Commentaire Littéraire La Maline Arthur Rimbaud (1814-1864) est un poète qui a indéniablement marqué l’histoire de la poésie françaiseen révolutionnant les nomenclatures classiques. La Maline est un des premiers poèmes de Rimbaud, il a été rédigé à Charleroi, en Belgique, en 1870. Ce poème est de facture très classique. C’est un sonnet en alexandrins composé de deux quatrains et de deux tercets. Ce poème est purement esthétique et ne dénonce rien, rapprochant ainsi Rimbaud du mouvement parnassien. Nous allons d’abord nous intéresser à la description du cadre de l’œuvre puis, dans un second temps, au comportement de la jeune femme. Pour nous plonger dans le cadre de son poème, Rimbaud stimule nos sens. Il fait appel à l’ouïe et la vue, ainsi qu’à l’odorat et le goût pour nous présenter le décor et ses sentiments. La vue est le premier sens sollicité. En effet, il place l’action de son poème dans « la salle à manger brune » (vers 1). Le mot « brune » est particulièrement mis en valeur par la césure provoquée par la virgule. Cette couleur brune peut faire référence à des boiseries, et étant dans un estaminet, aux tables, chaises ou autres comptoirs. La couleur brune du mobilier provoque dès lors une impression de chaleur, le brun faisant partie de la gamme chromatique des couleurs chaudes, de confort, qui permet au lecteur de partager dès le premier vers l’aise du narrateur. Rimbaud stimule également notre ouïe. D’une part par le texte en lui-même, d’autre part par la musicalité du poème. Au premier vers du second quatrain, apporte un nouvel élément au décor, une horloge (« j’écoutais l’horloge »). Cette horloge, bien loin d’être un compte à rebours, ou un objet égrenant d’interminables secondes, est un outil du bien-être du narrateur. En effet, le mot horloge, placé au début du second hémistiche de l’alexandrin, est mis en relief, portant un accent sur sa première syllabe. De plus, l’allitération en /j/ (trois occurrences de la chuintante : « mangeant », « j’écoutais », « horloge ») intègre... LA MALINE Dans la salle à manger brune, que parfumait Une odeur de vernis et de fruits, à mon aise Je ramassais un plat de je ne sais quel mets Belge, et je m'épatais dans mon immense chaise. En mangeant, j'écoutais l'horloge, - heureux et coi. La cuisine s'ouvrit avec une bouffée, Et la servante vint, je ne sais pas pourquoi, Fichu moitié défait, malinement coiffée 1 octobre 1870. j'ai pris une froid sur la joue.Autre manière de dire que ce sonnet éclaire. Rimbaud nous décrit un estaminet. juste le temps qui passe.. Rien de plus poétique qu'une parole qui crée un paysage.. tout simplement. Bref. un velours de pêche rose et blanc. Le poète fabrique des puzzles ou des soliloques comme une suite de témoignages de la vie qui tourne autour de soi. avec l'horrible sentiment du vide quand tout continue.. près de moi.. Elle arrangeait les plats. Ajoutons à cela une fille d'auberge aux allures de meneuse de troupe. de sa lèvre enfantine. Tout bas : "Sens donc." Charleroi.Et. pour ne pas dire un barbouillage. un tableau miniature. qui sert d'écrin à un conte de fées. du griffonnage d'adolescent indolent recroquevillé dans le fond de sa chaise. . autrement dit le narrateur. qui sait ? Notre Petit Poucet rêveur. [deuxième alinéa : résumé synthétique du contenu du poème. en attente de son ardoise ou d'autre chose. Introduction du commentaire Rien de plus anecdotique qu'un décor intimiste. pour m'aiser .. tout en promenant son petit doigt tremblant Sur sa joue. . une moue.. comme ça. de portraitiste.. Une étrange poésie peuplée de rêves érotiques mais aussi hantée par des angoisses existentielles. En faisant. nous récite une comptine dans laquelle éclate un talent incontestable de dessinateur. qu'une écriture qui raconte ce qui se passe quand il ne se passe rien...Puis. Le lecteur suit les traces d'une serveuse de bar aux allures de sirène se démenant pour affrioler son prince charmant. des vers mirlitonesques d'une âme en peine.bien sûr pour avoir un baiser. la destinée du poète. d'une manière singulière. mais sa description reste à l'état d'une pochade insolente de jeunesse.. « problématique » ou « thématique » du texte] Dans ce poème.. 