UNIVERSITATEA «VASILE ALECSANDRI» DIN BACAU FACULTATEA DE LITERE CATEDRA DE LIMBI SI LITERATURI STRǍINELE DISCOURS SUBJECTIF ANUL II (Master) SEMESTRUL I LECTOR UNIV. DR. MARICELA STRUNGARIU Este interzisa reproducerea si difuzarea acestui material fara avizul autorului 1. EVOLUTION DE L’INDIVIDUALISME ET DES GENRES SUBJECTIFS Le mot «autobiographie» est apparu en Angleterre aux environs de 1800, et s’est ensuite répandu dans les autres pays d’Europe. Il était au début employé de manière très vague, désignant toute forme d’écrits où l’on parle de soi directement. «Autobiographie» est un mot composé de 3 racines grecques : graphein (écrire), bios (vie) et autos (soi-même). Il en résulte que l’autobiographie serait une biographie écrite par celui qui en est le sujet. Pratique relativement récente, l’autobiographie se développe en même temps que s’épanouit la notion de personne, d’individualité, de subjectivité, à la fin du XVIIe siècle. Bien que la pratique autobiographique soit relativement récente, ses origines remontent fort loin dans le passé. C’est Socrate qui introduit la notion de «souci de soi», lorsqu’il invite les Athéniens à effectuer un retour vers eux-mêmes. Depuis Platon, jusqu’à la fin de l’Antiquité, le souci de soi a été pratiqué dans toutes les écoles philosophiques. Les sources de l’écriture du moi sont à chercher dans l’habitude chrétienne de l’examen de conscience. On s’entend pour considérer les Confessions de Saint Augustin (rédigées entre 397 et 401), comme le premier texte littéraire d’introspection de la culture européenne. Il faut néanmoins observer que ce type d’écriture religieuse ne visait pas nécessairement l’autoconnaissance, mais plutôt la découverte du sentiment religieux. La remémoration de l’histoire personnelle n’avait pas pour dessein de mettre en vedette l’originalité du sujet et de son expérience, mais de démontrer son appartenance à l’humanité, son pouvoir de généralité. L’évocation figurative de l’individu (l’art du portrait se développe depuis l’Antiquité et s’efface dans la culture chrétienne du moyen âge) va de pair avec le développement de la biographie. Dans le domaine de la peinture, Jan Van Eyck a signé et daté le portrait des époux Arnolfini (1434), en y insérant dans la composition sa propre image en reflet dans un miroir. Le Gréco s’est peint lui-même parmi les figurants de sa Pentecôte et pareillement Vélasquez apparaît dans l’arrière-plan de ses Ménines. L’autoportrait pictural fut le corollaire de l’autobiographie. La foi chrétienne n’est pas abolie, mais son emprise se desserre, ainsi que l’attestera, à partir de 1517, la crise de la Réformation, déclenchée par la révolte de Luther. Le protestantisme est un individualisme religieux. Mais la bouffée d’individualisme libérateur n’a eu qu’une brève espérance de vie, car l’Eglise de Rome réagit et les guerres de religion ensanglanteront l’Occident pendant un siècle. Quoique sa genèse soit liée au phénomène religieux, c’est le processus de sécularisation commencé à la Renaissance qui a favorisé le développement du genre autobiographique. En témoignent les Essais de Montaigne (Montaigne n’est autobiographe que dans certains de ses Essais), les Mémoires de Benvenuto Cellini et le De Vita Propria de Cardan, écrits égotistes non teintés de mysticisme et inspirés moins par le désir d’instruction morale que par le vœu de se peindre et de susciter le respect et l’admiration d’autrui. L’idée de vie en sa singularité, l’accent mis sur l’individualité ne fait pas partie des valeurs de l’âge classique, dont l’attention se fixe sur la règle, sur la norme et non sur les écarts par rapport à celle-ci. L’individu n’est pas maître de ses mouvements, il ne gère pas son autonomie ; il n’est pas intérieur à lui-même, mais extérieur. La connaissance de l’individualité en son devenir historique repose sur la biographie, genre littéraire dont l’invention a eu une importance décisive dans l’avènement de la conscience occidentale. Au XVIIe siècle, il se produit néanmoins une véritable floraison des Vies et des Portraits, qui témoignent d’un goût particulier pour l’histoire individuelle. On peut parler en même temps d’une vraie tradition des récits de vocation et de carrière, lesquels connaissent de nos jours un nouvel essor avec l’autobiographie orale. Il faut évoquer à cet égard le Discours de la méthode de Descartes, texte qui rend compte de l’évolution et de la transformation intellectuelle de l’auteur. Au siècle suivant, s’inscriront dans cette lignée les récits de Duclos et de Marmontel, qui se distinguent des œuvres antérieures en ceci qu’ils accordent un intérêt particulier au récit d’enfance. Ils tiennent toutefois d’une forme narrative parallèle à l’autobiographie - les souvenirs de carrière -, à laquelle s’essayeront au XXe siècle des écrivains tels Roger Martin du Gard ou Jules Romains. L’autobiographie est, pour une large part, issue des modèles romanesques. Les textes qui préludent en réalité à l’apparition de l’autobiographie sont plutôt les romans en forme de mémoires, dont Marivaux et Prévost ont été les initiateurs et les maîtres. Les Mémoires arrivent à satisfaire le goût pour l’histoire particulière. C’est vers la moitié du XVIII e siècle qu’on a commencé à s’intéresser réellement aux écrits reflétant, d’une manière personnelle, l’existence des individus. En 1755, paraissent les Mémoires de Madame de Staal et une réédition des Mémoires de Marolles. Ces œuvres parviennent à former chez les lecteurs l’habitude de penser l’emploi du récit écrit à la Ie personne en étroite liaison avec l'évolution de la subjectivité individuelle. L’épanouissement de la notion de personne, d’individualité et de subjectivité, ainsi que le début de la civilisation industrielle et l’avènement politique de la bourgeoisie, à la fin du XVIIIe siècle, s’avèrent des facteurs déterminants pour l’apparition et le développement des écritures personnelles, comme le journal et l’autobiographie, lesquels apparaissent à peu près simultanément. La publication, en 1782, des six premiers livres des Confessions de JeanJacques Rousseau est considérée la date de naissance de l’autobiographie moderne. Jusqu’à l’époque de Rousseau, presque tous ceux qui s’employaient à écrire leur vie le faisaient à la manière des biographes, s’efforçant de ne pas exhiber leur moi. C’est la naissance du roman les personnages sont dotés d’une nature fixée une fois pour toutes. le romantisme invente le Bildungsroman. à une recherche intérieure1. Emprisonnée. Il existe une correspondance étroite entre le Bildungsroman 1 Cf. accent mis sur les années de formation. en fonction duquel s’arrange le monde. L’apparition. C’est lui et la Révolution française qui ont suscité un véritable engouement des lecteurs et des écrivains pour ce genre de récits. L’Education sentimentale.autobiographique à la première personne. Rousseau est un novateur. Le succès de Rousseau consacre l’autobiographie. Lors de la parution des Confessions de Rousseau. confrontée avec le caractère incohérent des événements historiques. 1989. par exemple. 108-109. commence à se centrer sur elle-même pour réagir à l’insécurité extérieure par un renouvellement du pacte d’alliance avec soi-même. à remémorer avec beaucoup de nostalgie son enfance et son adolescence. les Mémoires étaient un genre depuis longtemps répandu. La menace qui pèse sur les gens et le rythme extrêmement rapide des transformations sociales amènent ceux-ci à chercher refuge dans un passé sécurisant et lumineux. Le romantisme consacre la promotion de la conscience de soi comme centre de perspective. au début du XVIIIe siècle. La conscience romantique. Presses Universitaires de France. ceux notamment de l’enfance. au XVIIIe siècle. qui favorisa l’écriture autobiographique telle qu’elle fut pratiquée par Rousseau. Attachant une si grande importance à son enfance. mais on n’y parlait de soi qu’à propos d’événements extérieurs. de la Chanson de Roland à la Princesse de Clèves. L’individualisme romantique a influencé de manière positive et décisive l’évolution des genres égotistes. Le Rouge et le Noir. le roman de formation qui retrace le développement d’une personnalité depuis l’enfance et l’adolescence jusqu’à une maturité à laquelle contribuent les épreuves et les imprévus de la vie : Les Illusions perdues. Rousseau montre que l’enfance est révélatrice du parcours ultérieur du sujet. mettant l’accent sur les années de formation et sur l’individualité du personnage. Les souvenirs intimes. Tandis que dans la littérature romanesque antérieure au romantisme. L’Histoire était l’alibi qui permettait à la petite histoire personnelle de se manifester dans ce qu’elle avait de public. est mise par certains toujours sur le compte de cette vie bouleversante et menaçante qui oblige à un repli sur soi. fondée sur l’exploration de l’enfance et sur la prise en compte de la subjectivité humaine. Béatrice Didier. Paris. Ainsi l’autobiographie est-elle paradoxalement issue d’une forme narrative fictionnelle qui se propose d’imiter la réalité. . pp. Madame Roland s’emploie. On pouvait parler alors d’une vraie expansion des journaux intimes et des textes mémoriels. désir d’authenticité. en fixant en même temps ses coordonnées génériques: reconstruction personnelle d’une vie individuelle prise au fil de son évolution historique. n’étaient point censés présenter d’intérêt pour autrui. Cette période de changements engendre une nouvelle manière d’interroger sa vie. deuxième édition. de la notion de «vie privée». La littérature de la Révolution française. Néanmoins. Tout compte fait. même avant le siècle des Lumières. Armand Colin. des écrivains qui se sont essayés à l’écriture du moi. la plupart des chefs de maison tenaient 2 types différents de journaux : des livres de comptes et des chroniques où ils notaient les petits événements de la collectivité ou les événements officiels de la famille. Philippe Lejeune. Béatrice Didier. de Stendhal. les premiers journaux que nous connaissons : ceux de Joubert. celles-ci n’ont pas été vraiment soutenues ou approuvées à leur époque. il était également nécessaire de commencer à regarder l’enfance comme un moment privilégié de son histoire. le romancier transposant sa propre histoire en la mettant au compte de son héros. Le journal est né. Paris. laquelle tient l’enfance pour creuset privilégié où se forgent les constantes de la personnalité humaine. à l’état de production régulière. il y a eu. Paris. Paris. 1975. à côté de Biran et de Stendhal. Certes. . nous nous sommes appuyés sur des informations fournies par les études suivantes: René Démoris. étant lié à la propriété et à l’argent. d’une première génération d’intimistes qui a écrit entre 1800 et 1820. 1971. une origine).et l’autobiographie. le journal intime (l’autobiographie est l’aînée du journal intime) n’existe en France. 