Huit Jours en Kabylie : a travers la Kabylie et les questions kabyles / par François Charvériat,...Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France Charvériat, François (1854-1889). Huit Jours en Kabylie : a travers la Kabylie et les questions kabyles / par François Charvériat,.... 1889. 1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de la BnF.Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 : *La réutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source. *La réutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produits élaborés ou de fourniture de service. Cliquer ici pour accéder aux tarifs et à la licence 2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques. 3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. Il s'agit : *des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent être réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sans l'autorisation préalable du titulaire des droits. *des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sont signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothèque municipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur est invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisation. 4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle. 5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de réutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateur de vérifier la conformité de son projet avec le droit de ce pays. 6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur, notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de non respect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978. 7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, contacter
[email protected]. A TRAVERS LA KABYLIE ET LES QUESTIONS KABYLES L'auteur traduction et les éditeurs déclarent réserver leurs droits de et de reproduction à l'étranger. de l'intérieur (section Ce -volume a été déposé au ministère de la librairie) en septembre 1889. PARIS. TYP. DE E. PLON, NOURRIT ET Cie, RUE GARANCIÈRE, 8. HUIT JOURS EN KABYLIE ET lES QUESTIONS PAR KABYLES RANÇOIS CHARVERIAT ACREGE DES FACULTÉS DE DROIT, PROFESSEUR A LÉCOLE DE DROIT D'ALGER PARIS LIBRAIRIE PLON E. PLON, NOURRIT RUE ET Cie, IMPRIMEURS-ÉDITEURS C A R A N CIÈ R E, 10 1889 Tous droits réservés . culièrement est trop peu connue en compagnons c'est aujourd'hui. le 5 mars 1889. Si je les publie trouve qu'en les relisant j'y des points d'un intérêt général. ne devaient être communiquées qu'à mes de voyage. réunies pour mon compte personnel en 1887. ou plutôt. et pouvoir. L'Algérie. J'espère avoir vu certaines choses telles qu'elles sont. partila Kabylie. par conséquent. .imparfaitement connue.AVANT-PROPOS Ces notes. présenter quelques questions sous leur véritable jour.nouveaux voyages en 1888 n'ont fait que confirmer que j'avais les observations antérieurement et les renseignements recueillis. France. Alger. Deux . ce qui est pire. . Il aurait pu mener une vie tranquille à Lyon. hélas ! si courte. où il était né. il ne l'employa pas uniquement à faire ses .AVERTISSEMENT DE L'EDITEUR Nommé agrégé des facultés de droit au concours de 1884. Mais il était du nombre de ceux qui pensent que la fortune impose encore plus d'obligations qu'elle n'assure de loisirs. qui devait être. et comme il n'avait embrassé la difficile carrière du professorat que pour faire le plus de bien possible. François Charvériat fut désigné pour professer le Droit romain et le Droit maritime à l'École de Droit d'Alger. Ce ne fut pas sans un profond chagrin qu'il quitta la France. Sa vie de professeur. au sein d'une famille qu'il aimait et dont il était tendrement aimé. le sentiment du devoir l'emporta sur toute autre considération : il partit. ni tout à fait la même religion que les Arabes. Il pensait avec raison que l'Afrique la France n'aurait rien fait. Chargé de faire. ni la même langue. qui leur a été imposé par la conquête. mais il ne se rendait pas encore un compte exact des difficultés que soulevaient d'un côté la résistance des indigènes. ils ne le pratiquent pas comme les Arabes et.VIII AVERTISSEMENT DE L'EDITEUR cours avec tout le soin dont il était capable. mais encore et surtout par l'importance des questions que soulève la conquête d'un pays musulman par une nation chrétienne. et de l'autre la politique trop peu éclairée de la Métropole . il choisissait déjà un sujet en rapport avec ses noudes indigènes dans velles études : l'Assimilation romaine. et l'Algérie le captiva bientôt. pour leur organisation civile et politique. Les habitants de ce pays n'ont ni la même origine. en 1885. ils suivent plutôt leurs . il comprit bientôt qu'un peuple dont toute la vie a pour base la religion mahométane ne pouvait devenir français qu'en devenant chrétien. Il s'intéressa surtout à la Kabylie. . le discours de rentrée des Écoles supérieures. non seulement par la beauté de ses sites et de sa végétation méridionale. car bien qu'ils aient adopté l'islamisme. il se mit à étudier le pays. tant que les indigènes ne seraient pas devenus de véritables Français . soit dans d'autres voyages. C'est le plus souvent à propos de faits dont il fut le témoin. François Charvériat avait épousé à Paris. La naissance d'un fils venait de lui donner une consécration nouvelle. la famille. François Charvériat visita plusieurs fois la Kabylie (1). comprenant le but élevé de sa vie. le mariage. les idées politiques. quand Fran(1) Il a fait onze voyages en Kabylie. fut de courte durée. l'instruction. en compagnie d'un de ses collègues. en outre.AVERTISSEMENT DE L'EDITEUR IX anciennes coutumes que les règles du Coran. qu'il examine les diverses questions qui importent le plus à un peuple : la religion. Il y a ajouté de nombreux renseignements recueillis depuis. . Pour mieux étudier cette race primitive qu'on peut désigner sous le nom de race berbère. et qui dura huit jours. avait eu le noble courage de vouloir la partager. Cette union. a servi de cadre à son ouvrage. une jeune fille qui. la politique suivie par le gouvernement pour préparer l'assimilation. soit auprès des personnes connaissant le mieux l'Algérie et la Kabylie. Un voyage qu'il fit en 1887. la propriété. Il a examiné. C'est donc par les Kabyles que la France doit comm encer la conquête morale de l'Algérie. modèle des unions chrétiennes. au commencement de l'année 1888. après sa mort. François Chavériat fera. on n'a eu qu'à le mettre au net et à l'imen faisant mieux connaître primer. le 24 mars 1889. à l'âge de trente-quatre ans. aider à la solution de problèmes qui intéressent au plus haut point l'avenir de la France 1 Si ce voeu se réalise. . par une fièvre que ses travaux avaient peut-être déterminée. L'ouvrage que sa famille offre aujourd'hui au public était entièrement achevé au moment de sa mort . une partie de l'Algérie.X AVERTISSEMENT DE L'EDITEUR çois Charvériat fut rapidement emporté à Alger. Puisse-t-il. un peu de ce bien qu'il s'était proposé de faire pendant sa vie. le sourdi. PREMIER FORT-NATIONAL IMPOTS. Le Sébaou.— juin. IDÉES ET AÏN-ELDES POLITIQUES Lundi chemin de fer de de voyage. L'agriculture kabyle. Djurdjura. maisons et villages. — La marché — Le costume. Huil'Oued Aïssi. La montée. kabyle. Kabylie. — . donar kabyles. les colons. 20 juin. algériennes. — Le Djurdjura. le béchena. de 1871. de la France. — Insurrection Fort-National. Compagnons — Entrée en la Métidja. — Ecole de Tamazirt. KABYLES. Village d'Azouza. la garnison. Départ pour FortNational. Le fort. PROPRIÉTÉ. le climat. leries de Tak-Sebt et de Makouda. l'Est-Algérien. — — La les frênes.CHAPITRE LE DÉPART. l'amiral do Guey— Les les confiscations. — Morcellement individe la propriété. Mardi21 la Kabylie. La répression. HAMMAM. vigne.— Tizi-Ouzou. Kabyles. le drapeau — maison do deux chefs Djurdjura. Propriété — La duelle et indivise chez les Arabes et les Kabyles. diligences — Haussonviller. TIZI-OUZOU. leur don. grands kabyles. — Les enfants route . impôt de capitation . les fonctionnaires. Afin d'éviter la chaleur du jour. a l'administration. exagérées. — Aïn-el-Hammam. La lezma. des Beni-Yenni et ses écoles. colonisation — La commune impossible. Lundi 20 juin. du soleil. ses démocratique. Berthelot. Je préfère cependant voir à deux. Voyage en Kabylie de M. Mais les circonstances m'ont toujours obligé à voyager seul. — Suppliques les galettes. M. j'ai pour compagnons un de mes amis. — Répartition — Autres impôts. ministre de l'instruction des Kabyles. Je m'accommode sans doute de la solitude en voyage. plaintes de la lezma . — Le tirailleur algérien. le bordj. — Plan pour le lendemain. — Beaucauses. qu'on — Une pépinière. — Idées des Kabyles sur le pouvoir. et même sa femme. Village de Tashenfout. Densité de la population. Prestige de l'uniforme.2 HUIT JOURS EN KABYLIE — La tribu Le père La Verte et la route d'Aïn-el-Hammam. Coucher d'Aïn-el-Hammam. particulièrement forte dans la plaine de la Métidja qu'il nous faut traver- . mixte. — Climat. Robert. Je suis allé déjà en Kabylie. Un voyage officiel. parce que la liberté est plus complète et que l'attention se porte uniquement sur le pays et ses habitants. Madame Poublique. Cette fois-ci. — La justice Kabyles se font de la République. — Vue la justice. —Ressources — Égalité des Kabyles . l'usure. spécialement lorsqu'un oeil féminin met à votre service sa singulière perspicacité. —Les routes. réforme possible. — Idée que les prêtre. tance des Kabyles aux coups et blessures. et la clémence. et surtout à trois. — — RésisLe Beylik. publique. LE DEPART 3 ser pour atteindre la Kabylie. fortement accentuées. Il est vrai que la compagnie de l'Est-Algérien est renommée pour sa lenteur. et la mer. Aussi ne distinguons-nous fèrent-ils . Aussi nombre de voyageurs préencore prendre les antiques diligences qui. Un air d'une transparence presque inconnue en France enveloppe de tons chauds et moelleux les formes du paysage. puisqu'un jour j'ai vu un de mes amis. nous quittons la ligne de Constantine pour celle de Tizi-Ouzou. que nous traversons dans sa partie orientale. nous paraîtrait interminable. Au coucher du soleil les montagnes bleuissent. Le train avance à peine comme un cheval au trot . même parmi les compagnies algériennes si peu rapides cependant. rappellent celles de l'Estérel près de Cannes. les arrêts se prolongent à chaque station pendant un quart d'heure. arrivé à la gare d'Alger après le départ. prend une teinte argentée. A cinq heures nous quittons Alger par la ligne de l'Est-Algérien. continuent toujours à marcher. venir en tramway s'embarquer à la gare suivante. que nous apercevons un instant. et particulièrement sur le Bou-Zegza. nous avons résolu de ne partir que le soir. Les voitures publiques servent même à rattraper le train quand on l'a manqué. A Ménerville. dont les lignes. si nous n'avions une vue ravissante sur l'Atlas. malgré l'ouverture du chemin de fer. La Métidja. La nuit tombe au moment où nous changeons de wagon. en attendant d'être ouvert jusqu'à Tizi-Ouzou (1). caisses. paniers. sacs de pain. Un coffre jauni par le temps. et MmeRobert en leur assurant qu'il n'offre rien de remarquable. un timon rapiécé et tenant avec quelques clous. A neuf heures et demie. des ressorts cerclés de ficelle. La diligence est certainement une des plus extraordinaires curiosités de l'Algérie. on suit une immense plaine. une bâche vernie à la poussière. nous sommes à Haussonviller. Exilée de France. malles. C'est là que s'arrête le chemin de fer. Dans les divers compartiments et aux différents étages s'entassent pêle-mêle choses et gens. fertile mais sans arbres. elle est venue échouer sur la côte africaine et y a pris un air bizarre d'épave ambulante. quatre roues rongées par les ornières. Le seul endroit remarquable est Bordj-Ménaïel . Comme j'ai déjà fait ce parcours plus d'une fois. Il nous faut donc prendre la diligence. On n'aperçoit pas le Djurdjura. bi- . voilà le véhicule. rivière qui. tonneaux.4 HUIT JOURS EN KABYLIE presque plus rien au moment où nous entrons en Kabylie. forme à l'Ouest la frontière de la Kabylie. encore ce village doit-il une part de sa célébrité au journal politique qui dirige une fraction de la centaine d'électeurs habitant la commune. (1) Le chemin de fer va aujourd'hui jusqu'à Tizi-Ouzou. de Palestro à la mer. Après avoir franchi Tisser. je console M. qui reste caché par les contreforts du Timezerit. leur sobriété et leur souffle. on arrive. dénomi(autrefois Azib-Zamoun).LA DILIGENCE 5 dons d'huile. . M. zouaves. comme Ilaussonviller (1). Après une longue descente. d'Haussonville. président tion des Alsaciens-Lorrains. M. assura la création dont l'initiative d'un certain les émigrés nombre do villages pour recueillir d'Alsace-Lorraine. efflanqués et nourris au fouet. absolument moulu. femmes. Quant à Haussonviller il rappelle. au bruit de craquements internes semblables à ceux d'un navire secoué par les vagues. rendraient despoints aux meilleurs chevaux français. Nous nous installons tous les trois dans le coupé ouvert à tous les vents. par leur résistance à la fatigue. indigènes au burnous graisseux et odorant. village peuplé d'Alsaciens-Lorrains. enfants. et. mais qui. on verse parfois. Nous traversons Drâ ben du Maréchal tire son nom d'une installation (I) Le camp établie parle maréchal de 1857 . C'est ainsi qu'à travers les cahots de la route on avance avec des oscillations inquiétantes de tangage et de roulis. qui Randon pour l'expédition acheva la conquête de la Kabylie. et bientôt nous roulons vers TiziOuzou. et Mme Robert s'enveloppent dans un châle de voyage. Tout le système est mis en mouvement par des chevaux de petite taille. . et moi dans mon burnous. quartiers de viande. par sa nouvelle de la Société de protecnation. nous sommes au camp du Maréchal. La nuit est froide. On s'embourbe souvent. barils de poudre et fumeurs. comme j'en ai moimême été témoin sur la route de Biskra. mais toujours. un peu plus tôt ou un peu plus tard. colons. commis voyageurs. la Kabylie mesure environ 150 kilomètres dans sa plus grande longueur. vers une heure du matin. hameau français bâti sur les bords de l'Oued Bou-Kdoura. on dehors de cette région. au pied du Belloua qui le domine au Nord. . à proprement parler. en attendant de partir pour Fort-National. Nous descendons à l'hôtel Lagarde qui. se trouve fort bon. Tizi-Ouzou est situé au centre de la Kabylie. Il existe cependant.G HUIT JOURS EN KABYLIE Kedda (1). qui vient du Djurdjura. Formant un immense hémicycle. nous arrivons à Tizi-Ouzou. Les hauteurs qui précèdent le Djurdjura (1) Drâ ben Kedda. notamment dans l'espace qui s'étend à l'est de l'Oued Sahel jusqu'aux environs de Collo. par opposition à la Grande Kabylie. Mardi 5/ juin. la région comprise entre le Djurdjura et la Méditerranée. c'est-àdire à la Kabylie du Djurdjura ou Kabylie proprement dite. un certain nombre de tribus kabyles. au Sud. Enfin. après avoir quelque peu ronflé malgré les soubresauts. par Kabylie. dont le diamètre est tracé par la côte et le pourtour par la chaîne du Djurdjura. (2) On entend. qu'est bâti Tizi-Ouzou. C'est sur un col d'une faible altitude. a été. et une ligne de montagnes courant au Nord parallèlement à la Méditerranée. depuis notre passage. s'étend la plaine du Sébaou qui reçoit une grande partie des eaux du pays kabyle. à la différence de la plupart des hôtels d'Algérie. Entre le Djurdjura. Nous nous y reposons avec délice. Cette contrée s'appelle Petite Kabylie. de par un décret. baptisé du nom de Mirabeau. de Ménerville à Bougie (2). nous aurons à faire quatre journées de suite à dos de mulet par les chemins les plus kabyles de la Kabylie. dans des gorges pittoresques qui servent de but de promenade aux habitants de Tizi-Ouzou.entre le Belloua et la montagne des Aïssa-Mimoun. Mais s'il manque d'une vue étendue. Celte rivière. est la plus importante de la Kabylie. à compter de demain. Tizi-Ouzou offre. N'étant jamais à sec.TIZI-OUZOU 7 empêchent d'apercevoir cette grande chaîne. qui reçoit presque toutes les eaux du versant Nord du Djurdjura. Nous choisissons un break et nous partons à sept heures et demie du matin. nous préférons employer la voiture. par un sentier kabyle encore plus curieux que la grande route. A l'endroit où nous l'apercevons. Au sortir de Tizi-Ouzou. une sorte de Durance africaine. un bon spécimen de sous-préfecture franco-algérienne. spécialement des barbeaux. Mais comme. (l) Si Tizi-Ouzou est le chef-lieu administratif la Kabylie. avec ses édifices sommaires. ses maisons basses mais propres. en revanche. avec un débit beaucoup moindre. et judiciaire de . elle occupe un lit d'une largeur de 5 à 600 mètres. ses fontaines abondantes. C'est. chose rare pour une rivière algérienne. sa rue unique. ses plantations de platanes et d'eucalyptus (1). Nous avions formé le dessein de gagner Fort-Natiotal à mulet. Elle coule ensuite. Dellys on est le chef-lieu militaire. elle nourrit quelques poissons. la route descend rapidement vers le Sébaou. Il faut alors passer à gué. C'est à l'endroit où il débouche des dernières collines. la citadelle de Fort-National. du reste. Ce pont est souvent emporté au moment de la fonte des neiges. nous distinguons. que nous voyons seule. où les bergers kabyles vont en chercher pour les marchés des alentours. près de sa joncfion avec le Sébaou. au Sud. débris du manteau blanc qui était encore visible d'Alger au commencement de mai. qui s'est montré à nous comme clans le fond d'un théâtre. Mais il est encore impossible de se faire une idée du pays qui entoure ce point central du massif kabyle. Étroitement encaissé entre deux versants abruptes. marquée de quelques taches neigeuses. Au fond de l'étroite vallée de l'Oued Aïssi qui s'ouvre devant nous. le Djurdjura. viennent tomber dans la vallée du Sébaou. l'affluent le plus considérable du Sébaou. nous découvrons pour la première fois le Djurdjura. descend de la grande chaîne et en sépare Fort-National. est parfois impossible. L'Oued Aïssi. Nous passons à . Nous employons le pont à peine réparé. Peu après la traversée de l'Oued Aïssi. disparaît derrière des hauteurs. présente une immense muraille rouge. il s'étale ensuite dans la plaine.8 HUIT JOURS EN KABYLIE En arrière des pentes presque à pic qui. non sans regretter le pittoresque d'un passage à gué. La partie occidentale. sur un second plan. Nous sommes bientôt sur les bords de l'Oued Aïssi. ce qui. Bientôt il ne restera plus de neige que dans des crevasses. qu'on a jeté un pont. à température égale. fraction à l. des fabriques bien outillées. lents produits. de tous les Kabyles. Nous sommes maintenant dos Aït-Iraten. Nous n'en sommes cependant que très peu incommodés. mulation Ce désagrément qui. LE CLIMAT 9 côté des deux ou trois maisons européennes de Sikh-ouet nous arrivons à Tak-Sebt. personnes préfèrent-elles. A droite de la route. nant l'évaporation. près de l'Oued Aïssi. se trouve une huilerie établie par un Français. chez les Adeni. qui empêche l'accude la sueur. opposèrent . au séjour d'Alger. Les Kabyles ont beaucoup d'oliviers. rend la chaleur beaucoup plus fatigante. h cause de l'humidité qui. le soleil se fait déjà vivement sentir. audessus de l'huilerie de Tak-Sebt. A Alger. mais ils ne font qu'une huile détestable à cause de l'imperfection quelques Européens ont-ils. il cesse dès qu'on s'avance dans l'intérieur. même celui de Laghouat. nous nous trouvions mal à l'aise. Comme nous sommes partis un peu tard. ne se produit que sur le littoral. qui. installé où ils obtiennent huile d'excelse fait à Makouda. montée d'environ tional. Aussi en divers endroits.LE PAYS. gêmaintient la peau toujours mouillée. de leurs procédés. en plein Sahara. Cela tient à la siccité de l'air. 15 kilomètres qui conduit à Fort-Na- Nous commençons à nous élever sur la route. au contraire. La meilleure entre Tizi-Ouzou et Dellys. Aussi certaines pour l'été. au bas de la Meddour. Les figues constituent l'une des bases de la nourriture des habitants. Cette (1) Le béchena se sème au commencement de l'été et pousse sans avoir besoin d'eau. dont on tire de la farine (1). Les plantations nouvelles sont fort nombreuses. la plupart des champs formant des vergers ensemencés. ce qui constitue une qualité des plus précieuses. à nourrir les bestiaux. parmi les arbres cultivés.parcelle ne demeure inculte. en hiver. Aujourd'hui. et les olives produisent une huile dont il est fait. ramassées au mois d'août et conservées dans des cabanes rondes en branchages avec toit conique en paille. compter les frênes. On ne voit. Le sol porte des céréales diverses. ce qui témoigne d'une certaine prospérité. Du sommet à la base. aucune. le grain pourrissant alors en terre au lieu de lever. Malgré une déclivité prodigieuse. ils ne semblent plus songer qu'aux pacifiques travaux de l'agriculture. tout le long delà route. . principalement de l'orge et du béchena. que champs semés d'arbres. particulièrement des figuiers et des oliviers. espèce de sorgho. C'est même à double étage que se pratique généralement la culture.La récolte manque toutes les fois qu'il pleut sur la semence. Leurs feuilles. Presque partout sont plantés des arbres à fruits. le plus grand emploi pour tous les usages domestiques. chaque coin doit donner sa récolte. il faut.10 HUIT JOURS EN KABYLIE la France la résistance la plus acharnée. A côté des figuiers et des oliviers. Peu d'agriculteurs égalent le Kabyle dans l'art d'utiliser le terrain. servent. page (PAUL LEROY-BEAULIEU. (1) Chaque famille. qui perche les prés sur des arbres. l'Algérie. Souvent un même arbre appartient divisément à plusieurs. spécialement épaisses aux abords des habitations. en dépit de leur peu de saveur. on moyenne. en Kabylie. même par comparaison avec les régions de la France dans lesquelles le morcellement semble poussé jusqu'aux dernières limites (1). en effet. chacun ayant. Ces inconvénients du voisinage se font sentir dans toute leur aeuïlé. En réalité. A l'exiguïté des champs on peut présumer que chaque propriétaire n'est pas maître d'une grande étendue de terrain.) que 101. ces fruits connus sous le nom de figues de Barbarie qui. font les délices des indigènes. la propriété se trouve morcelée à un degré qu'on peut difficilement s'imaginer.CULTURE. Parfois. le terrain est à l'un et les arbres à l'autre. une ou deux branches. n'a guère. s'enroulant autour du tronc des frênes. un tel domaine n'est pas assez considérable pour qu'il soit possible d'éviter des contacts dangereux pour la bonne harmonie. . D'énormes sarments. deux hectares. PROPRIETE 11 culture en hauteur. Des clôtures en cactus. pour sa part. se double encore de la culture de la vigne. et fournissent. Ces pampres aériens donnent des grappes dorées fort estimées. sans aucun travail. voir ci-après le chapitre III. complètent les productions du pays. Pour dos exemples. . qui se vendent à Alger même. grimpent jusqu'au faîte. Malgré la taille énorme des arbres de Kabylie. en fait. A la mort du père. la propriété indivise. conforme aux coutumes. au même titre. pratique généralement. 120 et suiv. au chapitre do l'Arabe. Chacun a sans doute le droit d'obtenir le partage. autrement. à peu près impossible de s'entendre avec tous les membres d'une famille. met un obstacle insurmonpresque table aux acquisitions do terrains Il est. Sans adopter le communisme de la tribu m'ont affirmé avoir souvent vu des (1) Plusieurs magistrats la propriété d'une branche d'olivier. seraient incultivables. se trouve d'ailleurs presque imposée pour des terrains extrêmement morcelés qui. elle ferait mal voir celui qui la formerait (4). n'est pas moins erronée pour le Kabyle qui. propriétaires . la propriété individuelle. De nombreuses difficultés sont également causées par le régime même de la propriété immobilière. (CHARPENTIER. (3) A savoir la propriété opposée lective ou propriété arch. bien qu'admettant. Cours de législation 1883. On va répétant que le Kabyle se sépare essentiellement de l'Arabe. en effet. les enfants restent habituellement en indivision sous l'autorité de l'aîné. 100. pp. en ce qu'il admet la propriété individuelle et non la propriété collective (2). en droit. fausse pour l'Arabe qui connaît une certaine propriété individuelle (3). le Kabyle qui séparent à la propriété colmelk. procès touchant différences IV. contraire à la coutume. les nombreuses (2) Voir plus loin.12 HUIT JOURS EN KABYLIE et c'est plus d'une fois qu'une pareille situation engendre des procès et même des rixes (1). généralement la propriété en Kabylie. mais une demande à cet effet est assez rare. pur les Européens. dans lequel se trouve (4) L'état d'indivision. Cette situation. Cette formule absolue.) algérienne. parce que. pp. p. . il présente des séries d'arêtes extrêmement minces. L'ensemble des bâtiments. Tous les villages se composent de constructions étroitement serrées sur des pitons. lors de l'expédition de 1857. en moins d'un mois. ou sur quelque renflement des crêtes. Il.vue ne s'étend tout d'abord que sur la vallée du Sébaouet sur les montagnes qui la séparent de la mer. 307. la Kabylie kabyle. 1873. puisqu'elle a été établie au plus court. qui viennent se souder. père DUGAS. quelque chose d'analogue aux sociétés taisibles de l'ancienne France (1). sur une ossature centrale. Il n'y a pas de maisons isolées. C'est le long de cette ossature centrale que nous nous élevons par de nombreux lacets. Comme les premiers kilomètres ont été tracés sur le versant Nord. tous uniformément bas. La roule est fort raide. 159 et suiv. Le Djurdjura reste caché par la croupe que l'on gravit. la. ce qui n'a rien d'étonnant. et quant au pays. 1877. Cette solidarité des intérêts s'accuse dans le groupement même des habitations. couvrant des murs blanchis à la chaux. Près du premier village à côté duquel nous allons et les coutumes (1) HANOTEAU et LETOURNEUX.VILLAGES 13 arabe. la Kabylie et te peuple kabyles. t. qui fit flotter pour la première fois le drapeau français sur les hauteurs de la Kabylie. parallèlement les unes aux autres. ne montre qu'un amas de toits aux tuiles grises. le Kabyle témoigne donc ses préférences pour la communauté de famille. comme sur l'épine dorsale d'un gigantesque vertébré. En colonne Kabylie. sourdi C'est une chanson apprise par quelques-uns à l'école française. 345. Tous se précipitent sur chaque pièce de monnaie. le drapeau de la France qui s'avance. donar sourdi qui s'avance. le dra« peau de la France » une. dans la grande (BEAUVOIS. plus pouilleux les uns que les autres. lorsqu'ils chanteront les Français dans Fort-National. sourdi. Les horions pleuvent autour insurrection les Kabyles (1) Il est probable qu'à la prochaine le Drapeau de la France. notre voiture est assaillie par une bande d'enfants. le drapeau de la France Sourdi. et enseignée par eux à tout ce jeune peuple qui l'arrange à son usage. comme une nuée de moineaux sur une miette de pain. » Trouvant que les sourdis (les sous) n'arrivent pas assez vite. mis« sieu. une. en battant la mesure à tour de bras : « Une. donar sourdi. comme en 1871. qui « s'avance.) « deux . A peine vêtus. sourdi. 1872. ils se mettent à chanter. qui d'une simple chechia. deux. sourdi. La civilisation pénètre ainsi chez les Kabyles.14 HUIT JOURS EN KABYLIE passer. missicu. C'est un tas qui grouille dans la poussière et piaille avec fureur. qui d'une chemise en loques. Nous jetons quelques sous aux enfants qui nous suivent. qui d'un fragment de burnous. à la façon dont l'éducation se répandrait parmi les merles d'une contrée où auraient été lâchés deux ou trois de ces oiseaux auxquels on aurait seriné un air (1). ils nous accompagnent en criant à tue-tête : « sourdi. p. ils chantaient la assiégeaient Marseillaise. deux. un merveilleux panorama s'offre à nos regards. toute la troupe prend la même allure. Par un effet qui se produit toujours en face (1) Les enfants kabyles ne mendient ainsi que sur la route do Fort-National et très probablement par la faute des voyageurs. Ailleurs. » La bande s'égrène un peu le long du chemin .MENDICITE 15 du sou qui change plusieurs fois de possesseur avant de trouver définitivement un maître. chemise trop longue la prennent aux dents pour mieux courir. Nous sommes ainsi escortés jusqu'au sommet de la montée. spécialement dans la tribu des Ouadhias. Certains gamins font plusieurs kilomètres au pas de course. tout se trouve mis en oeuvre pour s'emparer du trésor. Ceux qui sont gênés par une. ils vous saluent avec politesse sans vous rien demander. l'école De cet endroit. On aperçoit toute la chaîne du Djurdjura. . sourdi. ils s'élancent avec la même ardeur. Celte immense muraille. sur le talus presque à pic qui soutient la route ou la domine. la force. criant sans relâche : « Sourdi. où se trouve kabyle-française de Tamazirt. mais elle se reforme avec des recrues dès que nous approchons d'un nouveau village. L'adresse. Quand nos chevaux trottent. et toujours l'un d'eux parvient à mettre la main sur l'objet de sa convoitise (1). nous apparaît dans toute son élévation. Nous avons beau jeter la monnaie dans les ronces ou dans les cactus. la ruse. que nous avons entrevue au passage de l'Oued Aïssi. Rien n'arrête les petits sauvages. grands chefs kabyles. op. Sià Tïzi-Ouzou. suit. il nous faut encore plus d'une heure pour y parvenir.16 HUIT JOURS EN KABYLIE des hautes montagnes. pour leur juridiques gnements et les coutumes kab y les. dans Fort-National. Bientôt après.. tantôt sur un versant. le soulèvement au secours des Français Lounis Vint. qui surent rester fidèles à la France pendant l'insurrection de 1871 (1). coule l'Oued Aïssi. Voir la sur la Kabylie bel ouvrage p. -tantôt sur un antre. de chaînons. situées chargée de réprimer (1) Dés que la colonne expéditionnaire. bien au bas. fut arrivée de la Kabylie. Nombre de villages. 346. Après l'important village d'Azouza. cit. pour revenirpresque au-dessus d'Azouza à Aguemoun. on aperçoit en contre-bas une petite maison à la française. Quoique nous paraissions toucher au but. A un passage où la route se tient sur le flanc Nord. A noire droite. la crête que nous avons atteinte à Tamazirt. nous rencontrons des sources abondantes.) (BEAUVOIS. avec quelques partisans. dont nous voyons distinctement la" citadelle et les remparts. à MM. Hanoteau et Letourneux. mais couvertes de cultures. Plusieurs villages couronnent les points saillants de la ligne de faîte en dessous de laquelle nous circulons.) préface de cet ouvrage. page assiégés des renseic'est lui qui a fourni la plupart Quant à Si-Moula. entre des pentes très escarpées. elle semble avoir grandi de tout ce que nous avons monté. La route fait un immense lacet à gauche. C'est la demeure des deux frères Si-Lounis et Si-Moula. la montée recommence. La route. vont se rejoindre National. maintenant horizontale. 1. chargés aux environs de Fort- . Jusqu'alors. La France a l'honneur d'avoir conquis un pays où l'étranger. et même Romain n'avait jamais pu s'établir. ce qui ménage complètement la vue en aval. date de l'année 1837. c'est une épine dans l'oeil de la Kabylie. en revanche. il ne compte que quelques maisons. . A midi. et de réprimer sur-le-champ toute tentative d'insurrection. Arabe. Comme le disent les indigènes. est peu de chose comme centre de colonisation. c'est une place d'une Fort-National importance capitale au point de vue stratégique. En arrivant de Tizi-Ouzou voit que les fortifications. Si l'on excepte les établissements militaires. la Kabylie était touLa fondation de Fort-National jours demeurée indépendante.FORT-NATIONAL 17 presque au sommet de la montagne. Turc. pendant laquelle le maréchal Randon soumit définitivement toute la région. de sorte que les bâtiments paraissent enfouis dans la verdure. rangées le long d'une rue unique sur le flanc Nord-Est du mamelon couronné par la citadelle. et qu'aucun bassin ne semble alimenter. Mais. on ne Le village n'apparaît que européen. Il est entièrement à Fort-National. Les constructions s'élèvent seulement du côté d'amont. Sa position centrale permet de surveiller un grand nombre de tribus kabyles. lorsqu'on est entré dans l'enceinte. nous entrons à Fort-National. Tout l'espace libre com- pris dans l'intérieur des remparts est planté d'arbres. 18 HUIT JOURS EN KABYLIE Durant la formidable insurrection de 1871, la place, défendue par moins de 700 hommes, dont un certain nombre de mobilisés de la Côte-d'Or, resta deux mois bloquée par les Kabyles des alentours. Un siège en règle fut entrepris, avec mines et travaux d'approche. Les assiégés eurent à repousser plusieurs assauts qui leur firent courir les plus grands dangers, à cause du développement des remparts, trop considérable eu égard au petit nombre des défenseurs. Afin de ménager les projectiles d'artillerie, on fabriqua des grenades avec le zinc des toitures. Quant aux assaillants, ils essayèrent vainement de battre les murs avec une vieille pièce de 4, qu'ils avaient'tenue cachée depuis 1857, mais dont ils ne surent guère faire usage. Les défenses de Fort-National ont été complétées, après 1871, parla construction de deux fortins en face des deux seules portes qui donnent accès dans l'intérieur. De plus, une citadelle, avec enceinte particulière et réduit central, a été établie au point culminant de la place. Située à une altitude de 960 mètres, elle domine au loin tous les environs. Chaque village à portée de canon a été repéré, de sorte que l'artillerie, ne perdant aucun coup, détruirait, en quelques heures, les maisons de 60.000 Kabyles. Pour éviter toute surprise, une compagnie entière d'infanterie est toujours consignée dans la citadelle. Du reste, la garnison se compose uniquement de troupes françaises, à savoir d'un bataillon de zouaves et de quelques artilleurs. INSURRECTION DE 1871 19 Ces mesures militaires ont jusqu'à présent dissuadé les indigènes de renouveler l'expérience de 1871. Le souvenir du châtiment infligé contribue, calme. Sans compter les exécutions capitales qui frappèrent les chefs de la révolte et spécialement les auteurs du massacre des colons contribution exemplaire qui leur fut alors au surplus, à les maintenir dans le de guerre aux rebelles, et recouvrée dans le court intervalle de trois mois (2). La mémoire de l'amiral de Gueydon qui, comme gouverneur de l'Algérie, dirigea la répression avec toute l'énergie d'un marin, est demeurée vivante chez les Kabyles; et, loin de la honnir comme celle d'un exécrable justicier, ils l'entourent au contraire de ce profond respect que tout musulman professe pour le chef dont la puissance, affirmée par des coups de force, a témoigne authentiquement de la protection d'Allah (3). de 1871 n'a pas simplement attiré sur la Kabylie de terribles représailles, elle a encore amené l'établissement à demeure de nombreux mécréants sur L'insurrection un sol qui, jusqu'alors, avait presque échappé à l'in- de Palestro (1), une de dix millions fut imposée et de la répression (1) Voir le récit do ce massacre qui le suivit dans un article de M. Watbled, sur un Episode de l'insurrection de Kabylie, FAlma-Palestro. (Revue des Deux-Mondes, ler décembre 1873, pp. 625 et suiv.) (2| Le père DUGAS, op. cit., page 229. note 1. les idées toutes religieu(3) Voir plus loin, mémo chapitre, ses que se font do la force les musulmans, et notamment les Kabyles. 20 HUIT JOURS EN KABYLIE vasion des colons. Les confiscations de terrains ont, en effet, permis de créer près de vingt villages français, tant dans la vallée de Tisser que dans celle du Sébaou. Quelques-uns de ces derniers sont visibles de FortNational, notamment Azazga, où nous serons dans deux jours. Après avoir déjeuné à l'hôtel des Touristes, l'unique hôtel du lieu, nous sortons, malgré la chaleur, pour aller visiter le village et ses environs immédiats. C'est jour de marché kabyle (1), ce qui nous procure le plus curieux des spectacles. Il est deux heures, et les indigènes qui ont terminé leurs provisions regagnent leurs demeures. Chacun, ayant acheté de la viande, traîne, au gros soleil et a la poussière, son chapelet de petits quartiers saignants, enfilés à quelques brins d'herbe. Ce mode primitif de transport est en harmonie avec le costume qu'ils portent tous. Une chemise de laine blanche-jaune, serrée à la taille par une ceinture de cuir, une calotte rouge que la crasse a rendue presque noire, voilà le fond commun de leur vêtement. La plupart y joignent un burnous d'une couleur douteuse, comme celle de la chemise, et se coiffent d'un énorme chapeau de paille, large comme un parasol, qui abrite leurs épaules. Quant à la chaussure, elle fait généralese tient le mercredi. (1) Le marché kabyle de Fort-National Souk-ell'ancien nom de Fort-National, C'était ce qu'indiquait Arbâ, c'est-à-dire le marché du mercredi. COSTUME 21 ment défaut. Quelques-uns cependant, ceux qui ont à fournir une longue traite, s'enveloppent les pieds et môme les mollets, dans des bandes de cuir maintenues par des cordelettes. Somme toute, le Kabyle, si différent de l'Arabe sous tant d'autres rapports (1), s'habille à peu près comme lui. C'est un personnage à l'extérieur antique et comme un fils de patriarche, qui se draperait dans la toge romaine. L'ensemble produit, à trente pas, une illusion des Mais de plus près, la réalité soumet l'impression esthétique à une rude épreuve. Ces hardes, si pittoresques à distance, ne sont que d'affreux haillons. Les chemises se composent de maints morceaux, plus artistiques. plus ou moins cousus ensemble. Les burnous offrent une foule de déchirures. Certains vêtements sont même si bien percés de trous qu'ils semblent faits moins avec des pièces d'étoffe qu'avec de vieux débris de filets. Au demeurant, cette idée de s'habiller avec des trous est des plus ingénieuses quand, comme le Kabyle, on fait commerce de vermine. Les trous favorisent les échanges, en laissant libres l'entrée et la sortie. De plus, ils ont, en été, l'avantage d'aider à la ventilation. Même en hiver, le Kabyle ne modifie guère sa tenue : il se contente d'endosser deux ou trois burnous, et continue à marcher jambes nues, qu'il y ait ou non de la neige. Les files de Kabyles qui reviennent du marché nous (1) Voir plus loin, chapitre IV, les profondes séparent le Kabyle de l'Arabe. différences qui 22 HUIT JOURS EN KABYLIE indiquent la direction à suivre pour nous y rendre. Nous le trouvons en sortant par la porte opposée à celle par laquelle nous sommes entrés à Fort-National. Le marché se tient en contre-bas de la roule d'Aïn-elHammam, sur laquelle nous nous engagerons tout à l'heure. Le terrain, fortement incliné, est, en quelques endroits, ombragé de magnifiques chênes verts. Des causeurs, accroupis en cercle, tiennent des conférences un peu partout. Les marchands sont installés sous des abris de feuillage. Presque tous vendent de la boucherie, car, le ramadan se terminant dans un jour ou deux, les indigènes sont venus s'approvisionner de viande, afin de célébrer par des festins les fêtes qui marquent la fin du jeûne. Nous nous mêlons aux groupes d'acheteurs, et circulons au milieu des piles de morceaux saignants. Nous passons au bas du marché, vers l'abattoir en plein air où, sans façon, boeufs et surtout moutons sont égorgés et dépecés. Des quartiers pantelants se balancent sur des perches, pendant que des charognards, petits vautours aux ailes d'un jaune sale, décrivent leurs orbes . dans le ciel bleu. La terre, noire de sang corrompu, dégage une odeur cadavérique. Ces scènes de carnage retiendraient peut-être un peintre réaliste. Mais nous n'avons pas encore suffisamment du tempérament de l'artiste, pour dompter les révoltes du coeur et de l'odorat Nous fuyons au plus vite, pas assez vite cependant pour soustraire MmeRobert à une impression de LE MARCHE, PANORAMA 23 dégoût qui, jusqu'à toucher au gigot. la fin du voyage, l'empêchera de Quoi qu'il en soit des causes de notre fuite, nous avons accompli notre devoir d'observateurs consciencieux. Nous méritons quelque repos. Le soleil nous fait rechercher l'ombre. Nous allons nous étendre sous des arbres. De l'endroit que nous avons choisi pour nous reposer, nous voyons la majeure partie de la Kabylie, et presque tout le Djurdjura, dont nous ne sommes séparés que par une vingtaine* de kilomètres. Au dessous de nous, d'étroites chaînes s'éloignent dans toutes les directions, comme les bras d'une pieuvre, dont Fort-National serait la tête. Nous distinguons, à chaque instant, de nouveaux villages que nous n'avions pas encore aperçus. En face de nous, se dresse la masse énorme du Djurdjura, déchiquetée, hérissée de pics, semblable à une forteresse gigantesque, dont les créneaux béants et les tours aiguës défieraient le ciel. La vue dont nous jouissons dans la direction du Djurdjura, bien qu'étant la plus intéressante, ne doit pas nous faire oublier celle du côté opposé, c'est-àdire du côté Nord, le seul que l'on découvre de la rue De profonds ravins descendent jusqu'à la plaine du Sébaou. Celle-ci se trouve bornée par une ligne de hauteurs, au delà de laquelle on soupçonne la Méditerranée. Au Nord-Est, derrière Azazga, s'élève le piton du Tamgout des Beni-Djennad (1278m d'alti de Fort-National. Grault. vient tomber à Maillot. pour Pour le moment. commune dont le siège se (2). Nous prenons donc la voilure qui. ce qu'il faut entendre par administrateur et par commune mixte. il s'agit simplement d'aller coucher à Aïn-el-Hammam (1). que nous aurons à traverser nous rendre à Bougie. au retour. qui m'a mené l'an dernier. par M. Nous y sommes attendus trouve à Aïn-el-Hammam . sans préjudice de celles qui lui servent à marquer les heures intermédiaires. Je renouvelle connaissance avec le père La Verte. s'étendent des montagnes ondulées. Toute sa journée s'encadre entre sa première absinthe de l'aurore et sa dernière au coucher du soleil. A sa droite. dans la vallée de l'Oued Sahel. sur le chemin qui. administrateur-adjoint stagiaire à la commune mixte du Djurdjura. C'est ainsi que négliger celle qui. vient le matin d'Aïn-el-Hammam et y retourne le soir. d'une couleur sombre : ce sont celles qui portent les forêts de l'Akfadou. chaque jour. franchissant le Djurdjura au col de Tirourda. L'excellent homme a des habitudes réglées comme une horloge. à vingt kilomètres de Fort-National. Certaines de ces absinthes font pour lui l'objet d'une obligation sacrée. doit se prendre à la source ferruAïn-el-Hammam Mi(1) Aujourd'hui s'appelle officiellement chelet. môme chapitre.24 HUIT JOURS EN KABYLIE tude). (2) Voir plus loin. C'est un type accompli de conducteur jovial à figure rubiconde. à condition de ne pas s'opposer à leur coutume de suivre le chemin. lui dit sèchement le père La Verte . éviter le précipice et arriver à destination. » Et Monsieur le sous-préfet attendit. ses chevaux. c'est ici que je prends mon absinthe. vis-à-vis du Djurdjura. tandis que les indigènes risquent de le retarder ou même de le faire verser. il ne leur dispense qu'avec parcimonie les coups de fouet réservés aux indigènes qui ne se rangent pas assezvite sur son passage. en corniche horizontale. Aussi le sous-préfet de Tizi-Ouzou. La route d'Aïn-el-Hammam se déroule pendant près de quinze kilomètres. « J'ai mes habitudes. Plein d'égards pour ses chevaux. car. Monsieur le sous-préfet voudra bien m'attendre. Au reste. s'attira-t-il une verte semonce. quand surtout on lui témoigne quelque faveur. La pente presque à pic va se perdre dans des ravins sans fond. sur le flanc Nord de la chaîne qui continue celle le long de laquelle ce matin nous sommes montés de Sikh-ou-Meddour au bord de l'Oued Aïssi jusqu'à Fort-National. constituerait un manquement des plus graves. s'étant une fois permis de témoigner son impatience contre l'arrêt obligé du dixième kilomètre. le père La Verte est le meilleur des amis. en cas de besoin. quand on ne le contrarie pas dans ses habitudes. savent tout seuls. Cette équitable distribution accuse chez lui la plus grande sagesse.LE PERE LA VERTE 25 gineuse du dixième kilomètre. De l'autre côté se dresse la chaîne des Beni-Yenni. avec ses trois pi2 . sous le nom d'objets kabyles. celles d'armuriers et d'orfèvres. beaucoup plus ancienne. Nous franchissons un col. à savoir celles de receleurs et de faux monnayeurs. se trouve installée dans le village que l'on aperçoit à droite. Aït-Mimoun. ils exercent. avec le plus grand succès. sur une éminence. le village deTashenfout. nous apercevons derrière nous. Les Beni-Yenni forment l'une des tribus les plus difficiles à gouverner. Aït-el-Arba. les marchands de curiosités indigènes. Ce sont les produits de leur art que vendent à Alger. tingue une petite maison française : c'est une école récemment construite par l'administration. par lequel nous passons dans le haut d'une vallée s'ouvrant au Nord. Nous mettons plus d'une heure à parcourir tous les détours du chemin. au pied duquel nous avons passé tout à l'heure sans nous en douter. Une autre école. qui fait notre admiration par sa singulière ressemblance avec ceux de la Savoie et de la Nor- . mais aussi l'une des plus intéressantes. A côté de professions difficilement compatibles avec l'ordre public. Il eût été vraiment dommage de ne pas voir ce village. Arrivés presque au sommet. établie par les Jésuites et dirigée aujourd'hui par les Pères Blancs du cardinal Lavigerie. constamment en face de la chaîne des Beni-Yenni. et nous abordons la montée qui doit nous conduire à Aïn-el-Hammam.26 HUIT JOURS EN KABYLIE tons couronnés chacun d'un village. Un peu en bas du on disvillage qui se trouve au milieu. Ses quarante et quelques habitants ne comprennent. car l'eau manque en été. sur le versant Sud d'un mamelon qui le domine d'une centaine de mètres. et spécialement des questions algériennes. au terme de notre étape. Les maisons disparaissent à moitié au milieu de frênes splendides. Mais comme il arrive presque toujours. en effet. lorsqu'on s'avise en France de traiter des questions coloniales. qui nous ramène en face du Djurdjura. pendant l'hiver. appartenant presque toutes à l'État. Il se compose de quelques maisons seulement. le terrain. que des fonctionnaires. Cette composition anormale d'un village de fonctionnaires provoquait.AIN-EL-HAMMAM 27 mandic. de nature argileuse. Après avoir traversé un nouveau col. la critique. La tour de la mosquée domine le tout : on dirait le clocher d'une église. et. est éloigné de toute agglomération indigène. en dehors des cabaretiers. se trouve sujet à des glissements. l'emplacement laisse beaucoup à désirer. Aïn-el-Hammam ne compte pas de colons. c'est pour cet excellent motif qu'il ne s'y trouve aucune place pour la colonisation. il y a quelque temps. Aïn-el-Hammam est bâti à plus de 1100 mètres d'altitude. Il n'y a aucun colon. Le village. Si. frappe à faux dans le cas en question. . Choisi par le génie militaire. les railleries d'un journal parisien. qui pourrait cependant trouver prise en plus d'une matière. entièrement français. nous sommes bientôt à Aïn-el-Hammam. 12. p. de 1886 a été mieux fait que celui de 1881.l'état habituel d'indivision de l'Algérie. elle en a donné 3. de plus. Il ne faut donc pas songer à coloniser les monet de. Or.. fort onéreuses pour l'État. III.704 hectares de la commune sont occupés par 56. pp. la population A la faveur de la sécurité dont elle jouit. les Kabyles compteraient 199 naissances le rang pour 100 décès. 10 et suiv. que de 71 habitants par kilomètre carré (2). les 23. gène augmente. A moins d'expulser en bloc plusieurs tribus d'introduire le moindre kabyles. 1884). 240 habitants au kilomètre .000 au recensement 1886. tableau administratives (1) Voir Circonscriptions du gouvernement. il faut un territoire libre d'habitants. M. Les acquisitions de terrains ne peuvent guère se faire de gré à gré. Ce à ce que le recensement en chiffre artie.000 âmes. département ci-après le d'Alger. c'est-à-dire qu'en 5 ans elle aurait crû de 420.842. à cause du morcellement extrême de la propriété (3). c'est-à-dire près de trois fois et demie plus dense qu'en France. chaque rapidité. (3) Voir ci-dessus. Des expropriations pour cause d'utilité publique seraient presque aussi difficiles et. ce qui fait une population de carré. p. il est impossible colon.921 indigènes (1). où elle n'est. 80. peut être attribué. indiavec une grande année.262. 30 septemdressé par le secrétariat général — Voir aussi bre 1887. ce qui leur vaudrait de peuple le plus prolifique du monde entier. en moyenne. étant donnée l'extraordinaire croître. dans son Cours de sociologie indigène D'après (voir le Petit colon du 16 déc. chapitre en Knbylie no fera que s'ac(2) La densité de la population fécondité de la race. Mais il n'en révèle un notable accroissement du nombre des indipas moins gènes. note4. Sabatier. recensement de 1881 elle comptait Tandis seulement qu'au 2.000 do âmes.28 HUIT JOURS EN KABYLIE Pour coloniser. 1881-1884. La densité de la population indigène.. appelée commune mixte du Djurdjura. Ces trois fonctionnaires sont chargés de l'administration proprement dite. Comme toutes les communes mixtes (2) qui. a nécessité l'établissement d'un centre administratif pour un territoire équivalant à un arrondissement de France. Administration mixtes. p. entre civil en Algérie se trouve (2) Tout le territoire réparti deux sortes de communes : les communes de plein exercice sur ces (Voir plus loin. a créé un certain nombre de villages (i). quelques renseignements et les communes sur l'organisation mixtes. Mais il en est tout autrement pour les vallées de l'Isser et du Sèbaon. DE des communes PEYRE.. dans le Tell et dans une grande partie des Hauts-Plateaux. Le nombre des fonctionnaires est des plus modestes. est dirigée par un administrateur et ses adjoints.C'est seulement dans ces deux régions qu'après l'insurrection de 1871 le gouvernement. dernières) des communes CHARPENTIER. ainsi que de la police administrative et même judiciaire. pp. COLONISATION 29 tagnes de Kabylie. 52 et suiv. 19. (Voir. ont remplacé les bureaux arabes. la commune mixte qui a son siège à Aïn-el-Hammam. eu égard à celui des administrés. L'administrateur est assisté par (i) Voir plus haut. chapitre II. ayant pu accomplir la confiscation d'un territoire presque désert.POPULATION. qui presque partout rend impossible toute colonisation. Telle est la cause qui a fait créer Aïn-el-Hammam. ou cit. dont les habitants se trouvent encore clair-semés.) . mixtes. servir de refuge à la population européenne. Nous cédons à la douce violence qui nous est faite. (SAUTAYRA.) Los juges de paix ont reçu une compétence étendue.30 HUIT JOURS EN KABYLIE une commission municipale (1). a. elle est garnie des fusils nécessaires à la défense de la place. déterminée spécialement pour chaque ressort. élus par les citoyens inscrits sur'les bres français français listes électorales en nombre fixé par les arrêtés du gouverneur mixtes. Quant à la justice. p. dans la salle d'honneur. memc'est à-dire les chefs de différentes 3° quelques tribus. sorte de spahis aux ordres de l'administrateur. les communes général créant et organisant a été organisée on Kabylie (2) La justice par un décret du 29 août 1874. 1878. C'est chez l'administrateur Nous entrons . la force armée se compose d'un garde champêtre. complice d'un aimable guet-apens organisé par M. Grault. que nous dépose le père La Verte. municipale (1) La commission de conseils municipaux. Il habite généralement un bordj. percé de meurtrières et flanqué de petites tours formant bastions. dans les communes mixtes. comme tous les bordjs. Dans toutes les communes mixtes. elle est rendue par un juge de paix et son suppléant (2). en cas d'insurrection. Enfin. Elle a pour membres : les attributions 1° l'administrateur. et d'environ six cavaliers d'administration. de cinq gendarmes. l'administrateur est logé aux frais de l'État. Le bordj d'Aïn-el-Hammam est. indigènes. c'est-à-dire une maison forte. Législation de l'Algérie. pouvant. 2° les adjoints président. 397 et suiv. et nous nous laissons conduire dans une prison qui nous ménage la plus charmante hospitalité. ainsi D. Chaque crête en porte trois ou quatre. les pics déserts et incultes du Djurdjura. que j'ai déjà vu l'année dernière. où des prisonniers indigènes sont enfermés dans un cachot. depuis le village de Boglmi. sur quarante kilomètres de longueur. puis. beaucoup plus confortables que la cellule d'arrêt. le Raz-Timedouine (2305m).. Dans un rayon de dix kilomètres tout au plus. enfin. le pic d'Haidzer (2I23m). C'est d'abord.ADMINISTRATION. formant le plus singulier contraste. D. jusqu'au col de Tirourda. D'abruptes ravins. sur la gauche. Toute la chaîne développe son mur de rochers presque verticaux. le Lella Khredidja (2308m). dont la . au-dessus de Boghni. nous admirons le plus beau des panoramas. M. vers la droite. qu'à Mme De la terrasse qui. Dès que nous avons achevé une toilette sommaire. Des villages tout blancs. semblables à des amas d'oeufs. en été. pullulent de tous côtés. M. au milieu. et nous sommes amenés dans de jolies chambres. tient lieu de salon. LE DJURDJURA 31 nous traversons la cour. nous en distinguons près de cinquante. se dressent. Son altitude moyenne dépasse 2000 mètres. qui se trouve tout au bas de son extrémité Ouest. Granit nous présente à l'administrateur. s'enfoncent au-dessous de nous. Au delà de cet espace si peuplé et si cultivé. à son extrémité Est. qui constitue presque le point culminant . aux pentes couvertes d'arbres et de cultures. C'est cette qui d'où il est caché par le Razse présentant par le travers sur les rochers du Talese profilent. D'Alger. pour situation le Djurdjura Nord. sur le chemin de fer de Gap à Grenoble. on se trouve complètement désorienté au milieu de ses souvenirs et de ses comparaisons. telle qu'elle apparaît à la descente de Lus-laCroix-Haute. peu. On éprouve d'abord cette sensation de surprise et d'embarras qui ne manque pas de se produire quand. Tout cet ensemble de pics et de rochers rappelle les grandes chaînes des Alpes. en face de nous. on repousse bien loin tous ses souvenirs. on abaisse les yeux sur le pays qu'il domine. on reconnaît Puis. revenu à la réalité. ayant cru aborder une de ses vieilles connaissances. on observe l'harmonieuse opposition de la montagne et de la vallée. la vue s'arrête tat. notamment la chaîne de l'Obiou. du Djurdjura. appartient. encore la chaîne des Aravis vue du Grand- Mais si. ou bien Bornant. qui mesure 2312 métros d'altimontagne tude. toute idée de comparaison avec des paysages connus vient profonde admiration se fondre dans un sentiment de et. saisi par le spectacle. en arrière et au sud de la chaîne proprement le rend invisible d'Alger. . do l'Aurès. son erreur. lorsque. Le Lella Khredidja forme une pyramide isolée. il est vrai. pour se mieux n'est pas le sommet le plus élevé de (1) Le Lella Khrodidja Cet honneur de fort. Timedouine. à une l'Algérie. dont les dentelures fantastiques le moment. dite.32 HUIT JOURS EN KABYLIE cime est la plus élevée du Djurdjura (1). le Chélia. Tout entiers à la vue. l'Algérie. (FONCIN. L'hiver y est froid. D. nous fait les honneurs d'oeillels de à grand'peine. avec un peu plus de chaleur durant la belle saison (2). notamment le châtaignier (1). la neige couvre souvent le sol. 1888.. p. p. 77. par un arrosage suffisant. Pour le moment. mais l'été y est fort tempéré. les semis encore trop jeunes pour braver la sécheresse de l'été. 9. et qui ne pei. do Bône. Ces tentatives sont malheureusement entravées par la pénurie d'eau qui empêche de sauver.t être mis en parallèle qu'avec lui-même. C'est presque le climat des plateaux de l'Auvergne. d'Alfred dans la France coloniale Rambaud.) (2) Voir ci-dessus. A tout le moins. nous respirons avec délice l'air frais de la montagne toujours plus vif à la chute du à l'état sauvage que ne pousse en Algérie (1) Le châtaignier aux environs dans le massif de l'Edough. Il y a là aussi une pépinière. France entretenus .LE CLIMAT 33 pénétrer d'un tableau unique au monde. vient de l'emplacement du village qui se trouve presque sur un faîte. ce n'est pas sans peine que nous nous y arrachons pour jeter un coup d'oeil sur le jardin où M. Ce manque d'eau.. Aïn-el-Hammam jouit d'un climat salubre. qui ne permet pas de satisfaire complètement même les besoins personnels des habitants. dans laquelle on essaye d'acclimater certaines essences. que les Kabyles subtitueraient avantageusement au chêne à glands doux dont ils tirent une mauvaise farine. 34 HUIT JOURS EN KABYLIE jour. Le soleil projette ses derniers rayons. Les villages qui, tout à l'heure, brillaient comme autant de points blancs, se cachent bientôt dans l'ombre. Les rochers, dont la teinte naturellement rouge s'enflammait encore éclatante, pâlissent tout à coup. Tout s'éteint, la nuit tombe rapidement (1), et du tableau éblouissant que nous contemplions quelques des feux d'une lumière instants auparavant, il ne reste plus que le Lella Khredidja (Madame la Sorcière, disent les Kabyles), se détachant comme un spectre sur le bleu sombre du ciel. Le brusque dénoûment du spectacle féerique auquel nous venons d'assister nous rappelle à la réalité des choses. Précipités des hauteurs de l'idéal, nous retombons sous l'empire de la nature, et nous devons songer à dîner. Des feux s'allument de tous côtés, même sur des points où nous étions loin de soupçonner des habitants : ce sont les lumières qui éclairent les salles en plein air où mangent les Kabyles. Nous allons nous restaurer comme eux et, à cet effet, nous nous rendons à l'hôtel des Touristes. M. Grault, qui nous a si bien pris au piège chez l'administrateur, nous conduit et nous lient compagnie pendant le reste de la soirée. Naturellement, nous causons beaucoup de la Kabylie et des Kabyles. Le grand événement d'Aïn-el-Hammam , c'est enpublique. core la visite du ministre de l'instruction (1) Le crépuscule est beaucoup plus court on Algérie qu'en France, à cause do la proximité do l'équateur. LE SOIR. LE VOYAGE MINISTÉRIEL 35 Venu en Algérie avec la caravane parlementaire qui, dans le courant d'avril dernier, a traversé tout le pays, M. Berthelol n'a pas reculé devant un pénible voyage en Kabylie, afin d'étudier sur les lieux les questions d'enseignement primaire des indigènes. Il a tâché de tout voir en personne, inspectant plusieurs écoles kabylesfrançaises, interrogeant les élèves, étonnant un chacun par son activité et ses efforts pour juger parlui-même (1). Un brillant accueil lui avait été ménagé par l'administration, grandement secondée par les indigènes. Des arcs de triomphe se trouvaient dressés sur le parcours qu'il devait suivre ; deux cents indigènes, montés à mulets, l'attendaient à l'entrée de la commune pour lui former un cortège; la poudre se faisait entendre de tous côtés. M. Berthelot fut un instant effrayé, croyant que les Kabyles venaient pour l'enlever. Mais en apprenant que tout se faisait en son honneur, il se calma bien vile et se montra enchanté de l'immense affluence de population accourue de tous côtés. M. Berthelot fit une entrée solennelle à Aïn-el-Hammam. (1) Quoique temps après mon passage à Aïn-el-Hammamj'ai entendu dire de différents côtés que, malgré son désir de se faire des idées justes en voyant tout par lui-même, M. Berthelot n'en avait pas moins été victime dos erreurs auxquelles se trouve fatalement exposé un voyageur officiel, surtout s'il est ministre. Dans une école où l'on avait l'intention d'établir le travail manuel pour les enfants indigènes, il a cru que la boîte d'outils servait à l'instruction dos élèves et que les tabourets et les coffres avaient été faits par les jeunes apprentis. Or, la boîte d'outils n'avait pas encore servi et les objets regardés comme l'oeuvre dos petits Kabyles avaient été achetés chez un marchand d'Alger. 