2 . Une platée quelconque dont l'auteur ignore . A. Rien à voir avec la poésie académique des poètes romantiques. une chaise. à une corbeille.Les motifs convenus de la poésie traditionnelle..[troisième alinéa : annoncer clairement le plan de son commentaire. « un buffet du vieux temps »... un simple décor en biais.. On ne saurait imaginer une composition plus conventionnelle ! Cependant. Sur le plan affectif. Une vague odeur « de fruits » laisse penser à la présence d'une jatte de porcelaine. mais il nous faudra tourner la page de notre livre ! L'art de peindre révèle ici une désinvolture toute juvénile et sans pareille : le décor défile sous nos yeux comme si tout comptait pour du beurre.. une renaissance dans le deuil de la mère. Rien à voir ici avec les élégies dithyrambiques encadrant dans une forme poncive des caryatides de portique. une pétulante séductrice : banalité des lieux et frivolité de la maincourante. Une touche de simplicité dans le décor [phrase d'annonce de la première sous-partie.. un comptoir. imagine-t-on. Un décor lisse.. Une sorte d'idylle pour rendre la vie excitante et combattre le puritanisme névrosé de la mère. avec les décorums qui vous jettent de la poudre aux yeux : les terrasses des bars et restaurants avec leurs orchestres tziganes chaloupant des « O sole mio» ! Ce décor. des bonnes tables de cottage avec dames-jeannes plastronnant sur les crédences en seront pour leurs frais.. au milieu duquel surgit la silhouette d'une jeune femme. accordons-le. il conviendra de considérer ce cadre comme une bulle bucolique et une butte-témoin de la fugue d'Arthur Rimbaud.. les stéréotypes et autres lieux communs nous sont servis à moindres frais ! Les amoureux des auberges rustiques. dans laquelle on résume ce que l'on va développer. une pointe de sensualité derrière le comptoir..le contenu : « Je ramassais un plat de je ne sais quel mets // Belge . l'épisode nous paraît être la réalité même. rien de plus. avec ses lambris couverts de vernis. Ceci dit. Il manque peut être le buffet d'acajou. Et puis. à savoir que le décor se caractérise essentiellement par sa simplicité] Le décor n'a rien de factice. qu'on devine comme un jeu de cache-cache. un espace clos.. On est à mille lieues de la peinture de style pompier avec ses odalisques échappées d'un 3 .. quelques napperons en dentelle de Flandres. sent l'encaustique ! Une nature morte dans la patrie de Bruegel... dans ses grandes lignes] Dans un premier temps.Rimbaud brise le pacte avec le lecteur en imposant un décorum d'une grande banalité : une salle à manger. une horloge à balancier... Puis... nous nous attacherons à évoquer le cadre de l'action. et deux doigts d'humour dans le service.ou feint d'ignorer ironiquement . une serveuse prise dans un mouvement très étudié. ».. ces ornements nous sont présentés avec un brin de chaleur dans l'ambiance. en quelque sorte : une vague desserte de table. L'inventaire des lieux se remplit de clichés. I. même s'il devine que ce cœur tranquille en apparence (« heureux et coi ») ne va pas le rester longtemps.harem oriental. Le lecteur reste dans l'attente passive. Le passé simple de l'indicatif succède à l'imparfait descriptif du premier quatrain : il va opérer une rupture dans le déroulement de l'action (« La cuisine s'ouvrit avec une bouffée »).. Si le client fait l'ange.Le portrait de la serveuse : la boutiquière. .. [phrase de liaison avec la seconde sous-partie de ce développement] Le cadre va subir une métamorphose : le café-restaurant du Hainaut. ici celui d'une fille du terroir. presque benoîtement : « En mangeant. à un assoupissement salvifique. quoi. il n'en