1998. écrit Lejeune. Paris. deuxième édition. Paris. L’apport de la psychanalyse s’avère ainsi essentiel au développement du genre. à l’insu les uns des autres (publiés posthumes et tardivement). l’avènement de l’autobiographie doit être pensé en rapport avec une série de transformations culturelles. Rien n’est joué d’avance2. Georges May. Dans cet aperçu historique du genre autobiographique. Paris. auquel elle fournit de nouveaux instruments d’exploration du moi. Philippe Lejeune. Seuil. l’intérêt se porte sur le devenir des vies humaines. introduction aux Confessions de Jean-Jacques Rousseau. avant la fin du XVIIIe siècle . Il suffit de rappeler ici Montaigne et ses Essais. on écrivait 2 3 Cf. « L’autobiographie avant Rousseau ». 1964. Le roman à la première personne (Du Classicisme aux Lumières). A Rome. Lignes de vie 2 Auto-bio-graphie. Armand Colin. 335-358. Mise à part l’intérêt général pour l’évolution de l’individu. Odile Jacob. En marge de l’autobiographie. Ces modèles seront repris et développés à partir de la fin du Moyen Age sous la forme des livres de raison ou de chroniques. sociales et morales. si l’on a eu des tentatives dans ce domaine. L’Autobiographie en France. Georges Gusdorf. Au XVIe siècle. des besoins du commerce et de l’administration. Les études sur l’autobiographie y puiseront elles aussi quelques-uns de leurs fondements théoriques3. Cela arrive à la fin du XIXe siècle. grâce à la psychanalyse. Qu’on se souvienne des griefs de Pascal contre «le sot projet que Montaigne a eu de se peindre». c’est le moment où se rédige. de Maine de Biran. pp. Garnier. 1989. Bien que les critiques qui s’intéressent au journal comme genre littéraire étudient son histoire à partir du XIXe siècle. Jacques Voisine. Constant fait partie. PUF. Dans les deux. Pour l’autobiographie. Presses Universitaires de France. La littérature de la Révolution française. L’Autobiographie. de Benjamin Constant (considéré comme le modèle du journal. Philippe Lejeune trouve ses origines dans l’Antiquité. 1979. qui n’a pas eu de modèle et qui a pour ainsi dire inventé ce genre. Il a fallu attendre le XVIIIe siècle pour voir apparaître un intérêt collectif pour l'histoire personnelle. 1991. livre de raison. au XVIIe et au XVIIIe siècles. C’est grâce à lui que la représentation du temps n’est plus uniquement cyclique. du théâtre. Malraux). irréversible et tendue vers l’avenir. C’est en Angleterre qu’est née la notion de privacy avec tout ce qu’elle connote d’intérêt particulier porté à la vie familiale et intime. l’inauguration en 1939 de la Bibliothèque de la Pléiade par le Journal de Gide a contribué à légitimer le genre. Quant à son caractère artistique ou purement référentiel. les deux critiques se mettent d’accord pour exclure l’autobiographie du champ littéraire et cette attitude va se perpétuer jusqu’à la moitié du XXe siècle. Les conditions techniques qui ont déterminé l’apparition de ces formes antérieures du journal sont le passage des tablettes au papier. Ainsi. le calendrier annuel s’impose seulement après un siècle. est entré dans les mœurs de l’édition. Seuil. Philippe Lejeune note à ce sujet que «c’est seulement depuis les années 1970 que l’autobiographie a été intégrée au «canon» littéraire de l’école. La naissance en France et en Europe continentale du journal intime est précédée par l’apparition des journaux britanniques. En commençant par les Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand (parus en feuilleton en 1848) et le journal de Benjamin Constant et finissant par la Vie de Henry Brulard de Stendhal (1890). les journaux d’Amiel (1883) et des frères Goncourt (1887). le journal a été une pratique qui s’est développée en Europe entre la Renaissance et le XVIIIe siècle sous diverses formes : journal de bord. Grâce à l’arrivée du papier en Europe. l’invention de l’horloge et l’apparition du calendrier annuel. Introduit en France vers 1650. Céline. Léautaud. l’objet d’une vive controverse parmi les théoriciens de la littérature. à côté du roman. Entre 1890 et 1940. En particulier. à l’instar de Pascal. Avant d’être un genre. p. journal spirituel. de la poésie»4. La conversion du journal à l’intime eut lieu à la seconde moitié du XVIIIe siècle. tandis qu’Anatole France défend ouvertement le droit des hommes de parler d’eux-mêmes. 18. les écrits de soi ont fait. Gide).des journaux spirituels. chronique. paraissent de grandes œuvres à dominante autobiographique (Gide. . Pour l’autobiographie. leur égoïsme et leurs mensonges. publié de son vivant par les auteurs mêmes (Green. 1998. Le temps mesuré par l’horloge mécanique (inventée en Europe au début du XIVe siècle) devient précieux et irréversible . Colette. 4 Philippe Lejeune. Leiris. influencée par l’usage intimiste de la lecture et par la faveur dont bénéficient à cette époque les écritures à la première personne. Paris. Le journal intime. au XIXe siècle. mais vectorielle. les écritures quotidiennes seront à la portée de tous. c’est l’écriture qui permet de mieux l’utiliser et d’en garder la trace. qui sont plutôt un dialogue avec Dieu (journaux de prière ou d’examen de conscience). journal de voyage. contre ce type d’écriture où les gens osent exhiber leur orgueil. Ferdinand Brunetière ne cesse de vitupérer. spécialiste reconnu de l'étude historique. critique et théorique de l'autobiographie et du journal intime. il n’en est pas moins vrai qu’elle-même a subi des changements importants. trois romanciers marquants de la littérature française s’essaient. Mais. à la fiction. Avec La Découverte de soi (1948) et Mémoire et Personne (1950). à la lumière de ces découvertes. lesquels tentent de s’adapter aux nouveaux problèmes posés par la recherche et la représentation de l’intériorité. grâce à un renouvellement formel annoncé par Gide et poursuivi tout au long de sa carrière littéraire par Michel Leiris. l’autobiographie prend une importance croissante au cours des dernières décennies du XXe siècle. l’emploi du récit hétérodiégétique par Camus. a mis beaucoup de temps à s’imposer comme exercice d’écriture et de lecture et encore plus de temps à se faire accepter comme littérature. en 1960) et Malraux dans les Antimémoires (1967). empruntées. bien que d’une manière assez détournée. L’authenticité qui est visée par les autobiographes devient. tout en abordant le récit mémoriel. ces écrivains s’appliquent à y opérer une série de distorsions: l’ironie du narrateur sartrien. la reconstruction chronologique de l’histoire personnelle s’avère elle aussi fallacieuse. Mais celui qui a fixé les limites du genre est Philippe Lejeune. au genre autobiographique: Sartre dans Les Mots (publié en 1964). . tirant son origine de la pratique chrétienne de l’examen de conscience et des écrits égotistes de la Renaissance.Si l’autobiographie a réussi enfin à se faire reconnaître comme littérature. La narration traditionnelle imposée par Rousseau ne satisfait plus les écrivains du XXe siècle. Le récit linéaire fait place à une écriture analogique ou fragmentaire. Le renouvellement formel du genre est en partie entraîné par la révélation apportée par les études psychanalytiques quant au caractère illusoire de l’autoconnaissance. il apparaît à l’époque une réflexion théorique sur ce genre trop longtemps délaissé par la critique littéraire. un leurre. Georges Gusdorf est parmi les premiers à avoir esquissé et abordé la problématique de autobiographie. Ces tentatives seront suivies. La grande aventure de l’autobiographie moderne commence avec Si le grain ne meurt d’André Gide (1926) et L’Âge d’homme de Michel Leiris (1939). le recours déclaré à l’imaginaire et le refus de l’ordre chronologique chez Malraux sont autant de manières d’ébranler la structure pesante de l’autobiographie traditionnelle. aux années ’80. Parallèlement à l’écriture autobiographique. Genre longtemps sous-estimé. Etant donné le fonctionnement aléatoire de la mémoire. Autour de 1960. pour la plupart. de sorte que les écrivains n’hésitent pas à «traquer» leur vérité en usant de stratégies des plus variées. Camus dans Le Premier Homme (livre resté inachevé à cause de la mort de l’auteur. Le bref aperçu historique de l’autobiographie que nous avons esquissé ci-dessus nous montre comment ce genre. La pratique traditionnelle de l’autoreprésentation est remise en question. par celles des Nouveaux Romanciers. C’est par le renouvellement des formes et des modes d’expression (récit discontinu. dans Le Pacte autobiographique: «récit rétrospectif en prose qu’une personne réelle fait de sa propre existence. La parole autobiographique se propage de diverses manières : à la radio (après 1945). n’a pas encore donné toute sa mesure. en particulier sur l’histoire de sa personnalité»6.Les nouvelles approches proposées au début du XXe siècle par la psychanalyse. Philippe Lejeune. p. c’est seulement depuis les années 1970 que l’autobiographie a été intégrée au «canon» littéraire de l’école. l’Histoire. p. les pratiques intermédiaires entre fiction et autobiographie se sont développées. à cause de l’Existentialisme. Cette définition met en jeu des éléments appartenant à 3 catégories différentes : 5 Philippe Lejeune. 1998. du théâtre. 1975. en 1971. Michel Leiris s’adonne justement à une telle entreprise de renouvellement de l’écriture égotiste. Au XXe siècle. fusion du vécu et de l’imaginaire abandon de la chronologie) que l’autobiographie a surmonté la «crise» que connaissait aussi dans le même temps le roman psychologique. Après le conformisme du XIXe siècle. Seuil. Pour l’autobiographie. L’invention de formes nouvelles a constitué un courant de subversion. 14. la sociologie qui inscrit l’homme dans son environnement social et culturel). par la philosophie et par l’ethnologie parviennent à ébranler la notion d’identité. L’AUTOBIOGRAHIE ET LES GENRES CONNEXES Lejeune donne. Seuil. en préparant le terrain pour les diverses expériences d’ordre autobiographique qui se manifesteront dans la période de l’après-guerre. L’autonomie du sujet se trouve dès lors radicalement mise en doute. 6 . Il exige d’être modelé et ajusté selon les conditions et les exigences du présent. mettant l’accent sur le témoignage et l’enquête sur le quotidien. qui s’est à peine affirmé comme démarche autonome et légitime d’une humanité qui désire se regarder et s’exposer dans sa nudité. dans l’histoire orale (1966 – commercialisation du magnétophone à cassettes. Mais ce genre. L’autobiographie est ainsi directement concernée et ne pourrait s’y soustraire qu’au risque de tomber en désuétude. phénomène qui se reflète naturellement au niveau de la représentation du moi. En France. 19. lorsqu’elle met l’accent sur sa vie individuelle. la première définition de l’autobiographie. à côté du roman. Le Pacte autobiographique. l’autobiographie s’enrichit des apports que les sciences humaines fournissent à la connaissance du Moi (la psychanalyse avec la pratique de l’inconscient. Au XX e siècle. II. à la télévision (1960). recours à l’analyse critique. l’autobiographie commence à se revendiquer comme art. qu’il va reconsidérer et rajuster en 1975. dans L’Autobiographie en France. Paris. de la poésie. L’autobiographisation5 générale du champ littéraire a été contrebalancée par une résistance proportionnelle. Paris. Selon Lejeune. L’autobiographie est sortie originellement des mémoires. il n’existe pas d’«autobiographie pure» strictement conforme à sa définition. l’objet de son discours étant l’histoire des groupes sociaux et historiques auxquels il appartient. Lejeune emploie le mot «autobiographie» pour désigner tout texte régi par un pacte autobiographique. Mémoires de deux jeunes mariés de Balzac. le narrateur et le personnage . c) quant à la situation de l’auteur. 