36 HUIT JOURS EN KABYLIE En s'empressant d'organiser une magnifique réception pour le ministre, les Kabyles espéraient, sans doute, faciliter l'accueil des requêtes qu'ils lui ont soumises en grand nombre. « La République est un gouvernement de justice, a toujours répondu M. Berthelot. Je soumettrai vos demandes au Conseil des ministres.Elles seront examinées avec toute l'attention qu'elles méritent. Interprète, traduisez. » Parmi les suppliques adressées au ministre, il en est une qui fut présentée dans une forme des plus singulières. A un certain endroit du chemin, des galettes, jetées par des indigènes, vinrent s'abattre sur le break ministériel. Faites de son et de paille hachée, elles contenaient de la terre, de la bouse de vache, des ingrédients de diverse nature. Le ministre, presque effrayé, demanda la cause d'une aussi étonnante manifestation. L'interprète lui apprit queles galettes étaient autant d'exemplaires d'un même placet symbolique : les indigènes réclamaient contre l'aggravation de l'impôt, en montrant la nourriture à laquelle ils se trouvaient réduits. Ces doléances, exprimées d'une façon que n'auraient pas désavouée les sujets du roi Makoko, se trouvaient motivées par une récente augmentation de la lezma , c'est-à-dire de l'impôt de capitation qui, en Kabylie(l), pèse sur tous les hommes susceptibles de porter les lezma avait eu pour armes. Jusqu'à l'année présente, (1) Dans le sud de l'Algérie, il existe une autre lezma, à savoir une taxe sur les palmiers. espèce de LES SUPPLIQUES, L'IMPOT. 37 base la répartition des contribuables en quatre classes d'après leur fortune présumée : une classe, comprenant les plus pauvres, n'était pas imposée ; les trois autres payaient 5, 10 ou 15 francs par tête. Depuis le Ier janvier 1887, il existe, en vertu d'un arrêté du gouverneur général du 9 septembre 1886 (1), deux autres classes qui doivent respectivement 50 et 100 francs. Elles comprennent seulement les gens les plus riches, et par conséquent très peu d'individus (2). Ceux-ci ont fait entendre de tous côtés des protestations, en associant à leur cause ceux-là mêmes qui ne se trouvaient pas atteints par le nouveau système. La visite du ministre en Kabylie a été l'occasion d'un redoublement de plaintes. Mais les véritables intéressés, parmi lesquels figurent tous les personnages influents, ont dissimulé leur petit nombre derrière" le menu peuple qu'ils ont su décider à réclamer à leur place. Comme cela se produit souvent, même ailleurs qu'en Kabylie, une très faible minorité a eu le talent de se faire défendre par une immense majorité complètement désintéressée dans la question. Ce sont des gens appartenant aux classes dont l'imposition n'a pas été modi(1) Voir cet arrêté, ainsi que le rapport qui en a préparé les et de jurisprude législation termes, dans la Revue algérienne dence, 1886, 3° partie, pp. 212et suiv. du gouvernedu secrétaire général (2) D'après un rapport 3.000 sur 85.000 contribuables. mont, ils sont environ (Voir ce de législation et de jurisprurapport dans la Revue algérienne dence, 1886, 3° partie, p. 215.) 3 38 HUIT JOURS EN KABYLIE fiée, et surtout à la classe exempte de capitation, ont jeté les galettes. qui Rendues célèbres par les journaux, ces galettes ont apitoyé en France certains publicistes, qui se sont immédiatement faits les champions du peuple kabyle .(1). Que ces âmes sensibles se rassurent : aucun indigène n'a jamais partagé la nourriture des lombrics et des bousiers. M. Berthelot a eu le tort d'accepter une démonstration insuffisante : il aurait dû exiger qu'en sa présence chaque pétitionnaire avalât son placet. Les réclamations des Kabyles n'en ont pas moins un certain fondement. La lezma est sujette à la critique dans ses principes et surtout dans ses applications. D'abord, au point de vue théorique, cet impôt ne présente pas une élasticité suffisante. Consistant dans une capitation graduée, il est moins une taxe personnelle qu'un impôt sur le revenu. Or, avec cinq classes seulement de contribuables, dont la moins grevée paye 5 francs par tête et la plus grevée 100 francs, il n'est pas possible d'imposer chacun proportionnellement à son revenu, étant donné surtout qu'il y a un trop grand écart entre les trois catégories les plus frappées et respectivement taxées à 15, 50 et 100 francs. PAUL LEROY-BEAULIE, op. cit., p. 211.— (1) Voir notamment L'éminent publiciste propose, comme remède à la situation, « d'accorder aux indigènes des droits électoraux algériens « pour qu'ils puissent faire entendre leurs plaintes dans le Par« lement. » (Voir plus loin, chapitre II, ce qu'il faut penser de cette idée.) L'IMPOT 39 De plus, la lezma ne concernant que les hommes susceptibles de porter les armes, mais les concernant tous, un chef de famille est imposé, non pas, à vrai dire, d'après ses ressources, mais eu égard aunombre de ses enfants mâles. S'il est seul ou s'il n'a que des filles, il ne paye qu'une seule fois. Si, au contraire, il a beaucoup de garçons, il est frappé de plusieurs taxes. Aussi voit-on des pères mettre leurs fils à la porte, pour se décharger. Telle qu'elle est actuellement perçue en Kabylie, la lezma a donc une assiette défectueuse. Le remède consisterait dans la confection d'un cadastre, qui permettrait de donner une meilleure base à l'impôt de capitation, et même de lui substituer un impôt foncier frappant toutes les terres (1). Mais ce serait là une oeuvre très difficile, sinon impossible, à cause du morcellement excessif de la propriété. Le sol est subdivisé en une foule innombrable de parcelles et, de plus, celles-ci appartiennent souvent par indivis à plusieurs ayants droit (2). Il faudrait faire les plus grands efforts pour lever des plans fatalement inexacts et déterminer approximativement les redevables. La seule chose pratique serait de faire faire par les administrateurs une évaluation de la fortuné immobilière de chacun, et de percevoir la lezma en conséquence. (1) Une loi du 23 décembre 1884 a bien établi une contribution foncière, mais seulement sur les propriétés bâties. (2) Voir sur le régime de la propriété, ci-dessus, pp. 11 et suiv. les individus ayant une fortune moyenne. qui payent 10 francs. les individus les gens ayant une réelle aisance. modifiant la classes base de la capitation (1). richesse. de la fortune qui seuls ont quelque idée de chaque indigène. à l'arrêté du conformément gouverneur général du 9 septembre 1884. Mais. taxés à 15 francs. S'ils procèdent par et de jurisprudence. les répartiteurs. 1886. Ce travail En effet. à 100 francs. 212 et suiv. qui sont exempts de contribution. fortune moyenne. pp. de législation (1) Revue algérienne 3° partie. Aussi le parti le plus sage pour eux est-il de s'en rapporter absolument aux renseignements des administrateurs. encore imparfait sans cloute. doivent. ce premier point établi.40 HUIT JOURS EN KABYLIE Ce système. C'est donc au foncchargé de dresser les rôles à se faire un critérium à cet égard. est des plus l'arrêté du faute de base certaine. les individus ayant des ressources médiocres. qui sont tenus de 50 francs. vaudrait beaucoup mieux que celui présentement appliqué. comment connaître les ressources des divers contribuables? tionnaire Les répartiteurs sont généralement à la étrangers région où ils opèrent. A l'heure actuelle. les cotes sont fixées par une espèce particulière Ce sont eux qui de fonctionnaires. ressources médiocres. gouverneur général n'a pas indiqué ce qu'il fallait entendre par indigence. . former les'différentes en déterminant les indigents. auxquels on demande 5 francs. enfin les gens très riches imposés délicats. grande richesse. riches. d'après les apparences. Mais on ne saurait dire que la lezma constitue. elles sont en moyenne d'une trentaine de francs par redevable dans le département d'Alger. pour l'ensemble des indigènes. Certains Kabyles se sont trouvés quatre fois plus imposés que d'autres. Étant donnée la composition des différentes classes. Beaucoup de réclamations sont donc fondées. en effet. ils s'exposent à faire de la mauvaise besogne et à commettre des erreurs. ce qui. plus d'une injustice a été commise. par exemple suivant la-plus ou moins grande propreté du burnous de l'indigène. G ou 7 francs par individu imposé . c'était en moyenne. Pour cesser d'être inutiles. un impôt écrasant. avant l'introduction du nouveau système. . L'augmentation prévue par le gouvernement général est en chiffres ronds seulement de 150.000 : la consont dus par les Kabyles (1) Trois autres impôts tribution sur . La lezma est à peu près l'unique contribution payée par les Kabyles (1).L'IMPOT 41 eux-mêmes. les sont fixées à trois journées de travail prestations par homme et par bête de somme. les répartiteurs sont fatalement amenés à juger au hasard. la lezma : la contribution foncière no délégère par rapport passe pas. les uns se trouvant grevés à concurrence du quart de leur revenu. Mais leur somme ne constitue qu'une charge à. les prestations les patentes. quant aux patentes.000 francs à répartir entre 3000 individus.les propriétés foncière et bâties. pour un total de 85. une taxe de 10 francs par tête imposée. tandis que les autres l'étaient seulement sur le pied d'un seizième. Avec un pareil système. 1887. Ils ont généralement des rentes considérables montant. une charge de beaucoup inférieure à celle supportée par le paysan français qui paye parfois jusqu'au tiers de son revenu. Voir aussi les procès-verbaux seil supérieur de gouvernement. (3) Voir le rapport et de jurisprudence. pour 50.732 (2) Dans la commune en 1886. portera à 12 francs la moyenne de l'impôt par redevable (1). pour certains. note. du secrétaire général du gouvernement. La plupart des indigènes. elle monte à 208. 1880. (1) Voir le rapport et de jurisprudence. 3» partie. cit. jusqu'à 10 ou 15. Mais ces erreurs ne constituent que des cas particuliers et ne doivent pas faire condu secrétaire général du gouvernement. dans la Revue algérienne de législation du Con3e partie. p.433 francs. pp.LEROY-BEAULIEU.000 francs (3) . 313 et suiv. C'est en définitive. (5) Voir notamment . de législation dans la Revue algérienne 1886. 215 et suiv. 211. à 157. la contribution ne dépassera pas 4 francs par habitant (2). Exiger d'eux 100 francs d'impôt. Comme les hommes susceptibles de porter les armes se trouvent seuls taxés. p. la lezma s'élevait. c'est-à-dire qu'elle a été augmentée de près d'un quart. ne sont guère à plaindre. l'appui PAUL.42 HUIT JOURS EN KABYLIE contribuables environ. En 1887. habitants. 310. mixte de Fort-National. dont la capitation a été augmentée par suite du nouveau système de répartition. op. pour le Kabyle.. est-ce vraiment les écraser sous le faix de « ces surtaxes énormes » dont on a fait un si grand bruit (5) ? On ne saurait contester qu'il ait été commis des erreurs de répartition. quelques-uns même sont millionnaires (4). pp.020 francs. du chapitre II un exemple à (4) Voir au commencement de cette assertion. 215. on a déjà dressé lés rôles d'imposition chez les tribus les plus difficiles. s'est-il produit très peu de réclamations. . un ancien tirailleur. Leur nombre a d'ailleurs beaucoup varié de commune à commune. en mai 1888. en certains endroits. qui avaient été seulement au nombre de 30 on 1887. Berlhelot. Tous sont du reste travailleurs et industrieux.Mais ils savent vivre presque de rien. Depuis le passage de M.000. m'a dit avoir vu s'enrichir tous les habitants dos alentours. du travail aux indigènes. afin de chercher hors de chez eux les (1) Passant do nouveau. L'ÉMIGRATION 43 damner le principe de l'augmentation de la lezma. les réclamations. sans qu'aucune protestation se soit fait entendre contre le nouveau système (1). et encore toutes celles qui se sont produites n'ont-elles pas été reconnues fondées. un grand nombre émigrent périodiquement. on assurant. selon le répartiteur et selon l'administrateur. en 1888. a ordinairement accru leurs moyens d'existence et leur bien-être. j'y ai appris que le paiement de la lezma n'avait. se sont. Aussi. L'agriculture ne pouvant suffire à les nourrir sur un sol naturellement ingrat.L'IMPOT. mène une existence de rentier. que l'année précédente. avec 250 francs de pension par an. soulevé de difficultés. Tel est le cas à Aïn-el-Hammam. par exemple. Les Kabyles sont généralement pauvres (2) . dirigeant depuis plus de vingt ans une grande exploitation en Kabylie. pas plus — A Mékla. Une personne. Ainsi. N'y aurait-il pas eu la quelque coup monté par les indigènes do la localité ? (2) Le voisinage des colons. par contre. élevées au chiffre do 2. à Aïn el-Hammam. Les prêteurs arrivent ainsi à placer leur argent à un taux qui oscille entre 33 et 80 % par an (3). publiée en l888. Leurs bénéfices servent à acquérir quelque morceau de terrain. louer leurs bras aux colons. auxquels ils procurent une main-d'oeuvre à bon marché (2). parue en 1885. Auguste et concerne un bordier Geoffroy. le prêt à la petite semaine d'un marché à l'autre étant l'une des -plaies de la Kabylie. Les grandes fortunes sont moins rares qu'on ne le croirait. gagner se paye de 30 à 40 sous par (2) Un travailleur kabyle jour. Les uns se livrent au métier de colporteur (1) . par monographies conséquent. première. je ne puis apprécier . Elles ont généralement commencé par le commerce et l'économie. des Kabyles. on peut conles ressources (3) Pour apprécier éditées par la société d'économie sulter deux monographies. les habitants mixte du Djurdjura. leur vie en cultivant laterre chez les colons.La a pour auteur M. berbère de la tribu des Beni-Yaïssi. La sociale dans son recueil des Ouvriers des Deux-Mondes. au printemps. Comme les montagnards de toutes les régions. est l'oeuvre de M. ils rentrent chaque année dans leur pays. de quelle façon a été faite la dernière de ces deux J'ignore sa et. car ils aiment passionnément la propriété foncière. à en juger par le dehors misérable de tous les indigènes. mais elles s'accroissent par l'usure. pour lequel ils ont un véritable culte. font (1) Dans la commune tandis que dans celle d'Azeffoun ils vont surtout du colportage. Darasse et a pour émiobjet une famille de paysans en communauté et colporteurs seconde.44 HUIT JOURS EN KABYLIE ressources nécessaires pour vivre. grantsdeTabou-Douched-el-Baar. les autres vont. ne dépasse ses concitoyens en science. L'ÉGALITÉ 45 . . Il m'a dit n'être pas marié. tous ont un extérieur des plus sordides. quant à la première. Aucun. Les idées égalivaleur. 3.alors que le mètre d'étoile lui coûterait détails sur la démoII. chapitre cratie en Kabylie. quelques (i) Voir ci-après. nombre d inexactitudes. alors qu'on lui attribuait une femme . marchand à Alger. Tous ont des habitudes identiques et sont plongés dans l'ignorance la plus absolue. il a surtout protesté contre le prix intime de son pantalon coté 4 28 francs. Son auteur n'a pas étudié sur les lieux la famille qu'il décrit. francs. il s'est contenté de renseignements recueillis à la dérobée auprès de l'un des membres de la famille. et portent les mêmes vêtements sales et déguenillés.LE GENRE DE VIE. Mais une raison plus profonde a empêché une distinction de s'établir entre une classe pauvre et une classe aisée : c'est la complète ressemblance de tous les indigènes sous le rapport de l'éducation et de l'instruction. par conséquent.Riches et pauvres mènent à peu près le même genre de vie. un certain elle renferme Mais. son grand étonnemont celui-ci lorsqu'à je lui ai montré la brochure dont il ignorait avoir été l'objet. Le millionnaire est en haillons. Comment expliquer cette singulière identité d'apparence entre la misère et la fortune ? — On peut en trouver une cause dans les sentiments démocratiques qui ont toujours fait loi en Kabylie (1) et obligé la richesse à se cacher sous les dehors de la pauvreté. La différence entre le mendiant et l'individu aisé ne s'accuse que dans l'intérieur de la maison et seulement par la qualité de la nourriture. C'est l'égalité dans un dénuement réel ou affecté. Aussi pouilleux les uns que les autres. C'est du moins ce que d'objets indigènes m'a appris. L'abaissement du riche au niveau du pauvre est encore dû. pas plus. négliger les signes distinctifs et se montrer d'un abord facile. Il n'en est pas de même en Kabylie. pour une partie. une fierté d'attitude. .pour ses inférieurs. cherche un abri sous un appareil misérable. Le dernier des mendiants a naturellement une distinction de maintien. L'homme influent se perd au milieu de la foule. au milieu desquelles on doit acheter son rang par la distance imposée à ses subalternes. de même que les Kabyles. comme ils ont le culte do la hiérarchie. D'autre part. égaux en ignorance. le grand chef peut. En France. parce que. Voilà aussi pourquoi il ne répugne nullement àuseravec tout le monde d'une familiarité qui paraîtrait intolérable au moindre parvenu de ces grandes démocraties européennes ou américaines. Le riche. La misère n'emporte pas chez les Kabyles les conséquences qu'elle produit presque fatalement chez les peuples civilises. l'égalité. à certains égards. dans une certaine mesure. le pauvre n'est que trop souvent grossier et abruti. que dans le reste de l'Algérie. Voilà pourquoi il porte le même costume qu'un homme du commun et no s'en distinguo guère que par le nombre plus considérable de ses burnous. En effet. désormais. une élégance de manières. ils sont tous. à la réalité des choses (1). d'ailleurs. il ne lui est possible de la diriger qu'à la condition de ne pas laisser paraître son empire. les Arabes pratiquent.46 HUIT JOURS EN KABYLIE taires des Kabyles se trouvent ainsi répondre. qui lui donne la tournure de l'homme (1) Quoique pétris d'idées aristocratiques. sans craindre de voir son rang méconnu. quelle que soit leur condition sociale. ou des comptes à lui rendre. à la crainte de l'autorité française. redoutant des vexations de la part du gouvernement. hors d'état de se défendre se trouva ainsi sauvé. Mais s'ils adorent la force brutale. . ni repoussant. comme pour tous les muaffreusement misérables. le pouvoir c'est la force matérielle se manifestant dans toute sa brutalité . Vaincus par les signes non équivoques d'une justice expéditive . apprit par ses émissaires qu'un complot chez les tribus encore insoumises . un officier supérieur. de venir conférer avec lui la veille du do leurs projets. ils lui rendent un culte bien moins bas que ses fidèles d'Europe : la force est le signe d'une mission dévolue par Dieu. mettant en lumière cette (1) Voici. par lui-même.qui devait plus tard être assassiné pondant l'insurrection du sud Oranais de avait été ourdi 1864. vant sur la place du marché. orga. La dignité extérieure sulmans. immédiatement Le lendemain. entre mille. avait depuis longtemps noué des relations Beauprêtre avec les chefs indépendants eux. Pour eux. elles comptaient kabyles du bordj de Tizi-Ouzou à la faveur de la réunion du s'emparer marché. je le tiens d'une personne qui a longtemps lo pays. La plupart des indigènes ont de ces accoutrements qui déshonoreraient le dernier des Européens. en arridécapités. Quelque temps avant la conquête définitive de toute la Kabylie. quelques têtes coupées sont indispensables pour le révéler et l'asseoir. ils furent pas découverts. y aperçurent les trois têtes fixées chacune au bout d'une porche. qu'affichent les Kabyles se trouve en singulière contradiction avec l'idée qu'ils se font du pouvoir. les Kabyles. Beauprêtre.L'AUTORITE 47 bien élevé et du grand seigneur. no se croyant accoururent sans défiance. aucun cependant ne semble ni ridicule. jour fixé pour la mise à exécution Ceux-ci. il pria trois d'entre nisateurs du complot. et c'est accomplir un devoir religieux que de se soumettre au plus fort (1). Le bordj de Tizi-Ouzou. un exemple habile conception. ce n'est pas en ellemême. Si presque tous paraissent pas un seul n'a l'air voyou. 48 HUIT JOURS EN KABYLIE Cela n'empêche pas les Kabyles d'estimer beaucoup la justice . capitales et les dangers du pardon à l'égard . la représentation du peuple. visible et concret. ceux qui fréquentent depuis longtemps les Français. d'un plus grand prestige. aujourd'hui. Les plus intelligents. si cruelle soit-elle. prouvant exemples dos musulmans. la responsabilité ministérielle. l'efficacité deux des exécutions suiv. à tout le moins. comme dans le reste de l'Algérie.. La clémence n'est considérée par eux que comme l'aveu d'une injustice commise et. Algérie et Sahara. telle est. la règle de conduite que doit suivre inflexiblement l'autorité (2). pour ne pas dire terrible. s'obstinent à ne. dans si bien qu'aucun Français Beauprêtre. les deux plus grands chefs des Français. comme un signe de faiblesse (1). pp. en Kabylie. sur le droit de grâce et ses inconvénients. tout le pays. ils portèrent n'a encore joui. 19 et suiv. Partisans d'un pouvoir fort. dans RABOURDIN.) Beauprêtre punition et Gueydon sont encore. La notion de République particulièrement ne peut entrer dans leurs têtes. Seul l'amiral de Gueydon s'en est acquis un identique pour sa juste sévérité dans la des insurgés de l871. mais impitoyable. 7 et (2) Voir.pas les indigènes et d'une force sûre d'elle-même. (Voir pp. n'osèrent pas à laquelle leur grand nombre aurait tenter l'attaque infailliaux nues le nom de blement assuré le succès. Jamais ils ne protestent contre une répression méritée. 1882. les cavaliers d'administration comme les simples indigènes. pitre II. mais ils ne la comprennent que sévère. pour les Kabyles. les Kabyles n'entendent pas grand'chose aux abstractions gouvernementales. le cha'1) Voir. La souveraineté nationale. leur paraissent des mots vides de sens. Juste. Donnent-ils par là à entendre au son pouvoir de virilité. à celle M. fication donne à ce a d'honneur de Madame Quand on leur répète que c'est la personnidu peuple souverain. Beylik. français. manque parce qu'elle abdique profit de Madame Poublique ? Ou bien plutôt ne blâment-ils la faiblesse dont elle fait preuve à leur égard ? pas simplement . fortement au Beylik. C'est par suite d'une adressées par les indigènes (1) Une des principales critiques au gouvernement c'est qu'il se montre moukère besef fiançais. elle garantit la conservation des travaux publics . qu'à son à concevoir. elle ménage aussi aux fonctionnaires une certaine influence. qui aujourd'hui aux yeux des indigènes.c'est la puissance divine sur la terre. ou bien un font des cavalier avec des gestes réponses cours d'administration de droit analogues par laquelle Grault remerciait constitutionnel: les Français moins croient pour tout un « Toi. pallie le défaut de prestige. mais il a droit au respect dans ses oeuvres et à 1 obéisLa croyance sance dans ses représentants. obéir à une (1) » femme! Maboul. Le buste placé dans les chambres comprendre été baptisé par eux du nom irrévérencieux Poublique. que la France (beaucoup femme). en que rien. S'ils croient ils ! Ah maboul! revanche. assurait le respect des limites entre voisins. Le en qui s'incarne Cet être reste invisible. ils se mettent à sourire de dénégation. à la République.LA RÉPUBLIQUE. tour l'intelligence française se refuse une sorte d'être masculin. le gouvernement Comme autrefois à Rome le dieu Terme au Beylik déprécie. LE BEYLIK 49 les explications qu'on leur sujet. Seulement. si leurs cervelles sont absoluqu'à moitié les routes à voi(1) Les Kabyles n'apprécient tures construites par les ponts et chaussées. .'ces représentants du'pouvoir suprême doivent. dans un pays où les habitants n'emploient pourlos transports que des mulets ou des bourricots. n'y touchons pas (1). au gouverneur de l'Algérie . il faut donc se contenter do simples pistes muletières. au préfet. portait des galons à sa tunique et à son képi. Berthelot s'est présenté en costume de voyage. tout chamaré d'or. Si l'on veut tracer des chemins à l'usage des indigènes. les gens se refusaient obstinément à le prendre pour le ministre. Quant à l'administrateur. Si jusqu'à présent les Kabyles sont demeurés réfractaires à la civilisation. au préfet qui. les indigènes s'attendaient à voir un brillant cavalier. ce n'est pas sans doute le Beylik. au ministre même. paletot-sac et chapeau mou. A l'annonce de l'arrivée du ministre. mais ce sont des émanations du Beylik. comme marques de leur mission.50 HUIT JOURS EN KABYLIE crainte superstitieuse que les Kabyles se gardent de dégrader les routes établies par l'administration. Malgré tout ce qu'on pouvait leur dire. assis sur le siège de la voiture ministérielle. C'est là route du Beylik. comme par une sorte d'instinct irrésistible. Coûteusement établies. et à ce titre ils méritent obéissance.pentes uniformes et longs lacets. exhiber de brillants uniformes. et remettaient leurs pétitions. avec largeur réglementaire. elles sont on maints endroits abandonnées pour les anciens sentiers qui se trouvent tout aussi praticables pour des bêtes de somme et beaucoup plus directs. M. disent-ils. l'administrateur se retire. n'en ment impénétrables faudrait-il pas chercher la cause dans la solidité de leurs crânes ? En tous cas. en toute hâte. par acquit de conscience. tout rentre chantement et. divisés en deux camps. accompagné d'un cavalier la lutte cesse.RESISTANCE AUX BLESSURES 51 à toutes les idées modernes. M. Un homme. tous les habitants. et en sont venus aux mains. labouré à coups de couteau. qui sortent Une femme a le crâne ouvert de l'abdomen et la matière cérébrale à nu. A la seule annonce rangée. l'anecdote suivante atteste une incroyable résistance aux blessures. Grault part d'administration. l'administra- qu'une rixe terrible ensanglante Taourirt-en-Tidits. quand il arrive au village. Il y a quelques mois. c'est-à-dire le major de la garnison de Fort-National. se livrent entre eux une bataille M. il examine les plaies et envoie. au galop. on vient prévenir teur d'Aïn-el-Hammam un village voisin. Après avoir. Cinq jours après. tombés du chêne de l'un dans le champ de l'autre. fait panser les divers moribonds. A cette nouvelle. les déclare mortelles. Deux frères se sont pris de querelle pour cinq ou six glands. Grault gisent le plus proche médecin. le médecin était stupéfait . Appartenant à deux clans ennemis. tants valides à terre trois ou quatre chercher de son approche dans l'ordre comme par enles combat- ont fui. mais mourants. Le docteur arrive bientôt . sème ses intestins perforé. ils ont été soutenus chacun par les gens de leur faction . les blessés se sont cachés. que nos tempéraments français ne permettent pas d'égaler. nous avions songé au pic culminant. Enfin la vue que l'on a du Lella Khredidja pèche. en ce que tous les accidents de terrain. s'élève habituellement dès que paraît le soleil. le Lella Khredidja. être arrivés à l'aurore. mais simplement d'escalader un des sommets du Djurdjura. qui l'a récemment gravi. Lorsqu'à Alger nous préparions notre voyage en Kabylie. de vitalité sont tellement extraordinaire (1) Les exemples l'embarras du fréquents chez les Kabyles. Un Kabyle avait la poitrine ouverte d'un coup de couteau . une compresse de cet onguent marquait seule la blessure. pour voir quelque chose. notamment du Mont-Blanc. . Mais M. à l'égal des vues des points culminants. cas suivant. en été. Le malade est aujourd'hui en parfaite santé. duisant la tôle avec du crottin Ces faits surprenants nous donnent à envier la vigueur physique des Kabyles. lui coupa le morceau qui sortait et referma (médecin indigène) dans la poitrine le reste du poumon. Tous les autres mourants se sont également rétablis (1).52 HUIT JOURS EN KABYLIE d'apercevoir sa mourante de Taourirt en pleine santé au marché de Fort-National: elle s'était guérie en s'ende chèvre. Heureusement qu'il ne s'agit pas pour nous de braver les coups. à cause de la brume qui. nous devrions. Grault. nous dissuade de notre projet. De plus. deux journées très fatigantes. que j'ai seulement choix pour en rapporter de Mékla m'a quelques-uns. D'abord l'ascension demande. L'adjoint dit avoir vu guérir nombre d'indigènes ayant eu les intestins —Tout dernièrement on m'a rapporté le coupés en morceaux. en partant d'Aïn-el-Hammam. un des poumons Le thébib pendait par la blessure. l'Azerou-n'Tohor. après avoir tenu conseil. pliques et les crânes de Taourirt. les galettes-sup- . réunit le double avantage d'être beaucoup plus facile. et de jouir d'une vue bien préférable. et d'excellents lits nous épargnent les cauchemars que nous vaudraient le marché de Fort-National. Aussi. nous regagnons nos chambres. En attendant. Mais la fatigue nous a bien vite fermé les yeux. La mise en marche est fixée à quatre heures et demie du matin. Au contraire . forment comme une plaine confuse. décidons-nous que demain nous donnerons l'assaut à l'Azerou-n'Tohor.UNE ASCENSION 53 s'étalant sous les yeux. sommet moins élevé que le Lella Khredidja. Nous nous couchons la tête pleine de visions kabyles. . et panSangliers thères. Maisons kabyles.CHAPITRE II ASCENSION DE L'AZEROU-N'TOHOR. Village djemâa — La kharouba le douar le lhaddert (famille). Vamin-el-oumena GiYonkil. GUERRES CI- VILES. — Le déjeuner. les Kabyles ont-ils été chrétiens? à tisser. les cartes. gens). Vamin do l'administration française . (village). —Le sommet de l'Azerou-n'Tohor. ASSIMILATION. la chute des corps. (caïd). altitude. — Le sorbet.—Le matin. Les Roumis. — Col do le refuge. — La — Porteuses d'eau. — MOEURS ET COUTUMES DES . et le self-government. VILLAGE KABYLES DE TIFERDOUL. Le couscous. — Un marabout. Femme voilée. fontaine.— la Maison Cantonnière. — Le ramadan et phie kabyle. les troupeaux. — Panorama nombre des passants. leurs tatouages. en route pour l'Azerou— n'Tohor. — La do Tiferdoul. Mercredi 22 juin. Le chemin. — Panorama.. la lune.Amulet . (tribu. les ço/s. les jeunes filles. — La Les croix grecques . perquisitions impossibles. Costume des femmes de leurs enfants . — La télégradu col de Tirourda. — Embarras — La race berbère. — mosquée. Costume. Le lamen. .—Métier L'amin de Tiferdoul. propreté des maisons et dos gens. suivant le . — Tirourda et Taklelidjt-n'Aït-Atchou. leurs ornements kabyles — Les femmes à la scx3 . Bijoux kabyles. — Retour à Aïn-el-Hammam. Maîtresses et servantes. Tirourda.— Un cavalier d'administration. échoue. — Arrestation de l'indigénat. La peine de mort. la décollation. JOURS EN KABYLIE — Crainte inspirée par les — La du rek'ba. de plein exercice.56 Guerres entre HUIT villages. — Empriverbale. surtout en été. Prestige — Assimilation. — L'essai faut penser de la natuen bloc des habitants et de la fidélité des troupes — Les au Tonkin . les indigènes. — Les la religion. orphelins gerie. fictif. pour assister au lever du jour et respirer la fraîcheur du matin. indigènes. Les Kabyles restent nos ennemis. des taches laiteuses. la Carta. sont plus rapprochés des EuroKabyles — Les du cardinal Lavipéens que les Arabes. la peine — illusoire Répression assassinats. — Ce qu'il bin. semées à profusion sur les plis inférieurs de ce voile. Les premières lueurs de l'aube me réveillent. J'ouvre bien vite ma fenêtre. L'air embaumé est d'une légèreté exquise qu'Alger ne connaît pas. — Assassins talion. la Marseillaise et l'eau de Luforme. indigènes indigènes — De leur naturalisation musulmans haïssent la France. Bientôt le géant sort de son assoupissement. Mercredi 22 juin. La vendetta. Le Djurdjura semble sommeiller encore sous un voile gris. Les juifs. grâce. de l'autorité sonnement basé sur la force. surtout — les tirailleurs essai d'assimilation. le droit de entre Kabyles. ralisation Français. marquent les nombreux villages répandus au pied de la montagne. Singulier — — Les communes électoral. . collective. fataliste. haut de syndicale chapeau conseils de cuisine. des crimes. Système — Caisse — Le des ihadderts. de profession. La tête du Lella Khredidja resplendit sous les rayons du soleil: les ro- . —Solidarité Responsabilité — Arrestations — Obéissance — Peines collectives. C'est le moment de nous mettre en route pour l'Azerou-n'Tohor. Ainsi débute la connaissance que nous allons faire avec la monture kabyle qui. quatre jours durant. les nébuleuses blanchâtres. en tenue d'administrateur. Mme Robert.UN CAVALIER D'ADMINISTRATION 57 chers revêtent une teinte rose. La marche est close par Mohammed Arab. quand il est de lre classe. en font une sorte de domestique de l'administrateur. Quelles raisons peuvent bien déterminer un quasi-millionnaire à se montrer satisfait d'une telle situation? —Qu'on l'explique comme on voudra. se résolvent en groupes de maisons. Il est monté sur une splendide mule dont il est le propriétaire. qui marche en tête. C'est. doit secouer nos personnes à travers tout le pays. Nous venons ensuite. puisqu'il a entre 25 et 30. nous dit M. touche 75 francs par mois. cavalier d'administration. surmontés chacun d'un minaret . avec une fortune pareille. et à cinq heures nous partons. Nous nous installons sur des mulets. Grault. Notre caravane compte cinq personnes. un homme très riche. Mohammed Arab porte le burnous bleu réglementaire à liserés jaunes et devant rouge.000 livres de rente. Comment. il est absolument certain . Ses fonctions. C'est d'abord M. absolument subalternes. Robert et moi. qui indiquaient les villages. M. consent-il à être simple cavalier d'administration? Un cavalier d'administration. Grault. il fait grand jour. 58 HUIT JOURS EN KABYLIE qu'un emploi de cavalier d'administration est l'objet de toutes les convoitises. Nous nous dirigeons vers le col de Tirourda. certains gains. Nous mettons une heure et demie pour franchir les neuf kilomètres qui nous séparent de ce point. au delà d'un ravin : c'est un repaire de san(1) L'intérêt constitue le mobile déterminant c'est un positiviste. rappellent les landes d'Auvergne. D'abord un traitement de 75 francs par mois constitue un profit suffisant pour tenter l'avarice de tout Kabyle. Les avantages pécuniaires qui en. à la Maison Cantonnière. chênes verts et noyers. d'une honnêteté douteuse mais d'un montant considérable. où se termine la portion vraiment carrossable. Enfin le burnous rehausse le porteur aux yeux de ses concitoyens. notamment de Tiferdoul. que nous visiterons ce soir. Nous admirons de jolis arbres. Grault nous montre d'épaisses broussailles sur lagauche. pour le Kabyle . Nous passons près de plusieurs villages. si riche soit il (1). M. par lequel. couverts de fougères. résultent. on se rend d'Aïn-el-Hammam à Maillot. la considération qui s'y attache. deviennent le salaire de la connivence ou de la protection octroyée aux administrés. frênes. La route est horizontale jusqu'au pied même du Djurdjura. De plus. le pouvoir légal ou usurpé qui en découle lui donnent le plus grand prix. dans la vallée de l'Oued Sahel. Certains endroits. de cavalier d'administration . et l'élève au rang de puissant personnage dans toute sa tribu. La panthère. Quoique beaucoup plus libre que la femme arabe. M. Le maître vola au secours de son serviteur. D. accompagnéed'un homme qui nous semble être son mari. Stupéfaite. Il y a d'Aïn-elquelque temps . la panthère lâcha le fusil et prit la fuite. dans cette région. sauta sur un domestique indigène qui suivait la chasse avec un chef kabyle. elles présentent un singulier mélange de férocité et de couardise. . que l'on rencontre encore des panthères. un Kabyle aété à moitié dévoré par l'une d'elles aux environs de Tamazirt où l'on n'en avait pas vu depuis plus do vingt ans. mais l'arme.. Cesanimaux abondent dans différentes localités de la Kabylie. rendue furieuse. On trouve aussi quelques panthères (1). rata. la Kabyle mariée ne sort cependant qu'avec son mari (1) C'est surtout du côté d'Azazga. Nous ne rencontrons aucune panthère. et saisit à pleine gueule l'extrémité de son fusil. et nous ne le regrettons guère. toute bête n'étant pas aussi accommodante que celle dont je viens de rapporter l'histoire. Aussi en trouvet-on souvent fort loin de leurs contres habituels. Au mois de. Le chef kabyle pressa la détente. En revanche. en blessa une. nous croisons une femme voilée. LES PANTHERES 59 gliers. dans les immenses forêts do l'Akfadou. A en juger par le trait suivant. Abandonnant alors sa victime. 4 ou 5 par an.On en tue. l'animal bondit sur le nouvel agresseur.. chargée depuis deux ans au moins. l'administrateur Hammam. et se mit à lui labourer les épaules à coups de griffes et de dents.LA ROUTE. mai 1888. Les panthères peuvent faire un chemin énorme en quelques heures. chapitre IV. La femme que nous rencontrons est la première que nous voyons voilée. à se répandre chez le peuple. La faute en est. Ces habitudes rappellent les moeurs françaises. au commencement du chapitre III). En effet. qui obligent les jeunes filles d'un milieu tant soit peu relevé à ne jamais sortir qu'accompagnées de leur mère ou d'une domestique.en Kabylie. Elles tiennent vraisemblablement ments étrangers au milieu de la vieille population autochthone (voir plus loin. de sensibles difà la présence d'étéférences. plus elle est riche. de coutumes et de religion. ainsi qu'à l'autonomie presque absolue dont jouissait chaque village avant la.inquiètent les maris indigènes(3). » de la civilisation me disait. moins elle paraît en public. après (1) Voir plus loin. il y a quelque temps.60 HUIT JOURS EN KABYLIE ou une suivante. ont toujours le visage découvert. dans certains endroits. quand elle est d'une certaine condition. Cependant les grands chefs et les marabouts (1) exigent que leurs femmes se cachent aux regards du public. conquête par la France. des servantes ou des pauvres. quelques détails sur les marabouts kabyles. soit à l'administration française qui. notamment aux environs de Palestro. D'ailleurs. Les femmes qui circulent seules ne sont ordinairement que des veuves. àla différence des femmes arabes.) (3) « Nos femmes sont devenues moins bonnes au contact européenne et au voisinage des Arabes. Cette coutume commence même. d'institutions. en certains endroits (2). (2) Bien qu'ayant un même fond de race. au commencement du chapitre III. même chapitre II. les Kabyles présentent cependant entre eux. un Kabyle. de langue. (Voir ci-après. soit aux Européens dont les procédés. — Voir plus loin. les femmes kabyles. quelques détails sur l'arabisation des Kabyles par . Après avoir circulé sur un versant qui descend à l'Oued Djemâa. affluent de l'Oued Aïssi. Sept kilomètres de montée nous séparent encore du col de Tirourda. se déversant à flots par dessus la crête. Ici se soude au Djurdjura la ligne de hauteurs par laquelle.FEMMES KABYLES 61 la conquête. vient à chaque instant éclairer des villages demeurés cachés jusqu'alors. La lumière. C'est elle que nous avons encore suivie ce matin. en effet. Nous sommes à la Maison Cantonnière. et mettre en relief tous les accidents de la montagne. Nous marchons à l'abri du soleil que cache encore le Djurdjura. en introduisant les pures doctrines arabes (1). a propagé le système de la séquestration des femmes. (1) Voir plus loin. les soins de l'administration française. nous nous sommes élevés hier depuis Sikh-ou-Meddour. Mais l'ombre diminue rapidement derrière nos pas. . coupée par une sorte de gave. Voici. remplacée aujourd'hui par l'administration civile. une rampe de rochers. jusqu'à Fort-National et à Ajin-el-Hammam. à mesure que nous nous rapprochons de la chaîne. nous débouchons maintenant dans la vallée de l'Oued El-Hallel. 4. sur les bords de l'Oued Aïssi. branche mère du Sébaou. spécialement de l'administration militaire. chapitre IV. et supportant un cirque tapissé de prairies : c'est un paysage des environs de Cauterets. Celle-ci rappelle les Pyrénées. sans traverser aucun ravin. Un refuge contre la neige ! L'Algérie a-t-elle donc son Saint-Bernard ? En tout cas.62 HUIT JOURS EN KABYLIE Un peu en dessous de la route est bâti une espèce de réduit voûté : c'est un refuge contre les tourmentes de neige. il s'élève simplement le long d'une pente fort raide. dans laquelle des indigènes réquisitionnés avaient dû. ce chemin ne comporte guère le passage des voitures à cause de sa faible largeur. La voie est tellement étroite. se dresse l'Azerou-n'Tohor. Quoique tracé à pente carrossable. de l'autre côté de la vallée. tout le temps. en certains endroits. Au delà des tunnels. aller à pied. creuser de véritables tranchées. Deux tunnels ont été percés. augmentait encore les difficultés du trajet. Quant au cocher. De plus. qu'un simple chemin muletier. Mais il a dû. Avec des mulets et pendant la belle saison on ne court aucun danger. à vrai dire. il s'est cru vingt fois perdu et a juré de ne jamais recommencer une si folle traversée. la neige amoncelée. dont les'fleurs jaunes nous enivrent de leur odeur pénétrante. M. puis à travers des touffes de diss auxquelles succèdent des graminées diverses. elle possède un passage de grande montagne. que les roues frôlaient constamment le vide. A notre gauche. Le chemin ne côtoie un précipice que pendant un kilomètre environ. Berthelol y a néanmoins fait passer un break en avril dernier. . Il n'y a plus. Nous montons d'abord au milieu de genêts d'Espagne. La route est suspendue sur le flanc d'une paroi presque verticale. . les Beni Pach'Ouett de la Kasba d'Alger. Je m'en fais plusieurs fois répéter le nom et. le plus proqui a donné son nom au col .LA NEIGE 63 but de notre ascension. Beni-Merdès. en dehors. Ce torrent sépare che. pour le graver dans ma mémoire. jusqu'à nous. du pays kabyle. part. des habitants fréquemment enrhumés du cerveau. membres des commissions municipales qui. dans chaque commune mixte. dénomination amusante à relever-en Les associations en quête d'appellations burs'affilier aux Beni-Ouasif. Enfin. au pied de l'Azerou-n'Tohor. C'est une sorte de Cervin. l'autre. s'appelle Taklelidjt-n'AïtAlchou. pointillé qui nous domine de semble inaccessible. il est vrai. de sainteté ou appartenant à une caste relidu gieuse (voir pour les marabouts kabyles le commencement élevés sur la tombe chapitre III). Ce n'est pas. les naturalistes. Son pic. mais encore les monuments dos saints musulmans. au pied du Djurdjura. Bien au bas coule le torrent qui nous apparaît comme un mince filet d'argent. plusieurs centaines de mètres. et dont le bruit alpestre monte deux villages : l'un. aux littérateurs une tribu des environs de Bôno. sans doute. dont la jours (2). d'autre J'indique. d'ailleurs. je signale les Beni Oui-Oui. deux tribus dé(2) Je profite de l'occasion pour rapprocher couvertes par les zouaves. en lesques peuvent tribu coule d'heureux face d'Aïn-el-Hammam (1) On entend faisant profession non seulement les individus par marabouts. de cèdres et cou- ronné par les murs blancs de deux petits marabouts (1). Tirourda. je me pénètre du mol final qui indique. et les AlouettesNaïves (Ouled-Naïl) de Djelfa. la seule Kabylie. sont souverainement dirigées par l'adininistrateur. ils dépassent de beaucoup en pittoresque les Provençaux au manteau de bure et les Pyrénéens au béret bleu. Nous ne rencontrons qu'un seul indigène avec deux bourricots. et animés comme eux parla vie pastorale. Ce chiffre. le colmême.64 HUIT JOURS EN KABYLIE Le chemin est aujourd'hui désert. La chaîne va s'abaissant ensuite par degrés jusqu'à Bougie. semblables à ceux des Alpes et des Pyrénées. drapés dans leurs burnous. on passe immédiatement du versant Nord au versant Sud. (1) Voir ci-dessus. de chèvres et de boeufs paissent une herbe fine et parfumée. aucun défilé. L'absence actuelle de mouvement s'explique par la fin du ramadan. Nous touchons enfin au sommet. ce qui voyageuses des Kabyles. concerne les habitudes . et cependant. C'est simplement un endroit où. Élevé de 1760 mètres. franchissant une étroite ligne de faîte. De part et d'autre s'étendent de magnifiques pâturages. en faisant la traversée vers la même époque. à l'Est. Grault et que j'ai moi-même vérifié l'année dernière. p.nous sommes sur. A huit heures et demie. l'extrémité du Djurdjura proprement dit. 43. le col de Tirourda marque. Dos troupeaux de moutons. durant l'été. Quant aux bergers. témoigne de l'humeur voyageuse des Kabyles (1). il passe par jour en moyenne deux mille personnes. Le col ne présente . qui nous est affirmé par M. tout le monde restant chez soi pour fêter la cessation du jeûne. entre Sétif et la mer. nous voyons plusieurs chaînes parallèles dont les premières sont couvertes de forêts. aucune brume ne nous cache l'immense panorama qui se développe devant nos yeux. Au delà. elle ressemble à un gigantesque bassin de terre cuite. : . Enfin. jusqu'aux Babors. les montagnes des Bibans. en face d'Akbou. ce sont les Portes-de-Fer. nous ne cesserons pas d'avoir la vue. Se présentant de profil. les Hauts-Plateaux. puis viennent les crêtes dentelées des Beni-Aydel. depuis le Dira. Mais comme nous allons suivre la ligne de faîte vers l'Est. Avec son sol rouge et ses bois d'oliviers. du côté de Bordj-bou-Aréridj . A gauche. quelques montagnes bleuâtres dans la direction de l'oasis de BouSaâda.COL DE T1ROURDA 65 Par une chance assez rare en cette saison. A nos pieds s'étend la vallée de l'Oued Sahel. à travers une échancrure. à l'Est s'élève la chaîne des Babors. parsemé d'ornements verts. au sud d'Aumale. à peine pointillées par des bouquets de pins ou de thuyas. et que. nous nous remettons bientôt en marche. Au bout d'une (1) La chaîne des Babors atteint 2. par conséquent. presque aussi haute que celle du Djurdjura (1). elle nous apparaît comme un énorme massif surmonté de nombreux pics. Nous apercevons.000 mètres d'altitude. masses jaunes. Nous faisons une halte de quelques instants pour admirer le coup d'oeil qui s'offre à nous. 4. dont les rochers paraissent plissés au laminoir. gravir son piton escarpé . M. au point de rendre tout séjour impossible . Je me rappelle. la semaine précédente. en dix minutes. La chaleur se trouve tempérée par un air vif. Nous pourrions. Aujourd'hui. Le accompagne. l'année dernière.. Une délicieuse senteur de résine parfumée embaume notre campement. d'ailleurs. souvent battues par l'orage. qui entre-croisent au-dessus de nos têtes leurs branches tourmentées. ù pareille époque. et nous pouvons nous installer sans arrière-pensée.. M. aperçu une grande flaque de neige audessous de l'endroit où nous nous trouvons.. B. Mohammed Arab.. nous préférons n'en faire l'ascension qu'après avoir déjeuné. B. Grault avait eu excessivement froid. Chacun se prépare un siège sur une pierre plate on sur les énormes racines des cavalier d'administration qui nous .66 HUIT JOURS EN KABYLIE heure de simple promenade à travers les prairies. et que. le vent souffle fréquemment en tempête. elle est parfois très basse. avoir. nous procure une eau glacée. grelottait comme en hiver. un de mes amis. et lâchés dans une herbe épaisse qu'ils se mettent immédiatement à tondre. la température est parfaite. Les provisions sont déballées. Les mulets sont confiés à un petit berger. même en été. puisque. et quant à la température. nous arrivons au pied de l'Azerou-n'Tohor. quelques jours après notre passage. Nous nous arrêtons donc à l'ombre de deux cèdres. Il paraît qu'à la hauteur où nous sommes on ne se trouve pas toujours aussi bien partagé . ni d'observer quelques petits pâtres qui nous entourent et nous épient. vont se répétant de vallons en vallons. .TÉLÉGRAPHIE KABYLE 67 cèdres qui nous ombragent. Nous nous mettons à table. accompagné de trois Roumis (1) dont une daine. grâce h un système des plus curieux. a été annoncée sur la montagne. quelle nation. partant d'auprès de nous. Des sentinelles se trouvent échelonnées de sommets en sommets.. dont les premiers agents sont assis en cercle autour de nous. Ce nom. ont pris leurs mesures pour découvrir les intentions d'une caravane aussi bizarrement composée. Ces appels. aux Européens de l'Afrique digènes la domination des Romains. de fréquents appels qui. constant. Les bergers. inspirée par les étrangers. Maintenant que nous voici arrêtés pour déjeuner. qui rappelle et marque l'antipathie toujours comporte une idée de inépris. beaucoup plus par défiance que par curiosité. afin de surveiller nos faits et gestes et d'en communiquer au loin des nouvelles. L'appétit ne nous empêche ni d'admirer le paysage. en effet. Depuis longtemps déjà. nous sommes plus que jamais l'objet d'un espionnage. Tous les renseignements recueillis par eux sont aussitôt télégraphiés. Chacun de nos moindres mouvements a été immédiatement signalé dans tous les pâturages. rythmés sur des tons que la siccité de l'air de roumi est appliquée. Nous entendons. ou couchés à quelques pas dans des bouquets de cèdres. par tous les in(1) La qualification de n'importe du Nord. l'approche d'un administrateur. armes et coupables ont disparu. c'est ou par un temps de brouillard. Dès qu'un foncses mouvements sont tionnaire sort d'Aïn-el-Hammam. Grault en a surpris quelque temps. immédiatement commune. Chaque village a son guet. toute surveillance. à transmettre des dépêches. à plusieurs kilomètres de distance.68 HUIT JOURS EN KABYLIE contribue à rendre encore plus perçants. Il paraît que les cavaliers d'administration premiers espions. Grault nous explique comment. M. signalés dans toute l'étendue de la Les indigènes se servent. Assisté de deux d'opérer ou trois cavaliers d'administration. à l'égal de l'alphabet optique. Mais même alors le succès est très aléatoire. qu'un burnous n'est pas porté par un indigène. plus ou moins zélés la nuit . Aussi descente de lieux en plein jour. bileté de guetteurs. car un Kabyle sait reconnaître.:. constituent. C'est en vain qu'un Européen cherche à se déguiser sous un burnous. les grâce à leur ha- Kabyles échappent presque à et rendent vaines la plupart des per- quisitions. par leurs différentes nuances. Le seul moyen d'approcher avec quelque chance de n'être pas découvert. de cris à intonations déterminées et de signaux convenus. pour communiquer entre eux. Bien avant l'arrivée de l'administrateur ou du juge de pai. il y a burnous. donnant est-il tout à fait illusoire un coup d'effectuer de une sont les un. notamment de coups de burnous dans un sens ou dans un autre. M. autant de signaux serMorse et du télégraphe vant. sur les toits. Pour pouvoir. En dépit de toutes les descentes. à travers les maisons. étant tombé. réussir dans ses perquisitions. sans aucun doute. à lui seul. ni surtout ceux de Mohammed Arab. Celle question est la suivante : hier au soir. LE RAMADAN 60 sinon complices des individus recherchés. ou peut-être à cause de l'aide des cavaliers qui l'accompagnaient.PERQUISITIONS. qui assistent à notre repas et seraient. La vue des petits Kabyles. M. les Kabyles possèdent de nombreuses armes dont ils sauront bien se servir s'ils en trouvent jamais l'occasion. en revanche. il parvint à s'emparer seulement d'un yatagan et d'un pistolet qu'une femme emportait cachés sur elle. En bon musulman. au milieu d'un village où il venait pour saisir des armes. se sauvaient avec un mystérieux cliquetis d'armes. divise profondément la Kabylie. Grault nous rapporte qu'une fois. il ne goûte pas au vin. heureux de dépecer quelques chrétiens. Aucun ne fut pris. a-t-on vu . De tous les côtés. sans avoir été aperçu. malgré l'aide. s'adonner aux délices du gigot. à la première insurrection. il avale de gros quartiers de gigot. ne ralentit pas nos coups de dents. et qu'il faut regagner le temps perdu pendant un mois de jeûne. un Français ne peut guère. Mohammed Arab a dû prendre parti sur une grave question qui. par-dessus les clôtures. en toute sécurité de conscience mahométane. aujourd'hui 22 juin. C'est que le ramadan est fini pour lui depuis la veille. il entendait des fuyards qui. à la mine intelligente mais sauvage. Quant à Mohammed Arab . il ne prendfin que lorsqu'on aperçoit le nouveau croissant. « d'apprendre l'almanach. les autres ne l'ont pas vue. refusent-ils obstinément de toucher aux morceaux que nous leur offrons. attendent encore.: hier au soir. continuant le jeûne. pendant que les seconds. leur antique renom d'astronomes. pour la fixation du premier jour de (1) Voir la Dépêche algérienne du 28 mai 1887. pour se jeter sur leur nourriture. faisant mentir . Aussi. bergers qui font cercle autour de nous prétendent n'avoir rien aperçu. pour savoir quand il y a de la lune et quand il n'y en a point. en casuistique musulmane. Je ne croirai plus désormais aux docteurs de l'Islam. de sorte qu'à l'heure actuelle les premiers festoyent depuis ce malin. ils ont encore besoin. les uns ont vu la lune. ce qui l'autorise à manger sans scrupule toute la journée.puisque. le coucher du soleil. un mois auparavant.70 HUIT JOURS EN KABYLIE la lune? Le ramadan dure un mois lunaire. Jourdain. les marabouts de Taourirt-en-Tidits. c'est-à-dire. » J'ai donc vu se confirmer sur la cime du Djurdjura les doutes dont. les. le moment où il devient impossible de distinguer un fil blanc d'avec un fil noir. en dépit des assurances de Mohammed Arab. j'avais été assailli à Alger au sujet de la science musulmane. ses directeurs de conscience. Au contraire. tout comme M. ont affirmé avoir aperçu la corne d'argent impatiemment attendue. Un grave débat sur la lune s'était élevé entre les gens d'Alger et ceux de Blida (1). Or. Les pauvres Blidôens en sont maintenant pour leurs télégrammes de protestation. Les uns voyaient la lune. à l'observatoire installé à la Bouzaréa par les soins du Bureau des Longitudes. dans chaque garnison pourvue d'artillerie. au milieu des distractions gratuitement fournies par les choses et les gens. Le sommet offre à peine un replat de quelques mètres. nous avons prolongé notre festin pendant plus d'une heure et demie. de l'Azerou-n'Tohor. les autres ne la voyaient pas. mis chaque année à sa disposition par l'autorité militaire. vu la lune I Que le ramadan fût ou non terminé. construites sur le tombeau de quelques saints musulmans. servent à abriter les pèlerins (1) Tous les soirs. et bientôt nous parvenons au point culminant. chacun tenant pour ses bons yeux. Des dépêches fort vives furent échangées. -pour annoncer l'instant à partir duquel il est permis de rompre le jeûne. grâce à son grand muphti qui put recourir. l'ordre de tirer le coup de canon annonçant l'ouverture du arême mahométan (1). comme à Taourirt. . Le ramadan officiel n'a commencé qu'au jour où le grand muphti d'Alger a fait donner aux artilleurs. comme il l'avait déjà fait l'année précédente. le commandant de place fait tirer un coup de canon. Il nous reste à gravir la pyramide Nous prenons un sentier de chèvres.LA LUNÉ 71 jeûne. Deux méchantes cabanes. pendant le ramadan. Allah veuille pour eux qu'à Alger on ait hier. Enfin Alger l'emporta. mal tracé au milieu des blocs de rochers. A gauche du Lella Khredidja. sur le prolongement de la chaîne à laquelle appartient le sommet où nous nous trouvons. le Raz-Timedouine. au-delà de l'Oued Sahel. Nous examinons à distance cet ameublement primitif. objets gracieusement laissés à la disposition d'un chacun. jusqu'à présent. semé de quelques cèdres à sa base méridionale. A l'Est. ainsi qu'aux assauts répétés d'une nuée de coccinelles qui. à l'Ouest. nous aimons mieux rester exposés aux brûlants rayons du soleil. Ce sont d'abord. de plats à couscous et de lampes en terre cuite. rem- Ces petits désagréments ne nous empêchent pas d'admirer la vue magnifique dont on jouit de notre belvédère. nous avons maintenant devant les yeux un panorama circulaire dont. Plutôt que d'affronter de cuisantes morsures. De vastes coupures semblent séparer ces deux cimes. car nous craignons les imperceptibles gardiens auxquels il se trouve sûrement confié.72 HUIT JOURS EN KABYLIE qui viennent en grand nombre prier sur ces hauts lieux. Isolés delà grande chaîne du Djurdjura. parallèlement générale de la chaîne. placent les pèlerins complètement absents. les pics les plus élevés du Djurdjura. le Lella Khredidja. à la direction . en avant. se développent les séries de montagnes qui se sont montrées à nous quand nous sommes arrivés au col de Tirourda. presque aussi élevé. s'ouvre. L'intérieur est garni de nattes. derrière et sur la droite. nous n'avions découvert que l'une après l'autre les différentes parties. pour le quart d'heure. toute la Kabylie. La couleur est étrange. a jeté sur le tout quelques gouttes de chaux. et d'en mieux caser le souve-. depuis Azazga et son Tamgout. sur la route de Maillot à Bougie. Sur un fond de chaumes. jusqu'aux environs de Ménerville et de Palestro. On dirait que. et que nous voulons nous arrêter en route pour visiter le village de Tiferdoul. afin de contempler par segments le panorama. se détachent comme autant de points verts. Au Nord nous voyons la mer et la suite de hauteurs qui la bordent . Plusieurs fois nous faisons le tour de la plate-forme qui couronne l'Azerou-n'Tohor. les arbres. le réseau de vallées et d'arêtes du massif kabyle. Au delà du col de Chellata. généralement isolés. peintre plâtrier. à nos pieds. à Akbou. avec le Bou-Zegza et le Tigremoun. les villages comme des taches blanches.L'AZEROU-N'TOHOR 73 au milieu des prairies. Du point dominant où nous nous trouvons. Mais à la fin la raison nous force à déguerpir. après avoir passé le pays au jaune et l'avoir semé de pois frais. enfin. un Titan. Nous ne pouvons nous arracher au spectacle que nous avons devant les yeux. comme sur un plan en relief. nous démêlons. « Encore cinq minutes ». le col de Chellata. . par lequel on tombe dans la vallée de l'Oued Sahel. la chaîne serelève et s'élargit avec le Tizibert(1765m) et les forêts de l'Akfadou. répétons-nous à l'envi. nir dans notre mémoire. parce qu'il nous faut près de quatre heures pour rentrer à Aïn-elHammam. dans les temps fabuleux. je ne garantis qu'à quelques mètres près le chiffre fourni par mon observation. avril 1886. 1887. elle place Maillot qui cependant sur les bords mêmes de l'Oued Sahel dont il se trouve distant de plusieurs trace la route entre la Maison Cankilomètres. n'indique pas Aïn-elHammam existe depuis 1880 .000e. il n'est pas plus mauvais que la plupart des renseignements topographiques donnés pour l'Algérie par les livres ou les cartes (2). tonnière et le col de Tirourda sur la rive droite du torrent. tandis que M. Grault partage avec nous ce sorbet kabyle. entendu dire que les officiers des J'ai. d'Algérie mieux ? C'est ce qu'il vaudra-t-elle serait peut-être téméraire d'affirmer. avaient trop fréquemment leur tâche considéré comme une simple distraction de voyage. et pour la Kabylie en particulier. alors que jusqu'ici on a donné trois cotes bien différentes : 1823. M. p. Ainsi la l'Algérie carte de la Grande Kabylie au 200. je me désaltère avec un lait exquis. publiée par le dépôt de la guerre en 1855. je consulte mon baromètre anéroïde holostérique. mais revue en 1885. fi) FICHEUR (Itinéraires La carte de l'état-major au 400. et Mme Robert. Au reste. actuellement en cours de publication. sont dos plus mauvaises (2) Les cartes do l'état-major pour en général. gauche. s'en déde la Grande Kabylie. un sommet de 2020 mètres. détachés troupes pour les levés au service de la carte d'Algérie. En tout cas. . La carte qu'elle passe sur la rive etc. Je trouve 1946 mètres. le guide Piesse. au 50. De retour au campement. l'Algérie sans-le nommer. 