va pas de même pour la serveuse ! Le poète beau-diseur ou beau parleur va vite le découvrir. non pas une babouchka édentée. impériale ! De quoi mettre toute la salle du restaurant en émoi ! Elle y pénètre en même temps qu'un souffle brusque (« La cuisine s'ouvrit avec une bouffée »). habituellement.. mais bien cette personne du sexe féminin. Sans doute pour mieux guider nos pas. mais un beau brin de fille se trémoussant et se dandinant autour des pieds de table. nous orienter. Un endroit le plus banal qui soit. Le poète nous introduit dans un logis. Et d'ajouter. la vivacité moqueuse de l'aubergiste et l'innocence naïve d'un jeune garçon ébahi par cette beauté pulpeuse. j'écoutais l'horloge. comme sorti de sa torpeur. ». Le lecteur se rend bien compte que l'auteur ne cherche pas à s'écarter de cette banalité. Le temps semble suspendu comme pour mieux ménager un effet de suspense... de son engourdissement. La fille du logis déboule tout à trac. cherche à encanailler. à la frimousse coquine.. [phrase d'annonce de la deuxième sous-partie. A moins que par métaphore. Sans doute pas par un vague bruit de vaisselle. qui jaillit du fond de la pièce ! Rimbaud sait comme pas un croquer en quelques vers un portrait. tout au plus. Une pause-fromage prédispose.heureux et coi.. qui s'attarderai sur le portrait de la servante de restaurant] Ce qui fait le véritable intérêt de ce poème. charmeuse et séductrice. figé dans la glu. Peu importe ! Les dés sont jetés pour un face-à-face sans esquive possible ! Cette domestique mi-ange mi-démon.. il ne s'agisse d'une bouffée de sons. entre la vaisselle et les friandises du dessert... 4 . une brasserie. change d'allure. une ligne de fuite. La routine. un lieu futile. les bruits de marmites ou de casseroles se mêlant de la partie. à ses dépens. des effluves de friterie ou autres fragrances culinaires. Nous déranger aussi. belle comme un cœur. Et rien de plus.. une taulière crachouillante avec du poil au menton. Et surgit alors. Un souffle chargé de vapeurs sorties des cuisines voisines.. un diablotin déluré qui papillonne et joue les perruches. Un décor démuni de toute originalité.. Le décor se prête à un jeu de miroir entre la frivolité joueuse. ce n'est pas le mobilier ou la couleur du papier peint. notre marmiton ! Elle ne manque pas de corriger tout ce qui entre dans la parure des jolies femmes : « Et la servante vint. Cela ne sera pas le cas. B.. relèvent de la poésie élégiaque. le lecteur ou la lectrice devra choisir. elle fait la « moue ». cadencé par une succession de trissyllabes. Les allusions grivoises sont à peine maquillées dans ce sonnet : une sémillante aguicheuse. Qui pourrait porter témoignage du mérite de cette serveuse..je ne sais pas pourquoi. Bref. exaltés et flatteurs. puisque « la Malines » désigne une coiffe en dentelle fine fabriquée sur place (dentelle aux fuseaux portant les fleurons à quatre feuilles caractéristiques des armes de la ville de Malines). la daromphe Vitalie Cuif.. Rimbaud s'amuse. celle-là. et pour utiliser un langage de sous-préfecture. Les odeurs parfumées. une petite grimace... Il décrit les charmes de son visage. noué ordinairement sur la tête. Le vers. les sensations et les couleurs s'entremêlent dans un climat de sensualité. tout en promenant son petit doigt tremblant. se plaisant à célébrer la beauté et la coquetterie de cette gamine aux petits doigts menus. C'est un concert d'éloges enthousiastes. à moins qu'elle ne le croise sur ses seins. Une scène autobiographique [phrase d'annonce de la première sous-partie du second volet du commentaire littéraire] 5 . sur ses épaules. qui font semblant de n'avoir d'yeux que pour l'élu de leur cœur. Certes. // Fichu moitié défait. d'en décider. comme l'on dit dans nos campagnes. Elle parle d'une voix doucereuse. mais il ne faut pas oublier qu'une maline désigne aussi une race belge de poule. trop outré pour être sincère. à force