1979. b) quant au sujet traité. l’objet du discours est l’individu lui-même. Inspiré par les pragmaticiens et les linguistes. on a l’identité entre celui-ci. L’histoire du roman français du XIXe siècle est jalonnée de titres de romans célèbres commençant par le mot «Mémoires» : Mémoires d’un touriste (1838) de Stendhal.a) du point de vue de la forme du langage. à l’histoire d’une personnalité . on a affaire à une vie individuelle. Mémoires d’un âne de la comtesse de Ségur (1860). Presses Universitaires de France. Le mot «Mémoires» est entré dans la langue plusieurs siècles avant le mot « autobiographie ». l’autobiographie est un récit en prose . L’autobiographie et les mémoires Les deux genres se confondent bien souvent. Dans l’autobiographie. 30-31. mais aussi une réalisation particulière de ce discours. . en plus. le narrateur et le personnage. une place à part : elle est fréquemment conçue par celui-ci comme son ouvrage suprême. etc. celle où il a répondu à la question «Qui suis-je ?» par un récit qui dit «comment je le suis devenu». Dans ce dernier cas. dans la carrière de son auteur. celui qui englobe. Paris. Mémoires d’un fou de Flaubert. Michel Leiris commence à écrire L’âge d’homme à 29 ans et le fait publier à 38 ans)7. le couronnement de son œuvre ou de sa vie. sinon de leur vieillesse . pp. comportant en même temps un engagement de dire la vérité. Georges May observe qu’il existe 2 caractéristiques communes à la plupart des autobiographes : leur autobiographie est l’œuvre de leur âge mûr. ils sont connus du public dès avant la publication de l’histoire de leur vie (Exceptions : George Moore fait paraître le premier volume de son autobiographie en 1888 alors qu’il n’avait que 36 ans . on privilégie la perspective rétrospective du récit. explique et justifie tout ce qui précède. lequel impliquerait la possibilité et l’acceptation d’une vérification. alors que le mémorialiste se comporte comme un témoin. le théoricien associe à cette définition un pacte qui postule l’identité entre l’auteur. L’autobiographie. L’autobiographie occupe. où un auteur propose au lecteur un discours sur soi. il n’y a pas d’identité de 7 Georges May. c’est après la mort des grands hommes qu’on prononçait leur éloge (laudatio) afin de perpétuer leur mémoire. Les frontières qui séparent l’autobiographie et les mémoires sont floues. selon G. . a été considéré le premier des biographes.) est le plus célèbre biographe français de notre époque. laquelle des deux parties est subordonnée à l’autre et si l’auteur a voulu écrire l’histoire de sa personne ou celle de son époque. Tâche d’autant plus difficile que certains auteurs déclarent vouloir faire les deux à la fois. qu’il l’a choisi et qu’il peut espérer être lu. L’autobiographie et la biographie ont en commun. celle de faire d’une vie humaine authentique le sujet d’un livre 8. de les préserver de la mort. tandis que l’autobiographie 8 Georges May. May. A Rome. mouvantes et subjectives. L’autobiographie.l’auteur et du sujet traité. André Maurois (Lélia ou la Vie de Georges Sand. Il faut dire pourtant qu’il est rare que la personnalité du mémorialiste n’entre pas en jeu parfois pour faire de lui un autobiographe. etc. L’autobiographie et le journal intime L’autobiographie est un récit rétrospectif et global. qui n’a aucune forme fixe. Paris. Olympio ou la Vie d Victor Hugo. avec les Vies parallèles. tout comme il est rare que les événements publics traversés par la vie d’un autobiographe ne s’imposent pas à sa mémoire pour lui faire jouer. le rôle de chroniqueur. au contraire. le biographe s’appuie sur des matériaux extérieurs à lui. L’autobiographie et la biographie Plutarque (I siècle après J. cherche notamment à remonter aux origines. Il faut voir. au point de départ. alors que le journal intime est une écriture quasi contemporaine et morcelée. ici et là.161. Tandis que l’autobiographe travaille sur des matériaux subjectifs (ses propres souvenirs). ou «le prince des biographes». Le journal s’écrit au jour le jour et n’embrasse dans chacune de ses inscriptions que ce qui a intéressé la brève période écoulée depuis l’inscription précédente. au moins une ambition fondamentale. L’autobiographe. qui sont à la fois une autobiographie et des mémoires. censé révéler et expliquer son présent. p.-C. Le biographe s’intéresse davantage à l’aboutissement de la vie qu’il raconte qu’à ses origines. Tel est le cas des Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand. puisque c’est en fait à cause de ce point d’arrivée. 1979. qui tend à la synthèse. de ce que son personnage a accompli.). dit Lejeune. Prométhée ou la Vie de Balzac. Presses Universitaires de France. mais à contre-courant de l’écoulement de la vie. un sens. selon une série de points de vue. Ce procédé a été découvert par Rousseau. c’est qu’il est plus important que ceux qui ont sombré dans l’oubli. Toutefois. Bien des autobiographes marquent soigneusement les diverses parties de leur texte de la date à laquelle elles ont été écrites (Chateaubriand) ou bien ils mettent au devant de la scène leur vie présente. ou selon les étapes d’une analyse. On observe souvent des intrusions du journal intime dans l’autobiographie. dans laquelle le texte s’ordonne logiquement. Dans le premier cas. il est passé. et non pas chronologiquement. L’autobiographie et le journal se ressemblent par la réflexion sur le passé. non pas du passé vers le présent. le souvenir a le temps de reposer dans la mémoire et de s’y modifier au contact des autres souvenirs . une logique. La vie passée acquiert par là une unité. Si le journal intime a l’avantage de la précision et de l’exactitude. L’autobiographe peut aussi essayer de faire revivre le passé en insérant des morceaux du journal intime qu’il tenait à l’époque. Michel Beaujour nous propose de faire la distinction entre les autobiographies «pures» et ces œuvres qui relèvent de l’autoportrait littéraire. il faut dire que l’écart temporel entre l’événement et sa notation est plus grand dans le cas de l’autobiographie que dans celui du journal intime. Présentée à la conscience du diariste sous le signe de la gratuité et du désordre. relit parfois ce qu’il a écrit avant ou revient à son texte après un long intervalle. dans Roland Barthes par Roland Barthes ou dans L’Âge d’homme de Michel Leiris. quant à lui. Celui qui écrit un journal et celui qui écrit une autobiographie procèdent dans la même direction temporelle. exploité par Chateaubriand et Stendhal et se trouvera au cœur de la tentative autobiographique de Michel Leiris. L’auteur du journal. l’expérience apparaît à l’autobiographe après avoir subi l’épreuve du temps et de la réflexion. alors que l’autoportrait est une tentative de synthèse. voire censurer (Gide). du moment où ils écrivent vers le moment où ils ont vécu. L’autobiographie et l’autoportrait L’autobiographie est un récit qui suit dans le temps l’histoire d’un individu.embrasse l’ensemble d’une vie . dès lors qu’il l’écrit. car l’auteur du journal intime ne peut jamais avoir que l’illusion de travailler sur le présent . En observant l’absence de récit suivi dans les Essais de Montaigne. l’autobiographie a l’avantage du recul. dans les Antimémoires d’André Malraux. afin de le recopier ou simplement d’en améliorer le style ou corriger. étant écrite après que celle-ci s’est en grande partie écoulée. du présent vers le passé. s’il survit à l’érosion du temps. Le temps de l’écriture peut apparaître parallèlement au temps de l’histoire racontée. qu’il définit comme «une prise de conscience textuelle des interférences et des homologies entre le JE microcosmique et l’encyclopédie . et non une sincérité à la limite impossible.32. 443. Moi aussi. p. p. Paris. ce n’est pas l’exactitude historique. Ce qui distingue l’autobiographie du roman. Paris. Marivaux et Duclos sont tous écrits à la première personne. Il faut déterminer si la structure principale du texte est narrative ou logique. Cette dernière a adopté. Seuil. Seuil. avec excuses. p. 1977. 1980. Le paradoxe de l’autobiographie. C’est l’existence d’un tel projet qui importe. tout un rituel qui vise à établir une communication directe. explications. no. Tandis que les Confessions de Rousseau retrouvent leur unité par le choix du curriculum vitae. Du point de vue technique. une part d’autobiographie (récit) et une part d’autoportrait (organisation thématique) »11. des procédés narratifs que le roman avait mis au point antérieurement. 30. déclarations d’intention. l’autoportrait «tente d’assurer sa cohérence selon un système de rappels. La plus grande vogue dans l’histoire du roman français du récit à la première personne date du début du XVIIIe siècle. le remplacement de celle-ci par un régime d’écriture qui repose sur l’analogie. Philippe Lejeune s’ingénie à démontrer dans Moi aussi que « la plupart des textes autobiographiques comportent. Bien souvent confondus.macrocosmique» où «JE résume la structure du monde»9. dans des proportions et des hiérarchisations différentes. Le trait saillant de ce nouveau genre littéraire serait le refus de représenter la réalité du moi au moyen de la narration. L’autobiographie et le roman autobiographique La ressemblance entre le récit romanesque à la première personne et l’autobiographie est souvent frappante. Le roman et l’autobiographie ont le but commun de raconter la vie d’un personnage. Les romans les plus connus de Prévost. « Autobiographie et autoportrait ». l’autobiographie et le roman recourent aux mêmes procédés d’expression. mais seulement le projet sincère de ressaisir et de comprendre sa propre vie. 1986. à tel point qu’il peut devenir impossible de les différencier. Miroirs d’encre (Rhétorique de l’autoportrait). L’autobiographie est un genre fondé sur la confiance. À l’encontre de la théorie formulée par Beaujour. Michel Beaujour. in Poétique. mais par le vœu d’authenticité et de vérité qui constitue le fondement de la démarche autobiographique. 11 Philippe Lejeune. à son origine. c’est qu’elle doit exécuter ce projet d’une impossible sincérité en se servant de tous les instruments de la fiction. 9 Michel Beaujour. d’où le souci des autobiographes de bien établir au début de leur texte un «pacte autobiographique». de reprises. 19. ces deux genres se distinguent donc non par leur structure interne. 