1883 et 2020 mètres (1). puisqu'il col de Tirourda et le col de Chellata. 26) donne 1823 mètres. de la collection des guides Joanne. tandis etc. revue en 1867. p. est nécessairement le place entre le l'Azerou-n'Tohor. que Mohammed Arab a fait rafraîchir dans une source glacée. de France. Enfin. pour déterminer l'altitude de l'Azerou-n'Tohor.74 HUIT JOURS EN KABYLIE Avant de descendre. et la Tunisie. en effet.000°.. indique. porte 1883 mètres.000». qui 140. nous faisons à pied la plus grande partie de la descente. lui préfèrent un vulgaire grog d'estaminet. Grault nous raconte qu'à cet endroit même M. Passerons-nous avec nos bêtes dans cette étroite ruelle où deux hommes ont peine à se croiser? Nous y voici cependant. dre le résultat de nos réflexions. Tiferdoul se trouve perché sur un monticule abrupte dominant la route. à l'étude de la chute des corps. lance son mulet dans un sentier raide comme une échelle. nous nous laissons enlever comme par une sorte de machine ascendante. et nous voici bientôt au col de Tirourda. Nous reprenons nos mulets. M. presque malgré nous. nous nous livrons. Grault. nous remontons sur nos bêtes jusqu'au village de Tiferdoul que nous allons visiter. refoulant quiconque vient à notre rencontre. Après une seconde halte à la Maison Cantonnière pour boire à une source. Nous nous arrêtons quelques instants au premier tunnel que nous rencontrons. qui nous précède. nous aussi. Il nous semble impossible de le suivre. nos mulets se mettent à grimper derrière celui de tête. M. Au . Aux premières maisons.TIFERDOUL 75 fiant bien à tort. écartant les murs des pieds et des mains. Mais sans atten. Suspendus à la crinière. Craignant d'être trop fatigués par nos montures. cherchant à maintenir nos montures au milieu du passage. A l'imitation du savant ministre de l'instruction' publique. la difficulté se complique. Berthelot s'est amusé à faire rouler des blocs de rochers au fond du ravin. . dans la Revue des Deux-Mondes 1873. dans la réalité.pp. op. C'était. le gouvernement direct du peuple par le peuple (2). 1 et suiv. conquête. Il se compose d'une seule pièce. t. pp. RENAN : La société du 1er septembre berbère. La djemâa n'est pas autre chose que l'hôtel de ville de l'endroit. de gouvernement n'est plus guère pratiqué (2) Ce système de nos jours que dans quelques de: petits cantons de l'intérieur la Suisse. 138 et suiv. C'est là que se passent les actes les plus importants de la vie publique. Un très bon résumé en a été donné par M. et nous mettons pied à terre. Aucun peuple n'a poussé plus loin que les Kabyles la passion de l'indépendance. cit. Avant la conquête par la France.76 HUIT JOURS EN KABYLIE bout d'une cinquantaine de pas. la pratique de la démocratie. chaque village ou thaddert formait une petite république absolument autonome. ouverte à tous les vents. mesurant huit mètres de long sur trois de large.. appelée djemâa comme sur l'organisation de la Kabylie avant la (1) Voir. ce qui ne va pas sans talonner de toute part. et garnie de banquettes de pierre qui régnent tout le long des murs.II. l'amour de la politique. Cet édifice affecte une simplicité antique. politique HANOTEAU et LETOURNEUX. Enfin nous arrivons devant la djemâa sans trop de meurtrissures. la ruelle fait brusquement un angle droit. La souveraineté s'incarnait tout entière dans l'assemblée générale des citoyens. où Je système du self-government recevait la plus radicale des applications (1). Il s'agit donc d'évoluer presque sur place. une unité politique. Les affaires ne se trouvaient donc conduites que par quinze ou vingt sénateurs en burnous. en un mot gouvernait le thaddert. Cette assemblée concentrait tous les pouvoirs : elle faisait les lois. cit. ils ont toujours été organisés en collectivités. un amin. de par la coutume. assurait le maintien du L'assemblée nommait bon ordre. exécutait les décisions. dirigeait toute l'administration (1). II p. dans la constitution kabyle. l'oukil (2) HANOTEAU et LETOURNEUX. il n'était jamais qu'un simple mandataire toujours révocable. Il présidait les délibérations. décidait de la paix et de la guerre. qui prenaient la parole. il y avait un oukil ou receveur comment se nommait cipal. et quelle était sa fonction. c'est-à-dire une espèce de directeur délégué. LA DJEMAA 77 le lieu où elle se réunissait. c'est-à-dire les notables. Mais ce n'était pas le seul centre où se discutaient les intérêts communs. votait les impôts.. .INSTITUTIONS KABYLES. t. La djemâa était théoriquement composée de tous les hommes ayant atteint leur majorité. réunis au forum du village. rendait la justice. c'étaient seulement les chefs de famille. les citoyens renommés pour leur expérience et leur éloquence. administrait elle-même ou par délégation les biens communaux. les vieillards. Chaque thaddert formait ainsi. même chapitre. Mais en fait. Les Kabyles n'ont jamais connu l'individualisme . Mais dans l'exercice de ses différents pouvoirs. op. 4 note 4. qui signifie confédérés (2). Leur nom même. révèle le caractère dominait muni(1) A côté do l' amin. Voir plus loin. avant l'établissement de la domination française. c'est-àdire gens. choisi par Vamin après consultation du groupe à Vamin. au-dessous du thaddert. Ce n'était guère qu'en cas de lutte contre un puissant. C'était ayant généralement la gens de la Rome primitive. A L'ensemble les leur tour. des amins ou amin-el-oumena. La kharouba dans la réunion de plusieurs un auteur commun. On dit ainsi Aït-Aouggacha. Le tamen servait d'auxiliaire pour la kharouba ce qu'était Vamin pour le thaddert. et de leurs institutions. Au-dessus •faisceau des tribus dont Vamin douars ou tribus fédératif apparaissait parfois un grand les éléments. formaient (1). etc. Aussi.78 HUIT JOURS EN KABYLIE le groupement ne se réalisait-il pas seulement dans le thaddert : il se produisait encore. familles dans le douar c'est-à-dire consistait la tribu. en se fédérant. au-dessus. les villages. que la tribu. par exemple contre les Turcs. . Vamin de la tribu. La société kabyle se trouvait donc. soit par le mot arabe beni. Mais le lien unissant les villages était beaucoup plus lâche que celui unissant les kharoubas. Beni-Yenni. composée de trois (1) La tribu est indiquée. A sa tête se trouvait un tamen. s'organisait ennemi un agent spécial était nommé. Il était intéressé. des kharoubas constituait le village. Pour centraliser tous les efforts. qui a le même sens. soit par le mot kabyle ait. dans la kharouba. elles formaient une ligue universelle Mais à aucune époque il n'exista groupant tous les Kabyles. Il a remplacé l'ancien amin-el-oumena. judiciaires.) Mais l'insurrection presque tout ce qui leur avait été laissé. taine autonomie. ce qu'on appelle le caïd. au-dessus. Législation p. Les au maire. le préfet. tamen. il se trouve amin des amins. L'amin n'est plus qu'une sorte de maire aux ordres de l'administrateur qui le nomme. thadderts a disparu. qui jadis appartenaient à la djemâa et à l'amin. 5. (SAUTAYRA. politiques. ( HANOTEAU et LETOURNEUX. de l871 leur a fait perdre pp.) . ils sont devenus de simples agents de l'administration française. aminel-oumena. Il dépend directement de l'administrateur. t. le président ou l'adjoint indigène. Si les djemâas existent toujours et continuent à être constituées d'après les anciens usages (2). de l'Algérie. espèce d'adjoints Au-dessus des tamens et de institués par l'administrateur. les Kabyles avaient conservé une cer(1) Après la conquête. il ne reste presque plus qu'un souvenir (1). op. tamens. elles n'ont Quant aux plus guère qu'une puissance nominale. groupe principal. comme chef du douar.INSTITUTIONS KABYLES 79 séries de groupes hiérarchiquement superposés : au centre les thadderts. Mais l'autonomie kharoubas. administratifs. art. représentants des différents groupes. eux aussi. (2) Voir le décret du 11 septembre 1873. des des thadderts et des kharoubas. se trouve. 132 et suiv. 402. Nommé par placé à la tête des fonctionnaires e* indigènes. les Cette organisation il y a encore des douars. au-dessous. l'amin. amin. et de tous les pouvoirs les douars. sont. cit . est encore debout aujourd'hui. II. comme rémunération. t. pp. Les différents pour et se coalisent groupes opposer un à tout progrès. II. cit. 11 et suiv. Mais jusqu'à présent le succès n'est rien moins demeurent obstacle que intacts certain. Il n'y a à peu près invincible donc pas de prise possible sur la société kabyle. le gouvernement français a espéré prendre plus facilement pied dans le pays. op. et le fond des choses est aujourd'hui conquête. se révèle encore trop souvent par des rixes et des assassinats (1) Voir sur les çofs HANOTEAU et LETOURNEUX. ordonnance des institutions pour lui l'ancienne et en essayant de faire fonctionner les divers organes de la vieille constitution kabyle. chaque village se trouve Aujourd'hui sensions intestines. si elle fait moins souvent explosion depuis l'établissement de la domination de la France. ..HUIT JOURS EN KABYLIE surveille les amins qui surveillent eux-mêmes les tamens. et le cof bouadda. partagé entre deux çofs ou partis. comme autrefois. parti d'en haut. il est chargé de faire rentrer les impôts et. Des dis- produit naturel d'une démocratie poussée à ses dernières limites. L'administration à établir la paix ce qu'il était avant la française publique n'est pas même parvenue dans les thadderts. parti d'en bas. Ces çofs sont des clans ennemis. En conservant politiques reçoit 10 0/0 du principal. et entretiennent entre eux à des partout une sourde agitation qui. En outre. Ils se livrent luttes acharnées. le cof oufella. divisent les habitants. (1). 29. Mais il ne faudrait pas croire qu'il soit vraiment dévoué à la France. et de soutenir entre eux des luttes fratricides. Les çofs n'en constituent pas moins une plaie invé~ térée qui ronge le peuple kabyle. l'Algérie et la Tunisie. dans les montagnes en du Maroc et dans le pays des Touaregs Sahara. Partout ailleurs elle a été assimilée plein par les Arabes. (PAUL LEUOY-BEAULIEU.) . à la première occasion.INSTITUTIONS KABYLES 81 L'un des deux çofs entre lesquels se divisent les habitants d'une localité donnée passe pour être le çof français. Déjà. 7 et suiv. au temps des Romains. de tout temps. comptant plus de 300. qui arment les uns contre les autres jusqu'aux membres d'une même famille. constituent. C'est simplement celui des deux çofs qui a su le mieux se concilier les bonnes Tous les Kabyles sans grâces de l'administration. p. Kabylie. d'après la plus commune. exception. C'est ainsi. Elle n'est restée intacte qu'en dans l'Aurès au sud de la province de Constantine. les Berbères avaient pour coutume de se partager en ennemis.000 âmes. pp. à savoir la race berbère (1). rendue si célèbre. l'autre tiers seulement indigène appartenant à la race arabe pure. par race nu(1) Cotte race berbère n'est autre que l'ancienne mide. WARNIER. semblent avoir été. — Les Kabyles du Djurdjura forment un groupe comtant arapact. 1865. par la résistance acharnée do Jugurtha. bisés que restés fidèles à leur nationalité. de s'unir contre l'ennemi commun. Les Berbères. s'empresseraient. le Français. 1887. au temps des Romains. le caractère propre de la race à laquelle appartiennent les Kabyles. l'Algérie devant l'Empereur. Ces dissensions. de quelque cof qu'ils fassent partie. les deux tiers au moins de la popul'opinion lation de l'Algérie. sans cesse en guerre les uns contre les autres. allié de Rome. l'Algérie çofs chez les anciens Berbères. ils n'ont profité de leur indépendance que pour organiser l'anarchie.. Divisés entre eux quand il s'agit d'intérêts matériels. à son tour.82 HUIT JOURS EN KABYLIE exemple. Ce défaut de sens politique semble s'être encore accentué chez leurs descendants. Jugurtha se vit. 78. Boechus. qu'après avoir combattu son frère Adherbal. les Berbères n'ont su à aucune époque former un empire homogène. malgré l'énergie des résistances individuelles. ils ne sont ni soumis ni corrigés. qui le livra à Marius. Affaiblis par des discordes perpétuelles. . n'ayant jamais appris à grouper leurs efforts sous l'autorité d'un chef unique. C'est toujours une race. les Kabyles se trouvent cependant d'accord pour l'ob(1) Voir sur les Romaine. Voilà pourquoi. Vaincus aujourd'hui et privés d'une liberté qu'ils regrettent amèrement. incapables de sacrifier leurs sentiments particularistes pour concerter une action générale. Partagés en petites républiques démocratiques. les Kabyles. ils restent pourtant fidèles à leurs habitudes de querelles intestines. et l'avoir traîtreusement fait mettre à mort. pp. car s'ils ont encore aussi vive la haine de l'étranger. rebelles à toute idée d'unité nationale et de pouvoir central. ils sont devenus presque tous la proie des envahisseurs (1). son beau-père. c'est moins que jamais une nation. 153 et 568. 2° édit. trahi par un des siens. BOISSIÈRE. amphore à deux anses. Mais notre Arrivés Le temple n'est déception est encore plus complète. ies désoeuvrés geurs. car ce n'est qu'une sorte de pigeonnier en délabre. de loin. qu'une simple chambre. Si la djemâa est le champ clos dans lequel toutes les inimitiés se donnent carrière. se répasser. dévotement. Au sortir de la mosquée.INSTITUTIONS KABYLES. dans un coin. au-dessus de laquelle se trouve une espèce de galetas à jour. qu'on regarderait en France avec fenière. Elles reviennent de la fontaine. un lieu neutre. C'est bien un endroit de réunion pour la prière. Nous venons de voir la djemâa. il nous faut maintenant visiter la mosquée. nous apercevons une longue file de femmes qui montent vers nous par une ruelle presque à pic. Quelques fidèles qui. une profonde désillusion. la mosquée est. nous éprouvons donc pas pour leurs mosquées le même respect que les Arabes pour les leurs. portant chacune leur cruche. Nous nous dirigeons donc vers un minaret blanc qui. ornée de mais c'est aussi un rendez-vous pour poulet même une hôtellerie les voya- . au contraire. Nous ne troublons car nous avons bien vite instant. au seuil duquel elles s'arrêtent. LA MOSQUÉE 83 servance commune de la religion musulmane. Les Kabyles n'ont au pied. Nous entrons dans l'intérieur de la mosquée. veillent en nous entendant leur sommeil qu'un fait le tour d'un monument comme une écurie achèvent leur sieste. nous apparaît comme un joli clocher carré. voilà tout le vêtement. l'une par devant. après avoir contenu du pétrole. les deux bras rejetés en arrière par-dessus les épaules. soutenant l'extrémité inférieure du vase. à Taourirt- . Les cheveux sont serrés à la tête dans un mouchoir noir et rouge. Il n'est pas question de chaussure. Pourquoi faut-il que l'une d'elles dépare l'ensemble.Celui-ci se porte généralement d'une (1) La plupart des poteries kabyles se fabriquent Amokran. qui s'enroule autour de leur taille. près de Fort-National. Deux pièces d'étoffe. avec une grâce de porteuses antiques. Les bras nus passent à travers les fentes qui s'ouvrent naturellement sur les côtés au-dessus des hanches. retenues sur chaque épaule par une agrafe et serrées à la taille par une ceinture. l'autre par derrière. La coiffure n'est pas plus compliquée que le vêtement. Les unes tiennent leur fardeau sur la tête. Lés jambes sont libres à partir du genou. sauf parfois l'addition d'une couverture pour s'envelopper. les autres sur le dos. rien n'est aussi laid que les productions de la civilisation contemporaine. en portant une de ces affreuses caisses en fer-blanc qui.84 HUIT JOURS EN KABYLIE dessins noirs et rouges (1). sont ensuite utilisées comme seaux et tendent. Le coup d'oeil est digne d'un Phidias. Le costume de la femme kabyle est resté d'une simplicité antique. partout en Algérie. la ceinture. Rien n'est changé pendant l'hiver à cette tenue si légère. à remplacer les anciennes cruches? Dans un milieu presque grec. avec quelle ardeur les femmes indigènes désirent avoir dos garçons. forme une sorte de coiffe à fond fermé . Chaque village a son tatouage particulier. il est simplement attaché sur la tête. ils donnent à leur mère le droit de se mettre pendant deux mois. Les femmes d'une même localité se trouvent ainsi marquées d'un signe identique. Quand elle est mariée. Le nombre des enfants s'indique à la coiffure par des épingles qui sont comme des médailles de campagnes.FEMMES KABYLES 85 manière différente. sur le front. suivant que la femme est mariée ou non. fin du chapitre III. Toutes les femmes d'un village sont. et l'indélébilité de l'empreinte s'obtient avec du noir de fumée. Le dessin se fait au couteau. obligées d'aller. Cette assimilation à une sorte de troupeau communal est poussée d'ailleurs fort loin. noué pardessous. C'est ainsi que le nombre et même le sexe de leurs enfants est marqué par des bijoux portés d'une manière déterminée. ne se place jamais que sur la poitrine (1).une broche ronde qui. en effet. pour les filles. le mouchoir. en même temps. comme les moutons d'un même propriétaire. Quant aux garçons. de même que les bêtes d'une même exploitation doivent aller ensemble (1) Voir plus loin. Les Kabyles poussent fort loin la distinction des catégories de femmes au moyen de certains insignes. . chercher l'eau à la fontaine. Toutes les femmes ont en outre la figure tatouée. lorsqu'elle n'est pas mariée. il y a des femmes sur le retour et des enfants : il n'y a pas déjeunes filles. Les épreuves d'une maternité trop hâtive. vent et pratiquent le mariage. et aucun homme ne peut alors approcher de l'endroit où elles puisent de l'eau. Elles hésitent quelques instants à poursuivre leur chemin. et défilent nombre d'une vingtaine. do quelle façon les en général. sans transition. comme je l'ai déjà remarqué dans un précédent voyage en Kabylie. Ce type idéal déjeune fille. fin du chapitre III. c'est-à-dire vendue (1). au à l'abreuvoir. conçoi- . Son absence s'explique par différentes causes morales. (1) Voir plus loin. n'existe pas chez les musulmans. chose curieuse. j'ai rarement constaté chez les hommes. paraissent surprises de rencontrer des étrangers. au nombre desquelles il faut compter la précocité des mariages. une femme est déjà vieille. Une fille est ordinairement mariée. entre dix et douze ans. Les femmes de Tiferdoul. que nous voyons revenir de la fontaine. féroce même. font d'une enfant une personne mûre. suppriment la jeunesse et. Mais je leur trouve un air sauvage. Toutes se distinguent par l'énergie de leur physionomie. A vingt ans. et les mahométans Kabyles en particulier. D'ailleurs. sous nos yeux. si fréquent chez les peuples chrétiens. Quelques-unes ont de jolis traits. les fatigues d'une existence de bête de somme. que.86 HUIT JOURS EN KABYLIE Une heure spéciale leur est assignée par la Djemâa. Mais elles sont vite rassurées par la présence de Mme Robert. Comme à la qualité de cavalier d'administration il ajoute celle de marabout. nous nous disposons à visiter un intérieur kabyle. surtout au sujet de Mme Robert. qui ont l'air d'être les chefs ou les éducateurs des autres. sculptées en creux sur la porte. Chez les Arabes. en corroborant leurs dires par divers arguments. Les Kabyles ne ferment pas leur chez eux aussi rigoureusement que les Arabes. du reste. La plupart chuchotent.FEMMES KABYLES. . Aussi n'avançonsnous qu'avec peine au milieu d'un flot de dévots. Il y est au contraire admis chez les Kabyles. nous sommes tout étonnés d'apercevoir. en se demandant sans doute ce que nous venons faire dans leur village. moyennant l'autorisation du mari qui. un homme étranger ne peut jamais pénétrer dans un intérieur où se trouve une femme. Mohammed Arab va nous servir de cicérone. paraissent donner force explications à notre sujet. il jouit d'un double prestige qui lui assure partout un accueil empressé. Au moment de pénétrer dans la première habitation où nous conduit Mohammed Arab. accompagne toujours le visiteur. de véritables croix grecques. LE MARABOUT 87 Dès que les porteuses d'eau ont disparu derrière le seuil de leurs demeures. La plupart des habitants que nous rencontrons se précipitent pour lui baiser les mains ou embrasser son burnous. Serait-ce une preuve que les Kabyles ont été chrétiens? Certains auteurs l'affirment. grossi des curieux qui sortent de leurs maisons pour nous observer. Certains d'entre eux. Bâties en pierres à peine maçonnées. autour d'une cour fermée. depuis longtemps. Le père DUGAS (op. En effet. soutiennent que les Kabyles professé christianisme. au contraire. prétendent que ce signe ne fournit aucun indice. elles ne comprennent. le Djurdjura aucun. t. n'est plus en usage chez les Kabyles (1). pp. I. et la fumée doit chercher une issue par la porte et à travers les fissures (1) HANOTEAU et LETOURNEUX. op. 312 et n'ont jamais le suiv. j'incline à penser que. si la plupart des Berbères ont été jadis chrétiens. Revue des Deux' Mondes du 15 décembre 1865. ou serait une des lettres de l'ancien alphabet berbère. Elles sont groupées. Nous visitons successivement deux maisons. qu'une seule pièce sans aucune fenêtre. Au milieu du premier est creusé un trou circulaire servant de foyer. et réunissent plusieurs familles composées uniquement de parents. çaise.. les Kabyles du Djurdjura sont restés païens jusqu'au à l'islajour de leur conversion misme. Toutes sont d'ailleurs construites dans les mêmes conditions et sur un plan semblable. Pour ma part. Cette pièce se divise en deux compartiments. l'autre pour les bêtes. 862 et suiv. Les habitants de ce massif sont du reste demeurés franl'établissement de la domination indépendants jusqu'à n'est jamais parvenue à les soumettre. l'un pour les gens.88 HUIT JOURS EN KABYLIE D'autres. pp. Il n'y a pas de cheminée.. la Kabylie au temps des Romains. 1872. au nombre de trois ou quatre. 48 et suiv.) . lequel. cit. pendant romaine se trouvait que l'Afrique n'en possédait presque partout couverte d'évêchés. cit. pp. et qu'il constitue simplement un ornement. le plus souvent.. Rome notamment ( BIBESCO.) défend l'opinion contraire. MAISONS KABYLES 89 du toit. Tout autour de la chambre sont disposés de larges bancs en maçonnerie, que des nattes suffisent à transformer en lits. Une sorte de panier carré, suspendu à une corde par deux bâtons en croix arcboutés auxquatre extrémités, sert de berceau. D'énormes jarres, encastrées dans les coins, renferment les provisions de grains et de figues sèches. Un coffre, contenant tous les effets d'habillement de la famille, deux ou trois grands plats en bois, un moulin à bras pour faire la farine, des poteries de ménage, une ou deux lampes en terre cuite constituent tout le mobilier. Le compartiment affecté aux animaux se trouve un peu en contre-bas de celui réservé aux gens. Il n'en est séparé que par une claire-voie. Au-dessus de cette écurie se trouve une sorte de soupente. Les Kabyles habitent ainsi en compagnie de leurs bêtes, l'âne, la chèvre, le mouton et la poule. C'est se ménager pour l'hiver un chauffage économique, mais pour le confortable c'est loger à l'étable de Bethléem. Nous sommes surpris de la propreté relative des habitations. Les rues nous avaient déjà frappés par la même particularité. La propreté des maisons et surtout des voies "publiques dépend, en grande partie, du plus ou moins de sévérité dont fait preuve l'administration pour l'observation des règlements de salubrité. Les villages de la commune mixte d'Aïn-el-Hammam nous ont tous semblé tenus d'une façon satisfaisante; ceux de la commune mixte de Maillot, que je traversai 90 HUIT JOURS EN KABYLIE l'an dernier, laissaient beaucoup à désirer. En tout cas, les maisons revêlent chaque année une éblouissante parure, un blanchissage annuel se trouvant imposé par l'administration. Les arrêtés municipaux ne peuvent malheureusement pas atteindre la personne même de l'habitant. Voilà peut-être pourquoi ce qu'il y a de moins propre en Kabylie, c'est le Kabyle. Jamais il ne quitte, ses vêtements. Quand sa chemise tombe en loques, il en ajoute une seconde par-dessus, conservant soigneusement sur lui ce qui reste de la première. Il porte parfois jusqu'à trois burnous superposés, le plus neuf cachant les autres. C'est ainsi qu'il se trouve recouvert de cinq ou six couches de laine, disposées par ordre de date, et réunies entre elles par de la crasse stratifiée. Avec ses solutions de continuité, cette carapace est aussi difficile à analyser que la croûte terrestre ; mais dans ses divers éléments, on peut chercher l'âge du propriétaire comme, dans les terrains tertiaires ou quaternaires, les années du monde (1). Désireux d'apprendre comment se font les vêtements, nous prions Mohammed Arab de réquisitionner une femme, pour qu'elle nous fasse voir les procédés de tissage. Une vieille, à la figure parcheminée, tire aussitôt d'une encognure un burnous inachevé, et se met à y travailler devant nous. (1) Voir ci-dessus, p. 20. LE TISSAGE, LE BURNOUS 91 Chaque famille a son métier à tisser. Il est d'une extrême simplicité. La chaîne est suspendue verticalement au moyen de quelques bâtons. Quant à la trame, elle se passe sans navette, en introduisant le fil avec les doigts, et en le serrant ensuite sur la partie déjà faite, au moyen d'un peigne semblable à ceux des Avec un pareil procédé, qui rappelle palefreniers. plutôt le travail du vannier que celui du tisserand, il faut deux mois au moins pour faire un burnous. Mais, en revanche, l'étoffe est très solide, employée est à peine dégraissée, et comme la laine est presque le tissu imperméable. Quel que soit le rang social d'une femme, elle n'en doit pas moins travailler à la confection des vêtements, et spécialement des burnous. Les Kabyles en sont encore aux temps homériques, où les reines filaient comme de simples bergères. Sans "doute, les femmes riches ont à leur disposition des servantes (1) pour faire le gros ouvrage, notamment pour aller chercher l'eau à la fontaine. Mais, pour le reste, elles mènent exactement la même vie que les femmes pauvres, tissant les étoffes, et même faisant la cuisine (2). Pour être complètement édifiés sur la manière de vivre des Kabyles, il ne nous reste plus qu'à voir faire (1) Une servante se paye jusqu'à 30 francs par mois. (2) Cette égalité entre les pauvres et les riches se rencontre non-seulement chez les femmes, mais encore chez les hommes. (Voir ci-dessus, pp. 45 et suiv.) 92 HUIT JOURS EN KABYLIE le couscous. Mohammed Arab fait appeler un cordon bleu ès couscous. Aussitôt se présente une jeune femme aux poignets chargés de bracelets d'argent. Elle paraît pénétrée de la dignité de son art, et enchantée de l'honneur que nous lui faisons en l'invitant à nous donner une leçon culinaire. Avoir enseigné à des Roumis, et surtout à une dame roumie, l'art de confectionner le couscous, voilà de quoi faire l'objet, pendant deux ou trois ans, des conversations de tout le village. Après avoir prestement réuni à côté d'elle tout ce qui est nécessaire, à savoir un grand plat en bois, de la farine, une gamelle pleine d'eau et un tamis, notre maîtresse de cuisine se laisse tomber à terre avec grâce, s'assied et commence la fabrication. Plaçant Ie plat entre ses jambes, elle y jette une poignée de farine, ainsi que quelques gouttes d'eau. Puis elle se met à tourner rapidement les mains tout autour du plat, et roule bientôt sous chaque doigt des grains de pâte. Dès qu'elle a ainsi transformé une poignée de farine, elle continue avec une autre. Travaillant avec dextérité et n'étant retardée ni par la multiplicité des instruments, ni par la complication des méthodes, elle a bientôt rempli le fond du plat. Nous admirons spécialement la simplicité du système dont elle use pour jeter de l'eau sur la farine. Plongeant dans la gamelle qui se trouve à côté d'elle ses mains jointes, et les frottant pour les laver, elle les secoue ensuite avec élé- LE COUSCOUS 93 gance sur le plat. Ce procédé à deux fins est aussi commode qu'expéditif; mais il contribue peut-être à donner au produit une teinte grisâtre. Gomme il ne faut' rien perdre, notre femme, à la fin de ses opérations, gratte le plat avec ses ongles pour recueillir la pâte attachée aux parois, et le lave avec un peu d'eau. Elle donne encore quelques tours de mains. Enfin elle vide dans un tamis tout ce qu'elle a fabriqué. Ce qui passe à travers les trous ressemble à une grosse semoule, et constitue le couscous; le reste doit être brassé à nouveau, jusqu'à ce qu'il ait été réduit en grains suffisamment fins. Le couscous une fois fabriqué, il s'agit de le faire cuire. Pour cela, on le met dans un vase percé de trous, et on le place au-dessus d'une sorte de pot-aufeu. Les grains, ainsi exposés à la vapeur, gonflent peu à peu, et acquièrent une grande légèreté. Le couscous ressemble, quand il est cuit, à un riz menu et léger. IL se mange avec une sauce fortement pimentée. Le temps qui nous presse ne nous permet pas d'assister à la cuisson. Nous ne pouvons donc pas décerner à notre Kabyle un brevet de cuisinière, mais nous lui accordons une première médaille pour pâtes alimentaires. En sortant de la maison où nous venons de prendre une leçon de choses, nous allons voir dans un coin de la cour l'installation pour cuire le couscous. A cause de la chaleur de l'été, on n'allume plus de feu dans 94 HUIT JOURS EN KABYLIE l'intérieur des habitations, et c'est sous des abris de branchages qu'on prépare les repas. Une légère fumée descend lentement vers les ravins en nappes bleuâtres et transparentes, pendant que le soleil couchant dore de ses tons les plus doux tout cet ensemble de masures plats rustiques, de Kabyles au maintien grave. C'est la simplicité et le calme des églogues de Virgile. Nous nous arrachons avec peine à un spectacle qui nous reporte à vingt siècles en arrière. Mais le jour baisse, et il faut nous remettre en marche, si nous voulons être à Aïn-el-Hammam avant la nuit. Nous sommes reconduits à la sortie de Tiferdoul par le cortège d'indigènes qui nous a suivis partout. Nous passons à côté du moulin à huile en plein air, qui s'élève nécessairement à côté de tout village kabyle. Un peu plus loin nous rencontrons Pamin qui revient des champs. Il présente ses hommages à M. Grault et sollicite la faveur de nous offrir à dîner. Mais quelque envie que nous ayons de nous édifier par nous-mêmes sur l'hospitalité kabyle, nous sommes obligés de refuser l'invitation, car, ayant formé le projet de partir demain de grand matin, nous ne saurions retarder davantage notre retour à Aïn-el-Hammam. L'amin paraît fort contrarié. Rentré chez lui, il éprouve un dépit plus vif encore, en apprenant que ce n'est pas à sa femme qu'a été dévolu l'honneur de fabriquer le couscous en notre de terre cuite, de oeuvres des Beni-Yenni. ce sont des boucles d'oreilles. M. nous ont offert congé prenons immédiatement M.. Nous rentrons soleil. elles se trouvent enrichies d'émaux rouges. compagnon de table. Grault de questions et son envie. R. Quant au bracelet en filigrane d'argent. Les boucles d'oreilles et la broche sont très curieuses comme dessin et comme couleur. nous regaCependant Mme Robert presse au sujet des bijoux qu'elle a ont excité sa curiosité remarqués et qui. Comme à Aïn-el-Hammam au coucher en route du à demain nous nous mettrons nous la pointe du jour. D. qui Puis nous hospitalité. une broche et un bracelet. naturellement. Il nous présente. Nous vidons tout surtout préoccuper d'abord la question la question qui semble des bijoux chacun Mm' Robert. Quelques jours après présence. de l'administrateur. il est . sur nos mulets et.. les orfèvres les plus renommés de la Kabylie. comme une aimable allons souper avec M. Nous remontons d'amin... et la soirée se passe aussi agréable qu'instructive. s'en plaindre à M. R. Grault et M.. tout en devisant de couscous et de femmes kabyles.. gnons Aïn-el-Hammam. M. Grault. kabyles.BIJOUX KABYLES 95 il venait notre passage. ainsi que de Mme D. bleus et jaunes. le suppléant du juge de paix... Grault. nous présentent quelques pièces recueillies par eux chez les meilleurs fabricants .. Conçues dans le style du cloisonné. M... On sent que les Beni-Yenni. Mais en dehors de ces concessions à la civilisation. 32. des bougies stéariques et des allumettes. Encore quelques années. libre carrière à leur imagination personnelle. à chaque instant. On cite le cas de deux individus qui. (1) Voir le général DAUMAS. entraînèrent dans leur querelle tous les habitants de leur village. Mais son type rappelle un peu trop l'article de Paris. commencent à s'inspirer des modèles européens. que. comme jadis. C'est ainsi. rebelles aux conceptions de la justice moderne. Il s'ensuivit une mêlée générale. et ils auront perdu en originalité artistique tout ce qu'ils auront gagné peut-être en savoir-faire. p. travaillant beaucoup pour les bijoutiers ' d'Alger. Elle naissait généralement des causes les plus futiles. au lieu de donner. ils restent obstinément fidèles à leurs idées et à leurs coutumes. ils pratiquent. la justice privée. s'étant un jour disputés pour une somme de sept centimes. surtout pour ce qu'elle offre de moins remarquable. Ils consentent à acheter des caisses de pétrole. 1857.96 HUIT JOURS EN KABYLIE remarquable par la légèreté du travail. Le travail des orfèvres dont nous examinons les oeuvres témoigne de la disposition où se trouvent les Kabyles d'emprunter certains procédés à l'industrie européenne. Leurs moeurs ne se sont adoucies qu'en apparence. dans laquelle périrent quarante-cinqcombattants(l). la guerre civile désolait fréquemment le pays. Avant l'occupation française. la Kabylie. . par exemple. d'un commun accord. Quand ceux-ci avaient repris des forces suffisantes. 69 et suiv. Les femmes. les enfants et les marabouts (1) étaient toujours mis hors de cause et par conséquent épargnés vainqueur. qui s'est contre l'ennemi comles l'union jourd'hui. op. II. (1) Voir sur les marabouts le commencement civiles en Kabylie avant la con(2) Voir sur les guerres quête par la France. HANOTEAU et LETOURNEUX. crainte qu'inspire formée entre tous les indigènes mun. Ainsi. il régnât une certaine courtoisie chevaleresque. La l'autorité française. dans ces luttes où la haine avait peu de part. On comprend et l'esprit que. . pour permettre aux femmes d'apporter à manger aux combattants. Mais sont toujours vengeances particulières et causent nombre de morts d'homme. t. Des trêves fréquentes s'établissaient tacitement par le même entre les deux camps. cit. c'était surtout par point d'honneur et par esprit de solidarité dès lors que les Kabyles se battaient. vers le milieu de la journée. à savoir l'étranger. les femmes se retiraient et les coups de fusil recommençaient de plus belle (2). une suspension d'armes. pp. Ces batailles rangées sont devenues fort rares auLes temps héroïques touchent à leur fin. il y avait toujours.GUERRES CIVILES 97 Les motifs sérieux de conflit étant ordinairement des moins de conquête n'existant pas. entre indigènes très à la mode Les Français que les assassinats jouissent d'une sécurité du chapitre III. en sont la cause.. C'est seulement se produisent. m'a-t-on dit. ils cherchent même à se le concilier hospitalier. (1) Il courrait. car si le Français est abhorré. à toute heure du jour et de la nuit même isolément. il est. le pays serait immédiatement saccagé Loin de faire aucun mal au Français. les Kabyles. La est infiniment des plus sûre que la plupart quartiers de Paris. où il prête souvent à 10 % par semaine. Comme.98 HUIT JOURS EN KABYLIE parfaite. que s'il s'aventurait seul dans le pays il risquerait certainement sa vie (1). Tout Français qui s'égarerait seul au milieu des tribus serait non seulement respecté. circuler. il inspire une telle haine aux Kabyles. courus ne se trouvent compensés par aucun . d'autre part. Aucun représentant de la plus positive des races ne mettra plus les pieds dans une région où les risques profit. encore plus redouté. Kabylie et peuvent. par un accueil par représailles. sans aucun danger. Par Français il faut du reste entendre le Français naturaeuropéen. soit 500 % par an. se montrent de taille à rouler tout Israël. aujourd'hui lisé. Les indigènes sont persuadés que si l'un d'eux avait le malheur d'y toucher. Quant au juif algérien. les quelques juifs qui avaient tenté de s'implanter par groupe dans la contrée ont été bien vite obligés de plier bagage. les mêmes dangers aux environs de Bône. mais encore hébergé et nourri. passés maîtres en affaires. en revanche. Aujourd'hui la Kabylie n'en renferme plus un seul. Celui qui. au profit de tous les parents de la victime. recevant le prix de la peine. c'est-à-dire une dette de tête. sorte de transaction pécuniaire par laquelle le Coran permet de racheter le sang répandu et d'éviter la peine du talion (1). C'est comme un prêt de cadavre : un cadavre seulement peut le rembourser. Le sangrépandu devient alors une semence d'assassinats.) . le changera on aumône fera bien. et tout membre de la famille de l'assassiné a le droit de se payer dès qu'il en trouve l'occasion. 577 et 578. LA d'expiation pour BEAUME. Une dispute pour la moindre cause dégénère facilement en rixe et se termine parfois par une 'mort d'homme. et il doit à son tour s'acquitter généreusement envers celui qui lui a fait une remise. pp.LA VENDETTA 99 Le Français n'ayant rien à craindre et le juif ne s'exposant jamais. le Koran analysé. Le Kabyle est vindicatif et emporté. Son payement est poursuivable contre un parent quelconque du meurtrier. C'est la vendetta corse. II. Les blessures seront punies par la loi du talion. Un homme libre pour un homme libre. une dette de rek'ba. et même de toute sa famille. Ces meurtres sont très fréquents. une remise de cette peine sera faite par son frère doit être traité avec humanité. n'admettent pas la dia. Chaque homicide fait naître à la charge du coupable.. mais plus implacable encore à causede la barbarie de la race. C'est. 1878.. Les Kabyles. un esclave Celui auquel pour un esclave et une femme pour une femme. à la différence des Arabes. ses péchés. 173 et V. au point de vue ! La peine du talion vous est prescrite (1) « 0 croyants pour le meurtre. cela lui servira » (Koran. 49.. La dette est imprescriptible.. tous les meurtres qui se commettent ne frappent que des indigènes. Le contrat ayant été conclu reçut bientôt exécution : celui qui n'avait donné que cinq cents francs fut assassiné pour le compte de celui qui en avait donné six cents. un exemple caractéristique des moeurs et des idées kabyles en ce qui touche cette terrible profession. un célèbre praticien reçut cinq cents francs pour assassiner un de ses compatriotes. bien qu'elle montât au prix courant. III. La créance de tête. bien que sacrée.pour plus de détails et LETOURNEUX. où parents et amis s'empressent de (1) Voir.. Voici. sur la dette de rek'ba.100 HUIT JOURS EN KABYLIE tant actif que passif. cit. pour ne pas dire d'une grande considération. HANOTEAU . Or. n'est pas d'un recouvrement rigoureusement personnel: pour la faire valoir. il est permis de recourir à un étranger. L'assassin. pp. on ne sait comment. lui ayant fait connaître le marché conclu. ces transportés trouvent souvent. il alla trouver la victime désignée à ses coups et. un cas de solidarité atroce (1). Jamais on ne refuse une admiration mêlée de terreur à tel entrepreneur de crimes. 60 et suiv. saisi et condamné. Le métier d'assassin jouit. t. le moyen de s'évader et de revenir dans leur patrie. Il y a quelque temps. en Kabylie. fut expédié à Cayenne. d'un singulier prestige. lieu de transportation des indigènes algériens. la coutume autorise l'emploi d'un vengeur à gages. accusé d'avoir tué déjà quarante ou cinquante personnes. Trouvant cette somme insuffisante. au surplus. lui offrit de tuer l'embaucheur pour six cents'francs. op. La peine de mort. . 6. dut user de toute son autorité. Grault. est particulièrement terrible (2) La mort par décollation pour un mahométan. Il rentra dans sa tribu et reprit son ancienne profession. Ce simple trait de moeurs montre sur le vif l'impuissance de l'administration à réprimer les crimes. Doué d'une force herculéenne et d'une énergie indomptable. le chemin de sa tribu et le cours de ses exploits. ayant mal combiné son attentat. sur le point de s'échapper. ayant été chargé de le conduire à l'hôpital de Fort-National. Elle risque. terre. M. évadé de Cayenne. les peines n'effrayent plus les meurtriers. il fut. l'illustre bandit se rétablissait et n'attendait que le jour de reprendre. On ne parvint qu'à grand'peine à s'en emparer et à le garroter. Aussi. tribu. L'assassin parvint à se sauver. en cas d'exécution les parents du supcapitale. Les Kabyles se tuent entre eux maintenant comme par le passé.LES ASSASSINS 101 les cacher (1). en passant par Cayenne. malgré ses deux blessures. la seule que redoute un musulman (2). en effet. qui doit parce que Mahomet. Mais un jour. n'est que dans les journaux (-1) On litfréquemment algériens qu'un ina été repris ou signalé dans telle digène. laissera alors le cadavre sur cette paradis par les cheveux. Aux dernières nouvelles. pour que les indigènes requis par lui osassent le porter à destination. de le priver du bonheur enlever les élus au céleste. il reçut de l'individu dont il s'était chargé deux coups de feu qui lui fracassèrent une jambe et une épaule. Comment expliquer que l'introduction de la justice française n'ait amené aucune amélioration ? D'abord. lequel est généralement fort sévère pour les indigènes. et Mahomet chirurgicale prendre à ? un simple subterfuge être supprimé en ce qui con(1) Le droit de grâce devrait cerne les Algériens musulmans. individus condamnés à mort en Algérie. voir plus haut.102 HUIT JOURS EN KABYLIE très rarement infligée. dans le Journal officiel du 29 mars 1886.) . (Voir le Rapport sur l'administration de en France et en Algérie pendant la justice criminelle l'année 1884. en 1884. avant au tronc. n'intimident guère les indigènes. l'impunité complète. A la découverte du cadavre. 74. contribue à en augmenter le nombre. d'un bond. en effet. p. Voici. non pas par la faute du jury. comment les choses se passent le plus souvent. qui sont alors appliqués. l'amin du village avertit l'autorité française. qui est le lot de bien des crimes. L'offensé a guetté l'offenseur pendant des jours et des nuits . il a fini par le surprendre et. — Au surplus. mais parce que le chef de l'Etat gracie presque tous les condamnés (1). L'adle corps et de recoudre la tête plicié ont-ils soin de réclamer de procéder à l'ensevelissement. parce que son exercice passe ou un acte de faiblesse. Mais un sur le dévouement condamné peut-il compter et sur l'habileté se laissera-t-il des siens. C'est la victime d'une vengeance. il l'a mortellement étreint. Outre l'insuffisance de la répression. et cet espoir n'a rien de chimérique. 1470. traversé par une balle ou criblé de coups de couteau. p. Un individu. est trouvé au fond d'un ravin. sur quarante un seul a été exécuté. car ils ont toujours l'espoir de s'évader de Cayenne. Les travaux forcés. toujours pour un aveu d'injustice Or. découverte qui n'a lieu généralement que plusieurs jours après le crime. comme la panthère. 197. 3° partie. Il y a autant de témoins dans un sens que dans l'autre. le juge de paix.LA RÉPRESSION 103 ministrateur (1). Manarf (je ne sais pas) est l'unique réponse à toutes les questions. Revue algérienne prudence. se vengera luimême ou saura se faire venger par quelqu'un de sa famille. il se procure facilement des témoins à décharge moyennant finance. aux instruire les affaires. Qu'un indigène formule une accusation.) . Une circueu les attributions d'officiers en laire du procureur près la Cour d'appel d'Alger. un autre indigène se présente immédiatement pour la renverser. pouvoirs et de jurisde législation du 3 octobre 1888. les gendarmes. ainsi trahi. mais il prétend ne rien savoir. car il y a honte et danger àdénoncer aux Rounds un compatriote qui. elle se heurte à des obstacles presque invincibles quand elle recherche les preuves de culpabilité. et contre lui ceux du çof ennemi. Tous les habitants du village déclarent ne rien savoir non plus. Si l'accusé n'est pas spontanément défendu par ses amis. les cavaliers d'administration se transportent sur les lieux. ont toujours de communes mixtes (1) Los administrateurs de police judiciaire. Si. Rien n'est donc plus facile que d'obtenir une déposition créant un alibi. L'amin est interrogé . 1888. en dépit de tous les obstacles. circonstances ils devraient Quant ils viennent de recevoir les mêmes adjoints des administrateurs. a décidé qu'il y aurait et précisé dans quelles leur concours d'une façon plus suivie. p. car un accusé a toujours pour lui les partisans de son çof. la justice parvient à mettre la main sur un individu désigné par certaines présomptions. général lieu d'employer date du 4 juillet 1888. de police judiciaire (Décret que les administrateurs. on finirait. Cet état de choses. à savoir la solidarité de famille. unecollectivité. cit. à force de prétendre être juste. Étant donné ce principe. Le coupable. un faisceau de résistances. de village. couvert par les dépositions des membres de son çof. . de çof. général dans toute l'Algérie. ne tiennent de ce qu'étant donnés certains mipas suffisamment compte lieux sociaux. finira par se faire connaître sous la pression exercée par ses compagnons de captivité.. et de la façon dont doit un exemple de solidarité la justice franprocéder çaise. comme M. pp. et que presque tous sont collectifs (2). doit faire conclure que peu de crimes sont individuels. Jamais en face de soi on ne trouve d'individu isolé : c'est toujours un groupe. Pour avoir chance de saisir le coupable. mais particulièrement aigu en Kabylie. faute de preuves (1). par laisser impunis tous les méfaits. échappe. Très souvent le coupable. il faut commencer par appréhender au corps tous les témoins que l'on peut découvrir. 137 et suiv. ou sera dé(1) Voir de famille plus loin. le système do la responsabilité collec(2) C'est ce qui justifie en cas d'incendie. La justice française vient échouer sur un écueil également à craindre pour tous ceux qui ont affaire aux indigènes musulmans. même chapitre. Les théoriciens tive. s'élèvent contre ce système au nom des idées de justice.104 HUIT JOURS EN KABYLIE L'instruction des affaires criminelles se trouve ainsi hérissée de difficultés à peu près insurmontables. qui se cache généralement parmi eux. l'autorité judiciaire est fréquemment forcée de recourir à des moyens contraires aux préjugés qui ont faveur en France.). PAUL LEROY-BEAULIEU (op. de tribu. notamment qui. Par conséquent. au moins par recel. ils s'accommoderaient bien vite du régime. comme le monde musulman en général. mais des groupes compacts d'individus .L'INSTRUCTION CRIMINELLE 105 nonce par eux. car pour se les faire rendre. non pas des individus isolés. . criminelle peuvent révolter les âmes sensibles qui. Si cette mesure ne donne pas de résultat. comme tous les habitants du village doivent être soupçonnés de complicité. et surtout à ne rien faire. La Kabylie. oppose aux efforts de la civilisation. et rien ne les déterminerait aux . n'impose pas aux indipréventive. Mais ils sont rendus nécessaires et légitimes par le milieu social au sein duquel la France a le devoir d'assurer la tranquillité. car sans les astreindre au travail il leur assure du pain. c'est à ces groupes qu'il faut s'en prendre en toute circonstance. autorisé d'ailleurs complète par la loi française. Parfois même. Chaque peuple doit avoir la justice qu'il mérite. au cas de crime. N'était la privation de liberté. il n'est pas injuste de soumettre certains d'entre eux à la détention Cet emprisonnement. C'est même une excellente aubaine pour des gens dont le souverain bonheur consiste à manger. par une pitié mal placée. leurs maris n'hésiteront plus à indiquer l'auteur du crime. particulièrement en matière de répression. il y a lieu d'incarcérer les femmes. conspirent à sauver les gredins.. d'une façon Ces procédés d'instruction gènes un régime qui leur soit trop dur. il est nécessaire d'arrêter tous les habitants d'un village. était convaincu que le coupable était tenu caché dans le village même. Un assassinat avait été commis dans un village d'une des tribus les plus rebelles de la Kabylie.il ne parvenait pas à mettre la main sur le coupable. fort au courant des moeurs des habitants. Il envoya un de ses adjoints. faute de prison suffisamment vaste. Au surplus. il fit cerner le village par les quatre cavaliers qui l'avaient accompagné. sans se laisser tromper plus longtemps. Mais le besoin de grand air finissant par se faire sentir. frais émoulu des principes du criminelle. Le suppléant du juge de 'paix. Les hommes furent relâchés. Celui-ci reçut d'abord de tout le monde la même réponse que le suppléant du juge de paix : le coupable avait quitté le pays. en outre. en cas de besoin. soixante femmes comme otages. Malgré tous ses efforts. à moins de laisser les crimes impunis. nouvellement débarqué. et il devient parfois possible de mettre la main sur le coupable. mit en arrestation tous les hommes au nombre de trois cents. Au dire des indigènes interrogés. des révélations se produisent. il emmena toute celte troupe. Mais. Voici d'ailleurs entre mille un exemple à l'appui. et prit. acte d'énergie.106 HUIT JOURS EN KABYLIE aveux. L'administrateur. Puis. il n'était plus dans le pays. revolver au poing. se mit à procéder conformément aux règles en honneur dans la Métropole. les faits de chaque jour attestent l'efficacité d'un système qu'on est forcé de suivre. qui n'hésitait jamais àfaire. mais les femmes furent incarcéCode d'instruction . pour saisir un criminel. mais qui ne songeaient plus qu'à rentrer en possession de leurs femmes. pp. . Le lendemain.LA JUSTICE ET LA FORCE 107 rées. Obéir au plus fort. Qu'un agen de l'autorité prononce les mots sacramentels : je Car(1) Conf. on commence par mettre la main sur tous ceux qui s'offrent comme témoins. Tout s'explique cependant. Mektoub (c'était écrit) : ce seul mot de résignation fataliste résume. ci-dessus. Le résultat ne se fit pas longtemps attendre. Cette hostilité de tous les instants.pour l'indigène qui se sent dominé par plus puissant que lui. la soumission doit être aveugle et muette (1). le coupable venait lui-même se constituer prisonnier. il se sacrifiait au bien public. et cette stupéfaction s'accroît encore. quand on voit la soumission extraordinaire que tout indigène témoigne habituellement aux représentants de la France. Poussé par ses concitoyens. qui déroute à chaque pas les recherches. 47 et s. c'est obéir à Dieu . et comme demander à Dieu raison de la force de qui que ce soit serait commettre un sacrilège. il ne vient jamais à l'idée d'aucun d'eux de protester contre la mesure prise à son égard. Lorsque. toutes les raisons de sa prodigieuse docilité. De pareilles moeurs sont faites pour jeter le désordre au milieu des idées habituelles de justice. jette l'esprit dans une sorte de stupéfaction. quand on connaît le respect que tout musulman professe pour la force. qui l'avaient jusque-là soustrait aux recherches. ne seront respectés et obéis qu'autant qu'ils resteront investis d'un pouvoir de discipline. pour la exprimé sous certaines réserves. conformément au droit commun. indigènes. prendre possible. elles communes mixtes. mieux ils réclament les questions tous peut-être algériennes. les indigènes qu'à un De.). Elles sont le manque de respect envers un agent de l'autorité. sont infligées disciplinairement par les administrateurs. L'application que font les administrateurs des peines de l'indigénat (1) ne soulève. demandent suppression habitant comme ils connaissent Quant aux Français l'Algérie. ont dos indigènes lorsqu'ils pour auteurs.M. dans les régiments. cit. Les membres pour assurer la tranquillité de gouvernement ont. Dans les communes de plein exercice. Les publicistes les protéger métropolitains qui prétendent PAUL LEROY-BEAULIEU notamment (op. des organiser décisions à l'exécution toute idée de prises. réprimées par les peines de simple police. mis à leur tête pour régime tout militaire. car elle est commandée exceptionnelle. le qui n'a accordé que pour sept années aux administrateurs droit d'infliger les peines de l'indigénat. sans murmurer ni chercher à s'échapper.. permettre la défense la publicité dos prévenus. en pratique. ces peines sont prononcées. encore. la salle de police de pouvoir autorité qu'à la condition infliger et la prison.108 HUIT JOURS EN KABYLIE rête. 511 etsuiv. et celui qu'il aura ainsi comme frappé d'un coup irrésistible le suivra immédiatement. 11 faut sans doute cas beaucoup supprimer trop quelques des mesures contre l'arbitraire vagues. n'en doit pas moins actuelle dans son ensemble. 274). à grandscrisla du code de l'indigénat. prorogation. si exceptionnelle être conservée qu'elle soit. tandis que dans les par le juge en vertu d'une loi du 28 juin 1881. pp. par une situation ne se soumettront. 1887. prévenir quant Mais la législation malversation. p. de la loi du 28 juin 1881.longtemps Les administrateurs. les gouverner. le maintien d'une législation indispensable qui est absolument du conseil du pays. de paix. . de même spécial ne conserveront les colonels quoique que. par exemple. aucune diffià l'indigénat de différésultent (1) Los infractions spéciales considérés comme rents faits que qui ne sont punissables Tel est. dans la session de novembre supérieur 1887 (voir les procès-verbaux du Conseil supérieur de gouverneun voeu unanime ment. Grault. après avoir fait l'étape fixée. Voir le texte de précisé les infractions spéciales la loi du 27 juin 1888. — C'est bien. répondit l'indigène.PEINES DE L'INDIGENAT ' 109 culté. restreint seulement. » — Après avoir pris son nom. Que veux-tu? Voici mon fusil. et demandera son incarcération. sans qu'il soit nécessaire de s'en occuper davantage. par principe. et créent une dangereuse agitation pour les faire supprimer. Un administrateur. Aussi l'exécution de la sentence se trouve-t-elle presque toujours assurée par une simple signification. tu diras de le mettre en prison. — Macache car ta (je n'ai pas de permis). et à l'heure dite. Elle a. Il suffit. garde ton fusil. C'est comme le soldat qui. je suis content. pp. l'administradu 27 juin 1S88 vient de proroger. « La caria (ton permis). et à l'indigénat. avec la discussion qui a précédé le vote. la plupart du temps. mais porte-le au bordj . Jamais un indigène n'a de lui-même songé à réclamer . 3e partie. Une loi . pour deux ans la loi du 28 juin 1881. va toucher son billet de logement et recevoir son prêt. 153 et suiv. s'élèvent contre elles. car je viens de tuer mon ennemi. Ce sont seulement les publicistes métropolitains qui. lui cria M. du reste. se trouvant un jour en tournée. dans la Revue algérienne de législation et de jurisprudence. de faire connaître au condamné le moment où il devra se rendre au bordj d'administration pour subir sa peine . 1888. il s'y rendra de luimême. dès qu'il est condamné il se soumet. rencontra un indigène qui s'en allait tout tranquillement portant un fusil. repartit l'administrateur : je l'arrête. Celle-ci procède uniquement de la supério(1) Voici un autre exemple . et encore réintégra-t-il local. par conséquent. ou même simplement dès qu'elle se montre. V.. M.. un des exemples du prestige qu'inspire l'autorité (1).. Ce trait stupéfiant n'est pas un fait isolé . et aucune surveillance ne pouvait s'exercer.110 HUIT JOURS EN KABYLIE teur continua sa route sans plus s'inquiéter. à en juger par les effets prodigieux de domptement qu'obtient l'administration dès qu'elle se fait sentir. tions lui-même. je le tiensde M..... ne trouva ni gendarmes.. V. faute de personnel. se trouvait tout ouverte. II consulta son chaouch sur ce qu'il y avait à faire pour reprendre le fugitif. Cette situation se prolongea pendant plusieurs mois. En prenant possession d'une justice de paix qui venait d'être créée. arrivait deFrance et. . V. lui dit le chaouch. leur permettant de réduire du regard les natures les plus rebelles? Y aurait-il là un singulier phénomène d'hypnotisme? On pourrait presque le croire. mais ne Il opérait les arrestal'empêcha pas d'exercer ses fonctions. grâce à la mesure que prit M. Les agents du pouvoir seraient-ils doués de quelque vertu magique. le meurtrier arrivait paisiblement au bordj et demandait à être incarcéré. assisté simplement de son chaouch. il se contentait de consigner ses prisonniers dans la salle d'audience. c'est-àdire de son appariteur.. Il ne faut cependant pas s'abuser sur sa puissance hypnotique. entre mille.. deux heures après l'évadé était revenu. Le frère fut appréhendé et consigné à la salle d'audience .. ni prison. Le soir même. « C'est bien simple.mit immédiatement ce conseil en pratique. c'est. N'ayant pas de chambre de sûreté. V. » M. il y a ici son frère : arrête-le. V. par suite de l'insuffisance de l'installation. Or il n'y eut jamais qu'un seul bien vite le prisonnier qui se sauva. et ton prisonnier sera bientôt de retour.juge depaix en Kabylie. Celle-ci. aussitôt après s'être aperçu de son évasion. M. ne se trouvait nullement au fait des moyens dont dispose un magistrat algérien. songeant à un retour possible des événements. qu'en cas de on ne guerre européenne et en présence d'une insurrection. (Voir . C'est donc bien à tort que certains publicistes croient à l'existence de Kabyles ou d'Arabes vraiment ralliés à la cause française. plus terrible peutêtre que celle de 1871.) (2) Le maréchal de Mac-Mahon. les agents de l'autorité française. (1) « Baise la main que tu ne peux couper ». Quiconque connaît véritablement les indigènes déclare sans hésiter qu'il n'y en a presque pas un. qu'elle subisse un échec en Europe. l'indigène se réveillera. p. pourrait pas compter sur la fidélité de vingt indigènes. (RABOURDIN. « Sûrs. isolés au milieu des tribus kabyles. Que la France manque un seul jour d'opérer ses passes magnétiques avec sesinstruments de divers calibres.op. seraient sûrs au moins des cavaliers d'administration. Je demandais un jour à un administrateur si. dit un proverbe arabe. 