de gros clins d'œil. Mais restons-en à ce qui est évoqué. semble vouloir monnayer ses charmes ou faire monter le prix de la consommation. avec bien des sous-entendus par ailleurs. toute gracieuse. II L'ironie rimbaldienne : une invitation au non-voyage. Entre la coiffe et la gallinacée. Autrement dit. enjôleuse. elle fait la petite bouche.. de sa peau veloutée (« Sur sa joue. L'éloge de la belle courtisane est peut-être trop pompeux. A moins qu'il ne s'agisse d'une manière de plaisanter et de tourner en ridicule le manège de cette cocotte trottinant sans trêve autour de sa table. le style. A. ce propre-à-rien qui faisait tant enrager sa mère. qui. A nous. malinement coiffée ». Rimbaud éprouve une réelle empathie pour son modèle. « de sa lèvre enfantine ». Elle se montre dans ses plus beaux atours. Une réalité moins lyrique.. la blancheur et la fraîcheur de son teint. la douceur de ses traits. ses cheveux sont lâchés. sinon le jeune Arthur lui-même ! La demoiselle esquisse. ce qui peut dénoter les façons hypocrites des filles à marier. hypocoristiques) dans une métaphore fruiteuse qui valorise son charme sensuel. un velours de pêche rose et blanc »). lecteurs. Le poète utilise des termes appréciatifs (épithètes mélioratives. [phrase de liaison avec la deuxième partie du commentaire] Il n'en demeure pas moins que ce sonnet tiré des premières poésies de Rimbaud (le « Cahier de Douai » comprend vingt-deux pièces) relate bel et bien l'épisode d'une fugue de cet adolescent rebelle. En effet. La présence de ce voile ne surprend pas. Elle fait tomber son fichu. il compose « Rêvé pour l'hiver ». qui nous permettent d'interpréter le texte. avec ce regard aiguisé qui n'est pas le plus tendre de la terre.. le lendemain de la défaite de Sedan (Napoléon III se constitue prisonnier et capitule). les bras ballants. cette fois à pied. trois vieilles fille – Isabelle 47 ans. Et toujours dans la bourlingue. Il prend le train pour rejoindre ses camarades de classe Léon Henry et Léon Billuart à Fumay (localité située à une trentaine de kilomètres au nord de Charleville). sans un sou. si on en croit l'épilogue (« En wagon. En effet. il décide de retrouver ses mères adoptives. faisant converger notre regard vers cette gardienne du temple qui se trémousse autour de la table. éberlué même.. Il n'en fera rien. les sœurs Gindre à Douai. même après les avoir lues et relues ? La tentation est grande de se détacher du contexte. On peut facilement discerner une forme d'ironie. Henriette 44 ans et Caroline. le 7 octobre 1070. Fin septembre. Vitalie Cuif réclame le retour immédiat à Charleville de son fils Arthur. pièce qui ne figure pas dans les poèmes composés à Douai entre septembre et octobre 1870). comme pour mieux nous faire ressentir la digestion heureuse du commensal de la maison. Georges Izambard. . Le 25 février 1871. Affamé. l'air un peu perdu mais sûr de lui. il achète un billet de train : ce sera sa troisième fugue ! Mais revenons à « La Maline ». si l'on en croit ses amis. mêmes disparates. On imagine le jeune Arthur. Le poète laisse couler le temps. puis Charleroi et enfin à Bruxelles où il retrouve un autre ami d'Izambard. On devine le jeune poète émotionnellement fragile.. peu confiant. il retrouve le domicile maternel. et qui prend la pose. Il multiplie les provocations. à la chevelure absalonienne. Arthur quitte Douai le 1er novembre 1870 : c'est la dernière fois qu'il voit les sœurs Gindre et son professeur. Encadré par les gendarmes. évidemment. Il appelle au secours son professeur de français. au 27 rue de l'Abbaye-des-Près. « La Maline » et bien sûr « Ma Bohême ». Il convient donc de convoquer les données biographiques. Pendant le trajet. Le 02 septembre 1870. La Mother décide de le mettre en pension.. il retourne dans le giron familial et compose « Le Dormeur du val ». prostré dans une attitude qui laisse deviner une galanterie éléphantesque pour