10 . de superpositions ou de correspondances entre des éléments homologues et substituables»10. Puisque l’autobiographie est généralement un texte narratif. Seuil. TEMPORALITÉ ET MÉMOIRE DU RÉCIT AUTOBIOGRAPHIQUE Celui qui se propose d’entreprendre une étude sur le récit autobiographique se voit toujours astreint à ne pas négliger la problématique du temps. .celle du présent de l’écriture et celle de l’histoire 12 Paul Ricœur. En outre. l’autobiographie se rapporte au temps et à la mémoire de par sa nature de récit rétrospectif. en fonction duquel ce genre d’écriture devrait choisir ses composantes et sa configuration. p. Ce caractère de la prose a été maintes fois souligné par Paul Ricœur. qui observe que «le monde déployé par toute œuvre narrative est toujours un monde temporel» et que «le temps devient temps humain dans la mesure où il est articulé de manière narrative»12. Temps et récit I.III. 1983.17. qui introduit du coup deux temporalités . elle parle d’un monde régi par les lois de la chronologie. Paris. Les reclasser selon leur chronologie d’autrefois signifie avoir recours à un artifice infidèle à la vérité. tout en moi combat et se contredit ». C’est elle qui trace les étapes de l’histoire qu’on doit parcourir successivement pour comprendre l’existence révolue du sujet. pouvant même constituer une entorse à la vérité autobiographique. elle joue un rôle essentiel dans ce récit. en vrac : « Le plus gênant c’est de devoir présenter comme successifs des états de simultanéité confuse. Gérard Genette. op. cit. étant «l’une des ressources traditionnelles de la narration littéraire»14. présumé s’être réellement écoulé. Il existe une incompatibilité entre la succession naturelle du temps et le fonctionnement sélectif et incohérent de la mémoire. L’histoire qui est racontée par l’autobiographe est donc réelle et son temps est. À cela.123. p. soit-il fictionnel ou factuel. mais plutôt la règle. L’autobiographie est un récit écrit après coup. L’ordre chronologique est senti par certains autobiographes comme étant infidèle en soi à la réalité. laquelle se présentait à la conscience sans aucun ordre apparent. auquel elle s’assigne pour but de livrer la plupart des éléments constituants. contient un nombre plus ou moins important d’anachronies qui ne constituent pas l’exception. Il s’agit donc d’un ordre chronologique résultant d’un tri. sinon d’un procédé de censure. les souvenirs s’appellent l’un l’autre au mépris de toute chronologie. . Quant à la mémoire. c’est en fonction de son «efficacité» qu’un texte de ce type peut prouver son authenticité. Du fait que l’autobiographe la tient généralement pour source principale de son livre. puisque son intentionnalité «vise des événements qui ont effectivement eu lieu»13. Figures III. Dans la conscience de l’autobiographe. Mais les intervalles entre ces scènes sont le plus souvent laissés en blanc. déclare Gide dans Si le grain ne meurt. 80.qui créent une tension et une mise en relief de la chronologie textuelle. p. l’ordre auquel il doit se soumettre afin de donner à son texte un aspect lisible et compréhensible est souvent infidèle à la réalité psychique passée. La plupart des autobiographies traditionnelles sont écrites dans l’ordre chronologique dans la mesure où les différentes scènes qui y sont rapportées se succèdent dans le texte selon l’ordre temporel dans lequel elles ont eu lieu dans la réalité.. on peut ajouter aussi la différence ostensible entre l’unité axiologique d’une existence et son trajet temporel. D’ailleurs.racontée .. Je suis un être de dialogue . L’autobiographe doit faire 13 14 Ibid. elle peut aussi «revendiquer une référence qui s’inscrit dans l’empirie». Etant un genre fondé sur le pacte de vérité. par conséquent. vu son caractère artificiel. Même lorsque la bonne foi de l’autobiographe est entière et qu’il se propose de rapporter tout ce dont il a gardé le souvenir. chaque récit. Mais l’ordre chronologique est irréalisable dans un récit de ce genre. qui fait intervenir constamment les mécanismes de la mémoire. Emile Benveniste. de telle façon que l’autobiographie semble à diverses reprises se muer en journal intime. pp. il n’est pas dénué de signification de remarquer qu’on y trouve par là le moyen le plus efficace de faire alterner les moments dramatiques avec ceux de détente. le futur. p. du fait que. C’est en faisant alterner les moments de tension et les moments de détente que les autobiographes aboutissent à tresser leur récit et à tenir l’esprit des lecteurs toujours en éveil. un «discours-histoire». les temps du monde raconté (l’imparfait. ainsi que l’emploi successif du passé simple ou de l’imparfait du monde raconté et du présent de l’écriture témoignent de l’effort des autobiographes de trouver et de nous révéler les racines de leur état présent. Est-il je ?. cit. Harald Weinrich. Les allées et venues entre le passé et le présent. Jean Starobinski. Problèmes de linguistique générale. Certains autobiographes. dans lequel la première personne du singulier et le récit historique (qui est censé exclure toute forme linguistique autobiographique) marchent de pair. 1973. Le récit et le Commentaire. L’autobiographie. L’écriture au présent vise à l’intemporalité. Univers. ou bien renoncer à la recherche d’un ordre qui n’existe pas dans l’expérience vécue et manquer ce faisant à l’intelligibilité15. 1974. 18 Cf. Seuil. Harald Weinrich et Paul Ricœur se mettent d’accord pour considérer les temps du monde commenté (le présent. 74. 1966. May. le passé composé) comme des instruments grammaticaux dont le locuteur use pour signaler son engagement. la mise en vedette du moment de l’énonciation au détriment du temps remémoré relève. 17 Cf. Seuil. En contrepartie. dans ce dernier cas. En reprenant la distinction faite par Emile Benveniste entre temps du discours et temps de l’histoire16. d’une démarche nettement plus référentialiste que celle qui privilégie la reconstitution rétrospective du passé. G. une formation hybride. 2004. le roman ou le récit historique s’en servent-ils pour nous arracher à la vie quotidienne et nous en éloigner17. Gallimard. p. qui parle d’une contamination de l’autobiographie par le genre diariste18. 46. Du point de vue de la véridicité du récit autobiographique. le plusque-parfait) sont censés signaler son détachement et sa détente à l’égard de ce qu’il communique. Le texte devient. Hormis ce désir d’aller aux sources de l’être.. p.face à un dilemme insoluble : ou bien imposer au foisonnement capricieux des souvenirs un ordre quelconque et manquer par là à la véracité . de ce point de vue. Bucureşti. le passé simple. Paris. tels Chateaubriand. selon Philippe Gasparini. Stendhal ou Leiris nous font entrer maintes fois dans leur vie présente. Relaţia criticǎ. Ainsi le conte. phénomène signalé entre autres par Jean Starobinski. n’ayant pas accès aux circonstances de la production du texte. Paris. 15 16 Cf. 19 Philippe Gasparini. Paris. Le Temps. le lecteur pourrait naturellement le prendre pour une œuvre de fiction19. . 223-224. op. 86. voire sa participation directe aux faits rapportés. tantôt thématique. 2000. Paris. l’identité»23. 23 Cf. entraînant une accélération de ce récit qui tend parfois à s’égarer dans l’enchevêtrement des souvenirs. Elle assure la cohésion et donne un sens à notre histoire personnelle: «la mémoire de l’être le plus successif établit chez lui une sorte d’identité»22. Nouveau discours du récit. Puisque «la mémoire assure la continuité temporelle de la personne et. op. p. l’autobiographe. Seuil. Les infidélités de la mémoire La mémoire joue le rôle organisateur dans le récit autobiographique traditionnel. Paris. étant vue comme le principe fondateur de l’unité personnelle. À ce point. IV.Il convient d’amener en discussion aussi l’usage massif de l’itératif. 26 et Fiction et Diction. Sarraute). Il n’en reste pas moins que ces itérations témoignent souvent de l’impossibilité de l’auteur de faire la distinction entre les divers moments de son existence passée. p. C’est pourquoi. t. C’est. qui cherche à donner un sens à sa vie. 114. p. L’autobiographe explore le plus souvent le passé pour expliquer son présent. Paul Ricœur. L’ordre du récit dans les textes de Leiris est tantôt logique. par ce biais. Le Pacte autobiographique. il existe un va-etvient permanent entre ces deux axes temporels. se succèdent dans un ordre ostentatoirement autre que celui de la chronologie. Les chapitres des Antimémoires de Malraux. Gallimard. 1991. cit. tous datés. puisque l’auteur se propose d’examiner non pas le déroulement de sa vie. justement le recul temporel qui facilite l’observation de soi. Seuil. Dans certaines autobiographies modernes (Leiris. p. mais certaines des valeurs mises en jeu par celle-ci. selon nous. 75. Ces textes témoignent de la perte d’identité du personnage. dans ses récits. «souvent». Paris. . Le narrateur s’en sert donc pour concentrer le texte autour des faits les plus éloquents. mais jamais chronologique. Celui qui vise à mieux se connaître parvient à saisir plus facilement son moi passé que son moi présent. tandis que les rapports trop étroits de l’individu avec le présent et la mobilité de ce dernier empêchent le regard objectif et l’autoconnaissance véritable. étant à la fois le signe d’une écriture qui s’étouffe peu à peu sous son propre poids. La mémoire. «chaque lundi». Seuil. p. use de ses capacités mnémoniques pour découvrir les constantes de soi-même. l’oubli. «fréquemment». 116. «parfois».. des théoriciens comme Lejeune20 et Genette21 se sont accordés à soutenir que le recours massif à l’itératif est un trait spécifique de l’autobiographie. la fragmentation du récit devient un principe de composition fondamental. 22 Marcel Proust. tantôt linguistique. Albertine disparue. comme le suggère Ricœur. Bibliothèque de la Pléiade. l’histoire. 1983. in À la recherche du temps perdu. Gérard Genette. 1989. signalé par des structures telles que: «chaque fois». 268. entre «À cette époque» et «Actuellement». Lorsque nous nous souvenons de 20 21 Philippe Lejeune. Paris. C’est cette mémoire intratextuelle qui tend à se substituer à la mémoire biographique du sujet. une objectivation de notre subjectivité.. et qui assure l’unité thématique du texte. Il faut dire néanmoins que c’est l’écrivain qui mène le jeu et force sa mémoire à faire un tri parmi les faits du passé en fonction de son intention présente. cit. on a affaire à une reconsidération du passé en fonction des priorités du moment. dans l’étude des phénomènes mémoriels. Et pour que le souvenir nous rende notre image passée.. nos souvenirs sont inégaux. c’est. 26 Ibid. dépendant de l’intensité avec laquelle il a vécu tel ou tel événement de sa vie. l’oubli. 24 Cf. Dans la rédaction des textes autobiographiques. Mémoire et personne. en fonction duquel tout individu peut ordonner à son gré le monde qui l’entoure. Ainsi que les événements de notre existence. puisqu’ils conditionnent notre vie. à propos de la méthode associative employée par Montaigne. Leiris ou Malraux. qui se présentent à chaque fois sous un autre éclairage. de leur valeur constituante. 27 Michel Beaujour. les hommes n’ont pas des existences singulières. en fonction des exigences du moment. l’histoire. de nous-mêmes que nous nous souvenons24. en retenant principalement ce qui l’a frappé. 