7. attendrait quelque temps avant de prendre parti. L'enchantement s'évanouira. cit. et la fascination cessera sur-le-champ. Il y aurait peut-être un cavalier qui. me répondit-il. disait un jour à l'archevêque d'Alger.OBÉISSANCE PASSIVE 111 rite des fusils et des canons français.. Tous les autres profiteraient immédiatement de leur situation pour nous porter les premiers coups (2). certainement non. alors qu'il était gouverneur de l'Algérie. viendra prouver que la soumission du pays n'avait jamais été qu'apparente (1). et une insurrection. maintes fois attestée par les preuves les plus frappantes. en cas d'insurrection. en homme avisé. par exemple. de tous les indigènes. ni la confiance témoignée. .. à la caserne. (1) Les tirailleurs en bas de Fort-National. ni les L'assimilation ne peuvent transformer des natures foncièrement rebelles. t. 334 et 340) . op. dans chaque douar . revenus dans leurs pp.112 HUIT JOURS EN KABYLIE du Kabyle est encore bien lointaine. N'est-il pas triste de constater que c'est là le plus clair résultat obtenu avec ces braves turcos qui. contre leurs combattre compatriotes (voir BEAUVOIS. les plus hostiles sont ceux qui ont eu le plus de rapports avec les Français. les anciens tirailleurs. observation de leur ils administrateur.p. Ni le contact journalier avec des fonctionnaires français. constituent le clan des mauvaises têtes (2). de civilisa- GitussENMEYErt. Tout comme l'Arabe. ci-dessus. Ils se montrent les plus insoumis de tous les habitants. avait peut-être le tort de prendre au sérieux trop fréquemment des indigènes. environ une Chaque village trentaine. qui paraît se résigner à la servitude. tion et d'absinthe (3) ? de cirage. sinon chimérique. sortent surtout de la tribu des Ouadhias. Le cardinal 1888. cit. 47. mais ne s'apprivoise jamais.) Voir Lavigerie.que. pourquoi 1871. Ce sont eux qui. une fois revenus dans leurs villages. le Kabyle services rendus est de la race du chacal. (2) A la moindre : « Nous connaissons la loi. Ainsi. et nous allons écrire au répondent » J'ai entendu dire que l'administration centrale gouverneur. 162. faut-il. dans la direction du qui se trouve de cette tribu en fournit Sud-Ouest. sont ce qu'il y a de pire (d). Il faut même noter que. p. Ier. les dénonciations restent les tirailleurs demeu(3) Tant qu'ils enrégimentés. 47. rent fidèles au drapeau En on a pu les faire français. se frottent si bien d'instruction. Ils se surveillaient l'un l'autre. S. complètement semble avoir leur passé militaire ? — Voir été toujours considérée comme administratives et expériences politiques. dans une commune mixte de Kabylie. Pour cela. nommé par la majorité de la djemâa.. l'amin. il tenta d'accroître encore la division. (1) La Kabylie le champ des sociales. il imagina de ressusciter certaines institutions de l'ancienne constitution des fonctionnaires kabyle. avait en face de lui l'oukil.. loin. M. qu'il faut diviser pour régner. S. inventa le système suivant (1). plus sur l'expérience scolaire qui s'y fait actuelle- . des habitants de chaque localité en deux çofs ou clans ennemis. Voir quelques détails ment. car ils n'ont guère fait que susciter deshaines nouvelles. commencement du chapitre III. et la bonne gestion des deniers communaux se trouvait ainsi assurée. Ayant reçu carte blanche du gouverneur général. foyers. M.. déjà si profonde. renforcer l'hostilité. UNE EXPERIENCE 113 Les efforts tentés jusqu'à présent pour améliorer les Kabyles ne sont pas simplement demeurés infructueux : ils ont plutôt produit des effets contraires à ceux qu'on attendait. et finalement aggraver Une curieuse expérience a été faite récemment. par un administrateur. Partant de cette idéejuste. p. Avant la conquête. l'élection et la représentation des minorités.ASSIMILATION. divide ut imperes.. les dangers de la situation. 43. choisi par la minorité. ils renient ci-dessus. L'amin et l'oukil étaient naturellement les chefs des deux partis opposés. c'est-à-dire le receveur municipal. appliquée avec tant de succès par les Romains. en décidant qu'ils seraient institués par les minorités. les villages. S. M. avant lui.. et finalement déterminer les Kabyles à venir lation. au bout de quelque temps. tion do la Kabylie. accroître le goût des libertés publiques.. rendit aux djemâas l'élection des amins qui. Il rétablit aussi les oukils. parvint à obtenir quelques demandes de naturalisation. dans les différents villages. prendre pied dans . l'administration devait. en intervenant pour maintenir la paix extérieure. 76.. les luttes politiques. En outre. p. s'imposer comme arbitre des partis et acquérir ainsi une influence décisive qui assurerait la soumission du pays. Pesant de tout le poids de son autorité sur les indigènes qui paraissaient le mieux disposés. C'était accorder à chacun des deux çofs. allaient. C'est ainsi que furent naturalisés environ trente Kabyles.. quelle est actuellement l'organisa- en masse solliciter les bienfaits de l'assimi- . (1) Voir ci-dessus. Dans la pensée de l'inventeur du système. le droit de se donner des représentants et d'entretenir officiellement leurs querelles. étaient nommés par les administrateurs (1). S. C'était aussi permettre aux ennemis de la domination française de se compter et désorganiser. devenues plus ardentes par suite de l'importance donnée au suffrage populaire.114 HUIT JOURS EN KABYLIE M. former de véritables électeurs. faire'naître le désir d'une association complète aux prérogatives des citoyens français. sur leur organisation. on conflit perpétuel. dans plusieurs de ses parties.. sur les peines de l'indigénat. les indigènes spécialement se montrent dans les communes beaucoup plus récalcitrants de plein exercice les communes mixtes. ou bien n'ont pas le loisir d'exercer une surveillance suffisante. Pour faciliter aux indigènes l'épargne et la coopération.UNE EXPERIENCE 115 Ils forment. quoique solvables. GODEFROY. 108. Les communes 1888.) Il y a peut-être à faire administrer autant inconvénients d'indigènes par en effet. Pendant que dans l'exercice de 1887. (Voir. tembre 1887. les peines de l'indigénat. (Voir ci-dessus. Après avoir légiféré en matière de droit public. administratives 30 sep(Voir Les circonscriptions del'Algérie. ou bien se trouvent portés à abuser de leu: autorité à l'égard de gens avec lesquels ils sont. département des d'Alger. de plein exercice de l'Algérie.984 sur les l'arrondissement de Tizi-Ouzou 356. de cette caisse L'organisation était. pas payé un sou depuis quatre ans.539 habitants de cette circonscription. En ce qui concerne les impôts. en comptent 106. p. 88. rêts particuliers.) quelques renseignements .) Elles comprennent un grand nombre d'indigènes. à cause des longueurs ployées comme moyens de contrainte. tandis qu'ils les ont soldées intégralement communes mixtes On m'a dit qu'à Tizi-Ouzou certains indin'avaient gènes. un parti important parmi les électeurs de la commune de plein exercice à laquelle ils appartiennent (1). quées aux communes EUGÈNE cipal et un maire élus. soit environ les 2/7. passa au droit privé. à l'heure actuelle. à cause do leurs intéquelques maires élus. généralement les dix communes de plein exercice de Ainsi. comme colons. par exemple. ne sauraient infligées que par un jugement de la procédure. Cette situation tient à ce que. visiblement inspi- de plein exercice sont les communes ré(1) Les communes à celles qui sont appligies par des règles presque identiques Elles ont un conseil munide France. Ceux-ci. dans les communes de plein exercice. les Kabyles n'ont acquitté que les quatre dans les communes de leurs contributions de plein cinquièmes dans les exercice. il institua une Caisse syndicale des thadderts.. utilement emêtre. p. S. ne pouvant être du juge de paix. M. établie par la loi du 9 avril 1881. d'excellente source.116 HUIT JOURS EN KABYLIE rue par celle dela Caisse d'épargne postale. au moins pour le moment. Les moeurs civilisées ne sont souvent que le produit du moule dans lequel s'enferme un peuple. syndicale des thadderts est aujourd'hui li- . S.. la subordination du mineur et le néant de la femme mariée. il s'efforçait de réformer Jes moeurs : quid leges sine moriôus ? a dit Horace. fit tous ses efforts pour convertir les Kabyles au costume européen.S. Partisan convaincu de cette école. L'extérieur est fréquemment tenu pour un indice. C'est ainsi que le mineur se trouvait admis à opérer un versement sans l'intervention de son représentant légal . Est-il besoin de dire qu'étant donnée l'organisation de la famille kabyle. que la femme mariée avait également le droit d'effectuer un dépôt sans l'autorisation de son mari. Aux yeux de toute une école... que son (1) La caisse quidée. La nouvelle législation comprenait une foule de dispositions : elle prévoyait notamment des cas de remploi au profit de la femme mariée.. voire pour une cause efficiente. M. le Chinois se civilise rien qu'à couper sa queue et à endosser un habit noir.. S. etc. s'est toujours montré civilisateur classique. que rester lettre morte (1)? M. la plupart des articles ne pouvaient. en eut certainement conscience. Je sais. car en même temps qu'il faisait oeuvre de législateur. et M.. . à traiter d'une circulaire betterave où il enseignait aux ménagères que la dans ferait bien dans la marga. Puis il se mit à célébrer les progrès que faisait chaque jour la civilisation en Kabylie. 7. en les présentant. invita le gouverneur général à venir les constater sur les lieux. paraît-il. Le gouverneur général accepta et se rendit en Kabylie. former cette coiffure à porter le chapeau ayant la vertu de trans- les cervelles qu'elle abrite.. s'écria avec M. Peut-être. en conséquence. S. C'est ainsi qu'il arriva à s'occuper des On parle encore en Kabylie problèmes de cuisine. « Voilà l'assimilation ». M. M. c'est-à-dire la sauce du couscous. S. Il lui adressa. la Marseillaise.. que .. son système. en effet. et il en donna pour preuve. se fit un Malgré ses nombreuses occupations. devoir d'éclairer l'administration centrale sur les quesnombre tions kabyles. Trente jeunes filles kabyles.UNE EXPERIENCE 117 idéal était de les amener surtout haut de forme. élèves le reçurent au chant de d'une école kabyle-française. le moderne couvre-chef a-t-il le don de faire mentir le vieil adage : l'habit ne fait pas le moine. ce détail de toilette..M. premiers résultats de d'entre eux furent. S... se trouva conduit science jusque dans ses de cette importante derniers détails.. S. Quoi qu'il en soit. de rapports. singulièrement Satisfait des Plusieurs goûtés. m'a cerenthousiasme tifié un témoin de l'entretien. le chapeau haut de forme intéressant l'économie domestique. foulé aux pieds. et. S. en fin de compte. Il fut renversé. Une sourde agitation commença à se manifester de tous côtés. Mais le vent de la guerre civile et de la révolte avait été déchaîné. abandonnés à eux-mêmes.. Devant l'orage qui menaçait.. Puis.118 HUIT JOURS EN KABYLIE les femmes indigènes commençaient à se servir « d'eau de Lubin ». s'ils se divisent entre eux. montrant ainsi une fois de plus que. des coups de pistolet. en armant l'un contre l'autre les deux çofs de chaque village. Le gouvernement remit en vigueur le régime anté- . se retira. une bataille en règle s'engagea entre les partisans de deux chefs influents. Le gouverneur général parut content et demanda un rapport sur ces premiers succès. L'élection les des amins et des oukils jeta partout le trouble. et la tempête éclata vers la fin de 1885. Les Kabyles n'étaient pas encore mûrs pour le système de M. Son application avait eu d'abord pour conséquence de réveiller leurs querelles. S. Un jour de marché.. La pratique de la représentation de la minorité acheva d'aigrir les dissensions. la force armée dut intervenir pour rétablir l'ordre.. ils n'en demeurent pas moins unis contre la France. Ces premiers succès furent malheureusement seuls. espérant que son sacrifice suffirait à l'apaiser. le nouvel administrateur se jeta dans la mêlée pour séparer les combattants. dans la cour Accouru au bruit même du bordj d'administration. M. ils s'étaient naturellement retournés contre l'autorité française. il ne reste plus que la trentaine d'indigènes naturalisés Français. et la représentation de la minorité cessa de fonctionner. Cette expérience permet de juger le projet de loi sur la naturalisation des indigènes algériens. les gens les moins recommandables. les indigènes musulmans seraient naturalisés en bloc. Michelin et Gaulier. Ils se trouveraient donc soumis au service militaire (1) se sont sans doute. S. ils arriveront peut-être.. et comme ils forment un parti important parmi les électeurs. ancien secrétaire.. Devenus aujourd'hui égaux en droits à leurs anciens supérieurs. comme l'ont été les juifs en 1870. par amour pour la France. D'après ce projet.. ils en profitent pour créer des difficultés à l'administration . Dieu me préserve de diminuer .UNE EXPÉRIENCE 119 rieur aux innovations de M.De toute l'oeuvrede M. Mais était-ce uniquement en effet. Pour un peu ils renouvelleront les exploits des nègres dans le Sud des EtatsUnis. déposé devant la Chambre des députés par MM. à Léon Roches. Ils n'ont considéré la naturalisation que comme un moyen d'échapper à la surveillance particulière dont ils étaient antérieurement l'objet. Le choix des amins fut rendu à l'administration. en 1870. écrivait grand chef indigène intime : « Vous admirez de l'émir Abd-el-Kader avec raison l'élan do nos enfants courageux qui sont allés partager les. ce qu'en 1872 un Voici. Ce sont. à renverser le maire français et à le remplacer par un maire kabyle. paraît-il. S.. aux prochaines élections.. vail(1) Los troupes indigènes lamment battues contre l'Aile magne. soldats el mourir avec dangers de vos braves glorieusement le mérite do leur détermieux.. (Voir cidessus p. aux colonies constituer l'armée spéciale. lils ment à la France. C'est là mal- .) lui aussi. ils seraient unanimes à plébisciter. quoique des djouêds (nobles) qui. car. note 1. t. en effet. plus facilement qu'ils vos soldats. (3) On a récemment songé à se servir des indigènes algériens. 112.) (2) Voir ci-dessus. indispensable pour d'outre-mer. que les droits (1) M. Et puis enfin. électoraux soient concédés aux indigènes algériens. 38. pour l'abandon France (4).120 HUIT JOURS EN KABYLIE et appelés à prendre part aux élections (1). Ils ont d'autant cédé à ces penchants. Tous les fonctionnaires algériens sont d'accord pour affirmer qu'il n'y aurait plus alors qu'à plier bagage. l'amour des combats d'aventure. mais encore les turcos. parce que toute administration deviendrait impossible. pour qu'il soit inutile d'augmenter le nombre de ces gens insoumis (2) et formés au maniement des armes perfectionnées (3). Trente-deux ans à travers l'Islam. attrait ment de fidélité n'esl-elle pan un puissant pour un fils » (LÉON ROCHES. assez d'embarras et de soucis. considérés des par eux comme accompagnaient de la poudre égale la frères. Quant aux électeurs qu'on créerait. la fraternité fraternité du sang. 334. Malheureusement. te l'avouerai-je confidentielde tuer du chrétien sans trahir son serla perspective lement. moins que les résistent presque tous originaires au climat de l'Extrême-Orient. chez les Arabes. dès qu'ils l'oseraient. que non seulement de Kabylie. de l'Islam? 1885. dégénérés et l'Espngne. l'Afrique conquirent et l'esprit leur noble héritage. il y a douze cents ans. mais il ne faut pas l'attribuer seulement à leur dévoueLes Arabes de notre époque. p. ont conservé de pourtant. l'expédition du Tonkin a prouvé les spahis arabes. PAUL LEROY-BEAULIEUdemande. II. p. Français de la naturalisation des indigènes (4) Les partisans s'imaginent que ceux-ci sont reconnaissants envers la France des efforts qu'elle l'ait pour améliorer leur situation. Les anciens turcos causent. de l'Algérie par la nation. française . les colons qui leur procurent du travail. 322 et 328. sons pas moins votre domination parce que vous êtes chrétiens.quels qu'ils soient Ils haïssent la France autant n'ont pas changé de dispositions. Les musulmans sont bien loin réalité algériens la domination franchement et sans arrière-pensée d'accepter mais attendent. restez forts et toujours forts. (Voir ciexerce la répression à l'instruction dessus. (Voir ci-dessus même quand elle p. détestent toutes les fermes dont ils se sont empa1871. On peut considérer encore aujourd'hui.l'arrivée subissions avec peine le joug des Turcs. en 1844. 97 et suiv.. pas là justice au profit de l'un d'entre eux. se résignent. pp. note 1. Léon Roches met.) Quant primaire qu'on veut maintenant à tous leurs elle leur est enfants. ce jour-là ils oublieraient et votre clémence et votre justice.. Les Arabes ne comprennent qu'une chose.. et vous pensez que nous devons remercier être délivrés et d'être aujourd'hui gouvernés par des maîtres aux Sachez que si nous nous soumettons justes et cléments. nous n'en haïsvous a rendus maîtres convient. A l'heure actuelle. . p. en ment. les indigènes musulmans.) vous a apportés. et. car le jour Croyez-moi. où les Arabes découvriraient que vous êtes faibles. peut-on au moins préparer à la heureusement une idée à priori. dans la bouche d'un grand chef: « Vous croyez qu'avant des Français en Afrique nous .. comme exprimant le sentiment ces paroles que intime de tous les indigènes. que fait régner fond du coeur les temps héroïques faire parler où ils pouvaient la poudre dans les guerres civiles ou privées..) Ils n'aiment française. et lui savent très mauvais Les Kabyles. maîtres et injustes Dieu d'en rapuces. pour ne pas dire odieuse. imposer (Voir plus loin. mais ils injustes parfois étaient musulmans. absolument contraire des choses. II. ils ont incendié rés. ils vous jetteraient dans la mer qui » (LÉON ROCHES. donnant de notre pays. ils regrettent. ne se souvenant que de vos deux titres. 96. chrétiens et conquérants. au antipathique.LA FORCE 121 Si la naturalisation en bloc des indigènes se trouve actuellement impraticable. il lui décrets du Très-Haut la victoire à qui qui. op. cit. c'est qu'ils et que vous êtes les plus sont les plus faibles forts. Les Turcs étaient et cruels.) Tout en profitant ils regrettent au de la paix l'autorité. t. (Voir ci-dessus.. sinon plus qu'il y a cinquante ans. Ils apprécient ouverts médiocrement les chemins par l'administration. 50. pp. notamgré des efforts qu'elle fait en leur faveur. et tous vos bons procédés. ration (Voir la Dépêche algérienne du 17 mai 1888. Ben-Siam. ce n'est jamais avec le désir de se rapprocher sincèrement des Français. 493. 11. par exemple. cit.) d'Alger. aux bienfaits mais restons admettons-les toujours forts. ne doit être apportée à la situation cate. même simplement individuelle. si quelque indigène s'avise. de leur bien-être. p. t. p. et. » (LÉON ROCHES.) primaire Pour ce qui est de la naturalisation. à la session d'octobre du département les conseillers du Conseil d'Alger. dire de tous côtés. En effet. en effet. aucune modification sans qu'ils aient été préalablement consultés. de solliciter la qualité de citoyen. s'est exprimé il met toute sa foi. J'entends que les à la France qu'il y a sont aujourd'hui plus hostiles indigènes ans. général contre le projet de naturalisation protester généraux indigènes M. d'un douar s'opposer ment tous les habitants par la force à l'établissement de leur état civil. c'est pour commencement du chapitre de l'instruction III.) . la question en Kabylie. occupons-nous de notre civilisation. sans hésiter. Les dans laquelle sus tout à sa religion. 426. op. comment l'un des indigènes. il faut répéter ces paroles du vingt-cinq : « Soyons justes et cléments vis-à-vis des maréchal Bugeaud de leur éducation. lui un éminent rendre service en qui croient personnes tout en conservant son statut demandant qu'il soit naturalisé animés sans doute d'excelsont des réformateurs personnel n'ont aucune notion lentes intentions. Arabes. ils la repoussent avec la plus grande on a vu récemAinsi. » (ProcèsNous croyons du Conseil général du déparlement des délibérations verbaux séance du 24 octobre 1888. des indigènes donc devoir faire toutes nos réserves. en accordant individuellement la nationalité française à certains d'entre eux? Il faut répondre non.122 HUIT JOURS EN KABYLIE leur assimilation. par hasard. n'est nullement à encourager pour le moment. par les vieux Algériens.. s'il se peut. énergie. c'est pour se soustraire à l'autorité de l'administrateur. lui faire échec . Voici. en leur nom : « L'indigène tient par-desd'eux. la naturalisation. sous prétexte que cette opéentraînait leur naturalisation.) On a vu aussi. Plus que jamais. mais gui malheureusement exacte delà question Dans une matière aussi délialgérienne. s'est à 1884.) chambre musulmane. p.NATURALISATION 123 obtenir plus facilement une faveur gouvernementale . il n'y a guère. De tous les indigènes. et appartiennent-ils à la classe des individus reniés par leurs proches comme mauvais sujets (2). (Voir le Conseil supérieur 1886. chaque année. et qu'ils n'attendent favorable pour lever. une demande de naturalisation est un cas aussi rare en Kabylie que dans le reste de l'Algérie. puisque 1884 inclus. les Kabyles ne sont encore acquis à la France. 259. que (2) Dans toute l'Algérie. du 5 juin 1883. c'est parfois simplement pour les besoins d'un procès (1).) . car ils se au temps où le Code civil n'admettait pas (1) Par exemple. inconnu. D'ailleurs. et seulement 1888. se faire naturaliser on a vu un indigène encore le divorce. contre lui par la demande en divorce introduite pour entraver de la Cour sa femme. dans l'Akbar du 8 juillet 1888. de la guerre sainte. on en a compté seuleannées 1882 ment 614 (Voir la Statistique généralede l'Algérie. pourrait duire dans leurs djemâas et entendre les propos qu'ils se transse tiennent s'assurerait à l'autre mettent d'un village qu'ils conassidûment au courant des affaires extérieures. pour ne pas dire indomptables (3). dans Sirey 1887. de 1865 à trente indigènes admis à la naturalisation. ils sont les plus difficiles à gouverner. Aussi ceux qui la sollicitent sont-ils en nombre absolument infime. Pas plus que les Arabes. p. est ont perdu tout espoir de représailles (3) « Croire qu'ils s'introune erreur profonde. et celui qui. I.) Le nombre des naturalisations d'indigènes années : il a été de 23 en encore abaissé dans ces dernières de de 13 en 1887. qu'ils naissent et commentent les faits et les événements politiques. le drapeau La sécurité en pays kabyle. Vaincus. 18. dans qu'un moment toute la Kabylie. Pour tout indigène. d'Alger.) gouvernement. en vingt c'est-à-dire ans. » (ROUANET. la naturalisation est une sorte de trahison et d'apostasie. l'arrêt (Voir. ils restent indomptés. 16. le gouQuant aux autres orphelins. 240 et suiv. et devenus chrétiens. facomme orphelins la terrible par Mgr Lavigorio pendant mine de 1868.. les Kabyles professent des sentiments égalitaires. La France aura sans doute grand mal à s'en rendre maîtresse et aies former aux moeurs européennes. PAUL LEKOY-BEAUMEU (op. admettent la communauté des terres et s'abandonnent à l'indolence de la vie pastorale. il n'a pas été possible.124 HUIT JOURS EN KABYLIE montrent plus rebelles. tiens détestent les Arabes et refusent de parler une autre langue que le français. . Ils sont aujourd'hui cinq cents environ. pp. cit. mais si elle y parvient quelque jour. Bien moins séduisants que les Arabes. assimilés les indigènesi (2) On peut déjà tenir pour vraiment au nombre desquels on compte quelques recueillis Kabyles. si jamais des musulmans s'assimilent. qui sont le moins éloignés des idées modernes (1). Européens.). comme II. que les Kabyles ne différent presque pas dos c'est malheureusement une erreur des plus graves. s'il est possible. ses élèves lui feront le plus grand honneur (2). mais pleines de sève et de vigueur. J'ai appris que les enfants de ces indigènes chrépersonnes. Ce sont eux. et se montrent aussi âpres au travail que des paysans de France. que les Ils seront pourtant les premiers à s'assimiler. ont pu être établis dans deux villages. une cinquantaine de Ils forment soit une population d'à peu prés trois cent cinquante familles. Arabes. Saint-Cyprien des Attal's et Sainte-Monique. (1) Quant à croire. Ce sont des natures sauvages et incultes. pratiquent la propriété individuelle. Quelques-uns spécialement fondés pour eux dans la plaine du Chélif. en effet. ils ont beaucoup plus de fond. Tandis que les Arabes se trouvent imbus de préjugés aristocratiques. a été. de les établir comme cultivateurs dans de nouveaux villages. L'amiral de Gueydon qui. » . le meilleur gouverneur de l'Algéde ma connaissance. Les tentatives faites par Mgr Lavigerie pour constituer chez les indigènes quelques noyaux chrétiens et français ont donc beaucoup moins mal réussi qu'on ne le dit communément. des sentiments chrétiens. après Bugeaud. se montrent reconnaissants des bienfaits qu'ils ont reçus. en cas de mort. de l'aveu de tous les Algériens. et témoignent. disait à quelqu'un l'oeuvre de l'archevêque d'Alger : « C'est la seule chose sérieuse qui ait été faite pour l'assimilation des indigènes. en parlant de rie. Ils ont été placés de différents côtés et gagnent leur vie. mais tous. jusqu'à présent. Plusieurs d'entre eux ne sont pas des modèles .ARABES ET KABYLES 125 vernement ayant retiré toute subvention. . « La selle ». » — Problème tion des filles. agrafes. — Chemins et mulets. LA FEMME MUSULMANE. — Cimetière. LE SEBAOU. seconL'enseignement — Résistance des daire. — « C'est un meurtre. Beni-Fraoucen. — Le Coran et la Frédégonde. — Les instituteurs L'école primaire d'Aït-Hichem. sa langue. et institu— trices en Kabylie. — Les kabyle. Méthode d'instruction. . LES COLONS. AZAZGA. L'orfèvre les kabyle. repu- . descente. riage kabyle. Diffichanfrère. de professionnel. — Les marabouts. atrophie — Instrucet danger de l'instruction donnée aux indigènes. bijoux indigènes. — L'INSTRUCTION. — Palmes à des chefs données indigènes. les Jésuites Les Pères Blancs et les Soeurs Blanches. l'enseignement — Le Ecole de Djemâa-Saharidj en Kabylie. — Négociations. de la femme. singularités la liste des ministères. leur mission. — Un nom écrit.CHAPITRE III TAKA. sa valeur vente vénale. — Inutilité intellectuelle du musulman. 23 juin. Jeudi. son origine. — Village de Taka. — Le soleil. — culté des conversions. pour Azazga. académiques : les remords de kabyles. mémoire. etc. le barda. Vallée du Sébaou. les burnous. En route Adieu au Djurdjura. — Race ses éléments. l'instruction primaire obligatoire. des Pères Enseignement laïque Blancs et des Soeurs Blanches. — Le maValeur vénale de la femme d'un sidi professeur. que devient la vieille femme. rôle des députés. Mais nos appréhensions disparaîtront bien vite. Passage du Sébaou. les luttes du forum. Encore tout endoloris par les cahots de la veille. — Ce Situation de la femme musulmane. — Naissances de garçons et de filles. et c'est en remontant le plus tôt possible qu'on se déraidit. et à cinq heures nous nous mettons en marche. — Un pays de cocagne. Nous sommes debout à l'aurore. Jeudi 23 juin. — Village d'Azazga. le — Plan pour le droit à la pension . nous nous demandons avec crainte si nous nous tiendrons sur des mulets. Nous devons aujourd'hui nous rendre à Azazga. — Concessions gratuites. De l'amour entre parents et enfants. sinthe. — Le télégraphe. — L'ablendemain. les Saint-Simouiens. Oisiveté des colons. — De l'amour entre époux. le long de la colline à laquelle se trouve adossé Aïn-el-Hammam. au delà du Sébaou. M. aujourd'hui et les jours suivants. — L'État-Providence. mais il nous donne pour guide un cavalier d'administration. . en traversant dans sa largeur une partie de la Kabylie. son abjection. Le mulet ne fatigue que pendant une première journée. — La poly— gamie successive. Les partis politiques à Azazga. Nous nous hissons tant bien que mal sur nos montures. — Le phalanstère de Maillot. — Femme d'été et femme d'hiver. veuve plus chère que la jeune fille.128 HUIT JOURS EN KABYLIE diation . Grault ne peut pas nous accompagner. une visite. Le chemin s'élève tout d'abord en lacets. nous prenons la direction du Nord. c'est-à-dire mince comme une lame de couteau. certains. dont les rochers commencent à s'illuminer des feux du soleil levant. leur chevelure blonde et leurs yeux clairs. ressemblent aux anciens Nor- . Rabah a les cheveux rouges et les yeux bleus. c'est la plaine du Sébaou. le cavalier d'administration auquel nous a confiés M. parleur taille peu élevée. Les Kabyles présentent le plus singulier mélange de types dissemblables. en suivant une étroite arête. avec leur teint blanc. telle qu'en présente seul le système de l'orographie kabyle. comme Rabah. font songera ces Égyptiens dont les figures de vermillon ornent les sarcophages des momies . à la face rouge. Arrivés là. mais bien en bas. C'est une sorte d'Anglais en burnous. tournant le dos au Djurdjura.RACE KABYLE 129 Il atteint en quelques minutes le sommet. puis. Nous sommes accompagnés par deux jeunes Kabyles qui veillent sur nos mulets. Ils sont sous les ordres de Rabah n'Aït Amram. et dont les deux versants presque à pic aboutissent à de profonds ravins. nous disons un dernier adieu à Aïn-el-Hammam. Devant nous. se rapprochent des Bretons et des Basques . et au delà une chaîne de montagnes qui la sépare de la mer. leurs cheveux noirs et légèrement crépus. les autres. Grault. Il appartient à cette espèce de Kabyles qui. nous saluons le Lella Khredidja. rappellent les hommes du Nord. Les uns. t. puisqu'elle est en même temps aryenne et sémitique. plusieurs races se sont fondues entre elles. pp. La seule chose visible. pp. le commandant DAS. pour composer un alliage d'une remarquable cohésion. 64 et suiv. 138 et suiv. la Société berbère (Revue des Deux-Mondes du 1er septembre 1873. RENAN. Houde l'Algérie. comme le granit. 301 etsuiv. cit. Mais qu'étaientce'que les Maures et les Numides ? Il est bien difficile de le savoir. Ior. Ethnographie RINN. Comme tous les pays de montagnes.). représentés aujourd'hui par les Norvégiens et les Anglais. Les Kabyles constituent une branche des Berbères descendants des anciens Maures et Numides.. (Revue africaine.). (1) Voir. Essai d'études linguistiques et ethnologiques sur les origines berbères Voir ci-dessus. c'est que les Kabyles présentent un singulier mélange de races disparates. Sous l'empire d'événements demeurés à peu près inconnus. p. op. 81. La multiplicité d'origines des Kabyles se trouve d'ailleurs attestée par leur langue qui n'appartient en propre à aucune famille. sur l'ethnologie kabyle. pp. de même que les éléments hétéroclites de la langue kabyle font le malheur des linguistes. Cette diversité de types désespère les elhnologistes. Les différentes invasions qui ont passé sur l'Afrique n'ont pu moins faire que de laisser derrière elles des individus HANOTEAU et LETOURNEUX. étant donnée l'insuffisance des documents. .130 HUIT JOURS EN KABYLIE mands. aryenne par ses racines et sémitique par sa grammaire. 1886 . 1886. . mais dans lequel on distingue encore différents éléments constitutifs (1). la Kabylie a dû servir d'asile aux vaincus et aux révoltés. mais aux dépens des Européens. Voici. Amnistié après la conquête. il a renoncé à sa natio« nalité et préféré rester Kabyle. éclairée par la ressempar deux indigènes. il est tout à fait indigène. il a perdu toutes les habitudes de sa jeunesse. cit. Il n'est pas jusqu'à des déserteurs français qui n'aient cherché un refuge au pied du Djurdjura. peut faire supfransont les débris de l'invasion poser que les Beni-Fraoucen en Afrique vers l'année 265. » de types qu'on rencontre chez les indigènes (3) La diversité de l'Algérie est quelquefois facile à expliquer. Les enfants sont généralement mis en noureuropéens. en effet. blance du mot Fraoucen avec le mot Francs. « sulmaus fanatiques. t. déclarant C'est ainsi que s'oqu'il était musulman. natif d'Angers.Cette que dont une partie parvint est invasion franque. nac« tisque in tempore navigiis. la mère disparaît. et rien ne « le distingue plus de ses nouveaux Il a des encompatriotes. qui se sont fondus dans la race autochthone (1). rice chez les Mauresques de la Kasba. après avoir payé un ou deux mois. disent ces auteurs.. et ne se soient trouvés absorbés dans la population (2). précédemment abandonné revenir par sa mère. » (2) Voir HANOTEAU et LETOURNEUX. d'origine avant la conquête C'est ce qui m'a été affirmé par la France. la seule qui ait traversé la Méditerranée. n'a jamais voulu chez elle.RACE KABYLE 131 de nationalités diverses. op. 33) : « Francorum gentes. » Nous en connaissons un. — Cette tradition. nés hors mariage. surtout si c'est un garçon. et nous sont aussi hostiles que le reste « de la population. « fants qui ne savent sont des mupas un mot de français. On m'a rapporté qu'un gamin de onze ans. « qui est établi près de Fort-Napoléon depuis plus de vingt« cinq ans. Ier. . Trop souvent. 304. pars in usyue Africam permearet. L'enfant est alors adopté par les gens chez lesquels il se trouve. à A part un fort penchant « dans les cabarets du volontiers l'ivrognerie qu'il satisfait « fort. p. vastato ac penè direpto Tarraconensium oppido. Qu'y a-t-il d'étonnant à ce qu'on trouve chez les Kabyles tous les types possibles (3) ? même se disaient (1) Les Beni-Fraoucen française. Victor signalée en ces termes par Aurélius (De Coesaribus. père la fusion des races. Au bout de quelque temps. direptâ « derent. Hispaniam possicap. ce qui se passe actuellement dans la ville d'Alger. Galliâ. soutiennent qu'il y a des marabouts de toute provenance. Aussi font-ils bande à part au milieu de la population et habitent-ils des villages distincts. t.) — Voir. hors de doute qu'un certain nombre d'Arabes se sont établis dans le pays. par la naissance. Cette opinion est discutable. suiv. t. surtout (HANOTEAU et LETOURNEUX. et MM. (1). Hanoteau et Letourneux. (2) pp. Quelques personnes prétendent même que ces Arabes ont laissé une postérité propre dans les marabouts qui se rencontrent un peu partout. pour un exemple. comme les autres. comme la grande masse des habitants (2). mais que la plupart sont de race berbère.. op. 89 et cil. Ces villages ne se trouvent pas établis. Tandis que dans le reste de l'Algérie les marabouts ne sont que des hommes renommés par leur piété et leur science religieuse. HANOTEAU et LETOURNEUX. en Kabylie ils forment une caste fermée où l'on entre seulement. 303. II. Ier. p. op. mais nécessairement. Sans cela. .132 HUIT JOURS EN KABYLIE Il est. dans leur excellent ouvrage sur la Kabylie et les coutumes kabyles. en Kabylie encore (1) On rencontre quelques purs Arabes. ainsi que la présence de beaucoup de mots arabes dans leur langue. En tout cas. à côté des meilleures terres. ils sont bâtis dans le fond des vallées. d'autre part. les marabouts kabyles ont su constituer une classe séparée et privilégiée. cit. on ne pourrait guère expliquer la conversion des Kabyles à l'islamisme. dans les plaines.. sur le sommet des montagnes . le commencement du chapitre IV. Bâtie en avant du village. En tout cas. en toute sécurité. Un certain nombre d'enfants y reçoivent l'instruction française par les soins d'une directrice française et d'une monitrice indigène. dans l'exercice de la diplomatie. par les nécessités de la défense.MARABOUTS 133 Cette particularité de situation doit être attribuée à la considération et au respect dont jouissent les marabouts. Cette coutume aux partisans de l'origine arabe des peut servir d'argument marabouts kabyles. ils n'ont pas été contraints. ils obligent leurs femmes à se voiler devant les étrangers. par privilège. un moyen d'accroître leur influence et leur fortune (1). à proximité des terrains les plus fertiles. leur neutralité leur permettant d'intervenir en qualité de médiateurs entre les partis. demeurant toujours en paix avec tout le monde. le salut d'un chacun. comme les Arabes. construire leurs maisons près des cours d'eau. le droit de rester étrangers aux guerres privées et. puis Aït-Hichem. Aït-Hichem. ils ont trouvé. D'un autre côté. de s'installer sur les hauteurs comme dans de véritables forteresses. . J'ignore si Rabah est marabout. Aït-Melal d'abord. possède une école primaire. C'est ce que nous remarquons dans les villages que nous traversons. Ayant. La maison offre un extérieur fort convenable. le burnous bleu lui vaut. récemment fondée. par suite. de Kabylie ne se distinguent (1) Les marabouts pas seulemont par l'emplacement de leurs villages : ils diffèrent encore des autres habitants en ce que. ainsi qu'à nous par association. Ils ont donc pu. Leurs élèves constituent bien une intéressante société . celle de dompter. le commerce du et institutrices les instituteurs est pleine d'abnégation et de sacrifice. avec qui causer de ces mille choses chères à des Français. eux aussi. Us n'ont personne traire. une des plus belles missions. moindre Européen ? à eux tous. d'élever. mais. mais valent-ils. elle comporte. Au conou institutrices. se trouvent ordinairement seuls chez des gens indifférents pour ne pas dire hostiles. pour aller demeurer tout seuls au milieu de tribus qu'il s'agit de gagner à la France. Sans doute. les divers fonctionnaires dispersés en Algérie vivent. généralement parlant. l'instruction primaire. disséminés en Kabylie. Si la vie des instituteurs . en revanche. Rien qu'à voir une pareille habitation. les juges de paix et. on s'imagine immédiatement la vie solitaire qui doit s'y mener. séquestrés du reste du monde civilisé . et on est naturellement porté à admirer les Français et surtout les Françaises qui n'hésitent pas à se séparer complètement de leurs compatriotes.134 HUIT JOURS EN KABYLIE elle se détache sur un fond de masures kabyles. de civiliser une des races les plus jalouses de leur autonomie et de leurs coutumes. ils peuvent échanger des idées entre concitoyens. ils ont entre les mains le moyen que l'on lient aujourd'hui pour le plus efficace. Le contraste qui en résulte la fait paraître absolument isolée. Pour arriver à ce résultat. réunis en groupes. les administrateurs. du 12 novembre. population indigène du gouverneur d'arrêtés plein exercice. (Voir le Bulletin universitaire de l'Académie décembre 1888. édicté quelques gnement primaire a. Des écoles ont été immédiatement installées dansquelans. 240 et 241) et à 101 seulement En 1888.) C'est avec l'instruction . 14.) — L'instruction jurisprudence. De 263 en 1879. (Décret du 8 novembre 1887. ont. 1886 sur l'organisation de l'ensei(2) La loi du 30 octobre dis68. 145 on 1884 (voir générale jusqu'à en 1887. Les lois récentes sur l'instruction primaire obligatoire ayant été déclarées applicables en Algérie (2). il s'est relevé à 111. 3e partie. Aussi le nombre des élèves musulmans d'enseidiminue-t-il gnement secondaire chaque jour. art. dans les beaux temps du Royaume (1) Il y a vingt-cinq secondaire donné aux fils des arabe. 463. à Tlemcen de 1887.INSTITUTEURS 135 qu'ils doivent subjuguer les natures farouches. Une manifestation culièrement quant à l'instruction à laquelle ont pris part plus de 500 Arabes. la Kabylie a été spécialement choisie pour en faire l'essai. 4. dans son article Ce texte se trouve aujourd'hui positions spéciales à l'Algérie. s'est significative. et transformer des ennemis irréconciliables en citoyens primaire reconnaissants et dévoués (1). en divers endroits énergiquemont protesté contre l'obligation qui leur était imposée. la Statistique de l'Algérie. pp. spéciaux qu'en vertu général. dans la masse des indigènes. c'était l'enseignement en faisant pénégrands chefs qui devait transformer l'Algérie. il est tombé. Mais cette obligation même dans les communes de musulmane. suivant une progression descendante constante. partides filles.) d'Alger.(Voir 1888. est obligatoire primaire pour les enfants des deux sexes. du 9 décembre de législation Revue algérienne et de 1887. de six ans révolus à treize ans révolus. se trouve même chapitre. pp. 13 et 15. gagner les coeurs rebelles. p. et complété par les décrets du 8 novembre. années 1882 à 1884.) Les indigènes de l'Algérie. trer la civilisation par le haut Ce système ayant donné de mauvais résultats (Voir plus loin. quelle que soit la nation'est applicable à la nalité des parents. des exemples) aujourd'hui pour mis de côté. (Voir le Petit au commencement produite colon du 31 mars 1887. devant le Conseil supérieur a été. XIII. » (Conseil régulière supérieur de gouvernement. 408. Si quelques-uns d'entre eux paraissent accepter de bonne grâce l'obligation scolaire. les administrateurs ont dû se.mettre en campagne pour en réunir un certain nombre. (Voir la Revue interde renseignement nationale 1887.136 HUIT JOURS EN KABYLIE ques villages. p. « spontanément les auxiliaires des instituteurs pour assurer « la fréquentation des écoles. en compensation.) les écoles no parait pas avoir fait. le sous-préfet du jour au lenn'existait pas. Les élèves ne se présentant pas d'euxmêmes. d'entre eux. menacés des peines de l'indigénat (1) pour le cas où leurs enfants cesseraient d'être assidus. les écoles perdirent l'obligation demain les trois quarts de leurs élèves. ce que le Voici. pour L'empressement en effet. trouvent assis pénible « des heures entières sur les bancs d'une école. se sont résignés à la violence qui leur était faite. habitués à très irrégulière. 18S4. p. de sérieux progrès. Mais ils ne comprennent guère. 1888. 506. stimulés MM. « J'envoie mon fils les peines de (1) Voir plus haut. 108. de Tizi-Ouzou ayant déclaré que (2) En 1S84. les bienfaits de l'instruction française (2). en quoi consistent l'indigénat. t. Leurs parents « ne les y poussent Sans le concours des chefs indiguère. des titres aux faveurs administratives. « gènes. depuis était de reconnaître de l'Académie recteur d'Alger obligé dans la session de gouvernement. pour les élèves 1888 : « La fréquentation do novembre « indigènes.) . p. Beaucoup « vagabonder de rester en plein air. c'est qu'ils pensent acquérir. nos instituteurs auraient de la peine « à empêcher Il se passera bien de leurs écoles la désertion « des années encore avant soient que les familles indigènes « pénétrées de l'instruction de l'utilité et se fassent française. Les pères de famille. les administrateurs des compar « munes de cercle les commandants et officiers mixtes. « des bureaux arabes et aussi par quelques maires dos com« munes de plein-exercice. pour le moment. 863 élèves. et se trouve servi par une bonne mémoire. juin 1887 p. Berthelot. d'une école où le lités. l'arithmétique. Les maîtres trouvent certainement des esprits assez ouverts pour mettre en exercice leur savoir. L'un d'entre eux. et lui : « J'ai entendu a tenu ce langage dire que la violette était « faite pour les savants. Certains instituteurs l'ont compris. de l'Académie (Voir le Bulletin universitaire d'Alger.INSTRUCTION OBLIGATOIRE 137 à ton école. en leur nommant les divers objets qui peuvent tomber sous les yeux. 8. Ou me parlait. pour une population comptant plus de 300. Moi. .000 âmes. 89. Le fond de l'instruction qu'ils donnent est formé par le français. nombre des élèves était tombé de 60 à 12. l'histoire et la géographie. Mais ne serait-ce pas surl'instruction tout pour s'attirer les faveurs de l'administration ? En tout cas. Le petit Kabyle est très intelligent. par M. il y a quelque temps. peut-être pas le comble de leurs espérances. et c'est en parlant avec leurs élèves. dont 204 filles çaise établies en Kabylie seulement.) a beaucoup diminué en 1888 dans certaines locaL'assiduité vers la fin de mai 1888. disent-ils à l'administrateur de leur commune mixte. ce qui n'est certains y ont gagné les palmes académiques. » Quoi qu'il en soit. nomme-moi donc cavalier d'administration (1). Pourrais« tu me la changer contre la rouge ? » fran(2) Au 1er juin 1887. les écoles d'instruction primaire avaient 2. Ces différents points ne peuvent être vraiment enseignés aux jeunes indigènes que d'une façon éminemment pratique. un certain nombre d'élèves ont été réunis (2). en prochefs kabyles affichent de la sollicitude (1) Quelques pour de leurs compatriotes. l'administrateur de sa commune. je ne suis pas savant. d'académie créé officier est venu trouver. s'évertuant à les mettre en garde et contre les singularités du subjonctif. Beaucoup veulent. et contre les inconséquences du pronom. Mais n'y a-t-il pas quelque risque de faire naître parfois un peu dé confusion.138 HUIT JOURS EN KABYLIE voquant des questions ressantes. faire montre de l'ensemble des connaissances les écoles normales. m'a-t-on dit. Chaque enfant a été baptisée du nom d'un département : il y a l'élève Pas-deCalais. pour empêcher le Pas-de-Calais de taquiner la Manche. rapidement Des méthodes originales ont même été inventées. Ils leur font apprendre des vers . ils enseignent à leurs pouilleux les délicatesses de la poésie française. des odes de circonstance. dans ses . à tout prix. et même ils les forment à chanter. Gomme le fait très bien observer Paul Bert. et contre les pièges du participe. voire à la géographie amusante. système d'enseignement simultané de la géographie et du français. l'élève Bouches-du-Rhône. Nourris de belles-lettres. quand. ont acquises dans à leurs enfants Ils n'épargnent qu'ils aucune des anomalies de la grammaire française. du-Rhône ? on les sépare par les Bouches- Tous les maîtres n'ont pas la sagesse de s'en tenir aux notions élémentaires. etc. C'est ainsi qu'une institutrice un curieux et y dormant des réponses intéà leur inculquer assez qu'ils parviennent quelques notions utiles. pour les voyageurs de haute marque. a imaginé. l'élève Manche. C'est une géographie vivante de la France. Mais ces enfants. « l'instituteur enseigne ce qu'il « sait.... « devoirs le bien qu'elle a fait à leur pays. au contact de son maître. que le jeune Kabyle de prend. français. apprécier en Kabylie. je prends le cahier de rédaction du meil« leur élève. Un jour. un point certain. » à leurs fruits. fami« liers avec Brunehaut et les intérêts composés. je vous le donne en mille. Lettres de Kabylie. p. Il peut évidemment venu grand. Le avec fierté d'études. 63. les subtilités de la « grammaire. ajoute « dans une école de la Grande Kabylie.METHODES 139 Lettres de Kabylie (1). ce qu'on lui a appris à enseigner.. 1885. Mais reste? Grâce à la promptitude quelque en tirer profit. il va au loin se livrer vailler chez les colons. teinture quand.. « me montrait « au certificat « rante.. — Paul Bert à peu près connu .. l'instituteur préparait C'est là une conception déli: les casse-tête de qu'il d'études « l'arithmétique. deau commerce ou tratout le que fait-il pour de sa mémoire. Dictée :. il par- est un des rares hommes d'Etat qui aient la Kabylie. certificat des enfants Paul Bert. leurs envers elle. les « remords de Frédégonde !. ce qui est « estimé dans les écoles normales et apprécié de « MM. les inspecteurs. les Mérovingiens. je leur « demandais en vain l'étendue de la France. les bizarreries de l'orthographe! Dans « une autre. le nombre « de ses soldats. l'Algérie et particulièrement (1) PAUL BERT.. il suffit Pour Les systèmes se jugent la méthode d'instruction d'en connaître C'est d'abord appliquée les résultats. Berthelot dans son voyage. sans y changer une syllabe. Certains enfants sont même surprenants à cet égard. m'a-t-on assuré. l'un d'eux récita. L'élève et même le maître s'échouèrent sans rémission Malheureusement. la fable de la Grenouille qui veut se faire aussi grosse que le boeuf. finitions C'est ce qui m'était récemment aftirmé par quelqu'un les élèves. En dehors de quelques phrases de français et des défaites de la France. Buisson. Sans doute ils répètent par coeur des détiennent de grammaire ou des fables de La Fontaine. Mais quant à les comprendre. (1) Les meilleurs élèves indigènes des écoles primaires. mais ce qu'ils en rele mieux. aucun des plus brillants sujets ne se montra capable de réduire au même l15 et 117. sur les mots chétive pécore (1). ils n'en ont aucun souci.140 HUIT JOURS EN KABYLIE vient très vite ce qu'on lui serine. les jeunes Kabyles ne savent presque rien. C'est ainsi où nous passons en ce que précisément à Aït-Hichem. ce sont les batailles perdues par la France. il ne put donner un seul mot d'explication prouvant qu'il saisissait le sens des expressions. à retenir inspecteur maire. Par contre. Dans ayant souvent l'occasion d'interroger une école qu'il visitait récemment. a pu donner mot à mot à prigénéral de l'instruction M. qui accompagnait la liste des ministères qui se sont succédés depuis Il paraît d'ailleurs Louis-Philippe. ceux dénominateur les fractions . moment. que la plupart des élèves s'intéressent à l'histoire. un petit prodige M. c'est-à-dire dans toutes les écoles indigènes. du droit. les cours de l'école normale ne d'instituteurs. est l'homme de droit. 509. auraient « Au lieu de leur élargir on s'est contenté d'y empiler. qui suivent valent guère mieux que les autres au point de vue du déveen effet. rapportent MM. qui. car « ces jeunes cervelles mais cultivées ne sont point en friche. « de Charles le Chauve ou la liste des sous-préfectures du « Morbihan. Dans toutes les zaouias. il faudrait que nos élèves entras« sent un peu mieux préparés. pas absurde devoir « gnés de leurs réciter en perroquets les hauts faits gourbis. « par la méthode des rabâchages une foule de notions inutiles. au niveau de l'Arabe. La notamment des textes constitue. « N'est-il encore tout impréces enfants. « savant.HANOTEAU ET LETOURNEUX (op. étant posée une question « peut réciter immédiatement les textes des auteurs qui l'ont Quant à en saisir le sens. La science musulmane se résume à savoir mot à mot le Coran avec ses commentaires. l'instruction n'a jamais comporté que l'étude du Coran et la récitation de mémoire (1). Voici.APATHIE INTELLECTUELLE lit Cette prédominance de la mémoire est dans les traditions de l'Islam. « cit. à certains égards. Ils nous arrivent dans un état « voisin de l'ignorance et même pire. l'esprit. loppement : « Pour tirer tout le profit désirable par un de leurs maîtres « de leur séjour à l'école. comment ils sont jugés intellectuel. 114). t. « à rebours et déjà remplies de superstitions et d'idées fausses: « il faut arracher autant Leurs années de séjour que planter. p.) comme le (1) Le Coran est considéré par les mahométans dernier mot de toutes les sciences. II. la science juriconnaissance « Un des jurisconsultes les plus en réputadique musulmane. nous donnait un jour la définition suivante « des diverses classes de savants: c'est-à-dire le vrai L'âlem. à elle seule. sur ce point.. ce qui est tenu pour parfaitement superflu. c'est . « tion en Algérie. perdre le plus souvent deux heures par jour à des « dictées et autres exercices dont ils ne souporthographiques « çonnent » {Revue pédagogique ni la signification ni l'utilité? du 15 juin 1887. Le Kabyle est. « à l'école primaire n'ont pas été ce qu'elles dû être. p. mon ami. quand il doit réfléchir et raisonner par lui-même. avec le jeune Européen. incapable traitée. de l'Institut. en tirer des cases d'imprimerie . ou un président République Il y a quelque de tribunal civil d'avec un garde champêtre. » mots et leur faire produire se conpresque absolue des indigènes (1) Cette inaptitude à la médersa d'Alger. font observer à l'étude passent leur neux. un membre adressa la question suivante à l'élève qui lui médersa d'Alger. il est absolument incapable de s'élever au-dessus d'un certain degré et de saisir la moindre abstraction . Les autres tolbas pages des livres où se trouvent suirang ensuite dans la hiérarchie scientifique. Sur tinée à former les cadia. que penle plus intelligent paraissait « sez-vous faire en sortant de cette école ? —Je pense aller dé- .142 HUIT JOURS EN KABYLIE Ces habitudes invétérées d'apathie intellectuelle ont fini par engendrer chezl'indigène une sorte d'anémie héréditaire de l'intelligence. les hommes qui se consacrent sont comme dos des mots. d'avec la Chambre des Députés. école supérieure desstate notamment les juges musulmans. ils peuvent.nullité désesque chose. Le taleb de premier d'un pareil sans hésiter les effort. le jeune Kabyle peut se mesurer. mais le prote manque pour ajuster les un sens. Sauf de très rares exceptions. Mais bientôt. : « Eh bien. Jusqu'à l'âge de 12 ou 13 ans. sait néanmoins indiquer les textes. phrases toutes faites. sans trop de désavantage. En résumé. queld'une. Tous les autres se montrent de distinguer Ils sont incapables le Président de la pérante. il est arrêté net par une singulière atrophie de ses facultés. « « « « « « « « « « « ordre est celui qui. visitant un certain matin la temps. 15 ou 20 étudiants des plus suivant un cours de droit français c'est à peine si deux ou trois comprennent élémentaires. il ne comprend que lé côté concret des choses (1). Hanoteau et Lotoursages. prennent avec lequel ils indiquent ces pasvant le degré de facilité MM. Leurs cerveaux vie à apprendre à volonté. Son excellente mémoire lui permet de faire tout d'abord de rapides progrès. c'est-à-dire. il perd bien vite le vernis dont il avait été badigeonné. trouvée dans les puits artésiens du Sahara. Replongé dans un milieu où règne l'hostilité contre la civilisation française. enfouie sous terre depuis de nombreuses générations et n'ayant plus eu. 12 ou 13 ans. tirer aucune autre réponse. il s'empresse d'oublier ce qui n'avait été confié qu'à sa mémoire. il est aussi Kabyle que s'il n'avait jamais mis les pieds dans une école française.RÉSULTATS DE L'INSTRUCTION 143 Aucune conception d'un ordre tant soit peu supérieur ne saurait pénétrer chez lui. se trouve aujourd'hui aveugle. c'est-à-dire vers. On peut le comparer à cette espèce de poissons. Pour tout bagage. Ce ne sont donc pas seulement les indigènes ayant passé par l'armée qui. par conséquent. il emporte un peu de français et quelques formules apprises par coeur. comme je l'ai entendu dire bien jeûner. Rentré dans son village. Il s'est aussi légèrement dépouillé de ses manières sauvages. que l'enfant indigène quitte l'école. Au bout de peu de temps. » L'honorable visiteur n'en put . que va-t-il faire de sa science et de son éducation? Gomme il n'a guère occasion d'user des connaissances que l'instituteur français s'est efforcé de lui inculquer. lui répondit l'indigène. qui. C'est précisément au moment où son intelligence se noue pour ainsi dire. c'est-à-dire presque tout. moyen d'exercer son organe visuel. Instruction. — J'ai vu (1) Voir ci-dessus. et il envoie sa femme chercher l'eau à la fontaine en compagnie des autres femmes du village. propreté. à leurs anciennes habitudes. ils redeviennent aussi ignorants. qui est tout à fait retourné à la vie kabyle. Les exemples à l'appui de cette assertion sont innombrables. p. aussi fanatiques. éducation. j'ai rencontré un ancien élève du lycée de Marseille. qui. et généralement tous les indigènes ayant fait mine de s'européaniser reviennent. C'est d'abord un fils de grande famille. 112. Il a repris le costume du pays. l'extérieur pouilleux et les moeurs barbares des derniers de ses concitoyens. ancien assesseur musulman au Conseil général et à la Cour d'appel d'Alger. En voici quelques-uns. m'a-t-on certifié de différents côtés. ils rejetent tout ce qui leur donnait une tournure civilisée. a complètement repris. à toute la cuisine française. idées modernes. — Pour ma part. Les anciens élèves des écoles françaises. de jeter au maquis tout leur bagage de civilisation. ancien membre de l'Enseignement Supérieur. Il s'est remis à marcher pieds nus.144 HUIT JOURS EN KABYLIE des fois (1). m'a-t-il assuré. jadis un des élégants du boulevard. dès qu'ils le peuvent. aussi crasseux que par le passé. ayant dû revenir en Kabylie. le couscous et l'huile rance de son pays. et il préfère. se hâtent. En dépit des égards et des soins dont ils ont été l'objet. . aussitôt rentrés chez eux. sur de simples recevront une nourriture kabyle et coucheront nattes. tel qu'il est donné à l'heure actuelle. et que l'enseignement. Aussi français de Fort-National. Tous ces Kabyles avaient reçu une éducation beaucoup plus complète que ceux qui sont élevés dans les écoles primaires. un pincenez . 9 . au plus vite. revenus chez eux. ont reçu beaucoup moins d'éducation. à l'existence indigène. ayant passé simplement par les écoles primaires. Il porte. parait-il. il s'est remis avec délice à coucher par terre. Kabyles do venir à l'hôpital est-il question où les malades un hôpital d'établir indigène. ils sont retournés. à fortiori. tout ne se borne pas à ce résultat simplement négatif. « la plaie de l'administration ». après avoir passé quatre ans au lycée d'Alger. sur une natte. ainsi que les matelas et les draps française. J'ai entendu dire que les écoles étaient.RESULTATS DE L'INSTRUCTION 143 aussi un jeune homme qui. ayant trouvé les lits européens très incommodes. et cependant. à côté des animaux de son père (1). En effet. (1) La cuisine des obstacles qui empêchent les au nombre sont. Malheureusement. Il en est de même. en définitive. mais. Si la plupart des soins donnés aux indigènes se trouvent complètement perdus. ne semble guère avoir changé d'habitudes et de goûts. qu'une perte de temps et d'argent. constituait un crime. à la vérité. en Kabylie. ce n'est. l'instruction distribuée dans les établissements publics se trouve également funeste à l'indigène qui la reçoit et à la France qui la donne. pour tous ceux qui. Plus tard « barbarie. c'est uniquement pour en faire un chaouch. « nous ne pouvons pas pousser tous nos bons élèves indigènes Il y aurait « vers la carrière de l'enseignement. de V Acad. aux'places « que trop disposés à avoir de pareilles pensées. » ben Sedira. me répondit-il. p. sans trop rechigner. LVI) : « Quand on « aura fondé le plus possible d'écoles. même un n'est faite que « danger à leur laisser croire que l'instruction Ils ne sont déjà « pour préparer ou aux emplois. un interprète une situation analogue à celle qui se présente en France pour les jeunes filles munies de brevets : il y a vingt demandes pour tin emploi (2). d'Alger . est d'éduquer. judiciaire.146 HUIT JOURS EN KABYLIE Si un père envoie. une ambition Cependant qui ne peut que nous faire plaisir. mixte d'Azef« à un petit Kabyle de l'école de Mira (commune « foun). Par malheur. ce n'est nullement dans le désir de le voir initié aux idées françaises. Belkassem des lettres d'Alger. « Professeur ». « remplissant insuffisamment « que faire des essaims qui en sortiraient ? Quelle situation leur « struits ? Quelles places leur donner de retomber sous le joug des « réserver. rapporte (1) « Je demandais « mie d'Alger (Bull. un moniteur indigène dans une' école (1). «. ce qu'il « voulait C'est être plus tard. Après avoir fait des le recteur de l'Acadéun jour. fesseur à l'Ecole supérieure pose et résout élevés dans les écoles des indigènes de l'avenir la question françaises (Une mission en Kabylie. c'est-à-dire un appariteur. un cavalier d'administration. pro(2) Voici "en quels termes. très intelligent. dirigées par des maîtres d'honnêteté et d'aptitude les conditions voulues. un jeune enfant de sept ans. pour me servir de l'expression les prede ce nouvel état de choses seraient « les bénéficiaires . pour les empêcher se charge de résoudre la ques« influences hostiles ? L'avenir « tion. de vaincre « pour le moment. en un mot un employé du gouvernement. les places à distribuer sont fort peu nombreuses. univ. C'est. « vouloir une décision prendre la de civiliser. Pourquoi s'en préoccuper intempestivement ? Pourquoi avant l'heure ? L'essentiel. M.81). 