ne pas dire une indécrottable goujaterie au cas. Puis le fugueur se rend. Le lecteur partage cette compagnie qu'il nous semble entendre respirer. Ce périple entre Charleroi et Bruxelles inspirera les sonnets « Au Cabaret-Vert ». à Givet. Rimbaud se trouve dans la prison de Mazas à Paris. le 7 octobre 70 »). chez la famille Gindre (famille qui avait élevé Georges Izambard).. se voit offrir par les commerçants quelques sous pour aller chez le coiffeur. Dix jours après. Il modifie la distance en créant un effet de travelling. Dans la maison de Léon Billuart se trouve un majestueux meuble sculpté qui va inspirer son sonnet « Le buffet ». comment parler des poèmes dont on sait si peu de chose. La ligne de Charleville est coupée par les armées prussiennes : la police conduit manu militari Arthur à la gare du Nord et on le confie au contrôleur du train en direction de Douai. Les sœurs Gindre. Il débarque là. 39 ans) le débarrassent « avec de frêles doigts aux ongles argentins » de ses poux (voir « Les Chercheuses de poux ». où il faudrait décamper très vite.Il reste au lecteur de deviner et de saisir dans quel contexte s'est inscrit cette robinsonnade intrépide. en pestant contre sa mère. Au risque de heurter certains critiques ou exégètes. panoramique (« dans la salle à manger brune ») à un plan nettement plus rapproché (« près de moi »). Izambard reçoit de Vitalie Rimbaud l'ordre de faire rapatrier le fugueur. à l'œil goguenard. Celui qu'on appelle dans les rues de Charleville « la petite demoiselle » (à cause de ses cheveux longs). un texte ne se suffit pas à lui-même. il file à l'anglaise. Paul Durand. Il faut noter que l'auteur nous fait passer d'un plan éloigné. ou plutôt d'autodérision dans ces vers qui tournent en ridicule la fierté mâle plus simulée qu'autre chose. C'est sa deuxième fugue. La beauté incendiaire de cette Bethsabée* au turbin provoque la panique du jouvenceau timide et 6 . Izambard. qui lui envoie treize francs (somme que le détenu devait à l'administration des chemins de fer). à court d'argent. notre jeune Arthur hors du temps.. puisque cette étape dans un caravansérail belge. De « sa lèvre enfantine ». il n'en demeure pas moins que la serveuse multiplie les œillades provocantes pour mieux s'arracher un client. un voyageur hardi mais engoncé dans la position de cul-de-jatte dès qu'il s'agit d'une entreprise amoureuse. Il faudrait.. Il nous paraît difficile de concevoir l'image d'un pauvre écolier en matière d'amour succombant à quelque fiévreuse pamoison dans une improbable alcôve. qui ne manque guère d'humour. L'aspect plaisant de cette anecdote nous amène à penser que le poète se laisse aller à l'autodérision. Béotien en matière amoureuse. cum pedibus jambis. Le tableau ne manque pas de sel : une femme de compagnie. elle fait « une moue » tout en 7 .. L'humour candide infléchit également toute la lecture de ce poème. cette forme d'esprit railleur dirigée contre soi-même. phrase qui annonce la suite de son propos] Le narrateur traite avec une ironie acide le thème du brouhaha sentimental qui agite l'âge de l'adolescence.. S'impose alors dans notre imaginaire le fantasme de la femme indomptable et insoumise... On sait que Rimbaud. de notoriété publique. rendant son tablier et déclarant forfait. à une Lilith des faubourgs. résumons : un lieu banal à en soupirer d'ennui.... Malines. il y a un pas qu'on ne saurait franchir.inexpérimenté.. De là à identifier la jeune fille à une Messaline du plat pays. le titre du sonnet pourrait être doublement ironique. Belle mise en bouche. une hétaïre qui ferait chavirer tous les cœurs. une horloge qui scande une heure quelque part dans le temps... Un non-voyage. B. Ceci dit. on le sait. qui doit s'achever par une approche de l'implicite] Alors.. susceptible de faire déguerpir les novices de l'amour. est la capitale des carillons ! [phrase de transition. grenouiller dans le quartier interlope