25 Georges Gusdorf. cit. 258. Georges Gusdorf nous fait observer que. Les choix et les «infidélités» de sa mémoire «recouvrent (…) une fidélité plus secrète». Le souvenir est d’autant plus fort que son objet s’est plus profondément enraciné dans la conscience du sujet.. comme dans tout travail de remémoration. en fait. op. . cit. Certains sont anodins et risquent d’être effacés de notre mémoire. 115. il faut y avoir une distance entre nous et nous-mêmes. p. Les autobiographes ont leurs souvenirs-clefs. du fait que la mémoire «se conforme aux partis pris de la personnalité»25. La mémoire travaille différemment en fonction des éléments que le sujet se propose de récupérer. ayant pour nous des significations et des importances différentes. Les objets. Aussi ne pourra-ton pas parler d’une restitution des événements anciens. p. 95. les espaces. op. Nous nous voyons comme un autre. en vertu de leur caractère «fondateur». ils font partie d’un système analogique. d’une «mémoire intratextuelle»27. 126. tandis que d’autres subsistent. Miroirs d’encre. p. op. p. leurs «images de marque» qui leur tiennent à cœur. étant ses fondements et ses constantes. 183 et Paul Ricœur. Il s’ensuit que les souvenirs sont transformés par le point de vue de celui qui les ressuscite et inscrit dans le contexte présent. p. op. Georges Gusdorf. L’acuité de la remémoration est liée à ce que l’individu veut faire resurgir de son passé. Michel Beaujour parle. il faut s’intéresser plutôt à l’attitude qu’au détail des faits. qui se fonde sur un système de renvois et d’amplifications. cit.. mais d’une «approche renouvelée»26 de ces événements.. La mémoire.quelque chose. Mémoire et personne. cit. le temps et l’espace. Nos souvenirs s’attachent notamment aux lieux que nous avons habités: « Les souvenirs sont (…) d’autant plus solides qu’ils sont spatialisés. . Cependant. des indices de rappel. 49. La régression dans le temps s’accompagne invariablement d’un retour dans l’espace. Plus urgente que la détermination des dates est. la localisation dans les espaces de notre intimité »29. Ces ancrages du récit dans le concret sont les moyens par lesquels l’histoire s’avère véridique et vérifiable: «Les références à une réalité géographique ou historique accrochent le lecteur. ayant une fixité et une inconsistance qui empêchent. à l’exception des événements de la petite enfance. les «inscriptions» ou les «documents» authentiques qui attestent notre passage sur terre. 1970. des instantanés prélevés au réel. Les photos. coupures de journaux. 30 Françoise van Rossum Guyon. En dehors des sélections opérées plus ou moins volontairement par l’écrivain parmi les vestiges de son passé. il y en a celle de la mémoire. p. 28. au lieu de recréer un continu d’actes et de 28 29 Paul Ricœur. La Poétique de l’espace. captent son attention et facilitent sa croyance»30. 56. une lutte dans la lutte contre l’oubli. op.Il y a plusieurs éléments qui agissent en tant que détonateurs de la mémoire. Gaston Bachelard. c’est notamment une certitude que la mémoire habituelle ne peut presque jamais garantir. D’après Gaston Bachelard. journal intime) et ceux qui dépendent de leur seule mémoire (Rousseau). puisqu’elles fournissent au narrateur les coordonnées spatio-temporelles dont il a besoin pour localiser et dater la plupart des faits du passé. op. La démarche mnémonique se heurte souvent à notre incapacité de structurer et de comprendre l’histoire d’une existence. Paris.. Vu l’interdépendance naturelle entre la mémoire. Les fiches et le journal garantissent en grande partie l’authenticité de l’histoire racontée. Il y a deux sortes d’autobiographes : ceux qui s’aident d’une documentation (vieilles lettres. ils le sont aussi spatialement. Ils sont les témoins incontestables de notre parcours existentiel. p. elles ne peuvent leur offrir que des morceaux de réalité. l’oubli. Si la plupart des événements du passé sont identifiés chronologiquement. Critique du roman. sont des supports de la remémoration. le plus souvent. offrant tour à tour un appui à la mémoire défaillante. il nous faut remarquer le rôle des lieux dans le processus mnémonique.. voire une suppléance muette de la mémoire morte»28. auxquels les narrateurs se fient parfois surtout grâce à leur force évocatrice intemporelle. la saisie diachronique du passé Ce que ces aide-mémoire apportent à l’autobiographe. à leur tour. p. Seuil. pour la connaissance de l’intimité. Ils fonctionnent comme «des reminders. due à la spécificité de son fonctionnement. La mémoire. l’histoire. cit. selon Freud. ne peut aller. d’un processus de déplacement.vie. op. Genette nous attire l’attention. anodins et seule une interprétation adéquate est à même de révéler leur importance. de la part de l’écrivain adulte (…) sans une part de reconstitution artificielle (…) et peut-être de simulation»33.. sa mémoire n’ayant pas la faculté de garder la dynamique temporelle. p. l’écoulement du temps. d’autres souvenirs réellement importants. Paris. en lui donnant un sens. p. due au fait que «cette remémoration comme bien d’autres. 1976. Les souvenirs sont inconstants. et qu’elle le fasse dans un certain ordre. Si la mémoire restitue tels événements plutôt que d’autres. Ainsi l’homme n’est-il capable que de refaire des tranches de vie séparées. à côté de la perception et de l’imagination. mais d’une amnésie (…) »32. condensations ou censures. C’est depuis Aristote. sans pour autant les bannir à tout jamais de notre vie psychique: « [C]es (…) impressions que nous avons oubliées n’en ont pas moins laissé les traces les plus profondes dans notre vie psychique et (…) elles sont devenues déterminantes pour tout notre développement ultérieur. p. dans ses Mimologiques. une option personnelle de celui-ci. 406. résultant d’un processus de représentation de la réalité par la supposition et l’invention. Le passé est important dans la mesure où il se rapporte à notre vie présente. l’une des manières de notre conscience d’envisager le monde. 96. que l’on a commencé à penser la mémoire en 31 32 Gaston Bachelard. nous réussissons invariablement à faire resurgir seulement les «événements qui nous ont créés aux instants décisifs de notre passé»31. Ceux-ci résulteraient souvent. La mémoire constitue. relatifs et généralement séparés de leur contexte d’origine. Sigmund Freud. au fond. une attitude du sujet face à la réalité. par substitution. La mémoire est infidèle: elle brouille les contextes. Mimologiques. Gallimard. 1993. La Dialectique de la durée. G. . variant des plus précis à ceux qui sont presque effacés ou mutilés. et ce qui nous reste de notre passé c’est habituellement une image déformée. En étudiant le langage enfantin. Les souvenirs que nous avons sont donc tronqués. laquelle opère de nombreuses déformations. sur la nature trompeuse de cette entreprise. cit. La plupart des souvenirs d’enfance semblent. transforme les situations ou efface les détails. susceptibles d’oblitérer certains vestiges de notre enfance. que Leiris se propose de remémorer dans Biffures. à première vue. à la suite duquel ils arrivent à reproduire. Seuil. 33 Gérard Genette. d’ailleurs. Trois essais sur la théorie sexuelle. Ces «souvenirs-écrans» témoignent des ruses de la mémoire. 34. c’est parce qu’elle exprime. Il ne peut donc en aucun cas s’agir d’une réelle disparition des impressions d’enfance. Paris. 38 Georges Gusdorf. mais peut-être le désordre est-il plus significatif. Bucureşti. de même. 1972. cit. 1985. Et cela parce que la mémoire s’associe constamment à l’imagination dans son effort de reconstruire le passé. p. Seuil. 266. 51). Tzvetan Todorov. et à plus forte raison. il y a beaucoup de théoriciens qui l’affirment et le justifient. . Editura ştiinţificǎ. Une représentation du passé à l’identique est illusoire. Timişoara. Georges Gusdorf affirme qu’il serait absurde de prétendre que toute notre vie passée demeure entièrement présente à la mémoire. Auto-bio-graphie. Son statut même d’œuvre de diction est remis en question. Quant à la façon dont les types narratifs mentionnés ci-dessus représentent le temps.. dans les trois tomes du Temps et récit. 34 La mémoire des choses intelligibles n’est pas possible sans l’imagination (Aristotel. p. on peut en tirer la conclusion que ce genre tombe lui aussi dans le piège du mensonge. Mémoire et personne. p. Abuzurile memoriei. que l’ordre qu’on lui impose par voie d’autorité »38. s’applique à trouver les dissemblances et les ressemblances qui existent entre le récit historique et le récit fictionnel. 14. le philosophe signale les emprunts réciproques de méthodes. 470.étroite relation avec l’imagination34. l’imagination – qui est. Colecţia Psyché. La mémoire signifie sélection. puisqu’elle naît de l’interaction entre l’oubli et la préservation du passé35. un facteur essentiel dans la construction de la fiction – joue également un rôle plus ou moins décisif dans le récit factuel où «sa part croît à mesure que l’approximation se fait plus serrée»36. il ne saurait y avoir de souvenir parfaitement objectif […]. op.. Puisque le travail mnémonique n’est pas exempt des imprécisions inhérentes à toute avancée à tâtons. 37 Georges Gusdorf. Paul Ricœur qui. Amarcord. Parmi eux. Il s’ensuit que l’effort de la plupart des autobiographes d’ordonner les souvenirs relève d’une démarche artificielle qui risque de nuire au contrat de vérité: « L’autobiographie entreprend de mettre de l’ordre dans le passé . op. 1999. p. à notre disposition. Ainsi. 211. Tandis que certains souvenirs réussissent à franchir la frontière temporelle. d’autres s’avèrent à jamais perdus et d’autres même essentiellement déformés par l’imagination. 36 Paul Ricœur. Etant donné que la mémoire entretient des rapports privilégiés avec le jeu et l’invention et vu son rôle dans la construction du texte autobiographique. ses lacunes doivent être comblées par la raison et l’invention. Il en est résulté que la restitution intégrale du passé est utopique. La mémoire ne peut restituer que des bribes du passé. Parva naturalia. Temps et récit III. D’ailleurs. L’incomplétude apparaît donc le régime naturel de la mémoire»37. à cause de deux séries de déformations qui sont infligées aux faits: celles de la connaissance et celles du souvenir: «De même qu’il n’y a pas de connaissance vraie d’un événement quelconque. p. 35 Cf. Lignes de vie 2. dans son fouillis originaire. évidemment. cit. 39 40 Paul Ricœur. qui respecte l’ordre chronologique et essaie de mettre en évidence la continuité du moi et son évolution naturelle du passé vers l’avenir.. dimension semblable à celle du texte narratif. cit. l’autobiographe en vient à se soustraire au caractère figé ou achevé du récit traditionnel. Mais l’individu moderne semble ne pas être cohérent et son histoire évidemment non plus. un personnage complexe et fuyant. Ce qu’apporte cette autobiographie nouvelle. par définition. la mémoire. 