1887. courante. sur un autre théâtre. son fils à l'école. p.février 1888. soit dans une de « nos villes.. . et oublie très rapidement tout ce qu'on lui a en« seigné. reprend toutes les habitudes de « ses pères. l'Arabe. — Dans le premier cas. ou bien ils poursuivent leurs étu« des. « cherchant un emploi de l'État. on trouve l'aveu suivant dans l'Akbar du 6 avril 1888 : « La ques« tion est de savoir si les sacrifices sont en rapport avec les « résultats. » — L'auteur de l'article de l'Akbar ajoute que le remède consiste à retenir les élèves à l'école jusqu'à l'âge de 16 ou 18 ans. Il demande en somme qu'on s'enfonce de plus en plus dans la voie qui a conduit aux fâcheux résultats si bien indiqués par lui. qui prend toujours « de nos moeurs ce qu'il y a de pire. devient un déclassé. n'ayant plus aucune occasion d'utiliser ses çonnais« sances. le gouvernement ne peut guère que susciter de nouveaux mécontents. « miers à se soucier de leurs propres intérêts. si l'on ne fait pas encore fausse « route. Quant aux indigènes qu'il pourvoit.. Ce danger a été souvent signalé par des « administrateurs prévoyants. dont nous pourrions citer les « noms. « rentrent dans leur tribu. Les moniteurs indigènes doivent être très soigneusement surveillés. et dont les rapports à ce sujet peuvent être utilement « consultés. Dans ce dernier cas.. mais ne cherchant jamais à « utiliser les connaissances que nous lui avons données pour « gagner honorablement son existence dans l'agriculture ou « dans l'industrie.RÉSULTATS DE L'INSTRUCTION 147 déclassés. en ce moment où on travaille à appliquer le système « employé en Kabylie au reste de l'Algérie. le quémandant et le récla« mant même comme un dû. si l'on n'a pas fait. il n'aboutit généralement qu'à les rendre plus dangereux pour l'influence française. parvenus à « l'âge de 12 à 13 ans. au prix des plus grands sacrifices et des plus louables efforts. soit auprès de leurs anciens maîtres. Est-ce que l'on « pense longtemps à l'avance à la position future des enfants « français ? » Quant aux résultats obtenus pour le moment en Kabylie. Deux cas se « présentent généralement : ou bien les enfants. l'Arabe rentre dans sa « tribu au sortir de l'école. en créant de nouvelles écoles pour les adultes et en confiant l'instruction sous la surveilà des indigènes lance des administrateurs ou des maires. c'est-à-dire au moment où ils ne peu« vent guère plus rien apprendre dans les écoles actuelles. Peut-être est-ce là un calcul politique. le cocher qui me conduisait de Tizi-Ouzou à Fort-National. il y a quelque temps. toujours. en me parlant des Kabyles. Mais j'ai entendu dire que. Je n'ai cédé que d'un devant le concert unanime de toutes les personnes que j'ai pu consulter. 1886 p. par le gouverneur général de l'Algérie (2). J'ai rencontré un accord complet. » me disait. comme dans le reste de l'Algérie. partout et chez tous. . L'hostilité d'instruction indigène se mesure à son degré française. (2) Voir les Procès-verbaux du Conseil supérieur de gouvernement. je me suis insurgé contre une vérité aussi désespérante. Ma conviction s'est encore accrue. cette année comme l'année dernière. Longtemps. quand j'ai lu ces graves paroles. sans cela. dans la séance du 18 novembre 1886. en Kabylie. prononcées au Conseil supérieur de gouvernement. et dont il faut bien peser la portée : « L'expérience tend à démontrer que c'est quelquefois chez les indigènes (1) « Défiez-vous surtout de ceux qui sont les plus polis. Cette règle de sagesse est-elle observée par le Gouvernement ? J'aime à le croire pour les choses importantes. par exemple à Téniet-el-Hâd. Plus il est instruit. chez les administrateurs et les magistrats comme auprès des premiers venus (1).148 HUIT JOURS EN KABYLIE parce que. à Tizi-Ouzou et Aïn-elHammam. plus il y a lieu de |s'en défier. ils usent de leur influence sur les enfants dans un sens contraire aux intérêts de la France. elles étaient souvent données aux chefs indigènes les plus hostiles et les moins recommandâmes. 428. quant aux décorations. ben Hamida. D'autre part il est à remarquer.) l'histoire de Si. 147 et suiv. ils se trouvent fort excusables (2). pour un indigène. Elevé à l'européenne. » A y réfléchir sans parti pris. d'ordre Mais. pp. se faire mettre comme transfuge au ban de ses concitoyens. qu'accepter sincèrement les bienfaits de la civilisation. il y a 30 ans. C'est sous l'empire de la contrainte qu'ils subissent l'enseignement français comme une des conséquences de la conquête. faire le bonheur (2) On veut. Ils ne sont donc pas. c'est. Les quelques grands chefs qui se sont véritablement rapprochés de la France ont perdu par là même toute influence sur leurs coreligionnaires. Son intérêt (1) Il en était déjà de même. cette ingratitude des indigènes n'est vraiment guère coupable. obligés de s'en montrer reconnaissants. si l'on s'inspirait malgré eux. étant supérieur donnée l'indifférence de l'Etat moderne. un indigène ne peut se faire pardonner par les siens son éducation. du lycée Saint-Louis ex-collégien à Paris. d'idées morales et obligatoire. 6e édition. qu'en redoublant d'hostilité contre les conquérants de son pays. est-il bien doctrinale à des musulmans des prinofficiellement logique de prêcher ils témoignent une extrême cipes pour lesquels répugnance? . en bonne justice.RESULTATS DE L'INSTRUCTION 149 à qui nous avons donné l'instruction la plus complète que nous rencontrons le plus d'hostilité (1). Cela se comprendrait peut-être. S'ils se servent des connaissances que la France met à leur disposition comme d'autant de verges pour la battre.. des Kabyles en définitive. Voir dans FROMENTIN (Une année dans le Sahel. par caïd. sachant parfaitement le français. 1848-1886. ancien élève du lycée d'Alger. 339. Ils profit les connaissances qu'ils avaient acquises. p. kabyle de 1871 a été soulevée par un (3) Ainsi l'insurrection d'honneurs le célèbre Mo par la Franco. Récits algé(2) BEAUVOIS. grand chef comblé krani. ce qu'il faut entendre (1) Voir ci-dessus. (Voir. Au surplus. op. tracer des parallèles et creuser des mines (2). pour construire des échelles. C'est ainsi qu'en 1871 ce furent les anciens élèves de l'École des Arts et métiers de Fort-National qui dimirent à rigèrent le siège de Fort-National. comme étant un des ennemis les plus acharnés de la France. sur Mokrani FARINE. aux premiers rangs des insurgés. Kabyles et Kroumirs. pp.150 HUIT JOURS EN KABYLIE s'accorde avec ses sentiments intimes pour faire de lui un ennemi irréconciliable.. 1882. cit. A chaque soulèvement on a trouvé. aujourd'hui investi de l'importante charge de caïd (1) dans une commune mixte de Kabylie. Il serait bien facile de citer encore de nombreux exemples d'ingratitude (3). L'instruction donnée aux garçons ne paraissant pas p. il s'est immédiatement révolté le jour où il a cru pouvoir chasser les Français.) . pp. Mais il me parait suffisamment établi que jusqu'à présent l'instruction donnée parla France aux indigènes algériens leur a servi à mieux la combattre au jour de l'insurrection. 330 et suiv. 243 et suiv. PERRET. et sa famille. En dépit d'un long passé de fidélité. riens.. les faits sont malheureusement là pour prouver cette désagréable vérité. 79. On m'a spécialement parlé d'un fils de grande famille. quelques anciens élèves des écoles françaises. L'orphelinat s'actiennent (1) Certains musulmans pour indécise la question do savoir si les femmes ont une âme. ne mérite pas qu'on l'instruise.. coutumes et institutions des indigènes de l'Algérie.) les élèves indigènes se trouvait (2) La coutume de rémunérer en vigueur à l'ancienne do Fort-écolo des Arts et métiers National. 3e édit.. ayant souvent leurs deux parents (2). supprimée do l'insurrection leur école dès le commencement qui brûlèrent .INSTRUCTION DES FILLES 151 suffisante pour civiliser les Kabyles. elle ne saurait s'éloigner de la maison paternelle ou maritale. p. et au genre de vie qu'ils lui imposent. op. on s'est mis à la distribuer également aux filles. (VILLOT. cit. chacun une solde d'un franc par jour. transformer la femme c'est transformer l'homme. (BEAUVOIS.) Cette solde s'est trouvée du fait des élèves eux-mêmes. la femme. ils touchaient Au lieu de payer pension. n'ayant qu'une demi-intelligence (1). De plus. A ce premier noyau on ajouta des enfants pour lesquelles on payait 10 francs par mois à leurs pères : c'étaient des orphelines de convention. 330. La femme faisant l'homme. p: 41. Elle tenait à l'idée que les musulmans se font de la femme. Moeurs. sans courir à sa perte. On tourna l'obstacle en ramassant quelques orphelines dont les familles étaient bien aises de se débarrasser. Il était donc presque impossible de se procurer des jeunes filles kabyles pour essayer sur elles les effets de l'instruction française. Une première difficulté concernait le recrutement des élèves. C'est pourquoi on a fondé plusieurs écoles de filles. Pour eux. étant données les moeurs indigènes. on m'a dit qu'ils ne . Elle a été dirigée jusqu'à présent par une femme peu commune. de laisser instruire leurs enfants. Peut-être permettent-ils d'apprécier l'oeuvre entreprise . visitant l'école. à apprendre le français et même à l'écrire un peu. L'instruction des filles peut donc donner de bons résultats pédagogiques. Un de mes amis. Certains résultats ont été acquis. Quelques petites Kabyles sont arrivées. Abandonnée de sa famille par le fait même qu'elle est remise de 1871. qui a su donner très rapidement à ses élèves une instruction souvent remarquable. « C'est un meurtre. Il faut d'abord proclamer les mérites de la directrice. malgré leur répugnance.152 HUIT JOURS EN KABYLIE crut encore des filles de tous les Kabyles naturalisés. de traitement. » me disait quelqu'un bien placé pour apprécier les conséquences du système. a été fort surpris des réponses étonnamment intelligentes obtenues d'enfants de six à sept ans. Par suite de son passage à l'école. ceux-ci se trouvant. contraints. Quant recevaient plus pères aujourd'hui aux d'orphelines. Ainsi s'est trouvée constituée une école comptant environ soixante élèves. en un an. Mais au point de vue social ses fruits sont déplorables. toute jeune fille devient fatalement une déclassée et pis encore. Cette école de filles compte déjà quelques années d'existence. sept ou huit ont dix-huit ans. en raison de leur qualité de Français. Elles sont un peu de tous les âges . « Que veut-on que nous fassions de femmes plus instruites que nous. » disent à l'envi les Kabyles. (Voir plus (3) La Kabyle loin. Que devient-elle le jour où elle se trouve livrée il n'y a eu. Un Français n'a pas l'idée d'épouser une Kabyle (1). qui les rendent horriblement malheureuses. p. soit. générale de l'Algérie. (Voir plus loin. que 146 mariages Européens (72 entre Européens 74 entre musulmans et musulmanes. et Euro12 par an. Sur une vingtaine d'anciennes orphelines de quinze à dix-huit ans. Il y a quelque temps. elle se trouve dans l'impossibilité absolue de se marier. c'est-à-dire ayant de beaucoup. D'autre part. après avoir goûté de la vie européenne. de 1873 à (1) Dans toute l'Algérie. car jamais une indigène instruite ne peut. que par d'affreux vauriens. 58. même chapitre. aucun indigène ne veut d'une femme ayant fréquenté l'école. une ancienne élève de l'école d'orphelines n'a jamais voulu suivre le mari qui l'avait achetée 300 francs à ses parents (2). consentir à reprendre l'existence menée par sa famille et à se courber sous les coups d'un époux kabyle. dépassé l'âge du mariage (3). ne peut pas rester indéfiniment sous la surveillance de son institutrice. élevée à l'école française. La Kabyle. .C'EST UN MEURTRE 153 à une maîtresse française. en moyenne. et ils ont raison.) est mariée entre dix ou douze ans. il n'y en a qu' une ou deux ayant trouvé preneur. Elles n'ont été prises. en 12 ans. entre et musulmans 1884. même chapitre. chez les Kabyles n'est que l'achat d'une (2) Le mariage femme par un homme.) 9. m'a-t-on dit. 1882-1884. — Voir la Statistique péennes). chassée par la misère. ont Pélissier. que me citait. « bien tort. généralement écarte soigneu(2) Ce n'est pas sans raison que l'indigène sement de sa femme le contact des Européens et même dos S'il la laissait tant soit peu libre. LVIII et suiv. elle abandonne son pays pour aller échouer dans quelque mauvais lieu où l'instruc- tion qu'elle a reçue lui permet de se livrer plus lucrativement. sans se faire accueillir avec la société indigène par la société Tel est le cas des deux filles d'un grand chef européenne. il serait ou Européennes. Aujourd'hui « J'ai eu et leur père se repent amèrement de sa conduite. . attirée par le désir de mieux connaître cette indépendance que le contact journalier d'une Française à elle-même lui a fait entrevoir (2). » et les dangers que présente l'éducation (4) Les difficultés filles des jeunes ont été très bien signalés indigènes par M.). pp. des jeunes filles kabyles élevées à la fran(3) Quelques-unes une fin aussi triste. elles sont âgées de plus de 25 ans. un de mes amis. elles n'ont pu trouAprès avoir reçu une éducation française. dans le des jeunes filles indigènes (1) L'instruction les mêmes résultats C'est reste de l'Algérie. auprès des Européens. de faire élever mes « filles à la française : sans cela. il y a quelque temps. cit.154 HUIT JOURS EN KABYLIE (1) ? Rejetée par les siens. Aussi n'est-il à une jamais permis trompé. ver de mari. n'ayant pu trouver par le maréchal très mal fini. Est-il étonnant que les pères do famille considèrent l'école comme un lieu de perdition pour leurs filles ? « On nous raconte. au métier de prostituée (3). Belkassem ben Sedira (op. kabyle. Mais toutes çaise ne font pas cependant car elles rompent n'en deviennent pas moins des déclassées. disait dernière- a donné. Ainsi finit généralement la brillante élève de l'école française (4). a reçues d'une Eurode rendre les visites indigène qu'elles péenne. disait-il un jour à mon ami. qu'en Kabylie. élèves d'une école fondée jadis à Alger ainsi que les anciennes à se marier. ou abandonné. elles seraient maintenant « mariées.. des moins satisfaisants. cette panacée universelle. chargée aujourd'hui de guérir tous les maux et de prévenir tous les dangers : l'instruction primaire. (2) Voir BELKASSEM BEN SEDIRA. que l'instruction donnée ne présentait pas l'utilité qu'offrirait un enseignement professionnel (2).. Dès à présent. sont.RÉSULTATS DE L'INSTRUCTION 155 « ment un père kabyle au recteur de l'Académie « d'Alger. LIX). si cela est vrai. les écoles étant de fondation trop récente pour avoir lancé dans la société kabyle un grand nombre d'anciens élèves. Il est même probable qu'on ne se trouve encore que dans la période des premiers déboires. l'instruction des filles. pour témoignait « Si j'avais une fille. pour un Kabyle. conduire (1) Ce trait est rapporté par M. il vaut tout autant savoir manier une pioche. une grande répulsion de causer longuement. p. Et de fait. que lu veux prendre toutes nos filles dans « tes écoles. nous n'avons plus qu'à « travailler une route pour de l'instruction aller nous jeter dans la « mer (1).. XLI. avec lequel j'ai ou occasion cit. Il n'est donc pas étonnant qu'on songe déjà à modifier de fond en comble le programme actuel. p. en fin de compte. jamais. » Les résultats primaire française en Kabylie. Lors du passage de M. op. cit. note 1. Belkassem bon Sedira (op. disait-il. par un certain nombre d'indigènes. —Un père kabyle. on fit exposer au ministre. en Kabylie tout au moins. . on est obligé de se demander ce que vaut. qu'il s'agisse des filles ou des garçons. « je ne l'enverrais à l'école ». Berthelot. des professeurs de rabot et de scie. la pomme de terre. des mathématiciens. etc. c'est peut-être pure présomption. le fer et le bois. des menuisiers et des forgerons. par exemple. le calcul des intérêts composés. . des charpentiers. Sans doute on doit encourager les Kabyles à introduire chez eux quelques plantes nouvelles. Mais prétendre leur enseigner l'art d'utiliser le terrain de culture.156 HUIT JOURS EN KABYLIE une charrue. Quels seront les fruits de ce nouvel enseignement? Il paraît prudent d'attendre un certain temps. On ne formera pas simplement des grammairiens. travailler la pierre. des maçons. les sous-préfectures du Pas-de-Calais. en effet. p. avant de se prononcer. de deux instituteurs juin 1887. En conséquence. puisqu'ils savent vivre vingt-cinq sur un champ où un seul Français mourrait de faim (2). 91. ou la liste des ministères qui se sont succédés depuis Louis-Philippe. des professeurs d'enclume.. des exemples relevés dans Voici. quand de contributions. l'histoire de Frédégonde. des géographes et des historiens. Aussi a-t-on décidé la création de l'enseignement professionnel (1). dans le Bulletin mie d'Alger. que connaître l'accord des participes. un Mémoire de Kabylie sur l'enseignement manuel du dessin et du travail chez les indigènes. mais encore des agriculteurs. universitaire de l'Acadé(1) Voir à ce sujet. on consulte les rôles (2) C'est ce qui saute aux yeux. on va instituer des professeurs de charrue et de graines. des professeurs de mortier. 2 hectares 1/2 de terre et 1/3 de Béni Mahmoud. avec les 25 personnes naclia. 10. par hectare de culture. toute fortune 2 hectares de mauvaise terre. En effet. avec une famille de 15 personnes.ENSEIGNEMENT PROFESSIONNEL 157 Pour ce qui est des métiers industriels. il faut avouer que les efforts dépensés jusqu'à présent pour apprendre aux Kabyles à s'y perfectionner ont été bien mal récompensés. n'a. et rechercher si elle doit être maintenue. 704 hectares. de Tagmount-Azouz. dont seulement ce qui fait au moins 4 habitants cultivables. (1) Voir ci-dessus. (2) Une commission dans quelle situation ministre du commerce. ou déplacée. 56. du 19 déc. du sous la présidence a été instituée.921 indigènes du Djurdjura.) . Dans la commune mixte 14. un grand nombre d'indigènes. pour examiner se trouve cotte École. 1/10 que tribu des med ou Boû Djeinaâ n'Ait Ali. on peut espérer que le nouveau système. 129.p. du village d'Agouni-Fouran.000 environ sont vivent sur 23. possède pour Iaddaden. en établissant l'enseignement manuel dans chaque la commune : 1° Ali n'Ait Hassen ou mixte de Fort-National tribu des Béni Sedka CheAli. —3° Ahmed n'Ait Bouraï.. a seulement moulin à huile . de sa famille. que je sache. Voir ci-dessus. pour 19 personnes de Tagmount chez les Aït ou Malou. pour vivre — 2° Mohaà huile moulin de 5 hectares déterre et . Son existence même se trouve mise en question par le gouvernement (2). l'ancienne École des Arts et métiers de Fort-National a formé des élèves dont la France n'a guère eu à se louer pendant l'insurrection de 1871 (1). Malgré l'échec des premiers essais d'instruction professionnelle. qui a remplacé celle de Fort-National. supprimée (Voir le Journal Officiel 1888. p.. etc.. Quant à l'École des Arts et métiers de Dellys. elle n'a pas encore réuni.. etc. permettra de répandre plus facilement certaines connaissances. Deux touristes en Algérie. sautait» et la ville était prise. par Camille du 1er avril 1885. été employés à profit de la route des Portes de Fer.) on insurrection sur les dangers d'une prochaine (3) Voir. p. comme ces ouvriers indigènes que le gouvernement français prit jadis soin de former. Mettant an percement une ils creusèrent avaient les connaissances acquises. des pupitres d'un curieux travail. p. 1879. grâce à des ouvriers indigènes qui avaient. des Deux-Mondes do a manqué être pris parles insurgés (2) Bordj-Bou-Aréridj 1871. le rempart FONTANES. la potiche à deux sous. à sculpter. 201. à façonner des vases d'une élégance antique. à la prochaine insurrection (3). pour faire des souvenirs d'eaux. pour l'émir Abd-el-Kader. 562). dans une planche à peine équarrie. le chalet suisse ou le peigne de Saint-Claude ? Ou bien plutôt. au travail du fer et à la fonte des canons (1). (DE n'avait pas fusé. Commencements d'une conquête. profiterontils des progrès de leur art pour perfectionner leur armement et transformer leurs fusils (2) ? C'est ce qu'on saura bientôt peut-être.158 HUIT JOURS EN KABYLIE école primaire. Mais qu'en feront les Kabyles ? Employeront-ils les charrues à vapeur sur les pentes à 45 degrés de leurs montagnes ? Se bâtiront-ils des maisons à six étages pour économiser le terrain si précieux dans leur pays ? Au lieu de fabriquer ces bijoux pleins de cachet qui font l'admiration des étrangers. les (1) Voir Rousset (Revue . qu'ils Si leur poudre de véritables mine comme sapeurs du génie. produiront-ils à bon marché l'article en faux genre de Paris ? Renonceront-ils à tresser des corbeilles aux formes originales. les déboires aux insuccès. Bientôt peutêtre. l'an dernier. (2) Allant. dans YAkbar du 8 juillet se trouve fortement obéré par budget des communes des écoles. aussitôt après l'occul'enseignement primaire. unis en leur suffisait à les maintenir l'instruction essentielles. pas plus qu'en matière d'administration. qui suffiront à garantir la soumission de la Kabylie. et civiliser aurait soumettre do la Kabylie. cène sont ni les progrès purement matériels. à la sécurité en pays un article de M. Ce voyageur ajoutait que. chaque tribu son député. à Ménerville. période des projets contradictoires et des expériences aussi dangereuses que coûteuses (1). ni la diffusion de l'instruction soit primaire. ni la concession des droits politiques. si des complications se produisent en Europe. Très probablement cette période ne sera pas close de longtemps.EXPERIENCES SCOLAIRES 159 On n'est donc pas encore sorti. j'ai à entendu soutenir qui devait appartenir par un voyageur. relatif 1888. chaque thaddert ses écoles et son bataillon scolaire. kabyle. rétablir et imposer l'inquisition par la force le d'ailleurs christianisme. Vraisemblablement les propositions succéderont aux projets. les essais aux expériences. en chemin de fer. quant aux fonds comme ils avaient tous un même d'idées Français. que la France. (1) Le les frais installé enfants . soit secondaire. étant données la mobilité perpétuelle et la prodigieuse inconstance des idées gouvernementales. On a bâti des palais de construction et des mobiliers scolaires perfectionnés des pour recevoir à d'affreuses masures habitués et à desimpies nattes. En tout cas. pour pation les habitants. la France puisse laisser une bonne garnison à Fort-National (2). ROUANET. en matière d'instrucde la tion. tenant lieu de religion commune. dû. Kabylie. chaque vallée possédera son chemin de fer. Mais Dieu veuille que. se trouve. Il est bien possible que des maladresses aient été commises. et forme comme un petit paradis terrestre. au moment des décrets sur les congrégations religieuses. Mais il n'en est pas moins vrai que les Jésuites étaient bien vus de la masse des indigènes. lui confiaient la garde de leur bourse. également installés chez les Beni- . J'ai entendu dire que certaines susceptibilités religieuses s'étaient éveillées chez plusieurs Kabyles. au moment de partir pour le marché. Des ruines romaines attestent que ce site enchanteur a eu ses jours de civilisation. arrosé par des sources abondantes. (1) Les Jésuites s'étaient Yenni. que plusieurs Kabyles. ce qui est tout à fait prodigieux. les Jésuites ont été obligés d'abandonner la mission. Djemâa-Saharidj. Mais en 1881. qui parvinrent à y réunir jusqu'à 150 enfants indigènes. enfoui dans une luxuriante végétation. vont tomber dans la plaine du Sébaou. et'que quelques plaintes avaient été formulées auprès de l'administration. étant données l'avarice et la défiance de tout indigène. d'Aïn-el-Hammam. village situé au pied des contreforts qui. à Aït-el-Arba. paraît-il. L'un des pères avait si bien su inspirer confiance. on y a fondé une école importante. nous prenons la direction de Djemâa-Saharidj. Ellea d'abord été dirigée par les Jésuites (1). Pour renouer ces traditions.160 HUIT JOURS EN KABYLIE En quittant Aït-Hichem. sans grammaire ni dictionnaire. pansant les plaies et guérissant les teigneux. Le Chanfrère. Il jouissait. rien que par la pratique. Grâce à des connaissances médicales des plus bornées. pour lui demander ses soins. était un simple frère jésuite. que beaucoup d'indigènes ont appris un peu de français (1). Devenu presque Kabyle. ainsi baptisé par les indigènes pour l'avoir entendu appeler le cher frère-. comme médecin. Aussi leur souvenir est-il encore vivant dans le pays. à la renommée que s'était faite le Chanfrère. le plus populaire de tous les Français. Puis il s'était mis à soigner tous les malades. sont d'anciens élèves ployés dans les écoles kabyles-françaises. il avait très bien appris la langue. des Jésuites. Il tient surtout.LES JESUITES. LE CHANFRERE 161 Le passage des Jésuites en Kabylie a laissé quelque trace encore sensible aujourd'hui. paraît-il. Avec deux sous d'onguent et un dévouement à toute épreuve. il soulageait bien des misères. en Kabylie. Les Pères Blancs ont six établissements. d'une immense popularité dans tout le pays. aux Aït-Menguellet. notamment à Aït-el-Arba. On était bientôt accouru de toute la Kabylie. Les Jésuites ont été remplacés par les missionnaires du cardinal Lavigerie. il était devenu. en effet. presque illettré. Pères Blancs et SoeursBlanches. actuellement em(1) La plupart des moniteurs indigènes. . chez les Béni-Yenni. C'est auprès d'eux. Ce souvenir n'est qu'en partie le fait de leurs anciens élèves. la société kabyle. pour s'abandonner étant moins fervents musulmans Kabyles que les Arabes (voir plus loin. Jamais. elles ont une seconde (1) Depuis novembre Djemâa-Saharidj. 76 et s. A l'heure actuelle. Ils vont visiter les malades et leur distribuent quelques remèdes. . tout on lui satisfaisant certains des besoins do l'homme. religieux Les donne toute latitude à ses passions. Elle se compose de groupes dans lesquels se trouve absorbé l'individu (2). pp.. le français. maison à 1888. la constitution les musulmans au chrisde convertir (3) Il est très difficile tianisme. de ces groupes. l'arithmétique et un peu d'histoire. en masses compactes. Les conversions individuelles sont à peu près impossibles. telle qu'elle se trouve actuellement constituée. pour le moment. les Pères Blancs cherchent uniquement à se concilier les Kabyles. De plus ils tiennent des écoles où ils essaient de dégrossir les enfants. Ils leur enseignent les éléments de la propreté. exposée à la note 1 do la page 88. Quant peu plus aisément ont jamais le chrisdo savoir si les Kabyles question professé elle a été précédemment tianisme. Sans parler du fanatisme musulman qui. à tous les efforts faits pour la civiliser.162 HUIT JOURS EN KABYLIE près d'Aïn-el-Hammam. On ne doit donc espérer que des conversions en bloc (3). (2) Voir ci-dessus. serait peut-être trop surexcité par la prédication de l'Évangile. il est peut-être permis do penser qu'on à la on ferait un des chrétiens. résiste. Les Soeurs Blanches ne sont installées qu'aux Ouadhias (1). chapitre IV). Cela tient probablement à ce que l'islamisme. Les Pères Blancs ne font aucun prosélytisme. Cette conduite leur est imposée par la situation présente. c'est-à-dire les prêtres catholiques qui. les Pères Blancs tournent l'obstacle résultant de leur qualité de prêtres catholiques. Dépourvus de toute protection officielle. les grands principes de la morale pratique : c'est la laïcité par des religieux. Étant donnée leur extrême réserve. Comme tous les musulmans. En tout cas. ils apprécient les services rendus par les Pères Blancs. du moins un profond respect pour les marabouts français. Ils se sont d'ailleurs rapprochés autant que possible des indigènes. En évitant soigneusement de blesser le sentiment mahométan.LES PERES BLANCS 163 sous aucun prétexte. et ils leur confient leurs enfants. Ils se bornent à leur rappeler. aussi facilement pour le moins que les instituteurs publics. ils puisent néanmoins dans leur caractère religieux une grande force auprès des indigènes. tout juste tolérés par le gouvernement. en cas de besoin. en adoptant presque leur costume. à peupler leurs écoles. ces religieux parviennent pourtant. portant la chéchia et le burnous. Aussi témoignent-ils sinon une grande sympathie. ils ne peuvent en être distingués à cinquante pas de distance. savent prier Dieu. eux au moins. Vêtus de laine blanche. ils n'abordent avec eux la question religieuse. les Kabyles sont fort choqués de l'irréligion professée par la plupart des Français avec lesquels ils se trouvent en rapport. C'est par les mêmes moyens que les Soeurs Blanches des Ouadhias réunissent autour d'elles plus de cent . bref. En outre. Ce ne sont pas de pseudo-Françaises portant (1) Leur nombre a dépassé 150 pendant l'année scolaire 1887-1888. elles rendraient service et' aux pères de famille et aux maris (2). avec lequel je parlais naguère d'instruction. avec des femmes ordinaires. Aussi les anciennes élèves des Soeurs Blanches trouvent-elles sans difficulté à se marier (3). Elles ne font apprendre ni les chinoiseries de la syntaxe.164 HUIT JOURS EN KABYLIE jeunes filles indigènes (1). le croirait-on. des épouses supérieures aux autres. 153 et suiv. (2) Un certain nombre d'élèves des Soeurs Blanches sont des femmes mariées Elles viennent à l'école avec leurs nourrissons. sont obligés de rapiécer eux-mêmes et chemises et burnous. Demeurées Kabyles. elles se contenteraient de former des ménagères kabyles . et leur apprendraient des garderaient mieux choses infiniment plus utiles . ni les exploits des Mérovingiens . elles font. pp. quelques rudiments de cuisine et beaucoup de raccommodage. . Si j'ai bien compris. elles leur enseignent les différents usages du savon. particulièrement leur propension toute spéciale à la colère. mais elles s'efforcent de corriger les mauvais penchants de leurs élèves. m'a laissé entendre qu'il préférait de beaucoup les Soeurs Blanches aux institutrices laïques. Un Kabyle. (3) Voir ci-dessus. somme toute. Cette dernière science est particulièrement goûtée des hommes qui. quoique ayant acquis d'utiles talents d'intérieur. les Soeurs Blanches leurs élèves. au lieu d'en faire desdemoiselles à la française. et la charge a tourné. il lui faudra probablement de nombreuses années encore pour arriver a priser.) ne trouvent pas à se . est particulièrement brûlante. comme les élèves de l'orphelinat dont il a été question plus haut (1) . qui se tenait à la tête du mulet. pp. pour ne pas effectuer ce passage au moment de la plus forte chaleur. il faut nous hâter. commence à faire sentir ses rayons. Malheureusement Rabah déclare que nous allongerions noire trajet d'une heure ou deux.LES SOEURS BLANCHES 165 jupons et. Nous avons laissé les Ouadhias bien loin derrière nous. Mme Robert en (1) Ces élèves. autre chose que le maniement de l'aiguille et du savon. en fait de [civilisation. Gomme la plaine du Sébaou. Nous renonçons donc à Djemaâ-Saharidj. ce sont tout simplement de bonnes Kabyles. marier. s'est précipité pour tout recevoir dans ses bras. déjà haut. chapeaux. ayant conservé leur costume. Le petit Kabyle. Le soleil. Nous avons grande envie d'y passer. (Voir ci-dessus. Il a été aplati contre terre. 153 et suiv. C'est Mme Robert qui culbute. et nous pressons nos mulets. mais sachant à peu près coudre et laver. Mais Djemaâ-Saharidj se trouve presque sur notre route. que nous avons à traverser. que le pétrole et les allumettes chimiques. mais il a amorti le choc. dans la nouvelle éducation des femmes. Le mulet était mal sanglé. traitées à l'européenne. « La selle! la selle! » — Puis un bruit sourd de paquet qui tombe. Si l'indigène n'a accepté jusqu'ici. au dire de Rabah. elle a l'avantage de pouvoir parler avec une égale facilité à son compagnon de tête et à celui de queue. La femme de Rabah et les bijoux qu'elle porte défrayent la conversation. Elles se trouvent remplacées par des bardas. se tenir cramponnée de son mieux. et doit. . Elle vaut toutefois le reste du harnachement. C'est ainsi qu'il vient de lui acheter un superbe collier. acheter des bijoux indigènes. Ce bât. nous allons traverser le village de Taka. Mais en revanche. soit aux montées. A vrai dire.166 HUIT JOURS EN KABYLIE est quitte pour la peur. Elle se trouve ainsi fort peu solide. aussi long que le dos de la bête. En travers du barda se place généralement un chouari. permet au cavalier de voyager delà croupe à l'encolure. Il sert à charger les bagages et les provisions. il y a quelque temps. la sangle n'est qu'une simple corde. Le barda est une espèce de bât en paille. Les selles sont inconnues en Kabylie. où sont venus s'établir. MmeRobert voudrait bien voir ce fameux collier. trois orfèvres des Beni-Yenni. soit aux descentes. Rabah fait souvent des cadeaux à sa femme. ou. A la prière de notre compagne de route. En excellent mari. Mme Robert ne s'est guère souciée d'enfourcher un pareil édifice. précisément. L'ensemble présente une largeur respectable. Or. à tout le moins. sorte de cacolet en palmier nain. Mais désormais elle veillera à la sangle. Elle a préféré cheminer assise de côté. recouvert de laine ou de peau. ombragent le chemin. dans l'endroit le mieux situé.TAKA. que cachent à moitié des arbres magnifiques aux rameaux inclinés jusqu'à terre. Il est vrai qu'ils croient encore à la vie future. Aperçues au travers du feuillage. raide comme une échelle. gauche s'enfoncent de profonds ravins aux flancs presque à pic. perché sur un renflement de l'arête que nous A droite et à suivons. les maisons de Taka. Tous les habitants accourent pour nous contempler. — LE CIMETIÈRE 167 nous décidons que nous irons voir ces orfèvres. Rabah s'enquiert de la demeure des orfèvres. Après de longues explications que lui donne . suspendue tout près à quelque branche. Des enfants jouent de tous côtés. Ce n'est guère qu'une ruelle tortueuse. et continuent à vivre en quelque sorte avec eux. Des frênes. Le lieu n'a rien de la tristesse des nouvelles nécropoles établies d'après les données de la science. Ils les enterrent aussi près d'eux que possible. des chênes verts énormes. ressemblent aux alvéoles d'une ruche fantastique. Bientôt. Au delà du cimetière commence le village. sur un petit plateau en avant du village. Les musulmans n'ont jamais songé à reléguer bien loin leurs morts. taillés en candélabres gigantesques. un chaos de tombes blanches. Voici. du haut d'une descente. aux bras tordus en tout sens. nous apercevons Taka. toutes uniformes et serrées lésines contre les autres. On nous indique immédiatement un vieillard accroupi contre un mur. Le coup d'oeil est prodigieux. il tire gravement de dessous ses vêtements une petite sacoche en cuir contenant tous ses trésors. Nous nous rendons chez un autre orfèvre. occupée par plusieurs ménages. A force d'ouvrir les yeux. Dans un coin. l'habitude. est déjà pleine de monde. nous finissons par distinguer un spectre blanchâtre : c'est l'orfèvre en personne. dans le trou noir. Nous donnons.Le Kabyle nous montre quelques bijoux qui n'ont rien de remarquable. n'ayant guère plus d'un mètre de haut. Mais. Cette cour. on prépare du café. de porter constamment sur soi ce que l'on a de plus précieux. nous acceptons sans trop hésiter. On s'empresse de nous en proposer. On nous montre un trou noir. Le café dégusté. nous demandons où habite l'orfèvre. p. . (1) Voir ci-dessus. C'est paraît-il. 95.168 HUIT JOURS EN KABYLIE Rabah. Il les tient d'ailleurs à un trop haut prix pour que nous les achetions (1). Les tasses sont couvertes d'un vernis à la crasse. et nous cherchons à nous rendre compte de l'endroit où nous sommes. tète baissée. plongés dans une obscurité presque complète. Toute la population de Taka nous accompagne. et nous nous trouvons probablement dans une chambre. Il nous offre des coussins jetés à terre. Nous nous asseyons de notre mieux. et s'efforce d'entrer à notre suite dans la cour delà maison. Mais comme nous sommes encore à jeun. et nous trouvons le breuvage délicieux. nous ne voyons absolument rien pour le moment. un amas de charbon de bois. Enfilés à une corde. Nous l'intriguons certainement encore plus qu'il ne nous intrigue nous-mêmes. le saisissant sans façon. Majestueusement accroupi au milieu des objets disparates qui encombrent son antre. il extrait une cassette en fer. Puis. Tout d'abord. C'est le coffre-fort où il conserve ses trésors. en bracelets. ce sont d'abord de petits parallélipipèdes percés de trous. Il faut les injonctions de Rabah pour le tirer de son inertie contemplative. tous les bijoux kabyles. Un marteau. ils forment des colliers qui 10 . quelques poinçons. un petit soufflet et une enclume minuscule gisent à terre : voilà tous les instruments qui servent à transformer des douros. ou en agrafes. des loques éparses et. à lui seul. seule matière d'argent employée par les [indigènes.L'ORFEVRE KABYLE 169 Rien ne rappelle les magasins du Palais-Royal aux somptueux ameublements et aux expositions éblouissantes. en broches. c'est-à-dire des pièces de cent sous. A côté d'écus de cinq francs. et le considère attentivement. et comme enchâssé dans un écrin. D'un monceau de loques. C'est un vieil alchimiste d'Albert Durer. dans un angle de la chambre. il n'y a que quelques tas de ferraille. il l'essaye avec une dignité d'un comique achevé. qui aurait revêtu le burnous. Aussi ne se presse-t-il nullement de faire voir ses bijoux. il jette des yeux scrutateurs sur le lorgnon de Mme Robert. En fait de vitrines. le maître de céans vaut. plies dans de vieux chiffons. et encore en obstinément un 'prix si élevé. D'un bond. Comme nous sortons de chez notre bijoutier. ressemblant à des fers de forçats. comme potiche. plus ou moins grosses. avec un acharnement tout féminin. Si nous pouvions l'emporter. larges d'au moins cinq centimètres. Mais MmeRobert. plus ou moins chargées d'émaux suivant la fortune du mari. Voici ensuite des broches généralement rouges et jaunes. rondes. MmeRobert demande qu'on tente un dernier effort demande-t-il . Ce sont de ces agrafes en argent. et tombe sur deux agrafes suspendues à des loques mouvantes qui cherchent à s'enfuir.170 HUIT JOURS EN KABYLIË se portent au cou comme amulettes . lui et son antre! Mais il faut se contenter de ses produits . ne vaut. Robert opine pour nous remettre immédiatement en route. Ces différents bijoux sont curieux. sont vendus aux Anglais pour des boîtes d'allumettes kabyles. fabriqués à Alger. elle aperçoit des ombres humaines se dissimulant dans un réduit obscur. sans être vraiment jolis. leurs pareils. en tout cas. nous n'arrivons pas à nous accorder avec lui. Nous sortons sans avoir rien acheté. médite quelque coup désespéré. Quitterons-nous donc Taka les mains vides? M. au moyen desquellesles femmes kabyles retiennent sur leurs épaules les deuxpièces d'étoffe constituant leur vêlement. couvertes d'émaux complètent la collection. elle saute dans la place. comme pittoresque. qu'après maints pourparlers. Aucun. Enfin des bracelets de pieds. leur propriétaire. Au moment décisif nous faisons entrer en ligne les réserves du portefeuille et. maîtres enfin des positions ennemies. puis. notre victoire ne nous coûte que quelques-unes de ces blessures. C'est le moment de tenter un effort suprême. Le mari. Nous battons donc. et nous descendons la rue de Taka. Mme Robert et moi. en faisant entrer en ligne nos montures.LES AGRAFES 171 pour avoir des bijoux kabyles. se ravisant. Mais ils nous plaisent beaucoup moins que ceux découverts tout à l'heure. nous commençons par opérer une diversion en nous faisant montrer différents bijoux. Le pied à l'étrier nous feignons de prendre nos dernières dispositions pour partir. Alors nos adversaires. encore une fois. en convenant de nous partager les dépouilles . Il consent bien à les vendre. car. pour nous replier sur nos mulets. nous enlevons les agrafes. à l'exemple des grands capitaines. Ce sont les agrafes qu'il faut emporter de haute lutte. en retraite. . Nous combinons notre attaque. Nous sortons de la cour. commencent à lâcher pied. Nous faisons venir le mari de la femme aux agrafes. Malheureusement il en veut un prix que Rabah déclare exorbitant. qui nous les avait offertes. Tous les habitants du village voudraient nous vendre quelque objet. nous donnons résolument l'assaut. Appelant tout d'abord la ruse à notre aide. En fin de compte. battant la charge avec quelques écus. nous ne voulons pas acheter le succès par des sacrifices exagérés. se présente de nouveau. —« cevous tous aussi. Ce sont comme des lits de ruisseaux qui passeraient sur les lignes de faîtes. le chemin descend la vallée du Sébaou. des dalles de pierre polie inclinées et glissantes. ' . — Je devais apprendre. Presque tous se trouvent tracés sur les crêtes. présente généralement des escaliers naturels et. et à bientôt.le régime des peines do l'indigénat. Leur fond. et nous reprenons notre marche. Bêtes et (1) Voir ci-dessus. mais dont on dit : plaie d'argent n'est pas mortelle. 108. C'est un vrai chemin kabyle.— Oui « sans doute. p. que le susdit avait été. grâce au mot écrit sous la dictée de Rabah. C'était précisément le mari auquel nous avions acheté les agrafes. mais qu'en veux-tu faire? — Il y a une « mauvaise tête qui vient de me dire des sottises. et je lui écris. quelques jours plus tard. aux talus escarpés et bordés d'arbres. Au sortir de Taka. montant et descendant avec elles. Rien ne ressemble moins que les chemins kabyles aux routes carrossables. frappé des peines de l'indigénat (1). Grault. Rabah. encombré d'énormes cailloux. Je veux donner son nom à M. sur une de mes cartes de visite. le nom d'Arezki Amar. qui tient la queue de la colonne? me rejoint Peux-tu m'écrire un nom ? dit-il. Ils forment de petits ravins.172 HUIT JOURS EN KABYLIE cuisantes sans doute. Remontés triomphalement sur nos mulets. » — J'accède au désir de Rabah. par endroits. nous disons adieu à Taka. en suivant une arête fortement inclinée. depuis un temps immémorial. Elle finit par devenir si raide que nous mettons pied à terre. avec des villages sur chaque piton . Il est moins pénible d'user de sesjambes que' d'accomplir continuellement des tours de gymnastique pour se maintenir sur un barda. ils ne s'abattent jamais malgré des charges de 100 à 120 kilog. Ceux-ci ne se rencontrent guère que dans la plaine. On dirait même qu'ils s'y trouvent plus à l'aise que sur un macadam bien uni. se laissant glisser des quatre fers sur les dalles en pente. Ici. Ces qualités particulières les font préférer aux chevaux. La côte que nous descendons plonge de plus en plus droit. Ils s'y paient de 2 à 300 francs. assurant leurs pieds sur les marches qui se présentent. Il n'y a donc qu'à leur laisser toute liberté d'allure. c'est une plaine légèrement ondulée. l'habitude de passer par là : c'est tout le secret de la voirie kabyle.CHEMINS KABYLES 173 gens ont. Ce ne sont plus des pentes abruptes. Voici quelques villages à moitié cachés dans les oliviers. puis enfin la vallée du Sébaou. Nous ne reprenons nos montures qu'au bas de la descente. le pays change absolument de caractère. et à s'en fier aveuglément à leur instinct et à leur adresse. . chargées d'arbres et de cultures. Us ont un art étonnant pour se tirer des plus mauvais pas. tandis que les mulets valent plus du double. Contournant les blocs de pierre. n'offrant ni arbres ni buis10. Les mulets s'accommodent à merveille de pareils chemins. Nous suivons maintenant une sorte de large piste. d'ailleurs. Ainsi un cavalier d'administration revêt toujours deux burnous. Ce moyen de se distinguer du vulgaire par un surcroît de vêtements. Ils marquent. Gela ne l'empêche pas pourtant d'entretenir la conversation. j'en ai vu. Je me tiens caché sous un vaste casque. il enfonce sa tête dans les capuchons de ses deux burnous (1). un grand chef dérogerait s'il en portait moins de trois. Tout est jaune-rouge autour de nous : le sol. On se croirait vraiment au beau milieu d'une fournaise. — « As-tu déjà vu par ici des dames fran« çaises ? lui demande Mme Robert. les moissons et les herbes. au fond duquel je maintiens la fraîcheur grâce à des d'eau. (1) Les burnous superposés s'emploient aussi bien contre la chaleur que contre le froid. elle sort encore des entrailles surchauffées de la terre. M. mouchoirs imbibés . et Mme chapeaux de paille avec cache-nuque en toile blanche imperméable. utiles en définitive. — Oui. et monte par bouffées à la figure. Quant à Rabah. vaut bien autant que quelques galons ou qu'un ruban.174 HUIT JOURS EN KABYLIE sons. La chaleur ne tombe pas seulement du ciel en ondes flamboyantes. Le contraste est saisissant. peu cultivée. par leur nombre même. Le soleil semble avoir réduit le pays en brique. nous risquerions de périr desséchés. le rang social de l'individu qui les endosse. qui s'égare à travers champs. car on est rôti de tous côtés. et tout à fait déserte. Sans quelques légers souffles de brise qui viennent de temps en temps nous ranimer. Nous sommes d'ailleurs munis de coiffures qui défient tout Robert s'abritent sous des danger d'insolation. bonne beaucoup).LA FEMME DE SIDI PROFESSEUR 175 « lui répond-il. Mais Rabah tient Mme Robert encore en bien plus haute estime qu'il ne le laisse pour le moment soupçonner. « dix-huit cents francs. la « femme la plus chère. mais pas aussi courageuses que toi. — Ah « coup). — Oui. répondit « a-t-elle été fatiguée ? — Non. beaubezef. les Kabyles tiennent la . Comme tous les musulmans. en effet les propres termes de l'interrogatoire « Tu que Rabah a subi à sa rentrée à Aïn-el-Hammam. » — Mme Robert a été très flattée de savoir que son excellent ami Rabah l'avait estimée près de deux fois plus cher que la plus chère des femmes kabyles. — Mille francs. la femme de sidi professeur? — Ah ! — « mlihh. —Mais tu es fou . ne s'achète pas plus de mille francs? — « C'est vrai. —Tu veux dire dix-huit cents francs? « Oui. — Oh ! bien plus. Mais que veux-tu? pour moi. la femme de « sidi professeur. — Quinze « cent francs? — Encore plus. nous avons appris qu'il lui avait De retour à Alger. Grault. « as mené à Azazga les sidis professeurs? lui demanda Voici « M. mlihh bezef (bonne. une fille de marabout ou de « grand chef. — Eh bien ! comment « la trouves-tu.bezef « Alors « de sidi professeur. pas beaucoup. dis-moi donc combien vaut pour toi la femme (beaucoup. reconnu une valeur vénale extraordinaire. chez vous autres. mon pauvre « Rabah ! Ne sais-tu pas que. » —Le compliment est fort mérité. Ajoute trois fois cent — francs. elle vaut dix-huit cents francs. :— Et la dame Rabah. il ajoutait que.000 francs. Il descend parfois jusqu'à 50 francs..) (2) Voir HANOTEAU et LETOURNEUX. qui touchent l'argent. . c'està-dire qu'il est inférieur de moitié à celui d'une mule et à peu près égal à celui d'une jument (3). que dans son vilune dot de son père et choisissait lage la jeune fille recevait son mari. Aucun euphémisme n'est même en usage pour déguiser la réalité des choses. sur la jeune fille. de 1. duquel la femme livre sa personne et le mari preste une dot. p. — Un habitant de Taourirt-Amokran me soutenait de Fort-National. le mari n'achetait Il prétendait pas sa femme. « Je te jure. me disait-il. op. du parent mâle le plus proche. (Voir ZEYS. cit. c'est. « acheter une femme (2). qu'aux environs cependant par exception. Théoriquement. (3) Voir ci-dessus. En moyenne. pp. n'est vraiment consentie mariage qu'une vente do la femme. Se marier. la dot devrait être payée à la femme comme prix d'elle-même. t. Traité élémentaire algérien. Le prix est. 173. il atteint 300 francs . La valeur d'une du droit musulman. au maximum. pour un Kabyle. ceux-ci cherchent si souvent par ses parents. ce sont ses parents Le Mais. En tout amour-propre cas. que c'est comme chez les » t'eut-être flatter Français. II. en fait. voulait-il. le mariage (1) D'après les purs principes est un contrat en vertu synallagmatique. moyennant finance. la femme était achetée par le mari.176 HUIT JOURS EN KABYLIE femme pour un objet de vente comme un autre. t. p. le pouvoir du père et. par celte comparaison. 9 et 13. » Le mari acquiert. mule ou jument à deux pattes (1). pour ce qu'on peut appeler qualité bon ordinaire. note 2. en propres termes. Voilà pourquoi à jeter la désunion dans les jeunes ménages et à provoquer des répudiations fois répétées : ils se procurent ainsi plusieurs une occasion de se faire payer une dot à chaque nouveau made droit musulman riage. pour les prix comparés de ces bêtes de somme. 149. du côté de Maillot et notamment d'Azazga. à défaut de père. 1er. mon national. dans le reste de la Kabylie. en quelque sorte. pour obtenir le remboursement. Rien n'est donc plus facile pour l'homme que la répudiation : il lui suffit de déclarer d'une façon quelconque sa volonté de rompre le mariage (1). à laquelle d'ailleurs elle n'a jamais cessé d'appartenir. 176 et 182. II.) (2) HANOTEAU et LETOURXEUX. L'acheteur pourra rendre la marchandise dès qu'elle aura cesséde lui plaire. Mais elle ne recouvre pas pour cela sa liberté vis-à-vis de son ex-mari.. p. II. que si sa famille ou un nouvel acheteur désintéresse l'ex-mari (2). Frappée. op. Cette particularité du marché féminin ne peut s'expliquer que par les principes tout spéciaux des Kabyles en matière de mariage. Chose singulière. t. car elle lui refuse le droit d'obtenir le divorce. mais ne rompt parents. sur elle une espèce d'hypothèque. avec intérêts. cit. . pp. cit. d'indisponibilité. 159. elle ne peut être dégagée et redevenir ainsi l'objet d'une autre vente ou mariage. La femme retourne alors dans sa famille. le rang de sa famille. pas le lien qui l'enchaîne (Voir HANOTEAU et LETOURNEUX. son talent à faire le couscous. op. une femme précédemment mariée se vend plus cher qu'une jeune fille. la femme jouit simplement certaine bien de revenir chez ses faculté d'insurrection qui lui permet à un homme. de ce qu'il l'avait payée. voilà la clause essentielle et comme le fond même du contrat intervenant entre le mari et les parents de la femme.. même pour les causes les plus légid'une times. Celui-ci a.MARIAGE KABYLE 177 femme varie avec ses charmes personnels. en effet. et aussi suivant qu'elle a déjà eu ou non un mari. t. En Kabylie. La somme qu'il exige alors dure pour la encore plus (1) La coutume kabyle se montre femme que le véritable droit musulman. 180. C'est ainsi.178 HUIT JOURS EN KABYLIE est généralement supérieure à celle déboursée par lui. l'une à Alger. Un capital (1) HANOTEAU et LETOURNEUX. p. indigènes le pays se trouve dont au sud de Laghouat et qui Kabyles. cit. Ainsi s'explique cette singularité qu'une femme qui a été mariée s'achète plus cher qu'une jeune fille (1). et qu'il y trouve bien souvent une source de bénéfice. généralement ménage. op. que 2 polygames cinq — La fois plus considérable. polygamie est beaucoup plus fréquente chez les Kabyles qui passent à Alger : ils ont souvent une partie de l'année pour faire le commerce deux femmes. où ils viennent chercher la saison d'hiver. n'en possède aucun. [comme qui se débarrasse d'une bêle de somme. qu'une seule à la fois (2). une femme d'hiver à Alger. la monogamie lui est bien légère à supporter. en matière de commerce. II.. à cause de sa pauvreté. on ne cède habituellement une acquisition que pour un prix supérieur au prix d'achat. t. Étant donné que le Kabyle est maître de répudier sa femme. (3) Voir l'alinéa précédent. pendant où ils retournent vacances les fortes passer leurs pendant chaleurs.Aguemoun ne compte tional. car. savoir . L'argent que vaut la femme mise à la porte peut servir à acheter sa remplaçante (3). C'est en la changeant fréquemment qu'il se' rattrape. se livrer à divers métiers chaque année pour aller émigrent entretiennent double à mercantiles. que les Mozabites. il ne s'en offre très généralement. Quoique le Kabyle ait théoriquement le droit d'avoir en même temps plusieurs femmes. fortune et une femme d'été au Mzab. . Aguemoun sur 300 habitants . Taourirt-Amokran. à cet égard des renseignements (2) J'ai pu me procurer de la commune mixte de Fort-Naprécis pour deux villages et Taourirt-Amokran. égalede race berbère comme les ment. l'autre en Kabylie. Ton père en a bien plusieurs. où l'achat de la femme est moins ouvertement pratiqué (voir ci-dessus. p. à raison même des lois et des moeurs musulmanes. Toutes les musulmanes sont. Le d'embarras système de la polygamie successive. Il n'est pas rare d'en rencontrer ayant appartenu successivement à une demi-douzaine de maris. le système de la polygamie simultanée est une cause sans fin. tel qu'il se trouve pratiqué par le Kabyle. tout en lui laissant une latitude absolue pour changer de femme suivant son bon plaisir (2). parce qu'il est impossible de maintenir la paix entre les divers ménages (1). une erreur. me semble-t-il. J'aime « mieux vivre tranquille avec une seule.POLYGAMIE 179 d'environ trois cents francs permet d'acheter succès^ sivement les talents et les charmes d'un certain nombre d'épouses. (3) Il est certain qu'avant leur conversion à l'islamisme. étant autorisée à circuler hors de chez elle le visage y a là. 176. certaines localités. presque toutes les femmes la subissent au moins une fois. note 2). la répudiation est assez rare. et on en donne pour preuve la liberté plus grande dont elle jouit à l'extérieur. s'efforcer vainement. pendant toute sa « vie. sans s'exposer à ses ennuis . » Dans (2) La répudiation par le mari est très fréquente. Il paraît cependant que dans les villages des environs de Fort-National. Il que les autres (3). les . Il existe entre elles parité complète (1) « Pourquoi n'as-tu qu'une seule femme? demandait un « jour une dame de ma connaissance au fils d'un grand pro« priétaire indigène. On arrive ainsi à se procurer tous les agréments de la polygamie. — J'ai vu « mon père. de faire régner la paix entre toutes ses femmes. On dit fréquemment la femme kabyle moins malheureuse que la femme arabe . répondit-il. assure la tranquillité du mari. aussi malheureuses les unes découvert. cit. femmes. IV. op.. 595. une chose sur laquelle il calme ses nerfs. Histoire 1888. une des branches. — LA BEAUME. qui arrêta longtemps arabe. ce qui autorise tous les excès à son égard. Selon son humeur. de Mahomet le propos suivant : « Je ne connais pas rapporte « de défaut dans le domaine de l'intelligence et de la religion « qui soit plus puissant qu'une de vous. Le mari traite sa femme comme une bête humaine.litre qui grandit « qui est toujours à disputer sans raison. Ier. pp.. p. Ils comptent. ne peut s'empêcher pliments de sourire comme . un instrument qu'il emploie. ou bien la roue de coups à l'instar d'un bourricot.) et dans les ornements et les parures. dans leurs annales. biens et parce que les hommes leurs emploient « pour doter leurs femmes. C'est un joujou dont il s'amuse.) (3) Un mari qui parle de sa femme. p. il la choyé à la façon d'un caniche. » (Koran.) — Djelâled-din-Abou dans la Médecine du prophète. un être inférieur à l'homme (1). » (LA BEAUME. Soleiman-Dâoud. » (Koran. 17.) sont supérieurs aux femmes à cause des (1) « Les hommes « qualités de Dieu a élevé ceux-là au-dessus par lesquelles « celles-ci. dont les Kabyles constituent Berbères. une célèbre reine El Kahéna. chair à plaisir ou machine à tout faire. pp.. 0 vous qui croyez! a vous avez des ennemies dans vos épouses. ou qui reçoit des comà son occasion. XVIII.. 212 et suiv. (2) « . 596 et 597. de déchéance et de misère.. t. et LXIV. note 1. dans l'Aurès l'invasion de l'Afrique (MERCIER. Le Coran déclare expressément que la femme est. à faire dispa« raître le sens moral de l'homme et le même le plus prudent « plus raisonnable.180 HUIT JOURS EN KABYLIE d'avilissement.. le Koran analysé. 1878. en effet. 38 . 596. septentrionale. étaient loin d'abaisser la femme comme ils l'ont fait depuis. op. ce n'est jamais une compagne (3). 1 4. — LA BEAUME. Il la tient pour une créature dégradée et dangereuse (2). cit. La pratique vaut encore moins que la doctrine. LA FEMME MUSULMANE 181 Le droit de battre sa femme est considéré parles mahométans comme le premier des droits de l'homme (1). Les enseignements mêmes de l'Islam qui.) mansuetiores erant. plagarum vestigia. vous les reléguerez « à part. (3) L'habitude pour le mari de battre sa femme était déjà invématrones térée en Afrique au temps de saint Augustin. ne leur « cherchez point querelle. mais. l'aident à tout supporter. op. c'est que la musulmane semble n'avoir aucune conscience de son abjection. à les femmes dont vous auriez (1) « Vous réprimanderez « craindre dans des lits la désobéissance.. note 2. » (Koran. Gomme l'âne. c'était le mari qui craignait d'être atteint dans sa plus chère prérogative (3). ce sera « ce Mozabite qui interviendra quand je battrai ma « femme? » Ce n'était pas l'officier municipal évincé qui protestait. p. s'il s'agissait meuble ou d'un animal de quelque grotesque plein de gentillesse. IX. « Comment! s'écria celui-ci. p. —LA BEAUME. quum mullae quarum viri deshonestatâ facie. qui m'a été racontée par un témoin de la scène.. 178. etiam de saint Augustin.) détails sur les (2) Voir ci-dessus. 38. gérèrent. 598. dès qu'elles obéissent. Jamais elle n'a eu l'idée d'une autre existence. en remplacement d'un vieil Arabe qui remplissait ces fonctions depuis vingt-trois ans.. IV. vous les battrez . elle est résignée à son destin. 9. (Confessions 11 . Ce qu'il y a de particulièrement navrant. ne font que mieux l'affermir dans son abaissement. L'anecdote suivante. quelques Mozabites. Il y a quelque temps un conseil municipal des environs d'Alger nomma adjoint un Mozabite (2). par leur fatalisme. montre au vif ce sentiment. cit. et souffrir spécialement de l'absence totale d'affection de la part de leur mari (1). voilà à leurs yeux le bonheur idéal. car la décrépitude suit de bien près le mariage (2). « Tu es heureuse. elles sentent mieux leur infortune. Il la garde souvent auprès de lui. Parfois. Elle n'avait pas encore rencontré un Kabyle dans ce cas. — Voici d'ailleurs. toi. Il me dit : dépêche« toi de mourir. un exemple donnant exactement la mesure de l'affection maritale dont sont capables les indigènes : « Envoie « donc ton mari chercher des remèdes. en causant avec une Européenne.182 HUIT JOURS EN KABYLIE Moins islamisées que les femmes arabes et. depuis 17 ans. et sûre de ne pas être renvoyée. par conséquent. elles l'ont bien rarement et. elles semblent soupçonner toute l'horreur de leur exis- tence. voit une foule de femmes indigènes. m'assurait qu'elle n'avait jamais trouvé que deux Arabes aimant leur femme. Une personne qui. même chapitre. mais comme un maître conserve une jument fourbue. et vient les vouer fatalement à l'abandon et aux mauvais traitements. les femmes kabyles sont peut-être plus à plaindre. » (2) Voir plus loin. . Ayant une intelligence plus développée. — Il « ne veut pas. répondit-elle tristement. un peu moins abruties. ontre mille. quand elles l'ont. être aimée pour ne pas être chassée. Ce bonheur. ton mari t'aime! » Être jolie pour être aimée. disait la personne dont « j'ai parlé plus haut à une femme gravement malade. parce que je veux en chercher une autre. Le mari ne répudie pas toujours sa femme devenue vieille. Elles jettent alors des yeux d'envie sur celle femme bien traitée. ce n'est que pour quelques jours . par cela même qu'elles se doutent davantage de leur déchéance. pour avoir à musulman (1) On peut poser comme axiome qu'aucun n'aime sa femme. jolies et intelligentes. en Petite Kabylie (1). l'une jeune et l'autre vieille . Un homme avec un mulet et deux femmes. Avant leur mariage. particulièrement des fumiers et des immondices. mettant le pied sur l'échiné de la vieille avec autant d'aisance qu'elle aurait fait sur une borne de la route. s'élança lestement sur le mulet. il rangea la bête à côté de la vieille qu'il fit courber . Au moment de se marier. A peine livrées à un mari. voilà désormais ce qui lui est réservé. aux environs de Sétif. les jeunes filles kabyles n'ont qu'un désir. Bien que sachant ce qui les attend. celui de se marier. note 1. Tandis qu'elle se trouve condamnée aux derniers travaux. 