de Subure ou autres bas-fonds sordides de la Rome antique. ne conduit à rien. Une pointe d'ironie mêlée d'humour souriant qui met à jour les ratages de la vie . Pas de quoi pavoiser ou carillonner ! Là encore. de lui fausser compagnie ! Bref. [alinéa de présentation.. que rien ne fait dételer. ne va pas tarder battre en retraite. au cœur du Pays Noir.. qui permet de faire la liaison entre la première sous-partie et la suite de l'analyse littéraire. on suppose le fuyard. Le lecteur peut percevoir clairement que cette Eurydice de comptoir n'est pas insensible au charme provincial de notre Orphée bohémien. Cette deuxième fugue est un échec. pour cela. Rien à voir bien sûr avec les lorettes réduites aux servitudes du lupanar ou avec les courtisanes qui hantent les « Nuits » d'Alfred de Musset. sans tambours ni clairons . un apprenti matelot qui cherche un moyen.. tiré vers le ridicule. Suis-je donc bête. affecte de ne rien comprendre à l'attitude de cette fille. d'une carmélite. pour m'aiser ». Ce diphone formé du glide /w/ et de la voyelle ouverte /a/ faisant penser à l'interjectif « ouah ! » exprimant une admiration exaltée. le poète attire sur lui la compassion. capable de tenir tête à un bataillon de bocs de bière. comme dans la Carmen de Prosper Mérimée (1847). semble nous dire Rimbaud qui fait mine de ne pas connaître les intentions de la jeunette : « Et la servante vint. d'ailleurs. dans l'ambiance feutrée d'une winstub en pays wallon. ses cheveux. Cette fille à l'air ficelle. constituant une chaîne sonore d'éléments allitérés qui suggèrent par onomatopée l'épatement à gorge déployée).. au « fichu moitié défait » et « malinement coiffée » ne nous laisse pas froids : il n'y a pas de quoi rester « coi » (notons que ce même son /wa/ se retrouve dans « pourquoi ». L'adolescent bravache qui 'épatai[t] dans son « immense chaise » (vers 4) cède la place à un Casanova d'opérette.. En se dépréciant. à la renverse. Tout le monde comprend bien que la belle ne compte pas ses doigts comme sur un boulier. une réserve. L'humour d'auteur consiste à mettre en scène un Don Juan lilliputien. voire un vulgaire brouet. gros buveur. Le verbe pronominal réfléchi « s'épater » ne veut pas dire tomber sur les mains et les pieds. passage. L'humour rose affleure aussitôt : une hôtesse prévenante et empressée. compte tenu du jeune âge de l'adolescent. près de moi.. il prend ses aises : à demi-allongé. malignement. Cette dernière expression ne faisant que reprendre la formule idiomatique « je ne sais quel » du troisième vers. Surgit alors dans l'inconscient du lecteur l'image fascinante d'un érotisme mortifère.. il signifie «s'étendre ». un prétexte ingénieux (d'où le titre du poème. avec malice. un mécontentement. proposant une passe à un client de. « moitié » et « coiffée». puisque la tenancière du bistro sert à son hôte un plat assaisonné. il noue ses bras en couronne tout autour de la tête. elle met de l'ordre sur la table ! Jeu de la dînette. mal débarbouillé. Arthur s'étale confortablement dans son siège. d'une invite amoureuse.. préliminaire de quelque recette coquine ? On imagine ce va-et-vient fébrile pour entrer dans les bonnes grâces du consommateur : C'est surtout la raison alléguée. contre les manigances de cette gitanella ensorceleuse. Et pourtant. forme d'ironie dirigée contre soi-même).. je ne sais pourquoi ».. Notre bambochard gros mangeur. Le « petit doigt » symbolise la volupté. les quatre fers en l'air. la sympathie attendrie de son lecteur (procédé de style qu'on appelle « chleuasme ». les bras ballants. à l'air jeunet.. la servante ne ménage pas sa peine pour le mettre à son aise : « Elle arrangeait les plats. les jeunes ingénues ! Un rôle sur-joué. En réalité. elle non plus. Après avoir dérangé. Notre bambocheur paraît se débattre contre vents et marées. un peu bêta.arrangeant « les plats ». dont l'excès d'adresse le ferait presque fuir dans les