138. op. elle a une richesse et une complexité qu’un récit linéaire ne peut que trahir»40. p. Puisqu’elle est comme un labyrinthe. Par le choix de la méthode des associations d’idées. Il n’a pas une image de soi continue.L’autobiographie est. ne lui livre que des images granulaires de sa vie passée. Philippe Lejeune. p. en fonction de laquelle est structurée l’histoire du sujet. de mots ou d’images. ne peut être que l’objet d’un récit brisé et morcelé. sa genèse. En plus. un récit suivi.. 76. incapable de se comprendre et de trouver un sens à sa vie. op. L’Autobiographie en France. cit. . c’est l’abandon de l’ordre chronologique et du récit linéaire en faveur d’une construction plus adaptée aux explorations intérieures du sujet moderne. Philippe Lejeune observe que «la mémoire n’est pas structurée comme une histoire. qui brouille la chronologie et assure la cohérence du texte grâce à l’ordre thématique ou associatif. le type d’écriture qui pourrait rendre compte de son caractère instable ne serait qu’un type totalement nouveau de littérature. Soi-même comme un autre. Puisque «l’identité personnelle (…) ne peut (…) s’articuler que dans la dimension temporelle de l’existence humaine»39. comme celle de Leiris ou de Sartre. 41 Mirna Velcic-Canivez. «préserv[e] l’identité du sujet en dépit de sa multiplicité dans le texte»41. Il en résulte que le narrateur (l'instance qui dit je). Nous essayerons de cerner quelques-uns des problèmes que pose la construction de l’identité dans l’autobiographie. in Poétique. la question n’est pas si facile à trancher. par la mention du nom du personnage au sein du récit ou bien dans les séquences métadiscursives qui sillonnent l’espace de ses textes.IV. L’AUTOBIOGRAPHIE ET LES AVATARS DE L’IDENTITÉ L’autobiographie est le récit qu'une personne fait de sa propre existence. 1997. . le personnage (le je dont il est question) et l'auteur (le producteur du texte) sont identiques. il n’en est pas moins vrai que. en raison de sa stabilité référentielle. p. 110. du point de vue de la psychologie ou de la logique narrative. Si l’identité est ainsi établie du point de vue formel. 239. « Le pacte autobiographique et le destinataire ». le garant de cette identité étant le nom propre qui figure sur la couverture du livre et qui. no. Le narrateur autobiographique parvient à établir l’équivalence entre les trois instances narratives de plusieurs manières: par le pacte autobiographique qu’il scelle manifestement dans la préface ou à l’intérieur du texte. 1938. le même42. Nous sommes censés identifier au moins deux formes de disjonction à l’intérieur du je autobiographique: l’une qui découle de tout processus d’autoconnaissance et l’autre qui est inhérente au regard rétrospectif.. De tous les types d’écriture référentielle. que «toute autobiographie est par définition indirecte»45. Temps et récit III. identifier son je avec le je que je raconte est aussi impossible que de se soulever soi-même par les cheveux»44. Larousse. Ce terme désigne. op. aux traits qui lui assurent l’individualité. dans le déroulement de l’histoire racontée43. étant donné sa forme narrative. avec Lejeune. susceptible de dissimuler une polyphonie étourdissante. Il devient par là l’équivalent de la mêmeté. Albert Dauzat. son identité narrative. au contraire. au fond. Gallimard. p. que Georges May range parmi les sources de déformation volontaire du récit autobiographique (Voir l’autoironie des autobiographies de Gide. p. Les considérations antérieures nous amènent pourtant à tenir le je autobiographique pour une instance instable. un masque derrière lequel se cachent un sujet qui parle et un objet dont on parle. son identité «plénière» ne s’articule que dans la dimension temporelle de son existence. en établissant à la fois une relation entre celui-là et le sujet de l’énoncé. qui n’exprime pas nécessairement une équivalence parfaite entre le narrateur et le personnage du récit. Paul Ricœur. laquelle couvre une relation d’égalité entre deux entités. de Sartre ou de Leiris): 42 43 Cf. 38. Paris. Paris. Si la singularité d’un individu est assurée par les invariables de l’être. 1980. 44 Mikhaïl Bakhtine. Soi-même est conçu comme un autre. Le pronom personnel de la première personne signale la présence du sujet de l’énonciation dans le discours. Seuil. Il s’ensuit que l’on ne pourrait penser l’identité sans faire référence à l’autre qui est. supposant l’évolution et le changement tout au long de sa vie) se joue dans la mise en intrigue. un miroir pour le même. Un deuxième sens se rapporte à la spécificité et à l’unicité d’une entité. Je est un autre. 1978. 45 Philippe Lejeune. . «idem». en l’occurrence entre le narrateur et le personnage. qui permet d’y englober aussi les images de ses moi passés. étant. Cf. selon le philosophe.Il nous faut observer d’entrée de jeu que le terme « identité » dérive du latin «identitas». La distance entre le je narrant et le je narré se fait sentir également dans l’emploi de l’ironie. nous pouvons dire. l’homme dans sa réflexivité. 358. Paris. Dictionnaire étymologique de la langue française. cit. Esthétique et théorie du roman. p. au fond. «S’identifier absolument à soi. Le dédoublement est consubstantiel à l’autoconnaissance et à tout discours sur soi. qui signifie «la même chose». 398. La dialectique entre l’identité comme mêmeté (comme permanence) et l’identité comme soi (identité plurielle. en suggérant ainsi qu’un il s’insinue subrepticement et fatalement dans tout récit intime. mouvante. l’autobiographie semble la plus conforme au projet de construction de l’identité. c’est-à-dire à ce que Ricœur appelle ipseité. affirme Bakhtine. Du fait que le pronom de première personne du singulier est. Donc. L’hétérogénéité du moi. on n’est plus autorisé à parler d’une identification absolue entre le personnage et le narrateur d’une autobiographie. dans Soi-même comme un autre. 48 Paul Ricœur. puisqu’elle fait entendre simultanément deux voix: celle du locuteur (le narrateur) et celle de l’énonciateur (le sujet de conscience ou le point de vue)47. Ce qui les sépare c’est. 46 Georges May. L’Autobiographie. 49 Michel Leiris. Entre le sujet de l’énonciation et l’objet de l’énoncé il se creuse un fossé que la mémoire n’est pas à même de remplir. L’écart temporel amène le narrateur autobiographique à objectiver les étapes révolues de son moi. en faisant dialoguer les différentes instances de la personne. Paul Ricœur note. 83. 1984. L’ipséité du soi-même implique donc l’altérité48. Les allées et venues entre le passé de l’histoire et le présent de l’écriture mettent en évidence la tension qui existe entre le moi qui raconte et le moi qui est raconté. ces écrivains trahissent. Fourbis. Le recul du narrateur favorise ainsi un regard détaché sur le personnage. p. induite par l’écoulement du temps. op. supérieur par sa lucidité et son objectivité. la réalité historique en marquant l’émotion passée et. cit. qui se détache et s’oppose aux tendances de l’individu à mystifier et mythifier le réel. mais il. d’où l’impossibilité de coïncider avec soi-même. comme un discours distancié » (Oswald Ducrot Le dire et le dit. p. cit.. La voix ironique est. 1990. ils recouvrent l’événement d’autrefois du voile trompeur du présent. Paris. La distance temporelle entre le narrateur et le personnage fait que ce dernier soit vu parfois comme un autre de soi-même: «[le] petit garçon qui acceptait d’être nul au gymnase mais ne pouvait pas tolérer qu’on l’habillât d’une façon jugée par lui indigne de son âge (…)»49. en instituant toujours un dialogue entre le moi présent et le moi passé. vu son inconstance. elle est essentiellement polyphonique. Edition de Minuit. perturbe l’identité du sujet. 47 . de l’autre. op. Les problèmes de l’identité et de la différence résonnent l’un sur l’autre. Soi-même comme un autre. « Le locuteur “fait entendre” un discours absurde comme le discours de quelqu’un d’autre. 120. 142. dans ce cas. p. 210). que la croissance et le vieillissement sont des éléments de dissemblance à cause du temps devenu lui-même ici un facteur d’écart et de différence. Paris. L’autoironie introduit une fracture à l’intérieur du sujet. Tout comme l’ironie. qui n’est plus déjà moi. cet autre Moi. une tranche de vie de longueur variable qui influe sur leur identité.« En substituant à l’émotion du moment le détachement supérieur qui fait naître le sourire. de la part de l’autobiographe. p. dans ce cas. un double choix: le présent plutôt que le passé et la tête plutôt que le cœur »46. La subjectivité est brisée.. Ce recours révèle donc. Le discours autobiographique est polyphonique. Seuil. d’une part. Je est un autre. on n’entend plus la voix du narrateur adulte.130. 10). «le personnage qui dit son expérience antérieure ne se confond pas avec le même personnage vivant cette expérience» 53. Paris. Métalepse. est une forme qui doit sa temporalité au contexte. un substitut qui pourrait remplacer le modèle ou se retourner contre celui-ci pour le nier en tant que vivant. telle que la voit Jean Rousset dans Narcisse romancier. Bucureşti. Pour reconstituer la parole de l’enfant. un autre de soi-même qui parle en son nom. L’écrivain de littérature intime est à chaque instant menacé par le double qu’il crée par son écriture. J’éprouve un sentiment de tiédeur. à tel point que le lecteur a du mal à les discerner. bien qu’on rapporte une histoire passée. cit. Temporalité. José Corti. 180. . Lejeune observe le même type d’infraction au code autobiographique : « Dans le récit autobiographique classique.. De surcroît. en donnant lieu à une «transgression (…) du seuil d’enchâssement» du récit54. op. De la figure à la fiction. c’est la voix du narrateur adulte qui domine et organise le texte : s’il met en scène la perspective de l’enfant. Babel. 1999. cit. C’est là bien naturel : l’enfance n’apparaît qu’à travers la mémoire de l’adulte. «[a]yant perdu toute attache avec le moment de l’énonciation (…).. En voici un exemple: « C’est vers le mois de mai. 52 En prenant pour exemple une phrase du Testament d’un blagueur de Jules Vallès. Le narrateur transgresse ainsi la vérité autobiographique et côtoie le domaine de la fiction52. p. tantôt au personnage) forme un «opérateur de métalepse».Les différentes instances qui se cachent derrière le je autobiographique se font parfois entendre d’une manière plus ou moins ostensible. op. Tout se passe comme si l’écriture devient contemporaine de l’histoire narrée. cit. modalité et cohésion du discours. Selon Genette. 54 Gérard Genette. Ligia-Stela Florea. 53 Jean Rousset. 132. de bien-être et de sécurité en regardant bouger les corpuscules de la poussière »50. Narcisse romancier. op. p. d’où son ambiguïté caractéristique». C’est seulement à propos des pages où le narrateur travaille en diariste que l’on est en droit de parler d’une simultanéité entre l’action et la narration. c’est l’utilisation du présent «historique» qui. Biffures. Celui-ci «y fait une brèche. il ne lui laisse guère la parole.. mais celle de l’enfant de trois ans et demi. Ce qui frappe d’emblée à la lecture de ce passage. et éventuellement lui déléguer la fonction de narration. il faut abandonner le code de la vraisemblance (du “naturel”) autobiographique et entrer dans l’espace de la fiction » (Philippe Lejeune. p. p. p. 50 51 Michel Leiris. Le temps présent crée l’illusion d’une énonciation directe. cette ambiguïté immanente au pronom je du discours autobiographique (qui renvoie tantôt au narrateur. Le discours de l’enfant et le discours de l’adulte racontant son histoire s’entrecoupent.. isolant le fait en question»51. 