6. elles dépérissent à vue d'oeil. elle servira à son tour d'escabeau. elle était vrai(1) Voir p. Voici. elles sont. et prennent un air vieux et abêti. Elle est employée aux charrois des fardeaux les plus lourds et les plus répugnants. une jeune femme lui succède en qualité d'épouse et la reçoit comme servante. Le gros ouvrage du ménage et la culture de la terre. en effet. ce qu'on entend par Petite Kabylie revenait du marché . C'est vouloir se vouer à l'abrutissement. Un propriétaire français me citait récemment l'exemple de la fille d'un jardinier kabyle. en général. On en use aussi comme d'un [marchepied portatif.LA VIEILLE FEMME 183 qui demander sans crainte les services les plus pénibles. arrivé dans la campagne. de mes propres yeux. Dans quelques années. ce que j'ai vu. et la jeune. son visage s'était couvert de rides . si dure soit-elle. car quelqu'un m'a assuré avoir assisté au mariage d'une Kabyle de huit ans (1). que des maris avaient impule bères par voie de viol. . vers dix ou douze ans et souvent avant cet âge. Certains musulmans. Quel est le secret de la foudroyante transformation que le mariage fait subir aux jeunes filles? Il ne m'est guère possible de soulever le voile qui cache les misères et les turpitudes de presque toutes les familles musulmanes. à la exemple. Trois semaines après. L'expérience. 1884. — Voir. 179 et médico-judiciaire suiv. la jeune indigène est. cit. n'empêche pas la plumaintenant une certaine tendance à (1) Il y aurait. sitôt qu'il y a acheteur. op. chez les Arabes au point de docteur KOCHER.) On comprend mortels. p. La coutume kabyle ne fixant pas plus que la loi musulmane d'âge pour contracter mariage. de ses femmes alors qu'elle (2) Le Prophète épousa l'une à son était âgée de sept ans seulement. eu résulter. Dans ces conditions. achètent des jeunes filles non encore parvenues nubilité. C'est. elle paraissait flétrie . reculer un peu le moment du mariage pour les filles. vendue à un mari. De la criminalité vue de la pratique en Algérie. sur le viol dans le mariage. pp. parfois que dos accidents. t. (Voir HANOTEAU et LETOURNEUX.184 HUIT JOURS EN KABYLIE ment belle et pleine d'intelligence. Qu'on s'imagine comme on voudra ce qu'une femme peut attendre •d'un mari sans amour et sans morale. en note 3. Un juge de paix m'a affirmé avoir puissent à faire pour de véritables meurfois des instructions plusieurs commis sur leurs femmes tres. son regard avait perdu sa vivacité juvénile : c'était une vieille et une abrutie. peut-être. une femme est incapable de résister aux épreuves de son nouvel état (2). II.. 149. en fait. Rarement un Kabyle garde une femme qui lui a donné trois filles sans aucun garçon. Cette singulière passion pour le mariage est faite Elle peut s'expliquer. A leurs yeux. depuis fort longtemps. Le désir.LA FEMME MARIEE 185 part des femmes veuves ou répudiées de se remarier. en observant pour surprendre. se trouve en relation avec une foule d'indin'avoir jamais vu que deux femmes répudiées continuer. Quoi qu'il en soit. que les musulmans n'ont aucune idée de la chasteté dans le célibat. j'ai entendu une personne qui. car c'est à cette condition seulement qu'elle jouira de quelque estime auprès de son mari et des autres femmes du village. avoir des enfant mâles. a donc sa source dans un sentiment respectable. surtout pour les femmes. à mener une vie honnête. une femme nubile qui reste non mariée est nécessairement une prostituée. sans convoler en de nouvelles noces. affirmer Une fois mariée. A peine redevenues disponibles. elles répondent invariablement qu'elles espèrent en trouver un autre moins méchant. ou si elle n'a que des filles. elle sera inévitablement répudiée. insensé en apparence. gènes. la femme kabyle ne souhaite plus qu'une seule chose. Souvent même il la chasse à la . Si on leur demande pourquoi elles n'ont pas assez des coups qu'elles ont reçus de leur précédent époux. elles ont comme idée fixe de se faire acheter par un nouveau mari. qu'a toute musulmane d'appartenir à un mari. Si elle demeure stérile. le mariage et le nombre des enfants. Et ton mari t'aime ! « et ton mari te garde ! » Et serrant son enfant contre sa poitrine.. une mère sans garçon. en montrant « trois doigts ouverts pour appuyer son dire. aux yeux des Kabyles. » (Koran. 60 . « Es-tu mariée. L. Gela tient à ce que les indigènes de petits garçons. XVI. la questionna immédiatement sur le sujet qui passionne le plus une indigène. il y a quelque temps. les considérant quels qu'ils honneur pour la famille.pitié mêlée de mépris (1). Cette anecdote montre sur le vif ce qu'est. p.) — A la Kasba d'Alger. 601.cit.. « des regards de profond mépris. L. Mais elle ne prouve pas que les femmes aiment leurs enfants.. lui demanda-t-eîle ? — Oui. en jetant sur MmeP. fussent-ils d'entre eux la naissance (1). d'un ton admiratif. beaucoup ils ne infirmes mourir les filles laissent pour lesquelles au lieu qu'ils soignent trouver acheteur. son visage s'obscurcit. qui allaitait un garçon. soient.. une preuve des plus curieuses. j'en ai trois. Mais combien « de garçons ? — Trois filles. répon« dit MmeP. Celle-ci. « — Combien d'enfants ?— Trois. La femme d'un de mes amis entra un jour chez une femme kabyle.186 HUIT JOURS EN KABYLIE seconde fille.. une personne qui la connaît m'assurait tandis qu'il y a à fond. — Trois filles ! trois « filles ! s'écria la Kabyle. elle tourna le dos à sa visiteuse. il n'y a pas de petites filles estropiées. op. J'en ai eu. . « Si l'on annonce à quelqu'un et il devient comme suffoqué d'une fille. toujours pourraient comme un les garçons. —LA BEAUME. La malheureuse est alors notée d'une sorte d'infamie et n'inspire plus qu'une. avec un certain orgueil. — Ah ! « ah ! dit la Kabyle. par la douleur. la mère se souleva nonchalamment. Leur désir de la maternité ne se manifeste que pour les enfants mâles. » Pour elles. dont deux morts. « Peut-être ce n'est pas mort. La femme indigène se trouve parfois au-dessous de la bête. en poussant du dos le cadavre. qui visitait une maison kabyle. et procède uniquement de l'égoïsme : des fils leur sont nécessaires pour ne pas être répudiées. Entendant entrer quelqu'un. C'est à ce degré d'abaissement que descendent parfois les femmes kabyles.LA MÈRE 187 Quand on leur demande combien elles ont de garçons. Je n'ai que l'embarras du choix parmi une multitude d'exemples. et voilà tout. et répondent par exemple : « J'ai trois garçons. cela leur paraît presque indifférent. tous aussi navrants les uns que les autres. trouva une femme étendue à terre et dormant du sommeil le plus paisible. elles comptent toujours ceux qui sont morts. « Et ton « enfant. Une femelle mammifère donne toujours son lait . C'était l'insouciance de la du sexe masculin. l'essentiel est d'avoir donné le jour à des fils. il ne dépasse pas le niveau qu'il atteint dans la bête. » Et se recouchant tranquillement elle se rendormit. répondit-elle d'un air indifférent. lui demanda sa visiteuse? — Tu peux bien « voir si tu veux. Contre elle gisait un paquet* c'était sa petite fille qui venait de mourir. brute. Une personne de ma connaissance. Vivent-ils. Du moment que l'amour maternel n'est qu'un sentiment égoïste. quelqu'un m'a rapporté avoir rencontré une misérable qui refusait obstinément de nourrir sa fille. 1888. « souriant. Ça. » Tous les Kabyles n'ont pas cependant de pareils sentiments. depuis plus de quinze jours. » Son mari était. elle est « mauvaise. répondit-il en Kabyle. obligé de la contraindre à allaiter son enfant. Si les mères n'aiment guère leurs enfants. d'économie sociale. « Pourquoi ne « viens-tu pas chercher des remèdes pour ta mère qui « est malade ? » disait une personne charitable à un — « Oh ! laisse-la donc mourir. disait-elle. Or. à un nouveau mari. Comment en seautrement. qu'un homme prend pour un temps et qu'il renvoie sitôt qu'il en a assez? Aussi voit-on des fils vendre. AUGUSTE GEOFFROY. leur mère devenue veuve (1). Quelques-uns. il faut qu'elle parte pour le cimetière. Ordinairement. c'est vieux. « Elle m'a trop fait souffrir. une pouliche à deux pattes. Ça peut mourir. les enfants assistent impassibles à la mort de celle qui les a mis au monde. 2me série. ont pour elles certaines prévenances. J'en ai rencontré deux ou trois. dans une (1) Voir le cas de Kassi Mohamed do M. eux-mêmes. rait-il . — Les ouvriers IIme fascicule : Bordier berbère de la Grande Kabylie. vois-tu. mais la plupart se montrent indifférents. publiée par la Société monographie des deux mondes. puisque la femme est un être sans dignité. suivant à pied Aït el Haoussin.188 HUIT JOURS EN KABYLIE à ses enfants. ceux-ci le leur rendent bien. 70. parfois même dénaturés. sans doute. p. car sa conduite envers sa femme témoigne d'un excellent naturel. J'aime à croire que Rabah. Nous traversons un petit bois de lauriers-roses en fleurs. Les petits Kabyles.L'ENFANT 189 un mulet. qui lui permettrait d'en avoir plusieurs (2). et nous songeons avec regret que nous aurons à nous séparer de lui une fois arrivés à Azazga. s'il a encore sa mère. originairement de l'habitude et l'autorité des coumaintient que par la force ni il n'a pour base ni la reconnaissance. Nous l'en estimons davantage. qui accompagnent à pied nos mulets. 11. son père. à litre de chef de famille. tumes publiques. ne se Mais ce respect. (2) Voir ci-dessus. les seules habitations que nous ayons rencontrées depuis une heure de marche. par une rampe d'une cinquantaine de mètres. il se contente d'une seule. p. Au sommet de la rampe se trouvent deux misérables gourbis. s'y désaltèrent avec délice. En bas sort une source abondante. et nous sommes sur les bords du Sébaou. Nous voici au bord d'un plateau qui. — Le père semble d'ailleurs avoir pour son enfant l'affection. plus d'attachement que la mère. Mais je ne suis pas sûr que ces égards ne fussent pas de la même nature que ceux d'un berger chargeant sur son âne la bête qui ne peut plus marcher (1). Malgré safortune. sur lequel était montée une vieille femme qui pouvait bien être leur mère. . tandis que nous avons la sagesse de n'y pas toucher. est meilleur fils que la plupart de ses compatriotes. 178. descend au lit même du Sébaou. (1) Le Kabyle respecte fondé sur la crainte. se précipitent dans l'eau. Cette eau limpide. Labas. Nous voudrions qu'un accident imprévu nous fît faire un de ces plongeons que la raison défend de chercher.190 HUIT JOURS EN KABYLIE Le Sébaou qui. ces rives couvertes d'arbres verdoyants. Malheureusement. mourant de soif et de chaleur. nous reste- . comme le flamboiement d'un four à briques. Plongés dans une douce contemplation. mais qui s'acceptent avec joie quand il a été impossible de les éviter. Le cadre même accentue. sur laquelle nous semblons marcher tandis qu'elle s'écoule avec un léger murmure à quelques centimètres au-dessous de nos pieds. tout cela forme un délicieux tableau. derrière cette verdure. dans les grandes crues. on aperçoit. ressemble à un véritable fleuve. nos bêtes restent fermes au milieu de l'eau. car le soleil est torride. que dix mètres de largeur sur cinquante centimètres de profondeur. dont la vue seule repose et ragaillardit. Faute de bain. pour le moment. et s'arrêtent au milieu du courant pour boire en prenant un bain. n'a guère. et nous sur nos bardas. Nos mulets. le cou tendu. les naseaux ouverts. vers le fond de la vallée. il faut nous contenter de la fraîcheur du paysage. les oreilles pendantes. ces mulets qui. en effet. l'impression du calme et du bien-être. aspirent l'eau à longs traits. C'est ici comme l'oasis au milieu du désert. Nous envions leur bonheur. par le contraste. et l'on s'estime heureux de se trouver dans un milieu moins brûlant. nous arrivons à des oliviers qui nous mettent un peu à l'ombre. est maintenant complètement Enfin. Nous remontons la berge du Sôbaou par un sentier raide comme une échelle. à force de monter à travers les maquis et dans des pierres roulantes. il en est encore à la période de formation. désaltérés et ne se sentant pas encore au bout de leur étape. Azazga est situé sur un plateau légèrement incliné au Nord. Azazga est un village entièrement français. ne nous amenaient d'eux-mêmes sur l'autre bord. car la brise. Il faut. .LE SEBAOU 101 rions encore longtemps en pleine rivière. Il est dix heures. Nous pressons nos montures pour nous soustraire à un soleil de plus en plus ardent. et de l'autre écarter les broussailles qui viennent nous fouetter la figure. une belle place publique avec une fontaine artistique. d'une main. si nos mulets. Quand on l'aborde comme nous par le Sud. se cramponner aux crins de nos bêtes. Il a d'ailleurs été conçu sur le plan de tous les villages français de l'Algérie. et à onze heures nous entrons à Azazga. Nous grimpons à présent une côte exposée à toutes les ardeurs du soleil. De larges avenues bordées d'arbres. on ne voit les premières habitations qu'en y arrivant. tombée. et la chaleur se fait de plus en plus sentir. de somptueux monuments publics. qui nous avait accompagnés jusqu'ici. Nous trouvons bientôt un chemin horizontal se dirigeant du côté d'Azazga. Bien que fondé depuis 9 ans. écoles et gendarmerie. nous payons nos muletiers : c'est neuf francs en tout. en nous communiquant caractère officiel. La chaleur. nous offrons le café à Rabah. congé de cet excellent guide. aucun hôtel on ne veut recevoir de l'administration. . Aussi la sieste nous a-t-elle bien vite délassés. peut nous loger. puis des maisons basses n'ayant presque jamais d'étage et éparses çà et là dans de grands carrés de jardins. La température est beaucoup plus élevée qu'à Aïn-el-Hammam. produisant le même effet que le froid. et MmeRobert payent leur passage du Sébaou. pour la journée de trois mulets et de deux hommes. Après avoir déjeuné. La maîtresse de céans se montre peu aimable et prétend qu'elle ne. pour faire la sieste jusqu'à quatre heures. Nous sommes moins endoloris que le premier jour. Il y a deux hôtels. nous a valu un accueil peu sympathique. non sans quelque peine. MmeRobert parvient à nous obtenir deux chambres (1). Puis nous rentrons dans nos chambres. (1) J'ai appris plus tard pourquoi Comme dans la plupart dos villages les habitants français. Cependant. Cela tient à la faible altitude d'Azazga et au sirocco qui commence à faire sentir son souffle. et nous prenons. à force de diplomatie. somme qui n'est vraiment pas exagérée. à tel point que dans sont à Azazga au plus mal avec l'autorité. Une fois logés. Nous descendons à celui qui présente la meilleure apparence. a fortenous avons été mal reçus.402 HUIT JOURS EN KABYLIE mairie. d'agent à une autre commune. Mais M. C'est même il appartiendrait quand un donc la présence de Rabah qui. Nous entendons confusément les mots de provocation. la faculté de pouvoir. . est ainsi conçue : « Misérable infamie est refuse de transmettre un annulée. un papier à l'employé Il passe triomphalement du télégraphe et se met à parlementer.. Consultés sur le point de à se droit.. l'employé finit par céder devant ces considérations que railleur de la miserai le infamie n'est pas paisiblement l'issue de la discussion. qui lui sont faites. dépêche. comme une des commodités partinos nouvelles à nos culières d'un voyage en ce pays. tout village On européen a son bureau de poste et son télégraphe. etc...AZAZGA 193 ment gercé leurs lèvres qui laissent perler des gouttes de sang. entre un individu familles. dividu parti. nous engageons discrètement l'expéditeur méfier de la loi sur la diffamation. Ce désagrément.. d'ailleurs sans danger. dans que nous rédigeons nos télégrammes le chapeau sur du bureau. l'inveut bien nous mettre au courant des difficultés La dépêche. communiquer rapidement siens... politique. M. avec les à chaque étape. aurait été facilement évité par l'emploi de quelque pommade préventive.. que Mme Robert continue à se reposer. Tandis un coin l'oreille. » L'employé texte qui lui paraît injurieux. zut. peut donc compter. Au bout d'un instant. et nous attendons Après de longs pourparlers. insulte. adressée à un ami de Tizi-Ouzou.Robert se rend avec moi au télégraphe pour donner de Pendant En Algérie. Paul. que les purs patriotes allaient être égorgés sans pitié par les suppôts de la tyrannie et que. que ses approches se poussaient avec une fiévreuse activité.. et que les termes du télégramme constituent simplement un langage convenu. les misérables infamies de M. Ce syndicat opère dans « l'ombre . Mais comment les pénétrer. ces misérables infamies ? Ma mauvaise mémoire ne me permet pas de rassembler mes idées à cet égard.. dévoilons ses manoeuvres au grand jour. c'est que l'ennemi était aux portes. que des mines ténébreuses menaçaient d'éclater au milieu même de la place. sous ce titre : Une « . (1) J'ai été assez heureux. pour retrouver quelques détails sur le péril couru par Azazga. . à mon retour à Alger. n'en possédant pas la clé? — Je finis par me souvenir qu'il y a quelques jours j'ai aperçu.Nous et nos amis avons affaire à un infamie judiciaire « syndicat puissamment organisé. quelque bulletin chiffré annonçant une victoire. Voici. dans différentes feuilles publiques d'Alger.. eh bien. les calomnies abominables de M. Il paraîtrait que ce village a manqué voir des horreurs dignes de 93. ce que j'ai découvert à son propos. en effet. Tout ce que je me rappelle. que des traîtres se disposaient à livrer la cité.194 HUIT JOURS EN KABYLIE nominativement désigné. généralement parlant. dans un numéro du Petit Colon en date du 6 février 1887. des lettres d'Azazga dévoilant à la face du monde les sourdes menées de tel ou tel parti. Nous venons évidemment d'ouïr les secrets d'un des partis politiques d'Azazga. Azazga et la patrie étaient en danger (1). ces calomnies abominables. Mais quelles étaient ces sourdes menées. Pierre.. comme une sorte de cauchemar. dans la plupart des nouveaux centres. parfois même sans cafés-concerts (2). des comédies et des drames. sans casinos. seule. Ils se trouvent loin des villes de plaisir. Une fois déchargés des soucis de la culture.LA POLITIQUE 193 La politique constitue. mais on l'aliène peu à peu. qui bien souvent ne sont autres que les anciens propriétaires. l'usage que les colons font des cafés-concerts. permet aux grands hommes de se donner libre merveilles. On monte alors. ils commencent ordinairement par louer leurs terres à des indigènes. Force est donc de se rabattre sur la politique qui. pour le moment. avec ses horizons infinis. de toute espèce de distractions. Le nouveau système paraît jusqu'à présent donner de bons résultats au point de vue pécuniaire. Ce qui concessions gratuites et à la colonisation reste de terrains domaniaux n'est plus employé à créer des villages de toutes pièces. » (1) Le gouvernement semble renoncer. Le sujet se trouve généralement emprunté aux luttes de l'antique forum. ils doivent songer aux moyens d'occuper leurs loisirs. Dotés par la munificence gouvernementale de confortables habitations et d'avances importantes (1). aux officielle. d'un verre un aliment carrière et d'enfanter des . (2) Voir plus loin. par voie de vente aux enchères. sur la scène municipale. en un mot. pour ne pas dire l'unique occupation des colons. sans théâtres. Des intelligences d'élite comme les leurs ne sauraient toutes trouver au fond suffisant pour leur dévorante activité. La municipa« pour obtenir satisfaction d'une iniquité commise vis-à-vis « de ceux qui luttent avec nous contre le parti de la terreur. privés. à la fin du même chapitre. le passe-temps. et les artistes. Des comptes rendus littéraires publiés dans un journal local. dans un des journaux de la sous-préfecture. On s'imagine facilement les embarras de l'administration. toujours palpitantes d'intérêt. les démonstrations belliqueuses amènent fatalement une déclaration de guerre. s'y livrent à des luttes épiques. prenant leurs rôles au sérieux. le tonnerre gronde. sous le mas- que du Sénat et des tribuns.196 HUIT JOURS EN KABYLIE lité en exercice et les chefs de l'opposition. L'émulation se change en rivalité. artistes subventionnés pour représenter le peuple romain. à défaut de journal local. C'est ainsi que nombre de pièces ont eu leur dénouement en police correctionnelle ou aux assises. Grâce à leur ardeur. Les félicitations adressées à l'une des troupes d'acteurs ne vont pas sans des reproches faits à l'autre. Malheureusement les qui font spécialement de la critique d'art professent. l'opposition dégénère en querelles. tiennent l'univers au courant du mouvement artistique. Les quatre-vingts ou cent électeurs. L'orchestre donne. des préférences. même en Algérie. l'un les patriciens. se partagent en deux choeurs qui jouent. finissent par en venir aux mains. l'autre les plébéiens. Ne pouvant pencher vers l'un sans encourir l'inimitié de l'autre. les pièces se succèdent rapidement. ou. Les affaires en souffrent. obligée de louvoyer perpétuellement entre les deux partis qui divisent chaque commune. et les colons ne manécrivains . elle est trop heureuse quand elle parvient à se faire oublier. par une singulière contradiction. Faisant presque toujours métier de mécontents. » mais ils répètent à l'envi : « Chargeons-en notre député. quand le député appartient au parti adverse : « Renversons le député. en Algérie. Ils ne comptent que sur l'autorité publique et. » ou bien.L'ÉTAT-PROVIDENCE 197 quent pas de se plaindre d'un état dé choses qu'ils ont eux-mêmes créé. C'est cependant vers le gouvernement qu'ils se tournent sans cesse. C'est la députation algérienne qui se trouve chargée de faire prévaloir toutes les réclamations auprès du gouvernement. ainsi que de récriminations touchant le mode de distribution des faveurs administratives. Les colons disent bien rarement : « Faisons. » Le droit à la subvention est. suivant qu'elle est ou non favorable. Elle est la véritable souveraine de l'Algérie. ce qu'est en distribuer le bonheur. il ne fait rien pour nous. Les demandes de subvention sont ordinairement accompagnées de dénonciations contre tel ou tel fonctionnaire. de semer la prospérité et de est bien rare qu'ils fassent oeuvre d'initiative personnelle et cherchent. Il . comme vers une sorte de dieu. dans le groupement des forces individuelles. ils la repoussent dès qu'elle se manifeste. le moyen d'assurer par eux-mêmes le succès d'une entreprise. capable. souveraine portée aux nues ou honnie. par ses largesses. ils ne songent guère qu'à reprocher à l'administration aussi bien son inaction dont ils pâtissent que son activité qui les gêne. « Yous avez bien raison. un jour venant. Maillot.198 HUIT JOURS EN KABYLIE France le droit au travail réclamé par les ouvriers. dit le vieux colon. De ce phalanstère. chacun d'eux devrait recevoir de l'État une pension de mille francs par an. depuis longtemps. pourvu qu'il leur soit étendu au nom de l'égalité. Un vénérable colon de la première heure s'est acquis la spécialité des motions réjouissantes. a jadis été le centre d'un phalanstère (I). d'alors Quelqu'un de ma connaissance. il ne reste aujourd'hui qu'un certain goût des Maillotins pour les réunions publiques. ont longtemps reçu en (2) Les idées saint-simoniennes dont l'histoire serait très Algérie une application pratique curieuse. « La question doit être mise à l'étude. Je vais provo« quer à ce sujet une réunion publique. Peut-être. On m'a parlé de Maillot. qu'un simple souvenir. dans la province d'Oran. comme celui do Maillot. pour le bien public. et nous enver« rons un projet au gouvernement général. en veine de gaîté. nous sera-t-il donné d'ad(1) Un autre phalanstère avait été établi à Saint-Denis du Sig. Il fait parfois l'objet des plus amusantes revendications. Ce n'est. . s'était amusé à lui soutenir que les habitants de l'endroit s'exposant. comme d'un sol fécond en propositions absolument étonnantes. fondé par les SaintSimoniens sous le bienveillant patronage du gouvernement (2). » Je n'ai pas encore vu ce projet dans les journaux. aux dangers d'un climat exceptionnellement fiévreux. mais je suis sûr que les gens d'Azazga l'appuyeront chaudement. Sur la droite. Alexandre. et j'ai eu l'occasion. Cette chaîne est entièrement boisée. Ayant ainsi organisé notre journée du lendemain. entre Azazga et El-Kseur. Laurent se charge de nous procurer des mulets. Mais ne voulant pas attendre indéfiniment à Azazga le moment où on verra pareille merveille. les immenses forêts qui couvrent toute la région Est du pays. dont tous les habitants seront pensionnés du gouvernement. Nous irons coucher demain soir à la maison forestière de l'Akfadou. chez un garde français. si cela lui est possible. nous avons voyagé dans la partie cultivée de la Kabylie. De l'endroit où nous nous trouvons. il nous reste maintenant à traverser. Je me suis muni. Laurent. M. nous découvrons toutes les montagnes qui nous séparent de la mer. M. M. dans le jardin de l'hôtel. nous allons nous asseoir à l'ombre.L'ÉTAT-PROVIDENCE 199 mirer un village idéal. en deux jours. distante d'environ vingt kilomètres. situé dans la vallée de l'Oued Sahel. s'élève le Tam- . En tout cas il nous promet de mettre à notre disposition un de ses gardes pour nous conduire. il nous faut préparer notre départ pour le lendemain. de recommandations. de voir le garde général d'Azazga. Mais nous pouvons recourir à l'obligeance des forestiers. il nous accueille très bien. Nous allons donc le trouver. à Alger. Durant les journées précédentes. Il se propose même de nous accompagner. il y a un an. Nous n'avons pas l'honneur de connaître l'administrateur d'Azazga. Aujourd'hui. La ville la plus proche est Tizi-Ouzou. nous nous présentons chez MmeLaurent. il n'y avait pas de chemin pour y arriver. desservie par une diligence. Quand elle s'y est établie. or Tizi-Ouzou se trouve encore bien loin d'Alger. qui ressemble à un crâne chauve. il y a une route à voilures. que nous avons déjà aperçu de Fort-National. gonflé par des pluies torrentielles. On ne voyageait qu'à dos de mulet. les commodités de la vie se sont considérablement accrues depuis trois ans que MmeLaurent habite Azazga. des chênes d'une espèce particulière. et l'on ne pouvait pas toujours passer le Sébaou sur lequel il n'y avait pas encore de pont. sauf sur le sommet. Nous apercevons comme d'immenses sapins qui se détachent sur le ciel : ce sont. à une quarantaine de kilomètres . Elle nous reçoit de la façon la plus aimable. mais sur un beau pont. Les relations avec le monde civilisé sont donc devenues beaucoup moins difficiles. C'est à peine si deux ou trois fonctionnaires sont mariés. Cette montagne en pain de sucre est couverte d'une splendide forêt. Elle se trouve bien isolée.200 HUIT JOURS EN KABYLIE gout des Beni-Djennad. Le Sébaou ne se franchit plus à gué. eût suffisamment baissé pour qu'on pût le traverser à gué. femme du garde général. La première fois que MmeLaurent vint à Azazga. nous dit-on. . Néanmoins. Avant de dîner. elle fut obligée d'attendre plusieurs jours avant que le Sébaou. Nous causons beaucoup d'Alger et aussi d'Azazga. vingt mille francs Cela suppose un chiffre énorme d'affaires. qui se rendaient au café. Certains publicistes ont prétendu qu'aux États-Unis les villes ou villages. Il suffit de passer quelques instants sur les quais de n'importe quel port. on Algérie. en Algérie. fort intrigué par le genre d'existence que me semblent mener les habitants. constitue un repas. qui viendraient à disparaître. M. On ne prend plus. pour voir qu'il s'en fait une colossale. j'ai vu des gendarmes. en manches de chemise. en effet. A Bôno. Je suis. en effet. j'ai vu en maint endroit des gens occupés à prendre l'absinthe (1). il y avait proportionnellement sinthe. j'ai vu de joyeux compagnons autour de tables chargées de verres et de bouteilles. Pour moi. Nous rentrons à notre hôtel pour dîner. et j'ai constaté qu'ils formaient les cinq sixièmes. d'appointements. a.L'ABSINTHE 201 MmeLaurent n'en paraît pas moins peu désireuse de finir ses jours au milieu des habitants d'Azazga. sans compter le casuel. L'absinthe. et MmeRobert se retirent bientôt dans leur chambre. et l'on invite très à bien quelqu'un à prendre l'absinthe comme on l'inviterait déjeuner ou à diner. auraient leur emplacement marqué par des piles de boites de conserve . que de l'eau à l'absinthe. le représentant de la célèbre importation maison Pernod. La nuit tombe pendant que nous sommes àtable. je vais faire une tournée d'inspection à travers le village. l'absinthe peut constituer . ce serait par des bouteilles Pernod. avec l'air de fonctionnaires en villégiature où de députés hors session. J'ai cherché à établir combien. tandis qu'il y a vingt ans on prenait de l'absinthe à l'eau. j'ai vu des gens qui se promenaient d'ici de là. Prise rarement et à faible dose. Un vieil Algérien m'a cependant assuré qu'à l'heure actuelle elle causait moins de ravages qu'autrefois. dans les de consommateurs d'abcafés. j'ai vu des citoyens. Pendant le jour. Mais à l'excep(1) L'absinthe est le plus terrible fléau do l'Algérie. Je voudrais voir comment. MmeLaurent m'a assuré tout à l'heure qu'elle aussi n'en avait jamais vu. Sans doute les colons travaillent la nuit. et c'est pourquoi je me mets à parcourir Azazga en tous sens. c'est un effet des fièvres du pays. comme eux.202 HUIT JOURS EN KABYLIE tion de quelques ouvriers italiens qui construisaient deux ou trois maisons. les colons d'Azazga sont pleins de bonne humeur. et dans tous les jardins sont dressées des tables chargées de bouteilles. mais je ne saurais rester. Je veux juger par moi-même. et si MmeLaurent ne les a jamais vus à l'oeuvre. quête administrative. c'est faute de courir les chemins à huit heures du soir. J'y trouve une grande une boisson inoffensive et même hygiénique. De joyeux éclats de rire se font entendre de toutes parts. établit que c'est tout simplement le delirium tremens occasionné par l'absinthe. je n'ai pas aperçu un seul travailleur. et ils savent se préparer gaiement au travail. Vraiment. . Nombre d'Algériens y succombent visiblement. Mais une endont le résultat fut d'ailleurs tenu secret. Il est huit heures du soir. et l'on ne connaît pas tous les méfaits du redoutable poison. On mange avec entrain. Je rentre donc vers neuf heures à l'hôtel. ils se mettent à leur tâche. et on boit de même. Une personne bien informée me parlait d'un village français où plus de la moitié des habitants sont atteints de tremblements. Je me refuse à le croire. Mais l'abus entraine les accidents les plus graves. Les salles de festin paraissent illuminées comme pour un jour de fête. vers onze heures. sur pied pendant toute la nuit. de corriger le mauvais goût des eaux sauelle a l'avantage mâtres. Au dire des journaux. Dans le Sahara. voilà la vie de ses habitants. Si tard que j'ai passé à Haussonviller. pères. Un café-concert. filles. d'où sortaient d'harmonieux accords. Azazga est un pays de cocagne. Je traversais ce village l'an dernier. à dix heures du soir . Azazga. et la France quelque tous les . tous les débits de boissons étaient encore ouverts. pendant la semaine. Se reposer pendant le jour. coupés de roulades et d'applaudissements. villages européens de Kabylie deviendront moroses. Haussonviller. Qu'on accuse maintenant la Kabylie d'être inhospitalière aux colons! Cette gaité. si l'on en juge par ce qui s'est produit pour les centres les plus anciens de l'Algérie. Décidément. festoyer chaque soir. je l'ai rencontrée presque dans tout le pays. Bordj-Ménaïel. tout le pays deviendra triste mais riche. dont j'ai été témoin à Azazga. avait sa porte assiégée par une foule d'amateurs de musique. le travail remplacera les fêtes. Tout le monde nageait en plein bonheur : c'était l'âge d'or. Les premiers colons feront place à de nouveaux arrivants . et des familles entières. l'âge d'or finira jour. la vigne et le blé succéderont au maquis. Bordj-Ménaïel est encore plus joyeux qu'Haussonviller. enfants à la mamelle. garçons. j'ai toujours trouvé des cafés ouverts et des gens en train déboire. Des hommes et des femmes boivent et mangent en devisant joyeusement. se pressaient autour de tables chargées de verres. Gomme partout ailleurs.UN PAYS DE COCAGNE 203 table dressée au milieu de la cour. mères. Je rentre dans ma chambre. et je m'endors bientôt. un jeune colon d'une douzaine d'années.204 HUIT JOURS EN KABYLIE africaine comptera quelques villages de plus en pleine prospérité. transforme les éléments les plus impurs et en fait sortir des merveilles (1). (1) Je suis retourné à Azazga en juin 1888. non loin de la table autour de laquelle causent les gais convives. J'en ai. j'ai vu un maçon à l'ouvrage. voulaient bien regarder travailler des. le dimanche matin. aux frais du gouvernement. qui s'amusait à piocher sur le bord d'un champ. J'ai aperçu enfin. Longtemps le cliquetis des verres et le bruit des discours me tiennent éveillé. Kabyles surveillants. Elle se trouve au rezde-chaussée. Tout se calme cependant aux environs de onze heures. sur une route. Le village n'a guère changé. En outre. en effet. ainsi qu'un individu ayant l'air de raccommoder un treillis. symbole du temps qui. par son action incessante. . bercé par le murmure monotone et continu de la fontaine voisine. Ses habitants paraissent cependant en train do prendre un certain goût pour le travail. décomme couvert une vingtaine qui. — La route . les kanouns. vivres . 12 . Introduction l'interprétation les femmes. Vendredi 24 juin. — chute — Maison forestière de l'Akfadou. — Héroïsme — Dernière — Installation nuit. IV L'ISLAMISME. garde forestier des Kabyles.— Maison forestière fatalisme et le Coran. arabisation L'islamisme favorisé . — d'Iacouren. — Le guet d'incendie. travailleurs — La calabrais. — Comment — La forêt . pas Marabout de Sidi-Ladi. séance de physique les l'éducation des enfants. Déjeuner champêtre. . Le poste des assès. à la Mecque . soins qu'on prend de lui. Les maraudeurs. — Singulier de Mme Aleretour au Moyen âge. — Les voleurs. et troupeaux. — Départ d'Amar. la xandre. Le génie militaire. Un hameau. pour avoir — La vie d'un amusante. Los Khouans.CHAPITRE LES FORÊTS DE L'AKFADOTI. palabre avec le tamen et les Kabyles journée du lendemain — La source . pèlerinages — et de l'Aurès par l'administration de la Kabylie française. forêt d'Iacouren. l'isolement. LA FÉODALITÉ. Nouvelle — Plan de la assis. Le Un paysage. Les Arabes et les Kabyles. — Le mouchatUn grand danger. arrêté par Amar.— — Chênes Les mulets. Un garde forestier arabe. Berger en contravention dans Différences entre les Arabes et les Kabyles. afarès. promenade pour au crépuscule. des mulets. son vêtement. d'eau. on devrait écrire la langue kabyle.'Le Pâturages chou . lamisme en Kabylie. le procès-verbal. société Les assès. La promenade.— .— Antipathie de l'isdu Coran . Système féodal en Algérie. — Les chênes zéens. en compagnie d'un garde français et de deux muletiers indigènes. nous achevons notre toilette à la fontaine publique en attendant nos mulets. ce sont les Espagnols qui font cette clairière .206 HUIT JOURS EN KABYLIE Vendredi 24 juin. Dans se trouve dressé un campement de Calabrais qui. où il nous remettra aux mains du brigadier forestier. elle ne se trouve ouverte qu'aux environs immédiats d'Azazga et. mais meilleure. Mais il nous confie à un de ses gardes français qui nous conduira jusqu'à douze kilomètres d'ici. comme les Piémontais. à Iacouren.: Levés à la pointe du jour. Pour le moment. Cette route doit plus tard être poussée jusqu'à Bougie. dans l'est de l'Algérie. M. nous prenons une voie plus longue. font le métier de terrassiers (1). des broussailles de plus en plus épaisses annoncent le voisinage de la forêt. elle devient une simple trace dans les bois. au bout de quelques kilomètres. Presque au sortir d'Azazga. Nous partons à cinq heures. Laurent vient s'excuser de ne pouvoir nous accompagner à l'Akfadou. Au lieu de suivre le mauvais sentier qui se dirige tout droit sur Iacouren. Puis voici une clairière semée de beaux chênes. dans le midi de (1) Dans le reste de l'Algérie. la route que l'on construit pour aller à ce village. voir un site plus merveilleux encore. d'Oran. et c'est sans cesser d'admirer nous cheminons pendant une heure et demie. Mais le Tamgout dont le pic bizarre nous domine. et surtout les fonds de montagnes d'un que nous apercevons dans le lointain. Ce sont surtout des chênes à feuilles de châtaigniers. Tantôt nous croyons être dans le NouveauMonde . à travers la verdure. comme des lions de pierre.LA FORET 207 Ils constituent d'excellents travailleurs . aux approches d'Iacouren. tantôt nous tombons d'accord pour comparer tel ou tel coin aux endroits les plus célèbres de la forêt de Fontainebleau. Les Marocains ment avec eux. concurrem- . Nous allons cependant. et leurs branches immenses forment des séries d'arceaux au-dessus de nos têtes. perché sur une éminence au milieu d'un beau les gros travaux. mais ils sont malheureusement aussi habiles au couteau que durs à la pioche. Leurs troncs énormes émergent d'un fourré impénétrable. Après la clairière commence la vraie forêt. Après avoir franchi un ruisseau en face du petit marabout de SidiBrahim. appelés chênes zéens. Le chemin serpente à peu près horizontalement. à flanc de coteau. Des blocs de grès rouge apparaissent çà et là. C'est une véritable forêt vierge. au milieu d'arbres splendides. dans la province s'en chargent. que la France. nous empêchent de trop rapporter ce que nous voyons à des paysages déjà connus. Nous sommes dans bleu invraisemblable le pays des rêves. qui fendent du bois. M. Mais il devrait se hâter. Il montrerait comment peuvent s'associer. dont chacune formerait à elle seule un gros arbre. Il a. tombés de vétusté. Des fûts pareils à des piliers de cathédrale sont couronnés de branches en candélabres. initiales du génie militaire. des chênes du temps des druides avec des bûcherons bibliques. dans un harmonieux contraste.. partie de son cachet. nous entrons dans une futaie incomparable. Quelques-uns des plus beaux chênes. Le dit Génie malfaisant s'évertue à défigurer les plus beaux endroits de l'Algérie. car le génie militaire s'avance. ce bijou . qui aurait passé du domaine de l'imagination dans celui delà réalité. déjà marqués des lettres fatales G. gisent à terre.et le percement de plusieurs rues à l'européenne' bordées de maisons à cinq étages. Ce sont des chênes de cinq à six mètres de tour. nous empêchent cependant de songer trop longtemps au célèbre peintre hollandais. qui recouvre jusqu'au sommet le coteau qui s'élève à gauche. est Génie mal faisant. en cela.208 HUIT JOURS EN KABYLIE bouquet d'arbres. La Kasba d'Alger. Nous n'en croyons pas moins qu'un grand artiste trouverait ici le sujet de merveilleux tableaux. (1). escorté d'entrepreneurs. Ils ont étouffé toutes les broussailles et font ainsi mieux admirer leurs énormes proportions.M. pour tout ravager et tout enlaidir. depuis la construction des affreuses casernes qui la dominent. sont destinés en Algérie (1) La traduction que l'on donne ordinairement des lettres G. Deux Kabyles. Des troncs entiers. C'est un paysage de Ruisdael. maintes municipalités Constantine a perdu une grande pour complices. le génie militaire en a détruit un nombre incroyaromaines. La vue embrasse presque toute la Kabylie. au. des blocs portant plus de trois cents inscriptions ont été brisés et employés comme moellons clans la construction de l'hôpital d'Orléansville. On enfile la vallée du Sébaou dans toute sa* longueur. un groupe scolaire et plusieurs cabarets (1). et il y avait déjà un café en planches.IACOUREN 209 à faire les poutres d'une caserne à Fort-National. à gauche. grâce à de prétendues améliorations. et corrigera la nature. et nous poursuivons notre chemin. p. Nous' traversons le petit plateau où s'élèvera bientôt le village européen. En nous retournant. Quant aux antiquités complètement disparu. de l'Afrique française. au-dessus de TiziOuzou. et quand la route sera ouverte d'Azazga à Iacouren. et nous arrivons à la maison forestière d'Iacouren. Intcripliones Af'ricoe latinoe. par exemple. en construisant une gendarmerie. Cette maison forestière se trouve adossée à une colline couverte de bois.) à Iacouren en juin 1888: les rues du (1) Je suis retourné village français étaient tracées. en face. A droite. suivant le goût du jour. nous apercevons le village kabyle d'Iacouren. le Belloua. leDjurdjura dominant les contreforts couverts de villages. le long desquels nous sommes aura bientôt. ble. Ainsi.dire de Léon Renier. Nous disons à regret adieu aux chênes. 829. 12. l'administration civile tracera les rues d'un village à deux pas du coin merveilleux que nous admirons. 1881. s'étend une belle prairie. juché au sommet du coteau. (WILLMANNS. ce sont les montagnes d'Azeffoun . En avant. . chose rare en Algérie. élégamment enveloppé dans deux burnous dont il laisse flotter les pans derrière lui. Bien campé sur sa selle. C'est le fils d'un ancien caïd de Tizi-Ouzou. et elle-même trouve cette boisson excel- . faisant en vrai cavalier caracoler sa jolie bête. Celui-ci nous reçoit de son mieux. et pas du tout au montagnard de Kabylie. Sa tête est petite. Mohammed ben Amar. Nous apercevons qui se détache sur une des Nous remettons une lettre de M.210 HUIT JOURS EN KABYLIE descendus hier d'Aïn-el-Hammam. coiffé d'un large chapeau surmontant son haïk de belle mousseline. et nous nous remettons en marche à la suite de notre nouveau guide. qui nous conduira à la maison forestière de l'Akfadou. dernières crêtes. très bien Fort-National. Mohammed ben Amar parait encore jeune. Mme Robert lente. Il n'est pas Kabyle. et monte une jument. En qualité d'Arabe. On reconnaît en lui un pur rejeton de la race du Prophète. il ressemble à l'enfant du désert. trente ans environ. ses traits fins et même distingués. Nous remercions le brigadier de son excellent accueil. il méprise le mulet kabyle. sa physionomie intelligente et énergique. Le garde français qui nous a accompagnés jusqu'ici repart pour Azazga. Nous acceptons avec plaisir. Laurent au brigadier forestier. Il nous offre de l'absinthe. Nous sommes alors confiés à un garde indigène. se retourne vers Mme Robert et lui dit simplement : « Il a eu de la chance.. et lance une ruade formidable qui effleure la tête de l'un deux. « des versets du fatalisme. note versets contradictoires du Coran.) — Il est certain que dans . Amar. tout d'Amar. de même. comme chez les « autres habitants on ne trouve nulle trace du de l'Algérie. qui ne nous a pas encore desserré les dents. servir de base à la doctrine pouvant « on en rencontre en aussi grand nombre au moins d'où l'on « peut déduire la responsabilité et l'initiative le libre arbitre. aux 1. t. remerciant la Providence de ce qu'elle ne nous a pas rendus témoins d'un grand malheur. Heureusement.FATALISME 211 Amar marche devant nous. Il était écrit que fataliste (1) MM..).. étonnant chez un père. sans même détourner la tête pour s'assurer que nous le suivons. « fatalisme musulman.. les renvois (Voir op. » C'était l'enfant Ce flegme. p. pp. S'il y a. traînant sa longe. attribué généralement « disent-ils (op. « personnelle. sans dire un mot. ne saurait s'expliquer que par le fatalisme musulman (1). Ce qu'on a pris pour du fatalisme « n'est en réalité plus complète qu'une résignation que la « nôtre à la volonté de Dieu. à l'islamisme.-reste muet et semble impassible. 314.. Nous continuons notre route. dans le Coran. cit. Tout à coup un mulet échappé. Au bout d'un quart d'heure. du reste. HANOTEAU et LETOURNEUX nient le caractère « Chez les Kabyles. Nous poussons involontairement un cri d'effroi. Ier. deux enfants jouent devant la porte.. Amar regarde à peine. arrive au grand galop. Nous passons près d'une petite maison. 313 et suiv. Il se drape dans une superbe indifférence. cit. passe entre les deux enfants. l'enfant n'a pas été atteint : il en est quitte pour la frayeur qu'il nous a causée. de se rendre eux-mêmes. le jeune mouchatchou doit déjà prendre part à toutes les fatigues et se tirer luiles absolument de tout. l'heure qu'il meurt est marquée. à voir comment ils les soignent. dit sa mère. le Coran . Quelques jours après sa naissance. contenu et les applications qui en l'interprétation qui lui est donnée il n'est pas douteux sont faites.) coup d'autres. Or. Si l'enfant avait été tué.212 HUIT JOURS EN KABYLIE l'enfant ne serait pas assommé. d'agir par de la montagne. Une Française rien changer. Ecoute : l'heure que tu veux lui faire. car c'est une bénédiction de Dieu. quand les choses ne se font pas toutes seules. MM. doctrine erronée. beaucoup moins que même d'un livre importe. ils suivant la volonté volonté aussi inconnue d'Allah. Voir ci-dessus. Hanoteau et Letourneux. passages. son père aurait dit simplement : « C'était son sort. Tout ce qu'il est possible (Voir la note suivante. ils sont En-dépit bien obligés. au-devant pp. ou bien vivre. comme le Prophète. et il se fût aussi bien vite consolé (1). et Amar n'a pas plus lieu de s'en réjouir que de s'en étonner. c'est que les mude concédera une comme tous ceux qui entreprennent sulmans. voulait un jour n'y sauraient à un enfant « Qu'est-ce un remède administrer moribond. du bien? . Allah l'a voulu ». suivant on rencontre Mais le les plus opposées s'y fout jour. doivent. Les indigènes désirent beaucoup donner le jour à des enfants. et que. ou bien mourir. d'appliquer bout. La plupart dos indigènes ne conqui concerne à se soigner. dans leur idée. doublé de leur paresse. et. les doctrines en fait. au point de vue pratique. Mais désirent-ils également les conserver? Il est permis d'en douter. ne développe chez ses fidèles des idées que le mahométisme le prouve avec beauLe trait qu'on vient de rapporter fatalistes. musulman se révèle particulièrement en co (1) Le fatalisme les maladies. ne peuvent rester conséquents jusqu'au de leur fatalisme. 47-107. qu'il est malade est marquée Tu n'y feras rien. sentent que difficilement car. » Jamais la mère ne consentit à laisser soigner son enfant. et les remèdes qu'inflexible. — Voir ci-dessus. roulé dans son voile. le lient suspendu sur son dos. en en Afrique. il se tient cramponné à la personne qui le porte.) Augustin. 20 et 84. Jusque-là. rum puellarum solent. pp. elle le porte toujours avec elle. il est ficelé dans quelques chiffons et logé les jeunes enfants sur le dos de (1) Cette habitude décharger petites filles à peine plus grandes qu'eux est d'une très haute en effet.LE MOUCHATCHOU 213 même d'affaire. (Confessions de saint parvuli portari liv. C'est ainsi que presque toutes les petites filles portent derrière elles un mouchatchou accroché à leur cou. qui joue et gambade comme si elle n'avait aucun fardeau et sans prendre garde aux horions qu'il peut recevoir (1). sans plus s'inquiéter de lui. Que sa mère aille en voyage. IX. chap. antiquité de son grandparlant d'une servante qui avait été la nourrice : Infanlem sicut dorso grandiusculapère maternel portaverat. Saint Augustin nous dit. tisser ou faire le couscous. vaquer à ses travaux. sans s'inquiéter de la sangsue qui s'attache à elle. Sa mère n'a pas à s'occuper de lui. L'enfant ne reçoit une chemise que quand il marche. se rende à la fontaine pour chercher de l'eau ou aux champs pour travailler. Gomme un jeune singe. . A peine âgé de deux ou trois mois. 8. Il est doué d'un instinct aussi prodigieux que celui de l'animal. et peut. Le pauvre enfant fait en quelque sorte corps avec sa porteuse. et les envoie promener tous les deux. le jeune indigène sait déjà se débrouiller. au bas des reins (on dirait une grossesse à l'envers) à la façon d'un paquet. Souvent aussi elle le charge sur une jeune soeur. Tout seul il se glisse jusqu'au sein maternel et s'y suspend. ou plutôt ne sont pas soignés du tout. somme toute. et que tout être mal constitué se trouve fatalement voué à la mort. contre. C'est qu'il s'opère une terrible sélection. pour éviter certains accidents. Aussi. ce qui échappe est des plus robustes. Les jeunes enfants indigènes sont. Amar ne fait que les élever à la mode du pays. de ménager par derrière une immense lacune. Mais on a la prévoyance. en forme d'habit à queue et à l'enfiler les pans en avant. C'est Allah seul qui est chargé de veiller à leur conservation. Pour cela.214 HUIT JOURS EN KABYLIE dans les plis du vêtement d'autrui. Tout son costume pendant plusieurs années se réduit à sa première chemise. et la race. parce qu'il n'exige aucune coupe spéciale : on passe une ficelle sous la chemise. Au surplus. fort mal soignés. Le second est encore plus simple. deux systèmes sont également pratiqués. Le premier consiste à tailler la chemise. et cependant les familles indigènes ne comptent guère plus de membres que les familles européennes. et l'on serre les deux bouts comme pour relever un store. Une femme a presque chaque année un enfant. et que les pièces tiennent les unes aux autres sans solution de continuité. se montre d'une résistance extraordinaire. la mortalité est-elle très considérable parmi eux. En abandonnant ses enfants à eux-mêmes. il ne . dans son ensemble. Par. On s'inquiète fort peu qu'elle soit à sa taille. Je recommande l'un ou l'autre de ces procédés aux mères européennes. car il semble ne pas savoir faire usage de sa langue. il se renferme de nouveau dans un mutisme absolu. Une heure environ après notre départ de la maison forestière d'Iacouren. S'arc-boutant sur leurs . Le sentier que nous suivons est à peine tracé à travers les champs et les pâturages. Quant aux villages mêmes. ils sont bien plus rares et bien moins considérables.L'ENFANT ET SON COSTUME 213 doit guère leur apprendre à parler. par lequel passera la route d'El-Kseur. nous montons verticalement dans une sorte de couloir. nous arrivons à un hameau situé en bas du col de Tamellah. Après ses quatre mots à MmeRobert. et nous nous engageons dans la forêt. Bientôt nous tournons à droite. Une vallée assez large s'ouvre à gauche et descend du côté de la mer. Nous longeons maintenant une forêt couvrant les collines qui s'élèvent à droite. qui est plutôt le lit d'un torrent qu'un chemin. Elles sont bâties en pierres sèches et couvertes avec des écorces de chêne liège. Pendant quelque temps. qui apparaît dans le lointain. Nous franchissons plusieurs petits ruisseaux pleins d'une belle eau courante. Les maisons paraissent encore plus misérables dans cette partie de la Kabylie que dans la région de Fort-National et d'Aïn-el-Hammam. Sur leurs bords poussent de beaux frênes à l'ombre desquels se reposent des troupeaux gardés par des Tityre en burnous. Nos mulets ne bronchent pas au milieu des blocs de pierre qui se dérobent sous leurs sabots. comme à Iacouren : ce sont des chênes afarès. Nous mettons un quart d'heure a atteindre le haut de la montée. moins la teinte. Nous nous trouvons alors en pleine forêt. Il faut. Dans le canton que nous traversons. On sent clans le dos comme les crans d'une crémaillère. Le tronc. Quelques jolies clairières. chênes d'une espèce particulière à la Kabylie. comme sur un ascenseur qui monterait par brusques saccades. et se précipite sur un troupeau en train de brouter. tapissées d'herbe fine. semblables. On se sent violemment entraîné de bas en haut. Chaque pas de la bête a son contrecoup dans les reins du cavalier. le cou tendu en avant. la beauté de la futaie. à celles du pin pignon. mais elle en diffère par son éclat métallique et la couleur blanchâtre du dessous. Un Kabyle remonte à gran- . En débouchant dans l'une de ces clairières . ils donnent de furieux coups d'échiné pour'vous élever jusqu'au sommet. les arbres n'ont pas les proportions de ceux d'Iacouren. offre de grosses côtes. Ils sont cependant d'une bonne moyenne et paraissent vigoureux. Ce ne sont plus des chênes zéens.216 HUIT JOURS EN KABYLIE jambes de derrière. presque aussi blanc que celui d'un tremble. sous peine d'être précipité à terre. dans un coup d'oeil d'ensemble. La feuille du chêne afarès est en fer de lance. Amar lance sa jument au grand galop. comme celle du chêne zéen. permettent par endroit d'apprécier. se suspendre aux crins de la bête ou au pommeau du barda. entièrement bronzée. Il abandonne sa monture et s'enfonce sous bois. il me prie de prendre le nom du délinquant. j'écris le nom du coupable : Mohammed Ou Kassi n'Ait 13 . à l'ar- Le pauvre Kabyle est maintenant tout penaud. car.LA FORÊT. Le berger esquisse une espèce de salut militaire. d'ailleurs. En un clin d'oeil. Amar apparaît. Pour toute coiffure. et murmure quelques mots qui semblent être des excuses. C'est. il porte une touffe de cheveux sur le sommet de la tête. il a fait tout à l'heure mine de se défendre avec sa matraque. Sa figure. un individu peu commode. il est bientôt obligé de sauter à bas de sa jument. Le prisonnier est un petit homme trapu. Amar n'est parvenu rêter qu'en le mettant en joue. nous faisons halte pendant que se poursuit la chasse. Sous la dictée d'Amar. Amar le fait comparaître devant moi. habillé uniquement d'une chemise de laine serrée à la ceinture. à ce que dit Amar. arrêté parles branches. — UNE ARRESTATION 217 des enjambées la pente qui domine la clairière. contribue encore à lui donner l'air d'un vrai sauvage. Nous entendons des cris et comme le bruit d'une lutte. C'est un berger qui fait pâturer ses bêtes en contravention aux lois forestières et cherche à échapper au garde. il a disparu au milieu des arbres. le revolver au poing. Un instant après. et il paraît suppliant. Comme le garde ne sait pas écrire. amenant le berger qu'il tient ferme au collet. Amar le poursuit. mais. Pour nous. suivi d'un de nos muletiers qu'il a appelé à son aide. rejoindre son troupeau. il me salue d'un air à moitié reconnaissant.218 HUIT JOURS EN KABYLIE Amrouch. Amar. et va. Arabes et Kabyles ne se sont. Par conséquent l'honneur d'une arrestation opérée en notre présence double pour lui le plaisir d'avoir satisfait sur un Kabyle une rancune héréditaire. Tous les renseignements possibles étant pris et écrits. Étonné de s'en tirer pour le moment à si bon compte. jamais aimés. ils portent des vêtements semblables et se nourrissent à peu près de la même manière. ils sont séparés par des différences radicales de race. la tête basse. le Kabyle est relâché. Joyeux de nous avoir eus pour témoins de sa vigilance et de sa fermeté. les gardes français ayant seuls le droit de verbalisai'. Je note son âge apparent : trente-cinq ans . il s'en va fredonnant quelques refrains fréquemment entrecoupés par l'exclamation : « Sales Kabyles ! » Amar est Arabe. et nous reprenons notre chemin. j'indique enfin le nombre de ses bêtes : une cinquantaine de moutons ou de chèvres. J'ai déjà eu l'occasion d'indiquer que les Kabyles appartenaient à une tout autre race et parlaient une . de langage et de moeurs. A la vérité. Amar enfourche sa jument. rien dans leur extérieur ne les distingue d'une façon précise . jusque-là demeuré taciturne. Mais. Amar pourra faire dresser un procès-verbal par le brigadier forestier d'Iacouren. du douar de Bou-Mansour. a été complètement déridé par le succès qu'il vient de remporter. au fond. en effet. qui jouissent toutes d'un crédit particulier. ils ne peuvent à l'époque fixée par le Coran. les uns et les autres professent l'islamisme (2) . à raison de leurs voyages ou de leurs travaux. ils regardent comme ' n'en sont pas moins excellents Kabyles et par conséquent hostiles aux véritables Arabes. il existe de sérieuses divergences. certains tempéraments d'apporter Lorsque. . Sans doute. et se l'Azerou-n'Tohor. le cavalier qui nous a accompagnés à Ces Kabyles sont fiers de leur qualité. non seulement pendant les jours où ils jeûnent. que la plupart des indigènes algériens. Probablement quelques Arabes. ils repoussent énergiquement son application dans le domaine civil et politique. 81 note 1. contrairement aux autres mahométans. au tond. s'est-il introduit en Kabylie ? C'est (2) Comment l'islamisme ce qu'il est impossible de préciser. témoin Mohammed les joignent d'administration Arab. ils obtiennent de queljeûner de l'envoyer leur jeûne à une que marabout la permission autre époque de l'aimée. 124. d'une race supérieure. chassés de leurs tribus. certains Kabyà leur nom la qualité d'AraA. p. C'est ainsi qu'ils ont toujours défendu l'organisa(1) Voir ci-dessus. p. Du reste. auront apporté avec eux le Coran. note 1. ne sont que des Berbères arabisés. pour l'aire le vrai ramadan. et p. en outre. même sous ce rapport. Quant aux familles de maraelles sont bouts. Il est certain. considérées comme ayant une origine arabe. 81. En tout cas. L'opposition n'est pas moins profonde dans le domaine des idées et des coutumes.) pas de boire du vin et (3) Ainsi les Kabyles ne craignent au ramadan. Mais. Ils n'accordent au Coran que la valeur de loi religieuse. ils doivent s'abstenir de vin. ordinairement tenus pour Arabes. étant venus chercher un asile dans un pays qui semble avoir toujours accueilli les proscrits. (Voir ci-dessus. mais encore pendant les deux mois qui précèdent.ARABES ET KABYLES 219 tout autre langue que les Arabes (1). qui seul les réunit véritablement. mais. Les Kabyles se montrent moins stricts observateurs des prescriptions de l'Islam (3). force de loi (2) Les kanouns kabyles ont encore aujourd'hui en ce qui concerna le statut personnel. pp. se montrent laborieux et économes.220 HUIT JOURS EN KABYLIE tion propre de leurs thadderts ou villages (1). Les premiers admettent la propriété individuelle. au contraire. pour cette organisation. c'est-à-dire leurs coutumes particulières. 12. Enfin la situation faite à la femme chez les deux races n'est pas du tout la même. musul- En dehors de leur religion commune. les Arabes. les seconds ne reconnaissent guère que la propriété colont l'instinct lective (4). . vivent en pasteurs. Les Kabyles sont sédentaires. se distinguent par leur paresse et leur prodigalité. la femme arabe demeure séquestrée et doit toujours se cacher le visage quand elle sort. Ils sont appliqués parle juge français avec l'assistance d'un assesseur indigène. Les Kabyles sont ultra-démocrates (3) et n'agissent jamais que d'après les calculs de leur intérêt. souvent contraires au droit man (2). p. sur la portée de laquelle ils sont du reste loin de s'entendre. sont presque tous nomades. (4) Voir ci-dessus. (3) Voir ci-dessus. (1) Voir ci-dessus. la femme kabyle. Kabyles et Arabes n'éprouvent les uns pour les autres aucune sympathie et présentent un antagonisme des plus frappants. les Arabes aristocratique et se laissent souvent entraîner par des sentiments chevaleresques. 45 et 82. 