vestiaires. L'auto-ironie est patente : le « mets » (vers 3) aux saveurs exquises n'est peut-être que le plat du jour. qui coule à pleins bords. Le « petit doigt tremblant » n'a rien de chérubinique. Face à cette bienveillance toute 8 . en gonflant des lèvres pincées simultanément.. même si l'auteur verse dans l'hypocorisme ! Le tremblotement de ce « petit doigt » ne saurait nous induire en erreur : nulle gaucherie chez cette hôtesse. Tel n'est pas le sens de l'expression ici. Ni faire de l'esbrouffe. Faire la moue signifie habituellement exprimer une réticence. comme s'il se prenait pour le maître des lieux. Après tout. à un guignol lourdaud.. Jeune fugueur qui a déménagé à la ficelle. assis sur son trône impérial. Face à ce gamin. à ce saute-ruisseau qui n'a rien du cannibale ou du légionnaire de l'amour.. « La Maline ») pour entamer une valse du corps propre à attendrir les étoiles. et qui lui tient la jambe tout en lui servant les plats. prélude à des jeux sucrés. L'auteur ne résiste pas au plaisir d'ironiser sur la situation.. Arthur Rimbaud cherche à se tirer d'affaire. Néanmoins. cette geisha carolorégienne qui joue. le client est toujours roi ! Les avances de cette jeune femme offerte auraient de quoi mettre la salle à manger en joie. une servante dévouée qui n'a rien. A moins qu'il ne s'agisse d'une moue d'impatience. il est fort probable que l'impudeur pimpante de cette ravissante aubergiste soit accueillie avec tiédeur. Ou d'une méprise amoureuse.languissante de la serveuse. soyons cyniques. Les paroles glissées à l'oreille prennent le pas sur le doute qui nous tenaillait. parvient au moment décisif de l'action. virides. Elle folâtre. le personnage reste de marbre. L'oiseau tombé du nid succombera-t-il au chant de cette sirène ? L'ironie du destin. voilà de quoi réveiller bien des hantises dans les consciences masculines ! Surtout solitaires. le lecteur.. dans le dernier tercet du sonnet). ne désarme pas : "Sens donc.. dans la vie de Rimbaud. Alors. abracadabrantesque. Mais dans le même temps. tout comme Charleville ! Décidément. presque soupirée.. l'empoisonneuse Médée. elle friponne. à moins qu'il ne s'agisse d'un hapax.. j'ai pris une froid sur la joue. fringaler.Après tout. on reformule brièvement les grandes lignes du commentaire qui viennent d'être développées] 9 . tragique... pialats. fouffes. Une vérité non dite qui mélange candeur et tabou. en robe de vichy. La poésie de Rimbaud se caractérise souvent par ce style familier. Une Cléopâtre aux déhanchements saloméens*.. avec l'intrusion de l'auteur signalée par les deux tirets (. hargnosité. tenu en haleine jusque là. vers la fin du SecondEmpire. le lecteur s'imagine des séductrices de renom. tout bêtement. percaliser. « bien sûr ». Un style qui met à l'honneur le provincialisme... on s'en doute. Conclusion [premier alinéa : synthèse de rappel. qui décidément.. Ce qui explique l'insistance de la coquette. un trou. pour employer un vocabulaire plutôt faubourien. « La Maline ».. pour le distraire... repose in fine sur cette situation plutôt incongrue où le fuyard se retrouve dans la position de la petite grenouille au fonds d'un puits. Au mieux. du gringue. De tableaux en tableaux. dialectique. prendre du froid sur la joue peut être compris comme une expression régionale. que d'une rêverie. rappelons-le..bien sûr pour avoir un baiser . elle fleurette pour faire fondre la glace.. une construction imaginaire fantasmatique ? A moins qu'il ne s'agisse. j'ai pris une froid sur la joue... est friand de créations néologiques forgées bien souvent à partir de vocables latins (bombiner.). une Circé homérique version Bed and Breakfest. on peut considérer tout simplement que la serveuse du bastringue s'efforce de faire en sorte que le jeune Arthur ait le sentiment d'être moins seul. Et l'auteur.. la sorcière Circé. les points de suspension du dernier vers ramènent sur le devant de la