109. Ma mère visite (…) une villa qu’elle veut louer (…). 1972. À part cela. Elle me porte dans ses bras […]. Le moi n’est jamais stable. 3-4. 1988. pp. puisqu’il n’y a pas d’identité immuable: «L’individu en devenir est et n’est pas: à l’instant où il croit s’assurer de soi. «(…) mon récit n’a raison d’être que véridique. Dans sa fuite ininterrompue. j’espère. du fait que ce n’est pas nous qui détenons la vérité sur nous. et cet homme.. p. in Œuvres intimes. 536. L’espace instable qui se creuse entre le moi qui regarde et le moi regardé devient un espace de la littérature. constituant un élément essentiel du pacte autobiographique. Paris. 57 Laurent Mattiussi. Paris. Je me suis montré tel que je fus. t. ENTRE VÉRITÉ ET FICTION I. p. PUF. méprisable et vil quand je l’ai été. Amarcord. Mais. Paris. En voici quelques exemples: «Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature. «(…) ce n’est pas la vraisemblance que je poursuis. bon.Il nous faut conclure que la quête d’identité menée à travers l’écriture autobiographique débouche sur la découverte de l’altérité et sur une construction de soi qui n’est pas loin d’une création fictionnelle. p. Mettons que c’est par pénitence que je l’écris»61. mais un autre: «l’autoconnaissance passe par la reconnaissance de l’autre»55. 61 Ibid. Il ne fait guère de doute qu’entre le désir de vérité de l’autobiographe et sa mise en pratique il y a une distance considérable. 59 Stendhal. autant de difficultés à surmonter. en chemin vers une figure différente de lui-même»57. op. «J’écris ceci. il est déjà un autre. ce sera moi […]. 72. avec plaisir comme une lettre à un ami»59. Les Confessions. généreux. 58 Jean . Gallimard. Timişoara. Tenir un discours de vérité sur nous-mêmes est une utopie. 1982. Fictions de l’ipséité (Essai sur l’invention narrative de soi). sans mentir. cit.3. sans me faire illusion. V. c’est la vérité»60. l’homme n’arrive presque jamais à saisir son identité. Il est toujours un autre. 1955. Si le grain ne meurt. Tout d’abord parce que l’homme ne peut pas avoir 55 56 Serge Doubrovsky. à l’intérieur duquel l’écrivain tente des manœuvres des plus imprévisibles afin de dominer l’alter ego qui tend à acquérir son indépendance56. Garnier. . p. p. p. LE DISCOURS AUTOBIOGRAPHIQUE. Cf. Vie de Henry Brulard. Jurnalul intim şi sinuciderea..1. Paris. Cǎrţile crude. Gallimard. Mircea Mihǎieş. sublime. quand je l’ai été (…)»58. 60 André Gide. 10. 1995. Le sujet s’échappe implacablement à lui-même. II. qu’est-ce que la vérité ? Et comment peut-on dire vrai sur soi-même ? Autant de questions. en s’inventant perpétuellement des rôles et des masques. Sincérité et manipulation Le vœu d’authenticité est propre à tous ceux qui s’adonnent à une écriture personnelle. 101. de la fiction. 343. 1964. Autobiographiques : de Corneille à Sartre.Jacques Rousseau. 153. Tous ces faits. Laurent Mattiussi note à juste raison que.. par là. pour ces écrivains. p. pour la plupart.Jacques Rousseau. p. L’aveu honteux reste. p. 1989. cit. cit. t. 65 Georges May. éprouver de l’empathie.une perception objective de sa propre réalité. du livre. 97. À cela s’ajoutent les caprices de la mémoire. Nombreux sont les témoignages embarrassants qui sont devenus célèbres dans la littérature de confession et qui ne cessent d’attirer les lecteurs vers ce type d’écriture: l’aveu du saint Augustin au sujet des poires volées. Classiques Garnier. etc. vu la règle de la bienséance – «(…) si j’eusse été entre ces nations qu’on dit vivre encore sous la douce liberté des premières lois de nature. sont enfin une source de réconfort pour le lecteur qui a ainsi la chance de démythifier les figures couvertes de gloire de ses modèles littéraires. en forçant les limites de la morale par des confessions des plus inavouables portant. renonçant à toute révélation malsaine. Chateaubriand. Ainsi. Jean . op. d’entrée de jeu. la caution de vérité de leur discours et une stratégie de persuasion dont le lecteur est la cible. ne veut présenter que ce qui est beau. op. Bordas. 260. Il critique d’ailleurs Rousseau pour ses aveux honteux: «Si je m’étais prostitué aux courtisanes de Paris. Rousseau se propose de dire «le bien et le mal avec la même franchise»63. Les aveux qui peuvent leur valoir le mépris des autres constituent. tandis que Montaigne regrette de ne pas pouvoir dire toute la vérité. Le degré de liberté de l’aveu varie en fonction des conventions sociales et morales de l’époque.. laquelle ne restitue que des bribes du passé. Mémoires d’outre-tombe. I. Mis à part ces facteurs de nature psychologique. ainsi que du caractère de l’autobiographe. Garnier-Flammarion. Paris. je t’assure que je m’y fusse très volontiers peint tout entier. Leiris). Ensuite. quant à lui. 64 René de Chateaubriand. sur leur vie sexuelle (Gide. Paris. L’Autobiographie. eu égard au principe carnavalesque du 62 63 Michel de Montaigne. Le désir d’être authentique et véridique amène parfois les autobiographes à insister sur leurs déficiences physiques. et tout nu»62 -. sur leurs lâchetés. sinon favorable. 33. de sa disponibilité à se conformer ou à s’opposer aux normes. Ils peuvent avouer aussi le caractère ordinaire de leur expérience personnelle. qui dissimulent un certain penchant des autobiographes pour l’exhibitionnisme et un plaisir du public de fouiller dans l’intimité d’autrui. L’auteur s’assure de cette manière une réception indulgente. sur leurs peurs. puisque ceux-ci pourraient eux-mêmes s’y découvrir et. p. . Essais (Livre I). «l’estampille même de la confession sincère»65. que nous essayerons de cerner dans ce qui suit. je ne me croirais pas obligé d’en instruire la postérité»64. il y en a d’autres. l’épisode du ruban volé et l’aveu de l’abandon des enfants chez Rousseau. 4. Il se peut que ce soit justement cette banalité qui attire ses lecteurs. que la société et l’histoire peuvent influencer largement le projet de sincérité de l’écrivain égotiste. Les écrivains du XXe siècle iront très loin dans ce domaine. quoi qu’on dise. 1969. Il nous faut observer. parce que cette réalité qu’il s’efforce de saisir est en perpétuelle évolution. Outre ce phénomène de substitution de la voix narrative. op. de ne pas porter atteinte à l’intimité des autres. nous avons accès. au contraire. 210. il s’impose. d’un rapport de subordination de l’enfant au narrateur adulte.. p. c’est l’inventer. lequel adopte. 2005.retournement de l’ordre établi. est motivée le plus souvent par l’impossibilité de celui-ci de se souvenir de certains événements de sa vie. Cette mise en intrigue relève du paradoxe qui fond l’écriture de soi: dire la vérité. Fictions de l’ipséité (Essai sur l’invention narrative de soi). en même temps. op. p. tous deux sont des cas particuliers de la mise en récit»67. et surtout implique dans l’imagination du lecteur. naturellement. cit. au point de vue de l’enfant. Des obstacles d’ordre moral entravent ainsi dans une certaine mesure l’accomplissement du projet de sincérité qu’on trouve à l’origine des textes autobiographiques. Si le narrateur embrasse le point de vue de l’enfant. le manque des souvenirs est compensé par l’imagination ou par des versions de l’histoire qui émanent des membres de la famille. Nous avons déjà analysé dans le sous-chapitre antérieur un fragment dans lequel le narrateur leirisien délègue sa parole à l’enfant. il renonce à son enquête rétrospective et à sa position de supériorité par une régression temporelle fictive. 17. Réalité et invention Si nous prenons en considération les moyens dont l’autobiographe dispose pour mener à bon terme son travail d’écriture. ce qui constitue une autre infraction aux lois du discours autobiographique. ni l’inverse. Le pacte autobiographique 2. en règle générale. cit. à travers les verbes de perception. Seuil. nous nous avisons que ceux-ci ne diffèrent pas ostensiblement des procédés employés dans les œuvres de fiction: «L’autobiographie n’est pas un cas particulier du roman. entre le temps de l’aventure et celui de l’écriture. Critique du roman. Paris. l’autobiographie ne fait entendre que la voix du narrateur. faire partie de ce qui est raconté » (Françoise van Rossum Guyon. Mais. 222). . 68 « Les rapports entre le temps narré et le temps de la narration. notamment de ceux qui se rapportent à la petite enfance. le point de vue du narrateur. Mais nous savons déjà que «[d]ans le récit à la première personne. p. Si dans le roman autobiographique on peut entendre la voix du personnage. Françoise Guyon nous fait voir que le choix d’un certain type de focalisation influe directement sur l’organisation temporelle du récit68. C’est le champ de conscience de celui-ci qui filtre le récit entier et on peut parler.. la contrepartie secrète mais attendue de la dignité suprême»66. La transgression de la focalisation. Signes de vie. produite par l’insertion dans le texte autodiégétique d’une information qui ne vient pas du narrateur. Comme nous l’avons déjà vu. le narrateur raconte 66 67 Laurent Mattiussi. ne peuvent (…) être les mêmes suivant que le narrateur est à distance de ce qu’il raconte ou qu’il semble. si l’écrivain décide de parler de soi en toute franchise. Philippe Lejeune. le ridicule ou la faiblesse affichés seraient les gages d’un mérite dissimulé: «Le rabaissement de soi comporte en lui-même. in Répertoire II. tire la conclusion qu’il n’y a pas de fiction pure ou de narration factuelle pure. Käte Hamburger. de ce fait. souvent inconsciente ou dissimulée. 91-92. Figures IV. mais seulement des éléments fictionnels ou factuels qui. Ce dialogue a un caractère essentiellement fictionnel. le poéticien remet en question le statut de l’autobiographie et aboutit presque à la même formule d’interprétation: «En vérité. Paris. tandis que le discours direct et le dialogue seraient des moyens de fictionnalisation71 des personnages. 1986. nous avons vu que les techniques narratives dont celui-ci se sert trahissent le caractère purement «artisanal» du récit de diction. de Minuit.. et uniquement ce qu’il en sait»69. presque inévitablement. influent sur son appartenance générique: «Ces échanges réciproques nous amènent donc à atténuer fortement l’hypothèse d’une différence a priori de régime narratif entre fiction et non-fiction […]. 70 Philippe Gasparini. Quant aux procédés narratifs spécifiques à la littérature autobiographique. 1999. dans Fiction et diction. 73 Gérard Genette. « L’usage des pronoms personnels dans le roman ». op. une part d’autofiction. cit. Fiction et diction. auquel on accorde généralement beaucoup de crédit. L’autobiographie. après avoir analysé du point de vue poétique le récit fictionnel et le récit factuel. . Le narrateur autobiographique. Il se trouve donc dans une position analogue à celle du romancier manipulant ses personnages»70. d’approximations. 