76 et suiv. et fidèlement gardé leurs kanouns. cultivent la terre. jouit d'une liberté relative pp. 59 et 87. avant de déposer les armes. au moment de la conquête par la France. notamment au temps d'Abd-el-Kader. d'administrer la Kabylie. mais que s'il n'avait pas une femme kabyle il en voudrait bien une française. 517. en cette occasion. de faire ouvertement cause commune. s'abusant sur les aspirations et les moeurs des Kabyles qu'ils jugeaient. ils demandèrent qu'on ne leur donnât pas d'Arabes La conquête de pour les commander. semblables aux Arabes. La profonde antipathie qui sépare les Kabyles et les Arabes les a toujours empêchés. s'est sensiblement atténuée depuis la conquête de la Kabylie. imbus de singuliers préjugés sur la liberté de conscience. et cela. en majeure partie. semble s'être attaché à unir entre eux ses ennemis jusqu'alors visés (2).) (3) On connaît le fameux système du royaume arabe inventé par Napoléon III. voulant à tout prix faire régner. au burnous. par les soins du gouvernement français lui-même qui. S'inspirant des idées du souverain d'alors (3). p. qu'en 1857. Revue des Deux-Mondes. quoique vivace. sauf exception. Cette antipathie. 1er décembre 1888. dans les différentes parties de l'AlVoir ci-dessus.ARABES ET KABYLES 221 et se montre en public. . (2) Les Kabyles détestaient si vivement les Arabes. dans les premiers temps. (Voir CAMILLE ROUSSET. à l'autorité militaire chargée. Un Kabyle disait à une Française qui me l'a rapporté. non voilée (1). l'Algérie. p. il faut bien l'avouer. que jamais de sa vie il n'épouserait une Arabe. di- La responsabilité de cette oeuvre néfaste revient. (1) Les Kabyles ont eux-mêmes parfois conscience que leurs femmes sont supérieures aux femmes arabes et se rapprochent un peu des Françaises. Laviyerie. indigènes. p. op. persisté ne se rendre qu'exceptionnellement aux mosquées pour prier. Ils durent désormais pratiquer leur culte en commun et non en leur particulier. — GHUSSENMEYER... l'uniformité militaire. au contraire. travaillèrent contre les intérêts les plus clairs de la France. c'est-àfurent. torité militaire de la manière (2) Voir le père DUGAS. Ier. Gomme ils ne possédaient pas partout des mosquées. Les zaouias. et célébrer leurs fêtes avec plus de pompe (4). — C'est le maréchal Bugeaud actuelle de Dellys. sur l'invitation d'un colon. le lui défendit la plus formelle. Les Kabyles ne se conformaient dire les écoles musulmanes pas à toutes les prescriptions de l'orthodoxie islamique. comme ils le faisaient souvent jusqu'alors.222 HUIT JOURS EN KABYLIE gérie. 104. ils furent engagés à en bâtir dans les villages qui en manquaient. qui a fait bâtir la mosquée à (4) Les Kabyles ont cependant. L'admi(1) On m'a assuré que l'archevêque d'Alger ayant voulu. p. notamment à Tizi-Ouzou. (3) BEAUVOIS. p. Le cardinal t. par avec ardeur une singulière aberration. ou tout au moins s'octroyaient certaines tolérances : ils furent invités à suivre une plus stricte observance. 160. en maints endroits. Par leur ordre. Ils préfèrent chez eux les rites de l'Islam. et l'enseignement du Coran reçut une nouvelle impulsion. qui lui offrait un terrain gratuitement ouvrir une école pour les jeunes l'auen Kabylie. 207. cit. Les écoles françaises furent sévèrement proscrites (1). cit. op. la Kabylie demeura rigoureusement fermée à toute influence non musulmane. les bureaux arabes. et le gouvernement français en fit même construire quelques-unes à son compte. favorisées (2). où il n'en existait pas (3). Aussi les accomplir . sur le som(2) On m'a montré. magistrats trop souvent vénaux. grands seigneurs indigènes. Ces pétitions ne mosquées ne sont-elles guère que des lieux de réunion pour et abrités causer. Enfin. Des bach-aghas. ils s'en étaient vus Jusqu'à interdire l'entrée les militaire. cette époque. pp. III. du personnage a laissé beaucoup à désirer. op. reçurent la mission de juger les procès civils portés jusque-là devant des arbitres ou devant protestèrent énergiquement contre l'arabisation qui leur était imposée. Des cadis. ou des endroits tranquilles pour faire la sieste. met d'une montagne au-dessus de Souk-el-Haâd. sous le gouvernement miral de Gueydon. furent institués pour gouverner un peuple de démocrates. pas la permission aux environs de Ménerville. les djemâas (3). des pèlerinages à la Mecque furent organisés aux frais de l'État (1). HANOTEAU et LETOURNEUX.) de l'a(1) C'est seulement après 1870. une sorte de frangrand château fort. et adressèrent des pétitions au gouvernement français. 83 et suiv. 1873.. sur la façon dont avant la conquête. les indigènes n'avaient de se faire chrétiens. 2 et 5.L'ISLAMISME FAVORISÉ 223 nistration fut même invitée par le pouvoir central à rehausser par un éclat officiel les solennités de l'Islam. cit. pp. la justice se rendait civile en (3) Voir. offert naguère par le gouvernement Il parait que la reconnaissance çais à un grand chef indigène. furent à autorisés que les missionnaires s'établir on Kabylie. Kabylie t. habitué a se conduire lui-même (2). (Voir ci-dessus. Le système d'arabisation de la Kabylie fut complété par l'établissement de l'administration à l'arabe. rigoureusement par l'autorité faire musulmans : quelques fonctionnaires Français pouvaientse et surtout plusieurs officiers embrassèrent mais l'islamisme. pour achever de réchauffer le zèle musulman. Quelques tribus . 3e édition. On désira donner « une loi aux Aurasiens. qui leur avons des gâdis en 1866. « de dire que nous avons islamisé l'Aourès. dirigée au nom de la France par l'administration militaire. les bach-aghas ont été supprimés. p. Passionnés pour l'autonomie. a suffisamment duré pour produire ses fruits (2) : les Kabyles sont meilleurs mahométans qu'avant la conquête. on leur fit la guerre.. . était tombé en désuétude. Les pèlerins ne sont plus envoyés à la Mecque aux frais du trésor public . » dit le lieutenant-colonel VILLOT (Moeurs. Les musulmans qu'elle n'a jamais qui « reviennent de pèlerinage se font remarquer par une grande « intolérance » et une foi presque agressive.).. dans la province (1) Les habitants ont été également arabisés par Berbères comme les Kabyles. les cadis sont remplacés par les juges français statuant avec des assesseurs indigènes. et la loi qu'on choisit fut précisé« ment la loi musulmane dont ils s'étaient défaits : c'est bien « nous.. ils n'avaient de Constantine. en effet. « La conquête dit M. ni l'arabisation. imposé « Quand on voulut se mettre en relations suivies avec eux.. au lieu de « leur parler leur langue indigène. on « ne leur parla que la langue religieuse du Qor'an. française.224 HUIT JOURS EN KABYLIE furent pas accueillies et l'arabisation suivit son cours (1). centralisant ainsi. 2 et (Les Aoulâd-Daoud « suiv. « vots vers les confréries Il ne serait pas excessif des Khouân. « par ignorance. « 1888. Ils avaient de petits saints « locaux inoffensifs saints d'Espagne ou d'Italie: à la facondes « on s'en effraya. de l'Aurès. modifia berbère de l'Aourès tout enl'organisation « tier par secousses et sans règles fixes. Masl'administration française. a ravivé celte institution et lui a donné « une vitalité connue. on « faisant naître de toutes parts la sécurité des routes et la « facilité des voyages. 1879. Mais la croisade musulmane. et. Notre conquête. 441). « coutumes et institutions des indigènes de l'Algérie. (2) « Le pèlerinage. pp... à notre grand on poussa leurs dédétriment. « queray du Mont Aourès. Il n'est plus aujourd'hui question de favoriser ni l'inquisition musulmane. Elle avait été prévue par MM. au grand avantage de la domination française.. Dieu merci. Mais. moyens pourraient être employés à cet effet. . aux anciennes coutumes locales (2). cit. auquel la question Plusieurs insurrection de 1871 a été. 59 et suiv. par exemple. en plusieurs endroits. en partie. En même temps. et les vrais principes musulmans. tendent à se substituer. Ce sont elles qui préparent avec lequel l'Europe sera quelque jour aux prises. 13. En voici un. Le monde musulman tout entier se trouve aux mains de aujourd'hui sectes religieuses sous la forme de organisées puissamment un mouvement sociétés secrètes. p. panislamique du commandant Voir à ce sujet le très intéressant ouvrage Rinn : Marabouts et Khouan. notamment quant à la séquestration des femmes. ils ne les en vénèrent pas moins comme les dépositaires de la vraie doctrine. II. (2) Voir ci-dessus pp. il faut entretenir en Kabylie l'hostilité.L'ISLAMISME FAVORISÉ 225 jusqu'ici reconnu aucun chef : ils se trouvent maintenant groupés autour de chefs religieux. 105). il est encore assez large pour qu'une habile politique parvienne à le maintenir. en s'affiliant à leurs sectes religieuses de Khouans (1). ils se sont rapprochés des Arabes. 1884. L'islamisme a donc poussé plus profond ses racines. HANOTEAUet LETOURNEUX (op. heureusement. Quoiqu'encore méprisés par les grands marabouts arabes. (1) La formidable d'ailleurs l'oeuvre des Khouans. n'existe pas. qui.i. Le fossé qui séparait les Kabyles des Arabes s'est donc un peu comblé. tout au moins l'opposition à l'égard de l'Arabe. Sans éveiller le sentiment d'une nationalité kabyle. Pourquoi. Aussi. et même recourent à la langue arabe. qui s'écrivait jadis en caractères russes. Les Kabyles parlent une langue 'à eux propre. — Voir ci-dessus. ou du moins ne l'écrivent pas avec les anciens caractères berbères qu'ils ont aujourd'hui perdus. en établissant une différence dans les signes de la pensée. Amar s'élance dans la direction du bruit. dans une certaine mesure. Ce sont des maraudeurs en train de faire du bois. actuellement à l'ordre du jour. à maintenir l'antagonisme dans la pensée même ? La sécurité de la France africaine dépend. pourrait faire songer. s'écrit en caractères latins depuis que les Roumains ont commencé à connaître leur origine latine. sommes-nous bien aises de constater avec quelle ardeur Amar donne la chasse à des individus n'appartenant pas à sa race. Mais au bout d'une dizaine de minutes il revient quelque peu décon(1) La langue roumaine. dans les écoles publiques. . n'apprendrait-on pas aux jeunes Kabyles à employer les caractères français pour écrire leur langue (1) ? Pourquoi. Quand par hasard ils ont besoin d'écrire. p. la langue kabyle. A peine avonsnous quitté la clairière près de laquelle a été arrêté Mohammed Ou Kassi n'Ait Amrouch. dans les traductions des pièces officielles. écrite en caractères français. ne remplacerait-elle pas l'arabe? Ne contribuerait-on pas. ils emploient les caractères arabes.226 HUIT JOURS EN KABYLIE scolaire. du maintien de l'antipathie entre Arabes et Kabyles. 130. que nous entendons des coups de hache dans l'intérieur de la forêt. mais ils ne l'écrivent pas. qui descend au Sébaou. de l'autre côté de la vallée. qui conduit à Sidi-Aïch audessus d'El-Kseur. Nous traversons une clairière parsemée de beaux arbres. s'ouvre. nous apercevons des champs encore verts. le col de l'Akfadou. couverte en tuiles rouges. celle de l'Oued bou Ergrad. un petit point blanc marque la maison forestière de l'Akfadou où nous devons coucher ce soir. C'est un lieu de pèlerinage célèbre dans tout le pays. Le monument lui-même n'est qu'une simple cabane. Les arbres sont jeunes et poussent avec vigueur. et nous atteignons un col qui débouche dans une large vallée. Il s'en console en répétant : « Sales Kabyles ! » Nous devons maintenant suivre presque le sommet d'une pente descendant vers le Sébaou. ayant fait buisson creux. Les bords supérieurs de l'immense cirque sont tout couverts de forêts d'un vert foncé. Mais il se trouve placé au milieu d'un vaste rond-point planté . dans la vallée de l'Oued Sahel. ce qui ne se voit plus guère en Algérie à ce moment de l'année. Quelques chétives agglomérations de maisons apparaissent sur des renflements de terrain. Au fond. Après un quart d'heure de descente. au milieu d'une prairie bordée de bois. En face de nous. sur la gauche. Cette vallée. L'épaisseur de la forêt ne nous permet pas de bien apprécier où nous nous trouvons. Enfin. nous arrivons au marabout de Sidi-Ladi. forme comme un vaste cirque d'environ dix kilomètres de diamètre. — SIDI-LADI 227 certé.ECRITURE KABYLE. nous n'avons plus qu'à gagner la maison forestière de l'Akfadou. c'est à peine s'ily en a une mince flaque au fond d'un petit bassin à moitié comblé par des feuilles pourries. Il est dix heures et demie. d'un seul jet. Leurs troncs élancés ont au moins dix ou quinze mètres. Elle ne paraît pas d'ailleurs bien éloignée. il faut de l'eau. voyons ni ruides. « Sales Kabyles ! » s'écrie . Cet endroit doit ressembler à ceux où les [druides assemblaient les Gaulois. Les épis sont clair-semés . Je vais à la recherche avec lui. Les chênes offrent une ombre relativement fraîche. Amar tente de ses deux mains un curage. L'endroit est si agréable que nous songeons à nous y installer pour déjeuner. Aussitôt se dégage une odeur nauséabonde qui vous saisit à la gorge. pas même-un Kabyle géographique. sans branches. le soleil commence à darder ses rayons les plus brûlants.228 HUIT JOURS EN KABYLIE de chênes splendides. Remontés à mulet. nous ne Gaulois. Mais pour déjeuner. faute d'eau. Ne pouvant. L'eau ne coule plus. nous nous lançons à travers des champs de blé. Amar affirme qu'il y a une source tout près d'ici. Nous nous étendons au pied d'un arbre. ni pour nous donner la notion exacte de notre situation Malheureusement. déjeuner à Sidi-Ladi. sur un lit moelleux de feuilles mortes. L'eau est absolument Amar. la sécheresse qui règne dans toute la Kabylie s'est fait particulièreimbuvable. Pour le moment. Sa mule Fathma a buté en cueillant avant de s'en douter. sa bête. et cependant. Un instant. je tiens pour quinze minutes. car je n'aperçois plus aucune habitation. qui chevauche derrière moi. J'ai gagné mon pari. et en dépit de notre surveillance donnent en passant quelques coups de langue. La pauvre bête n'aura plus la permission de glaner. s'écrie Mme Robert. nous voici au but. Le point blanc que nous avons aperçu de Sidi-Ladi . Nous avons d'ailleurs bientôt fini de traverser les champs de blé. la maison forestière de l'Akfadou semble s'éloigner. « Tiens! me voilà sur mes jambes ». quatre ou cinq arbres couverts de branchages et de terre. nous gravissons maintes côtes . et MmeRobert. à mesure que nous avançons. Nous traversons maints ruisseaux à sec. Enfin. Nous suivons maintenant une simple trace à travers bois. Robert prétend qu'il y a encore une heure de che- min . après une dernière montée. Heureusement elle ne s'est fait aucun mal. et nous rentrons dans la forêt.UNE CHUTE 229 ment sentir en cet endroit. nous franchissons maints ravins. Quand serons-nous donc arrivés ? Des paris sont ouverts. s'est trouvée debout à côté de un Mme Robert est bien vite réinstallée sur le dos de Fathma. Nos mulets n'en trouvent pas moins la récolte excellente. je crains de perdre. les travaux d'art se réduisent à quelques ponceaux de construction primitive. épi. Cette trace sera un jour transformée en chemin. M. Il est midi. pour lequel nous avons une lettre du garde général d'Azazga : c'est une maison encore inachevée. . Laurent.de terre avec toit de chaume. s'y trouve. MmeAlexandre. depuis qu'elle en a goûté à Iacouren. car Mme Robert. de la vaisselle à fleurs rouges ou bleues. nous la prions simplement de nous faire du café et de nous prêter quelques assiettes avec une nappe. ni carreaux. Nous apprenons qu'il est en tournée et ne rentrera que demain. et elle s'empresse de nous faire les honneurs de sa maison. Un poêle. la terre battue en tient lieu. dans un gourbi en pierres sèches garnies. Nous demandons aussi un peu d'absinthe. MmeAlexandre offre de nous préparer un déjeuner. Comme nous avons apporté d'Azazga des vivres en abondance.230 HUIT JOURS EN KABYLIE n'est pas la maison du garde français. trouve qu'il n'y a pas de boisson plus rafraîchissante. Alexandre. Une pièce unique. et de l'autre la cuisine. Il n'y a ni parquet. une demi-douzaine de chaises un peu boiteuses. une petite table. Je lui remets la lettre de M. Le logis ne paraît pas luxueux. Le garde français loge à côté. divisée en deux par une cloison à jour. Mais il est tenu avec cet ordre qui sauve les apparences et. voilà tout le mobilier de la cuisine qui sert aussi de salon. M. au milieu des privations. quelques ustensiles reluisants de propreté. Heureusement. constitue presque le confortable. forme d'un côté la chambre à coucher. destinée à un garde indigène. bien dressée sur une étagère. dans une attitude pleine de réserve. Cette qualité est-elle quelque chose comme celle de chambellan ou d'échanson ? Nous l'ignorons. près de la maison forestière. Amar nous apprend que ce Kabyle est un assès. Nous avons vite découvert notre affaire. et suit des yeux nos moindres mouvements. Son attention ne nuit pas à son respect. vient assister à notre repas.MAISON FORESTIÈRE DE L'AKFADOU 231 Il faut maintenant choisir une salle à manger. il boit quelques bons verres de vin à la santé du pauvre Mohammed Ou Kassi n'Aït Amrouch. Mieux vaut s'installer en plein air que de rester dans le gourbi. car il reste debout à une certaine distance. C'est ce soir seulement que nous apprendrons de MmeAlexandre ce . car la forêt est à côté. et nous ouvrons le festin. Un air vif et embaumé excite notre appétit. Sur la pente à laquelle s'adosse l'habitation s'élève un groupe de chênes. En dépit du Coran. Évidemment il s'offre un spectacle peu commun. déjà bien aiguisé par sept heures de mulet. Il nous contemple avec la plus vive curiosité. Un Kabyle. qui sort d'un gourbi voisin de celui du garde forestier. Il ne se retrouve musulman que pour refuser un morceau de porc. une véritable eau des Alpes. C'est à leur ombre que nous déballons nos provisions. donne une eau savoureuse et glacée. Nous invitons Amar à s'asseoir avec nous. en avalant nombre d'oeufs durs. Amar fête ses exploits de chasse à l'homme. La source qui jaillit dans un bassin. dont les grands arbres se détachent comme une petite masse sombre sur la lisière des bois. Un peu à gauche s'élève le Djebel Affroun (1315mètres d'altitude). L'attention que nous prêtons aux faits et gestes du Kabyle ne nous empêche pas de jeter les yeux sur le paysage qui s'étend devant nous. On pourrait presque se croire en France. de petites allées se coupant à angle droit. le gourbi de MmeAlexandre. . nous apercevons le col par lequel nous avons débouché sur Sidi-Ladi. le Kabyle finit par se rapprocher de nous. et il s'emploie à notre service. C'est d'abord. Il nous cache en partie un de ces jolis jardins potagers dont les gardes forestiers semblent avoir la spécialité : quelques carrés de légumes bien soignés. spécialement pour renouveler notre provision d'eau plusieurs fois épuisée. L'illusion est encore augmentée par la verte prairie semée de bouquets de chênes qui s'étend en bas du jardin. à la fin du même chapitre. entretenues avec amour comme un souvenir du pays. Au fond du tableau. bien que celui de Meh'agga ne se trouve qu'à vingt minutes de l'endroit où nous sommes.232 HUIT JOURS EN KABYLIE qu'est un assès (1). Quand notre faim commence à se calmer et que nous avons bien admiré la vue. Nous n'apercevons aucun village. à nos pieds. A ses pieds on distingue Sidi-Ladi. quelques fleurs étrangères à l'Algérie. En attendant. avec sa toiture en paille. nous songeons à organiser notre journée du lendemain. Nous voulons aller jusqu'à (1) Voir plus loin. ayant eu une mauvaise récolle. Nous refusons donc de capituler devant les muletiers d'Azazga. J'appuie de quelques cigarettes. par l'intermédiaire d'Amar. parce que les gens. Au bout de trois quarts d'heure. fumées en compagnie d'Amar. Puis la discussion s'engage avec le tamen parlant au nom de ses gens. Amar dépêche au village de Meh'agga l'assès qui nous a servis pendant le déjeuner. L'amin ne se trouve pas parmi eux . dans la vallée de l'Oued Sahel. l'indifférence apparente qu'il est bon de témoigner à des inférieurs. 77-78. Il a mission d'amener Yarnin pour conférer avec nous. nous entamons avec eux un palabre en règle. Il nous faut dès maintenant trouver des montures pour demain. mais ils sont conduits par un des tamens de l'amin. UN PALABRE 233 El-Kseur. c'est-àdire l'un des adjoints de cette espèce de maire indigène (1). Amar et MmeAlexandre assurent que dans le pays nous nous procurerons tous les mulets nécessaires. Tous viennent s'accroupir en demi-cercle autour de nous et. ce qu'il faut entendre par amin et par tamen. sont bien aises de gagner quelque argent en louant leurs bêtes. pp. nous affectons un de ces airs de dédain qui sied à des supérieurs. Tout d'abord. (1) Voir ci-dessus.LE PAYSAGE. en leur payant le prix convenu ce matin pour la journée. Yassèsrevient avec une dizaine de Kabyles. et nous prenons congé d'eux. Les muletiers qui nous ont amenés d'Azazga nous demandent un prix exorbitant pour continuer avec nous. au juste . un certain nombre de curiosités. Comment passer la soirée? La forêt voisine offre. Toutes les conditions ayant été officiellement arrêtées par devant Amar. alimenté par les sources thermales d'El-Hammam. sûrs de pouvoir partir demain. Après de longs pourparlers. Il n'est encore que trois heures. nous rendons au garde forestier sa liberté. Pour voir . notamment des houx d'un mètre cinquante de tour. Le tamen prendra le commandement de la troupe. Il y a aussi un charmant petit lac. Nous lui serrons la main comme à un vieil ami. au milieu des Kabyles. et bientôt nous le voyons disparaître avec sa jument au grand trot. enfin sur le prix des mulets. sur l'état des chemins. Nous voici. en effet. Il nous promet sa visite à Alger. Tout le monde devra être rendu avant l'aube à la maison forestière. par le sentier qui nous a amenés jusqu'ici. complètement seuls avec Mme Alexandre. Il est entendu que chaque mulet sera accompagné d'un guide. quand il viendra voir cette belle capitale qu'il ne connaît pas. sur la possibilité pour les muletiers de revenir dans la même journée. Elle renferme des arbres merveilleux. avec une mimique linguistique digne du haut Congo. nous convenons de huit francs par bête.234 HUIT JOURS EN KABYLIE Elle se prolonge pendant plus d'une demi-heure. nous a-t-on dit. Le débat porte sur la distance d'El-Kseuf. Il nous semble qu'en le perdant de vue nous sentons se briser le dernier lien qui nous unit au monde civilisé. ce serait une course de plusieurs heures. Le soleil est toujours brûlant . nous ne connaissons pas au juste la longueur de l'étape que nous aurons à fournir demain : nous nous décidons à rester tranquilles. qui nous conduirait ensuite aux endroits les plus intéressants. qui vient nous égayer par ses espiègleries. L'hydraulique et la statique l'intéressent vivement. qui se consacre de plus en plus à notre service. Nous restons donc étendus à l'ombre des chênes qui nous ont abrités pendant notre repas. Nous avons aussi la compagnie de Yassès. Nous ne résistons pas à la tentation d'en déguster quelques verres. Bref. Nous allons rendre visite à la source dont nous avons déjà si fort apprécié l'eau. au moyen d'une colonne d'eau suspendue dans un verre dont les .LA SOURCE 235 tout cela. et nous nous livrons aux douceurs de la sieste. Elle est bientôt inenterrompue par le fils aîné de Mme Alexandre. le vent menace de tourner au sirocco . garde forestier français. au Baraquement où habite M. Schlafer. et nouspourrons peut-être faire alors l'excursion à laquelle nous renonçons pour aujourd'hui. Du reste nous passerons demain au Baraquement. Puis nous offrons à Yassès une séance de physique amusante. Il admire surtout notre démonstration de la pesanteur. fant de huit ou neuf ans. Il considère avec la plus grande attention de quelle manière nous jaugeons le débit de la fontaine. il faudrait aller d'abord à une heure d'ici. Vers les cinq heures. Mme Alexandre nous met au courant de son genre . d'une teinte étrange. Pourtant la petite centaurée. L'isolement est absolu. Ils forment comme une ceinture d'un vert métallique. Au fond apparaissent quelques cultures. Tout autour s'étendent des bois de chênes afarès. De magnifiques chênes sont plantés çà et là. étale encore ses fleurs rouges ou blanches en pommes d'arrosoir. zébrée de raies blanches formées par les troncs.son fils aîné. en répétant nos merveilleuses expériences. comme au milieu d'un parterre. ou plutôt un autre monde. Un fin gazon couvre le sol. Malheureusement il commence à se dessécher. il se fera auprès de ses concitoyens une renommée de savant. nous allons faire une petite promenade en "compagnie de MmeAlexandre et de. une fois rentré dans son village. Nous nous trouvons alors sur un col. c'est le bout du monde. De l'autre côté. Nous nous dirigeons vers une clairière qui s'ouvre à une centaine de pas derrière la maison forestière. Nous sommes dans le plus beau des parcs. la grosse chaleur étant tombée. la plante qui en Algérie se montre là dernière. Sans doute.236 HUIT JOURS EN KABYLIE bords se trouvent maintenus au-dessous du niveau du bassin. nous apercevons une sorte de vaste entonnoir. et par laquelle on peut arriver au sommet de la colline. On se sent enserré par cet horizon extraordinaire. telle qu'on n'en voit pas en Europe. Nous atteignons en quelques minutes le haut de la clairière. du vin. la question de l'instruction se trouve primée par celle des subsistances. à l'Akfadou. se trouvent au moins à six heures de marche. Le garde forestier a sans doute un jardin. que nous avons quitté ce matin. on ne vit pas uniquement de légumes. D'ailleurs. elle a plus d'un pied d'épaisseur. Il faut de la farine. Sidi-Aïch ou El-Kseur. Lorsque Mme Alexandre est venue ici. Tout cela doit venir d'Azazga. Du reste. Durant trois mois d'hiver. Deux fois d'existence. de l'épicerie. L'approvisionnement est des plus difficiles. Étant donné l'éloignement de tout centre de colonisation. commençait à lire . à dos de mulet. il n'apprend plus rien aujourd'hui. la maison forestière se trouvant située à mille mètres environ audessus du niveau de la mer. etc. de la solitude absolue dans laquelle elle vit. dans la vallée de l'Oued Sahel. des vaches. Depuis huit mois qu'elle habite à l'Akfadou. une basse-cour.VIE D'UN GARDE FORESTIER 237 Elle se plaint. Les villages français les plus proches. Souvent. la neige rend les chemins impraticables. Malheureusement le chacal prélève souvent la dîme. son fils aîné. en effet. il a enlevé une grosse oie sous les yeux de la propriétaire. Au surplus. de laitage et de volaille. elle ne s'est absentée qu'une seule fois pour aller à SidiAïch. Quelques jours avant notre arrivée. Azazga. non sans raison. . qui était déjà allé à l'école. il est impossible de faire instruire des enfants. un pareil voyage ne peut s'entreprendre que pendant la belle saison. à distance. on pénétra dans le gourbi en perçant un mur. et il faut les tenir. un convoi apporte les provisions . Voilà donc bien longtemps qu'elle n'a pu échanger avec une femme un seul mot de français.238 HUIT JOURS EN KABYLIE par mois. Les Kabyles sont. il manque totalement de charme . Quelque temps avant l'installation de M. En fait de vivres. Quant aux auteurs de ce beau coup . des poules étiques et du mauvais couscous. Mais ce voisinage offre peu de ressources. Alexandre à l'Akfadou. des voleurs émérites. y compris MmeLaurent. Mme Alexandre est dans des transes perpétuelles à cause des malfaiteurs. les indigènes n'ont que des oeufs. autant que possible. Il semble qu'on pourrait compter sur les Kabyles d'alentour. Tout ce qu'il possédait fut emporté sans qu'il s'en aperçût : provisions. mais il n'y faut plus songer en hiver. venue une fois d'Azazga avec son mari. revolver. Quant à leur société. il présente même un certain danger . rien n'échappa. ils sont naturellement demeurés introuvables. carabines. Aussi paraît-elle heureuse de causer avec M™e Robert. en effet. Pendant qu'il dormait. mieux vaudrait se . le garde français qui s'y trouvait fut complètement dévalisé. MmeAlexandre n'en a encore vu que deux. Tout indigène qui commet un délit envers un Français est . cartouches. Quant aux Françaises. Les femmes notamment se montrent d'une détestable importunité. elle est fort désagréable.trouver complètement isolé. et MmeAlexandre ont failli être volés. tout à l'heure. Cet hiver. Gomme d'habitude les auteurs de ce vol incroyable n'ont pu être arrêtés. ne nous a pas quittés des yeux un seul instant. Pendant l'hiver 1887-1888. Ils sont. se voyant découverts. pour se procurer des renseignements et les moyens nécessaires à la réussite d'une nouvelle entreprise. catégorie d'individus à laquelle appartient le Kabyle qui. et les ont emmenés par la brèche. prirent la fuite. Le vol est d'ailleurs facilité aux indigènes par une singulière institution dont nous étions loin de soupçonner la portée et que Mme Alexandre nous a fait connaître : c'est l'institution des assès. dos malfaiteurs ont pratiqué. Elle en accusa d'abord son chat. un trou de un mètre de large dans le rempart à l'endroit où il borde la cour de l'administrateur. M. Ils ont pris dans cette cour deux mulets. il n'est jamais dénoncé à la justice. à Fort-National. ni durant notre déjeu(1) Les Kabyles de toute tribu sont grands voleurs et habiles perceurs de murs. Il peut même compter sur le concours de tous. laissant dans le mur les traces d'une brèche. Au milieu de la nuit. . Mme fut réveillée par un léger bruit. sans qu'on s'en doutât. exactement de la même manière Alexandre que leur devancier. ASSÈS 239 assuré delà sympathie et de l'assistance de ses compatriotes. Mais elle ne tarda pas à s'apercevoir qu'on cherchait à trouer la muraille. Elle appela son mari. Regardé par eux comme les ayant vengés de l'ennemi commun. demeurés inconnus (1).VOLEURS. et les malfaiteurs. comme toujours. pendant que la terre était couverte de vingt-cinq centimètres de neige. comme s'il avait eu à veiller sur nous. art. Serait-ce un mirador. c'està-dire gardes ou sentinelles. par leur simultanéité ou leur nature^dénotent part dos indigènes un concert préalable ». et quatre pendant la nuit. décide que « lorsque les inde la cendies. Ce système de sentinelles fournies par les tribus est. nous apercevons une sorte d'échafaudage émergeant du milieu des arbres. l'administration a décidé que les tribus au milieu desquelles ils habiteraient fourniraient un certain nombre d'indigènes pour les garder. dans son article 6. comme les plantons dans un régiment. Afin de garantir la sécurité des gardes forestiers demeurant loin des villages européens. Ils sont désignés. Précisément au haut de la colline boisée qui se trouve sur notre droite. 1er et 4. appliqué d'une façon générale dans toute l'Algérie pour la surveillance des incendies de forêts. il y a deux assès pendant le jour. On les appelle assès. par Turc revenu de l'Extrême-Orient ? 1874 ayant pour objet de pré(1) Voir la loi du 47 juillet venir les incendies dans les régions boisées de l'Algérie. quelque MmeAlexandre nous apprend que c'est un poste d'inétabli. Cette loi. il pourra y avoir application de la responsabilité collective. doivent fournir des postes-vigies. à tour de rôle.240 HUIT JOURS EN KABYLIE ner. désignés suivant un tour de service. faire le guet sur divers sommets (i). à l'époque où le feu risque le plus de se propager. ni pendant que nous étions à la fontaine. des indigènes. en d'autres termes. A la maison forestière de l'Akfadou. du reste. Pendant les mois d'été. ancien à l'instar de ceux du Tonkin. . l'Algérie d'aujourd'hui ne présente-t-elle pas l'image d'une féodalité démocratique.400 environ. le service du guet chaque jour.000 indigènes. à raison de la qualité 14 . sont appelés à porter les armes. Et en réalité.) offre des analogies trop peu (2) L'état actuel de l'Algérie En voici sous la féodalité. autorisation. français. trois sentiComme chacun compte au moins a dû mettre sur pied. En effet. 4° Au point de vue des impôts. au temps où des vilains venaient chaque soir au château de leur seigneur prester le service du guet. Les indigènes ne sont admis à servir que par voie d'engagements volontaires et dans des corps spéciaux. sont les terres algériennes nobles ou roturières. et 14e). les vassaux (2)? des postes a été fixé à de 1888. avec celui de la France remarquées : quelques-unes 1° Les indigènes sont. d'incendie nelles. 2» La justice criminelle est rendue aux indigènes uniqueaux vilains ment par des Français. dans laquelle les citoyens français sont les nobles. qu'ils mixte à sans passeport en dehors de la commune voyagent ils appartiennent. le nombre (1) Pour l'été 2. et les indigènes. puisque les jurés sont tous Français ou Israélites. FEODALITE 241 cendie où des indigènes du voisinage vont bientôt venir veiller chaque nuit (1). par les pairs. 3° Seuls les citoyens comme autrefois les nobles. plus de 7. puisqu'ils sans des peines de l'indigénat ils établissent.GUET D'INCENDIE. Jamais. punis quand une habitation isolée en dehors du douar. en plein Moyen âge. 13e spéciales à l'indigénat. les fonds appartenant libres de conde son propriétaire. dans une certaine mesure. ou qu'ils donnent asile à un étranlaquelle d'un permis ger non porteur (voir la loi du 27 juin régulier 1888 sur les infractions annexes 11e. comme elle l'était par les il n'y a jugement d'ailleurs. vent. nonobstant tous les principes modernes. algériens sont attachés à la terre comme les anciens serfs. seigneurs. (Voir la Dépêche algérienne du 22 juin 1888. Aussi nous croyons-nous reportés à plusieurs siècles en arrière. ou grevées d'imc'est-à-dire exemptes à un Français se troupôts. 242 HUIT JOURS EN KABYLIE le soin de rechercher si. prestations imposées aux indiféodaux. Il n'y a. plus. les réquisitions pour travaux divers. spéciale à la Kabylie. Mais ce qui est étonnant. Aussi. en Afrique. déblaiement des routes lutte contre les invasions obstruées. toutes les ressemblances ne surprendront indiquées Les Français sont aujourd'hui. 50 par hectare cultivé environ (la capitation. Cette situation n'a par elle-même rien d'extraordinaire. précisément dans ce qu'il présentait de plus dur pour les inférieurs. ni cotte affinité do race. dans la vieille France. en Algérie. payent montant à 4 fr. de démocrates. taxe Vachour. ne font aucune difficulté d'applile régime féodal quer. 5° Les différentes en nature. tandis que ceux appartenant la dime en langue c'est-à-dire arabe. trois ou français qui. à savoir : les cavaliers réunis indigènes pour une colonne de troupes dans une expédition. que l'ancienne obligation d'héberger Les goums. les les indigènes. en pleine féodalité. singulièrement tribution Je laisse aux historiens . ne sont autre chose que les anciennes corvées. sont-ils peut-être quatre millions plus détestés ne l'étaient par eux que les seigneurs par leurs serfs. gènes. dans leur propre intérêt. ne sont en réalité que des services c'est-à-dire de nourrir et loger les agents du goul'obligation vernement en tournée. dominent les 250. si l'on consulte l'histoire. tient lieu d'impôt foncier)". maîtres et des sujets. des privilégiés et des non-privilégiés. elle n'est pas plus illégitime que la conc'est que les Franco-Algériens quête. en qualité d'indignation seul souvenir de la féodalité. poraire. entre eux. Dans une certaine mesure. du régime actuel de l'Algérie avec le régime La comparaison féodal pourrait être encore continuée sur plusieurs autres notamment à la façon dont un trop grand points. pour prévenir les incendies. dans des conditions à celles où se identiques trouvaient les Francs on Gaule : une race victorieuse jadis il y a des Voilà pourquoi impose son joug à une race vaincue.000 citoyens de musulmans. La dijfa. accompagner raptempellent les vassaux convoqués pour un service militaire Le guet a été établi en matière forestière. en effet. Au reste. quant nombre de Français maltraitent En tout cas. de sauterelles. bondissent au qui. adoucir les rapports des différentes classes. ni celte égalité dans une même devaient religion qui. les hommes du guet faisaient à des indigènes foncière. n'est pas autre chose qui se trouvent le seigneur et sa suite. suffisent exemples donnés ci-dessus pour établir le parallèle. Enfin. ils n'ont jamais empêché aucun délit.MADAME ALEXANDRE 243 parfois cause commune avec les malfaiteurs. surtout en l'absence de son mari. Elle n'est guère plus rassurée pour ses enfants et pour elle. sans avoir peut-être la superstition des mots (assès fait au pluriel assassine). à cause du traitement qui est plus élevé. MmeAlexandre. nous dit-elle mélancoliquement. « Mon mari est content. Quant aux assèsdel'Akfadou. qui lui a permis . ajoute-t-elle tristement. soit les auteurs de tous les vols tentés ou commis. si rare chez une Française. Quand il est en tournée. il a demandé à passer dans le service des forêts. Elle sait accepter sans se plaindre sa situation. c'est l'eau qui est fraîche et la santé de mes enfants. » Ehbien! non. et de l'espoir d'un avancement rapide. elle se le figure sans cesse assassinépar quelque indigène. sans exprimer cependant aucun regret. MmeAlexandre nous paraît vraiment au-dessus de sa condition. mais je ne le suis guère. Aussi couche telle avec deux revolvers sous son oreiller. sans compter les sabres et les carabines qui se trouvent à côté d'elle dans un coin.Mme Alexandre a quelque chose de meilleur encore : c'est ce courage. Avec un pareil entourage. Auparavant il était gendarme à Tizi-Ouzou . Tout ce que j'ai de bon ici. s'estime peu en sécurité: La pauvre femme est sous l'empire d'une frayeur continuelle. C'est même parmi eux qu'on trouverait probablement soit les complices. redoutant toujours de voir apparaître des malfaiteurs. Elle nous donne ensuite .244 HUIT JOURS EN KABYLIE de rompre avec les habitudes casanières. songe cependant aux assès avec une certaine inquiétude. dont l'une commande l'autre. Le soleil va bientôt disparaître derrière la montagne. et je devrai soutenir le premier choc en cas d'attaque. MmeAlexandre fait étendre un peu de paille et mettre un matelas par-dessus. Dans un coin de chacune d'elles. c'est le sacrifice de sa tranquillité. la chambre où l'on ne peut pénétrer qu'en second lieu. J'aurai donc la garde du logis. fermée par un mur. Il faut songer à préparer nos lits. A peine avons-nous fini que la nuit arrive. précède le bâtiment. elle choisit. Nous rentrons vers six heures à la. nous nous contenions d'une excellente soupe au lait. pour elle et son mari. MmeAlexandre installe en plein air. Puis. comme nous avons fait honneur au déjeuner de midi. Nous devons coucher dans la maison destinée au garde indigène. maison forestière. Les deux chambres ont pour tout mobilier les carreaux qui garnissent le sol. elle constitue le palais de l'Akfadou. sans vouloir le laisser paraître. Une cour de quelques mètres carrés. car les murs sont en pierres maçonnées et le toit en tuiles. Bien que n'étant pas encore aménagée. Comme Mme Robert. fait aux nécessités de la position de son mari. L'habitation se compose de deux chambres. c'est ce dévoûment qui l'empêche de trop penser à elle-même et la fait penser surtout aux siens. devant sa porte. une table pour notre souper. Quant aux couvertures. au milieu d'un tintement argentin. Affublé du vêlement des plus grands contemplatifs de l'univers. je ne puis moins faire que de contempler quelque peu. je profite des dernières lueurs du jour pour faire encore un petit tour de promenade. Pour moi. M. tandis que la silhouette sombre du Djebel Affroun se détache sur un ciel encore teinté par le crépuscule. Je monte derrière le gourbi. me tirent bientôt de mon agréable rêverie. et MmeRobert se retirent dans leur appartement. Voilà les deux assès supplémentaires qui viennent prendre la garde pour la nuit. nous y pourvoyons nous-mêmes. où l'esprit. . et je m'assieds auprès d'un arbre. que je suis heureux de m'envelopper dans mon burnous. La fraîcheur du soir se fait si bien sentir. L'obscurité enveloppe presque complètement Sidi-Ladi. CONTEMPLATION 245 des draps. de grosses boules roussâtres s'approchent peu à peu. confond le charme de la réalité présente avec le doux souvenir des lieux connus. Dès que les lits ont été improvisés. Ce sont les vaches qui rentrent du pâturage en faisant sonner leurs clochettes. 14. Je dislingue des burnous. Je finis par distinguer des cornes. Cependant. à demi somnolent. Suis-je en Algérie? Suis-je dans les prairies du Jura? Je ne sais qu'en dire. car je me trouve à un de ces moments exquis.LA NUIT. Mais deux ombres blanches qui arrivent par le chemin de Meh'agga. Le poste des assès est maintenant au complet. sous la garde de son chien. Avant de rentrer à mon domicile. je m'endors plus tranquille que si j'étais à Paris. en causant entre eux. Ils veillent. Une fois rentré à la maison. Dans une encognure. puis celle de ma chambre. C'est l'heure d'aller me coucher. et. et je consolide de mon mieux avec une perche les volets de ma fenêtre.246 HUIT JOURS EN KABYLIE MmeAlexandre s'est enfermée chez elle. je ferme avec un soin tout particulier d'abord la porte de la cour. . je fais une ronde du côté du gourbi qui sert de corps de garde aux assès. étendus sur des nattes. je me jette sur mon matelas. à portée de ma main. souriant de mes préparatifs de défense. j'organise un arsenal où mon bâton ferré occupe la place d'honneur. CHAPITRE DE L'AKFADOU A BOUGIE. LE V LES KABYLES RETOUR. Samedi 25 juin. Le lever, la toilette. — Le départ; seuls avec trois Kabyles.—Le costume et le langage. — Les chênes afarès. Sommes-nous trahis? Le Baraquement; exploitation abandonnée. — Les assis.— La Clairière des scieurs de long. — Le tamen et le parasol. Vue magnifique. — Rencontre de bûcherons. — Carte de la Grande Kabylie ; où sommesnous ? Macache. — Ruines romaines. — La source, le dédes Kabyles, leur sobriété. Quelle est la jeuner. Nourriture meilleure eau.—Appétit kabyle ; marcheurs kabyles — Bordj de Taourirt-Ir'il. Mélodies kabyles. Forêt de chênes liège. — La moitié du chemin. — La chaleur ; incendies de forêts ; collective. — L'absinthe chez un piqueur. responsabilité Route d'El-Kseur à Azazga.—El-Kseur. Changements de noms des villages. — Adieu à nos guides. Climat de la plaine. — La fièvre, le guêpier du Sénégal. — L'Oued Sahel. —Bougie; vue du golfe et des Babors. Dimanche 26 juin. Climat de Bougie. — Le cap Carbon, son tunnel. — Retour à Alger, par l'Isaac Péreire. Lundi 27 juin. Dellys. Le quartier kabyle. — Mosquée. Ecole des Arts et métiers. Les côtes de la Kabylie. — Alger, carrière de marbre. Fin du voyage. Epilogue pays. — Les habitants. — L'assimilation. : la Kabylie, le 248 HUIT JOURS EN KABYLIE Samedi 25 juin, Une faible lueur traverse les fentes des volets. On frappe à la porte de la cour. Seraient-ce des malfaiteurs? Non, simplement les muletiers de Meh'agga, qui nous annoncent leur arrivée. Nous sommes bientôt sur pied. M. et Mm0 Robert demandent à passer. Mais quelque peu désappointé de n'avoir pas eu à employer mon arsenal, et voulant faire montre des précautions que j'avais prises, je leur dispute le passage, revolver au poing et poignard au clair. Ma fière attitude les fait rire. J'en ris moi-même, et je mets bas les armes. Ce n'est pas sans peine que nous parvenons à sortir, car il faut défaire les barricades élevées hier soir, et ouvrir deux serrures fermées à plusieurs tours. Il est quatre heures et demie. Le jour commence à poindre. Un air frais fouette délicieusement la figure. Nous allons à la fontaine, et nous tombons d'accord que le plus confortable boudoir ne vaut pas un grand bassin avec une source d'eau glacée. L'assès qui a veillé hier sur nous avec tant de sollicitude vient assister encore à notre toilette. Il est visiblement étonné de tout ce qu'il nous faut : éponges, savon, peignes, brosses, flacons, etc. Il regarde sans doute comme autant d'inutilités tous ces objets qui lui sont parfaitement inconnus. Je croirais même que l'excellent Kabyle en conçoit un certain mépris à notre LA TOILETTE, LE LANGAGE 249 égard. En effet, au bout d'un instant de réflexion, il s'approche du bassin, y trempe le bout des doigts et, nous fixant vous. » Cette excellente MmeAlexandre nous a préparé du café noir. Nous en prenons chacun une tasse, pendant que les muletiers chargent nos sacs. Les derniers apprêts sont terminés. Nous remercions bien vivement notre hôtesse de sa parfaite hospitalité, nous nous hissons sur nos mulets, et nous quittons la maison forestière de l'Akfadou, emportant le meilleur souvenir du séjour que nous y avons fait. Nous voici, pour la première fois, absolument isolés au milieu des Kabyles. Jusqu'ici, nous avions eu, pour nous servir de guide et d'interprète, un cavalier d'adou un garde forestier indigène sachant le français. Maintenant, nous sommes avec trois Kabyles dont un seul sait un mot unique de français, le mot merci. De notre côté, nous possédons trois mots de kabyle, ih, ala et amane, c'est-à-dire oui, non et eau. Je connais bien quelques termes arabes ; mais nos muletiers en ont à peine autant que moi à leur disposition. C'est au moyen de ces minces ressources linguistiques qu'il faudra converser pendant tout un jour. Il existe un langage mimique qui sert en tout pays, même en Kabylie. D'ailleurs, à la fin de la journée, nous avons fini par apprendre du kabyle. Encore heureusement ministration d'un air dédaigneux, semble nous dire : « Et moi aussi, je me lave ; il m'en faut moins qu'à 250 HUIT JOURS EN KABYLIE huit jours, sans antre compagnie que nos guides, et nous serions tous des plus kabylisants, Mme Robert, surtout, qui montre la plus remarquable aptitude pour le dialecte de Meh'agga. Les trois muletiers auxquels Amar nous, a officielleêtre de braves gens. Quels qu'ils soient, d'ailleurs, nous n'avons rien à craindre, car leur ayant été recommandés par un agent du gouvernement, ils se sentent certainement responsables de nos personnes (1). En tout- cas, ils se montrent très complaisants-. Ils nous parlent beaucoup, nous disent sans doute une foule de choses aimables que malheureusement nous ne pouvons saisir. A leur air tout joyeux, nous supposons que le voyage d'El-Kseur stitue une partie de plaisir. conment confiés paraissent Deux d'entre eux sont encore des jeunes gens. Le troisième, d'un âge un peu plus mûr, n'est autre que le lamen de l'amin de Meh'agga, avec lequel hier nous avons arrêté les conditions de notre transport. C'est lui qui sait "le mot merci. Il commande la troupe et ouvre la marche. Par une singulière réminiscence d'alpinisme, nous le qualifions de guide-chef. Est-ce pour se distinguer des autres qu'il s'est couvert la tête d'une simple calotte jadis rouge, aujourd'hui noire? Nous l'ignorons. Quant à ses deux subordonnés, ils sont (1) Une chose confiée est absolumant sacrée pour le Kabyle. Cela est d'autant plus remarquable qu'il est faux de caractère et élève le vol à la hauteur d'une véritable institution sociale. i_ UNJHALOGUE 251 coiffés de ces gigantesques chapeaux kabyles, dont les bords s'en vont, à chaque pas du porteur, battant en cadence comme des ailes de cicogne (1). Presque au sortir de la maison forestière de l'AkLdou, nous sommes entrés en plein Sois, puis nous avons traversé quelques clairières à moitié cultivées. Nous abordons maintenant une montée assez raide à travers la forêt. Le sol laisse voir en maint endroit le rocher nu, et les arbres sont un peu rabougris. Arrivés à une sorte de col, nous suivons une crête qui, autant que l'épaisseur des branches nous permet d'en juger, doit descendre à gauche vers la vallée de l'Oued Hammam et la mer. Nous comptons passer au Baraquement pour voir M. Schlafer, garde forestier qui y habile. Amar a indiqué hier au tamen la route que nous voulions suivre. maintenant à nos guides noire dessein en leur répétant : Schlafer, Schlafer. Le tamen répond ; merci, merci. Bientôt ils nous font tourner à gauche et nous engagent en pleine futaie, dans une simple trace. Schlafer ? leur demandons-nous. Merci, répond le tamen. Nous supposons donc que nous nous dirigeons du côté du Baraquement. Toul en cheminant, nous admirons les chênes afarès qui, ayant poussé là plus serrés qu'ailleurs, sont élancés comme des sapins. Leurs troncs blancs, semblables à de minces colonnes de marbre, donnent au sous-bois (1) Voir ci-dessus, pp. 20, 84, 213. Nous confirmons 252 HUIT JOURS EN KABYLIE un aspect absolument inconnu en France. Ce n'est pas une cathédrale aux piliers larges et espacés, c'est une mosquée aux mille colonnettes. Au bout de quelques instants, la trace que nous suivions disparaît. Serions-nous égarés par nos Kabyles? Il s'agit maintenant de descendre une pente de plus en plus rapide. Nos mulets glissent des quatre pieds sur les feuilles mortes. Nous-mêmes, nous craignons de passer par-dessus leur encolure, et nous mettons pied à terre. Impossible de s'orienter, à cause de l'épaisseur de la forêt : c'est à peine si on entrevoit dans le lointain, du côté de la mer, des croupes boisées. M. Robert commence à se demander si nos guides ne nous conduisent pas à quelque guet-apens. Déjà il sent le froid du poignard, et voit Mme Robert dans une caverne et vendue à quelque indigène. Mais son hallucination ne dure qu'un instant. Voici une clairière avec une mare. Le sol est jonché d'arbres équarris et à moitié pourris. Çà et là gisent des pièces de bois qui, malgré leur décomposition, ont encore la forme de traverses de chemins de fer. Nous touchons par conséquent à la civilisation. Bientôt nous découvrons un chemin presque carrossable. Nous devons donc approcher du Baraquement. Nous y arrivons, en effet, au bout de cinq minutes. Il y a une heure que nous sommes partis de la maison forestière de l'Akfadou. Le Baraquement se trouve ainsi nommé, parce qu'on avait installé en cet endroit un chantier pour l'exploi- 15 . Quant à la forêt. a caché sous la verdure les murailles écroulées.LE BARAQUEMENT 253 talion des forêts. Le Baraquement présente un singulier contraste de vie et de mort. achevant ou plutôt réparant l'oeuvre des hommes. mais les constructions ont été démolies. Les arbres sont restés debout. et la nature. nombre de troncs ont même été desciés en poutres ou en traverses. Nous voudrions demander à M. C'est ainsi que je me figure les campements abandonnés des bûcherons de l'Orégon. Schlafer de nous faire visiter les curiosités de la forêt : les boues. Beaucoup d'arbres ont été abattus . les (1) Les forêts occupent. Schlafer. une superficie d'environ trois millions d'hectares. Cette exploitation. il reste des pièces de bois aux trois quarts consumées par le temps. C'est à peine si on aperçoit encore l'emplacement d'une scierie à vapeur. La plupart sont inexploitées faute de voies de communication. Comme témoins des ravages des hommes. De toutes les maisons il ne subsiste plus qu'une baraque en planches. gisant çà et là au milieu des fourrés ou entassées le long du chemin. elle a déjà repris son aspect de forêt vierge (1). entreprise il y a plus de vingt ans par la Société générale algérienne. Mais l'impossibilité de les transporter économiquement à Bougie les a fait laisser sur place. se trouve abandonnée depuis longtemps. Des constructions considérables avaient été élevées au fond d'un petit cirque formé par de beaux chênes. demeure de M. en Algérie. et nous tâchons de filer « El-Kseur ». et il nous engage dans un large chemin qui serait carrossable au besoin.254 HUIT JOURS EN KABYLIE sources d'eau chaude et le lac. de causer avec eux. nous n'insistons pas davantage. nous font comprendre qu'il n'aime pas à se lever de bonne heure. de veiller sur les jours et sur le sommeil de M. sur lequel gît une masse blanche coiffée d'un bonnet de coton. il eût vraisemblablement été heureux. S'il eût su avoir affaire à des compatriotes.— nos guides. Obligés de nous passer des indications et des conseils d'un Européen. répond le tamen. C'est vraisemblablement la route qu'avait fait établir la Société générale algérienne pour la desserte de la forêt. Comme il est à peine six heures. dans un lieu civilisé. répétons-nous à droit sur El-Kseur. nous renonçons à chercher les curiosités de la forêt. — « Merci ». et nous repartons sans avoir serré la main du brave garde forestier. nous cherchons à distinguer d'où ils partent. Sans doute il nous a pris pour des Kabyles venant troubler son repos. Au travers d'une fenêtre obscurcie par la buée de l'intérieur. Schlafer. Nous frappons plusieurs fois à sa porte .La masse blanche ne bouge pas. Deux Kabyles chargés. habitant absolument seul. Cette route nous conduira bien quelque part. en qualité d'assès. Nous apercevons dans le fond d'une chambre une sorte de lit. réduits à nous expliquer comme nous pouvons avec nos guides. mais nous n'obtenons pour toute réponse que de sourds grognements. probablement à El-Kseur . Nous trouvons le soleil pour la première fois. à moitié écroulées. Par uneffet bien connu en Algérie. Ils vont relever ceux qui ont veillé. Une herbe fine couvre le sol. La rosée scintille sur les feuilles. que nous voyons déboucher d'un sentier deux Kabyles qui se dirigent du côté de la maison de M. elle est peut-être plus pénible à supporter le matin qu'à midi. C'est la fameuse Clairière des scieurs de long. où gisent. cette nuit. Le chemin que nous suivons monte en lacets à travers la forêt. les troncs blanchis des arbres qui faisaient naguère l'orgueil de la forêt. La végétation commence d'ailleurs à recouvrer son empire-. comme autant de diamants enflammés par les premiers feux du jour. sur le garde forestier. Les ronces cachent à moitié les piles de bois. et MmeRobert . Aujourd'hui. dont j'avais précédemment entendu parler. comme des monticules d'ossements gigantesques. C'était jadis le lieu où l'on débitait les bois abattus. Nous commençons à sentir la chaleur. D'énormes piles d'arbres pourris.LA CLAIRIÈRE DES SCIEURS DE LONG 255 A peine nous sommes-nous remis en route. jonchent le sol. et regagne la crête que nous avons abandonnée un moment pour descendre au Baraquement. Ce sont les deux assèsde la garde montante. car nous avons marché jusque-là dans l'ombre de la montagne. M. Quelques chênes donnent une idée de ce qu'étaient autrefois les rois de la forêt. ce n'est plus qu'un immense charnier. Schlafer. Nous arrivons bientôt à une petite prairie qui s'élève jusqu'au sommet de la montagne. 256 HUIT JOURS EN KABYLIE arborent leurs couvre-nuques. la . Arrivés au sommet de la Clairière des scieurs delong. il reçoit le soleil sans broncher. MmeRobert en frémit et.comprendre qu'une ombrelle sert à garantir du soleil. Nous sommes à l'un des points où la chaîne qui. Aussi. merci. MmeRobert prend pitié de lui et. A travers un décor de beaux arbres apparaît un fond de tableau magnifique. tient-il tout d'abord l'ombrelle devant lui. à la tête de notre caravane. fort embarrassé du présent. se dirige au Nord-Est et se trouve coupée par les cols de Chellatta et de l'Akfadou. il jouera de l'ombrelle avec la correction d'une Parisienne. non sans peine. le tamen s'en va répétant : « Merci. à lui faire. Le pauvre tamen qui. se demande à quoi peut bien servir ce champignon portatif. » Pendant toute la marche. arrive. du col de Tirourda. Enchanté d'avoir compris. faisant appel à tout son kabyle. pour la première fois de sa vie. comme un bouclier pour écarter les branches. Quant au tamen. voit un parasol. droit devant nous. son entrée à ElKseur. et ce sera en portant ainsi le drapeau de la civilisation élégante qu'il fera. commence à s'abaisser du côté de la mer. nous nous trouvons en face d'un spectacle merveilleux. saisissant un parasol dont elle néglige-d'user. elle le lui passe tout ouvert. Les deux Kabyles munis de chapeaux les enfoncent sur leur tête. C'est d'abord. qui n'a pour toute coiffure que sa calotte. se détachant sur le ciel en masses d'un bleu étonnant. la ville de Bougie.UNE OMBRELLE. du reste. recouvrant une partie de la vallée de l'Oued Sahel et le golfe de Bougie. Ce pays. et plus loin les montagnes des Bibans. LA VUE 257 chaîne des Babors dont. presque à pic. de courte durée. Mais ces derniers finissent par l'emporter et submergent le Gouraya. qui s'étend au Nord jusqu'à la mer.longtemps indécise entre la montagne et les nuages. dans son majestueux isolement. semble dominer tout le pays environnant. C'est en spectateurs passionnés que nous assistons à cette lutte des éléments. car les nuages. La victoire reste. Nous restons longtemps en contemplation devant . A gauche. A gauche et en face des Babors. nous avons déjà admiré les pics enchevêtrés. mais avec moins de villages et plus de bois. Les vagues blanches de cette mer montent à l'assaut des contreforts. On dirait un îlot battu par les flots. se fondent bientôt à ses rayons. s'élève le Djebel Arbalou qui. après s'être élevés à cause de l'échauffement produit par le soleil. se montrent les crêtes dentelées des Beni-Aydel à l'est d'Akbou. ressemble un peu à la Kabylie des environs de Fort-National. Ce triomphe sera. A nos pieds s'allonge la vallée de l'Oued Sahel. du haut de l'Azerou-n'Tohor. ce n'est qu'une immense mer de nuages. Entre les Babors et le Djebel Arbalou. trois jours auparavant. Nous nous intéressons surtout au sort d'un petit piton que nous découvrons dans le lointain. C'est le sommet du Gouraya qui domine de 700 mètres. et nous continuons notre marche en pays découvert. Nous commençons aussi à trouver la route longue. Nous disons adieu aux chênes de l'Akfadou. nous pouvons. . nous croisons deux ou trois Français. Là finit la forêt que nous traversons depuis deux jours. et nous commençons à en être incommodés. Comme nous suivons la ligne de faîte. Je se fait sentir. nous rencontrons une La hache sur l'épaule. avec des mulets chargés d'effets de campement. Nous voici en bas de la descente. montent le chemin que nous descendons. Un peu plus loin. L'absence d'arbres Jusqu'à présent. d'autant plus longue que nous ne savons pas au juste à quelle distance se trouve El-Kseur. La route descend en lacets bien tracés à travers la forêt. Nous en coupons un certain nombre pour abréger. car il ne faut pas nous attarder si nous voulons arriver de jour à El-Kseur. ils longue file d'indigènes. Nous sommes maintetenant au gros soleil.258 HUIT JOURS EN KABYLIE un spectacle que jusqu'ici nous avions cru réservé aux Alpes. nous avions cheminé à l'ombre. tout en marchant. Nous ne pouvons nous décider à poursuivre notre route. Nous repartons cependant. jouissant toujours de la même vue que du haut de la Clairière des scieurs de long. continuer à contempler les Babors et le Djebel Arbalou. Presque en bas de la pente. Ils vont sans doute faire une coupe dans la forêt. J'estime cependant que nous sommes à la hauteur de Sidi-Aïch. El-Kseur s'rîr ? « (Alexandre grand. la seule d'ailleurs qui ait paru jusqu'à présent. je ne puis repérer exactement notre position.— Kifkif? (également?) —Macache: El-Kseur kebir. « Alexandre s'rir. publiée par le dépôt de la guerre en 1835 et revue soidisant en 1885. Pour cela je fais « Alexandre appel au peu d'arabe que je sais : kebir ? leur dis-je. « c'est-à-dire près?) — Macache (non). lequel se trouve encore bien loin d'El-Kseur dans la vallée de l'Oued Sahel. nous n'avons pas encore fait la moitié du chemin. Par conséquent. ci-dessus. notes. j'essaye de consulter nos guides sur notre situation topographique. C'est la carte de la Grande Kabylie. Comme elle est des plus mauvaises (1). me répondent« ils. servait cette construction ? C'est ce que nous ignorons (1) Voir sur les cartes d'Algérie. RUINES ROMAINES 259 consulte ma carte. » — De cet entretien. 