les différents extraits) - variations dans les rapports entre les personnages qui impliquent une modification du caractère des différents protagonistes : rapport de soumission de l’amant dans les textes 1 et 3 // rapport de domination de l’amant dans le texte 4 // absence quasi-complète du Chinois dans le texte 2. ce qui pourrait ressembler à la critique de formes convenues. ampleur phrastique et précisions spatio-temporelles dans le texte 3. Il cherche ainsi à faire rire le lecteur. l’univers de Marguerite Duras qu’il juge factice. b. Textes 3 et 4. avec une ironie assez proche de l’élégie romaine. On peut parler de « dégradation » car Rabelais désacralise le modèle épique en en proposant un traitement burlesque dans le passage.Du modèle aux réécritures. les mâts renvoient à l’idée de départ tandis que dans le poème de Bénabou. a. le regard amusé et critique du narrateur sur les personnages…). . Les aspects du style de Flaubert qui sont accentués sont : l’accumulation de détails (abondance des adjectifs. Marcel Bénabou est plus ambigu : son poème collectionne les clichés de la poésie lyrique amoureuse. Ce choix d’écriture renforce la mise à distance des sentiments : il n’y 130 • Chapitre 6 . Le texte créé par le jeu oulipien relève encore de la poésie : . scénario… Induit des modifications dans l’écriture même des passages : présence des didascalies dans le texte 2. vêtus «  sordidement en voyage  » > présidents Grévy et Carnot. Les paroles rapportées sont extrêmement fréquentes (discours indirect ou discours indirect libre). ils renvoient aux obstacles amoureux et à la difficulté d’aimer. - on peut choisir de garder ou de rejeter certains traits caractéristiques. Dans le poème de Mallarmé. démystifie le récit épique en le réduisant à une mécanique répétitive dans laquelle il suffit de modifier la nature. En même temps. Rabelais. elle porte une charge satirique par exemple le rapprochement entre les ouvriers et les deux présidents de la République. un grand thème poétique  : celui de l’amour. du xviie siècle à nos jours . de façon très moderne. Le poème de Mallarmé exprime la douleur face à la difficulté de l’écriture poétique et à la perte d’inspiration. soit pastichés. éclat des armes. l’ironie est plus accentuée et explicite («  s’effondrait dans une révérence si profonde… »). - variations génériques : roman. scène au restaurant) . 127). d’un texte à l’autre. même si ce dévoilement se fait sur le mode de la sobriété. elle peut aussi brouiller les pistes et dire que la vérité en littérature n’existe pas et surtout qu’elle importe peu. c’est la jeune fille qui raconte l’histoire.Du modèle aux réécritures..) . qui apparaissait si flamboyant et autoritaire dans le texte 1 devient une figure pitoyable. elle joue avec le matériau biographique pour mieux le déformer.a pas d’épanchement lyrique dans le passage. b. Voir lecture analytique supra. est mise en sourdine la figure du frère. a. Le registre comique apparaît car le frère. Une constante demeure : le caractère pathétique de la mère qui a besoin de marier sa fille pour sauver ses rizières. entre les êtres est ainsi soulignée. Synthèse et problématique En reprenant constamment un thème et une histoire. De manière étonnante. L’utilisation de la première personne permet un dévoilement des pensées intimes de la jeune fille. Dans le texte 1. Voir supra. mais une froideur et une neutralité face au spectacle décrit. Suzanne devient un protagoniste essentiel. Ce texte brouille notre interprétation de l’événement car les rapports de force sont radicalement inversés (cf explication p. b. En revanche. b. elle n’était qu’un objet de négociation. Dans les textes 2 et 4. Texte 2. la simplicité extrême et l’oralité du langage  . Les procédés de l’écriture cinématographique sont : la brièveté des répliques (on n’écrit pas. le rapport sensuel ou sexuel entre M. En effet. Elle est pleinement consciente de la négociation dont elle est l’objet. Texte 3. en modifiant les rapports de force et les personnages en présence. les rapports de force et le rôle de chacun des personnages sont modifiés. la mère semble écrasée par les événements . Jo et Suzanne. Les modifications par rapport au texte source sont nombreuses  : on est au restaurant. dans le texte 3. alors que le théâtre est par excellence le lieu de la parole. on parle) . déifié par sa mère. Le récit a davantage pour fonction d’informer que d’exhiber des rapports de force ou les liens entre les différents protagonistes. ce qui apparaît. non plus à une soirée dansante. Le passage à la première personne modifie le récit car la jeune fille devient un personnage essentiel de l’extrait alors que dans le texte source. la question du mariage. le frère aîné. On assiste même à une disparition totale du dialogue. du xviie siècle à nos jours • 131 . a. Le sens du souvenir est brouillé au fil des extraits. C’est la virtuosité de l’écrivain qui se met en scène. des variations apparaisChapitre 6 . Mais au contraire. Le texte 2 met en relief la détresse de la mère (ivresse). Texte 4.. l’abondance des notations sur les attitudes des personnages (rire. Duras cherche moins la vérité du vécu que la perfection formelle. le grossissement des traits de caractère des protagonistes. L’idée de rapports arrangés. C’est bien une autre histoire qui est ici racontée car il y a une volonté documentaire plus affirmée (indices autobiographiques et précisions spatio-temporelles plus abondants). c’est elle la principale voix du texte (narratrice) et elle se plaît à souligner l’humiliation subie par l’amant. b. qui est essentiel dans les réécritures. Suzanne apparaît spectatrice de son destin . Vers la problématique. a. soumise et dominée. le temps dominant est le présent ainsi que le passé composé qui dit le travail de rétrospection. la parole se raréfie dans le texte de L’Éden Cinéma. c’est que c’est l’enjeu d’écriture. du moins dans la mémoire de Marguerite Duras. Elle espère dire bien et dire justement. sent : dans les textes 1 et 4. elle est bien plus calculatrice et a pleinement conscience du marchandage dont sa fille est l’objet. semble minable face à la force et à la prestance du Chinois. Ainsi. Marguerite Duras peut viser tout d’abord la vérité : rendre compte le mieux possible de ce qu’a été l’événement et les circonstances de la relation avec l’amant. la prégnance du dialogue . dans les textes 2 et 3. Mais là aussi. l’enjeu esthétique. convenus. En se contredisant d’un texte à l’autre.
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