scène les pointillés du doute ! De quoi maintenir le rêve éveillé de tout bon liseur ! Il est des rêves voluptueux comme des cauchemars de poursuite. la petite cité de Charleroi était. tout va à vau-l'eau . elle lui fait du plat. Au dernier tercet. Le suspense prend fin. Imaginez. L'impératif présent et la conjonction de coordination « donc » (à valeur logique) sont exprimés avec l'accent de celles qui savent si bien sentir la timidité et la gaucherie des jeunes muguets.... les ardennismes : avoir. Elle fait l'aimable. »). Yaël tuant Sisera d'un clou enfoncé dans le crâne à coups de marteau.) et surtout grâce au discours direct qui clôture le sonnet (« Sens-donc. proche de la langue parlée (tournures « Puis comme ça ». Le tercet final fait entendre une dernière note de gaieté légère ou d'ironie amère. Judith décapitant Holopherne.. un galant peu dégourdi. Cette esthétique s'éloigne des pédanteries romantiques et annonce le mouvement des Décadents.. Sans extrapoler." lance-t-elle dans une exclamation à demi-voix.. Un dandy poète. c'est comme on voudra. celui de sa mère. l'inertie de la grisaille carolopolitaine. de niaiseries. Cette rencontre avec la beauté le réconcilie avec l'intensité de la vie. du vagabond fugueur et frondeur.Rimbaud excelle dans la forme brève. qui tente d'échapper à l'emprise débilitante de la vénéneuse régente de sa vie. Rimbaud fait de son intimité la matière de son œuvre. léger.. une belle bouffée d'air frais ! Quelle leçon retenir ? Ecrire. pousse la chansonnette.. Artiste iconoclaste au tempérament explosif. Degas. un récit allégorique. Le poète nous débite son histoire. de lieux communs et pourquoi pas. comme celle de la peinture de Lautrec. en entremêlant exubérance et glamour. L'amour qui attend son heure. on étend la réflexion en intégrant d'autres formes artistiques. et surtout lacunaire.. Un souvenir lapidaire à replacer dans la « chronologie affective » de Rimbaud. nous nous contenterons de dire qu'il a écrit un poème sur l'amour qui lui a tant manqué.. A la manière d'un Victor Hugo dans sa « Vieille chanson du jeune temps ».. la mother. une bluette aux couleurs roses. Sa poésie pioche dans les bas-fonds de la langue faite de clichés. qui élargit la perspective sur l'ensemble de l'œuvre. d'un déficit d'amour. L'apprentissage de la langue poétique. qui miniaturise ce huis-clos intime dans une taverne de nulle part. qui savaient si bien peindre le claque parisien et ses amitiés canailles. mais pleines de sobriété et de retenue.. Ce sonnet résonne comme un appel vertigineux de la vie. Somme toute. comme les beaux-arts. [deuxième alinéa : synthèse de généralisation. [généralisation. Travail personnel du professeur. c'est faire des histoires pour ne pas désespérer. Bernard Mirgain 10 . Rimbaud poursuit son rêve d'un art total : il entreprend de tailler des croupières à l'académisme. de l'immarcescible jeunesse. Celui d'une absolution du fils indigne. aussi. à partir du cycle du Cahier Demény] Comment définir ce poème ? Une délicieuse divagation avec pour prétexte une scène libertine. ironie explosive et humour désespéré. fragmentaire. Témoignage de la solitude intérieure du malfrat sorti des verrous. à la manière d'un Toulouse Lautrec ou d'un Degas. par exemple] Le jeune poète tâche de poser sa voix et nous enseigne ainsi que le poème n'est pas seulement l'endroit du beau langage enserré dans une préciosité arrogante et caricaturale. la plumasserie pouilleuse et autres caleçonnades d'alcôve en moins.Au-delà de l'avalanche de commentaires érudits qui engloutissent le texte rimbaldien dans un mysticisme halluciné. Une rêvasserie.. Un symbole. capable de faire jaillir des envolées poétiques. Le sonnet nous fait don d'un tableau drôle.. c'est aussi l'apprentissage de la vie. dans la mesure où il met en scène un enfant qui a tant souffert de l'absence du père. Caillebotte. qui déjoue les fatalités. Un poème allégorique.