74. nous apercevons sur notre droite les ruines d'une immense consLes quatre murs sont marqués par des amoncellements de pierres de taille alignés en rectangle. très peu correct sans doute au point de vue grammatical. DIALOGUE. il ne résulte pas moins qu'El-Kseur se trouve plus éloigné que la maison Alexandre. Ce sont évidemment des ruines romaines. c'est-à-dire loin ? El-Kseur petit. p. Quelque temps après avoir quitté la forêt.LA CARTE. Désirant contrôler mon opinion. . Mais à quoi truction. et ils nous conduisent en dessous des ruines auprès d'une jolie source en tête d'un pré bien vert. . Les époques militaires 1857. ont été obligés d'entourer leur territoire d'une enceinte de postes militaires dont les traces ont été récemment retrouvées sur plusieurs points (1). du 15 décembre Deux-Mondes 1865. —DE VIGNEde l'Algérie. pp. nous répondent nos Kabyles. RAL.260 HUIT JOURS EN KABYLIE y avait-il en cet endroit une forteresse. la Kabylie du Djurdjura. — BIBESCO. . de la Grande Kabylie. cette induction nous paraît plus intéressante que toutes celles relatives aux pierres de taille qui sont là devant nous : « Amane ? (eau?) » demandons-nous à nos guides. sur la Kabylie au temps des Romains. 199 et Revue des suiv. n'ayant jamais subjugué les montagnards du Djurdjura. et. pp. Ruines romaines 1868. une sorte de bordj. — « Amane ». l'emplacement était admirablement choisi. destiné à surveiller les incursions auxquelles devaient souvent se livrer les absolument. IaKabylieau temps des Romains. comme nous avons soif. pour le moment. (1) Voir. sans avoir de l'eau à proximité. car on découvre toute la vallée de l'Oued Sahel avec les montagnes qui la bordent. Peut-être ancêtres des Kabyles? Les Romains. BERBRUGGER. en effet. recourant ainsi à l'un des trois mots kabyles dont nous avons eu soin de nous munir hier auprès de Mohammed Amar. 862 et suiv. . Quelle qu'ait été la destination de la construction dont les ruines gisent devant nous. Il est à présumer que les Romains ne se sont pas établis en ce lieu. surtout en route. p. note 3. Les Kabyles sont d'une sobriété prodigieuse. ils extraient quelques figues sèches et une galette. ainsi préparé.NOURRITURE DES KABYLES 261 Il est sept heures et demie. soulève un estomac européen. lons qui. Quant à la boisson. C'est simplement un pain grossier et mal levé. ils nous invitent à goûter leurs provisions. Voilà presque trois heures que nous marchons. Nos muletiers nous imitent. quelle mesure les 15. Nous nous arrêtons pour nous rafraîchir et faire un léger déjeuner. le pain des co- . par exemple lorsqu'ils vont travailler en Métidja. Cette huile. ils trouvent (1) Voir ci-dessus. Les figues sont fort bonnes. se contentant pour toute une journée d'une poignée de figues et d'un petit morceau de galette. dans Kabyles boivent du vin. Ils accomplissent les plus longs voyages. ils joignent à leur bagage un bidon d'huile rance. elle est bien moins mauvaise que nous ne nous l'imaginions. dont la seule odeur à arroser. Quant à la galette. Ils emportent avec eux tous leurs vivres. constitue pour eux le plus grand des régals. D'un sac qui constitue leur seul bagage. fait de farine d'orge quelque peu arrosée d'huile. Tout en mangeant. Lorsqu'ils s'absentent pour séjourner quelque part. Un sac en peau de mouton. 219. leur sert pour lui donner du goût. comme ils n'usent habituellement que d'eau (1). ou même le capuchon de leur burnous suffit à contenir leur nourriture d'une ou deux semaines. parce qu'elle a plus de goût. éloigné d'environ 40 kilomètres. J'ai entendu parler d'un indigène d'Azazga qui. toujours à pied. L'extrême sobriété dont ils usent habituellement ne les empêche pas. . de faire. le Kabylevit de ses figues et de sa galette . dans le Sud. un mouton tout entier. pour réclamer ses 10 centimes. satisfait gain de 40 à 50 sous. et il rentre chez lui. viennent à pied de Fort-National à Alger. il couche à la belle étoile ou dans quelque café maure. (1) Les Kabyles. spécialement l'eau boueuse des ruisseaux. où il était allé effecd'un tuer un payement. réalisé par Mohammed Arab. habitant un pays de montagnes où les sources sont excellentes. Un voyageur m'a assuré qu'il avait vu. en cas de besoin. à eux seuls et en une fois. Il est des individus qui. revenant à pied d'Azeffoun. honneur aux plus pantagruéliques repas. un grand chef refuser de boire à une source pour aller se désaltérer à une rivière gonflée par la pluie. Quelqu'un m'a dit avoir vu deux convives manger. La singulière complaisance d'estomac qui distingue les Kabyles facilite beaucoup les voyages qu'ils accomplissent au moindre prétexte. ils préfèrent l'eau trouble. retourna sur-le-champ à Azeffoun. Quant aux Arabes du désert. faisant ainsi plus de 100 kilomètres rien qu'à l'aller. Grault m'a cité un tour de force plus étonnant encore. et s'apercevant qu'il avait donné 10 centimes de trop. d'ailleurs. apprécient beaucoup la bonne qualité de l'eau. M. En chemin. pour vendre deux méchants poulets. le cavalier d'administration qui nous accompagna à l'Azerou-n'Tohor.262 HUIT JOURS EN KABYLIE toujours quelque fontaine pour se désaltérer (1). elle passe beaucoup en dessous. en un seul jour et à pied. alors que. du Chabet-el-Akra. ils ne pouvaient ni manger. du lever au coucher du soleil. et ils s'en servent suivant la mode du pays. ils se remettent allègrement en route. qu'il manie avec une parfaite élégance. et côtoie a . 40 à 50 kilomètres. de Kerrata. il se contente de l'ombrelle de Mme Robert. faisant ainsi plus de 120 kilomètres en moins de 24 heures. ni fumer. Après s'être restaurés chacun avec cinq figues. et cela. le bordj de Taourirt-Ir'il. et franchissante col de Chellatta élevé de près de 1500 mètres. de ce pas rasant et précipité qui semble propre aux Kabyles. auprès des gorges à Aïn-el-Hamman. Ils avancent rapidement.MARCHEURS KABYLES 263 Il y a quelque temps. La route ne monte pas au bordj. Bientôt cette arête se relève et porte un bordj considérable. Les deux jeunes muletiers aux larges chapeaux ont emporté leurs bâtons. Pour ma part. ledit Mohammed Arab est venu. j'ai toujours vu les muletiers kabyles suivre leurs bêtes à toutes les allures et faire ainsi. c'est-à-dire en les passant derrière leur cou sur leurs deux épaules et en y suspendant leurs mains comme à un trapèze. ni boire. même en temps de ramadan. n'ayant aucun bâton. trois bouchées de galette et quatre gorgées d'eau. plusieurs jours de suite. Les trois indigènes de Meh'agga qui nous accompagnent ne le cèdent en rien aux meilleurs marcheurs kabyles. Quant au tamen. Nous suivons toujours l'arête de la montagne. se détachant sur le fond vert pâle du feuillage. arbres viennent d'être démasclés. mais elle a été concédée (1) Un certain nombre de chants kabyles ont été recueillis par Salvador Daniel. à rythmes heurtés. et s'arrêtent généralement sur. Nous sommes suffisamment Algériens pour savourer ces chants tout particuliers. A toutes les interrogations que nous leur adressons dans la langue par nous inventée. en dominant de fort haut la vallée de l'Oued Sahel. Pour mieux marcher. nos Kabyles se mettent à chanter. Quand donc répondrontils : kifkif ? Nous entrons dans une forêt de chênes liège. Les. dont on ne commence à bien sentir le charme étrange qu'au bout d'une année ou deux de séjour en Afrique (1). ou simplement pour faire passer le temps. avec des modulations singulières-.264 HUIT JOURS EN KABYLIE droite la montagne. La forêt appartient à l'État. El-Kseur kébir. Ils finissent rarement sur la tonique. traînée indéfiniment en point d'orgue jusqu'à bout de souffle. Leurs troncs. Leurs airs ressemblent à ceux des Arabes. »Par cqnséquent. c'est-à-dire dépouillés de l'écorce qui constitue le liège. nos guides répondent toujours : « Alexandre s'rir. Le régal musical qui nous est offert ne nous empêche pas de trouver le chemin long. paraissent tout sanguinolents. nous ne sommes pas encore à moitié chemin. une note quelconque. Ce sont des mélodies nasillées. . C'est. aperçu pour la preparallèle Nous commençons à nous démoraliser. un arbre sans ombrage. a le droit de l'exploiter à son profit pendant un certain nombre d'années. nous trouvant encaissés . Le soleil se fait aussi vivement sentir qu'en plein champ. et la déception que causent des branches ne donnant pas d'ombre fait trouver la chaleur encore plus forte. Au fond. sur la gauche. moyennant une faible redevance. le régime auquel se trouvent soumises la plupart des forêts de chênes liège de l'Algérie. d'ailleurs. une longue gorge. Le chêne liège produit une précieuse écorce.CHANTS KABYLES. Nous franchissons un petit col. Elle se prolonge au loin. qui ne paraît guère s'être rapproché depuis que nous l'avons mière fois. CHÊNES LIÈGE 265 à un particulier qui. tapissée de simples broussailles. du milieu desquelles émergent des rochers calcinés. Cette gorge. Nous sommes donc à moitié route. comme une sorte de couloir sans fin. mais il ne donne aucune ombre. Ils prononcent le bienheureux kifkif que nous attendions depuis si longtemps. présente un aspect désolé. et nous entrons dans à la vallée de l'Oued Sahel. car. A dire vrai nous rôtissons. Cette assurance nous aide à supporter la chaleur. s'élève le Djebel Arbalou. Aussi questionnons-nous de nouveau nos muletiers sur le chemin qui nous reste à faire. rien n'échauffe comme . Si rien n'assoiffe comme une rivière sans eau. à peine carrossable. Aussi . ils ne peuvent nous donner que des renseignements relatifs. notes. et constituent des symptômes avant-coureurs d'une insurrection. Nous le questionnons sur notre chemin et sur la distance qui nous sépare d'El-Kseur. n'a pas de bornes kilométriques. avec le seul jargon à notre usage. Combien de temps'mettrons-nous à traverser cette fournaise? c'est ce que nous ignorons. et ma carte est trop mauvaise pour fournir des indications sérieuses (1). Bien souvent ils sont allumés par la malveillance. jadis incendiée. quelques preuves du pou d'exactitude des différentes cartes de Kabylie. En effet. Quelques arbres à peine ont échappé. 74. que nous suivons. font l'effet de brûler encore (2). p. nous n'avons plus le moindre souffle d'air. Le soleil continue cependant à nous calciner de plus en plus. par la vue de la montagne en face. La certitude de nous trouver dans la bonne voie nous réconforte un peu. (1) Voir ci-dessus. ils n'ont probablement aucune positive sur les distances et. et 259. Mais nous ne parvenons à en tirer qu'une seule chose. et nombre de troncs. Quant à nos Kabyles. s'il est possible.266 HUIT JOURS EN KABYLIE dans une espèce de gaîne. Voici un charretier qui va chercher des ballots de liège. en tout cas. (2) Les incendies de forêts sont très fréquents en Algérie. noircis par le feu. le chemin. La sensation de brûlure que nous éprouvons se trouve encore augmentée. à savoir que nous sommes bien sur la route d'El-Kseur. Nous nous demannotion dons même s'ils ne nous auraient pas égarés. Ce système le seul pratique. Vers dix heures nous rencontrons des ouvriers français qui construisent un ponceau pour la route. puis nous invite à venir chez lui nous rafraîchir. sans mot dire. Je change de bête avec elle. d'abominables cahots. nous acceptons avec empressement. 104 et suiv. on saisissait cinq habitants du douar le plus voisin qu'on pendait au premier arbre rend'un pareil système ne suffit pas pour le contré. Nous demandons au piqueur à quelle distance nous nous trouvons d'El-Kseur. Il nous répond 13 kilomètres. et il ne saurait être question de le rétablir dans toute Mais il n'en est pas moins certain qu'avec des sa brutalité n'est rien et les groupes indigènes chez lesquels l'individu sont tout. au reste. L'efficacité justifier. pp. La responsabilité collective est infligée aux tribus coupables. p. les secousses qu'impriment les ornières ou l'échiné de la monture.INCENDIES DE FORÊTS 267 Nous nous trouvons dans un de ces moments de dépression morale où l'on ressent les plus légères incommodités : la raideur des articulations. le frottement des chaussures et des vêtements. primitif de répression est malheureusement Le redoublement de sévérité imposé au gouvernement par les nombreux sinistres survenus en 1881 a diminué de beaucoup le nombre des incendies. J'ai entendu dire qu'au temps de la domination turque il n'y avait presque jamais d'incendies. — Voir ci-dessus. ce qui est rapporté ci-dessus. J'admire MmeRobert d'avoir jusqu'ici supporté. . MmeRobert souffre d'un point de côté que lui vaut son mulet. Cela tenait à ce qu'au cas où le feu prenait à une forêt. ce que sévères à l'égard des prend-on des mesures particulièrement indigènes sur le territoire desquels éclate le feu. — Voir. C'est alors à mon tour de pester contre un animal d'une dureté peu commune. 240. la plupart des délits ne peuvent donner lieu qu'à une répression collective. nous fait l'impression d'un réflecteur de tournebroche. comme nous l'avons constaté hier matin. nous dit-on. « delà chartreuse pour Madame. les honneurs de son logis. Certain vallon. se prononce pour l'absinthe. avec une vérandah de feuillage. En fait. Nous remercions vivement notre hôte de son excellent accueil. on peut y vivre aussi heureux dans un talus. rien ne désaltère comme quelques gouttes de cette liqueur dans un verre d'eau. Le piqueur nous fait. L'installation qu'ailleurs. la route n'est pas encore ouverte jusqu'à Iacouren . qui en Kabylie a rompu avec tous les préjugés. C'est presque un remède. Il nous offre de l'absinthe. Mais comme nous pouvons être dans deux heures à ElKseur. Nous apprenons que l'on achève en ce moment les études de la route directe d'El-Kseur à Azazga. à condition de n'en pas abuser. car. et nous nous remettons en marche. Au demeurant. ou plutôt sa cabane. sur un fourneau à moitié enfoui est primitive. mais pittoresque. et du côté d'El-Kseur. où la route forme un tournant au milieu des rochers.268 HUIT JOURS EN KABYLIE Sa maison. Mais . » MmeRobert. 9 kilomètres seulement sont empierrés et par conséquent entièrement terminés. nous préférons poursuivre notre étape. Quant aux travaux. Le soleil est toujours chaud. Le piqueur nous propose de déjeuner chez lui. ils sont bien loin d'être finis. est construite en planches. La cuisine se fait en plein air. avec la plus grande amabilité. Quelque louables que soient ces changements. que le gouverneur général vient. Les femmes se voilent à notre vue. c'est-à-dire derrière l'ombrelle de Mme Robert. sans inconvénient être réservées pour les villages créés chaque année. alléchés par l'enseigne qui éveille en nous des idées de fraîcheur. depuis notre passage. il a un certain air de prospérité. (1) Voir ci-dessus pp. 59 et 220. Nous rencontrons une caravane de Kabyles. ses maisons basses et ses fontaines. drapeau en tête. triomphalement portée par le tamen de Meh'agga. El-Kseur est un joli village français (2). les femmes kabyles n'ayant pas l'habitude de se couvrir le visage dans les endroits où n'habitent que des indigènes (1). Quant aux dénominations de Mirabeau et de Michelet. Nous descendons à l'hôtel des Alpes. avec ses eucalyptus. ils n'en sont pas moins des causes d'erreurs.EL-KSEUR 269 nous sommes aiguillonnés par rapproche du but. Je comprends fort bien le sentiment qui a dicté la substitution officielle du nom de Bitche à celui d'El-Kseur. Il ressemble. plus ancien qu'Azazga . d'ailleurs. de toutes pièces. (2) Un grand nombre de villages français ont été débaptisés dans ces dernières années. par l'administration. Nous y entrons à midi. Il se trouve à deux kilomètres environ. on n'en est pas moins resté fidèle aux anciennes appellations. à tous les villages algériens. . Mais. C'est un indice que nous approchons de lieux occupés par des Européens. Nous ne tardons pas à apercevoir El-Kseur. Nous quittons bientôt l'étroite vallée que nous avons suivie si longtemps. en pratique. d'attribuer à Dra-ben-Kedda elles pouvaient et à Aïn-el-Hamman. et nous arrivons en vue de l'Oued Sahel. dans une chaleur humide beaucoup plus pénible à supporter que la chaleur sèche. nous nous sommes habitués à l'air sec des montagnes. se retire Puis. c'est-à-dire pour le café. si agréablement menée depuis plusieurs jours. en effet. par conséquent. nous ajoutons SO centimes pour le cahoua. c'est la vie sauvage. Nos hommes paraissent enchantés. qui va faire.270 HUIT JOURS EN KABYLIE Avant de nous mettre à table. et MmeRobert vont faire la sieste. et nous font des adieux d'amis. 9 et 33. pp. ce ne sont pas seulement trois pittoresques compagnons qui s'en vont. et replongés. Malheureusement le temps est très lourd. . assis à l'ombre. (1) Voir ci-dessus. devant la porte de l'hôtel. » Ce n'est pas sans une certaine tristesse que nous les regardons disparaître au coin d'une rue. et nous y joignons ce qui nous reste de nos provisions. le (amen gravement. nous payons nos muletiers. suivi de ses deux acolytes. c'est la Kabylie qui s'éloigne. M. Nous faisons un excellent déjeuner à l'hôtel des Alpes. je prends quelques notes de voyage sur une table que j'inonde de sueur (1). Pour moi. Nous donnons à chacun une bonne poignée demain. merci. A la somme convenue. Nous voici maintenant redescendus presque au niveau de la mer. en répétant : « Merci. place aux monotones exigences delà vie civilisée. c'est notre voyage qui touche à sa fin. Avec eux. Depuis que nous voyageons sur les hauteurs de la Kabylie. accroît encore la bonté du sol. nous montons dans la diligence de Rougie. Le sol est excellent. Cette année même. Au sortir d'El-Kseur. si favorable à la végétation. nous nous installons sur l'impériale. Cette plaine. Cette nouvelle voie de communication remontera la vallée de l'Oued Sahel. sur les points cultivés. le guêpier du Sénégal. et l'eau. et constituent une grande richesse pour le pays. encore inculte en maints endroits. elles ont redoublé de violence à ElKseur. admirer la plaine de l'Oued Sahel (1). Mais en attendant qu'elle apporte la prospérité. La brise de mer arrive maintenant par fraîches bouffées. engendre des fièvres qui déciment les colons. Les oliviers poussent avec une vigueur peu commune. Le guê(1) La vallée de l'Oued Sahel s'appelle aussi vallée Soummam. Leur recrudescence doit être probablement imputée aux travaux de terrassement du chemin de fer. ouvert.pour aboutir à la grande ligne reliant Alger et Constantine. qui se déroule devant nous. parait. elle sème des miasmes sur tous les points où elle occasionne des remuements de terrain (2). tout en voyant mieux le pays. sans fatigue. d'une fertilité remarquable. (2) Ce chemin de fer est aujourd'hui de la . Malheureusement cette humidité.VALLÉE DE L'OUED SAHEL 271 A quatre heures.nous apercevons une des curiosités de l'été algérien. de Bougie à Maillot. et nous pouvons. Pour avoir plus d'air. qui partout se trouve à fleur de terre. étaient plus fiévreuses que teurs. Ce fait. à proximité celles établies au bord même de l'eau. en effet. ainsi nommé à raison de la nourriture qu'il préfère. se vérifie en Algérie. quitte le Sénégal pour venir chercher la fraîcheur en Algérie. faute de fusil. nous côtoyons un moment l'Oued Sahel. A six heures et demie nous entrons dans Bougie. en offrir quel. Au delà delà Réunion. le bleu et le rouge. chaque été. et je regrette de ne pouvoir. village français établi sur une hauteur à gauche de la route. Bougie est bâtie au pied du Gouraya. Il étale. Comme il vole en planant. chose rare en Algérie pendant la saison estivale. Les vieux forts espagnols (1) On a remarqué que les habitations situées sur des haudes marais. Bougie à ses pieds. Nous passons en bas de la Réunion. Ce village est particulièrement fiévreux (1). Les colons l'appellent chasseur d'Afrique. Enfin voici la montagne du Gouraya. notamment dans le pays dé Dombes. sur ses plumes. mais surtout le jaune. et a beaucoup d'eau. déjà constaté en France. est un oiseau migrateur de la grosseur du merle qui. C'est une belle rivière.272 HUIT JOURS EN KABYLIE pier. la queue ouverte. . Elle coule au milieu d'arbres magnifiques. on dirait une charmante garniture pour un chapeau de dame. ques spécimens à MmeRobert. la mer bleue dans le lointain. à cause de ses brillantes couleurs. Nous traversons des prairies parsemées de splendides peupliers. qui la domine de 700 mètres presque à pic. toutes les nuances de l'arcen-ciel. Son importance n'est guère considérable (1). d'un panorama absolument unique. Gomme la pente est extrêmement raide. qui donne une magnifique Idée de ce qu'étaient autrefois les remparts. bien suffisant pour arrêter tous les indigènes du dehors en cas d'insurrection. pour Philippeville. aucun monument remarquable. puisque son ancienne enceinte montait presque jusqu'au sommet du Gouraya. Mais on admire encore sur le quai une porte ogivale. De cette enceinte. au temps de Charles-Quint et de Barberousse. par contre. Si Bougie ne renferme. et reportent l'imagination à plusieurs siècles en arrière. . s'écouler. à peine 5000 habitants. on a dû les bâtir de telle sorte que le rez-de-chaussée du côté de la montagne fornle. Mais l'ouverture (1) Bougie compte du chemin do fer de Maillot accroîtra son importance. L'intérieur n'a rien de curieux. Les maisons sont presque toutes de construction française. elle jouit. il ne reste plus aujourd'hui que quelques pans de murs à moitié écroulés.de l'autre côté. à part ses vieux forts et ses restes de murailles. C'était jadis une ville très considérable.BOUGIE 273 dont elle est flanquée de tous côtés lui donnent un aspect imposant. Cette particularité est loin d'être une condition de beauté. entourée d'un mur crénelé. Bougie se trouve maintenant. dite porte sarrasine. on y faisant afftuer une partie des productions de l'intérieur qui vont un port à Alger ou à chercher maintenant. le quatrième ou le cinquième étage. comme la plupart des villes d'Algérie. réelle. attendu qu'en général les montagnes. Descendus à l'hôtel de la Marine. malgré la . Les fatigues de la journée sont oubliées. illumine tout le golfe. Au-dessus se détachent en rose les prairies et les rochers. Bougie. qui couronnent les sommets. la chaîne des Babors. Presque fermé comme un lac. scintillent au soleil. ce golfe est dominé par une chaîne. pour contempler encore. avec un charme infini. presque imperceptibles. Les forêts qui couvrent les Babors jusqu'aux deux tiers de leur hauteur présentent une bande d'un vert sombre. Nous nous repaissons. de montagnes et de couleur. Il est déjà tard quand nous songeons à dîner. C'est un effet que l'on rencontrerait difficilement même en Suisse. Si la lumière était moins éclatante. soit qu'elles reposent sur un plateau déjà élevé. c'est Lausanne en Algérie. nous admirons silencieusement de nos fenêtres le merveilleux spectacle qui s'offre à nos regards. le soleil. dont la base se trouve baignée par la mer. soit qu'elles ne laissent pas assez de perspective pour les contempler.de mer. Une mer d'un bleu de saphir s'étend au devant. peu après. et MmeRobert vont. ne montrent pas toujours leur élévation Au moment où nous arrivons à Bougie. haute de 2000 mètres. Les lames. on dirait un paysage des Alpes. à son déclin. M. se reposer. Je fais un tour de promenade.274 HUIT JOURS EN KABYLIE Elle voit en effet s'étaler à ses pieds un golfe incomparable. Immobiles et à l'ombre. Nous sommes d'ailleurs plongés dans celte sorte de buée qui. en dépit de toutes les circonstances extérieures. sur les bords de la mer. rend la chaleur beaucoup plus pénible à cause de l'abondante transpiration qu'elle arrête après l'avoir provoquée. Aussi ne sortonsnous guère de toute la matinée. je n'avais été que trop obligé de méditer. soit au Gouraya. Je me lève complètement reposé. un profond sommeil. 270. nous transpirons infiniment plus que lorsque nous marchions au gros soleil à travers la Kabylie (1).33. . qui ferme la rade au Nord-Ouest. rêvant aux belles choses que j'ai vues. préparé au sommeil par la fatigue.LE GOLFE ET LES BABORS 275 nuit. l'an dernier. pendant une nuit entière. Mais nous nous proposons de monter à pied. nous reconnaissons que l'exécution de nos (1) Voir ci-dessus pp. A midi. point culminant au-dessus de Bougie. soit au cap Carbon. Exposée en plein midi et abritée du Nord par le Gouraya. Puis. La fatigue de la journée précédente m'a valu. je vais m'enfermer dans une chambre où. Le bain de vapeur que nous subissons n'est pas fait pour nous encourager à la promenade. les formes noires des Babors. après le déjeuner. 9. Bougie est une des villes les plus chaudes du littoral. Dimanche 26 juin. A quoi bon gravir péniblement le Gouraya.276 HUIT JOURS EN KABYLIE projets nous vaudrait une fatigue à peu près inutile. La mer est aussi calme que le lac de Genève. Nous descendons au port vers les cinq heures. quand de nos fenêtres nous avons une vue presque aussi belle que celle dont on jouit 700 mètres plus haut ? Pourquoi nous rendrions-nous par terre au cap Carbon. que nous découvrons dans son ensemble. il offre un curieux contraste avec le Gouraya. Nous admirons toujours les Babors. tandis qu'en barque nous pouvons visiter ce cap sans aucune fatigue? Nous adoptons ce dernier parti. puis sur le cap Carbon qui. d'une centaine de mètres d'élévation. Une légère brise. finit par nous apparaître. dont les flancs sont couverts de verdure.. Nous allons d'abord aux bureaux de la Compagnie Transatlantique pour retenir nos places sur l'Isaac Péreire. qui part ce soir pour Alger. tout en renvoyant son exécution au moment où la forte chaleur sera tombée. aux pans abruptes. Formé de rochers rouges sans végétation. Mais nos regards se portent principalement sur Bougie. en même temps qu'elle nous donne une fraîcheur délicieuse. le cap Carbon constitue l'extrémité Nord-Est de la chaîne du Gouraya. Puis nous montons dans une barque à voile et bientôt nous sommes au large. nous permet de gagner rapidement le cap Carbon. C'est une sorte de dôme. Situé à 4 kilomètres de Bougie. quelque temps caché par un renflement de terrain. . nous remettons à la voile et nous regagnons le port de Bougie. et MmeRobert descendent dans leur cabine. nous trouvons la pleine mer. nous faisons nos derniers préparatifs de départ. On dirait une pyramide gigantesque avec un énorme sphinx endormi à ses pieds. Nous voici à l'entrée. La mer. le fameux tunnel naturel d'Étretat. Nous remontons à notre hôtel. Il se détache maintenant en masse noire sur le ciel. et se trouve assez élevé pour qu'une goélette puisse le franchir voiles déployées. presque imperceptibles. Après le dîner. recueillement d'une cathédrale. et à neuf heures nous sommes sur l'IsaacPéreire. je reste sur la dunette pour voir encore le cap Carbon. Pendant que M. La brise tombe. l'hélice commence à tourner et nous disons adieu à Bougie. C'est l'aspect et le dans les anfractuosités Au delà du tunnel. forme une nappe légèrement ondulée dont les clapotements. Sa surface esta peine ridée. font entendre comme le murmure d'une prière. Puis. Nous contournons l'extrémité du cap. Des palmiers nains poussent çà et là du rocher. par ses vastes proportions. dont le pic semble loucher aux étoiles. Plus haut. Elle semble en marbre rouge. 16 . Nos matelots mettent à la rame et nous engagent sous la voûte. le treuil relève l'ancre. A dix heures.LE CAP CARBON 277 La mer s'est creusée dans les flancs de la montagne un tunnel qui rappelle. d'un bleu sombre.de longueur. c'est le Gouraya. ayant rencontré un peu de brise. Il a 50 mètres environ . l'hélice s'arrête. perché au-dessus de la mer. surtout de la part des étrangers de . Nous devons y faire escale jusqu'à dix heures. un aussi beau coup d'oeil que Bougie. Je suis déjà venu plusieurs fois à Dellys. Je me jette dans une de ces couchettes qui m'ont toujours paru ressembler étrangement à un cercueil ouvert. C'est sans doute une jolie petite ville. A cinq heures du matin. en moins d'une heure. elle ne présente pas. la forêt de la Mizérana. montrer à mes compagnons de voyage tout ce qu'elle peut offrir d'intéressant. je m'endors au bout de quelques instants. l'ancre tombe. nous sommes en rade de Dellys. Lundi 27 juin. je m'empresse. Comme presque toutes les villes du littoral algérien. Vers sept heures. de gagner ma cabine. sur les montagnes qui bordent la côte. n'ayant plus rien à voir. à moitié perdue dans la verdure . mais les collines environnantes sont complètement dépourvues d'arbres. Dellys est ouverte à l'Est. nous hélons un batelier et nous descendons à terre. à beaucoup près. Le quartier kabyle. et la fatigue m'empêchant de longuement réfléchir. Vue de la mer. et je puis. Elle est toutefois trop éloignée pour racheter la nudité des alentours immédiats de Dellys. mérite une visite.278 HUIT JOURS EN KABYLIE Une fois le cap Carbon doublé. On aperçoit cependant vers l'Est. C'est cette École qui a remplacé celle de Port-National. fermée depuis 1871 (2). Pour moi. p. M. A l'extrémité Nord s'élèvent les vastes bâtiments de l'École des Arts et métiers. p. on aperçoit le littoral Ouest qui se profile au loin. M.. De beaux jardins. 221. plantés d'oliviers magnifiques. 150-157. nous nous trouvons dans la grande rue. V. je vais rendre visite au juge de paix. Les maisons. par un temps clair. que l'on aperçoit. s'étendent au-dessus d'une falaise élevée. Au bout de la grande rue. de la Bouzaréa. que je connais depuis longtemps et à qui je dois de précieux renseignements sur la Kamilitaire (1) Voir ci-dessus. C'est une sorte de boulevard horizontal. au-dessus d'Alger... reproduisent le type adopté dans toute la Kabylie. sur lequel a été construite la ville européenne. Nous avons bientôt vu tout Dellys. Quelques échappées sur la mer ménagent de gracieux coups d'oeil. comprenait l'administration (2) Voir plus haut. la façon dont l'autorité de la Kabylie. du côté Nord. .DELLYS 279 passage qui n'ont pas d'autre occasion de voir des habitations kabyles. Après avoir grimpé à travers le quartier kabyle. Des treilles ombragent les carrefours. On y voit une jolie mosquée. et MmeRobert remontent à bord. Les rues sont tortueuses et raides comme des échelles. les résultats donnés par ces deux écoles. blanchies à la chaux et couvertes de tuiles rouges. A deux kilomètres environ se dresse le phare du cap Bengut. édifiée par les soins du maréchal Bugeaud (1). . Nous n'en ferons pas moins avec grand plaisir. qui ferme à l'Est la baie d'Alger.280 HUIT JOURS EN KABYLIE bylie. Par conséquent. en sa compagnie. le trajet qui nous reste à faire jusqu'à Alger. Elle n'est vraiment un peu jolie qu'à l'embouchure du Sébaou et de Tisser. Puis voici une tache blanche qui se forme au ras delà mer : c'est la Kasba d'Alger. s'élançant de la mer sous les flancs du navire. apparaît à l'horizon. dont nous avons fait l'an dernier la connaissance. Bientôt le cap Matifou. Il double bientôt la pointe qui abrite la rade de Dellys. Nous passons agréablement notre temps à causer de Tunis avec M. Après le déjeuner.. Nous trouvons à bord M.. Il vient de Tunis. a un aspect monotone. elle cache complètement le Djurdjura. je reviens sur l'Isaac Péreire. détournent par moment notre attention. Mais nous ne l'avions pas encore aperçu. Gomme la mer est absolument calme. et nous regardons le littoral défiler devant nos yeux. nous nous mettons à table sans aucune hésitation et nous faisons honneur au repas. généralement dénudée. Malheureusement. L'Isaac Péreire lève l'ancre à dix heures. il se trouvait déjà dans le bateau quand nous y sommes montés à Bougie.à terre. K. K. et il met le cap sur Alger. étant fort élevée.. nous montons sur la dunette. N'ayant plus rien à faire . La côte de Kabylie. il se trouve absent pour toute la journée. Des poissons volants. La tache blanche grossit à vue d'oeil .. De plus. Le déjeuner sonne. d'impressions intimes et de renseignements. d'attirer les touristes. Le Djurdjura vaut mainte chaîne célèbre des Pyrénées et des Alpes. Un retour ne va pas sans quelque tristesse. tout Alger se montre avec le môle de la Marine et les quais. Sous le rapport physique. C'est alors que l'on jouit sans amertume. J'ai vu des paysages merveilleux. Le bagage que je rapporte de Kabylie est fort considérable. qui constituent le meilleur fruit des voyages.ALGER 281 et. au panorama de l'Azerou-n'Tohor. J'en suis même quelque peu encombré. à la hauteur de Matifou. Au bout de quelques instants. on dirait une carrière de marbre. Peu de contrées offrent. L'Isaac Péreire siffle. et à deux heures nous sommes au milieu du port. Bientôt cependant le temps vient fondre ensemble ces divers sentiments. à l'aspect général du pays kabyle. Le plaisir de la demeure retrouvée est tout d'abord impuissant à calmer les regrets. le pilote monte à bord. des sites d'un cachet aussi particulier. Nous voilà donc. à beaucoup d'égards. j'ai appris une foule de choses que je soupçonnais à peine. après une absence de huit jours. heureusement rentrés chez nous. la Kabylie mérite. 16. Les forêts de l'Akfadou peuvent se comparer aux magnifiques futaies des environs de Paris. en effet. et dégager le parfum des souvenirs. Quant à la vue de Fort-National. à côté de lieux rappelant les plus beaux endroits de la France. et que l'on peut mettre à profit cette moisson d'observations personnelles. . Sa religion. Il se montre sobre. rien ne peut servir de terme de comparaison. constituée des débris de peuples disparus. Le Kabyle n'est pas seulement passionné pour l'indépendance. C'est une race antique. Il sait arracher sa subsistance à un sol ingrat et. avec une plus grande admiration pour la Kabylie et les Kabyles. et se défend encore avec une obstination sourde. ses coutumes. elle s'en sert rempart pour arrêter.282 HUIT JOURS EN KABYLIE avec ses villages perchés sur chaque piton. l'invasion étrangère. Vaincue après une résistance héroïque. il joint des qualités propres aux grandes nations. travailleur et industrieux. Je rapporte de mon voyage. aller au loin gagner sa vie. je le pense. et qu'il faut voir soi-même si l'on veut s'en faire une idée exacte. des obstacles que renconcomme d'un . sa langue. mais non soumise. elle conserve toujours l'espoir d'une revanche. Les efforts quel'on fait pour l'assimiler semblent même accroître l'opiniâtreté de sa résistance. comme l'Auvergnat et le Savoyard . mais indomptable. qui est la marque des vrais caractères. il a presque toutes les vertus du paysan français. une idée moins imparfaite. A cet amour de la liberté. La population de ce curieux pays est encore plus curieuse que le pays lui-même. en cas de nécessité. La Kabylie est une région absolument unique en son genre. au seuil de la famille. ses cultures et ses arbres suspendus aux flancs de montagnes presqu'à pic. ses réseaux de profonds ravins. j'ai eu grand'peine à me faire une opinion. ce pays demande des études approfondies . par exemple. je rejette cette opinion trop généreuse : la naturalisation de plein droit des anciens turcos comme des anciens spahis serait. il faut absolument renoncer aux partis pris. et encore sur quelet l'importance ques points seulement. J'ai vu s'accroître et se préciser le nombre des questions à résoudre. intempestive pour no pas dire pleine de dangers. à la séance solennelle de rentrée des écoles d'enseignement supérieur d'Alger. les motifs de cotte nouvelle appréciation. Ce que je puis surtout affirmer. dans un discours des indigènes dans l'Afrique romaine. en effet. c'est qu'il y a encore beaucoup à faire en Kabylie.LA KABYLIE 283 tre la civilisation. Devant sur l'Assimilation l'exemple de Rome qui conférait le droit de cité aux vétérans. et le Kabyle tel qu'il est. je repousse aujourd'hui j'ai avancée en 1885. 112 et 121. j'espère qu'elles seront bientôt entreprises.) . et des espérances qu'il est permis de concevoir. quelle que fut leur race. Mais si l'on veut vraiment parvenir à la vérité. regarder en face les choses et les hommes : en Kabylie il faut voir le Kabyle. Après avoir visité la Kabylie et causé avec les personnes les plus compétentes. Au milieu de renseignements et d'avis souvent contradictoires. (Voir ci-dessus. sans condition particulière. Pour être bien connu. je soutenais que la France devait attribuer. la nationalité française à tous les indigènes ayant passé quelques années sous ses drapeaux. observer même ce qui peut déplaire. J'ai pu rectifier certaines appréciations que j'avais antérieurement hasardées (1). une idée que (1) Ainsi. pp. . — La — Morcellement de la propriété. — Le Djurdjura.. Kabyles. p. Aïssi. en Kabylie. — Aïn-el-Hammam. PREMIER ET DES AÏN-EL-HAMMAM. 16. AVERTISSEMENT DE L'ÉDITEUR. — La Le père La Verte et la route d'Aïn-el-Hammam. l'Oued Fort-National. 2. maisons — et villages. 23.. 18. TIZI-OUZOU. p. tions. maison de deux p. 10. Départ pour Le Sébaou. — Insurrection — La répression.. les colons. K\BYLES. 4. p. le Djurdjura. 11.. p. p. Huileries — le béchena. . individuelle et indivise et les chez les Arabes Propriété — La route . dilil'Est-Algérien. 15. p. IMPÔTS. vigne.. Village de Tashenfout. 13. 20.. Le fort. nal. p. les confiscap... . — Tizi-Ouzou. 23. p. — d'Azouza. des Beni-Yenni tribu Densité de la population. — Les Kabyles. P.. et ses écoles.. Lundi . climat.. Village la garnison. p.-p. de 1871.TABLE DES MATIÈRES AVANT-PROPOS. 8. 24. — Le marché kabyle.. colonip. 21. . Haussonviller. l'amiral de Gueydon . de la France. 14. 7. 12. La montée. le jura.. Mardi SI juin. — la Kabylie. p. 19. donar sourdi. L'agriculture kabyle.. p. p. — 1 FORT-NATIONAL IDÉES POLITIQUES — Compagnons de voyage. p. — Le Djurdde Tak-Sebt et de Makouda. Les enfants kabyles. 6. p. p. les frênes.. Fort-Natiogrands chefs kabyles. gences algériennes. leur costume. le drapeau — École de Tamazirt. — Entrée la Métidja. chemin de fer de 20 juin. V VII CHAPITRE LE DÉPAI1T PROPRIÉTÉ. qu'on a d'Aïn-el-Hammam. p. algérien. 76. l'administration. — Tirourda et Taklelidjt-n'AïtCantonnière. pouvoir. 27. — Costume Porteuses des femmes kad'eau. Altitude . 43. 64. 36. p. du col de Tirourda. les cartes. 52. Ressources des Kabyles . des Kabyles aux coups et blesforme. p. p. p. 75. Prestige de l'uniPoublique. 65. p. p. — Le matin. — Résistance sures. — Plan pour le lendemain. 41. Coucher du soleil. l'amin-el-oumen a — Embarras de l'administration (caïd). — La race berbère. — Le tirailleur impôts. Les Roumis. 67. — Le déjeuner. mixte. le refuge. La lezma. leurs ornements . la chute des corps. Climat. — La et la clémence. des passants . justice p. naires. 61. p.— Panorama. — Vue la justice. 50. 74. — Le sommet de l'Azerou-n'Tohor. p. p. gens). — Autres p. 63. p. les fonctionp. ministre de l'instruction Voyage en Kabylie Un voyage officiel. — Idées des Kabyles suri e mocratique. Un cavalier d'administration. — Répartition possible. Le tamen. — La Village de Tiferdoul. 34. 83. p. 56. p. . (famille). p. p. 66. p. 58. p. 45. (tribu. — La télégraphie kabyle . l'usure. p. 69. p. Berthelot. 38. — Egalité déses causes. 48. 81. 29. — La les çofs. p. A mulet : en route pour l'Azerou— n'Tohor. Femme la maison voilée. 31. p. — Le sorbet. 47. nombre Atchou. de M. 72. (village). mosquée. II VILLAGE . perquisitions impossibles. . 80. CIVILES . 55 Mercredi 22 uin. — Le chemin. le bordj. -— Suppliques des Kabypublique. —Une pépinière. — Les routes. p. et panthères.286 TABLE DES MATIÈRES — La commune sation impossible. française . Sangliers p. DE TIFERDOUL. 71. djemâa et le self-government La kharouba le thaddert le douar. p. p. — Le ramadan et la lune. plaintes de la lezma: réforme exagérées. p. l'amin et l'oukil. — DES KABYLES GUERRES ASSIMIp. — Col de Tirourda — Panorama les troupeaux. p. DE ET L'AZEROU-N'TOHOR COUTUMES . 51. Madame Le Beylik. p. CHAPITRE ASCENSION MOEURS LATION. Idée que les Kabyles se font de la République. 33. le sexe de leurs enfants : suivant byles . Beauprêtre. p. impôt de capitation les. les galettes. musulmans p. 127 L'INSTRUCTION. — croix les Kabyles ont-ils été chrétiens. l'indigénat. —Race — Les — Les Beni-fraoucen. 108. 131. rapprochés du cardinal p. Maîtresses et servantes. 90. 113. académiques Jeudi. Prestige nos ennemis. conseils de cuisine . kabyle. indigènes sont plus naturalisation . des habitants et de la fidélité en bloc des naturalisation — Les au Tonkin p. 13S. p. 104. p. 96. 101. Lavigerie. 133. p. 107. p. p. MANE. La vendetta. p. 84. 85. — Adieu au 23 juin. la religion. institutrices en Kabylie. LE SÉBAOU. la Marseillaise — L'essai échoue. p. des crimes. p. et des gens. assassinats.4. LES AZAZGA. Caisse électoral. Maisons Les jeunes filles. 118. — Un marabout. ses éléments. la peine par les Français. — III LA FEMME MUSULP. 12. — Arrestation la Caria.TABLE leurs DES MATIERES 28? — Les femmes les tatouages. du talion. — Peines de — sance fataliste. sa langue. 119. Assimilation. p. La rek ba. — leur mission. p. 136. p. Guerres entre villages. p. 100. — Ce qu'il faut penser de la 116. le droit de grâce. kabyles. basé sur la force. p. 99. — Crainte inspirée Les juifs. L'enseignel'instruction ment secondaire. kabyles. 94. 87. p. Les communes — Le 115. son origine. collectives. p. la décollation. 112. p. sion illusoire entre Kabyles. p. de l'autorité fictif. —Les Kabyles des Européens Les orphelins que les Arabes. p. p. . CHAPITRE TAKA. p. Le couscous. p. de plein exercice. de profession. La propreté des maisons p. 95. —RépresLa peine de mort. à la fontaine. — Emprisonnement verbale. En route pour Azazga. 121. 134. 128. marabouts. haut de des thadderts. troupes — De leur haïssent la France. Djurdjura. Bijoux p. les indigènes. —Mé— tier à tisser. Costume. — Retour à Aïn-el-Hammam. p. p. 129. 89. Singulier Système gènes. indigènes . l'orme . grecques. — Les instituteurs L'école primaire et d'Aït-Hichem. surtout les tirailleurs indiLes Kabyles restent — essai d'assimilation. COLONS. primaire obligatoire. —Assassins p. L'amin de Tiferdoul. — Palmes — Résistance des indigènes. p. 109. chapeau syndicale et l'eau de Lubin. p. 132. 120. — Solidarité Respon— ObéisArrestations sabilité collective. p. 201. — IV L'ISLAMISME. p. — « La selle ». Oisiveté des colons . — Le Coran et la mémoire et danger de l'instruction musulman. — Village d'Azazga. 165. rités : les remords de Frédégonde. frère. p. les Saint-Simophalanstère une visite. 195. — Un grand danger. —Le Les partis à Azazga. 160. Méthode d'instruction. niens. le droit à la pension. 179. p. 172. entre époux. — Le rôle dos députés. Difficulté des conversions. p. le barda. p. p. P. 208. les agrafes. p. 206. atrophie p. — L'État-Providence. — La successive. 162. École de Djemàa-Saharidj en Kabylie. Ce que devient la vieille femme. — Un pays de cocagne. 193. 137. p. de Maillot. p. — Contélégraphe. 209. — Enseignement laïque des Pères Blancs et des Soeurs blanches. 155. 174. 210. les luttes du forum. — Inutilité aux indigènes. LA FÉODALITÉ. Vallée du Sébaou. p. — Plan pour le lendemain. Négocia— Un nom écrit. —Maison d'Iaeouren. des filles donnée p. p. 191. L'absinthe. p. De l'amour entre et enfants. Femme d'étéet femme d'hiver. Cimetière. p. les Jésuites — Les Pères Blancs et les Soeurs Blanches. du intellectuelle . p. de garçons et p.288 TABLE DES MATIERES données à des chefs kabyles. 167. 205 — La route. 211. descente. de Taka. les burnous. parents Passage du Sébaou. — Naissance — De l'amour de filles. 189. Village — — L'orfèvre : bijoux kabyle indigènes. 175. 24 juin. vente de la femme. veuve plus chère que la jeune fille. p. 178. Le soleil. p. politiques cessions gratuites. 151. p. 141. p. p. p. 161. CHAPITRE LES FORÊTS DE L'AKFADOU. 199. p. Chemins et tions . singulala liste des ministères. etc. p. p. — Le sa valeur vénale : répumariage kabyle . 185. Le Chan. mulets. polygamie p. —Le mouchatchou . La Vendredi Les chênes zéens. — Situation de la femme musulmane. — Le génie miliforêt d'Iaeouren. p. 197. Valeur vénale de la femme d'un sidi professeur. Le fataarabe. p. 198. — Instruction « C'est un meurtre de l'enseignement ». p. soins qu'on . 142. travailleurs calabrais. diation . son abjection. — Problème professionnel. 170. garde-forestier lisme et le Coran. — Un forestière taire. ment on devrait p. LE RETOUR. p. p. p. 226. Le paysage. p. 258. — La Clairière des scieurs de long. p. assès du lendemain. 251. kabyles. Les Arabes et les Kabyles. p. p. — Ruines romaines. 230. p. l'isolement. Forêt de chênes liège.— Différences Antipathie dans l'interprétation du Coran . Les maraudeurs. p. Le poste des p. 263. — Plan de la journée palabre avec le tamen et les Kabyles pour avoir des mulets. p. Les assès. 256. — Rencontre où sommes-nous? Kabylie. à la les femmes. pèlerinages arabisation de la Kabylie et de l'Aurès par l'admiMecque. 212. p. p. le déNourriture des Kabyles. 261. p. — trahis ? Le Baraquement. p. — La forêt. — Pâturages et troupeaux. Berger en contravention arrêté le procès-verbal. 241. 220. — Chênes afarès. Le lever. p. 215. Marabout de Sidi-Ladi.— Comp. Amar. p. société des Kabyles. 247 — Le Samedi 25 juin. 235. 243. 255. p. amusante. kala meilleure marcheurs eau. — Dernière promenade assès. — Le guet d'incendie. d'Amar.TABLE DES MATIERES 289 prend de lui. 216. forestière de chute. byles.— Déjeuner champêtre. 224. Les mulets. — Maison pas d'eau. avec trois Kabyles. Vue magnifique. Les voleurs. leur sobriété. P. 237. 219. 227. p. est Quelle jeuner. 244. 233. entre les Arabes et les Kabyles. 225. les garde forestier . 231. Un hameau. p. p. vivres . — Le tamen et le parasol. p. Sommes-nous abandonnée. 229. — La vie d'un physique l'éducation des enfants. les kanouns. 245. — Bordj — du chemin. La promenade. V — LES KABYLES. au crépuscule. CHAPITRE DE L'AKFADOU A BOUGIE . p. séance de — Départ 234. 239. 259. —L'islamisme favorisé. — HéAlgérie. p. nistration française. — La source . exploitation p. écrire la langue kabyle. par p. 249. seuls Le costume et le langage. 260. de bûcherons. son vêtement. départ . — La moitié 17 . 254.— Les assès. — Appétit kabyle. Mélodies de Taourirt-Ir'il. p. Nouvelle — Un l'Akfadou. p. Introduction de l'islamisme en Kabylie. Les chênes afarès. p.218.— Les Khouans. — Installation pour la nuit. féodal en Système retour au Moyen âge. p. Singulier roïsme de Mme Alexandre. — La source. p.p. 248. — Carte de la grande Macache. 221. la toilette. — Fin du voyage. Ecole des Arts et métiers. Climat de la plaine. 270.290 TABLE DES MATIÈRES La chaleur . Epilogue : la Alger. — Les habitants. — Adieu à nos guides. . p. le pays. 275. Climat de Bougie. 277. Lundi 27 juin. Dellys. p. 276. p. — El-Kseur. p. Le quartier kabyle. 269. L'Oued Sahel. 279. — L'assimilation. Les côtes de la Kabylie. Le guêpier du Sénégal. p. p. p. p. p. 267. chez un piqueur. carrière de marbre. La fièvre. — L'absinthe de noms des Azazga. 280. 283. 265. son tunnel. p. responsabilité collective. —Mosquée. p. Kabylie. — Bougie. Dimanche 26 juin. 282. incendies de forêts . Vue du golfe et des Babors. — Retour à Alger. 278. 272. par l'Isaac Péreire. —Le cap Carbon. Route d'El-Kseur à p. Changements villages. p. . . . . . .Métier à tisser. Mardi 21 juin.Idées des Kabyles sur le pouvoir. . impôt de capitation. Le couscous. chemin de fer de l'Est-Algérien. Les croix grecques. . . surtout les tirailleurs indigènes. .Les communes de plein exercice.MOEURS ET COUTUMES DES KABYLES. le Djurdjura. .Un nom écrit.Village de Taka. Mardi 21 juin. Mardi 21 juin. Les Kabyles restent nos ennemis.Compagnons de voyage. GUERRES CIVILES.Problème de l'enseignement professionnel. . le douar.Peines de l'indigénat. Coucher du soleil. la peine du talion. .La tribu des Beni-Yenni et ses écoles. les jeunes filles. Mercredi 22 juin.Costume des femmes kabyles.Les instituteurs et institutrices en Kabylie.La commune mixte. Altitude. . Les juifs. Arrestations collectives.Entrée en Kabylie. Mardi 21 juin. les agrafes. Village de Tiferdoul.Ecole de Tamazirt.La vigne.Suppliques des Kabyles. la décollation. le béchena.Instruction des filles "C'est un meurtre". . Maisons kabyles.Emprisonnement fictif.Egalité démocratique. . IDEES POLITIQUES DES KABYLES Lundi 20 juin. Huileries de Tak-Sebt et de Makouda.Le sorbet. Voyage en Kabylie de M. Mardi 21 juin. . les çofs.AVANT-PROPOS AVERTISSEMENT DE L'EDITEUR CHAPITRE PREMIER LE DEPART. la Métidja.Inutilité et danger de l'instruction donnée aux indigènes. Le soleil. La vendetta. Mercredi 22 juin. . . Prestige de l'autorité basé sur la force. . les frênes. . . Difficulté des conversions.Arrestation verbale. Mercredi 22 juin. .Obéissance fataliste. Morcellement de la propriété.Répartition de la lezma.La justice et la clémence.Les Beni-Fraoucen.Solidari té entre Kabyles. L'école primaire d'Aït-Hichem. Système électoral. La lezma.Résistance des indigènes. . plaintes exagérées. les fonctionnaires. La montée. . . les Kabyles ont-ils été chrétiens.Sangliers et panthères. ses éléments. l'usure. descente. les indigènes musulmans haïssent la France. les burnous. . Densité de la population.Le chapeau haut de forme.Le matin. Climat. colonisation impossible. le thaddert (village). Idée que les Kabyles se font de la République. . la maison Cantonnière.La propreté des maisons et des gens. . . singularités: les remords de Frédégonde. . le bardâ. . son origine.L'INSTRUCTION. Madame Poublique.La route. Mardi 21 juin. . Maitresses et servantes. .Panorama du col de Tirourda. les Jésuites en Kabylie. Beauprêtre.Les marabouts.Enseignement laïque des Pères Blancs et des Soeurs blanches. LES COLONS. Fort-National. .Les femmes à la fontaine. diligences algériennes. le droit de grâce.Un marabout.Bijoux kabyles. La rek'ba. la Carta. . Le Chanfrère. Responsabilité collective. . . . . leur mission. Mercredi 22 juin. Mercredi 22 juin. .Col de Tirourda. Guerres entre villages. .Tirourda et Taklelidjt-n'Aït-Atchou. . A mulet: en route pour l'Azeroun'Tohor. . . perquisitions impossibles.Assassins de profession. la Marseillaise et l'eau de Lubin. Le fort. donar sourdi. Berthelot. . nombre des passants. le drapeau de la France. . .Départ pour Fort-National. gens).La répression.Vue qu'on a d'Aïn-el-Hammam.L'agriculture kabyle. atrophie intellectuelle du musulman. Mardi 21 juin.Race kabyle. . . Porteuses d'eau. l'amiral de Gueydon.Les enfants kabyles. .L'amin de Tiferdoul. .Les Kabyles. . . . la chute des corps. Un voyage officiel. Mercredi 22 juin. l'amin et l'oukil.L'essai échoue. Village de Tashenfout. Caisse syndicale des thadderts. . Retour à Aïn-el-Hammam. Les orphelins du cardinal Lavigerie.Résistance des Kabyles aux coups et blessures. . CHAPITRE III TAKA. "La selle". Mardi 21 juin. LA FEMME MUSULMANE. 23 juin. les colons.Répression illusoire des crimes. conseils de cuisine. . la justice. maison de deux grands chefs kabyles.Le tirailleur algérien. . LE SEBAOU. Jeudi. . . Ressources des Kabyles.Embarras de l'administration française. Mardi 21 juin. leur costume. Ecole de Djemâa-Saharidj. . Mercredi 22 juin. ses causes. . .Les Pères Blancs et les Soeurs Blanches. . Lundi 20 juin. l'administration.Ce qu'il faut penser de la naturalisation en bloc des habitants et de la fidélité des troupes indigènes. IMPOTS.Les routes. En route pour Azazga. Mardi 21 juin. Assimilation.L'enseignement secondaire. Les Roumis. le bordj. le climat. l'amin-el-oumena (caïd). . etc. Mardi 21 juin. . Mardi 21 juin.Le marché kabyle. Jeudi. . Femme voilée. . .Insurrection de 1871. 23 juin. les galettes. Méthode d'instruction. Vallée du Sébaou.La race berbère.Le ramadan et la lune. Mercredi 22 juin. assassinats. Chemins et mulets.Tizi-Ouzou.Singulier essai d'assimilation. .La djemâa et le self-government La kharouba (famille). Costume.Le Djurdjura. Le Beylik. . .La télégraphie kabyle. Haussonviller. la religion. FORT-NATIONAL ET AIN-EL-HAMMAM. .Crainte inspirée par les Français. la Kabylie. .Le déjeuner. CHAPITRE II ASCENSION DE L'AZEROU-N'TOHOR. .. AZAZGA. Prestige de l'uniforme. Cimetière. les confiscations. 23 juin. . . les troupeaux.Les Kabyles sont plus rapprochés des Européens que les Arabes. .Le Coran et la mémoire. sa langue. l'Oued Aïssi.Le sommet de l'Azerou-n'Tohor. Mercredi 22 juin. Un cavalier d'administration. . Le tamen.Autres impôts. VILLAGE DE TIFERDOUL. ASSIMILATION. les cartes. . .Aïn-el-Hammam.Le chemin. . (tribu. la liste des ministères.Négociations. .Panorama. Mardi 21 juin.Une pépinière.Les indigènes au Tonkin. le refuge. Mercredi 22 juin. maisons et villages.PROPRIETE. .Adieu au Djurdjura.Plan pour le lendemain. .Palmes académiques données à des chefs kabyles. leurs ornements suivant le sexe de leurs enfants: leurs tatouages. TIZI-OUZOU. . Le père La Verte et la route d'Aïn-el-Hammam. Jeudi. ministre de l'instruction publique. la garnison. Mercredi 22 juin. . Jeudi. Mardi 21 juin. 23 juin. réforme possible. Le Sébaou.L'orfèvre kabyle: bijoux indigènes. . . .Village d'Azouza. Mercredi 22 juin.De leur naturalisation. La peine de mort.La mosquée. . . . .Propriété individuelle et indivise chez les Arabes et les Kabyles. l'instruction primaire obligatoire.Le Djurdjura. Mardi 21 juin. . Déjeuner champêtre. son tunnel. Lundi 27 juin. . Vendredi 24 juin. Samedi 25 juin. Dimanche 26 juin.Le télégraphe.Plan de la journée du lendemain. Le départ. pèlerinages à la Mecque.Héroïsme de Mme Alexandre.Un grand danger. . Singulier retour au Moyen âge. Le tamen et le parasol.Un pays de cocagne. son abjection. Samedi 25 juin. Système féodal en Algérie. . carrière de marbre. Oisiveté des colons. Ecole des Arts et métiers. Les côtes de la Kabylie. Le guêpier du Sénégal. Samedi 25 juin. Un hameau.Départ d'Amar.Village d'Azazga. Le fatalisme et le Coran.La route. Forêt de chênes liège. Le paysage. . . Les habitants. Les mulets. . Appétit kabyle. . . Adieu à nos guides. Epilogue: la Kabylie. . Changements de noms des villages.Le génie militaire.Un assès.Les Khouans. . Ce que devient la vieille femme. Nouvelle chute. LA FEODALITE. . . . Les assès. les Saint-Simoniens. Samedi 25 juin. De l'amour entre parents et enfants. Samedi 25 juin. seuls avec trois Kabyles.Installation pour la nuit. Lundi 27 juin.L'Etat-Providence. rôle des députés. pas d'eau. Climat de la plaine. les vivres. Lundi 27 juin. Dimanche 26 juin. . Les chênes afarès. Vendredi 24 juin. Vendredi 24 juin. El-Kseur. Bougie. Samedi 25 juin. Vendredi 24 juin. Les chênes zéens. Le quartier kabyle. Samedi 25 juin. Route d'El-Kseur à Azazga. .Chênes afarès. . . L'assimilation. Retour à Alger. Samedi 25 juin.Maison forestière de l'Akfadou. CHAPITRE V DE L'AKFADOU A BOUGIE. incendies de forêts. Mélodies kabyles. LE RETOUR. marcheurs kabyles. Dellys. soins qu'on prend de lui.Dernière promenade au crépuscule.Ruines romaines.De l'amour entre époux. .Plan pour le lendemain. . Passage du Sébaou. son vêtement. la toilette. séance de physique amusante.La vie d'un garde forestier. Le poste des assès. Vue du golfe et des Babors.L'islamisme favorisé. Samedi 25 juin. palabre avec le tamen et les Kabyles pour avoir des mulets. vente de la femme.Situation de la femme musulmane.Le mariage kabyle. une visite. le droit à la pension. Vue magnifique. . . . Quelle est la meilleure eau. Samedi 25 juin. . .Différences dans l'interprétation du Coran. La Clairière des scieurs de long. L'Oued Sahel. Samedi 25 juin. Le cap Carbon. . Vendredi 24 juin. les femmes. Bordj de Taourirt-Ir'il. La forêt d'Iacouren.Valeur vénale de la femme d'un sidi professeur. Femme d'été et femme d'hiver. Vendredi 24 juin. exploitation abandonnée. . Introduction de l'islamisme en Kabylie. . l'éducation des enfants. La promenade.La polygamie successive. Lundi 27 juin.Le guet d'incendie. .LES KABYLES. .Comment on devrait écrire la langue kabyle. Les Arabes et les Kabyles. La source. Les assès. . Rencontre de bûcherons. .Maison forestière d'Iacouren. . Les maraudeurs. responsabilité collective. La fièvre. société des Kabyles. Samedi 25 juin. le pays. Mosquée. le déjeuner. Vendredi 24 juin.Pâturages et troupeaux. les kanouns. l'isolement. Samedi 25 juin. Samedi 25 juin. Fin du voyage. par l'Isaac Péreire. L'absinthe.Le phalanstère de Maillot.L'ISLAMISME. Lundi 27 juin. leur sobriété. Les voleurs. .Un garde-forestier arabe. . les luttes du forum. arabisation de la Kabylie et de l'Aurès par l'administration française. Antipathie entre les Arabes et les Kabyles. . . Carte de la grande Kabylie. où sommes-nous? Macache. Le lever. travailleurs calabrais. . Alger. La moitié du chemin.Le mouchatchou. Samedi 25 juin. Dimanche 26 juin. Les partis politiques à Azazga. L'absinthe chez un piqueur.La forêt. Samedi 25 juin. Climat de Bougie. Vendredi 24 juin. Sommes-nous trahis? Le Baraquement. . .La source. Berger en contravention arrêté par Amar. Nourriture des Kabyles. le procès-verbal. répudiation. veuve plus chère que la jeune fille.La chaleur. CHAPITRE IV LES FORETS DE L'AKFADOU. . Marabout de Sidi-Ladi. .Naissance de garçons et de filles. Le costume et le langage. sa valeur vénale.Concessions gratuites. Documents Similar To 8 Jours en KabylieSkip carouselcarousel previouscarousel nextIntroduction Sur Les AthCHANTS NATIONALISTES ALGERIENS D’EXPRESSION KABYLE 1945-1954 Etude ethno-historique et musicaleKanoun de CheurfaEtudes et Documents Berbères n° 14 1996A Travers La Kabylie Bpt6k57894002s. Boulifa. Le Djurdjura a Travers l'HistoireLe Djurdjura à travers l'histoire, par Ammar ou Saïd Boulifa, 1925Grande Kabylie Légendes Et Souvenirs - Fabre Césaire - 1901Insurrection 1871Art Et Artisanat Traditionnels de KabylieGA a Travers La Kabylie Et Les Questions Kabylestizi2Grande KabyliePRESENTATION DE LA COMMUNE DE TIGZIRT SUR MERDjurdjura de BoulifaReport about Algeria (1847),Rapport sur l'Algérie (1847),Chroniques AlgériennesLes Aït Laâziz face à la...- La Dépêche de KabylieComment Gerer l Exception Kabyle11-7315-3823fa67.pdfblanc4Paris Alger Classe EnferLa Grande Kabylie Histoire de 1847.pdfLa-Grande-Kabylie-Histoire-de-1847.pdfKANOUN DE CHEURFA.pdfKanoun Kabyles Bpt6k751288Etudes (altérité diabolique)Fatma NsoumerCommuniqué de presse du syndicat FSU sur la reconduction de Bruno RacineSabres KabylesMore From Azwaw ChikoSkip carouselcarousel previouscarousel nextDaniel Guérin, Mary Klopper, Noam Chomsky-Anarchism, From Theory to Practiceستائر العتمةالأمصار ذوات الآثار.pdfMaurras Charles - L'Idée de la décentralisation.pdfالمطيري - مختصر أصول الخطاب السياسي الإسلاميLodge, David - Changement de Decor (1975)Dobelli - Avoid news.pdfالدرة في تفسير سورة البقرةMystery of BankingEducation Free and Compulsorythawra-3dasبعثة التجديد المقبلة في ظل الاجتياح العولميرد الاعتراضات الأزهرية على المقولة السلفيةmohrkatFooter MenuBack To TopAboutAbout ScribdPressOur blogJoin our team!Contact UsJoin todayInvite FriendsGiftsLegalTermsPrivacyCopyrightSupportHelp / FAQAccessibilityPurchase helpAdChoicesPublishersSocial MediaCopyright © 2018 Scribd Inc. .Browse Books.Site Directory.Site Language: English中文EspañolالعربيةPortuguês日本語DeutschFrançaisTurkceРусский языкTiếng việtJęzyk polskiBahasa indonesiaSign up to vote on this titleUsefulNot usefulYou're Reading a Free PreviewDownloadClose DialogAre you sure?This action might not be possible to undo. Are you sure you want to continue?CANCELOK