1964. cit. Il n’existe ni fiction pure ni Histoire si rigoureuse qu’elle s’abstienne de toute “mise en intrigue” et de tout procédé romanesque»72. Lorsque le narrateur gidien. op. p. il semble oublier qu’il est lui-même le sujet d’énonciation et délègue pour l’instant sa parole à autrui. Plus tard. Est-il je ?. d’hypothèses. par leur degré de présence dans le texte. les choses se compliquent encore davantage. et je vois mal comment on pourrait apprécier l’une sans apprécier l’autre (…)»73. dans Figures IV. Logique des genres littéraires. 282. p. Seuil. toute autobiographie comporte. Selon Käte Hamburger. Paris. la seule forme naturelle de reproduction des paroles d’autrui est le discours indirect. p.. Paris. Toute autobiographie qui est œuvre littéraire est. leirisien ou sartrien rapporte des dialogues. 69 Michel Butor. 71 Cf. p. devient suspect dès le moment où il dépasse son «territoire»: «Son discours n’est plus seulement censé exprimer ses états d’âme. pp. entre référentialité et littérarité Se livrer sans masque: tel est le désir qui anime le narrateur autobiographique.ce qu’il sait de lui-même. par un jeu de représentations. Seuil. 172. 72 Gérard Genette. c’est Gérard Genette qui. 65. Ed. 33. S’il arrive que l’autobiographe prête une attention particulière à l’écriture. En plus des inconvénients d’ordre psychologique ou moral. il est chargé de décoder le langage des autres personnages. 76 Michel Charles. depuis Aristote. Lejeune remarque le paradoxe de l’autobiographie littéraire. Rhétorique de la lecture. 62. Malgré leurs engagements. deux domaines jusque là injustement disjoints. laquelle oscille entre le désir de beauté et celui d’efficacité. en effet. Aux déformations de la réalité imposées par le souci de protéger l’intimité des autres s’ajoutent l’inadéquation entre la vie. En plus.. p. qu’«un texte se détermine comme littéraire par sa mise en place rhétorique». les textes référentiels tels l’autobiographie. d’interprétation – une forme artistique77. La recherche d’une forme littéraire dans ce récit qui prétend à la vérité tient toujours du fictionnel. consistant à prétendre être à la fois un discours véridique et une œuvre d’art74. Ibid. Si la rhétorique est comprise comme «art d’orner le discours». . notamment en raison de leur relation privilégiée avec le réel. grâce à Gide et à Michel Leiris. Mircea Mihǎieş. mais aussi comme «art de persuader»76. Bucureşti. les Mémoires. les contraintes de l’écriture (composition thématique ou analogie) et le choix d'une certaine perspective axiologique. Si l’autobiographie est reconnue comme œuvre artistique. Cartea Româneascǎ. les écrivains comprennent le plus souvent qu’un récit factuel pur n’a pas beaucoup de chances d’exister. elle encourt continuellement des reproches quant à son authenticité. 25. lesquels étaient exclus a priori du champ littéraire. avec Michel Charles. c’est-à-dire une forme de transcription. Ces deux auteurs réussissent à changer les préjugés des critiques à l’égard des textes à caractère référentiel. Il faut dire pourtant.suspecte d’infidélité à cause de l’importance attachée à la forme qui modifie toujours la réalité. la pensée et la langue. p. 315. Elle repose sur une vraie rhétorique de la manipulation. 27. Entre ce que l’auteur se propose de dire et son texte s’interposent plusieurs facteurs de distorsion de la vérité. Moi aussi. Bannie longtemps du domaine littéraire. p. l’autobiographie peut facilement accéder au statut d’œuvre littéraire. Et cela parce que les récits de diction ne sont pas traditionnellement tenus pour littéraires. son double jeu. une tendance à mettre un signe d’égalité entre la littérarité et la fiction. On ne peut pas s’empêcher d’observer la dualité qui préside à la démarche autobiographique. 77 Cf. 1988. Paris. mais l’image du réel.. à cause de sa fonction de document. À ce sujet. Philippe Lejeune. sa valeur d’art. à la différence de la fiction qui l’est d’une manière constitutive: «Un ouvrage d’histoire ou de philosophie n’est reçu comme une œuvre littéraire que dans la mesure où son lecteur lui accorde une attention esthétique»75. l’autobiographie acquiert de plein droit. Genette affirme lui aussi que l’autobiographie n’est que conditionnellement littéraire. Seuil. Ils réconcilient l’art et la vérité. De veghe în oglindǎ. dans la deuxième moitié du XXe siècle. 1977. p. cit. de sorte que 74 75 Cf. la biographie ou le journal ne visent pas l’effet de réel. Il y a. op. 1969. vu qu’« il n’est. p. C’est. op. Paris. 79 André Gide. Grasset. 280. op. Il proposera un renouvellement du genre autobiographique par l’imaginaire. même si elle est une pure fiction (…). . arrive finalement à ne plus vouloir conclure le pacte de vérité et à mélanger à dessein les genres: « (…) je ne vois pas pourquoi (…) la chose que je tire de ma mémoire aurait le pas sur celle que j’imagine. à démasquer l’illusion référentielle des récits mémoriels: «Ce que je viens d’écrire est faux. Il en résulte que 78 Claude Mauriac. Compte tenu du caractère essentiellement équivoque de la narration autobiographique. Mais jusqu’à quel point croyais-je à mon délire ?»80. pour l’essentiel. Paris. sur les hommes. aucun ne pourrait prétendre détenir la vérité ultime et absolue. p. En effet. pp. p. 81 André Malraux. de Proust ou de Joyce ». p. 1964. 10. c’est seulement que cette chose (…) me ressemble (…) et que. Peut-être même approche-t-on de plus près la vérité dans le roman» 79. 80 Jean-Paul Sartre. que la réalité n’existe pas en soi. Ce qui compte. 82 Michel Leiris. in De la littérature à l’allitérature. à son tour.l’autobiographie risque à la limite de devenir une autofiction. Les Confessions ». s’apercevant de la duplicité de l’écriture de soi. André Gide clôt la première partie de Si le grain ne meurt par une affirmation pareille: «Les Mémoires ne sont jamais qu'à demi sincères. Vrai. J’ai rapporté les faits avec autant d’exactitude que ma mémoire le permettait. 83 Michel Deguy. n’étant. cit. pense le philosophe Michel Deguy 83. Gallimard. Gallimard. notre jugement qui leur donne corps et les ajuste. Malraux. no. certains écrivains et critiques vont jusqu’à soutenir que «la confession directe (…) va moins loin et en dit moins que les romans de Dostoïevsky. La vérité et la réalité se cherchent l’une l’autre. « Jean-Jacques Rousseau. Si le grain ne meurt. 170. par Alina Ledeanu). Je ne m’intéresse guère»81. les démarcations sont floues et les deux classes narratives ne gardent que virtuellement leur pureté. de grande œuvre romanesque qu’autobiographique»78. Antimémoires. que notre représentation. D’ailleurs. « Literaturǎ şi adevǎr » (trad. Les Mots. au sein même d’un texte autobiographique. Ni vrai ni faux comme tout ce qu’on écrit sur les fous. se révoltera contre l’idée de subjectivité et d’intimisme dans la littérature: «que m’importe ce qui n’importe qu’à moi ? Presque tous les écrivains que je connais aiment leur enfance. 1-7 / 2002. Sartre s’emploie lui aussi. elle recèle mes traits les plus significatifs (…)»82. Le miroir des Limbes I.. p. Il n’y a de réalité du réel que pour un logos qui l’ajuste. 54. Le ruban au cou d’Olympia. Proust croyait. Leiris. Les notions de fiction et de vérité se trouvent ici remises en question. Paris. 1972. in Secolul 21.. quant à lui. je déteste la mienne […]. en fait. à son tour. 156-157. si grand que soit le souci de vérité: tout est toujours plus compliqué qu'on ne le dit. 478. au fond. cit. on ne peut pas aussi aisément contester le projet qui préside à leur construction. l’autobiographie laisse entendre la voix d’un locuteur réel. le texte et la réalité diffèrent fondamentalement selon que le premier adopte ou non une vision référentialiste. du fait qu’il ne propose au lecteur aucun pacte de sincérité. l’“histoire” des espèces vivantes (…)»84. L’authenticité de l’autobiographie doit être recherchée du côté du locuteur. no. commune à ce que l’on appelle l’“histoire” de la terre. cit. Le contrat qui relie l’auteur au lecteur s’avère dans ce cas plus important que les conditions d’ordre formel. il convient d’observer que. Le genre autobiographique se fonde sur une intention langagière plutôt que sur le respect réel des conditions du contrat référentiel: «[P]our créer la force illocutoire du texte. p. Temps et récit III. Cf. À la différence de la fiction. L’autobiographie tire ainsi sa véridicité des rapports qu’elle peut établir avec le lecteur. in Poétique. mais bien au contraire: notre vie est un continuel balancement entre le fantasme et le réel. du respect de certaines normes que celui-ci conçoit comme principes de vraisemblance. Tandis que le roman autobiographique crée un locuteur imaginaire. Dorrit Cohn. 86 Elisabeth W. et que le public le considère responsable de ce qu’il y ait ou non satisfait»86. Le propre de la fiction. en « soumet[tant] sa chronologie à l’unique échelle du temps. Les rapports entre l’écrivain. « L’autobiographie considérée comme acte littéraire ». l’autobiographie vise à reconstruire un temps qui s’est réellement écoulé. Elisabeth Bruss nous attire l’attention sur la nécessité de distinguer entre la prétention à la vérité et la vérité effective du texte autobiographique. Tandis que l’action et les personnages de la fiction sont irréels.réalité et imaginaire ne s’excluent pas mutuellement. op. dans son identité avec l’auteur dont le nom apparaît sur la couverture du livre. lequel est contraint de respecter la vérité des événements racontés afin de garder sa crédibilité et de susciter la confiance du lecteur 85. 1974. il n’en va pas de même pour le second. Pour en finir. Bien que la «refiguration» du temps se fasse dans les deux types de narration d’une manière semblable. 23. il est essentiel que l’auteur prétende avoir satisfait à ces conditions. 17. d’anticiper ses exigences et ses désirs. Bruss. 266. sans pour autant être considéré comme telle. Associant la notion de genre littéraire à celle d’«acte illocutoire». 84 85 Paul Ricœur.. Selon Dorrit Cohn. 176. il faut remarquer que le récit de vérité «réinscrit le temps du récit dans le temps de l’univers ». Un roman autobiographique peut ressembler du point de vue formel à une autobiographie. malgré que l’on puisse facilement mettre en doute la véracité des textes autobiographiques. l’auteur d’une fiction et celui d’un texte de diction ne traitent pas leurs sources de la même façon. p. p. Si la relation du premier avec ses sources est libre. le récit de diction a pour référent la réalité. Seuil. . Elle s’efforce de susciter sa confiance. 2001. Paris. Elisabeth. Serge. Est-il je ? Roman autobiographique et autofiction. Paris. Paris. Gallimard. 2004 GASPARINI.LE DISCOURS SUBJECTIF BIBLIOGRAPHIE BEAUJOUR. Michel. in Poétique. Seuil. «Autobiographie et autoportrait». Fiction et diction. 1987 GENETTE.32. Paris. no. no. Paris. in «Autobiographie et fiction». Gérard. pp. «Nouvelle autobiographie et fiction chez les “Nouveaux Romanciers”. 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